Orgueil et Préjugé

Pride and Prejudice

de Jane Austen

by Jane Austen

Traduction de Eloïse Perks
(trad. 1822 — republiée 1966)
(1817)
 

Chapitre 13

Chapter 13

« J’espère, ma chère, dit M. Bennet à sa femme en déjeunant le lendemain, que vous nous aurez ordonné un bon dîner pour aujourd’hui… J’ai tout lieu de croire que notre cercle de famille sera plus nombreux qu’à l’ordinaire.

"I hope, my dear," said Mr. Bennet to his wife, as they were at breakfast the next morning, "that you have ordered a good dinner to-day, because I have reason to expect an addition to our family party."

— Que voulez-vous dire, mon ami ? je n’attends personne, à moins que Charlotte Lucas ne vienne en se promenant, et j’espère que mon dîner est toujours bon pour elle ; je ne crois pas qu’elle en voie souvent de pareils chez ses parents.

"Who do you mean, my dear? I know of nobody that is coming, I am sure, unless Charlotte Lucas should happen to call in, and I hope my dinners are good enough for her. I do not believe she often sees such at home."

— La personne dont je parle est un homme, et un étranger. »

Les yeux de Mme Bennet pétillèrent de joie.

« Un homme ! un étranger ! c’est M. Bingley, je suis sûre. Vraiment Hélen, vous avez été bien discrète… Voyez cette finesse…, n’importe, je serai toujours bien aise de recevoir M. Bingley… ; mais on n’a pu trouver de poisson ce matin, cela est vraiment fâcheux, Lydia, ma bonne, sonnez, je veux parler sur-le-champ à Hills.

"The person of whom I speak is a gentleman, and a stranger." Mrs. Bennet's eyes sparkled.—"A gentleman and a stranger! It is Mr. Bingley, I am sure! Why Jane—you never dropt a word of this—you sly thing! Well, I am sure I shall be extremely glad to see Mr. Bingley.—But—good lord! how unlucky! there is not a bit of fish to be got to-day. Lydia, my love, ring the bell. I must speak to Hill, this moment."

— Ce n’est pas M. Bingley, dit son mari, c’est quelqu’un que je n’ai jamais vu. »

"It is not Mr. Bingley," said her husband; "it is a person whom I never saw in the whole course of my life."

L’étonnement fut général. M. Bennet eut le plaisir d’être vivement questionné par sa femme et ses cinq filles… Après s’être diverti quelque temps de leur curiosité, il s’expliqua ainsi :

This roused a general astonishment; and he had the pleasure of being eagerly questioned by his wife and his five daughters at once.

« Il y a à peu près un mois que j’ai reçu cette lettre, et à peu près quinze jours que j’y ai répondu, car j’ai pensé que c’était une chose délicate et qui méritait toute mon attention. La lettre est de mon cousin M. Colins, qui aussitôt que je serai mort pourrait vous chasser de cette maison.

After amusing himself some time with their curiosity, he thus explained. "About a month ago I received this letter, and about a fortnight ago I answered it, for I thought it a case of some delicacy, and requiring early attention. It is from my cousin, Mr. Collins, who, when I am dead, may turn you all out of this house as soon as he pleases."

— Oh ! mon cher monsieur Bennet, je ne puis y penser sans frémir : ne me parlez pas de cette homme-là, je l’ai en horreur ; c’est une chose affreuse que votre terre soit substituée au préjudice de vos enfants, et je suis sûre que si j’eusse été à votre place j’aurais tout fait pour l’éviter. »

"Oh! my dear," cried his wife, "I cannot bear to hear that mentioned. Pray do not talk of that odious man. I do think it is the hardest thing in the world, that your estate should be entailed away from your own children; and I am sure if I had been you, I should have tried long ago to do something or other about it."

Hélen et Élisabeth voulurent lui expliquer ce que c’était qu’une substitution ; elles l’avaient essayé plusieurs fois, mais c’était un sujet au-dessus de la portée de Mme Bennet, et elle continua à se plaindre amèrement de la cruauté qu’il y avait à substituer sa terre à un étranger lorsqu’on avait cinq filles à soi.

Jane and Elizabeth tried to explain to her the nature of an entail. They had often attempted it before, but it was a subject on which Mrs. Bennet was beyond the reach of reason, and she continued to rail bitterly against the cruelty of settling an estate away from a family of five daughters, in favour of a man whom nobody cared any thing about.

