Les Dents du Tigre |
The Teeth of the Tiger |
de Maurice Leblanc |
by Maurice Leblanc |
1920 |
translated by Alexander Teixeira de Mattos (1921) |
Chapitre I.D’Artagnan, Porthos et Monte-Cristo |
Chapter 1:D'artagnan, Porthos ... and Monte Cristo |
À quatre heures et demie, M. Desmalions, le préfet de police, n’étant pas encore de retour, son secrétaire particulier rangea sur le bureau un paquet de lettres et de rapports qu’il avait annotés, sonna, et dit à l’huissier qui entrait par la porte principale : |
It was half-past four; M. Desmalions, the Prefect of Police, was not yet back at the office. His private secretary laid on the desk a bundle of letters and reports which he had annotated for his chief, rang the bell and said to the messenger who entered by the main door: |
— M. le préfet a convoqué pour cinq heures plusieurs personnes dont voici les noms. Vous les ferez attendre séparément, afin qu’elles ne puissent communiquer entre elles, et vous me donnerez leurs cartes. |
"Monsieur le Préfet has sent for a number of people to see him at five o'clock. Here are their names. Show them into separate waiting-rooms, so that they can't communicate with one another, and let me have their cards when they come." |
L’huissier sortit. Le secrétaire se dirigeait vers la petite porte qui donnait sur son cabinet, quand la porte principale fut rouverte et livra passage à un homme qui s’arrêta et s’appuya en chancelant contre le dossier d’un fauteuil. |
The messenger went out. The secretary was turning toward the small door that led to his room, when the main door opened once more and admitted a man who stopped and leaned swaying over the back of a chair. |
— Tiens, fit le secrétaire, c’est vous, Vérot ? Mais qu’y a-t-il donc ? Qu’est-ce que vous avez ? |
"Why, it's you, Vérot!" said the secretary. "But what's happened? What's the matter?" |
L’inspecteur Vérot était un homme de forte corpulence, puissant des épaules, haut en couleur. Une émotion violente devait le bouleverser, car sa face striée de filaments sanguins, d’ordinaire congestionnée, paraissait presque pâle. |
Inspector Vérot was a very stout, powerfully built man, with a big neck and shoulders and a florid complexion. He had obviously been upset by some violent excitement, for his face, streaked with red veins and usually so apoplectic, seemed almost pale. |
— Mais rien, monsieur le secrétaire. |
"Oh, nothing. Monsieur le Secrétaire!" he said. |
— Mais si, vous n’avez plus votre air de santé… Vous êtes livide… Et puis ces gouttes de sueur… |
"Yes, yes; you're not looking your usual self. You're gray in the face.... And the way you're perspiring...." |
L’inspecteur Vérot essuya son front, et, se ressaisissant : |
Inspector Vérot wiped his forehead and, pulling himself together, said: |
— Un peu de fatigue… Je me suis surmené ces jours-ci… Je voulais à tout prix éclaircir une affaire dont M. le préfet m’a chargé… Tout de même, c’est drôle, ce que j’éprouve. |
"It's just a little tiredness.... I've been overworking myself lately: I was very keen on clearing up a case which Monsieur Desmalions had put in my hands. All the same, I have a funny sort of feeling—" |
— Voulez-vous un cordial ? |
"Will you have a pick-me-up?" |
— Non, non, j’ai plutôt soif. |
"No, no; I'm more thirsty." |
— Un verre d’eau ? |
"A glass of water?" |
— Non… non… |
"No, thank you." |
— Alors ? |
"What then?" |
— Je voudrais… je voudrais… |
"I should like—I should like—" |
La voix s’embarrassait. Il eut un regard anxieux comme si, tout à coup, il n’eût pu prononcer d’autres paroles. Mais, reprenant le dessus : |
His voice faltered. He wore a troubled look, as if he had suddenly lost his power of getting out another word. But he recovered himself with an effort and asked: |
— M. le préfet n’est pas là ? |
"Isn't Monsieur Desmalions here?" |
— Non ; il ne sera là qu’à cinq heures, pour une réunion importante. |
"No; he won't be back till five, when he has an important meeting." |
— Oui… je sais… très importante. C’est aussi pour cela qu’il m’a convoqué. Mais j’aurais voulu le voir avant. J’aurais tant voulu le voir ! |
"Yes ... I know ... most important. That's what I'm here for. But I should have liked to see him first. I should so much have liked to see him!" |
Le secrétaire examina Vérot et lui dit : |
The secretary stared at Vérot and said: |
— Comme vous êtes agité ! Votre communication a donc tellement d’intérêt ? |
"What a state you're in! Is your message so urgent as all that?" |
— Un intérêt considérable. Il s’agit d’un crime qui a eu lieu il y a un mois, jour pour jour… Et il s’agit surtout d’empêcher deux assassinats qui sont la conséquence de ce crime et qui doivent être commis cette nuit… Oui, cette nuit, fatalement, si nous ne prenons pas les mesures nécessaires. |
"It's very urgent, indeed. It has to do with a crime that took place a month ago, to the day. And, above all, it's a matter of preventing two murders which are the outcome of that other crime and which are to be committed to-night. Yes, to-night, inevitably, unless we take the necessary steps." |
— Voyons, asseyez-vous, Vérot. |
"Sit down, Vérot, won't you?" |
— Ah ! c’est que tout cela est combiné d’une façon si diabolique ! Non, on ne s’imagine pas… |
"You see, the whole thing has been planned in such an infernal manner! You would never have imagined—" |
— Mais puisque vous êtes prévenu, Vérot… puisque M. le préfet va vous donner tout pouvoir… |
"Still, Vérot, as you know about it beforehand, and as Monsieur le Préfet is sure to give you full powers—" |
— Oui, évidemment… évidemment… Mais tout de même c’est effrayant de penser que je pourrais ne pas le rencontrer. Alors j’ai eu l’idée d’écrire cette lettre où je lui raconte tout ce que je sais sur l’affaire. C’était plus prudent. |
"Yes, of course, of course. But, all the same, it's terrible to think that I might miss him. So I wrote him this letter, telling him all I know about the business. I thought it safer." |
Il remit une grande enveloppe jaune au secrétaire, et il ajouta : |
He handed the secretary a large yellow envelope and added: |
— Tenez, voici une petite boîte également que je mets sur cette table. Elle contient quelque chose qui sert de complément et d’explication au contenu de la lettre. |
"And here's a little box as well; I'll leave it on this table. It contains something that will serve to complete and explain the contents of the letter." |
— Mais pourquoi ne gardez-vous pas tout cela ? |
"But why don't you keep all that by you?" |
— J’ai peur… On me surveille… On cherche à se débarrasser de moi… Je ne serai tranquille que quand je ne serai plus seul à connaître le secret. |
"I'm afraid to. They're watching me. They're trying to get rid of me. I shan't be easy in my mind until some one besides myself knows the secret." |
— Ne craignez rien, Vérot. M. le préfet ne saurait tarder à arriver. Jusque-là je vous conseille de passer à l’infirmerie et de demander un cordial. |
"Have no fear, Vérot. Monsieur le Préfet is bound to be back soon. Meanwhile, I advise you to go to the infirmary and ask for a pick-me-up." |
L’inspecteur parut indécis. De nouveau il essuya son front qui dégouttait. Puis, se raidissant, il sortit. Une fois seul, le secrétaire glissa la lettre dans un dossier volumineux étalé sur le bureau du préfet et s’en alla par la porte qui communiquait avec son cabinet particulier. |
The inspector seemed undecided what to do. Once more he wiped away the perspiration that was trickling down his forehead. Then, drawing himself up, he left the office. When he was gone the secretary slipped the letter into a big bundle of papers that lay on the Prefect's desk and went out by the door leading to his own room. |
Il l’avait à peine refermée que la porte de l’antichambre fut rouverte encore une fois et que l’inspecteur rentra, en bégayant : |
He had hardly closed it behind him when the other door opened once again and the inspector returned, spluttering: |
— Monsieur le secrétaire… il est préférable que je vous montre… |
"Monsieur le Secrétaire ... it'd be better if I showed you—" |
Le malheureux était blême. Il claquait des dents. Quand il s’aperçut que la pièce était vide, il voulut marcher vers le cabinet du secrétaire. Mais une défaillance le prit, et il s’écroula sur une chaise où il demeura quelques minutes, anéanti, la voix gémissante. |
The unfortunate man was as white as a sheet. His teeth were chattering. When he saw that the secretary was gone, he tried to walk across to his private room. But he was seized with an attack of weakness and sank into a chair, where he remained for some minutes, moaning helplessly: |
— Qu’est-ce que j’ai ?… Est-ce du poison, moi aussi ? Oh ! j’ai peur… j’ai peur… |
"What's the matter with me? ... Have I been poisoned, too? ... Oh, I don't like this; I don't like the look of this!" |
Le bureau se trouvait à portée de sa main. Il saisit un crayon, approcha un bloc-notes et commença à griffonner des mots. Mais il balbutia : |
The desk stood within reach of his hand. He took a pencil, drew a writing-pad toward him and began to scribble a few characters. But he next stammered: |
— Mais non, pas la peine, puisque le préfet va lire ma lettre… Qu’est-ce que j’ai donc ? Oh ! j’ai peur… |
"Why, no, it's not worth while. The Prefect will be reading my letter.... What on earth's the matter with me. I don't like this at all!" |
D’un coup il se dressa sur ses jambes et articula : |
Suddenly he rose to his feet and called out: |
— Monsieur le secrétaire, il faut… il faut que… C’est pour cette nuit… Rien au monde n’empêchera… |
"Monsieur le Secrétaire, we've got ... we've got to ... It's for to-night. Nothing can prevent—" |
À petits pas, comme un automate, tendu par un effort de toute sa volonté, il avança vers la porte du cabinet. Mais, en route, il vacilla et dut s’asseoir une seconde fois. |
Stiffening himself with an effort of his whole will, he made for the door of the secretary's room with little short steps, like an automaton. But he reeled on the way—and had to sit down a second time. |
Une terreur folle le secoua et il poussa des cris, si faibles, hélas ! qu’on ne pouvait l’entendre. Il s’en rendit compte, et du regard chercha une sonnette, un timbre, mais il n’y voyait plus. Un voile d’ombre semblait peser sur ses yeux. |
A mad terror shook him from head to foot; and he uttered cries which were too faint, unfortunately, to be heard. He realized this and looked round for a bell, for a gong; but he was no longer able to distinguish anything. A veil of darkness seemed to weigh upon his eyes. |
Alors il tomba à genoux, rampa jusqu’au mur, battant l’air d’une main, comme un aveugle, et finit par toucher des boiseries. C’était le mur de séparation. Il le longea. Malheureusement son cerveau confus ne lui présentait plus qu’une image trompeuse de la pièce, de sorte qu’au lieu de tourner vers la gauche, comme il l’eût dû, il suivit le mur à droite, derrière un paravent qui masquait une petite porte. |
Then he dropped on his knees and crawled to the wall, beating the air with one hand, like a blind man, until he ended by touching some woodwork. It was the partition-wall. He crept along this; but, as ill-luck would have it, his bewildered brain showed him a false picture of the room, so that, instead of turning to the left as he should have done, he followed the wall to the right, behind a screen which concealed a third door. |
Sa main ayant rencontré la poignée de cette porte, il réussit à ouvrir. Il balbutia : « Au secours… au secours… » et s’abattit dans une sorte de réduit qui servait de toilette au préfet de police. |
His fingers touched the handle of this door and he managed to open it. He gasped, "Help! Help!" and fell at his full length in a sort of cupboard or closet which the Prefect of Police used as a dressing-room. |
— Cette nuit ! gémissait-il, croyant qu’on l’entendait et qu’il se trouvait dans le cabinet du secrétaire, cette nuit… le coup est pour cette nuit… Vous verrez…, la marque des dents… quelle horreur !… Comme je souffre !… Au secours ! C’est le poison… Sauvez-moi ! |
"To-night!" he moaned, believing that he was making himself heard and that he was in the secretary's room. "To-night! The job is fixed for to-night! You'll see ... The mark of the teeth! ... It's awful! ... Oh, the pain I'm in! ... It's the poison! Save me! Help!" |
La voix s’éteignit. Il dit plusieurs fois, comme dans un cauchemar : |
The voice died away. He repeated several times, as though in a nightmare: |
— Les dents… les dents blanches… elles se referment !… |
"The teeth! the teeth! They're closing!" |
Puis la voix s’affaiblit encore, des sons indistincts sortirent de ses lèvres blêmes. Sa bouche parut mâcher dans le vide, comme celle de certains vieillards qui ruminent interminablement. Sa tête s’inclina peu à peu sur sa poitrine. Il poussa deux ou trois soupirs, fut secoué d’un grand frisson et ne bougea plus. |
Then his voice grew fainter still; and inarticulate sounds issued from his pallid lips. His mouth munched the air like the mouth of one of those old men who seem to be interminably chewing the cud. His head sank lower and lower on his breast. He heaved two or three sighs; a great shiver passed through his body; and he moved no more. |
Et le râle de l’agonie commença, très bas, d’un rythme égal, avec des interruptions où un effort suprême de l’instinct semblait ranimer le souffle vacillant de l’esprit et susciter dans les yeux éteints comme des lueurs de conscience. |
And the death-rattle began in his throat, very softly and rhythmically, broken only by interruptions in which a last instinctive effort appeared to revive the flickering life of the intelligence, and to rouse fitful gleams of consciousness in the dimmed eyes. |
À cinq heures moins dix, le préfet de police entrait dans son cabinet de travail. M. Desmalions, qui occupait son poste depuis quelques années avec une autorité à laquelle tout le monde rendait hommage, était un homme de cinquante ans, lourd d’aspect, mais de figure intelligente et fine. Sa mise — veston et pantalon gris, guêtres blanches, cravate flottante — n’avait rien d’une mise de fonctionnaire. Les manières étaient dégagées, simples, pleines de bonhomie et de rondeur. |
The Prefect of Police entered his office at ten minutes to five. M. Desmalions, who had filled his post for the past three years with an authority that made him generally respected, was a heavily built man of fifty with a shrewd and intelligent face. His dress, consisting of a gray jacket-suit, white spats, and a loosely flowing tie, in no way suggested the public official. His manners were easy, simple, and full of good-natured frankness. |
Ayant sonné, il fut aussitôt rejoint par son secrétaire auquel il demanda : |
He touched a bell, and when his secretary entered, asked: |
— Les personnes que j’ai convoquées sont ici ? |
"Are the people whom I sent for here?" |
— Oui, monsieur le préfet, et j’ai donné l’ordre qu’on les fît attendre dans des pièces différentes. |
"Yes, Monsieur le Préfet, and I gave orders that they were to wait in different rooms." |
— Oh ! il n’y avait pas d’inconvénient à ce qu’elles pussent communiquer entre elles. Cependant… cela vaut mieux. J’espère que l’ambassadeur des États-Unis ne s’est pas dérangé lui-même ?… |
"Oh, it would not have mattered if they had met! However, perhaps it's better as it is. I hope that the American Ambassador did not trouble to come in person?" |
— Non, monsieur le préfet. |
"No, Monsieur le Préfet." |
— Vous avez les cartes de ces messieurs ? |
"Have you their cards?" |
— Voici. |
"Yes." |
Le préfet de police prit les cinq cartes qu’on lui tendait et lut : |
The Prefect of Police took the five visiting cards which his secretary handed him and read: |
Archibald Bright, premier secrétaire de l’ambassade des États-Unis. Maître Lepertuis, notaire. Juan Cacérès, attaché à la légation du Pérou. Le commandant comte d’Astrignac, en retraite. |
"Mr. Archibald Bright, First Secretary United States Embassy; Maître Lepertuis, Solicitor; Juan Caceres, Attaché to the Peruvian Legation; Major Comte d'Astrignac, retired." |
La cinquième carte portait simplement un nom sans adresse ni autre désignation : |
The fifth card bore merely a name, without address or quality of any kind— |
Don Luis Perenna. |
DON LUIS PERENNA |
— J’ai bien envie de le voir, celui-là, fit M. Desmalions. Il m’intéresse diablement !… Vous avez lu le rapport de la Légion étrangère ? |
"That's the one I'm curious to see!" said M. Desmalions. "He interests me like the very devil! Did you read the report of the Foreign Legion?" |
— Oui, monsieur le préfet, et j’avoue que, moi aussi, ce monsieur m’intrigue… |
"Yes, Monsieur le Préfet, and I confess that this gentleman puzzles me, too." |
— N’est-ce pas ? Quel courage ! Une sorte de fou héroïque et vraiment prodigieux. Et puis ce surnom d’Arsène Lupin, que ses camarades lui avaient donné, tellement il les dominait et les stupéfiait !… Il y a combien de temps qu’Arsène Lupin est mort ? |
"He does, eh? Did you ever hear of such pluck? A sort of heroic madman, something absolutely wonderful! And then there's that nickname of Arsène Lupin which he earned among his messmates for the way in which he used to boss them and astound them! ... How long is it since the death of Arsène Lupin?" |
— Deux ans avant la guerre, monsieur le préfet. On a retrouvé son cadavre et celui de Mme Kesselbach sous les décombres d’un petit chalet incendié, non loin de la frontière du Luxembourg[1]. L’enquête a prouvé qu’il avait étranglé cette monstrueuse Mme Kesselbach, dont les crimes furent découverts par la suite, et qu’il s’était pendu après avoir mis le feu au chalet. |
"It happened two years before your appointment, Monsieur le Préfet. His corpse and Mme. Kesselbach's were discovered under the ruins of a little chalet which was burnt down close to the Luxemburg frontier. It was found at the inquest that he had strangled that monster, Mrs. Kesselbach, whose crimes came to light afterward, and that he hanged himself after setting fire to the chalet." |
— C’est bien la fin que méritait ce damné personnage, dit M. Desmalions, et j’avoue que, pour ma part, je préfère de beaucoup n’avoir pas à le combattre… Voyons, où en sommes-nous ? Le dossier de l’héritage Mornington est prêt ? |
"It was a fitting end for that—rascal," said M. Desmalions, "and I confess that I, for my part, much prefer not having him to fight against. Let's see, where were we? Are the papers of the Mornington inheritance ready for me?" |
— Sur votre bureau, monsieur le préfet. |
"On your desk, Monsieur le Préfet." |
— Bien. Mais j’oubliais… L’inspecteur Vérot est-il arrivé ? |
"Good. But I was forgetting: is Inspector Vérot here?" |
— Oui, monsieur le préfet, il doit être à l’infirmerie, en train de se réconforter. |
"Yes, Monsieur le Préfet. I expect he's in the infirmary getting something to pull him together." |
— Qu’est-ce qu’il avait donc ? |
"Why, what's the matter with him?" |
— Il m’a paru dans un drôle d’état, assez malade. |
"He struck me as being in a queer state—rather ill." |
— Comment ? Expliquez-moi donc… |
"How do you mean?" |
Le secrétaire raconta l’entrevue qu’il avait eue avec l’inspecteur Vérot. |
The secretary described his interview with Inspector Vérot. |
— Et vous dites qu’il m’a laissé une lettre ? fit M. Desmalions d’un air soucieux. Où est-elle ? |
"And you say he left a letter for me?" said M. Desmalions with a worried air. "Where is it?" |
— Dans le dossier, monsieur le préfet. |
"Among the papers, Monsieur le Préfet." |
— Bizarre… tout cela est bizarre. Vérot est un inspecteur de premier ordre, d’un esprit très rassis, et s’il s’inquiète ce n’est pas à la légère. Ayez donc l’obligeance de me l’amener. Pendant ce temps-là, je vais prendre connaissance du courrier. |
"Very odd: it's all very odd. Vérot is a first-rate inspector, a very sober-minded fellow; and he doesn't get frightened easily. You might go and fetch him. Meanwhile, I'll look through my letters." |
Le secrétaire s’en alla rapidement. Quand il revint, cinq minutes plus tard, il annonça, d’un air surpris, qu’il n’avait pas trouvé l’inspecteur Vérot. |
The secretary hurried away. When he returned, five minutes later, he stated, with an air of astonishment, that he had not seen Inspector Vérot. |
— Et ce qu’il y a de plus curieux, monsieur le préfet, c’est que l’huissier qui l’avait vu sortir d’ici l’a vu rentrer presque aussitôt, et qu’il ne l’a pas vu sortir une seconde fois. |
"And what's more curious still," he added, "is that the messenger who saw him leave this room saw him come in again almost at once and did not see him go out a second time." |
— Peut-être n’aura-t-il fait que traverser cette pièce pour passer chez vous. |
"Perhaps he only passed through here to go to you." |
— Chez moi, monsieur le préfet ? Je n’ai pas bougé de chez moi. |
"To me, Monsieur le Préfet? I was in my room all the time." |
— Alors c’est incompréhensible… |
"Then it's incomprehensible." |
— Incompréhensible… à moins d’admettre que l’huissier ait eu un moment d’inattention puisque Vérot n’est ni ici ni à côté. |
"Yes ... unless we conclude that the messenger's attention was distracted for a second, as Vérot is neither here nor next door." |
— Évidemment. Sans doute aura-t-il été prendre l’air et va-t-il revenir d’un instant à l’autre. Je n’ai d’ailleurs pas besoin de lui dès le début. |
"That must be it. I expect he's gone to get some air outside; and he'll be back at any moment. For that matter, I shan't want him to start with." |
Le préfet regarda sa montre. |
The Prefect looked at his watch. |
— Cinq heures dix. Veuillez dire à l’huissier qu’il introduise ces messieurs… Ah ! cependant… |
"Ten past five. You might tell the messenger to show those gentlemen in.... Wait, though—" |
M. Desmalions hésita. En feuilletant le dossier, il avait trouvé la lettre de Vérot. C’était une grande enveloppe de commerce jaune, au coin de laquelle se trouvait l’inscription : « Café du Pont-Neuf. » |
M. Desmalions hesitated. In turning over the papers he had found Vérot's letter. It was a large, yellow, business envelope, with "Café du Pont-Neuf" printed at the top. |
Le secrétaire insinua : |
The secretary suggested: |
— Étant donné l’absence de Vérot et les paroles qu’il m’a dites, je crois urgent, monsieur le préfet, que vous preniez connaissance de cette lettre. |
"In view of Vérot's absence, Monsieur le Préfet, and of what he said, it might be as well for you to see what's in the letter first." |
M. Desmalions réfléchit. |
M. Desmalions paused to reflect. |
— Oui, peut-être avez-vous raison. |
"Perhaps you're right." |
Puis, se décidant, il mit un stylet dans le haut de l’enveloppe et coupa vivement. Un cri lui échappa : |
And, making up his mind, he inserted a paper-knife into the envelope and cut it open. A cry escaped him. |
— Ah ! non, celle-là est raide. |
"Oh, I say, this is a little too much!" |
— Qu’est-ce qu’il y a donc, monsieur le préfet ? |
"What is it, Monsieur le Préfet?" |
— Ce qu’il y a ? Tenez… une feuille de papier blanc… Voilà tout ce que contient l’enveloppe. |
"Why, look here, a blank ... sheet of paper! That's all the envelope contains!" |
— Impossible ! |
"Impossible!" |
— Regardez… une simple feuille pliée en quatre… Pas un mot dessus. |
"See for yourself—a plain sheet folded in four, with not a word on it." |
— Pourtant Vérot m’a dit, en propres termes, qu’il avait mis là-dedans tout ce qu’il savait de l’affaire… |
"But Vérot told me in so many words that he had said in that letter all that he knew about the case." |
— Il vous l’a dit, mais vous voyez bien… Vraiment, si je ne connaissais pas l’inspecteur Vérot, je croirais à une plaisanterie… |
"He told you so, no doubt, but there you are! Upon my word, if I didn't know Inspector Vérot, I should think he was trying to play a game with me." |
— Une distraction, monsieur le préfet, tout au plus. |
"It's a piece of carelessness, Monsieur le Préfet, at the worst." |
— Certes, une distraction, mais qui m’étonne de sa part. On n’a pas de distraction quand il s’agit de la vie de deux personnes. Car il vous a bien averti qu’un double assassinat était combiné pour cette nuit ? |
"No doubt, a piece of carelessness, but I'm surprised at him. It doesn't do to be careless when the lives of two people are at stake. For he must have told you that there is a double murder planned for to-night?" |
— Oui, monsieur le préfet, pour cette nuit, et dans des conditions particulièrement effrayantes… diaboliques, m’a-t-il dit. |
"Yes, Monsieur le Préfet, and under particularly alarming conditions; infernal was the word he used." |
M. Desmalions se promenait à travers la pièce, les mains au dos. Il s’arrêta devant une petite table. |
M. Desmalions was walking up and down the room, with his hands behind his back. He stopped at a small table. |
— Qu’est-ce que c’est que ce paquet à mon adresse ? « Monsieur le préfet de police… À ouvrir en cas d’accident. » |
"What's this little parcel addressed to me? 'Monsieur le Préfet de Police—to be opened in case of accident.'" |
— En effet, dit le secrétaire, je n’y pensais pas… C’est encore de l’inspecteur Vérot, une chose importante selon lui, et qui sert de complément et d’explication au contenu de la lettre. |
"Oh, yes," said the secretary, "I was forgetting! That's from Inspector Vérot, too; something of importance, he said, and serving to complete and explain the contents of the letter." |
— Ma foi, dit M. Desmalions, qui ne put s’empêcher de sourire, la lettre en a besoin d’explication, et, quoiqu’il ne soit pas question d’accident, je n’hésite pas. |
