Orgueil et Préjugé |
Pride and Prejudice |
de Jane Austen |
by Jane Austen |
Traduction de Eloïse Perks(trad. 1822 — republiée 1966) |
(1817) |
Chapitre 5 |
Chapter 5 |
À peu de distance de Longbourn vivait une famille avec laquelle les Bennet étaient étroitement liés. Sir William Lucas, autrefois négociant à Meryton, possédait une jolie fortune. Ayant exercé honorablement l’office de maire, il avait obtenu du roi le titre de chevalier. Cette faveur avait peut-être été trop fortement sentie, car elle le dégoûta de son commerce et de la petite ville où il demeurait ; il les quitta tous deux et vint, avec sa famille, habiter une maison à un mille de Meryton, connue depuis sous le nom de Lucas-Lodge. Ici, il pouvait penser avec plaisir à sa nouvelle dignité et, libre de toute affaire, s’occuper uniquement à fêter ses voisins ; car, quoique vain de son titre, il n’était point dédaigneux : au contraire, il ne se plaisait qu’à combler d’honnêtetés tous ceux qui le fréquentaient. Naturellement doux, amical et obligeant, sa présentation à Saint-James l’avait mis tout à fait sur le pied d’homme de cour. |
Within a short walk of Longbourn lived a family with whom the Bennets were particularly intimate. Sir William Lucas had been formerly in trade in Meryton, where he had made a tolerable fortune, and risen to the honour of knighthood by an address to the king during his mayoralty. The distinction had perhaps been felt too strongly. It had given him a disgust to his business, and to his residence in a small market town; and, in quitting them both, he had removed with his family to a house about a mile from Meryton, denominated from that period Lucas Lodge, where he could think with pleasure of his own importance, and, unshackled by business, occupy himself solely in being civil to all the world. For, though elated by his rank, it did not render him supercilious; on the contrary, he was all attention to everybody. By nature inoffensive, friendly, and obliging, his presentation at St. James's had made him courteous. |
Lady Lucas était une bonne femme, d’un esprit très ordinaire. Ils avaient plusieurs enfants, dont une fille, entre autres, âgée de vingt-sept ans, douée d’autant d’esprit que de sensibilité, amie intime d’Élisabeth. Se voir et causer ensemble du bal de la veille était pour les demoiselles une chose indispensable. Le lendemain donc, la famille Lucas se rendit à Longbourn, et d’abord : « Vous commençâtes bien votre soirée d’hier, Charlotte, dit Mme Bennet ; vous avez dansé la première avec M. Bingley. |
Lady Lucas was a very good kind of woman, not too clever to be a valuable neighbour to Mrs. Bennet. They had several children. The eldest of them, a sensible, intelligent young woman, about twenty-seven, was Elizabeth's intimate friend. That the Miss Lucases and the Miss Bennets should meet to talk over a ball was absolutely necessary; and the morning after the assembly brought the former to Longbourn to hear and to communicate. "You began the evening well, Charlotte," said Mrs. Bennet with civil self-command to Miss Lucas. "You were Mr. Bingley's first choice." |
— Oui, mais son second choix… |
"Yes;—but he seemed to like his second better." |
— Oh ! vous voulez dire Hélen ; il l’a demandée deux fois. Il est vrai que cela pouvait faire croire qu’il la trouvait à son goût : je m’en suis un peu doutée ; je sais qu’il en a dit quelque chose à M. Robinson. |
"Oh!—you mean Jane, I suppose, because he danced with her twice. To be sure that did seem as if he admired her—indeed I rather believe he did—I heard something about it—but I hardly know what—something about Mr. Robinson." |
— Peut-être parlez-vous de la conversation qu’il eut avec M. Robinson ; ne vous ai-je pas dit que je l’avais entendue ? M. Robinson lui demandait comment il trouvait l’assemblée de Meryton ; s’il ne croyait pas qu’il y eût beaucoup de jolies femmes dans ce salon, et laquelle il trouvait la plus belle. À cette dernière question, il répondit avec vivacité : « Oh ! l’aînée des demoiselles Bennet ; il ne peut y avoir deux opinions sur ce point. » |
"Perhaps you mean what I overheard between him and Mr. Robinson; did not I mention it to you? Mr. Robinson's asking him how he liked our Meryton assemblies, and whether he did not think there were a great many pretty women in the room, and which he thought the prettiest? and his answering immediately to the last question:—Oh! the eldest Miss Bennet, beyond a doubt, there cannot be two opinions on that point." |
— Ah ! ah ! vraiment, c’était se déclarer assez ; cela aurait un air de… ; mais ce ne sont que des conjectures. |
"Upon my word!—Well, that is very decided indeed—that does seem as if—but, however, it may all come to nothing you know." |
— Mes rapports sont plus flatteurs pour votre mère que les vôtres, Éliza, dit Charlotte ; il vaut mieux écouter M. Bingley que son ami, n’est-ce pas ? Pauvre Éliza ! n’être que passable ! |
"My overhearings were more to the purpose than yours, Eliza," said Charlotte. "Mr. Darcy is not so well worth listening to as his friend, is he?—Poor Eliza!—to be only just tolerable." |
— Je vous prie de ne point persuader à Lizzy qu’elle doive s’offenser de cette impertinence, car c’est un homme si ennuyeux que je serais fâchée qu’elle lui eût plu. Mme Long m’a dit, hier au soir, qu’il avait été assis auprès d’elle pendant plus d’une demi-heure, mais n’avait pas daigné ouvrir la bouche. |