— C’est en effet une conduite bien coupable, dit M. Bennet, et rien ne peut laver M. Colins du crime d’hériter de Longbourn ; mais si vous voulez écouter sa lettre, son style vous adoucira peut-être.

"It certainly is a most iniquitous affair," said Mr. Bennet, "and nothing can clear Mr. Collins from the guilt of inheriting Longbourn. But if you will listen to his letter, you may perhaps be a little softened by his manner of expressing himself."

— Non, en vérité, je trouve que c’est fort impertinent et fort hypocrite à lui de vous écrire. Je hais les faux amis, que n’est-il brouillé avec vous, ainsi que son père l’était.

"No, that I am sure I shall not; and I think it is very impertinent of him to write to you at all, and very hypocritical. I hate such false friends. Why could not he keep on quarreling with you, as his father did before him?"

— Il paraît en effet avoir des scrupules à cet égard, comme vous l’allez voir :

"Why, indeed, he does seem to have had some filial scruples on that head, as you will hear."

Hunsford près Westerham-Kent,
ce 15 octobre.
Monsieur,

La mésintelligence qui existait entre vous et feu mon respectable père m’a toujours donné du chagrin ; et depuis que j’ai eu le malheur de le perdre, j’ai souvent désiré mettre un baume sur cette plaie, mais j’ai été retenu quelque temps par mes doutes, craignant de manquer au respect dû à sa mémoire en fréquentant une personne avec laquelle il lui avait toujours plu d’être brouillé.

Hunsford, near Westerham, Kent,

15th October.

Dear Sir,
The disagreement subsisting between yourself and my late honoured father, always gave me much uneasiness, and since I have had the misfortune to lose him, I have frequently wished to heal the breach; but for some time I was kept back by my own doubts, fearing lest it might seem disrespectful to his memory for me to be on good terms with any one, with whom it had always pleased him to be at variance. —"There, Mrs. Bennet."—

Ma résolution à cet égard est maintenant prise, car, ayant reçu l’ordination à Pâques, j’ai été assez heureux pour obtenir la haute protection de la très honorable lady Catherine de Brough, veuve de sir Louis de Brough, laquelle, par excès de bonté, a daigné me nommer ministre de la belle paroisse d’Hunsford, où je mets tous mes soins à lui témoigner mon humble reconnaissance et à remplir avec zèle les rites et cérémonies institués par l’Église anglicane. Comme ecclésiastique, je dois, autant qu’il est en moi, procurer à toutes les familles la paix et le bien-être ; c’est pourquoi je regarde comme très importantes les ouvertures que j’ai dessein de vous faire dans cette vue. L’idée que je dois un jour hériter de la terre de Longbourn ne vous empêchera pas, j’espère, d’accepter de ma main le rameau d’olivier. Je ne puis qu’être affligé en pensant combien je pourrais un jour causer de peine à vos aimables filles ; je vous prie de leur en faire d’avance mes excuses très soumises et de les assurer que je suis prêt à leur offrir tous les dédommagements qui sont en mon pouvoir. Mais nous parlerons de cela plus tard. Ainsi, si vous n’avez pas de répugnance à me recevoir, je me propose de présenter mes respects à vos dames, lundi 18 novembre, sur les quatre heures, et j’abuserai probablement de votre hospitalité jusqu’au samedi de la semaine suivante ; ce que je puis faire sans conséquence, car lady Catherine de Brough me permet de m’absenter quelquefois le dimanche, lorsqu’un autre ecclésiastique prend ma place. Je vous prie, monsieur, d’offrir mes hommages respectueux à vos dames et de croire à la parfaite considération de

votre ami,
William Colins.

My mind however, is now made up on the subject, for having received ordination at Easter, I have been so fortunate as to be distinguished by the patronage of the Right Honourable Lady Catherine de Bourgh, widow of Sir Lewis de Bourgh, whose bounty and beneficence has preferred me to the valuable rectory of this parish, where it shall be my earnest endeavour to demean myself with grateful respect towards her Ladyship, and be ever ready to perform those rites and ceremonies which are instituted by the Church of England. As a clergyman, moreover, I feel it my duty to promote and establish the blessing of peace in all families within the reach of my influence; and on these grounds I flatter myself that my present overtures of good-will are highly commendable, and that the circumstance of my being next in the entail of Longbourn estate, will be kindly overlooked on your side, and not lead you to reject the offered olive branch. I cannot be otherwise than concerned at being the means of injuring your amiable daughters, and beg leave to apologise for it, as well as to assure you of my readiness to make them every possible amends,—but of this hereafter. If you should have no objection to receive me into your house, I propose myself the satisfaction of waiting on you and your family, Monday, November 18th, by four o'clock, and shall probably trespass on your hospitality till the Saturday se'ennight following, which I can do without any inconvenience, as Lady Catherine is far from objecting to my occasional absence on a Sunday, provided that some other clergyman is engaged to do the duty of the day. I remain, dear sir, with respectful compliments to your lady and daughters, your well-wisher and friend,

William Collins."