"Well," said M. Desmalions, who could not help laughing, "the letter certainly needs explaining; and, though there's no question of 'accident,' I may as well open the parcel." |
Tout en parlant, il avait coupé une ficelle et découvert, sous le papier qui l’enveloppait, une boîte, une petite boîte en carton, comme les pharmaciens en emploient, mais salie celle-là, abîmée par l’usage qu’on en avait fait. |
As he spoke, he cut the string and discovered, under the paper, a box, a little cardboard box, which might have come from a druggist, but which was soiled and spoiled by the use to which it had been put. |
Il souleva le couvercle. Dans le carton, il y avait des feuilles d’ouate, assez malpropres également, et au milieu de ces feuilles une demi-tablette de chocolat. |
He raised the lid. Inside the box were a few layers of cotton wool, which were also rather dirty, and in between these layers was half a cake of chocolate. |
— Que diable cela veut-il dire ? marmotta le préfet avec étonnement. |
"What the devil does this mean?" growled the Prefect in surprise. |
Il prit le chocolat, le regarda, et tout de suite son examen lui montra ce que cette tablette, de matière un peu molle, offrait de particulier, et les raisons certaines pour lesquelles l’inspecteur Vérot l’avait conservée. En dessus et en dessous, elle portait des empreintes de dents, très nettement dessinées, très nettement détachées les unes des autres, enfoncées de deux ou trois millimètres dans le bloc de chocolat, chacune ayant sa forme et sa largeur spéciales, et chacune écartée des autres par un intervalle différent. La mâchoire qui avait ainsi commencé à croquer la tablette avait incrusté la marque de quatre de ses dents supérieures et de cinq dents du bas. |
He took the chocolate, looked at it, and at once perceived what was peculiar about this cake of chocolate, which was also undoubtedly the reason why Inspector Vérot had kept it. Above and below, it bore the prints of teeth, very plainly marked, very plainly separated one from the other, penetrating to a depth of a tenth of an inch or so into the chocolate. Each possessed its individual shape and width, and each was divided from its neighbours by a different interval. The jaws which had started eating the cake of chocolate had dug into it the mark of four upper and five lower teeth. |
M. Desmalions resta pensif, et, la tête baissée, il reprit durant quelques minutes sa promenade de long en large, en murmurant : |
M. Desmalions remained wrapped in thought and, with his head sunk on his chest, for some minutes resumed his walk up and down the room, muttering: |
— Bizarre ! Il y a là une énigme dont je voudrais bien avoir le mot… Cette feuille de papier, ces empreintes de dents… Que signifie toute cette histoire ? |
"This is queer ... There's a riddle here to which I should like to know the answer. That sheet of paper, the marks of those teeth: what does it all mean?" |
Mais, comme il n’était pas homme à s’attarder longtemps à une énigme dont la solution devait lui être révélée d’un moment à l’autre, puisque l’inspecteur Vérot se trouvait dans la préfecture même, ou aux environs, il dit à son secrétaire : |
But he was not the man to waste much time over a mystery which was bound to be cleared up presently, as Inspector Vérot must be either at the police office or somewhere just outside; and he said to his secretary: |
— Je ne puis faire attendre ces messieurs plus longtemps. Veuillez donner l’ordre qu’on les fasse entrer. Si l’inspecteur Vérot arrive durant la réunion, comme cela est inévitable, prévenez-moi aussitôt. J’ai hâte de le voir. Sauf cela, qu’on ne me dérange sous aucun prétexte, n’est-ce pas ? |
"I can't keep those five gentlemen waiting any longer. Please have them shown in now. If Inspector Vérot arrives while they are here, as he is sure to do, let me know at once. I want to see him as soon as he comes. Except for that, see that I'm not disturbed on any pretext, won't you?" |
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Deux minutes après, l’huissier introduisait Me Lepertuis, gros homme rubicond, à lunettes et à favoris, puis le secrétaire d’ambassade, Archibald Bright, et l’attaché péruvien Cacérès. M. Desmalions, qui les connaissait tous trois, s’entretint avec eux et ne les quitta que pour aller au-devant du commandant comte d’Astrignac, le héros de la Chouia, que ses blessures glorieuses avaient contraint à une retraite prématurée, et auquel il adressa quelques mots chaleureux sur sa belle conduite au Maroc. La porte s’ouvrit encore une fois. |
Two minutes later the messenger showed in Maître Lepertuis, a stout, red-faced man, with whiskers and spectacles, followed by Archibald Bright, the Secretary of Embassy, and Caceres, the Peruvian attaché. M. Desmalions, who knew all three of them, chatted to them until he stepped forward to receive Major Comte d'Astrignac, the hero of La Chouïa, who had been forced into premature retirement by his glorious wounds. The Prefect was complimenting him warmly on his gallant conduct in Morocco when the door opened once more. |
— Don Luis Perenna, n’est-ce pas ? dit le préfet en tendant la main à un homme de taille moyenne, plutôt mince, décoré de la médaille militaire et de la Légion d’honneur, et que sa physionomie, que son regard, que sa façon de se tenir et son allure très jeune, permettaient de considérer comme un homme de quarante ans, bien que certaines rides au coin des yeux et sur le front indiquassent quelques années de plus. Il salua. |
"Don Luis Perenna, I believe?" said the Prefect, offering his hand to a man of middle height and rather slender build, wearing the military medal and the red ribbon of the Legion of Honour. The newcomer's face and expression, his way of holding himself, and his very youthful movements inclined one to look upon him as a man of forty, though there were wrinkles at the corners of the eyes and on the forehead, which perhaps pointed to a few years more. He bowed. |
— Oui, monsieur le préfet. |
"Yes, Monsieur le Préfet." |
Le commandant d’Astrignac s’écria : — C’est donc vous, Perenna ! Vous êtes donc encore de ce monde ? |
"Is that you, Perenna?" cried Comte d'Astrignae. "So you are still among the living?" |
— Ah ! mon commandant ! Quel plaisir de vous revoir ! |
"Yes, Major, and delighted to see you again." |
— Perenna vivant ! Mais quand j’ai quitté le Maroc, on était sans nouvelles de vous. On vous croyait mort. |
"Perenna alive! Why, we had lost all sight of you when I left Morocco! We thought you dead." |
— Je n’étais que prisonnier. |
"I was a prisoner, that's all." |
— Prisonnier des tribus, c’est la même chose. |
"A prisoner of the tribesmen; the same thing!" |
— Pas tout à fait, mon commandant, on s’évade de partout… La preuve… |
"Not quite, Major; one can escape from anywhere. The proof stands before you." |
Durant quelques secondes, le préfet de police examina, avec une sympathie dont il ne pouvait se défendre, ce visage énergique, à l’expression souriante, aux yeux francs et résolus, au teint bronzé comme cuit et recuit par le feu du soleil. |
The Prefect of Police, yielding to an irresistible attraction to resist, spent some seconds in examining that powerful face, with the smiling glance, the frank and resolute eyes, and the bronzed complexion, which looked as if it had been baked and baked again by the sun. |
Puis, faisant signe aux assistants de prendre place autour de son bureau, lui-même s’assit et s’expliqua de la sorte, en un préambule articulé nettement et lentement : |
Then, motioning to his visitors to take chairs around his desk, M. Desmalions himself sat down and made a preliminary statement in clear and deliberate tones: |
— La convocation que j’ai adressée à chacun de vous, messieurs, a dû vous paraître quelque peu sommaire et mystérieuse… Et la manière dont je vais entamer notre conversation ne sera point pour atténuer votre étonnement. Mais, si vous voulez m’accorder quelque crédit, il vous sera facile de constater qu’il n’y a rien dans tout cela que de très simple et de très naturel. D’ailleurs, je serai aussi bref que possible. |
"The summons, gentlemen, which I addressed to each of you, must have appeared to you rather peremptory and mysterious. And the manner in which I propose to open our conversation is not likely to diminish your surprise. But if you will attach a little credit to my method, you will soon realize that the whole thing is very simple and very natural. I will be as brief as I can." |
Il ouvrit devant lui le dossier préparé par son secrétaire, et, tout en consultant les notes, il reprit : |
He spread before him the bundle of documents prepared for him by his secretary and, consulting his notes as he spoke, continued: |
— Quelques années avant la guerre de 1870, trois sœurs, trois orphelines âgées de vingt-deux, de vingt et de dix-huit ans, Ermeline, Élisabeth et Armande Roussel, habitaient Saint-Étienne avec un cousin germain du nom de Victor, plus jeune de quelques années. « L’aînée, Ermeline, quitta Saint-Étienne la première pour suivre à Londres un Anglais du nom de Mornington, qu’elle devait épouser et dont elle eut un fils qui reçut le prénom de Cosmo. Le ménage était pauvre et traversa de rudes épreuves. Plusieurs fois, Ermeline écrivit à ses sœurs pour leur demander quelques secours. Ne recevant pas de réponse, elle cessa toute correspondance. Vers 1875, M. et Mme Mornington partirent pour l’Amérique. Cinq ans plus tard, ils étaient riches. M. Mornington mourut en 1883, mais sa femme continua de gérer la fortune qui lui était léguée, et comme elle avait le génie de la spéculation et des affaires elle porta cette fortune à un chiffre colossal. Quand elle décéda, en 1905, elle laissait à son fils la somme de 400 millions. » |
"Over fifty years ago, in 1860, three sisters, three orphans, Ermeline, Elizabeth, and Armande Roussel, aged twenty-two, twenty, and eighteen respectively, were living at Saint-Etienne with a cousin named Victor, who was a few years younger. The eldest, Ermeline, was the first to leave Saint-Etienne. She went to London, where she married an Englishman of the name Mornington, by whom she had a son, who was christened Cosmo. "The family was very poor and went through hard times. Ermeline repeatedly wrote to her sisters to ask for a little assistance. Receiving no reply, she broke off the correspondence altogether. In 1870 Mr. and Mrs. Mornington left England for America. Five years later they were rich. Mr. Mornington died in 1878; but his widow continued to administer the fortune bequeathed to her and, as she had a genius for business and speculation, she increased this fortune until it attained a colossal figure. At her decease, in 1900, she left her son the sum of four hundred million francs." |
Le chiffre parut faire quelque impression sur les assistants. Le préfet ayant surpris un regard entre le commandant et don Luis Perenna, leur dit : |
The amount seemed to make an impression on the Prefect's hearers. He saw the major and Don Luis Perenna exchange a glance and asked: |
— Vous avez connu Cosmo Mornington, n’est-ce pas ? |
"You knew Cosmo Mornington, did you not?" |
— Oui, monsieur le préfet, répliqua le comte d’Astrignac. Il séjournait au Maroc quand nous y combattions, Perenna et moi. |
"Yes, Monsieur le Préfet," replied Comte d'Astrignac. "He was in Morocco when Perenna and I were fighting there." |
— En effet, reprit M. Desmalions, Cosmo Mornington s’était mis à voyager. Il s’occupait de médecine, m’a-t-on dit, et donnait ses soins, lorsque l’occasion s’en présentait, avec beaucoup de compétence, et gratuitement bien entendu. Il habita l’Égypte, puis l’Algérie et le Maroc, et, à la fin de 1914, passa en Amérique pour y soutenir la cause des Alliés. L’année dernière, après l’armistice, il s’établit à Paris. Il y est mort voici quatre semaines, à la suite de l’accident le plus stupide. |
"Just so," said M. Desmalions. "Cosmo Mornington had begun to travel about the world. He took up the practise of medicine, from what I hear, and, when occasion offered, treated the sick with great skill and, of course, without charge. He lived first in Egypt and then in Algiers and Morocco. Last year he settled down in Paris, where he died four weeks ago as the result of a most stupid accident." |
— Une piqûre mal faite, n’est-ce pas, monsieur le préfet ? dit le secrétaire d’ambassade des États-Unis. Les journaux ont parlé de cela, et nous-mêmes, à l’ambassade, nous avons été prévenus. |
"A carelessly administered hypodermic injection, was it not, Monsieur le Préfet?" asked the secretary of the American Embassy. "It was mentioned in the papers and reported to us at the embassy." |
— Oui, déclara M. Desmalions. Pour se remettre d’une longue influenza qui l’avait tenu au lit tout l’hiver, M. Mornington, sur l’ordre de son docteur, se faisait des piqûres de glycérophosphate de soude. L’une de ces piqûres n’ayant pas été entourée, évidemment, de toutes les précautions nécessaires, la plaie s’envenima avec une rapidité foudroyante. En quelques heures, M. Mornington était emporté. |
"Yes," said Desmalions. "To assist his recovery from a long attack of influenza which had kept him in bed all the winter, Mr. Mornington, by his doctor's orders, used to give himself injections of glycero-phosphate of soda. He must have omitted the necessary precautions on the last occasion when he did so, for the wound was poisoned, inflammation set in with lightning rapidity, and Mr. Mornington was dead in a few hours." |
Le préfet de police se retourna vers le notaire et lui dit : |
The Prefect of Police turned to the solicitor and asked: |
— Mon résumé est-il conforme à la réalité, maître Lepertuis ? |
"Have I summed up the facts correctly, Maître Lepertuis?" |
— Exactement conforme, monsieur le préfet. |
"Absolutely, Monsieur le Préfet." |
M. Desmalions reprit : |
M. Desmalions continued: |
— Le lendemain matin, Me Lepertuis se présentait ici, et, pour des raisons que la lecture de ce document vous expliquera, me montrait le testament de Cosmo Mornington que celui-ci avait déposé entre ses mains. |
"The next morning, Maître Lepertuis called here and, for reasons which you will understand when you have heard the document read, showed me Cosmo Mornington's will, which had been placed in his hands." |
Tandis que le préfet compulsait les papiers, Me Lepertuis ajouta : |
While the Prefect was looking through the papers, Maître Lepertuis added: |
— Monsieur le préfet me permettra de spécifier que je n’ai vu mon client, avant d’être appelé à son lit de mort, qu’une seule fois : le jour où il me manda dans la chambre de son hôtel pour me remettre le testament qu’il venait d’écrire. C’était au début de son influenza. Dans notre conversation, il me confia qu’il avait fait, en vue de retrouver la famille de sa mère, quelques recherches qu’il comptait poursuivre sérieusement après sa guérison. Les circonstances l’en empêchèrent. |
"I may be allowed to say that I saw my client only once before I was summoned to his death-bed; and that was on the day when he sent for me to come to his room in the hotel to hand me the will which he had just made. This was at the beginning of his influenza. In the course of conversation he told me that he had been making some inquiries with a view to tracing his mother's family, and that he intended to pursue these inquiries seriously after his recovery. Circumstances, as it turned out, prevented his fulfilling his purpose." |
Cependant le préfet de police avait sorti du dossier une enveloppe ouverte qui contenait deux feuilles de papier. Il déplia la plus grande et dit : |
Meanwhile, the Prefect of Police had taken from among the documents an open envelope containing two sheets of paper. He unfolded the larger of the two and said: |
— Voici le testament. Je vous demanderai d’en écouter la lecture avec attention, ainsi que celle de la pièce annexe qui l’accompagne. |
"This is the will. I will ask you to listen attentively while I read it and also the document attached to it." |
The others settled themselves in their chairs; and the Prefect read out: |
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« Je, soussigné Cosmo Mornington, fils légitime de Hubert Mornington et d’Ermeline Roussel, naturalisé citoyen des États-Unis, lègue à mon pays d’adoption la moitié de ma fortune, pour être employée en œuvres de bienfaisance, conformément aux instructions écrites de ma main, que Me Lepertuis voudra bien transmettre à l’ambassade des États-Unis. |
"The last will and testament of me, Cosmo Mornington, eldest son of Hubert Mornington and Ermeline Roussel, his wife, a naturalized citizen of the United States of America. I give and bequeath to my adopted country three fourths of my estate, to be employed on works of charity in accordance with the instructions, written in my hand, which Maitre Lepertuis will be good enough to forward to the Ambassador of the United States. |
» Pour les deux cents millions environ constitués par mes dépôts dans diverses banques de Paris et de Londres, dépôts dont la liste est en l’étude de Me Lepertuis, je les lègue, en souvenir de ma mère bien-aimée, d’abord à sa sœur préférée, Élisabeth Roussel, ou aux héritiers en ligne directe d’Élisabeth Roussel — sinon à sa seconde sœur, Armande Roussel, ou aux héritiers directs d’Armande, — sinon, à leur défaut, à leur cousin Victor ou à ses héritiers directs. |
"The remainder of my property, to the value of about one hundred million francs, consisting of deposits in various Paris and London banks, a list of which is in the keeping of Maitre Lepertuis, I give and bequeath, in memory of my dear mother, to her favourite sister Elizabeth Roussel or her direct heirs; or, in default of Elizabeth and her heirs, to her second sister Armande Roussel or her direct heirs; or, in default of both sisters and their heirs, to their cousin Victor Roussel or his direct heirs. |
» Au cas où je disparaîtrais sans avoir retrouvé les membres survivants de la famille Roussel ou du cousin des trois sœurs, je demande à mon ami don Luis Perenna de faire toutes les recherches nécessaires. Je le nomme à cet effet mon exécuteur testamentaire pour la partie européenne de ma fortune, et je le prie de prendre en main la conduite des événements qui pourraient survenir après ma mort, ou par suite de ma mort, de se considérer comme mon représentant, et d’agir en tout pour le bien de ma mémoire et l’accomplissement de mes volontés. En reconnaissance de ce service, et en mémoire des deux fois où il me sauva la vie, il voudra bien accepter la somme d’un million. » |
"In the event of my dying without discovering the surviving members of the Roussel family, or of the cousin of the three sisters, I request my friend Don Luis Perenna to make all the necessary investigations. With this object, I hereby appoint him the executor of my will in so far as concerns the European portion of my estate, and I beg him to undertake the conduct of the events that may arise after my death or in consequence of my death to consider himself my representative and to act in all things for the benefit of my memory and the accomplishment of my wishes. In gratitude for this service and in memory of the two occasions on which he saved my life, I give and bequeath to the said Don Luis Perenna the sum of one million francs." |
Le préfet s’interrompit quelques instants. Don Luis murmura : |
The Prefect stopped for a few seconds. Don Luis murmured: |
— Pauvre Cosmo… Je n’avais pas besoin de cela pour remplir ses derniers vœux. |
"Poor Cosmo! ... I should not have needed that inducement to carry out his last wishes." |
— « En outre, continua M. Desmalions reprenant sa lecture, en outre, si, trois mois après ma mort, les recherches faites par don Luis Perenna et par Me Lepertuis n’ont pas abouti, si aucun héritier ni aucun survivant de la famille Roussel ne s’est présenté pour recueillir l’héritage, la totalité des deux cents millions sera définitivement, et quelles que puissent être les réclamations ultérieures, acquise à mon ami don Luis Perenna. Je le connais assez pour savoir qu’il fera de cette fortune un emploi conforme à la noblesse de ses desseins et à la grandeur des projets dont il m’entretenait, avec un tel enthousiasme, sous la tente marocaine. » |
M. Desmalions continued his reading: "Furthermore, if, within three months of my death, the investigations made by Don Luis Perenna and by Maître Lepertuis have led to no result; if no heir and no survivor of the Roussel family have come forward to receive the bequest, then the whole hundred million francs shall definitely, all later claims notwithstanding, accrue to my friend Don Luis Perenna. I know him well enough to feel assured that he will employ this fortune in a manner which shall accord with the loftiness of his schemes and the greatness of the plans which he described to me so enthusiastically in our tent in Morocco." |
M. Desmalions s’arrêta de nouveau et leva les yeux sur don Luis. Il demeurait impassible, silencieux. Une larme pourtant brilla à la pointe de ses cils. Le comte d’Astrignac lui dit : |
M. Desmalions stopped once more and raised his eyes to Don Luis, who remained silent and impassive, though a tear glistened on his lashes. Comte d'Astrignac said: |
— Mes félicitations, Perenna. |
"My congratulations, Perenna." |
— Mon commandant, répondit-il, je vous ferai remarquer que cet héritage est subordonné à une condition. Et je vous jure bien que, si cela dépend de moi, les survivants de la famille Roussel seront retrouvés. |
"Let me remind you, Major," he answered, "that this legacy is subject to a condition. And I swear that, if it depends on me, the survivors of the Roussel family shall be found." |
— J’en suis sûr, dit l’officier, je vous connais. |
"I'm sure of it," said the officer. "I know you." |
— En tout cas, demanda le préfet de police à don Luis, cet héritage… conditionnel, vous ne le refusez pas ? |
"In any case," asked the Prefect of Police of Don Luis, "you do not refuse this conditional legacy?" |
— Ma foi non, dit Perenna en riant. Il y a des choses qu’on ne refuse pas. |
"Well, no," said Perenna, with a laugh. "There are things which one can't refuse." |
— Ma question, dit le préfet, est motivée par ce dernier paragraphe du testament : « Si, pour une raison ou pour une autre, mon ami Perenna refusait cet héritage, ou bien s’il était mort avant la date fixée pour le recueillir, je prie M. l’ambassadeur des États-Unis et M. le préfet de police de s’entendre sur les moyens de construire à Paris et d’entretenir une université réservée aux étudiants et aux artistes de nationalité américaine. M. le préfet de police voudra bien en tout cas prélever une somme de trois cent mille francs qu’il versera dans la caisse de ses agents. » |
"My question," said the Prefect, "was prompted by the last paragraph of the will: 'If, for any reason, my friend Perenna should refuse this legacy, or if he should have died before the date fixed for its payment, I request the Ambassador of the United States and the Prefect of Police for the time being to consult as to the means of building and maintaining in Paris a university confined to students and artists of American nationality and to devote the money to this purpose. And I hereby authorize the Prefect of Police in any case to receive a sum of three hundred thousand francs out of my estate for the benefit of the Paris Police Fund.'" |
M. Desmalions replia la feuille de papier et en prit une autre. |
M. Desmalions folded the paper and took up another. |
— À ce testament est joint un codicille constitué par une lettre que M. Mornington écrivit quelque temps après à Me Lepertuis, et où il s’explique sur certains points de façon plus précise : |
"There is a codicil to the will. It consists of a letter which Mr. Mornington wrote to Maître Lepertuis some time after and which explains certain points with greater precision: |
« Je demande à Me Lepertuis d’ouvrir mon testament le lendemain de ma mort, en présence de M. le préfet de police, lequel voudra bien tenir la chose entièrement secrète durant un mois. Un mois après, jour pour jour, il aura l’obligeance de réunir dans son cabinet un membre important de l’ambassade des États-Unis, Me Lepertuis et don Luis Perenna. Après lecture, un chèque d’un million devra être remis à mon légataire et ami don Luis Perenna sur le simple examen de ses papiers et sur la simple constatation de son identité. J’aimerais que cette constatation fût faite : au point de vue de la personne, par le commandant comte d’Astrignac, qui fut son chef au Maroc et qui, malheureusement, a dû prendre une retraite prématurée ; au point de vue de l’origine, par un membre de la légation du Pérou, puisque don Luis Perenna, bien qu’ayant conservé la nationalité espagnole, est né au Pérou. |
"I request Maître Lepertuis to open my will on the day after my death, in the presence of the Prefect of Police, who will be good enough to keep the matter an entire secret for a month. One month later, to the day, he will have the kindness to summon to his office Maître Lepertuis, Don Luis Perenna, and a prominent member of the United States Embassy. Subsequent to the reading of the will, a cheque for one million francs shall be handed to my friend and legatee Don Luis Perenna, after a simple examination of his papers and a simple verification of his identity. I should wish this verification to be made as regards the personality by Major Comte d'Astrignac, who was his commanding officer in Morocco, and who unfortunately had to retire prematurely from the army; and as regards birth by a member of the Peruvian Legation, as Don Luis Perenna, though retaining his Spanish nationality, was born in Peru. |
