Orgueil et Préjugé |
Pride and Prejudice |
de Jane Austen |
by Jane Austen |
Traduction de Eloïse Perks(trad. 1822 — republiée 1966) |
(1817) |
Chapitre 3 |
Chapter 3 |
Toutes les questions que Mme Bennet et ses cinq filles purent faire à ce sujet n’engagèrent point son mari à leur dire comment il avait trouvé M. Bingley ; elles l’attaquèrent de différentes manières, par des demandes, des suppositions ingénieuses : mais il éluda leur finesse et elles furent obligées de s’en rapporter à leur voisine lady Lucas, qui en parlait très favorablement. Sir William avait été enchanté de M. Bingley ; il était jeune, beau, extrêmement aimable et, pour couronner le tout, il comptait aller au premier bal avec une nombreuse société ; rien ne pouvait être plus délicieux ! Aimer la danse était déjà le premier pas fait pour devenir amoureux, et de grandes espérances furent fondées sur la sensibilité du cœur de M. Bingley. |
Not all that Mrs. Bennet, however, with the assistance of her five daughters, could ask on the subject, was sufficient to draw from her husband any satisfactory description of Mr. Bingley. They attacked him in various ways; with barefaced questions, ingenious suppositions, and distant surmises; but he eluded the skill of them all, and they were at last obliged to accept the second-hand intelligence of their neighbour Lady Lucas. Her report was highly favourable. Sir William had been delighted with him. He was quite young, wonderfully handsome, extremely agreeable, and, to crown the whole, he meant to be at the next assembly with a large party. Nothing could be more delightful! To be fond of dancing was a certain step towards falling in love; and very lively hopes of Mr. Bingley's heart were entertained. |
« Si je puis voir une de mes filles heureusement établie à Netherfield, dit Mme Bennet à son mari, et les autres également bien mariées, je n’aurai plus rien à désirer. » |
"If I can but see one of my daughters happily settled at Netherfield," said Mrs. Bennet to her husband, "and all the others equally well married, I shall have nothing to wish for." |
Quelques jours après M. Bingley vint rendre visite à M. Bennet, qui le reçut dans son cabinet ; le premier avait espéré qu’on le présenterait à ces demoiselles, dont il avait ouï vanter la beauté ; mais il ne vit que le père. Ces dames furent plus heureuses ; elles eurent l’avantage de s’assurer, par une des fenêtres, qu’il portait un habit bleu et montait un cheval noir. |
In a few days Mr. Bingley returned Mr. Bennet's visit, and sat about ten minutes with him in his library. He had entertained hopes of being admitted to a sight of the young ladies, of whose beauty he had heard much; but he saw only the father. The ladies were somewhat more fortunate, for they had the advantage of ascertaining from an upper window that he wore a blue coat, and rode a black horse. |
On l’invita bientôt à diner ; et Mme Bennet avait déjà donné les ordres nécessaires, afin que son repas lui fît honneur, lorsqu’on lui remit une réponse qui dérangea tous ses plans : M. Bingley était obligé de partir sur-le-champ pour Londres et par conséquent ne pouvait avoir l’honneur d’accepter leur invitation ; Mme Bennet fut très mortifiée, elle ne s’était pas imaginé qu’il eût eu affaire à Londres, aussitôt après son arrivée dans Herfortshire, et commença à craindre qu’il ne fût toujours à courir de côté et d’autre, au lieu de rester, comme il le devait, à Netherfield. Lady Lucas la tranquillisa un peu en lui disant qu’il n’était peut-être allé à Londres qu’afin de ramener une nombreuse société pour le jour de l’assemblée. Bientôt après on apprit que M. Bingley devait revenir avec douze dames et sept messieurs ; ces demoiselles se plaignirent beaucoup d’un aussi grand nombre de femmes, mais furent consolées en entendant dire, la veille du bal, qu’il n’avait amené de la ville que ses cinq sœurs et un cousin. Enfin, lorsque M. Bingley entra dans la salle de Meryton, sa société ne consistait qu’en cinq personnes : lui, ses deux sœurs, le mari de l’aînée et un de ses amis. |
An invitation to dinner was soon afterwards dispatched; and already had Mrs. Bennet planned the courses that were to do credit to her housekeeping, when an answer arrived which deferred it all. Mr. Bingley was obliged to be in town the following day, and, consequently, unable to accept the honour of their invitation, &c. Mrs. Bennet was quite disconcerted. She could not imagine what business he could have in town so soon after his arrival in Hertfordshire; and she began to fear that he might be always flying about from one place to another, and never settled at Netherfield as he ought to be. Lady Lucas quieted her fears a little by starting the idea of his being gone to London only to get a large party for the ball; and a report soon followed that Mr. Bingley was to bring twelve ladies and seven gentlemen with him to the assembly. The girls grieved over such a number of ladies; but were comforted the day before the ball by hearing, that instead of twelve he brought only six with him from London, his five sisters and a cousin. And when the party entered the assembly room it consisted of only five all_together; Mr. Bingley, his two sisters, the husband of the eldest, and another young man. |