« À quatre heures nous devons donc attendre ce beau pacificateur, dit M. Bennet en fermant la lettre : cela m’a tout l’air d’un jeune homme bien consciencieux et bien poli, et cela doit être assurément une bonne connaissance à faire, surtout si lady Catherine lui permet de revenir souvent nous voir.

"At four o'clock, therefore, we may expect this peace-making gentleman," said Mr. Bennet, as he folded up the letter. "He seems to be a most conscientious and polite young man, upon my word; and I doubt not will prove a valuable acquaintance, especially if Lady Catherine should be so indulgent as to let him come to us again."

— Il y a du bon dans ce qu’il dit au sujet de nos filles, et s’il songeait à leur offrir quelque dédommagement, ce ne serait pas moi qui l’en détournerais.

"There is some sense in what he says about the girls, however; and if he is disposed to make them any amends, I shall not be the person to discourage him."

— Quoiqu’il soit difficile, dit Hélen, de deviner de quelle manière il peut nous dédommager de la perte d’un bien qu’il croit légitimement à nous, le désir qu’il en a est certainement à son avantage. »

"Though it is difficult," said Jane, "to guess in what way he can mean to make us the atonement he thinks our due, the wish is certainly to his credit."

Élisabeth était principalement frappée de son extrême déférence pour lady Catherine, et de sa bonne intention de baptiser, de marier et d’enterrer ses paroissiens lorsqu’il en serait requis.

Elizabeth was chiefly struck by his extraordinary deference for Lady Catherine, and his kind intention of christening, marrying, and burying his parishioners whenever it were required.

« Il faut, dit-elle, que ce soit un plaisant original, je me le figure à son style ; quel galimathias ! Que veut-il nous dire avec ses excuses d’être l’héritier de Longbourn ? Nous ne pensons pas qu’il voulût s’en dispenser s’il le pouvait… Le croyez-vous, mon père, un homme bien sensé ?

"He must be an oddity, I think," said she. "I cannot make him out.—There is something very pompous in his style.—And what can he mean by apologising for being next in the entail?—We cannot suppose he would help it, if he could.—Could he be a sensible man, sir?"

— Non, ma chère, je ne le crois pas ; je m’attends bien à le trouver tout le contraire. Il y a dans sa lettre un mélange de bassesse et de suffisance qui promet beaucoup… Je suis impatient de le connaître !

"No, my dear, I think not. I have great hopes of finding him quite the reverse. There is a mixture of servility and self-importance in his letter, which promises well. I am impatient to see him."

— Son style, dit Mary, me paraît assez beau : la branche d’olivier n’est pas une idée neuve, mais il faut convenir qu’elle est heureusement appliquée. »

"In point of composition," said Mary, "the letter does not seem defective. The idea of the olive branch perhaps is not wholly new, yet I think it is well expressed."

Ni la lettre ni l’écrivain n’intéressèrent Catherine et Lydia ; il était impossible que leur cousin portât un habit rouge, aussi ne les occupa-t-il guère.

Quant à Mme Bennet, les expressions de M. Colins avaient dissipé sa mauvaise humeur, et elle attendit sa visite avec une tranquillité qui étonna également son mari et ses filles.

To Catherine and Lydia, neither the letter nor its writer were in any degree interesting. It was next to impossible that their cousin should come in a scarlet coat, and it was now some weeks since they had received pleasure from the society of a man in any other colour. As for their mother, Mr. Collins's letter had done away much of her ill-will, and she was preparing to see him with a degree of composure which astonished her husband and daughters.