» En outre, j’exige que mon testament ne soit communiqué aux héritiers Roussel que deux jours plus tard, et en l’étude de Me Lepertuis. |
"Furthermore, I desire that my will be not communicated to the Roussel heirs until two days later, at Maitre Lepertuis's office. |
» Enfin — et ceci est la dernière expression de mes volontés pour ce qui concerne l’attribution de ma fortune et le mode de procéder à cette attribution, — M. le préfet voudra bien convoquer une seconde fois les mêmes personnes dans son cabinet à une date qui pourra être choisie par lui entre le soixantième et le quatre-vingt-dixième jour qui suivra la première réunion. C’est alors, et alors seulement, que l’héritier définitif sera désigné d’après ses droits et proclamé ; et nul ne pourra l’être s’il n’assiste à cette séance, à l’issue de laquelle don Luis Perenna, qui devra s’y rendre également, deviendra l’héritier définitif, si, comme je l’ai dit, aucun survivant de la famille Roussel et du cousin Victor ne s’est présenté pour recueillir l’héritage. |
"Finally—and this is the last expression of my wishes as regards the disposal of my estate and the method of proceeding with that disposal—the Prefect of Police will be good enough to summon the persons aforesaid to his office, for a second time, at a date to be selected by himself, not less than sixty nor more than ninety days after the first meeting. Then and not till then will the definite legatee be named and proclaimed according to his rights, nor shall any be so named and proclaimed unless he be present at this meeting, at the conclusion of which Don Luis Perenna, who must also attend it, shall become the definite legatee if, as I have said, no survivor nor heir of the Roussel sisters or of their cousin Victor have come forward to claim the bequest." |
» Tel est le testament de M. Cosmo Mornington, conclut le préfet de police, et telles sont les raisons de votre présence ici, messieurs. Une sixième personne doit être introduite tout à l’heure, un de mes agents que j’ai chargé de faire une première enquête sur la famille Roussel et qui vous rendra compte de ses recherches. Mais, pour l’instant, nous devons procéder conformément aux prescriptions du testateur. |
Replacing both documents in the envelope the Prefect of Police concluded: "You have now, gentlemen, heard the will of Mr. Cosmo Mornington, which explains your presence here. A sixth person will join us shortly: one of my detectives, whom I instructed to make the first inquiries about the Roussel family and who will give you the result of his investigations. But, for the moment, we must proceed in accordance with the testator's directions. |
» Les papiers que, sur ma demande, don Luis Perenna m’a fait remettre, il y a deux semaines, et que j’ai examinés moi-même, sont parfaitement en règle. Au point de vue de l’origine, j’ai prié M. le ministre du Pérou de vouloir bien réunir les renseignements les plus précis. |
"Don Luis Perenna's papers, which he sent me, at my request, a fortnight ago, have been examined by myself and are perfectly in order. As regards his birth, I wrote and begged his Excellency the Peruvian minister to collect the most precise information." |
— C’est à moi, monsieur le préfet, dit M. Cacérès, l’attaché péruvien, que M. le ministre du Pérou a confié cette mission. Elle fut facile à remplir. Don Luis Perenna est d’une vieille famille espagnole émigrée il y a trente ans, mais qui a conservé ses terres et ses propriétés d’Europe. De son vivant, le père de don Luis, que j’ai rencontré en Amérique, parlait de son fils unique avec ferveur. C’est notre légation qui a appris au fils, voilà cinq ans, la mort du père. Voici la copie de la lettre écrite au Maroc. |
"The minister entrusted this mission to me," said Señor Caceres, the Peruvian attaché. "It offered no difficulties. Don Luis Perenna comes of an old Spanish family which emigrated thirty years ago, but which retained its estates and property in Europe. I knew Don Luis's father in America; and he used to speak of his only son with the greatest affection. It was our legation that informed the son, three years ago, of his father's death. I produce a copy of the letter sent to Morocco." |
— Et voilà la lettre elle-même, communiquée par don Luis Perenna, dit le préfet de police. Et vous, mon commandant, vous reconnaissez le légionnaire Perenna qui combattit sous vos ordres ? |
"And I have the original letter here, among the documents forwarded by Don Luis Perenna to the Prefect of Police. Do you, Major, recognize Private Perenna, who fought under your orders in the Foreign Legion?" |
— Je le reconnais, dit le comte d’Astrignac. |
"I recognize him," said Comte d'Astrignac. |
— Sans erreur possible ? |
"Beyond the possibility of a mistake?" |
— Sans erreur possible et sans le moindre sentiment d’hésitation. |
"Beyond the possibility of a mistake and without the least feeling of hesitation." |
Le préfet de police se mit à rire et insinua : |
The Prefect of Police, with a laugh, hinted: |
— Vous reconnaissez le légionnaire Perenna que ses camarades, par une sorte d’admiration stupéfiée pour ses exploits, appelaient Arsène Lupin ? |
"You recognize Private Perenna, whom the men, carried away by a sort of astounded admiration of his exploits, used to call Arsène Lupin?" |
— Oui, monsieur le préfet, riposta le commandant, celui que ses camarades appelaient Arsène Lupin, mais que ses chefs appelaient tout court : le héros, celui dont nous disions qu’il était brave comme d’Artagnan, fort comme Porthos… |
"Yes, Monsieur le Préfet," replied the major sharply, "the one whom the men called Arsène Lupin, but whom the officers called simply the Hero, the one who we used to say was as brave as d'Artagnan, as strong as Porthos...." |
— Et mystérieux comme Monte-Cristo, dit en riant le préfet de police. Tout cela en effet se trouve dans le rapport que j’ai reçu du 4e régiment de la légion étrangère, rapport inutile à lire dans son entier, mais où je constate ce fait inouï que le légionnaire Perenna, en l’espace de deux ans, fut décoré de la médaille militaire, décoré de la Légion d’honneur pour services exceptionnels, et cité sept fois à l’ordre du jour. Je relève au hasard… |
"And as mysterious as Monte Cristo," said the Prefect of Police, laughing. "I have all this in the report which I received from the Fourth Regiment of the Foreign Legion. It is not necessary to read the whole of it; but it contains the unprecedented fact that Private Perenna, in the space of two years' time, received the military medal, received the Legion of Honour for exceptional services, and was mentioned fourteen times in dispatches. I will pick out a detail here and there." |
— Monsieur le préfet, je vous en supplie, protesta don Luis, ce sont là des choses banales, et je ne vois pas l’intérêt… |
"Monsieur le Préfet, I beg of you," protested Don Luis. "These are trivial matters, of no interest to anybody; and I do not see the reason...." |
— Un intérêt considérable, affirma M. Desmalions. Ces messieurs sont ici, non pas seulement pour entendre la lecture d’un testament, mais aussi pour en autoriser l’exécution dans la seule de ses clauses qui soit immédiatement exécutoire : la délivrance d’un legs s’élevant à un million. Il faut donc que la religion de ces messieurs soit éclairée sur le bénéficiaire de ce legs. Par conséquent, je continue… |
"There is every reason, on the contrary," declared M. Desmalions. "You gentlemen are here not only to hear a will read, but also to authorize its execution as regards the only one of its clauses that is to be carried out at once, the payment of a legacy of a million francs. It is necessary, therefore, that all of you should know what there is to know of the personality of the legatee. Consequently, I propose to continue ..." |
— Alors, monsieur le préfet, dit Perenna en se levant et en se dirigeant vers la porte, vous me permettrez… |
"In that case, Monsieur le Préfet," said Perenna, rising and making for the door, "you will allow me ..." |
— Demi-tour !… Halte !… Fixe ! ordonna le commandant d’Astrignac d’un ton de plaisanterie. |
"Right about turn! Halt! ... Eyes front!" commanded Major d'Astrignac in a jesting tone. |
Il ramena don Luis en arrière au milieu de la pièce et le fit asseoir. |
He dragged Don Luis back to the middle of the room and forced him into a chair. |
— Monsieur le préfet, je demande grâce pour mon ancien compagnon d’armes, dont la modestie serait, en effet, mise à une trop rude épreuve si on lisait devant lui le récit de ses prouesses. D’ailleurs, le rapport est ici et chacun peut le consulter. D’avance, et sans le connaître, je souscris aux éloges qu’il contient, et je déclare que dans ma carrière militaire, si remplie pourtant, je n’ai jamais rencontré un soldat qui pût être comparé au légionnaire Perenna. Cependant, j’en ai vu des gaillards là-bas, des sortes de démons comme on n’en trouve qu’à la Légion, qui se font crever la peau pour le plaisir, pour la rigolade, comme ils disent, histoire d’épater le voisin. |
"Monsieur le Préfet," he said, "I plead for mercy for my old comrade-in-arms, whose modesty would really be put to too severe a test if the story of his prowess were read out in front of him. Besides, the report is here; and we can all of us consult it for ourselves. Without having seen it, I second every word of praise that it contains; and I declare that, in the course of my whole military career, I have never met a soldier who could compare with Private Perenna. And yet I saw plenty of fine fellows over there, the sort of demons whom you only find in the Legion and who will get themselves cut to bits for the sheer pleasure of the thing, for the lark of it, as they say, just to astonish one another. |
» Mais aucun ne venait à la cheville de Perenna. Celui que nous appelions d’Artagnan, Porthos, de Bussy, méritait d’être mis en parallèle avec les héros les plus étonnants de la légende et de la réalité. Je l’ai vu accomplir des choses que je ne voudrais pas raconter sous peine d’être traité d’imposteur, des choses si invraisemblables qu’aujourd’hui, de sang-froid, je me demande si je suis sûr de les avoir vues. Un jour, à Settat, comme nous étions poursuivis… |
"But not one of them came anywhere near Perenna. The chap whom we nicknamed d'Artagnan, Porthos, and de Bussy deserved to be classed with the most amazing heroes of legend and history. I have seen him perform feats which I should not care to relate, for fear of being treated as an impostor; feats so improbable that to-day, in my calmer moments, I wonder if I am quite sure that I did see them. One day, at Settat, as we were being pursued—" |
— Un mot de plus, mon commandant, s’écria gaiement don Luis, et je sors, tout de bon cette fois. Vrai, vous avez une façon d’épargner ma modestie… |
"Another word, Major," cried Don Luis, gayly, "and this time I really will go out! I must say you have a nice way of sparing my modesty!" |
— Mon cher Perenna, reprit le comte d’Astrignac, je vous ai toujours dit que vous aviez toutes les qualités et un seul défaut c’est de n’être pas Français. |
"My dear Perenna," replied Comte d'Astrignac, "I always told you that you had every good quality and only one fault, which was that you were not a Frenchman." |
— Et je vous ai toujours répondu, mon commandant, que j’étais Français par ma mère, et que je l’étais aussi de cœur et de tempérament. Il y a des choses que l’on ne peut accomplir que si l’on est Français. |
"And I always answered, Major, that I was French on my mother's side and a Frenchman in heart and temperament. There are things which only a Frenchman can do." |
Les deux hommes se serrèrent la main de nouveau affectueusement. |
The two men again gripped each other's hands affectionately. |
— Allons, dit le préfet de police, qu’il ne soit plus question de vos prouesses, monsieur, ni de ce rapport. J’y relèverai cependant ceci, c’est qu’au cours de l’été 1915 vous êtes tombé dans une embuscade de quarante Berbères, que vous avez été capturé et que vous n’avez reparu à la Légion que le mois dernier. |
"Come," said the Prefect, "we'll say no more of your feats of prowess, Monsieur, nor of this report. I will mention one thing, however, which is that, after two years, you fell into an ambush of forty Berbers, that you were captured, and that you did not rejoin the Legion until last month." |
— Oui, monsieur le préfet, pour être désarmé, mes cinq années d’engagement étant largement dépassées. |
"Just so, Monsieur le Préfet, in time to receive my discharge, as my five years' service was up." |
— Mais comment M. Cosmo Mornington a-t-il pu vous désigner comme légataire puisque, au moment où il rédigeait son testament, vous étiez disparu depuis quatre ans ? |
"But how did Mr. Cosmo Mornington come to mention you in his will, when, at the time when he was making it, you had disappeared from view for eighteen months?" |
— Cosmo et moi, nous correspondions. |
"Cosmo and I used to correspond." |
— Hein ? |
"What!" |
— Oui, et je lui avais annoncé mon évasion prochaine et mon retour à Paris. |
"Yes; and I had informed him of my approaching escape and my return to Paris." |
— Mais par quel moyen ?… Où étiez-vous ? Et comment vous fut-il possible ?… |
"But how did you manage it? Where were you? And how did you find the means? ..." |
Don Luis sourit sans répondre. |
Don Luis smiled without answering. |
— Monte-Cristo, cette fois, dit M. Desmalions, le mystérieux Monte-Cristo… |
"Monte Cristo, this time," said M. Desmalions. "The mysterious Monte Cristo." |
— Monte-Cristo, si vous voulez, monsieur le préfet. Le mystère de ma captivité, de mon évasion, bref, de toute ma vie pendant la guerre, est en effet assez étrange. Peut-être un jour sera-t-il intéressant de l’éclaircir. Je demande un peu de crédit. |
"Monte Cristo, if you like, Monsieur le Préfet. In point of fact, the mystery of my captivity and escape is a rather strange one. It may be interesting to throw some light upon it one of these days. Meanwhile, I must ask for a little credit." |
Il y eut un silence. M. Desmalions examina de nouveau ce singulier personnage, et il ne put s’empêcher de dire, comme s’il eût obéi à une association d’idées dont lui-même ne se fût pas rendu compte : |
A silence ensued. M. Desmalions once more inspected this curious individual; and he could not refrain from saying, as though in obedience to an association of ideas for which he himself was unable to account: |
— Un mot encore… le dernier. Pour quelles raisons vos camarades vous donnaient-ils ce surnom bizarre d’Arsène Lupin ? Était-ce seulement une allusion à votre audace, à votre force physique ? |
"One word more, and one only. What were your comrades' reasons for giving you that rather odd nickname of Arsène Lupin? Was it just an allusion to your pluck, to your physical strength?" |
— Il y avait autre chose, monsieur le préfet, la découverte d’un vol très curieux, dont certains détails inexplicables en apparence, m’avaient permis de désigner l’auteur. |
"There was something besides, Monsieur le Préfet: the discovery of a very curious theft, of which certain details, apparently incapable of explanation, had enabled me to name the perpetrator." |
— Vous avez donc le sens de ces affaires ? |
"So you have a gift for that sort of thing?" |
— Oui, monsieur le préfet, une certaine aptitude que j’eus l’occasion d’exercer plusieurs fois en Afrique. D’où mon surnom d’Arsène Lupin, dont on parlait beaucoup à cette époque, à la suite de sa mort. |
"Yes, Monsieur le Préfet, a certain knack which I had the opportunity of employing in Africa on more than one occasion. Hence my nickname of Arsène Lupin. It was soon after the death of the man himself, you know, and he was much spoken of at the time." |
— Ce vol était important ? |
"Was it a serious theft?" |
— Assez, et commis justement au préjudice de Cosmo Mornington, qui habitait alors la province d’Oran. C’est de là que datent nos relations. |
"It was rather; and it happened to be committed upon Cosmo Mornington, who was then living in the Province of Oran. That was really what started our relations." |
Il y eut un nouveau silence, et don Luis ajouta : |
There was a fresh silence; and Don Luis added: |
— Pauvre Cosmo !… Cette aventure lui avait donné une confiance inébranlable dans mes petits talents de policier. Il me disait toujours : « Perenna, si je meurs assassiné (c’était une idée fixe chez lui qu’il mourrait de mort violente), si je meurs assassiné, jurez-moi de poursuivre le coupable. » |
"Poor Cosmo! That incident gave him an unshakable confidence in my little detective talents. He was always saying, 'Perenna, if I die murdered'—he had a fixed notion in his head that he would meet with a violent death—'if I die murdered, swear that you will pursue the culprit,'" |
— Ses pressentiments n’étaient pas justifiés, dit le préfet de police. Cosmo Mornington n’a pas été assassiné. |
"His presentiment was not justified," said the Prefect of Police. "Cosmo Mornington was not murdered." |
— C’est ce qui vous trompe, monsieur le préfet, déclara Don Luis. |
"That's where you make a mistake, Monsieur le Préfet," said Don Luis. |
M. Desmalions sursauta. |
M. Desmalions gave a start. |
— Quoi ! Qu’est-ce que vous dites ? Cosmo Mornington… |
"What! What's that? Cosmo Mornington—?" |
— Je dis que Cosmo Mornington n’est pas mort, comme on le croit, d’une piqûre mal faite, mais il est mort, comme il le redoutait, de mort violente. |
"I say that Cosmo Mornington did not die, as you think, of a carelessly administered injection, but that he died, as he feared he would, by foul play." |
— Mais, monsieur, votre assertion ne repose sur rien. |
"But, Monsieur, your assertion is based on no evidence whatever!" |
— Sur la réalité, monsieur le préfet. |
"It is based on fact, Monsieur le Préfet." |
— Étiez-vous là ? Savez-vous quelque chose ? |
"Were you there? Do you know anything?" |
— Je n’étais pas là le mois dernier. J’avoue même que, quand je suis arrivé à Paris, n’ayant pas lu les journaux de façon régulière, j’ignorais la mort de Cosmo. C’est vous, monsieur le préfet, qui me l’avez apprise tout à l’heure. |
"I was not there. A month ago I was still with the colours. I even admit that, when I arrived in Paris, not having seen the newspapers regularly, I did not know of Cosmo's death. In fact, I learned it from you just now, Monsieur le Préfet." |
— En ce cas, monsieur, vous n’en pouvez connaître que ce que j’en connais, et vous devez vous en remettre aux constatations du médecin. |
"In that case, Monsieur, you cannot know more about it than I do, and you must accept the verdict of the doctor." |
— Je le regrette, mais, pour ma part, ces constatations sont insuffisantes. |
"I am sorry, but his verdict fails to satisfy me." |
— Mais enfin, monsieur, de quel droit cette accusation ? Avez-vous une preuve ? |
"But look here, Monsieur, what prompts you to make the accusation? Have you any evidence?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Laquelle ? |
"What evidence?" |
— Vos propres paroles, monsieur le préfet. |
"Your own words, Monsieur le Préfet." |
— Mes paroles ? |
"My own words? What do you mean?" |
— Celles-ci, monsieur le préfet. Vous avez dit, d’abord, que Cosmo Mornington s’occupait de médecine et qu’il pratiquait avec beaucoup de compétence, et, ensuite, qu’il s’était fait une piqûre qui, mal donnée, avait provoqué une inflammation mortelle et l’avait emporté en quelques heures. |
"I will tell you, Monsieur le Préfet. You began by saying that Cosmo Mornington had taken up medicine and practised it with great skill; next, you said that he had given himself an injection which, carelessly administered, set up inflammation and caused his death within a few hours." |
— Oui. |
"Yes." |
— Eh bien, monsieur le préfet, j’affirme qu’un monsieur qui s’occupe de médecine avec beaucoup de compétence et qui soigne des malades comme le faisait Cosmo Mornington, est incapable de se donner une piqûre sans l’entourer de toutes les précautions antiseptiques nécessaires. J’ai vu Cosmo à l’œuvre, je sais comment il s’y prenait. |
"Well, Monsieur le Préfet, I maintain that a man who practises medicine with great skill and who is accustomed to treating sick people, as Cosmo Mornington was, is incapable of giving himself a hypodermic injection without first taking every necessary antiseptic precaution. I have seen Cosmo at work, and I know how he set about things." |
— Alors ? |
"Well?" |
— Alors, le médecin a écrit un certificat comme le font tous les médecins quand un indice quelconque n’éveille pas leurs soupçons. |
"Well, the doctor just wrote a certificate as any doctor will when there is no sort of clue to arouse his suspicions." |
— De sorte que votre avis ?… |
"So your opinion is—" |
— Maître Lepertuis, demanda Perenna en se tournant vers le notaire, lorsque vous fûtes appelé au lit de mort de M. Mornington, vous n’avez rien remarqué d’anormal ? |
"Maître Lepertuis," asked Perenna, turning to the solicitor, "did you notice nothing unusual when you were summoned to Mr. Mornington's death-bed?" |
— Non, rien. M. Mornington était entré dans le coma. |
"No, nothing. Mr. Mornington was in a state of coma." |
— Il est déjà bizarre, nota don Luis, qu’une piqûre, si mauvaise qu’elle soit, produise des résultats si rapides. Il ne souffrait pas ? |
"It's a strange thing in itself," observed Don Luis, "that an injection, however badly administered, should produce such rapid results. Were there no signs of suffering?" |
— Non… ou plutôt si… si, je me rappelle, le visage offrait des taches brunes que je n’avais pas vues la première fois. |
"No ... or rather, yes.... Yes, I remember the face showed brown patches which I did not see on the occasion of my first visit." |
— Des taches brunes ? Cela confirme mon hypothèse ! Cosmo Mornington a été empoisonné. |
"Brown patches? That confirms my supposition Cosmo Mornington was poisoned." |
— Mais comment ? s’écria le préfet. |
"But how?" exclaimed the Prefect. |
— Par une substance quelconque que l’on aura introduite dans une des ampoules de glycéro-phosphate, ou dans la seringue dont se servait le malade. |
"By some substance introduced into one of the phials of glycero-phosphate, or into the syringe which the sick man employed." |
— Mais le médecin ? ajouta M. Desmalions. |
"But the doctor?" M. Desmalions objected. |
— Maître Lepertuis, reprit Perenna, avez-vous fait observer au médecin la présence de ces taches brunes ? |
"Maître Lepertuis," Perenna continued, "did you call the doctor's attention to those brown patches?" |
— Oui, il n’y attacha aucune importance. |
"Yes, but he attached no importance to them." |
— C’était son médecin ordinaire ? |
"Was it his ordinary medical adviser?" |
— Non. Son médecin ordinaire, le docteur Pujol, un de mes amis précisément, et qui m’avait adressé à lui comme notaire, était malade. Celui que j’ai vu à son lit de mort devait être un médecin du quartier. |
"No, his ordinary medical adviser, Doctor Pujol, who happens to be a friend of mine and who had recommended me to him as a solicitor, was ill. The doctor whom I saw at his death-bed must have been a local practitioner." |
— Voici son nom et son adresse, dit le préfet de police qui avait cherché le certificat dans le dossier. Docteur Bellavoine, 14, rue d’Astorg. |
"I have his name and address here," said the Prefect of Police, who had turned up the certificate. "Doctor Bellavoine, 14 Rue d'Astorg." |
— Vous avez un annuaire des médecins, monsieur le préfet ? |
"Have you a medical directory, Monsieur le Préfet?" |
M. Desmalions ouvrit un annuaire qu’il feuilleta. Au bout d’un instant, il déclarait : |
M. Desmalions opened a directory and turned over the pages. Presently he declared: |
— Il n’y a pas de docteur Bellavoine, et aucun docteur n’habite au 14 de la rue d’Astorg. |
"There is no Doctor Bellavoine; and there is no doctor living at 14 Rue d'Astorg." |
Un assez long silence suivit cette déclaration. Le secrétaire d’ambassade et l’attaché péruvien avaient suivi l’entretien avec un intérêt passionné. Le commandant d’Astrignac hochait la tête d’un air approbateur : pour lui Perenna ne pouvait pas se tromper. |
The declaration was followed by a silence of some length. The Secretary of the American Embassy and the Peruvian attaché had followed the conversation with eager interest. Major d'Astrignac nodded his head with an air of approval. To his mind, Perenna could not be mistaken. |
Le préfet de police avoua : |
The Prefect of Police confessed: |
— Évidemment… évidemment… il y a là un ensemble de circonstances… plutôt équivoques… Ces taches brunes… ce médecin… C’est une affaire à étudier… Et, comme malgré lui, interrogeant don Luis Perenna, il dit : — Et sans doute, selon vous, il y aurait corrélation entre le crime… possible et le testament de M. Mornington ? |
"Certainly, certainly ... we have a number of circumstances here ... that are fairly ambiguous.... Those brown patches; that doctor.... It's a case that wants looking into." And, questioning Don Luis Perenna as though in spite of himself, he asked, "No doubt, in your opinion, there is a possible connection between the murder ... and Mr. Mornington's will?" |
— Cela je l’ignore, monsieur le préfet. Ou alors il faudrait supposer que quelqu’un connaissait le testament. Croyez-vous que ce soit le cas, maître Lepertuis ? |
"That, Monsieur le Préfet, I cannot tell. If there is, we should have to suppose that the contents of the will were known. Do you think they can have leaked out, Maître Lepertuis?" |
— Je ne crois pas, car M. Mornington semblait agir avec beaucoup de circonspection. |
"I don't think so, for Mr. Mornington seemed to behave with great caution." |
— Et il n’est pas admissible, n’est-ce pas, qu’une indiscrétion ait pu être commise en votre étude ? |