M. Bingley était un fort joli homme, il se présentait avec grâce et paraissait fort enjoué ; ses sœurs, grandes et assez belles, affichaient les manières du bel air ; son beau-frère, M. Hurst, avait le ton d’un homme de bonne compagnie ; mais son ami, M. Darcy, attira bientôt les regards de toute l’assemblée : il était grand, avait de beaux traits, un maintien noble, et l’on se disait à l’oreille qu’il possédait 10 000 livres sterling de rente. Les hommes assurèrent qu’il était bien, les femmes le préféraient à M. Bingley, et pendant une partie de la soirée il fut le héros du bal ; mais ses manières froides et réservées ayant déplu, il perdit soudain l’approbation générale ; on s’aperçut qu’il était fier, dédaigneux, qu’il ne trouvait rien à son gré ; enfin toute sa fortune et la beauté de sa terre de Derbyshire ne purent empêcher qu’on ne trouvât que sa physionomie était désagréable et qu’il ne méritait nullement d’être comparé à son ami. |
Mr. Bingley was good-looking and gentlemanlike; he had a pleasant countenance, and easy, unaffected manners. His sisters were fine women, with an air of decided fashion. His brother-in-law, Mr. Hurst, merely looked the gentleman; but his friend Mr. Darcy soon drew the attention of the room by his fine, tall person, handsome features, noble mien; and the report which was in general circulation within five minutes after his entrance, of his having ten thousand a-year. The gentlemen pronounced him to be a fine figure of a man, the ladies declared he was much handsomer than Mr. Bingley, and he was looked at with great admiration for about half the evening, till his manners gave a disgust which turned the tide of his popularity; for he was discovered to be proud, to be above his company, and above being pleased; and not all his large estate in Derbyshire could then save him from having a most forbidding, disagreeable countenance, and being unworthy to be compared with his friend. |
M. Bingley eut bientôt fait connaissance avec toutes les principales personnes de l’assemblée ; il était gai et sans affectation, il dansa toute la soirée, parut mécontent que le bal finît si tôt et fit même entendre qu’il donnerait à danser à Netherfield. Des qualités aussi aimables parlent d’elles-mêmes ! Quelle différence entre lui et son ami ! M. Darcy n’avait dansé qu’une fois avec Mme Hurst et une fois avec Mlle Bingley : il avait refusé d’être présenté à aucune autre femme, et le reste de la soirée il s’était promené de long en large dans le salon, ne parlant qu’aux personnes de sa société. Son caractère fut promptement défini, on le jugeait l’homme le plus fier, le plus désagréable qui existât ; et toute la société espérait qu’il ne se présenterait plus aux assemblées de Meryton. Parmi les plus irrités contre lui était Mme Bennet, dont le dégoût pour sa conduite en général fut encore augmenté par une malhonnêteté faite par lui à une de ses filles. La rareté des cavaliers avait obligé Élisabeth Bennet à rester assise pendant deux contredanses, M. Darcy était debout assez près d’elle pour qu’elle pût entendre une conversation entre lui et M. Bingley, qui, quittant la danse pendant quelques instants, vint presser son ami de l’y joindre. |
Mr. Bingley had soon made himself acquainted with all the principal people in the room; he was lively and unreserved, danced every dance, was angry that the ball closed so early, and talked of giving one himself at Netherfield. Such amiable qualities must speak for themselves. What a contrast between him and his friend! Mr. Darcy danced only once with Mrs. Hurst and once with Miss Bingley, declined being introduced to any other lady, and spent the rest of the evening in walking about the room, speaking occasionally to one of his own party. His character was decided. He was the proudest, most disagreeable man in the world, and everybody hoped that he would never come there again. Amongst the most violent against him was Mrs. Bennet, whose dislike of his general behaviour was sharpened into particular resentment by his having slighted one of her daughters. Elizabeth Bennet had been obliged, by the scarcity of gentlemen, to sit down for two dances; and during part of that time, Mr. Darcy had been standing near enough for her to hear a conversation between him and Mr. Bingley, who came from the dance for a few minutes, to press his friend to join it. |