M. Colins arriva à l’heure marquée, et fut reçu par toute la famille avec beaucoup de politesses. M. Bennet, il est vrai, parla peu ; mais les dames étaient très disposées à causer, et M. Colins ne semblait pas avoir besoin d’encouragement ni aucune envie de se taire… Quelques moments après s’être assis, il fit compliment à Mme Bennet sur la beauté de ses filles, disant avoir beaucoup entendu parler d’elles et célébrer leurs charmes ; mais, dans cette occurrence, la vérité lui semblait fort au-dessus de la renommée, et il ajouta qu’il ne doutait nullement qu’elle ne les vît toutes bien mariées.

Mr. Collins was punctual to his time, and was received with great politeness by the whole family. Mr. Bennet indeed said little; but the ladies were ready enough to talk, and Mr. Collins seemed neither in need of encouragement, nor inclined to be silent himself. He was a tall, heavy-looking young man of five and twenty. His air was grave and stately, and his manners were very formal. He had not been long seated before he complimented Mrs. Bennet on having so fine a family of daughters, said he had heard much of their beauty, but that, in this instance, fame had fallen short of the truth; and added, that he did not doubt her seeing them all in due time disposed of in marriage.

Cette galanterie ne fut pas également appréciée par tous les auditeurs, mais Mme Bennet, que flattaient tous les compliments, lui répondit d’un air empressé :

This gallantry was not much to the taste of some of his hearers, but Mrs. Bennet, who quarreled with no compliments, answered most readily,

« Vous êtes bien bon, monsieur, et je le souhaite de tout mon cœur, sans quoi elles seront bien à plaindre ; des affaires arrangées d’une manière si étrange !…

"You are very kind, I am sure; and I wish with all my heart it may prove so; for else they will be destitute enough. Things are settled so oddly."

— Vous voulez parler peut-être, madame, de la substitution ?

"You allude, perhaps, to the entail of this estate."

— Ah ! monsieur, j’y pense continuellement ; il faut avouer que c’est une chose bien triste pour mes pauvres filles. Ce n’est pas que je veuille vous blâmer, je sais fort bien que le hasard seul est en cause. On ne peut jamais deviner à qui les terres appartiendront une fois qu’elles sont substituées.

"Ah! sir, I do indeed. It is a grievous affair to my poor girls, you must confess. Not that I mean to find fault with you, for such things I know are all chance in this world. There is no knowing how estates will go when once they come to be entailed."

— Je sens, madame, tout le tort que cela fait à mes charmantes cousines, et j’aurais beaucoup à dire sur ce sujet ; mais je crains d’aller trop vite et de paraître peu mesuré. Pour le présent, je me contenterai d’assurer ces demoiselles de ma très humble admiration. Je n’en dis pas davantage… Mais quand nous nous connaîtrons mieux… »

"I am very sensible, madam, of the hardship to my fair cousins,—and could say much on the subject, but that I am cautious of appearing forward and precipitate. But I can assure the young ladies that I come prepared to admire them. At present I will not say more, but perhaps, when we are better acquainted—"

Il fut interrompu par un domestique qui vint dire que le dîner était servi. Ces demoiselles se regardèrent en souriant ; elles ne furent pas le seul objet de l’admiration de M. Colins : l’antichambre, la salle à manger, les meubles furent examinés et approuvés. Ces louanges auraient été au cœur de Mme Bennet si elle n’avait pas supposé qu’il les regardait comme devant un jour lui appartenir. Le dîner fut aussi loué, et il voulut savoir laquelle de ces charmantes cousines était auteur de mets si délicatement préparés ; mais ici Mme Bennet le redressa vivement en l’assurant, avec un peu d’humeur, qu’elle était bien dans le cas d’avoir un cuisinier, et que ses filles n’avaient que faire à la cuisine… Là-dessus M. Colins se confondit en excuses : elle eut beau l’assurer, de l’air le plus radouci, qu’elle n’était point offensée, il n’en continua pas moins, sur le même ton, plus d’un quart d’heure, lui demandant toujours mille et mille pardons.

He was interrupted by a summons to dinner; and the girls smiled on each other. They were not the only objects of Mr. Collins's admiration. The hall, the dining-room, and all its furniture, were examined and praised; and his commendation of every thing would have touched Mrs. Bennet's heart, but for the mortifying supposition of his viewing it all as his own future property. The dinner too in its turn was highly admired; and he begged to know to which of his fair cousins, the excellence of its cooking was owing. But he was set right there by Mrs. Bennet, who assured him with some asperity that they were very well able to keep a good cook, and that her daughters had nothing to do in the kitchen. He begged pardon for having displeased her. In a softened tone she declared herself not at all offended; but he continued to apologise for about a quarter of an hour.