"And there's no question, is there, of any indiscretion committed in your office?" |
— Par qui ? Moi seul ai manié ce testament, et moi seul d’ailleurs ai la clef du coffre où je range tous les soirs les documents de cette importance. |
"By whom? No one handled the will except myself; and I alone have the key of the safe in which I put away documents of that importance every evening." |
— Ce coffre n’a pas été l’objet d’une effraction ? Il n’y a pas eu de cambriolage dans votre étude ? |
"The safe has not been broken into? There has been no burglary at your office?" |
— Non. |
"No." |
— C’est un matin que vous avez vu Cosmo Mornington ? |
"You saw Cosmo Mornington in the morning?" |
— Un vendredi matin. |
"Yes, on a Friday morning." |
— Qu’avez-vous fait du testament jusqu’au soir, jusqu’à l’instant où vous l’avez rangé dans votre coffre-fort ? |
"What did you do with the will until the evening, until you locked it away up your safe?" |
— Probablement l’aurai-je mis dans le tiroir de mon bureau. |
"I probably put it in the drawer of my desk." |
— Et ce tiroir n’a pas été forcé ? |
"And the drawer was not forced?" |
Me Lepertuis parut stupéfait et ne répondit pas. |
Maître Lepertuis seemed taken aback and made no reply. |
— Eh bien ? reprit Perenna. |
"Well?" asked Perenna. |
— Eh bien… oui… je me rappelle… il y a eu quelque chose… ce jour-là, ce même vendredi. |
"Well, yes, I remember ... there was something that day ... that same Friday." |
— Vous êtes sûr ? |
"Are you sure?" |
— Oui. Quand je suis revenu après mon déjeuner, j’ai constaté que le tiroir n’était pas fermé à clef. Pourtant je l’avais fermé, cela sans aucune espèce de doute. Sur le moment, je n’ai attaché à cet incident qu’une importance relative. Aujourd’hui, je comprends… je comprends… |
"Yes. When I came in from lunch I noticed that the drawer was not locked, although I had locked it beyond the least doubt. At the time I attached comparatively little importance to the incident. To-day, I understand, I understand—" |
Ainsi se vérifiaient au fur et à mesure toutes les hypothèses imaginées par don Luis Perenna, hypothèses appuyées, il est vrai, sur quelques indices, mais où il y avait, avant tout, une part d’intuition et de divination, réellement surprenante chez un homme qui n’avait assisté à aucun des événements qu’il reliait entre eux avec tant d’habileté. |
Thus, little by little, were all the suppositions conceived by Don Luis verified: suppositions resting, it is true, upon just one or two clues, but yet containing an amount of intuition, of divination, that was really surprising in a man who had been present at none of the events between which he traced the connection so skilfully. |
— Nous n’allons pas tarder, monsieur, dit le préfet de police, à contrôler vos assertions, un peu hasardées, avouez-le, avec le témoignage plus rigoureux d’un de mes agents que j’ai chargé de cette affaire… et qui devrait être ici. |
"We will lose no time, Monsieur," said the Prefect of Police, "in checking your statements, which you will confess to be a little venturesome, by the more positive evidence of one of my detectives who has the case in charge ... and who ought to be here by now." |
— Son témoignage porte-t-il sur les héritiers de Cosmo Mornington ? demanda le notaire. |
"Does his evidence bear upon Cosmo Mornington's heirs?" asked the solicitor. |
— Sur les héritiers d’abord, puisque avant-hier il me téléphonait qu’il avait réuni tous les renseignements, et aussi sur les points mêmes dont… Mais tenez… je me rappelle qu’il a parlé à mon secrétaire d’un crime commis il y a un mois, jour pour jour. Or, il y a un mois, jour pour jour, que M. Cosmo Mornington… |
"Upon the heirs principally, because two days ago he telephoned to me that he had collected all the particulars, and also upon the very points which—But wait: I remember that he spoke to my secretary of a murder committed a month ago to-day.... Now it's a month to-day since Mr. Cosmo Mornington—" |
D’un coup sec, M. Desmalions appuya sur un timbre. Aussitôt son secrétaire particulier accourut. |
M. Desmalions pressed hard on a bell. His private secretary at once appeared. |
— L’inspecteur Vérot ? demanda vivement le préfet de police. |
"Inspector Vérot?" asked the Prefect sharply. |
— Il n’est pas encore de retour. |
"He's not back yet." |
— Qu’on le cherche ! Qu’on l’amène ! Il faut le trouver à tout prix et sans retard. |
"Have him fetched! Have him brought here! He must be found at all costs and without delay." |
Et, s’adressant à don Luis Perenna : |
He turned to Don Luis Perenna. |
— Voilà une heure que l’inspecteur Vérot est venu ici assez souffrant, très agité, paraît-il, en se disant surveillé, poursuivi. Il avait à me communiquer les déclarations les plus importantes sur l’affaire Mornington et à mettre la police en garde contre deux assassinats qui doivent être commis cette nuit et qui seraient la conséquence du meurtre de Cosmo Mornington. |
"Inspector Vérot was here an hour ago, feeling rather unwell, very much excited, it seems, and declaring that he was being watched and followed. He said he wanted to make a most important statement to me about the Mornington case and to warn the police of two murders which are to be committed to-night ... and which would be a consequence of the murder of Cosmo Mornington." |
— Et il était souffrant ? |
"And he was unwell, you say?" |
— Oui, mal à son aise, et très bizarre même, l’imagination frappée. Par prudence, il m’a fait remettre un rapport détaillé sur l’affaire. Or, ce rapport n’est autre chose qu’une feuille de papier blanc. Voici cette feuille et son enveloppe. Et voici une boîte de carton qu’il a déposée également et qui contenait une tablette de chocolat avec des empreintes de dents. |
"Yes, ill at ease and even very queer and imagining things. By way of being prudent, he left a detailed report on the case for me. Well, the report is simply a blank sheet of letter-paper. "Here is the paper and the envelope in which I found it, and here is a cardboard box which he also left behind him. It contains a cake of chocolate with the marks of teeth on it." |
— Puis-je voir ces deux objets, monsieur le préfet ? |
"May I look at the two things you have mentioned, Monsieur le Préfet?" |
— Oui, mais ils ne vous apprendront rien du tout. |
"Yes, but they won't tell you anything." |
— Peut-être… |
"Perhaps so—" |
Don Luis examina longuement la boîte en carton et l’enveloppe jaune où se lisait l’inscription « Café du Pont-Neuf ». On attendait ses paroles comme si elles eussent dû apporter une lumière imprévue. Il dit simplement : |
Don Luis examined at length the cardboard box and the yellow envelope, on which were printed the words, "Café du Pont-Neuf." The others awaited his words as though they were bound to shed an unexpected light. He merely said: |
« L’écriture n’est pas la même sur l’enveloppe et sur la petite boîte. L’écriture de l’enveloppe est moins nette, un peu tremblante, visiblement imitée. |
"The handwriting is not the same on the envelope and the box. The writing on the envelope is less plain, a little shaky, obviously imitated." |
— Ce qui prouve ?… |
"Which proves—?" |
— Ce qui prouve, monsieur le préfet, que cette enveloppe jaune ne provient pas de votre agent. Je suppose qu’après avoir écrit son rapport sur une table du café du Pont-Neuf et l’avoir cacheté, il aura eu un moment de distraction pendant lequel on a substitué à son enveloppe une autre enveloppe portant la même adresse, mais ne contenant qu’une feuille blanche. |
"Which proves, Monsieur le Préfet, that this yellow envelope does not come from your detective. I presume that, after writing his report at a table in the Café du Pont-Neuf and closing it, he had a moment of inattention during which somebody substituted for his envelope another with the same address, but containing a blank sheet of paper." |
— Supposition ! dit le préfet. |
"That's a supposition!" said the Prefect. |
— Peut-être, mais ce qu’il y a de sûr, monsieur le préfet, c’est que les pressentiments de votre inspecteur sont motivés, qu’il est l’objet d’une surveillance étroite, que les découvertes qu’il a pu faire sur l’héritage Mornington contrarient des manœuvres criminelles, et qu’il court des dangers terribles. |
"Perhaps; but what is certain, Monsieur le Préfet, is that your inspector's presentiments are well-grounded, that he is being closely watched, that the discoveries about the Mornington inheritance which he has succeeded in making are interfering with criminal designs, and that he is in terrible danger." |
— Oh ! Oh ! |
"Come, come!" |
— Il faut le secourir, monsieur le préfet. Depuis le début de cette réunion, la conviction s’impose à moi que nous nous heurtons à une entreprise déjà commencée. Je souhaite qu’il ne soit pas trop tard et que votre inspecteur n’en soit pas la première victime. |
"He must be rescued, Monsieur le Préfet. Ever since the commencement of this meeting I have felt persuaded that we are up against an attempt which has already begun. I hope that it is not too late and that your inspector has not been the first victim." |
— Eh ! monsieur, s’écria le préfet de police, vous affirmez tout cela avec une conviction que j’admire, mais qui ne suffit pas à établir que vos craintes sont justifiées. Le retour de l’inspecteur Vérot en sera la meilleure démonstration. |
"My dear sir," exclaimed the Prefect of Police, "you declare all this with a conviction which rouses my admiration, but which is not enough to establish the fact that your fears are justified. Inspector Vérot's return will be the best proof." |
— L’inspecteur Vérot ne reviendra pas. |
"Inspector Vérot will not return." |
— Mais enfin pourquoi ? |
"But why not?" |
— Parce qu’il est déjà revenu. L’huissier l’a vu revenir. |
"Because he has returned already. The messenger saw him return." |
— L’huissier a la berlue. Si vous n’avez pas d’autre preuve que le témoignage de cet homme… |
"The messenger was dreaming. If you have no proof but that man's evidence—" |
— J’en ai une autre, monsieur le préfet, et que l’inspecteur Vérot a laissée ici même de sa présence… Ces quelques mots presque indéchiffrables, qu’il a griffonnés sur le bloc-notes, que votre secrétaire ne l’a pas vu écrire, et qui viennent de me tomber sous les yeux. Les voici. N’est-ce pas une preuve qu’il est revenu ? Et une preuve formelle ! |
"I have another proof, Monsieur le Préfet, which Inspector Vérot himself has left of his presence here: these few, almost illegible letters which he scribbled on this memorandum pad, which your secretary did not see him write and which have just caught my eye. Look at them. Are they not a proof, a definite proof that he came back?" |
Le préfet ne cacha pas son trouble. Tous les assistants paraissaient émus. Le retour du secrétaire ne fit qu’augmenter les appréhensions. Personne n’avait vu l’inspecteur Vérot. |
The Prefect did not conceal his perturbation. The others all seemed impressed. The secretary's return but increased their apprehensions: nobody had seen Inspector Vérot. |
— Monsieur le préfet, prononça don Luis, j’insiste vivement pour qu’on interroge l’huissier. |
"Monsieur le Préfet," said Don Luis, "I earnestly beg you to have the office messenger in." |
Et dès que l’huissier fut là il lui demanda, sans même attendre l’intervention de M. Desmalions : |
And, as soon as the messenger was there, he asked him, without even waiting for M. Desmalions to speak: |
— Êtes-vous sûr que l’inspecteur Vérot soit rentré une seconde fois dans cette pièce ? |
"Are you sure that Inspector Vérot entered this room a second time?" |
— Absolument sûr. |
"Absolutely sure." |
— Et qu’il n’en soit pas sorti ? |
"And that he did not go out again?" |
— Absolument sûr. |
"Absolutely sure." |
— Vous n’avez pas eu la moindre minute d’inattention ? |
"And your attention was not distracted for a moment?" |
— Pas la moindre. |
"Not for a moment." |
Le préfet s’écria : — Vous voyez bien, monsieur ! Si l’inspecteur Vérot était ici, nous le saurions. |
"There, Monsieur, you see!" cried the Prefect. "If Inspector Vérot were here, we should know it." |
— Il est ici, monsieur le préfet. |
"He is here, Monsieur le Préfet." |
— Quoi ? |
"What!" |
— Excusez mon obstination, monsieur le préfet, mais je dis que quand quelqu’un entre dans une pièce et qu’il n’en sort pas, c’est qu’il s’y trouve encore. |
"Excuse my obstinacy, Monsieur le Préfet, but I say that, when some one enters a room and does not go out again, he is still in that room." |
— Caché ? fit M. Desmalions qui s’irritait de plus en plus. |
"Hiding?" said M. Desmalions, who was growing more and more irritated. |
— Non, mais évanoui, malade… mort peut-être. |
"No, but fainting, ill—dead, perhaps." |
— Mais où ? que diable ! |
"But where, hang it all?" |
— Derrière ce paravent. |
"Behind that screen." |
— Il n’y a rien derrière ce paravent, rien qu’une porte. |
"There's nothing behind that screen, nothing but a door." |
— Et cette porte ? |
"And that door—?" |
— Donne sur un cabinet de toilette. |
"Leads to a dressing-room." |
— Eh bien, monsieur le préfet, l’inspecteur Vérot, étourdi, titubant, croyant passer de votre bureau dans celui de votre secrétaire, est tombé dans ce cabinet de toilette. |
"Well, Monsieur le Préfet, Inspector Vérot, tottering, losing his head, imagining himself to be going from your office to your secretary's room, fell into your dressing-room." |
M. Desmalions se précipita, mais, au moment d’ouvrir la porte, il eut un geste de recul. Était-ce appréhension ? désir de se soustraire à l’influence de cet homme stupéfiant qui donnait des ordres avec tant d’autorité et qui semblait commander aux événements eux-mêmes ? Don Luis demeurait imperturbable, en une attitude pleine de déférence. |
M. Desmalions ran to the door, but, at the moment of opening it, shrank back. Was it apprehension, the wish to withdraw himself from the influence of that astonishing man, who gave his orders with such authority and who seemed to command events themselves? Don Luis stood waiting imperturbably, in a deferential attitude. |
— Je ne puis croire…, dit M. Desmalions. |
"I cannot believe—" said M. Desmalions. |
— Monsieur le préfet, je vous rappelle que les révélations de l’inspecteur Vérot peuvent sauver la vie à deux personnes qui doivent mourir cette nuit. Chaque minute perdue est irréparable. |
"Monsieur le Préfet, I would remind you that Inspector Vérot's revelations may save the lives of two persons who are doomed to die to-night. Every minute lost is irreparable." |
M. Desmalions haussa les épaules. Mais cet homme le dominait de toute sa conviction. Il ouvrit. |
M. Desmalions shrugged his shoulders. But that man mastered him with the power of his conviction; and the Prefect opened the door. |
Il ne fit pas un mouvement, il ne poussa pas un cri. Il murmura simplement : |
He did not make a movement, did not utter a cry. He simply muttered: |
— Oh ! est-ce possible !… |
"Oh, is it possible!—" |
À la lueur pâle d’un peu de jour qui entrait par une fenêtre aux vitres dépolies, on apercevait le corps d’un homme qui gisait à terre. |
By the pale gleam of light that entered through a ground-glass window they saw the body of a man lying on the floor. |
— L’inspecteur… l’inspecteur Vérot… balbutia l’huissier qui s’était élancé. |
"The inspector! Inspector Vérot!" gasped the office messenger, running forward. |
Avec l’aide du secrétaire, il put soulever le corps et l’asseoir sur un fauteuil du cabinet de travail. |
He and the secretary raised the body and placed it in an armchair in the Prefect's office. |
L’inspecteur Vérot vivait encore, mais si faiblement qu’on entendait à peine les battements de son cœur. Un peu de salive coulait au coin de sa bouche. Les yeux n’avaient pas d’expression. Cependant certains muscles du visage remuaient, peut-être sous l’effort d’une volonté qui persistait, au-delà de la vie aurait-on pu dire. |
Inspector Vérot was still alive, but so little alive that they could scarcely hear the beating of his heart. A drop of saliva trickled from the corner of his mouth. His eyes were devoid of all expression. However, certain muscles of the face kept moving, perhaps with the effort of a will that seemed to linger almost beyond life. |
Don Luis murmura : |
Don Luis muttered: |
— Regardez, monsieur le préfet… les taches brunes… |
"Look, Monsieur le Préfet—the brown patches!" |
Une même épouvante bouleversa les assistants qui se mirent à sonner et à ouvrir les portes en appelant au secours. |
The same dread unnerved all. They began to ring bells and open doors and call for help. |
— Le docteur !… ordonnait M. Desmalions, qu’on amène un docteur… le premier venu, et un prêtre… On ne peut pourtant pas laisser cet homme… |
"Send for the doctor!" ordered M. Desmalions. "Tell them to bring a doctor, the first that comes—and a priest. We can't let the poor man—" |
Don Luis leva le bras pour réclamer du silence. |
Don Luis raised his arm to demand silence. |
— Il n’y a plus rien à faire, dit-il… Tâchons plutôt de profiter de ces dernières minutes… Voulez-vous me permettre, monsieur le préfet ?… |
"There is nothing more to be done," he said. "We shall do better to make the most of these last moments. Have I your permission, Monsieur le Préfet?" |
Il s’inclina sur le moribond, renversa la tête branlante contre le dossier du fauteuil, et, d’une voix très douce, chuchota : |
He bent over the dying man, laid the swaying head against the back of the chair, and, in a very gentle voice, whispered: |
— Vérot, c’est le préfet qui vous parle. Nous voudrions avoir quelques renseignements sur ce qui doit se passer cette nuit. Vous m’entendez bien, Vérot ? Si vous m’entendez, fermez les paupières. |
"Vérot, it's Monsieur le Préfet speaking to you. We should like a few particulars about what is to take place to-night. Do you hear me, Vérot? If you hear me, close your eyelids." |
Les paupières s’abaissèrent. Mais n’était-ce pas le hasard ? Don Luis continua : |
The eyelids were lowered. But was it not merely chance? Don Luis went on: |
— Vous avez retrouvé les héritiers des sœurs Roussel, cela nous le savons, et ce sont deux de ces héritiers qui sont menacés de mort… Le double crime doit être commis cette nuit. Mais le nom de ces héritiers, qui sans doute ne s’appellent plus Roussel, nous est inconnu. Il faut nous le dire. Écoutez-moi bien : vous avez inscrit sur un bloc-notes trois lettres qui paraissent former la syllabe FAU… Est-ce que je me trompe ? Est-ce le commencement d’un nom ? Quelle est la lettre qui suit ces trois lettres ?… Est-ce un B ? un C ? |
"You have found the heirs of the Roussel sisters, that much we know; and it is two of those heirs who are threatened with death. The double murder is to be committed to-night. But what we do not know is the name of those heirs, who are doubtless not called Roussel. You must tell us the name. "Listen to me: you wrote on a memorandum pad three letters which seem to form the syllable Fau.... Am I right? Is this the first syllable of a name? Which is the next letter after those three? Close your eyes when I mention the right letter. Is it 'b?' Is it 'c?'" |
Mais plus rien ne remuait dans le visage blême de l’inspecteur. La tête retomba lourdement sur la poitrine. Il poussa deux ou trois soupirs, fut secoué d’un grand frisson, et ne bougea plus. |
But there was now not a flicker in the inspector's pallid face. The head dropped heavily on the chest. Vérot gave two or three sighs, his frame shook with one great shiver, and he moved no more. |
Il était mort. |
He was dead. |
|
Chapitre II.L’homme qui doit mourir |
Chapter 2:A Man Dead |
La scène tragique s’était déroulée avec une telle rapidité que les personnes qui en furent les témoins frémissants demeurèrent un moment confondues. Le notaire fit un signe de croix et s’agenouilla. Le préfet murmura : |
The tragic scene had been enacted so swiftly that the men who were its shuddering spectators remained for a moment confounded. The solicitor made the sign of the cross and went down on his knees. The Prefect murmured: |
— Pauvre Vérot… un brave homme qui ne songeait qu’au service, qu’au devoir… Au lieu d’aller se faire soigner, et qui sait ? peut-être l’eût-on sauvé, il est revenu ici dans l’espoir de livrer son secret. Pauvre Vérot… |
"Poor Vérot!... He was a good man, who thought only of the service, of his duty. Instead of going and getting himself seen to--and who knows? Perhaps he might have been saved--he came back here in the hope of communicating his secret. Poor Vérot!--" |
— Une femme ? des enfants ? demanda anxieusement don Luis. |
"Was he married? Are there any children?" asked Don Luis. |
— Une femme et trois enfants, répondit le préfet. |
"He leaves a wife and three children," replied the Prefect. |
— Je me charge d’eux, déclara don Luis simplement. |
"I will look after them," said Don Luis simply. |
Puis, comme on amenait un médecin, et que M. Desmalions donnait des ordres pour qu’on transportât le cadavre dans une pièce voisine, il prit le médecin à part et lui dit : |
Then, when they brought a doctor and when M. Desmalions gave orders for the corpse to be carried to another room, Don Luis took the doctor aside and said: |
— Il est hors de doute que l’inspecteur Vérot a été empoisonné. Regardez son poignet, vous observerez la trace d’une piqûre, entourée d’un cercle d’inflammation. |
"There is no doubt that Inspector Vérot was poisoned. Look at his wrist: you will see the mark of a puncture with a ring of inflammation round it." |
— On l’aurait donc piqué là ? |
"Then he was pricked in that place?" |
— Oui, à l’aide d’une épingle ou d’un bec de plume, et pas aussi violemment qu’on l’eût voulu, puisque la mort n’est survenue que quelques heures après. |
"Yes, with a pin or the point of a pen; and not as violently as they may have wished, because death did not ensue until some hours later." |
Les huissiers emportèrent le cadavre, et bientôt il ne resta plus dans le cabinet du préfet que les cinq personnages qu’il y avait convoqués. |
The messengers removed the corpse; and soon there was no one left in the office except the five people whom the Prefect had originally sent for. |
Le secrétaire d’ambassade américain et l’attaché péruvien, jugeant leur présence inutile, s’en allèrent, après avoir chaudement félicité don Luis Perenna de sa clairvoyance. |
The American Secretary of Embassy and the Peruvian attaché, considering their continued presence unnecessary, went away, after warmly complimenting Don Luis Perenna on his powers of penetration. |
Puis ce fut le tour du commandant d’Astrignac, qui secoua la main de son ancien subordonné avec une affection visible. Et Me Lepertuis et Perenna, ayant pris rendez-vous pour la délivrance du legs, étaient eux-mêmes sur le point de se retirer, quand M. Desmalions entra vivement. |
Next came the turn of Major d'Astrignac, who shook his former subordinate by the hand with obvious affection. And Maître Lepertais and Perenna, having fixed an appointment for the payment of the legacy, were themselves on the point of leaving, when M. Desmalions entered briskly. |
— Ah ! vous êtes encore là, don Luis Perenna… Tant mieux !… Une idée qui me frappe… Ces trois lettres que vous avez cru déchiffrer sur le bloc-notes… vous êtes certain qu’il y a bien la syllabe Fau ?… |
"Ah, so you're still here, Don Luis Perenna! I'm glad of that. I have an idea: those three letters which you say you made out on the writing-table, are you sure they form the syllable Fau?" |
— Il me semble, monsieur le préfet. Tenez, n’est-ce pas les trois lettres F, A et U ?… Et remarquez que la lettre F est tracée en majuscule ? Ce qui me fait supposer que cette syllabe est le début d’un nom propre. |
"I think so, Monsieur le Préfet. See for yourself: are not these an 'F,' an 'A' and a 'U?' And observe that the 'F' is a capital, which made me suspect that the letters are the first syllable of a proper name." |
— En effet, en effet, dit M. Desmalions. Eh bien, il se présente ceci de curieux, c’est que cette syllabe est justement… Du reste, nous allons vérifier… |
"Just so, just so," said M. Desmalions. "Well, curiously enough, that syllable happens to be--But wait, we'll verify our facts--" |
D’une main hâtive, M. Desmalions feuilletait la correspondance que son secrétaire lui avait remise à son arrivée et qui se trouvait rangée sur un coin de la table. |
M. Desmalions searched hurriedly among the letters which his secretary had handed him on his arrival and which lay on a corner of the table. |
— Ah ! voici, s’exclama-t-il, en saisissant une lettre et en se reportant aussitôt à la signature… Voici… C’est bien ce que je croyais… Fauville… la syllabe initiale est la même… Regardez, Fauville tout court, sans prénom… La lettre a dû être écrite dans un moment de fièvre… Il n’y a ni date ni adresse… L’écriture est tremblée… |
"Ah, here we are!" he exclaimed, glancing at the signature of one of the letters. "Here we are! It's as I thought: 'Fauville.' ... The first syllable is the same.... Look, 'Fauville,' just like that, without Christian name or initials. The letter must have been written in a feverish moment: there is no date nor address.... The writing is shaky--" |
Et M. Desmalions lut à haute voix : |
And M. Desmalions read out: |
Monsieur le préfet,
Un grand danger est suspendu sur ma tête et sur la tête de mon fils. La mort approche à grands pas. J’aurai cette nuit, ou demain matin au plus tard, les preuves de l’abominable complot qui nous menace. Je vous demande la permission de vous les apporter dans la matinée. J’ai besoin de protection et je vous appelle à mon secours. « Veuillez agréer, etc.