« Allons, Darcy, dit-il, à quoi pensez-vous ? Je ne puis souffrir de vous voir ainsi à rien faire, vous feriez bien de danser. |
"Come, Darcy," said he, "I must have you dance. I hate to see you standing about by yourself in this stupid manner. You had much better dance." |
— Bien certainement je n’en ferai rien, vous savez combien je déteste la danse, à moins que je n’aie une danseuse avec laquelle je sois lié ; vos sœurs sont engagées, et il n’y a pas une autre femme dans le salon à qui je donnerais la main avec plaisir. |
"I certainly shall not. You know how I detest it, unless I am particularly acquainted with my partner. At such an assembly as this it would be insupportable. Your sisters are engaged, and there is not another woman in the room whom it would not be a punishment to me to stand up with." |
— Je ne voudrais pas être aussi difficile que vous pour tout l’or du monde, s’écria Bingley, sur mon honneur je n’ai jamais vu autant de jolies femmes, et il y en a plusieurs qui sont très aimables. |
"I would not be so fastidious as you are," cried Mr. Bingley, "for a kingdom! Upon my honour, I never met with so many pleasant girls in my life as I have this evening; and there are several of them you see uncommonly pretty." |
— Vous dansez maintenant avec la seule belle personne qu’il y ait ici, dit Darcy, en regardant l’aînée des demoiselles Bennet. |
"You are dancing with the only handsome girl in the room," said Mr. Darcy, looking at the eldest Miss Bennet. |
— Oh ! elle est d’une rare beauté ! mais voilà une de ses sœurs assise derrière vous, qui ne lui cède guère, et je la crois aussi très agréable ; laissez-moi demander à ma danseuse la permission de vous présenter. |
"Oh! She is the most beautiful creature I ever beheld! But there is one of her sisters sitting down just behind you, who is very pretty, and I dare say very agreeable. Do let me ask my partner to introduce you." |
— Laquelle voulez-vous dire ? » Et, s’étant retourné, il considéra un instant Élisabeth, puis répondit froidement : « Elle est passable, mais pas assez belle pour me tenter, d’ailleurs je ne suis pas homme à prendre soin des délaissées ; mais vous perdez votre temps avec moi, vous feriez mieux d’aller jouir des sourires gracieux de votre dame. » |
"Which do you mean?" and turning round he looked for a moment at Elizabeth, till catching her eye, he withdrew his own and coldly said: "She is tolerable, but not handsome enough to tempt me; I am in no humour at present to give consequence to young ladies who are slighted by other men. You had better return to your partner and enjoy her smiles, for you are wasting your time with me." |
M. Bingley suivit son avis. M. Darcy passa à l’autre bout du salon, laissant Élisabeth très peu prévenue en sa faveur ; elle raconta cependant avec gaieté ce qu’elle venait d’entendre, car, douée d’un caractère vif et enjoué, les choses ridicules la divertissaient merveilleusement. |
Mr. Bingley followed his advice. Mr. Darcy walked off; and Elizabeth remained with no very cordial feelings toward him. She told the story, however, with great spirit among her friends; for she had a lively, playful disposition, which delighted in anything ridiculous. |
Cette soirée se passa d’une manière très agréable pour la famille Bennet ; la mère avait vu sa fille aînée fort admirée par la société de Netherfield, ces dames s’étaient plu à causer avec elle, et M. Bingley deux fois l’avait fait danser : le plaisir qu’en éprouvait Hélen fut aussi vif que celui de sa mère, mais elle en parla bien moins. Élisabeth partageait la satisfaction de sa sœur ; quant à Mary, le bonheur de s’être entendu nommer aux dames Bingley comme une jeune personne des plus accomplies la rendait toute glorieuse ; et Kitty et Lydia, ayant eu la bonne fortune de ne point manquer de danseurs, étaient aussi au comble de la joie. Elles retournèrent donc fort gaiement au petit village de Longbourn où elles demeuraient, et dont leur père était le plus riche habitant. Elles trouvèrent M. Bennet dans son cabinet ; avec un livre, le temps lui paraissait toujours court ; d’ailleurs il était curieux de savoir l’issue d’une soirée qui avait donné lieu à tant de calculs et de projets. Il espérait que tous les desseins de sa femme sur l’étranger auraient échoué ; mais il s’aperçut bientôt qu’elle avait une histoire bien différente à lui raconter. |