"I beg you would not put it into Lizzy's head to be vexed by his ill-treatment, for he is such a disagreeable man, that it would be quite a misfortune to be liked by him. Mrs. Long told me last night that he sat close to her for half an hour without once opening his lips." |
— En êtes-vous bien sûre, maman ? Je crois que vous vous trompez, j’ai certainement vu M. Darcy lui parler, dit Hélen. |
"Are you quite sure, Ma'am?—is not there a little mistake?" said Jane.—" I certainly saw Mr. Darcy speaking to her." |
— Oh ! parce qu’elle lui demanda s’il aimait Netherfield, il fut obligé de répondre, mais il paraissait très fâché qu’on eût pris la liberté de lui adresser la parole. |
"Aye—because she asked him at last how he liked Netherfield, and he could not help answering her; but she said he seemed very angry at being spoke to." |
— Mlle Bingley m’a dit, reprit Hélen, qu’il parlait fort peu aux étrangers, mais qu’avec ses amis il était extrêmement aimable. |
"Miss Bingley told me," said Jane, "that he never speaks much, unless among his intimate acquaintance. With them he is remarkably agreeable." |
— Je ne le crois pas, ma chère ; s’il avait été si aimable, il eût causé avec Mme Long. Mais je me doute bien de ce qu’il en est : on dit qu’il est d’une fierté intolérable, et je pense qu’il aura su que Mme Long n’avait point d’équipage et qu’elle était venue au bal dans une chaise de poste. |
"I do not believe a word of it, my dear. If he had been so very agreeable, he would have talked to Mrs. Long. But I can guess how it was; everybody says that he is eat up with pride, and I dare say he had heard somehow that Mrs. Long does not keep a carriage, and had come to the ball in a hack chaise." |
— Je me soucie fort peu qu’il ait parlé ou non à Mme Long, dit miss Lucas, mais j’aurais voulu qu’il eût dansé avec Éliza. |
"I do not mind his not talking to Mrs. Long," said Miss Lucas, "but I wish he had danced with Eliza." |
— Une autre fois, Lizzy, lui dit sa mère, je le refuserais, si j’étais à votre place. |
"Another time, Lizzy," said her mother, "I would not dance with him, if I were you." |
— Je crois, maman, que je puis avec sûreté vous promettre de ne jamais danser avec lui. |
"I believe, ma'am, I may safely promise you never to dance with him." |
— Sa fierté, dit Mlle Lucas, ne me paraît pas aussi ridicule que la fierté le semble ordinairement, car on ne peut guère s’étonner qu’un jeune homme beau, riche et d’une famille distinguée pense bien de lui-même. Je crois qu’il a le droit d’être fier, si j’ose m’exprimer ainsi. |
"His pride," said Miss Lucas, "does not offend me so much as pride often does, because there is an excuse for it. One cannot wonder that so very fine a young man, with family, fortune, everything in his favour, should think highly of himself. If I may so express it, he has a right to be proud." |
— Cela est très vrai, répondit Élisabeth ; et je lui pardonnerais facilement sa fierté s’il n’eût blessé la mienne. |
"That is very true," replied Elizabeth, "and I could easily forgive his pride, if he had not mortified mine." |
— L’orgueil, observa Mary, qui se piquait de réfléchir et de moraliser, est de tous les vices, je crois, le plus commun. Par tout ce que j’ai lu, je suis convaincue que c’est une faiblesse attachée à la nature humaine et qu’il y a peu de personnes qui ne tirent vanité de quelques qualités réelles ou imaginaires. La vanité et la fierté sont deux choses bien différentes ; une personne peut être fière sans être vaine. La fierté provient ordinairement de l’opinion que nous avons de nous-mêmes, et la vanité de celle que nous désirons que les autres aient de nous. |
"Pride," observed Mary, who piqued herself upon the solidity of her reflections, "is a very common failing, I believe. By all that I have ever read, I am convinced that it is very common indeed, that human nature is particularly prone to it, and that there are very few of us who do not cherish a feeling of self-complacency on the score of some quality or other, real or imaginary. Vanity and pride are different things, though the words are often used synonimously. A person may be proud without being vain. Pride relates more to our opinion of ourselves, vanity to what we would have others think of us." |
— Si j’étais aussi riche que M. Darcy, dit un des jeunes Lucas, qui avait accompagné ses sœurs, je serais au moins aussi fier que lui : j’aurais une meute de chiens et je boirais une bouteille de vin tous les jours. |
"If I were as rich as Mr. Darcy," cried a young Lucas, who came with his sisters, "I should not care how proud I was. I would keep a pack of foxhounds, and drink a bottle of wine a day." |
— Alors, vous boiriez beaucoup trop », dit Mme Bennet. |
"Then you would drink a great deal more than you ought," said Mrs. Bennet; "and if I were to see you at it, I should take away your bottle directly." |
Le jeune homme protesta du contraire ; il s’ensuivit une discussion sur la tempérance, qui dura jusqu’à la fin de la visite. |
The boy protested that she should not; she continued to declare that she would, and the argument ended only with the visit. |