« Fauville » |
"MONSIEUR LE PRÉFET: "A great danger is hanging over my head and over the head of my son. Death is approaching apace. I shall have to-night, or to-morrow morning at the latest, the proofs of the abominable plot that threatens us. I ask leave to bring them to you in the course of the morning. I am in need of protection and I call for your assistance. "Permit me to be, etc. FAUVILLE." |
— Pas d’autre désignation ? fit Perenna. Aucun entête ? |
"No other designation?" asked Perenna. "No letter-heading?" |
— Rien, mais il n’y a pas d’erreur. Les déclarations de l’inspecteur Vérot coïncident d’une façon trop évidente avec cet appel désespéré. C’est bien M. Fauville et son fils qui doivent être assassinés cette nuit. Et ce qu’il y a de terrible, c’est que le nom de Fauville étant très répandu, il est impossible que nos recherches aboutissent à temps. |
"None. But there is no mistake. Inspector Vérot's declarations agree too evidently with this despairing appeal. It is clearly M. Fauville and his son who are to be murdered to-night. And the terrible thing is that, as this name of Fauville is a very common one, it is impossible for our inquiries to succeed in time." |
— Comment ! monsieur le préfet, mais à tout prix… |
"What, Monsieur le Préfet? Surely, by straining every nerve--" |
— À tout prix, certes, et je vais mettre tout le monde sur pied. Mais notez bien que nous n’avons pas le moindre indice. |
"Certainly, we will strain every nerve; and I shall set all my men to work. But observe that we have not the slightest clue." |
— Ah ! s’écria don Luis, ce serait effrayant. Ces deux êtres qui doivent mourir et que nous ne pourrions sauver. Monsieur le préfet, je vous en supplie, prenez cette affaire en main. Par la volonté de Cosmo Mornington, vous y êtes mêlé dès la première heure, et par votre autorité et votre expérience vous lui donnerez une impulsion plus vigoureuse. |
"Oh, it would be awful!" cried Don Luis. "Those two creatures doomed to death; and we unable to save them! Monsieur le Préfet, I ask you to authorize me--" |
— Cela concerne la Sûreté… le parquet… objecta M. Desmalions. |
|
— Certes, monsieur le préfet. Mais ne croyez-vous pas qu’il y a des moments où le chef a seul qualité pour agir ? Excusez mon insistance… |
|
Il n’avait pas achevé ces mots que le secrétaire particulier du préfet entra avec une carte à la main. |
He had not finished speaking when the Prefect's private secretary entered with a visiting-card in his hand. |
— Monsieur le préfet, cette personne insiste tellement… j’ai hésité… |
"Monsieur le Préfet, this caller was so persistent.... I hesitated--" |
M. Desmalions saisit la carte et jeta une exclamation de surprise et de joie. |
M. Desmalions took the card and uttered an exclamation of mingled surprise and joy. |
— Regardez, monsieur, dit-il à Perenna qui lut ces mots : |
"Look, Monsieur," he said to Perenna. And he handed him the card. |
Hippolyte
Fauville,
Ingénieur, 14 bis, boulevard Suchet. |
_Hippolyte Fauville, Civil Engineer. 14 bis Boulevard Suchet._ |
— Allons, fit M. Desmalions, le hasard veut que tous les fils de cette affaire viennent se placer dans mes mains, et que je sois amené à m’en occuper selon votre désir, monsieur. D’ailleurs, il semble que les événements tournent en notre faveur. Si ce monsieur Fauville est un des héritiers Roussel, la tâche sera simplifiée. |
"Come," said M. Desmalions, "chance is favouring us. If this M. Fauville is one of the Roussel heirs, our task becomes very much easier." |
— En tout cas, monsieur le préfet, objecta le notaire, je vous rappellerai qu’une des clauses du testament stipule que la lecture n’en doit être faite que dans quarante-huit heures. Ainsi donc M. Fauville ne doit pas encore être mis au courant… |
"In any case, Monsieur le Préfet," the solicitor interposed, "I must remind you that one of the clauses of the will stipulates that it shall not be read until forty-eight hours have elapsed. M. Fauville, therefore, must not be informed--" |
La porte du bureau s’entrouvrit à peine, un homme bouscula l’huissier et entra brusquement. |
The door was pushed open and a man hustled the messenger aside and rushed in. |
Il bredouillait : — L’inspecteur… l’inspecteur Vérot ? Il est mort, n’est-ce pas ? On m’a dit… |
"Inspector ... Inspector Vérot?" he spluttered. "He's dead, isn't he? I was told--" |
— Oui, monsieur, il est mort. |
"Yes, Monsieur, he is dead." |
— Trop tard ! J’arrive trop tard, balbutia-t-il. |
"Too late! I'm too late!" he stammered. |
Et il s’effondra, les mains jointes, en sanglotant : |
And he sank into a chair, clasping his hands and sobbing: |
— Ah ! les misérables ! les misérables ! |
"Oh, the scoundrels! the scoundrels!" |
Son crâne chauve surmontait un front que rayaient des rides profondes. Un tic nerveux agitait son menton et tirait les lobes de ses oreilles. C’était un homme de cinquante ans environ, très pâle, les joues creuses, l’air maladif. Des larmes roulaient dans ses yeux. |
He was a pale, hollow-cheeked, sickly looking man of about fifty. His head was bald, above a forehead lined with deep wrinkles. A nervous twitching affected his chin and the lobes of his ears. Tears stood in his eyes. |
Le préfet lui dit : |
The Prefect asked: |
— De qui parlez-vous, monsieur ? De ceux qui ont tué l’inspecteur Vérot ? Vous est-il possible de les désigner, de guider notre enquête ?… |
"Whom do you mean, Monsieur? Inspector Vérot's murderers? Are you able to name them, to assist our inquiry?" |
Hippolyte Fauville hocha la tête. |
Hippolyte Fauville shook his head. |
— Non, non. Pour l’instant, cela ne servirait de rien… Mes preuves ne suffiraient pas… Non, en vérité, non. |
"No, no, it would be useless, for the moment.... My proofs would not be sufficient.... No, really not." |
Il s’était levé déjà et s’excusait : |
He had already risen from his chair and stood apologizing: |
— Monsieur le préfet, je vous ai dérangé inutilement… mais je voulais savoir… J’espérais que l’inspecteur Vérot aurait échappé… Son témoignage réuni au mien aurait été précieux. Mais peut-être a-t-il pu vous prévenir ? |
"Monsieur le Préfet, I have disturbed you unnecessarily, but I wanted to know.... I was hoping that Inspector Vérot might have escaped.... His evidence, joined to mine, would have been invaluable. But perhaps he was able to tell you?" |
— Non, il a parlé de ce soir… de cette nuit… |
"No, he spoke of this evening--of to-night--" |
Hippolyte Fauville sursauta. |
Hippolyte Fauville started. |
— De ce soir ! Alors, ce serait déjà heure… Mais non, mais non, c’est impossible, ils ne peuvent rien encore contre moi… Ils ne sont pas prêts. |
"This evening! Then the time has come!... But no, it's impossible, they can't do anything to me yet.... They are not ready--" |
— L’inspecteur Vérot affirme pourtant que le double crime doit être commis cette nuit. |
"Inspector Vérot declared, however, that the double murder would be committed to-night." |
— Non, monsieur le préfet… Là, il se trompe… Je le sais bien, moi… Demain soir, au plus tôt. Et nous les prendrons au piège… Ah les misérables… |
"No, Monsieur le Préfet, he was wrong there.... I know all about it.... To-morrow evening at the earliest ... and we will catch them in a trap.... Oh, the scoundrels!" |
Don Luis s’approcha et lui dit : |
Don Luis went up to him and asked: |
— Votre mère s’appelait bien Ermeline Roussel, n’est-ce pas ? |
"Your mother's name was Ermeline Roussel, was it not?" |
— Oui, Ermeline Roussel. Elle est morte maintenant. |
"Yes, Ermeline Roussel. She is dead now." |
— Et elle était bien de Saint-Étienne ? |
"And she was from Saint-Etienne?" |
— Oui… Mais pourquoi ces questions ?… |
"Yes. But why these questions?" |
— Monsieur le préfet vous expliquera demain… Un mot encore. |
"Monsieur le Préfet will tell you to-morrow. One word more." |
Il ouvrit la boîte de carton déposée par l’inspecteur Vérot. |
He opened the cardboard box left by Inspector Vérot. |
— Cette tablette de chocolat a-t-elle une signification pour vous ? Ces empreintes ?… |
"Does this cake of chocolate mean anything to you? These marks?" |
— Oh ! fit l’ingénieur, la voix sourde… Quelle infamie !… Où l’inspecteur a-t-il trouvé cela ? |
"Oh, how awful!" said the civil engineer, in a hoarse tone. "Where did the inspector find it?" |
Il eut encore une défaillance, mais très courte, et, se redressant aussitôt, il se hâta vers la porte, d’un pas saccadé. |
He dropped into his chair again, but only for a moment; then, drawing himself up, he hurried toward the door with a jerky step. |
— Je m’en vais, monsieur le préfet, je m’en vais. Demain matin, je vous raconterai… J’aurai toutes les preuves… et la justice me protégera… Je suis malade, c’est vrai, mais enfin, je veux vivre !… J’ai le droit de vivre… et mon fils aussi… Et nous vivrons… Oh ! les misérables… |
"I'm going, Monsieur le Préfet, I'm going. To-morrow morning I'll show you.... I shall have all the proofs.... And the police will protect me.... I am ill, I know, but I want to live! I have the right to live ... and my son, too.... And we will live.... Oh, the scoundrels!--" |
Et il sortit en courant, à l’allure d’un homme ivre. |
And he ran, stumbling out, like a drunken man. |
M. Desmalions se leva précipitamment. |
M. Desmalions rose hastily. |
— Je vais faire prendre des renseignements sur l’entourage de cet homme… faire surveiller sa demeure. J’ai déjà téléphoné à la Sûreté. J’attends quelqu’un en qui j’ai toute confiance. |
"I shall have inquiries made about that man's circumstances.... I shall have his house watched. I've telephoned to the detective office already. I'm expecting some one in whom I have every confidence." |
Don Luis déclara : |
Don Luis said: |
— Monsieur le préfet, je vous conjure, accordez-moi l’autorisation de poursuivre cette affaire sous vos ordres. Le testament de Cosmo Mornington m’en fait un devoir, et, permettez-moi de le dire, m’en donne le droit. Les ennemis de M. Fauville sont d’une adresse et d’une audace extraordinaires. Je tiens à l’honneur d’être au poste, ce soir, chez lui et auprès de lui. |
"Monsieur le Préfet, I beg you, with an earnestness which you will understand, to authorize me to pursue the investigation. Cosmo Mornington's will makes it my duty and, allow me to say, gives me the right to do so. M. Fauville's enemies have given proofs of extraordinary cleverness and daring. I want to have the honour of being at the post of danger to-night, at M. Fauville's house, near his person." |
Le préfet hésita. Comment n’eût-il pas songé à l’intérêt considérable que don Luis Perenna avait à ce qu’aucun des héritiers Mornington ne fût retrouvé, ou du moins ne pût s’interposer entre lui et les millions de l’héritage ? Devait-on attribuer à un noble sentiment de gratitude, à une conception supérieure de l’amitié et du devoir, ce désir étrange de protéger Hippolyte Fauville contre la mort qui le menaçait ? |
The Prefect hesitated. He was bound to reflect how greatly to Don Luis Perenna's interest it was that none of the Mornington heirs should be discovered, or at least be able to come between him and the millions of the inheritance. Was it safe to attribute to a noble sentiment of gratitude, to a lofty conception of friendship and duty, that strange longing to protect Hippolyte Fauville against the death that threatened him? |
Durant quelques secondes, M. Desmalions observa ce visage résolu, ces yeux intelligents, à la fois ironiques et ingénus, graves et souriants, au travers desquels on ne pouvait certes pas pénétrer jusqu’à l’énigme secrète de l’individu, mais qui vous regardaient avec une telle expression de sincérité et de franchise. Puis il appela son secrétaire. |
For some seconds M. Desmalions watched that resolute face, those intelligent eyes, at once innocent and satirical, grave and smiling, eyes through which you could certainly not penetrate their owner's baffling individuality, but which nevertheless looked at you with an expression of absolute frankness and sincerity. Then he called his secretary: |
— On est venu de la Sûreté ? |
"Has any one come from the detective office?" |
— Oui, monsieur le préfet, le brigadier Mazeroux est là. |
"Yes, Monsieur le Préfet; Sergeant Mazeroux is here." |
— Veuillez dire qu’on l’introduise. |
"Please have him shown in." |
Et, se tournant vers Perenna : |
And, turning to Perenna: |
— Le brigadier Mazeroux est un de nos meilleurs agents. Je l’employais concurremment avec ce pauvre Vérot lorsque j’avais besoin de quelqu’un de débrouillard et d’actif. Il vous sera très utile. |
"Sergeant Mazeroux is one of our smartest detectives. I used to employ him together with that poor Vérot when I wanted any one more than ordinarily active and sharp. He will be of great use to you." |
* * * * * |
|
Le brigadier Mazeroux entra. C’était un petit homme sec et robuste, auquel ses moustaches tombantes, ses paupières lourdes, ses yeux larmoyants, ses cheveux plats et longs donnaient l’air le plus mélancolique. Le préfet lui dit : |
Sergeant Mazeroux entered. He was a short, lean, wiry man, whose drooping moustache, heavy eyelids, watery eyes and long, lank hair gave him a most doleful appearance. |
— Mazeroux, vous devez connaître déjà la mort de votre camarade Vérot et les circonstances atroces de cette mort. Il s’agit de le venger et de prévenir d’autres crimes. Monsieur, qui connaît l’affaire à fond, vous fournira toutes les explications nécessaires. Vous marcherez d’accord avec lui, et demain matin vous me rendrez compte de ce qui s’est passé. |
"Mazeroux," said the Prefect, "you will have heard, by this time, of your comrade Vérot's death and of the horrible circumstances attending it. We must now avenge him and prevent further crimes. This gentleman, who knows the case from end to end, will explain all that is necessary. You will work with him and report to me to-morrow morning." |
C’était donner le champ libre à don Luis Perenna et se confier à son initiative et à sa clairvoyance. Don Luis s’inclina. |
This meant giving a free hand to Don Luis Perenna and relying on his power of initiative and his perspicacity. Don Luis bowed: |
— Je vous remercie, monsieur le préfet. J’espère que vous n’aurez pas à regretter le crédit que vous voulez bien m’accorder. |
"I thank you, Monsieur le Préfet. I hope that you will have no reason to regret the trust which you are good enough to place in me." |
Et, prenant congé de M. Desmalions et de Me Lepertuis, il sortit avec le brigadier Mazeroux. |
And, taking leave of M. Desmalions and Maître Lepertuis, he went out with Sergeant Mazeroux. |
Dehors il raconta ce qu’il savait à Mazeroux, lequel sembla fort impressionné par les qualités professionnelles de son compagnon et tout disposé à se laisser conduire par lui. |
As soon as they were outside, he told Mazeroux what he knew. The detective seemed much impressed by his companion's professional gifts and quite ready to be guided by his views. |
Ils décidèrent de passer d’abord au café du Pont-Neuf. Là ils apprirent que l’inspecteur Vérot, un habitué de l’établissement, avait, en effet le matin, écrit une longue lettre. Et le garçon de table se rappela fort bien que son voisin de table, entré presque en même temps que l’inspecteur, avait demandé également du papier à lettre et réclamé deux fois des enveloppes jaunes. |
They decided first to go to the Café du Pont-Neuf. Here they learned that Inspector Vérot, who was a regular customer of the place, had written a long letter there that morning. And the waiter remembered that a man at the next table, who had entered the café at almost the same time as the inspector, had also asked for writing-paper and called twice for yellow envelopes. |
— C’est bien cela, dit Mazeroux à don Luis. Il y a eu, comme vous le pensiez, substitution de lettres. |
"That's it," said Mazeroux to Don Luis. "As you suspected, one letter has been substituted for the other." |
Quant au signalement que le garçon put donner, il était suffisamment explicite : un individu de taille élevée, un peu voûté, qui portait une barbe châtaine coupée en pointe, un lorgnon d’écaille retenu par un cordonnet de soie noire, et une canne d’ébène dont la poignée d’argent formait une tête de cygne. |
The description given by the waiter was pretty explicit: a tall man, with a slight stoop, wearing a reddish-brown beard cut into a point, a tortoise-shell eyeglass with a black silk ribbon, and an ebony walking-stick with a handle shaped like a swan's head. |
— Avec cela, dit Mazeroux, la police peut marcher. |
"That's something for the police to go upon," said Mazeroux. |
Ils allaient sortir du café, lorsque don Luis arrêta son compagnon. |
They were leaving the café when Don Luis stopped his companion. |
— Un instant. |
"One moment." |
— Qu’y a-t-il ? |
"What's the matter?" |
— Nous avons été suivis… |
"We've been followed." |
— Suivis ! Elle est raide celle-là. Et par qui donc ? |
"Followed? What next? And by whom, pray?" |
— Aucune importance. Je sais ce que c’est, et j’aime autant régler cette histoire-là en un tournemain. Attendez-moi. Je reviens, et vous ne vous ennuierez pas, je vous le promets. Vous, allez voir un type à la hauteur. |
"No one that matters. I know who it is and I may as well settle his business and have done with it. Wait for me. I shall be back; and I'll show you some fun. You shall see one of the 'nuts,' I promise you." |
Il revint, en effet, au bout d’une minute, avec un monsieur mince et grand, au visage encadré de favoris. |
He returned in a minute with a tall, thin man with his face set in whiskers. |
Il fit les présentations : |
He introduced him: |
« Monsieur Mazeroux, un de mes amis. Monsieur Cacérès, attaché à la légation péruvienne, et qui, tout à l’heure, assistait à l’entrevue chez le préfet. C’est M. Cacérès qui fut chargé par le ministre du Pérou de réunir les pièces relatives à mon identité. » |
"M. Mazeroux, a friend of mine, Señor Caceres, an attaché at the Peruvian Legation. Señor Caceres took part in the interview at the Prefect's just now. It was he who, on the Peruvian Minister's instructions, collected the documents bearing upon my identity." |
Et gaiement, il ajouta : — Alors, cher monsieur Cacérès, vous me cherchiez… J’avais bien cru, en effet, quand nous sommes sortis de la Préfecture… |
And he added gayly: "So you were looking for me, dear Señor Caceres. Indeed, I expected, when we left the police office--" |
L’attaché péruvien fit un signe et montra le brigadier Mazeroux. Perenna reprit : |
The Peruvian attaché made a sign and pointed to Sergeant Mazeroux. Perenna replied: |
— Je vous en supplie… Que monsieur Mazeroux ne vous gêne pas !… Vous pouvez parler devant lui… Il est très discret… et d’ailleurs il est au courant de la question. |
"Oh, pray don't mind M. Mazeroux! You can speak before him; he is the soul of discretion. Besides, he knows all about the business." |
L’attaché se taisait. Perenna le fit asseoir en face de lui. |
The attaché was silent. Perenna made him sit down in front of him. |
— Parlez sans détours, cher monsieur Cacérès. C’est un sujet qui doit être traité carrément et où, même, je ne redoute pas une certaine crudité de mots. Que de temps gagné de la sorte ! Allons-y. Il vous faut de l’argent n’est-ce pas ? Ou, du moins, un supplément d’argent. Combien ? |
"Speak without beating about the bush, dear Señor Caceres. It's a subject that calls for plain dealing; and I don't mind a blunt word or two. It saves such a lot of time! Come on. You want money, I suppose? Or, rather, more money. How much?" |
Le Péruvien eut une dernière hésitation, jeta un coup d’œil sur le compagnon de don Luis, puis, se décidant tout à coup, prononça, d’une voix sourde : |
The Peruvian had a final hesitation, gave a glance at Don Luis's companion, and then, suddenly making up his mind, said in a dull voice: |
— Cinquante mille francs ! |
"Fifty thousand francs!" |
— Bigre de bigre ! s’écria don Luis, vous êtes gourmand ! Qu’est-ce que vous en dites, monsieur Mazeroux ? Cinquante mille francs, c’est une somme. D’autant plus… Voyons, mon cher Cacérès, récapitulons. |
"Oh, by Jove, by Jove!" cried Don Luis. "You're greedy, you know! What do you say, M. Mazeroux? Fifty thousand francs is a lot of money. Especially as--Look here, my dear Caceres, let's go over the ground again. |
Il y a quelques années, ayant eu l’honneur de lier connaissance avec vous en Algérie, où vous étiez de passage, ayant compris d’autre part à qui j’avais affaire, je vous ai demandé s’il vous était possible de m’établir, en trois ans, avec mon nom de Perenna, une personnalité hispano-péruvienne, munie de papiers indiscutables et d’ancêtres respectables. Vous m’avez répondu : « Oui. » Le prix fut fixé : vingt mille francs. La semaine dernière, le préfet de police m’ayant fait dire de lui communiquer mes papiers, j’allai vous voir, et j’appris de vous que vous étiez justement chargé d’une enquête sur mes origines. |
"Three years ago I had the honour of making your acquaintance in Algeria, when you were touring the country. At the same time, I understood the sort of man you were; and I asked you if you could manage, in three years, with my name of Perenna, to fix me up a Spanish-Peruvian identity, furnished with unquestionable papers and respectable ancestors. You said, 'Yes,' We settled the price: twenty thousand francs. Last week, when the Prefect of Police asked me for my papers, I came to see you and learned that you had just been instructed to make inquiries into my antecedents. |
D’ailleurs, tout était prêt. Avec les papiers convenablement mis au point de feu Perenna, noble hispano-péruvien, vous m’aviez confectionné un état civil de tout premier ordre. Après entente sur ce qu’il y avait à dire devant le préfet de police, je versai les vingt mille francs. Nous étions quittes. Que voulez-vous de plus ? |
"Everything was ready, as it happened. With the papers of a deceased Peruvian nobleman, of the name of Pereira, properly revised, you had faked me up a first-rate civic status. We arranged what you were to say before the Prefect of Police; and I paid up the twenty thousand. We were quits. What more do you want?" |
L’attaché péruvien ne montrait plus le moindre embarras. Il posa ses deux coudes sur la table, et tranquillement il articula : |
The Pervian attaché did not betray the least embarrassment. He put his two elbows on the table and said, very calmly: |
— Monsieur, en traitant avec vous jadis, je croyais traiter avec un monsieur qui, se cachant sous l’uniforme de légionnaire pour des raisons personnelles désirait plus tard recouvrer les moyens de vivre honorablement. Aujourd’hui, il s’agit du légataire universel de Cosmo Mornington, lequel légataire touche demain, sous un faux nom, la somme d’un million, et dans quelques mois peut-être la somme de deux cents millions. C’est tout autre chose. |
"Monsieur, when treating with you, three years ago, I thought I was dealing with a gentleman who, hiding himself under the uniform of the Foreign Legion, wished to recover the means to live respectably afterward. To-day, I have to do with the universal legatee of Cosmo Mornington, with a man who, to-morrow, under a false name, will receive the sum of one million francs and, in a few months, perhaps, the sum of a hundred millions. That's quite a different thing." |
L’argument sembla frapper don Luis. Pourtant il objecta : |
The argument seemed to strike Don Luis. Nevertheless, he objected: |
— Et si je refuse ? |
"And, if I refuse--?" |
— Si vous refusez, j’avertis le notaire et le préfet de police que je me suis trompé dans mon enquête, et qu’il y a erreur sur la personne de don Luis Perenna. Ensuite de quoi vous ne toucherez rien du tout et serez même tout probablement mis en état d’arrestation. |
"If you refuse, I shall inform the solicitor and the Prefect of Police that I made an error in my inquiry and that there is some mistake about Don Luis Perenna. In consequence of which you will receive nothing at all and very likely find yourself in jail." |
— Ainsi que vous, mon brave monsieur. |
"With you, my worthy sir." |
— Moi ? |
"Me?" |
— Dame ! pour faux et maquillage d’état civil… Car vous pensez bien que je mangerai le morceau. |
"Of course: on a charge of forgery and tampering with registers. For you don't imagine that I should take it lying down." |
L’attaché ne répondit pas. Son nez, qu’il avait très fort, semblait s’allonger entre ses deux longs favoris. |
The attaché did not reply. His nose, which was a very big one, seemed to lengthen out still farther between his two long whiskers. |
Don Luis se mit à rire. |
Don Luis began to laugh. |
— Allons, monsieur Cacérès, ne faites pas cette binette-là. On ne vous fera pas mal. Seulement ne cherchez plus à me mettre dedans. De plus malins que vous l’ont essayé qui s’y sont cassé les reins. Et, vrai, vous n’avez pas l’air de premier ordre quand il s’agit de rouler le prochain. |
"Come, Señor Caceres, don't pull such a face! No one's going to hurt you. Only don't think that you can corner me. Better men than you have tried and have broken their backs in the process. And, upon my word, you don't cut much of a figure when you're doing your best to diddle your fellowmen. |
Un peu poire même, le sieur Cacérès, un peu poire. Eh bien, c’est compris, n’est-ce pas ? On désarme ? Plus de noirs desseins contre cet excellent Perenna ? Parfait monsieur Cacérès, parfait, je serai bon prince et vous prouverai que le plus honnête des deux… est bien celui qu’on pense. |
"You look a bit of a mug, in fact, Caceres: a bit of a mug is what you look. So it's understood, what? We lay down our arms. No more base designs against our excellent friend Perenna. Capital, Señor Caceres, capital. And now I'll be magnanimous and prove to you that the decent man of us two is--the one whom any one would have thought!" |
Il tira de sa poche un carnet de chèques timbré par le Crédit lyonnais. |
He produced a check-book on the Crédit Lyonnais. |
— Tenez, cher ami, voici vingt mille francs que vous donne le légataire de Cosmo Mornington. Empochez-les avec un sourire. Dites merci au bon monsieur. Et prenez vos cliques et vos claques sans plus détourner la tête que les filles de M. Loth. Allez… Ouste ! |
"Here, my dear chap. Here's twenty thousand francs as a present from Cosmo Mornington's legatee. Put it in your pocket and look pleasant. Say thank you to the kind gentleman, and make yourself scarce without turning your head any more than if you were one of old man Lot's daughters. Off you go: hoosh!" |
Cela fut dit de telle manière que l’attaché obéit, point par point, aux prescriptions de don Luis Perenna. Il sourit en empochant l’argent, répéta deux fois merci et s’esquiva sans détourner la tête. |
This was said in such a manner that the attaché obeyed Don Luis Perenna's injunctions to the letter. He smiled as he pocketed the check, said thank you twice over, and made off without turning his head. |
— Crapule !… murmura don Luis. Hein, qu’en dites-vous, brigadier ? |
"The low hound!" muttered Don Luis. "What do you say to that, Sergeant?" |
Le brigadier Mazeroux le regardait avec stupeur, les yeux écarquillés. |
Sergeant Mazeroux was looking at him in stupefaction, with his eyes starting from his head. |
— Ah çà ! mais, monsieur… |
"Well, but, Monsieur--" |
— Quoi, brigadier ? |
"What, Sergeant?" |
— Ah çà ! mais, monsieur, qui êtes-vous ? |
"Well, but, Monsieur, who are you?" |
— Qui je suis ? |
"Who am I?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Mais ne vous l’a-t-on pas dit ? Un noble Péruvien ou un noble Espagnol… Je ne sais pas trop… Bref, don Luis Perenna. |
"Didn't they tell you? A Peruvian nobleman, or a Spanish nobleman, I don't know which. In short, Don Luis Perenna." |
— Des blagues ! Je viens d’assister… |
"Bunkum! I've just heard--" |
— Don Luis Perenna, ancien légionnaire… |
"Don Luis Perenna, late of the Foreign Legion." |
— Assez, monsieur… |
"Enough of that, Monsieur--" |
— Médaillé… décoré sur toutes les coutures. |
"Medaled and decorated with a stripe on every seam." |
— Assez, monsieur, encore une fois, et je vous somme de me suivre devant le préfet. |
"Once more, Monsieur, enough of that; and come along with me to the Prefect." |
— Mais laissez-moi continuer, que diable ? Donc, ancien légionnaire… ancien héros… ancien détenu à la Santé… ancien prince russe… ancien chef de la Sûreté… ancien… |