The evening altogether passed off pleasantly to the whole family. Mrs. Bennet had seen her eldest daughter much admired by the Netherfield party. Mr. Bingley had danced with her twice, and she had been distinguished by his sisters. Jane was as much gratified by this as her mother could be, though in a quieter way. Elizabeth felt Jane's pleasure. Mary had heard herself mentioned to Miss Bingley as the most accomplished girl in the neighbourhood; and Catherine and Lydia had been fortunate enough to be never without partners, which was all that they had yet learnt to care for at a ball. They returned, therefore, in good spirits to Longbourn, the village where they lived, and of which they were the principal inhabitants. They found Mr. Bennet still up. With a book he was regardless of time; and on the present occasion he had a good deal of curiosity as to the event of an evening which had raised such splendid expectations. He had rather hoped that his wife's views on the stranger would be disappointed; but he soon found that he had a very different story to hear. |
« Oh ! mon cher monsieur Bennet, dit-elle en entrant, nous avons eu un charmant bal, j’aurais bien voulu que vous y fussiez ; Hélen a été tant admirée, c’était à qui lui donnerait le plus de louanges, M. Bingley l’a trouvé charmante et l’a fait danser deux fois ; c’est très vrai, mon cher, il a dansé deux fois avec elle, et c’est la seule demoiselle qu’il ait demandée une seconde fois ! D’abord il avait pris Mlle Lucas, j’étais toute déconcertée de le voir danser avec elle ; mais il ne l’a pas admirée, il est certain que cela n’est pas possible, elle est si laide ; il a paru surpris en voyant Hélen descendre la contredanse, a demandé qui elle était, s’est fait présenter à elle et l’a engagée pour la seconde danse ; pour la troisième, il a choisi miss King, la quatrième Marie Lucas, la cinquième Hélen, la sixième Lizzy, ainsi que pour la boulangère. |
"Oh! my dear Mr. Bennet," as she entered the room, "we have had a most delightful evening, a most excellent ball. I wish you had been there. Jane was so admired, nothing could be like it. Every body said how well she looked; and Mr. Bingley thought her quite beautiful, and danced with her twice. Only think of that, my dear; he actually danced with her twice; and she was the only creature in the room that he asked a second time. First of all, he asked Miss Lucas. I was so vexed to see him stand up with her; but, however, he did not admire her at all; indeed, nobody can, you know; and he seemed quite struck with Jane as she was going down the dance. So he inquired who she was, and got introduced, and asked her for the two next. Then the two third he danced with Miss King, and the two fourth with Maria Lucas, and the two fifth with Jane again, and the two sixth with Lizzy, and the Boulanger." |
— S’il avait eu pitié de moi, s’écria le mari, il n’eût pas tant dansé. Pour l’amour de Dieu ne me parlez plus de contredanses ; oh ! je voudrais qu’à la première il se fût donné une entorse ! |
"If he had had any compassion for me," cried her husband impatiently, "he would not have danced half so much! For God's sake, say no more of his partners. Oh! that he had sprained his ankle in the first dance!" |
— Ah ! mon cher, continua Mme Bennet, si vous saviez combien je suis heureuse, M. Bingley est si aimable et ses sœurs sont des femmes charmantes ; je n’ai jamais rien vu d’aussi élégant que la robe de Mme Hurst, je suis sûre que sa garniture de dentelle… » |
"Oh! my dear, I am quite delighted with him. He is so excessively handsome! And his sisters are charming women. I never in my life saw anything more elegant than their dresses. I dare say the lace upon Mrs. Hurst's gown—" |
Ici, elle fut interrompue par M. Bennet, qui déclara qu’il ne voulait point écouter les détails de leurs toilettes ; elle fut donc obligée de chercher un autre sujet de conversation, et lui raconta avec amertume et exagération la malhonnêteté de M. Darcy. |
Here she was interrupted again. Mr. Bennet protested against any description of finery. She was therefore obliged to seek another branch of the subject, and related, with much bitterness of spirit and some exaggeration, the shocking rudeness of Mr. Darcy. |
« Mais je puis vous assurer, ajouta-t-elle, que Lizzy n’a point beaucoup perdu de n’être pas à son goût, car c’est un homme extrêmement désagréable et qui ne vaut pas la peine qu’on cherche à lui plaire. Il est si fier, si suffisant qu’en vérité on ne saurait le voir sans déplaisir ; il marchait çà et là, se croyant un personnage d’une si grande importance ! Pas assez belle pour danser avec lui ! Je vous ai bien désiré, mon cher, vous lui eussiez rabattu le caquet ; je le déteste vraiment. » |
"But I can assure you," she added, "that Lizzy does not lose much by not suiting his fancy; for he is a most disagreeable, horrid man, not at all worth pleasing. So high and so conceited that there was no enduring him! He walked here, and he walked there, fancying himself so very great! Not handsome enough to dance with! I wish you had been there, my dear, to have given him one of your set-downs. I quite detest the man." |