"But, let me finish, hang it! I was saying, late private in the Foreign Legion.... Late hero.... Late prisoner of the Sureté.... Late Russian prince.... Late chief of the detective service.... Late--" |
— Mais vous êtes fou ! grinça le brigadier… Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? |
"But you're mad!" snarled the sergeant. "What's all this story?" |
— De l’histoire vraie, authentique. Vous me demandez ce que je suis… J’énumère. Dois-je remonter plus haut ? J’ai encore quelques titres à vous offrir… marquis, baron, duc, archiduc, grand-duc, petit-duc, contre-duc…, tout le Gotha, quoi ! On me dirait que j’ai été roi, ventre-saint-gris je n’oserais pas jurer le contraire. |
"It's a true story, Sergeant, and quite genuine. You ask me who I am; and I'm telling you categorically. Must I go farther back? I have still more titles to offer you: marquis, baron, duke, archduke, grand-duke, petty-duke, superduke--the whole 'Almanach de Gotha,' by Jingo! If any one told me that I had been a king, by all that's holy, I shouldn't dare swear to the contrary!" |
Le brigadier Mazeroux saisit de ses deux mains, habituées aux rudes besognes, les deux poignets, frêles en apparence, de son interlocuteur, et lui dit : |
Sergeant Mazeroux put out his own hands, accustomed to rough work, seized the seemingly frail wrists of the man addressing him and said: |
— Pas d’pétard, n’est-ce pas ? Je ne sais pas à qui j’ai affaire, mais je ne vous lâche pas. On s’expliquera à la Préfecture. |
"No nonsense, now. I don't know whom I've got hold of, but I shan't let you go. You can say what you have to say at the Prefect's." |
— Parle pas si fort, Alexandre. |
"Don't speak so loud, Alexandre." |
Les deux poignets frêles se dégagèrent avec une aisance inouïe, les deux mains robustes du brigadier furent happées à leur tour et immobilisées, et don Luis ricana : |
The two frail wrists were released with unparalleled ease; the sergeant's powerful hands were caught and rendered useless; and Don Luis grinned: |
— Tu ne me reconnais donc pas, imbécile ? |
"Don't you know me, you idiot?" |
Le brigadier Mazeroux ne souffla pas mot. Ses yeux s’écarquillèrent davantage. Il tâchait de comprendre et demeurait absolument ahuri. |
Sergeant Mazeroux did not utter a word. His eyes started still farther from his head. He tried to understand and remained absolutely dumfounded. |
Le son de cette voix, cette manière de plaisanter, cette gaminerie alliée à cette audace, l’expression narquoise de ces yeux, et puis ce prénom d’Alexandre, qui n’était pas le sien et qu’une seule personne lui donnait autrefois. Était-ce possible ? |
The sound of that voice, that way of jesting, that schoolboy playfulness allied with that audacity, the quizzing expression of those eyes, and lastly that Christian name of Alexandre, which was not his name at all and which only one person used to give him, years ago. Was it possible? |
Il balbutia : — Le patron… le patron… |
"The chief!" he stammered. "The chief!" |
— Pourquoi pas ? |
"Why not?" |
— Mais non… mais non… puisque… |
"No, no, because--" |
— Puisque quoi ? |
"Because what?" |
— Vous êtes mort. |
"Because you're dead." |
— Et après ? Crois-tu que ça me gêne pour vivre, d’être mort ? |
"Well, what about it? D'you think it interferes with my living, being dead?" |
Et, comme l’autre semblait de plus en plus confondu, il lui posa la main sur l’épaule et lui dit : |
And, as the other seemed more and more perplexed, he laid his hand on his shoulder and said: |
— Qui est-ce qui t’a fait entrer à la Préfecture de police ? |
"Who put you into the police office?" |
— Le chef de la Sûreté, M. Lenormand. |
"The Chief Detective, M. Lenormand." |
— Et qui était-ce, M. Lenormand ? |
"And who was M. Lenormand?" |
— C’était le patron. |
"The chief." |
— C’est-à-dire Arsène Lupin, n’est-ce pas[1] ? |
"You mean Arsène Lupin, don't you?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Eh bien, Alexandre, ne sais-tu pas qu’il était beaucoup plus difficile pour Arsène Lupin d’être chef de la Sûreté, et il le fut magistralement, que d’être don Luis Perenna, que d’être décoré, que d’être légionnaire, que d’être un héros, et même que d’être vivant tout en étant mort ? |
"Well, Alexandre, don't you know that it was much more difficult for Arsène Lupin to be Chief Detective--and a masterly Chief Detective he was--than to be Don Luis Perenna, to be decorated in the Foreign Legion, to be a hero, and even to be alive after he was dead?" |
Le brigadier Mazeroux examina silencieusement son compagnon. Puis ses yeux tristes s’animèrent, son visage terne s’enflamma, et soudain, frappant la table d’un coup de poing, il mâchonna, la voix rageuse : |
Sergeant Mazeroux examined his companion in silence. Then his lacklustre eyes brightened, his drab features turned scarlet and, suddenly striking the table with his fist, he growled, in an angry voice: |
— Eh bien, soit, mais je vous avertis qu’il ne faut pas compter sur moi ! Ah ! non, alors. Je suis au service de la société, et j’y reste. Rien à faire. J’ai goûté à l’honnêteté. Je ne veux plus manger d’autre pain. Ah ! non, alors, non, non, non, plus de sottises ! |
"All right, very well! But I warn you that you mustn't reckon on me. No, not that! I'm in the detective service; and in the detective service I remain. Nothing doing. I've tasted honesty and I mean to eat no other bread. No, no, no, no! No more humbug!" |
Perenna haussa les épaules. |
Perenna shrugged his shoulders: |
— T’es bête, Alexandre. Vrai, le pain de l’honnêteté ne t’engraisse pas l’intelligence. Qui te parle de recommencer ? |
"Alexandre, you're an ass. Upon my word, the bread of honesty hasn't enlarged your intelligence. Who talked of starting again?" |
— Cependant… |
"But--" |
— Cependant, quoi ? |
"But what?" |
— Toute votre manigance, patron… |
"All your maneuvers, Chief." |
— Ma manigance ! Crois-tu donc que j’y sois pour quelque chose, dans cette affaire-là ? |
"My maneuvers! Do you think I have anything to say to this business?" |
— Voyons, patron… |
"Look here, Chief--" |
— Mais pour rien du tout, mon petit. Il y a deux heures, je n’en savais pas plus long que toi. C’est le bon Dieu qui m’a bombardé héritier sans crier gare, et c’est bien pour ne pas lui désobéir que… |
"Why, I'm out of it altogether, my lad! Two hours ago I knew no more about it than you do. It's Providence that chucked this legacy at me, without so much as shouting, 'Heads!' And it's in obedience to the decrees of--" |
— Alors ? |
"Then--?" |
— Alors j’ai mission de venger Cosmo Mornington, de retrouver ses héritiers naturels, de les protéger et de répartir entre eux les deux cents millions qui leur appartiennent. Un point, c’est tout. Est-ce une mission d’honnête homme, cela ? |
"It's my mission in life to avenge Cosmo Mornington, to find his natural heirs, to protect them and to divide among them the hundred millions that belong to them. That's all. Don't you call that the mission of an honest man?" |
— Oui, mais… |
"Yes, but--" |
— Oui, mais si je ne l’accomplis pas en honnête homme, c’est ça que tu veux dire, n’est-ce pas ? |
"Yes, but, if I don't fulfil it as an honest man: is that what you mean?" |
— Patron… |
"Chief--" |
— Eh bien, mon petit, si tu distingues à la loupe la moindre chose qui te déplaise dans ma conduite, si tu découvres un point noir sur la conscience de don Luis Perenna, pas d’hésitation, fiche-moi tes deux mains au collet. Je t’y autorise. Je te l’ordonne. Ça te suffit-il ? |
"Well, my lad, if you notice the least thing in my conduct that dissatisfies you, if you discover a speck of black on Don Luis Perenna's conscience, examined under the magnifying glass, don't hesitate: collar me with both hands. I authorize you to do it. I order you to do it. Is that enough for you?" |
— Il ne suffit pas que ça me suffise, patron. |
"It's not enough for it to be enough for me, Chief." |
— Qu’est-ce que tu chantes ? |
"What are you talking about?" |
— Il y a encore les autres. |
"There are the others." |
— Explique. |
"Explain yourself." |
— Si vous êtes pincé ? |
"Suppose you're nabbed?" |
— Comment ? |
"How?" |
— Vous pouvez être trahi. |
"You can be betrayed." |
— Par qui ? |
"By whom?" |
— Nos anciens camarades… |
"Your old mates." |
— Partis. Je les ai expédiés hors de France. |
"Gone away. I've sent them out of France." |
— Où ça ? |
"Where to?" |
— C’est mon secret. Toi, je t’ai laissé à la préfecture, au cas où j’aurais eu besoin de tes services. Et tu vois que j’ai eu raison. |
"That's my secret. I left you at the police office, in case I should require your services; and you see that I was right." |
— Mais si l’on découvre votre véritable personnalité ? |
"But suppose the police discover your real identity?" |
— Eh bien ? |
"Well?" |
— On vous arrête. |
"They'll arrest you." |
— Impossible. |
"Impossible!" |
— Pourquoi ? |
"Why?" |
— On ne peut pas m’arrêter. |
"They can't arrest me." |
— La raison ? |
"For what reason?" |
— Tu l’as dite toi-même, bouffi, une raison supérieure, formidable, irrésistible. |
"You've said it yourself, fat-head: a first-class, tremendous, indisputable reason." |
— Laquelle ? |
"What do you mean?" |
— Je suis mort. |
"I'm dead!" |
Mazeroux parut suffoqué. L’argument le frappait en plein. D’un coup il l’apercevait, dans toute sa vigueur et dans toute sa cocasserie. Et, subitement, il partit d’un éclat de rire fou, qui le tordait en deux et convulsait de la façon la plus drôle son mélancolique visage… |
Mazeroux seemed staggered. The argument struck him fully. He at once perceived it, with all its common sense and all its absurdity. And suddenly he burst into a roar of laughter which bent him in two and convulsed his doleful features in the oddest fashion: |
— Ah ! patron, toujours le même !… Dieu, que c’est rigolo !… Si je marche ? Je crois bien que je marche !… Et deux fois plutôt qu’une !… Vous êtes mort ! enterré ! supprimé ! Ah ! quelle rigolade ! quelle rigolade ! |
"Oh, Chief, just the same as always!... Lord, how funny!... Will I come along? I should think I would! As often as you like! You're dead and buried and put out of sight!... Oh, what a joke, what a joke!" |
* * * * * |
|
Hippolyte Fauville, ingénieur, habitait, sur le boulevard Suchet, le long des fortifications, un hôtel assez vaste flanqué à gauche d’un jardin où il avait fait bâtir une grande pièce qui lui servait de cabinet de travail. Le jardin se trouvait ainsi réduit à quelques arbres et à une bande de gazon, en bordure de la grille habillée de lierre et percée d’une porte qui le séparait du boulevard Suchet. |
Hippolyte Fauville, civil engineer, lived on the Boulevard Suchet, near the fortifications, in a fair-sized private house having on its left a small garden in which he had built a large room that served as his study. The garden was thus reduced to a few trees and to a strip of grass along the railings, which were covered with ivy and contained a gate that opened on the Boulevard Suchet. |
Don Luis Perenna se rendit avec Mazeroux au commissariat de Passy, où Mazeroux, sur ses instructions, se fit connaître et demanda que l’hôtel de l’ingénieur Fauville fût surveillé, durant la nuit, par deux agents de police, qui mettraient en arrestation toute personne suspecte tentant de s’introduire. Le commissaire promit son concours. |
Don Luis Perenna went with Mazeroux to the commissary's office at Passy, where Mazeroux, on Perenna's instructions, gave his name and asked to have M. Fauville's house watched during the night by two policemen who were to arrest any suspicious person trying to obtain admission. The commissary agreed to the request. |
Après quoi don Luis et Mazeroux dînèrent dans le quartier. À neuf heures, ils arrivaient devant la porte principale de l’hôtel. |
Don Luis and Mazeroux next dined in the neighbourhood. At nine o'clock they reached the front door of the house. |
— Alexandre, fit Perenna. |
"Alexandre," said Perenna. |
— Patron ? |
"Yes, Chief?" |
— Tu n’as pas peur ? |
"You're not afraid?" |
— Non, patron. Pourquoi ? |
"No, Chief. Why should I be?" |
— Pourquoi ? Parce que, en défendant l’ingénieur Fauville et son fils, nous nous attaquons à des gens qui ont un intérêt considérable à les faire disparaître, et que ces gens n’ont pas l’air d’avoir froid aux yeux. Ta vie, la mienne… un souffle, un rien… Tu n’as pas peur ? |
"Why? Because, in defending M. Fauville and his son, we are attacking people who have a great interest in doing away with them and because those people seem pretty wide-awake. Your life, my life: a breath, a trifle. You're not afraid?" |
— Patron, répondit Mazeroux, je ne sais pas si je connaîtrai la peur un jour ou l’autre. Mais il y a un cas où je ne la connaîtrai jamais. |
"Chief," replied Mazeroux, "I can't say if I shall ever know what it means to be afraid. But there's one case in which I certainly shall never know." |
— Lequel, mon vieux ? |
"What case is that, old chap?" |
— Tant que je serai à vos côtés. |
"As long as I'm by your side, Chief." |
Et résolument il sonna. |
And firmly he rang the bell. |
La porte s’ouvrit et un domestique apparut, Mazeroux fit passer sa carte. |
The door was opened by a manservant. Mazeroux sent in his card. |
Hippolyte Fauville les reçut tous deux dans son cabinet. La table était encombrée de brochures, de livres et de papiers. On voyait, sur deux pupitres soutenus par de hauts chevalets, des épures et des dessins, et, dans deux vitrines, des réductions en ivoire et en acier d’appareils construits ou inventés par l’ingénieur. |
Hippolyte received the two visitors in his study. The table, on which stood a movable telephone, was littered with books, pamphlets, and papers. There were two tall desks, with diagrams and drawings, and some glass cases containing reduced models, in ivory and steel, of apparatus constructed or invented by the engineer. |
Un large divan s’étalait contre le mur. À l’opposé se trouvait un escalier tournant qui montait à une galerie circulaire. Au plafond, un lustre électrique. Au mur, le téléphone. |
A large sofa stood against the wall. In one corner was a winding staircase that led to a circular gallery. An electric chandelier hung from the ceiling. |
Tout de suite, Mazeroux, après avoir décliné son titre et présenté son ami Perenna comme envoyé également par le préfet de police, exposa l’objet de leur démarche. |
Mazeroux, after stating his quality and introducing his friend Perenna as also sent by the Prefect of Police, at once expounded the object of their visit. |
M. Desmalions, sur des indices très graves dont il venait d’avoir connaissance, s’inquiétait. Sans attendre l’entretien du lendemain, il priait M. Fauville de prendre toutes les précautions que lui conseilleraient ses agents. |
M. Desmalions, he said, was feeling anxious on the score of very serious indications which he had just received and, without waiting for the next day's interview, begged M. Fauville to take all the precautions which his detectives might advise. |
Fauville montra d’abord une certaine humeur. |
Fauville at first displayed a certain ill humour. |
— Mes précautions sont prises, messieurs, et bien prises. Et je craindrais, d’autre part, que votre intervention ne fût pernicieuse. |
"My precautions are taken, gentlemen, and well taken. And, on the other hand, I am afraid that your interference may do harm." |
— En quoi donc ? |
"In what way?" |
— En éveillant l’attention de mes ennemis, et en m’empêchant, par là même, de recueillir les preuves dont j’ai besoin pour les confondre. |
"By arousing the attention of my enemies and preventing me, for that reason, from collecting proofs which I need in order to confound them." |
— Pouvez-vous m’expliquer ? |
"Can you explain--?" |
— Non, je ne peux pas… Demain, demain matin… pas avant. |
"No, I cannot ... To-morrow, to-morrow morning--not before." |
— Et s’il est trop tard, interrompit don Luis Perenna. |
"And if it's too late?" Don Luis interjected. |
— Trop tard, demain ? |
"Too late? To-morrow?" |
— L’inspecteur Vérot l’a dit au secrétaire de M. Desmalions : « Le double assassinat aura lieu cette nuit. C’est fatal, c’est irrévocable. » |
"Inspector Vérot told M. Desmalions's secretary that the two murders would take place to-night. He said it was fatal and irrevocable." |
— Cette nuit ? s’écria Fauville, avec colère… Je vous dis que non, moi. Pas cette nuit, j’en suis sûr… Il y a des choses que je sais, n’est-ce pas ? et que vous ne savez pas… |
"To-night?" cried Fauville angrily. "I tell you no! Not to-night. I'm sure of that. There are things which I know, aren't there, which you do not?" |
— Oui, objecta don Luis, mais il y a peut-être aussi des choses que savait l’inspecteur Vérot et que vous ignorez. Il avait peut-être pénétré plus avant dans le secret de vos ennemis. La preuve, c’est qu’on se méfiait de lui. La preuve, c’est qu’un individu, porteur d’une canne d’ébène, l’espionnait. La preuve, enfin, c’est qu’il a été tué. |
"Yes," retorted Don Luis, "but there may also be things which Inspector Vérot knew and which you don't know. He had perhaps learned more of your enemies' secrets than you did. The proof is that he was suspected, that a man carrying an ebony walking-stick was seen watching his movements, that, lastly, he was killed." |
L’assurance d’Hippolyte Fauville diminuait. Perenna en profita pour insister, et de telle façon que Fauville, sans toutefois sortir de sa réserve, finit par s’abandonner à cette volonté, plus forte que la sienne. |
Hippolyte Fauville's self-assurance decreased. Perenna took advantage of this to insist; and he insisted to such good purpose that Fauville, though without withdrawing from his reserve, ended by yielding before a will that was stronger than his own. |
— Eh bien, quoi ? Vous n’avez pourtant pas la prétention de passer la nuit ici ? |
"Well, but you surely don't intend to spend the night in here?" |
— Précisément. |
"We do indeed." |
— Mais c’est absurde ! Mais c’est du temps perdu ! Car enfin, en mettant les choses au pire… Et puis, quoi, encore, que voulez-vous ? |
"Why, it's ridiculous! It's sheer waste of time! After all, looking at things from the worst--And what do you want besides?" |
— Qui habite cet hôtel ? |
"Who lives in the house?" |
— Qui ? Ma femme d’abord. Elle occupe le premier étage. |
"Who? My wife, to begin with. She has the first floor." |
— Madame Fauville n’est pas menacée. |
"Mme. Fauville is not threatened?" |
— Non, nullement. C’est moi qui suis menacé, moi et mon fils Edmond. Aussi, depuis huit jours, au lieu de coucher dans ma chambre, comme d’habitude, je m’enferme dans cette pièce… J’ai donné comme prétexte des travaux, des écritures qui m’obligent à veiller très tard, et pour lesquels j’ai besoin de mon fils. |
"No, not at all. It's I who am threatened with death; I and my son Edmond. That is why, for the past week, instead of sleeping in my regular bedroom, I have locked myself up in this room. I have given my work as a pretext; a quantity of writing which keeps me up very late and for which I need my son's assistance." |
— Il couche donc ici ? |
"Does he sleep here, then?" |
— Au-dessus de nous, dans une petite chambre que je lui ai fait aménager. On n’y peut accéder que par cet escalier intérieur. |
"He sleeps above us, in a little room which I have had arranged for him. The only access to it is by this inner staircase." |
— Il s’y trouve actuellement ? |
"Is he there now?" |
— Oui. Il dort. |
"Yes, he's asleep." |
— Quel âge a-t-il ? |
"How old is he?" |
— Seize ans. |
"Sixteen." |
— Mais, si vous avez ainsi changé de chambre, c’est que vous redoutiez qu’on ne vous attaquât ? Qui ? Un ennemi habitant l’hôtel ? Un de vos domestiques ? Ou bien des gens du dehors ? En ce cas, comment pourrait-on s’introduire ? Toute la question est là. |
"But the fact that you have changed your room shows that you feared some one would attack you. Whom had you in mind? An enemy living in the house? One of your servants? Or people from the outside? In that case, how could they get in? The whole question lies in that." |
— Demain… demain… répondit Fauville, obstiné. Demain, je vous expliquerai… |
"To-morrow, to-morrow," replied Fauville, obstinately. "I will explain everything to-morrow--" |
— Pourquoi pas ce soir ? reprit Perenna avec entêtement. |
"Why not to-night?" Perenna persisted. |
— Parce qu’il me faut des preuves, je vous le répète… parce que le fait seul de parler peut avoir des conséquences terribles… et que j’ai peur… oui, j’ai peur… |
"Because I want proofs, I tell you; because the mere fact of my talking may have terrible consequences--and I am frightened; yes, I'm frightened--" |
De fait, il tremblait et il paraissait si misérable, si terrifié, que don Luis n’insista plus. |
He was trembling, in fact, and looked so wretched and terrified that Don Luis insisted no longer. |
— Soit, dit-il. Je vous demanderai seulement, pour mon camarade et moi, la permission de passer la nuit à portée de votre appel. |
"Very well," he said, "I will only ask your permission, for my comrade and myself, to spend the night where we can hear you if you call." |
— Comme vous voudrez, monsieur. Après tout, cela vaut peut-être mieux. |
"As you please, Monsieur. Perhaps, after all, that will be best." |
À ce moment, un des domestiques frappa et vint annoncer que madame désirait voir monsieur avant de sortir. Presque aussitôt, Mme Fauville entra. |
At that moment one of the servants knocked and came in to say that his mistress wished to see the master before she went out. Madame Fauville entered almost immediately. |
Elle salua, d’un signe de tête gracieux, Perenna et Mazeroux. C’était une femme de trente à trente-cinq ans, d’une beauté souriante, qu’elle devait à ses yeux bleus, à ses cheveux ondulés, à toute la grâce de son visage un peu futile, mais aimable et charmant. Elle portait, sous un grand manteau de soie brochée, une toilette de bal qui découvrait ses belles épaules. |
She bowed pleasantly as Perenna and Mazeroux rose from their chairs. She was a woman between thirty and thirty-five, a woman of a bright and smiling beauty, which she owed to her blue eyes, to her wavy hair, to all the charm of her rather vapid but amiable and very pretty face. She wore a long, figured-silk cloak over an evening dress that showed her fine shoulders. |
Son mari lui dit avec étonnement : |
Her husband said, in surprise |
— Tu sors donc ce soir ? |
"Are you going out to-night?" |
— Rappelle-toi, dit-elle, les Auverard m’ont offert une place dans leur loge, à l’Opéra, et c’est toi-même qui m’as priée d’aller ensuite quelques instants à la soirée de Mme d’Ersinger. |
"You forget," she said. "The Auverards offered me a seat in their box at the opera; and you yourself asked me to look in at Mme. d'Ersingen's party afterward--" |
— En effet… en effet… dit-il, je ne me souvenais plus… Je travaille tellement ! |
"So I did, so I did," he said. "It escaped my memory; I am working so hard." |
Elle acheva de boutonner ses gants et reprit : |
She finished buttoning her gloves and asked: |
— Tu ne viendras pas me retrouver chez Mme d’Ersinger ? |
"Won't you come and fetch me at Mme. d'Ersingen's?" |
— Pour quoi faire ? |
"What for?" |
— Ce serait un plaisir pour eux. |
"They would like it." |
— Mais pas pour moi. D’ailleurs, ma santé me le défend. |
"But I shouldn't. Besides, I don't feel well enough." |
— Je t’excuserai. |
"Then I'll make your apologies for you." |
— Oui, tu m’excuseras. |
"Yes, do." |
Elle ferma son manteau, d’un joli geste, et elle resta quelques secondes immobile, comme si elle eût cherché une parole d’adieu. Puis elle dit : |
She drew her cloak around her with a graceful gesture, and stood for a few moments, without moving, as though seeking a word of farewell. Then she said: |
— Edmond n’est donc pas là ? Je croyais qu’il travaillait avec toi. |
"Edmond's not here! I thought he was working with you?" |
— Il était fatigué. |
"He was feeling tired." |
— Il dort ? |
"Is he asleep?" |
— Oui. |
"Yes." |
— J’aurais voulu l’embrasser. |
"I wanted to kiss him good-night." |
— Mais non, tu le réveillerais. D’ailleurs, voici ton automobile. Va, chère amie. Amuse-toi bien. |
"No, you would only wake him. And here's your car; so go, dear. Amuse yourself." |
— Oh ! m’amuser… dit-elle, comme on s’amuse à l’Opéra et en soirée. |
"Oh, amuse myself!" she said. "There's not much amusement about the opera and an evening party." |
— Ça vaut toujours mieux que de rester dans ta chambre. |
"Still, it's better than keeping one's room." |
Il y eut un peu de gêne. On sentait un de ces ménages peu unis, où l’homme, de mauvaise santé, hostile aux plaisirs mondains, s’enferme chez lui, tandis que la femme cherche les distractions auxquelles lui donnent droit son âge et ses habitudes. |
There was some little constraint. It was obviously one of those ill-assorted households in which the husband, suffering in health and not caring for the pleasures of society, stays at home, while the wife seeks the enjoyments to which her age and habits entitle her. |
Comme il ne lui adressait plus la parole, elle se pencha et l’embrassa au front. |
As he said nothing more, she bent over and kissed him on the forehead. |
Puis, saluant de nouveau les deux visiteurs, elle sortit. |
Then, once more bowing to the two visitors, she went out. |
Un instant plus tard, on perçut le bruit du moteur qui s’éloignait. |
A moment later they heard the sound of the motor driving away. |
Aussitôt Hippolyte Fauville se leva et, après avoir sonné, il dit : |
Hippolyte Fauville at once rose and rang the bell. Then he said: |
— Personne ici ne se doute du danger qui est sur ma tête. Je ne me confie à personne, pas même à Silvestre, mon valet de chambre particulier, qui me sert cependant depuis des années, et qui est la probité même. |
"No one here has any idea of the danger hanging over me. I have confided in nobody, not even in Silvestre, my own man, though he has been in my service for years and is honesty itself." |
Le domestique entra. |
The manservant entered. |
— Je vais me coucher, Silvestre, préparez tout, dit M. Fauville. |
"I am going to bed, Silvestre," said M. Fauville. "Get everything ready." |
Silvestre ouvrit le dessus du grand divan, qui forma ainsi un lit confortable, et il disposa les draps et les couvertures. Ensuite, sur l’ordre de son maître, il apporta une carafe, un verre, une assiette de gâteaux secs et un compotier de fruits. |
Silvestre opened the upper part of the great sofa, which made a comfortable bed, and laid the sheets and blankets. Next, at his master's orders, he brought a jug of water, a glass, a plate of biscuits, and a dish of fruit. |
M. Fauville croqua des gâteaux, puis coupa une pomme d’api. Elle n’était pas mûre. Il en prit deux autres, tâta et, ne les jugeant pas à point, les remit également. Puis il pela une poire et la mangea. |
M. Fauville ate a couple of biscuits and then cut a dessert-apple. It was not ripe. He took two others, felt them, and, not thinking them good, put them back as well. Then he peeled a pear and ate it. |
— Laissez le compotier, dit-il au domestique. Si j’ai faim cette nuit, je serai bien aise… Ah ! j’oubliais, ces messieurs restent ici. N’en parlez à personne. Et demain matin ne venez que quand je sonnerai. |
"You can leave the fruit dish," he said to his man. "I shall be glad of it, if I am hungry during the night.... Oh, I was forgetting! These two gentlemen are staying. Don't mention it to anybody. And, in the morning, don't come until I ring." |
Le domestique, avant de se retirer, déposa donc le compotier sur la table. Perenna, qui remarquait tout, et qui, par la suite, devait évoquer les plus petits détails de cette soirée que sa mémoire enregistrait avec une fidélité pour ainsi dire mécanique, Perenna compta, dans le compotier, trois poires et quatre pommes d’api. |
The man placed the fruit dish on the table before retiring. Perenna, who was noticing everything, and who was afterward to remember every smallest detail of that evening, which his memory recorded with a sort of mechanical faithfulness, counted three pears and four apples in the dish. |
Cependant Fauville montait l’escalier tournant, et, suivant la galerie, gagnait la chambre où couchait son fils. |
Meanwhile, Fauville went up the winding staircase, and, going along the gallery, reached the room where his son lay in bed. |
— Il dort à poings fermés, dit-il à Perenna qui l’avait rejoint. |
"He's fast asleep," he said to Perenna, who had joined him. |
La pièce était petite. L’air y arrivait par un système spécial d’aération, car un volet de bois cloué bouchait hermétiquement la lucarne. |
The bedroom was a small one. The air was admitted by a special system of ventilation, for the dormer window was hermetically closed by a wooden shutter tightly nailed down. |
— C’est une précaution que j’ai prise l’an dernier, expliqua Hippolyte Fauville. Comme c’est dans cette pièce que je faisais mes expériences électriques, je craignais qu’on ne m’épiât. J’ai donc fermé l’issue qui donnait sur le toit. |
"I took the precaution last year," Hippolyte Fauville explained. "I used to make my electrical experiments in this room and was afraid of being spied upon, so I closed the aperture opening on the roof." |
Et il ajouta, la voix basse : |
And he added in a low voice: |
— Il y a longtemps que l’on rôde autour de moi. |
"They have been prowling around me for a long time." |
Ils redescendirent. |
The two men went downstairs again. |
Fauville consulta sa montre. |
Fauville looked at his watch. |
— Dix heures et quart… C’est l’heure du repos. Je suis très las, et vous m’excuserez… |
"A quarter past ten: bedtime, I am exceedingly tired, and you will excuse me--" |
Il fut convenu que Perenna et Mazeroux s’installeraient sur deux fauteuils qu’ils transportèrent dans le couloir qui menait du cabinet de travail au vestibule même de l’hôtel. |
It was arranged that Perenna and Mazeroux should make themselves comfortable in a couple of easy chairs which they carried into the passage between the study and the entrance hall. |
Mais, avant de les quitter, Hippolyte Fauville, qui jusqu’ici, bien que fort agité, semblait maître de lui, eut une défaillance soudaine. Il exhala un faible cri. Don Luis se retourna et vit que la sueur lui coulait comme de l’eau sur le visage et sur le cou, et il grelottait de fièvre et d’angoisse. |
But, before bidding them good-night, Hippolyte Fauville, who, although greatly excited, had appeared until then to retain his self-control, was seized with a sudden attack of weakness. He uttered a faint cry. Don Luis turned round and saw the sweat pouring like gleaming water down his face and neck, while he shook with fever and anguish. |
— Qu’est-ce que vous avez ? |
"What's the matter?" asked Perenna. |
— J’ai peur… j’ai peur… dit-il. |
"I'm frightened! I'm frightened!" he said. |
— C’est de la folie, s’écria don Luis, puisque nous sommes là tous les deux ! Nous pourrions même fort bien passer la nuit auprès de vous, à votre chevet. |
"This is madness!" cried Don Luis. "Aren't we here, the two of us? We can easily spend the night with you, if you prefer, by your bedside." |
L’ingénieur secoua violemment Perenna par l’épaule, et, la figure convulsée, bégaya : |
Fauville replied by shaking Perenna violently by the shoulder, and, with distorted features, stammering: |
— Quand vous seriez dix… quand vous seriez vingt auprès de moi, croyez-vous que cela les gênerait ? Ils peuvent tout, vous entendez… Ils peuvent tout !… Ils ont déjà tué l’inspecteur Vérot… ils me tueront… et ils tueront mon fils… Ah ! les misérables… Mon Dieu, ayez pitié de moi !… Ah ! quelle épouvante !… Ce que je souffre ! |
"If there were ten of you--if there were twenty of you with me, you need not think that it would spoil their schemes! They can do anything they please, do you hear, anything! They have already killed Inspector Vérot--they will kill me--and they will kill my son. Oh, the blackguards! My God, take pity on me! The awful terror of it! The pain I suffer!" |
Il était tombé à genoux et se frappait la poitrine en répétant : |
He had fallen on his knees and was striking his breast and repeating: |
— Mon Dieu, ayez pitié de moi… Je ne veux pas mourir… Je ne veux pas que mon fils meure… Ayez pitié de moi, je vous en supplie… |
"O God, have pity on me! I can't die! I can't let my son die! Have pity on me, I beseech Thee!" |
Il se releva d’un bond, conduisit Perenna devant une vitrine qu’il poussa et qui roula aisément sur ses roulettes de cuivre, et, découvrant un petit coffre scellé dans le mur même : |
He sprang to his feet and led Perenna to a glass-fronted case, which he rolled back on its brass castors, revealing a small safe built into the wall. |
— Toute mon histoire est ici, écrite au jour le jour depuis trois ans. S’il m’arrivait malheur, la vengeance serait facile. |
"You will find my whole story here, written up day by day for the past three years. If anything should happen to me, revenge will be easy." |
Hâtivement, il avait tourné les lettres de la serrure, et, à l’aide d’une même clef qu’il tira de sa poche, il ouvrit. |
He hurriedly turned the letters of the padlock and, with a key which he took from his pocket, opened the safe. |
Le coffre était aux trois quarts vide. Sur l’un des rayons seulement, parmi des tas de papiers, il y avait un cahier de toile grise ceinturé d’un ruban de caoutchouc rouge. |
It was three fourths empty; but on one of the shelves, between some piles of papers, was a diary bound in drab cloth, with a rubber band round it. |
Il saisit ce cahier et scanda : |
He took the diary, and, emphasizing his words, said: |
— Tenez… voici… tout est là-dedans. Avec ça on peut reconstituer l’abominable chose… Il y a mes soupçons d’abord, et puis mes certitudes… et tout… tout… de quoi les prendre au piège… de quoi les perdre… Vous vous rappellerez, n’est-ce pas ? un cahier de toile grise… je le replace dans le coffre… |
"There, look, it's all in here. With this, the hideous business can be reconstructed.... There are my suspicions first and then my certainties.... Everything, everything ... how to trap them and how to do for them.... You'll remember, won't you? A diary bound in drab cloth.... I'm putting it back in the safe." |
Peu à peu son calme revenait. Il repoussa la vitrine, rangea quelques papier, alluma la poire électrique qui dominait son lit, éteignit le lustre qui marquait le milieu du cabinet et pria don Luis et Mazeroux de le laisser. |
Gradually his calmness returned. He pushed back the glass case, tidied a few papers, switched on the electric lamp above his bed, put out the lights in the middle of the ceiling, and asked Don Luis and Mazeroux to leave him. |
Don Luis, qui faisait le tour de la pièce et qui examinait les volets de fer des deux fenêtres, nota une porte en face de l’entrée et questionna l’ingénieur… |
Don Luis, who was walking round the room and examining the iron shutters of the two windows, noticed a door opposite the entrance door and asked the engineer about it. |
— Je m’en sers, dit Fauville, pour mes clients habituels… et puis quelquefois aussi je sors par là. |
"I use it for my regular clients," said Fauville, "and sometimes I go out that way." |
— Elle donne sur le jardin ? |
"Does it open on the garden?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Elle est bien fermée ? |
"Is it properly closed?" |
— Vous pouvez voir… fermée à clef et au verrou de sûreté. Les deux clefs sont à mon trousseau, avec celle du jardin. |
"You can see for yourself; it's locked and bolted with a safety bolt. Both keys are on my bunch; so is the key of the garden gate." |
Il déposa le trousseau sur la table, ainsi que son portefeuille. Il y plaça également sa montre, après l’avoir remontée. |
He placed the bunch of keys on the table with his pocket-book and, after first winding it, his watch. |
Sans se gêner, don Luis s’empara du trousseau et fit fonctionner la serrure et le verrou. Trois marches le conduisirent au jardin. Il fit le tour de l’étroite plate-bande. À travers le lierre il aperçut et il entendit les deux agents de police qui déambulaient sur le boulevard. Il vérifia la serrure de la grille. Elle était fermée. |
Don Luis, without troubling to ask permission, took the keys and unfastened the lock and the bolt. A flight of three steps brought him to the garden. He followed the length of the narrow border. Through the ivy he saw and heard the two policemen pacing up and down the boulevard. He tried the lock of the gate. It was fastened. |
— Allons, dit-il en remontant, tout va bien, et vous pouvez être tranquille. À demain. |
"Everything's all right," he said when he returned, "and you can be easy. Good-night." |
— À demain, dit l’ingénieur en reconduisant Perenna et Mazeroux. |
"Good-night," said the engineer, seeing Perenna and Mazeroux out. |
Il y avait entre son cabinet et le couloir une double porte, dont l’une était matelassée et recouverte de moleskine. De l’autre côté le couloir était séparé du vestibule par une lourde tapisserie. |
Between his study and the passage were two doors, one of which was padded and covered with oilcloth. On the other side, the passage was separated from the hall by a heavy curtain. |
— Tu peux dormir, dit Perenna à son compagnon. Je veillerai. |
"You can go to sleep," said Perenna to his companion. "I'll sit up." |
— Mais enfin, patron, vous ne supposez pas qu’une alerte soit possible ! |
"But surely, Chief, you don't think that anything's going to happen!" |
— Je ne le suppose pas, vu les précautions que nous avons prises. Mais toi, qui connais l’inspecteur Vérot, crois-tu que c’était un type à se forger des idées ? |
"I don't think so, seeing the precautions which we've taken. But, knowing Inspector Vérot as you did, do you think he was the man to imagine things?" |
— Non, patron. |
"No, Chief." |
— Eh bien, tu sais ce qu’il a prédit. C’est qu’il avait des raisons pour cela. Donc j’ouvre l’œil. |
"Well, you know what he prophesied. That means that he had his reasons for doing so. And therefore I shall keep my eyes open." |
— Chacun son tour, patron, réveillez-moi quand ce sera mon heure de faction. |
"We'll take it in turns, Chief; wake me when it's my time to watch." |
Immobiles l’un près de l’autre, ils échangèrent encore de rares paroles. Peu après, Mazeroux s’endormit. Don Luis resta sur son fauteuil, sans bouger, l’oreille aux aguets. Dans l’hôtel, tout était calme. Dehors, de temps en temps passait le roulement d’une auto ou d’un fiacre. On entendait aussi les derniers trains sur la ligne d’Auteuil. |
Seated motionlessly, side by side, they exchanged an occasional remark. Soon after, Mazeroux fell asleep. Don Luis remained in his chair without moving, his ears pricked up. Everything was quiet in the house. Outside, from time to time, the sound of a motor car or of a cab rolled by. He could also hear the late trains on the Auteuil line. |
Don Luis se leva plusieurs fois et s’approcha de la porte. Aucun bruit. Sans nul doute, Hippolyte Fauville dormait. |
He rose several times and went up to the door. Not a sound. Hippolyte Fauville was evidently asleep. |
— Parfait, se disait Perenna. Le boulevard est gardé. On ne peut pas pénétrer dans la pièce par un autre passage que celui-ci. Donc rien à craindre. |
"Capital!" said Perenna to himself. "The boulevard is watched. No one can enter the room except by this way. So there is nothing to fear." |
À deux heures du matin, une auto s’arrêta devant l’hôtel, et un des domestiques qui devait attendre du côté de l’office et des cuisines, se hâta vers la grande porte. Perenna éteignit l’électricité dans le couloir et, soulevant légèrement la tapisserie, aperçut Mme Fauville qui rentrait, suivie de Silvestre. |
At two o'clock in the morning a car stopped outside the house, and one of the manservants, who must have been waiting in the kitchen, hastened to the front door. Perenna switched off the light in the passage, and, drawing the curtain slightly aside, saw Mme. Fauville enter, followed by Silvestre. |
Elle monta. La cage de l’escalier redevint obscure. Durant une demi-heure encore, des murmures de voix et des bruits de chaises remuées se firent entendre aux étages supérieurs. Et ce fut le silence. |
She went up. The lights on the staircase were put out. For half an hour or so there was a sound overhead of voices and of chairs moving. Then all was silence. |
Et, dans ce silence, Perenna sentit sourdre en lui une angoisse inexprimable. Pourquoi ? Il n’eût pu le dire. Mais c’était si violent, l’impression devenait si aiguë qu’il murmura : |
And, amid this silence, Perenna felt an unspeakable anguish arise within him, he could not tell why. But it was so violent, the impression became so acute, that he muttered: |
— Je vais voir s’il dort. Les portes ne doivent pas être fermées au verrou. |
"I shall go and see if he's asleep. I don't expect that he has bolted the doors." |
De fait, il n’eut qu’à pousser les battants pour ouvrir. Sa lanterne électrique à la main, il s’approcha du lit. |
He had only to push both doors to open them; and, with his electric lantern in his hand, he went up to the bed. |
Hippolyte Fauville, tourné vers le mur, dormait. |
Hippolyte Fauville was sleeping with his face turned to the wall. |
Perenna eut un soupir de soulagement. Il revint dans le couloir et secouant Mazeroux : |
Perenna gave a smile of relief. He returned to the passage and, shaking Mazeroux: |
— À ton tour, Alexandre. |
"Your turn, Alexandre." |
— Rien de nouveau, patron ? |
"No news, Chief?" |
— Non, non, rien, il dort. |
"No, none; he's asleep." |
— Comment le savez-vous donc ? |
"How do you know?" |
— J’ai été le voir. |
"I've had a look at him." |
— C’est drôle, je n’ai pas entendu. C’est vrai que je pionçais comme une brute. |
"That's funny; I never heard you. It's true, though, I've slept like a pig." |
Il suivit dans la pièce Perenna, qui lui dit : |
He followed Perenna into the study, and Perenna said: |
— Assieds-toi et ne le réveille pas. Je vais m’assoupir un instant. |
"Sit down and don't wake him. I shall take forty winks." |
Il reprit encore une faction. Mais, même en sommeillant, il gardait conscience de tout ce qui se passait autour de lui. |
He had one more turn at sentry duty. But, even while dozing, he remained conscious of all that happened around him. |
Une pendule sonnait les heures à voix basse, et, chaque fois, Perenna comptait. Puis ce fut la vie du dehors qui s’éveilla, les voitures de laitiers qui roulèrent, les premiers trains de banlieue qui sifflèrent. |
A clock struck the hours with a low chime; and each time Perenna counted the strokes. Then came the life outside awakening, the rattle of the milk-carts, the whistle of the early suburban trains. |
Dans l’hôtel aussi, l’agitation commença. Le jour filtrait par les interstices des volets, et la pièce peu à peu s’emplissait de lumière. |
People began to stir inside the house. The daylight trickled in through the crannies of the shutters, and the room gradually became filled with light. |
— Allons-nous-en, dit le brigadier Mazeroux. Il vaut mieux qu’il ne nous trouve pas ici. |
"Let's go away," said Sergeant Mazeroux. "It would be better for him not to find us here." |
— Tais-toi, ordonna don Luis en accompagnant son injonction d’un geste impérieux. |
"Hold your tongue!" said Don Luis, with an imperious gesture. |
— Mais pourquoi ? |
"Why?" |
— Tu vas le réveiller. |
"You'll wake him up." |
— Vous voyez bien qu’il ne se réveille pas, fit Mazeroux sans baisser le ton. |
"But you can see I'm not waking him," said Mazeroux, without lowering his tone. |
— C’est vrai… c’est vrai…, chuchota don Luis, étonné que le son de cette voix n’eût pas troublé le dormeur. |
"That's true, that's true," whispered Don Luis, astonished that the sound of that voice had not disturbed the sleeper. |
Et il se sentit envahi par la même angoisse qui l’avait bouleversé au milieu de la nuit. Angoisse plus précise, quoiqu’il ne voulût pas, qu’il n’osât pas, se rendre compte du motif qui la suscitait. |
And he felt himself overcome with the same anguish that had seized upon him in the middle of the night, a more clearly defined anguish, although he would not, although he dared not, try to realize the reason of it. |
— Qu’est-ce que vous avez, patron ? Vous êtes tout chose. Qu’y a-t-il ? |
"What's the matter with you, Chief? You're looking like nothing on earth. What is it?" |
— Rien… rien… j’ai peur. |
"Nothing--nothing. I'm frightened--" |
Mazeroux frissonna. |
Mazeroux shuddered. |
— Peur de quoi ? Vous dites ça comme il le disait hier soir, lui. |
"Frightened of what? You say that just as he did last night." |
— Oui… oui… et pour la même cause. |
"Yes ... yes ... and for the same reason." |
— Mais enfin ?… |
"But--?" |
— Tu ne comprends donc pas ?… Tu ne comprends donc pas que je me demande… |
"Don't you understand? Don't you understand that I'm wondering--?" |
— Quoi donc ? |
"No; what?" |
— S’il n’est pas mort ! |
"If he's not dead!" |
— Mais vous êtes fou, patron ! |
"But you're mad, Chief!" |
— Non… je ne sais pas… seulement… seulement… j’ai l’impression de la mort. |
"No.... I don't know.... Only, only ... I have an impression of death--" |
Sa lanterne à la main, il demeurait comme paralysé en face du lit, et, lui qui ne craignait rien au monde, il n’avait pas le courage d’éclairer le visage d’Hippolyte Fauville. Un silence terrifiant s’accumulait dans la pièce. |
Lantern in hand, he stood as one paralyzed, opposite the bed; and he who was afraid of nothing in the world had not the courage to throw the light on Hippolyte Fauville's face. A terrifying silence rose and filled the room. |
— Oh ! patron, il ne bouge pas… |
"Oh, Chief, he's not moving!" |
— Je sais… je sais… et je m’aperçois maintenant qu’il n’a pas bougé une seule fois cette nuit. Et c’est cela qui m’effraie. |
"I know ... I know ... and I now see that he has not moved once during the night. And that's what frightens me." |
Il dut faire un réel effort pour avancer. Il toucha presque au lit. |
He had to make a real effort in order to step forward. He was now almost touching the bed. |
L’ingénieur ne semblait pas respirer. |
The engineer did not appear to breathe. |
Résolument il lui prit la main. |
This time, Perenna resolutely took hold of his hand. |
Elle était glacée. |
It was icy cold. |
D’un coup Perenna reprit tout son sang-froid. |
Don Luis at once recovered all his self-possession. |
— La fenêtre ! ouvre la fenêtre ! cria-t-il. |
"The window! Open the window!" he cried. |
Et, lorsque la lumière jaillit dans la pièce, il vit la figure d’Hippolyte Fauville tuméfiée, tachée de plaques brunes. |
And, when the light flooded the room, he saw the face of Hippolyte Fauville all swollen, stained with brown patches. |
— Oh ! dit-il à voix basse, il est mort. |
"Oh," he said, under his breath, "he's dead!" |
— Cré tonnerre !… cré tonnerre !… bégaya le brigadier. |
"Dash it all! Dash it all!" spluttered the detective sergeant. |
Durant deux ou trois minutes, ils restèrent pétrifiés, stupides, anéantis par la constatation du plus prodigieux et du plus mystérieux des phénomènes. Puis une idée soudaine fit sursauter Perenna. En quelques bonds il monta l’escalier intérieur, galopa le long de la galerie, et se précipita dans la mansarde. |
For two or three minutes they stood petrified, stupefied, staggered at the sight of this most astonishing and mysterious phenomenon. Then a sudden idea made Perenna start. He flew up the winding staircase, rushed along the gallery, and darted into the attic. |
Sur son lit, Edmond, le fils d’Hippolyte Fauville, était étendu, rigide, le visage terreux, mort aussi. |
Edmond, Hippolyte Fauville's son, lay stiff and stark on his bed, with a cadaverous face, dead, too. |
— Cré tonnerre !… cré tonnerre ! répéta Mazeroux. |
"Dash it all! Dash it all!" repeated Mazeroux. |
Jamais peut-être, au cours de sa vie aventureuse, Perenna n’avait éprouvé une telle commotion. Il en ressentait une sorte de courbature, et comme une impuissance à tenter le moindre geste, à prononcer la moindre parole. Le père et le fils étaient morts ! On les avait tués au cours de cette nuit ! Quelques heures auparavant, bien que la maison fût gardée, et toutes les issues hermétiquement closes, on les avait, à l’aide d’une piqûre infernale, empoisonnés tous deux, comme on avait empoisonné l’Américain Cosmo Mornington. |
Never, perhaps, in the course of his adventurous career, had Perenna experienced such a knockdown blow. It gave him a feeling of extreme lassitude, depriving him of all power of speech or movement. Father and son were dead! They had been killed during that night! A few hours earlier, though the house was watched and every outlet hermetically closed, both had been poisoned by an infernal puncture, even as Inspector Vérot was poisoned, even as Cosmo Mornington was poisoned. |
— Cré tonnerre ! redit encore Mazeroux, c’était pas la peine de nous occuper d’eux, les pauvres diables, et de faire tant d’épate pour les sauver ! |
"Dash it all!" said Mazeroux once more. "It was not worth troubling about the poor devils and performing such miracles to save them!" |
Il y avait un reproche dans cette explication. Perenna le saisit et avoua : |
The exclamation conveyed a reproach. Perenna grasped it and admitted: |
— Tu as raison, Mazeroux, je n’ai pas été à la hauteur de la tâche. |
"You are right, Mazeroux; I was not equal to the job." |
— Moi non plus, patron. |
"Nor I, Chief." |
— Toi… toi… tu n’es dans l’affaire que depuis hier soir. |
"You ... you have only been in this business since yesterday evening--" |
— Eh bien, vous aussi, patron. |
"Well, so have you, Chief!" |
— Oui, je sais, depuis hier soir, tandis qu’eux la combinent depuis des semaines et des semaines… Mais tout de même, ils sont morts, et j’étais là ! J’étais là, moi, Lupin… La chose s’est accomplie sous mes yeux, et je n’ai rien vu… Je n’ai rien vu… Est-ce possible ? |
"Yes, I know, since yesterday evening, whereas the others have been working at it for weeks and weeks. But, all the same, these two are dead; and I was there, I, Lupin, was there! The thing has been done under my eyes; and I saw nothing! I saw nothing! How is it possible?" |
Il découvrait les épaules du pauvre garçon et, montrant la trace d’une piqûre en haut du bras : |
He uncovered the poor boy's shoulders, showing the mark of a puncture at the top of the arm. |
— La même marque… la même évidemment que l’on retrouve sur le père… L’enfant ne semble pas avoir souffert non plus. Malheureux gosse ! Il n’avait pas l’apparence bien robuste… N’importe… une jolie figure… Ah ! comme la mère va être malheureuse ! |
"The same mark--the same mark obviously that we shall find on the father.... The lad does not seem to have suffered, either.... Poor little chap! He did not look very strong.... Never mind, it's a nice face; what a terrible blow for his mother when she learns!" |
Le brigadier pleurait de rage et de pitié, tout en mâchonnant : |
The detective sergeant wept with anger and pity, while he kept on mumbling: |
— Cré tonnerre !… cré tonnerre ! |
"Dash it all!... Dash it all!" |
— Nous les vengerons, hein, Mazeroux ? |
"We shall avenge them, eh, Mazeroux?" |
— À qui le dites-vous, patron ? Plutôt deux fois qu’une ! |
"Rather, Chief! Twice over!" |
— Une fois suffira, Mazeroux. Mais ce sera la bonne. |
"Once will do, Mazeroux. But it shall be done with a will." |
— Ah ! je le jure bien. |
"That I swear it shall!" |
— Tu as raison, jurons-le. Jurons que ces deux morts seront vengés. Jurons que nous ne désarmerons pas avant que les assassins d’Hippolyte Fauville et de son fils soient punis selon leurs crimes. |
"You're right; let's swear. Let us swear that this dead pair shall be avenged. Let us swear not to lay down our arms until the murderers of Hippolyte Fauville and his son are punished as they deserve." |
— Je le jure sur mon salut éternel, patron. |
"I swear it as I hope to be saved, Chief." |
— Bien, fit Perenna. Maintenant à l’œuvre. Toi, tu vas téléphoner immédiatement à la préfecture de police. Je suis sûr que M. Desmalions trouvera bon que tu le fasses avertir sans retard. Cette affaire l’intéresse au plus haut point. |
"Good!" said Perenna. "And now to work. You go and telephone at once to the police office. I am sure that M. Desmalions will approve of your informing him without delay. He takes an immense interest in the case." |
— Et si les domestiques viennent ? Si Mme Fauville… |
"And if the servants come? If Mme. Fauville--?" |
— Personne ne viendra avant que nous ouvrions, et nous n’ouvrirons les portes qu’au préfet de police. C’est lui qui se chargera ensuite d’annoncer à Mme Fauville qu’elle est veuve et qu’elle n’a plus de fils. Va, dépêche-toi. |
"No one will come till we open the doors; and we shan't open them except to the Prefect of Police. It will be for him, afterward, to tell Mme. Fauville that she is a widow and that she has no son. Go! Hurry!" |
— Un instant, patron, nous oublions quelque chose qui va singulièrement nous aider. |
"One moment, Chief; we are forgetting something that will help us enormously." |
— Quoi ? |
"What's that?" |
— Le petit cahier de toile grise contenu dans le coffre, où M. Fauville racontait la machination ourdie contre lui. |
"The little drab-cloth diary in the safe, in which M. Fauville describes the plot against him." |
— Eh ! parbleu, fit Perenna, tu as raison… d’autant plus qu’il avait négligé de brouiller le chiffre de la serrure, et que, d’autre part, la clef est au trousseau laissé sur la table. |
"Why, of course!" said Perenna. "You're right ... especially as he omitted to mix up the letters of the lock last night, and the key is on the bunch which he left lying on the table." |
Ils descendirent rapidement. |
They ran down the stairs. |
— Laissez-moi faire, dit Mazeroux. Il est plus régulier que vous ne touchiez pas à ce coffre-fort. |
"Leave this to me," said Mazeroux. "It's more regular that you shouldn't touch the safe." |
Il prit le trousseau, dérangea la vitrine et introduisit la clef, avec une émotion fébrile que don Luis ressentait plus vivement encore. Ils allaient enfin connaître l’histoire mystérieuse ! Le mort allait leur livrer le secret de ses bourreaux ! |
He took the bunch, moved the glass case, and inserted the key with a feverish emotion which Don Luis felt even more acutely than he did. They were at last about to know the details of the mysterious story. The dead man himself would betray the secret of his murderers. |
— Dieu, que tu es long ! ronchonna don Luis. |
"Lord, what a time you take!" growled Don Luis. |
Mazeroux plongea les deux mains dans le fouillis des papiers qui encombraient le rayon de fer. |
Mazeroux plunged both hands into the crowd of papers that encumbered the iron shelf. |
Eh bien, Mazeroux, donne-le-moi. |
"Well, Mazeroux, hand it over." |
— Quoi ? |
"What?" |
— Le cahier de toile grise. |
"The diary." |
— Impossible, patron. |
"I can't Chief." |
— Hein ? |
"What's that?" |
— Il a disparu. |
"It's gone." |
Don Luis étouffa un juron. Le cahier de toile grise que l’ingénieur avait placé devant eux dans le coffre avait disparu ! |
Don Luis stifled an oath. The drab-cloth diary, which the engineer had placed in the safe before their eyes, had disappeared. |
Mazeroux hocha la tête. |
Mazeroux shook his head. |
— Cré tonnerre ! ils savaient donc l’existence de ce cahier ? |
"Dash it all! So they knew about that diary!" |
— Parbleu ! et bien d’autres choses. Nous ne sommes pas au bout de notre rouleau avec ces gaillards-là. Aussi, pas de temps à perdre. Téléphone. |
"Of course they did; and they knew plenty of other things besides. We've not seen the end of it with those fellows. There's no time to lose. Ring up!" |
Mazeroux obéit. Presque aussitôt, M. Desmalions lui fit répondre qu’il venait à l’appareil. |
Mazeroux did so and soon received the answer that M. Desmalions was coming to the telephone. |
Il attendit. |
He waited. |
Au bout de quelques minutes, Perenna, qui s’était promené de droite et de gauche en examinant divers objets, vint s’asseoir à côté de lui. Il paraissait soucieux. Il réfléchit assez longuement. Mais, son regard s’étant fixé sur le compotier, il murmura : |
In a few minutes Perenna, who had been walking up and down, examining different objects in the room, came and sat down beside Mazeroux. He seemed thoughtful. He reflected for some time. But then, his eyes falling on the fruit dish, he muttered: |
— Tiens, il n’y a plus que trois pommes au lieu de quatre. Il a donc mangé la quatrième ? |
"Hullo! There are only three apples instead of four. Then he ate the fourth." |
— En effet, dit Mazeroux, il a dû la manger. |
"Yes," said Mazeroux, "he must have eaten it." |
— C’est bizarre, reprit Perenna, car il ne les trouvait pas mûres. |
"That's funny," replied Perenna, "for he didn't think them ripe." |
Il garda de nouveau le silence, accoudé à la table, visiblement préoccupé, puis, relevant la tête, il laissa tomber ces mots : |
He was silent once more, sat leaning his elbows on the table, visibly preoccupied; then, raising his head, he let fall these words: |
— Le crime a été commis avant que nous n’entrions dans la pièce, exactement à minuit et demi. |
"The murder was committed before we entered the room, at half-past twelve exactly." |
— Qu’est-ce que vous en savez, patron ? |
"How do you know, Chief?" |
— L’assassin, ou les assassins de M. Fauville, en touchant aux objets rangés sur cette table, ont fait tomber la montre que M. Fauville y avait déposée. Ils l’ont remise à sa place. Mais sa chute l’avait arrêtée. Elle marque minuit et demi. |
"M. Fauville's murderer or murderers, in touching the things on the table, knocked down the watch which M. Fauville had placed there. They put it back; but the fall had stopped it. And it stopped at half-past twelve." |
— Donc, patron quand nous nous sommes installés ici, vers deux heures du matin, c’est un cadavre qui reposait à côté de nous, et un autre au-dessus de nous ? |
"Then, Chief, when we settled ourselves here, at two in the morning, it was a corpse that was lying beside us and another over our heads?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Mais par où ces démons-là sont-ils entrés ? |
"But how did those devils get in?" |
— Par cette porte, qui donne sur le jardin, et par la grille qui donne sur le boulevard Suchet. |
"Through this door, which opens on the garden, and through the gate that opens on the Boulevard Suchet." |
— Ils avaient donc les clefs des verrous et des serrures ? |
"Then they had keys to the locks and bolts?" |
— De fausses clefs, oui. |
"False keys, yes." |
— Mais les agents de police qui surveillent la maison, de dehors ? |
"But the policemen watching the house outside?" |
— Ils la surveillent encore, comme ces gens-là surveillent, en marchant d’un point à un autre, et sans songer que l’on peut s’introduire dans un jardin tandis qu’ils ont le dos tourné. C’est ce qui a eu lieu, à l’arrivée comme au départ. |
"They are still watching it, as that sort watch a house, walking from point to point without thinking that people can slip into a garden while they have their backs turned. That's what took place in coming and going." |
Le brigadier Mazeroux semblait abasourdi. L’audace des criminels, leur habileté, la précision de leurs actes, le confondaient. |
Sergeant Mazeroux seemed flabbergasted. The criminals' daring, their skill, the precision of their acts bewildered him. |
— Ils sont bougrement forts, dit-il. |
"They're deuced clever," he said. |
— Bougrement, Mazeroux, tu l’as dit, et je prévois que la bataille sera terrible. Crebleu ! quelle vigueur dans l’attaque ! |
"Deuced clever, Mazeroux, as you say; and I foresee a tremendous battle. By Jupiter, with what a vim they set to work!" |
La sonnerie du téléphone s’agitait. Don Luis laissa Mazeroux poursuivre sa communication, et, prenant le trousseau de clefs, il fit aisément fonctionner la serrure et le verrou de la porte, et passa dans le jardin avec l’espoir d’y trouver quelque vestige qui faciliterait ses recherches. |
The telephone bell rang. Don Luis left Mazeroux to his conversation with the Prefect, and, taking the bunch of keys, easily unfastened the lock and the bolt of the door and went out into the garden, in the hope of there finding some trace that should facilitate his quest. |
Comme la veille, il aperçut, à travers les rameaux de lierre, deux agents de police qui déambulaient d’un bec de gaz à un autre. Ils ne le virent point. D’ailleurs ce qui pouvait se passer dans l’hôtel leur paraissait totalement indifférent. |
As on the day before, he saw, through the ivy, two policemen walking between one lamp-post and the next. They did not see him. Moreover, anything that might happen inside the house appeared to be to them a matter of total indifference. |
« C’est là ma grande faute, se dit Perenna. On ne confie pas une mission à des gens qui ne se doutent pas de son importance. » |
"That's my great mistake," said Perenna to himself. "It doesn't do to entrust a job to people who do not suspect its importance." |
Ses investigations aboutirent à la découverte de traces sur le gravier, trop confuses pour que l’on pût reconstituer la forme des chaussures qui les y avaient faites, assez précises cependant pour que l’hypothèse de Perenna fût confirmée : les bandits avaient passé par là. |
His investigations led to the discovery of some traces of footsteps on the gravel, traces not sufficiently plain to enable him to distinguish the shape of the shoes that had left them, yet distinct enough to confirm his supposition. The scoundrels had been that way. |
Tout à coup, il eut un mouvement de joie. Contre la bordure de l’allée, entre les feuilles d’un petit massif de rhododendrons, il avait aperçu quelque chose de rouge qui l’avait frappé. |
Suddenly he gave a movement of delight. Against the border of the path, among the leaves of a little clump of rhododendrons, he saw something red, the shape of which at once struck him. |
Il se baissa. |
He stooped. |
C’était une pomme, la quatrième pomme, celle dont il avait remarqué l’absence dans le compotier. |
It was an apple, the fourth apple, the one whose absence from the fruit dish he had noticed. |
« Parfait, se dit-il, Hippolyte Fauville ne l’a pas mangée. C’est l’un d’eux qui l’aura emportée… Une fantaisie… une fringale soudaine… et elle aura roulé de sa main sans qu’il ait eu le temps de la rechercher. » |
"Excellent!" he said. "Hippolyte Fauville did not eat it. One of them must have carried it away--a fit of appetite, a sudden hunger--and it must have rolled from his hand without his having time to look for it and pick it up." |
Il ramassa le fruit et l’examina. |
He took up the fruit and examined it. |
— Ah ! fit-il en tressaillant, est-ce possible ? |
"What!" he exclaimed, with a start. "Can it be possible?" |
Il restait interdit, saisi d’une véritable émotion, n’admettant pour ainsi dire point la chose inadmissible qui s’offrait cependant à ses yeux avec l’évidence même de la réalité. On avait mordu dans la pomme, dans la pomme trop acide pour qu’on pût la manger. Et les dents avaient laissé leur empreinte ! |
He stood dumfounded, a prey to real excitement, refusing to admit the inadmissible thing which nevertheless presented itself to his eyes with the direct evidence of actuality. Some one had bitten into the apple; into the apple which was too sour to eat. And the teeth had left their mark! |
— Est-ce possible ? répétait don Luis, est-ce possible que l’un d’eux ait commis une pareille imprudence ? Il faut que la pomme soit tombée à son insu… ou qu’il n’ait pu la retrouver au milieu des ténèbres. |
"Is it possible?" repeated Don Luis. "Is it possible that one of them can have been guilty of such an imprudence! The apple must have fallen without his knowing ... or he must have been unable to find it in the dark." |
Il n’en revenait pas et cherchait des explications. Mais le fait était là. Deux rangées de dents, trouant en demi-cercle la mince pellicule rouge, avaient laissé dans la pulpe même leur morsure bien nette et bien régulière. Il y en avait six en haut, tandis qu’en bas cela s’était fondu en une seule ligne courbe. |
He could not get over his surprise. He cast about for plausible explanations. But the fact was there before him. Two rows of teeth, cutting through the thin red peel, had left their regular, semicircular bite clearly in the pulp of the fruit. They were clearly marked on the top, while the lower row had melted into a single curved line. |
— Les dents du tigre !… murmurait Perenna, qui ne pouvait détacher son regard de cette double empreinte. Les dents du tigre ! celles qui s’inscrivaient déjà sur la tablette de l’inspecteur Vérot ! Quelle coïncidence ! Peut-on supposer qu’elle soit fortuite ? Ne doit-on pas admettre comme certain que c’est la même personne qui a mordu dans ce fruit et qui avait marqué la tablette que l’inspecteur Vérot apportait à la Préfecture comme la preuve la plus irréfragable ? |
"The teeth of the tiger!" murmured Perenna, who could not remove his eyes from that double imprint. "The teeth of the tiger! The teeth that had already left their mark on Inspector Vérot's piece of chocolate! What a coincidence! It can hardly be fortuitous. Must we not take it as certain that the same person bit into this apple and into that cake of chocolate which Inspector Vérot brought to the police office as an incontestable piece of evidence?" |
Il hésita une seconde. Cette preuve, la garderait-il pour lui, pour l’enquête personnelle qu’il voulait mener ? ou bien l’abandonnerait-il aux investigations de la justice ? Mais il éprouvait au contact de cet objet une telle répugnance, un tel malaise physique, qu’il rejeta la pomme et la fit rouler sous le feuillage. |
He hesitated a second. Should he keep this evidence for himself, for the personal inquiry which he meant to conduct? Or should he surrender it to the investigations of the police? But the touch of the object filled him with such repugnance, with such a sense of physical discomfort, that he flung away the apple and sent it rolling under the leaves of the shrubs. |
Et il redisait en lui-même : |
And he repeated to himself: |
— Les dents du tigre !… les dents de la bête fauve ! |
"The teeth of the tiger! The teeth of the wild beast!" |
Il referma la porte du jardin, poussa le verrou, remit le trousseau de clefs sur la table, et dit à Mazeroux : |
He locked the garden door behind him, bolted it, put back the keys on the table and said to Mazeroux: |
— Tu as parlé au préfet de police ? |
"Have you spoken to the Chief of Police?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Il vient ? |
"Is he coming?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Il ne t’a pas donné l’ordre de téléphoner au commissaire de police ? |
"Didn't he order you to telephone for the commissary of police?" |
— Non. |
"No." |
— C’est qu’il veut tout voir par lui-même. Tant mieux ! Mais la Sûreté ? Le Parquet ? |
"That means that he wants to see everything by himself. So much the better. But the detective office? The public prosecutor?" |
— Il les a prévenus. |
"He's told them." |
— Qu’est-ce que tu as, Alexandre ? Il faut te tirer les réponses du fond des entrailles. Et bien, et après ? Tu me lorgnes d’un drôle d’air ? Qu’y a-t-il ? |
"What's the matter with you, Alexandre? I have to drag your answers out of you. Well, what is it? You're looking at me very queerly. What's up?" |
— Rien. |
"Nothing." |
— À la bonne heure. C’est cette histoire sans doute qui t’a tourné la tête. De fait, il y a de quoi… Et le préfet ne va pas rigoler… D’autant qu’il s’est confié à moi un peu à la légère et qu’on lui demandera des explications sur ma présence ici… Ah ! à ce propos, il est de beaucoup préférable que tu prennes la responsabilité de tout ce que nous avons fait. N’est-ce pas ? Ça n’en vaut que mieux pour toi. |
"That's all right. I expect this business has turned your head. And no wonder.... The Prefect won't enjoy himself, either, ... especially as he put his faith in me a bit light-heartedly and will be called upon to give an explanation of my presence here. By the way, it's much better that you should take upon yourself the responsibility for all that we have done. Don't you agree? Besides, it'll do you all the good in the world. |
D’ailleurs, mets-toi carrément en avant. Efface-moi le plus possible, et surtout — tu ne verras, je suppose, aucun inconvénient à ce petit détail, — ne commets pas la bêtise de dire que tu t’es endormi une seule seconde, cette nuit, dans le couloir. D’abord, ça te retomberait sur le dos. Et puis… et puis voilà… Nous sommes d’accord, hein ? Alors il n’y a plus qu’à se quitter. |
"Put yourself forward, flatly; suppress me as much as you can; and, above all--I don't suppose that you will have any objection to this little detail--don't be such a fool as to say that you went to sleep for a single second, last night, in the passage. First of all, you'd only be blamed for it. And then ... well, that's understood, eh? So we have only to say good-bye. |
Si le préfet a besoin de moi, comme je m’y attends, qu’on me téléphone, à mon domicile, place du Palais-Bourbon. J’y serai. Adieu. Il est inutile que j’assiste à l’enquête, ma présence y serait déplacée. Adieu, camarade. |
"If the Prefect wants me, as I expect he will, telephone to my address, Place du Palais-Bourbon. I shall be there. Good-bye. It is not necessary for me to assist at the inquiry; my presence would be out of place. Good-bye, old chap." |
Il se dirigea vers la porte du couloir. |
He turned toward the door of the passage. |
— Un instant, s’écria Mazeroux. |
"Half a moment!" cried Mazeroux. |
— Un instant ? mais… |
"Half a moment?... What do you mean?" |
Le brigadier s’était jeté entre la porte et lui, et barrait le passage. |
The detective sergeant had flung himself between him and the door and was blocking his way. |
— Oui, un instant… Je ne suis pas de votre avis. Il est de beaucoup préférable que vous patientiez jusqu’à l’arrivée du préfet. |
"Yes, half a moment ... I am not of your opinion. It's far better that you should wait until the Prefect comes." |
— Mais je me fiche pas mal de ton avis. |
"But I don't care a hang about your opinion!" |
— Ça se peut, mais vous ne passerez pas. |
"May be; but you shan't pass." |
— Quoi ? Ah çà ! mais, Alexandre, tu es malade ? |
"What! Why, Alexandre, you must be ill!" |
— Voyons, patron, supplia Mazeroux pris d’une défaillance, qu’est-ce que ça peut vous faire ? Il est tout naturel que le préfet désire causer avec vous. |
"Look here, Chief," said Mazeroux feebly. "What can it matter to you? It's only natural that the Prefect should wish to speak to you." |
— Ah ! c’est le préfet qui désire ?… Eh bien, tu lui diras, mon petit, que je ne suis pas à ses ordres, que je ne suis aux ordres de personne, et que si le président de la République, que si Napoléon Ier lui-même, me barrait la route… Et puis, zut, assez causé. Décampe. |
"Ah, it's the Prefect who wishes, is it?... Well, my lad, you can tell him that I am not at his orders, that I am at nobody's orders, and that, if the President of the Republic, if Napoleon I himself were to bar my way ... Besides, rats! Enough said. Get out of the road!" |
— Vous ne passerez pas ! déclara Mazeroux d’un ton résolu et en étendant les bras. |
"You shall not pass!" declared Mazeroux, in a resolute tone, extending his arms. |
— Elle est rigolote, celle-là. |
"Well, I like that!" |
— Vous ne passerez pas. |
"You shall not pass." |
— Alexandre, compte jusqu’à dix. |
"Alexandre, just count ten." |
— Jusqu’à cent, si vous voulez, mais vous ne… |
"A hundred, if you like, but you shall not...." |
— Ah ! tu m’embêtes avec ton refrain. Allons, ouste ! |
"Oh, blow your catchwords! Get out of this." |
Il saisit Mazeroux par les deux épaules, le fit pirouetter et, d’une poussée, l’envoya buter contre le divan. |
He seized Mazeroux by both shoulders, made him spin round on his heels and, with a push, sent him floundering over the sofa. |
Puis il ouvrit la porte. |
Then he opened the door. |
— Halte ! ou je fais feu ! |
"Halt, or I fire!" |
C’était Mazeroux, debout déjà, et le revolver au poing, l’expression implacable. |
It was Mazeroux, who had scrambled to his feet and now stood with his revolver in his hand and a determined expression on his face. |
Don Luis s’arrêta, stupéfait. La menace lui était absolument indifférente, et ce canon de revolver braqué sur lui le laissait aussi froid que possible. Mais par quel prodige Mazeroux, son complice d’autrefois, son disciple fervent, son serviteur dévoué, par quel prodige Mazeroux osait-il accomplir un pareil geste ? |
Don Luis stopped in amazement. The threat was absolutely indifferent to him, and the barrel of that revolver aimed at him left him as cold as could be. But by what prodigy did Mazeroux, his former accomplice, his ardent disciple, his devoted servant, by what prodigy did Mazeroux dare to act as he was doing? |
Il s’approcha de lui, et, appuyant doucement sur le bras tendu : |
Perenna went up to him and pressed gently on the detective's outstretched arm. |
— Ordre du préfet, n’est-ce pas ? |
"Prefect's orders?" he asked. |
— Oui, murmura le brigadier, tout confus. |
"Yes," muttered the sergeant, uncomfortably. |
— Ordre de me retenir jusqu’à son arrivée ? |
"Orders to keep me here until he comes?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Et si je manifestais l’intention de sortir, ordre de m’en empêcher ? |
"And if I betrayed an intention of leaving, to prevent me?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Par tous les moyens ? |
"By every means?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Même en m’envoyant une balle dans la peau ? |
"Even by putting a bullet through my skin?" |
— Oui. |
"Yes." |
Perenna réfléchit, puis d’une voix grave : |
Perenna reflected; and then, in a serious voice: |
— Tu aurais tiré, Mazeroux ? |
"Would you have fired, Mazeroux?" |
Le brigadier baissa la tête et articula faiblement : |
The sergeant lowered his head and said faintly: |
— Oui, patron. |
"Yes, Chief." |
Perenna le regarda sans colère, d’un regard de sympathie affectueuse, et c’était pour lui un spectacle passionnant que de voir son ancien compagnon dominé par un tel sentiment du devoir et de la discipline. Rien ne prévalait contre ce sentiment-là, rien, pas même l’admiration farouche, l’attachement en quelque sorte animal que Mazeroux conservait pour son maître. |
Perenna looked at him without anger, with a glance of affectionate sympathy; and it was an absorbing sight for him to see his former companion dominated by such a sense of discipline and duty. Nothing was able to prevail against that sense, not even the fierce admiration, the almost animal attachment which Mazeroux retained for his master. |
— Je ne t’en veux pas, Mazeroux. Je t’approuve même. Seulement, tu vas m’expliquer la raison pour laquelle le préfet de police… |
"I'm not angry, Mazeroux. In fact, I approve. Only you must tell me the reason why the Prefect of Police--" |
Le brigadier ne répondit pas, mais ses yeux avaient une expression si douloureuse que don Luis sursauta, comprenant tout à coup. |
The detective did not reply, but his eyes wore an expression of such sadness that Don Luis started, suddenly understanding. |
— Non… non, s’écria-t-il, c’est absurde… il n’a pas pu avoir cette idée… Et toi, Mazeroux, est-ce que tu me crois coupable ? |
"No," he cried, "no!... It's absurd ... he can't have thought that!... And you, Mazeroux, do you believe me guilty?" |
— Oh ! moi, patron, je suis sûr de vous comme de moi-même… Vous ne tuez pas, vous !… Mais, tout de même, il y a des choses, des coïncidences… |
"Oh, I, Chief, am as sure of you as I am of myself!... You don't take life!... But, all the same, there are things ... coincidences--" |
— Des choses… des coïncidences… répéta don Luis, lentement. |
"Things ... coincidences ..." repeated Don Luis slowly. |
Il demeura pensif, et, tout bas, il scanda : |
He remained pensive; and, in a low voice, he said: |
— Oui… au fond… il y a du vrai dans ce que tu dis… Oui tout ça coïncide… Comment n’y ai-je pas songé ?… Mes relations avec Cosmo Mornington, mon arrivée à Paris pour l’ouverture du testament, mon insistance pour passer la nuit ici, le fait que la mort des deux Fauville me donne sans doute les millions… Et puis… et puis… Mais il a mille fois raison, ton préfet de police !… D’autant plus… Enfin… enfin… quoi ! je suis fichu. |
"Yes, after all, there's truth in what you say.... Yes, it all fits in.... Why didn't I think of it?... My relations with Cosmo Mornington, my arrival in Paris in time for the reading of the will, my insisting on spending the night here, the fact that the death of the two Fauvilles undoubtedly gives me the millions.... And then ... and then ... why, he's absolutely right, your Prefect of Police!... All the more so as.... Well, there, I'm a goner!" |
— Voyons, patron. |
"Come, come, Chief!" |
— Fichu, camarade, mets-toi bien ça dans la caboche… Non pas fichu en tant qu’Arsène Lupin, ex-cambrioleur, ex-forçat, ex tout ce que tu voudras… sur ce terrain-là, je suis inattaquable… mais fichu en tant que don Luis Perenna, honnête homme, légataire universel, etc. Et c’est trop bête ! car enfin, qui retrouvera l’assassin de Cosmo, de Vérot et des deux Fauville, si on me flanque en prison ? |
"A dead-goner, old chap; you just get that into your head. Not as Arsène Lupin, ex-burglar, ex-convict, ex-anything you please--I'm unattackable on that ground--but as Don Luis Perenna, respectable man, residuary legatee, and the rest of it. And it's too stupid! For, after all, who will find the murderers of Cosmo, Vérot, and the two Fauvilles, if they go clapping me into jail?" |
— Voyons, patron… |
"Come, come, Chief--" |
— Tais-toi… Écoute… |
"Shut up! ... Listen!" |
Une automobile s’arrêtait sur le boulevard, et une autre survint. C’était évidemment le préfet de police et les magistrats du parquet. |
A motor car was stopping on the boulevard, followed by another. It was evidently the Prefect and the magistrates from the public prosecutor's office. |
Don Luis saisit le bras de Mazeroux : |
Don Luis took Mazeroux by the arm. |
— Un seul moyen, Alexandre, ne dis pas que tu as dormi. |
"There's only one way out of it, Alexandre! Don't say you went to sleep." |
— Impossible, patron. |
"I must, Chief." |
— Triple idiot ! grogna don Luis. Peut-on être gourde à ce point ! C’est à vous dégoûter d’être honnête. Alors quoi ? |
"You silly ass!" growled Don Luis. "How is it possible to be such an ass! It's enough to disgust one with honesty. What am I to do, then?" |
— Alors, patron, découvrez le coupable… |
"Discover the culprit, Chief." |
— Hein ! Qu’est-ce que tu chantes ? |
"What! ... What are you talking about?" |
À son tour, Mazeroux lui prit le bras, et, s’accrochant à lui avec une sorte de désespoir, la voix mouillée de larmes : |
Mazeroux, in his turn, took him by the arm and, clutching him with a sort of despair, said, in a voice choked with tears: |
— Découvrez le coupable, patron. Sans ça, vous êtes réglé… c’est certain… Le préfet me l’a dit… Il faut un coupable à la justice… et dès ce soir… Il en faut un… À vous de le découvrir. |
"Discover the culprit, Chief. If not, you're done for ... that's certain ... the Prefect told me so. ... The police want a culprit ... they want him this evening.... One has got to be found.... It's up to you to find him." |
— Tu en as de bonnes, Alexandre. |
"What you have, Alexandre, is a merry wit." |
— C’est un jeu pour vous, patron. Vous n’avez qu’à vouloir. |
"It's child's play for you, Chief. You have only to set your mind to it." |
— Mais il n’y a pas le moindre indice, idiot ! |
"But there's not the least clue, you ass!" |
— Vous en trouverez… il le faut… Je vous en supplie, livrez quelqu’un… Je serais trop malheureux si on vous arrêtait. Et puis, vous, le patron, accusé d’assassinat ! Non… non… je vous en supplie, découvrez le coupable et livrez-le… Vous avez toute la journée pour cela… et Lupin en a fait bien d’autres ! |
"You'll find one ... you must ... I entreat you, hand them over somebody.... It would be more than I could bear if you were arrested. You, the chief, accused of murder! No, no.... I entreat you, discover the criminal and hand him over.... You have the whole day to do it in...and Lupin has done greater things than that!" |
Il bégayait, pleurait, se tordait les mains, grimaçait de tout son visage comique. Et c’était touchant, cette douleur, cet effarement à l’approche du danger qui menaçait son maître. |
He was stammering, weeping, wringing his hands, grimacing with every feature of his comic face. And it was really touching, this grief, this dismay at the approach of the danger that threatened his master. |
La voix de M. Desmalions se fit entendre dans le vestibule, à travers la tapisserie qui fermait le couloir. Une troisième automobile stoppa sur le boulevard, et une quatrième, toutes deux sans doute chargées d’agents. |
M. Desmalions's voice was heard in the hall, through the curtain that closed the passage. A third motor car stopped on the boulevard, and a fourth, both doubtless laden with policemen. |
L’hôtel était cerné, en état de siège. |
The house was surrounded, besieged. |
Perenna se taisait. |
Perenna was silent. |
Près de lui, la figure anxieuse, Mazeroux semblait l’implorer. |
Beside him, anxious-faced, Mazeroux seemed to be imploring him. |
Quelques secondes s’écoulèrent. |
A few seconds elapsed. |
Puis Perenna déclara posément : |
Then Perenna declared, deliberately: |
— Tout compte fait, Alexandre, j’avoue que tu as vu clair dans la situation et que tes craintes sont pleinement justifiées. Si je n’arrive pas, en quelques heures, à livrer à la justice l’assassin ou les assassins d’Hippolyte Fauville et de son fils, ce soir, jeudi, premier jour du mois d’avril, c’est moi, don Luis Perenna, qui coucherai sur la paille humide. |
"Looking at things all round, Alexandre, I admit that you have seen the position clearly and that your fears are fully justified. If I do not manage to hand over the murderer or murderers of Hippolyte Fauville and his son to the police in a few hours from now, it is I, Don Luis Perenna, who will be lodged in durance vile on the evening of this Thursday, the first of April." |
|
Chapitre III.La Turquoise Morte |
Chapter 3:The Clouded Turquoise |
Il était environ neuf heures du matin lorsque le préfet de police entra dans le bureau où s’était déroulé le drame incompréhensible de ce double et mystérieux assassinat. |
It was about nine o'clock in the morning when the Prefect of Police entered the study in which the incomprehensible tragedy of that double murder had been enacted. |
Il ne salua même pas don Luis, et les magistrats qui l’accompagnaient auraient pu croire que don Luis n’était qu’un auxiliaire du brigadier Mazeroux, si le chef de la Sûreté n’eût eu soin de préciser en quelques mots le rôle de cet intrus. |
He did not even bow to Don Luis; and the magistrates who accompanied him might have thought that Don Luis was merely an assistant of Sergeant Mazeroux, if the chief detective had not made it his business to tell them, in a few words, the part played by the stranger. |
Brièvement, M. Desmalions examina les deux cadavres et se fit donner par Mazeroux de rapides explications. Puis, regagnant le vestibule, il monta dans un salon du premier étage, où Mme Fauville, prévenue de sa visite, le rejoignit presque aussitôt. |
M. Desmalions briefly examined the two corpses and received a rapid explanation from Mazeroux. Then, returning to the hall, he went up to a drawing-room on the first floor, where Mme. Fauville, who had been informed of his visit, joined him almost at once. |
Perenna, qui n’avait pas bougé du couloir, à son tour se glissa dans le vestibule, que les domestiques de l’hôtel, déjà mis au courant du crime, traversaient en tous sens, et il descendit les quelques marches qui conduisaient à un premier palier, sur lequel s’ouvrait la grande porte. |
Perenna, who had not stirred from the passage, slipped into the hall himself. The servants of the house, who by this time had heard of the murder, were crossing it in every direction. He went down the few stairs leading to a ground-floor landing, on which the front door opened. |
Deux hommes étaient là, dont l’un lui dit : |
There were two men there, of whom one said: |
— On ne passe pas. |
"You can't pass." |
— Mais… |
"But--" |
— On ne passe pas… c’est la consigne. |
"You can't pass: those are our orders." |
— La consigne ? Et qui donc l’a donnée ? |
"Your orders? Who gave them?" |
— Le préfet lui-même. |
"The Prefect himself." |
— Pas de veine, dit Perenna en riant. J’ai veillé toute la nuit et je crève de faim. Pas moyen de se mettre quelque chose sous la dent ? |
"No luck," said Perenna, laughing. "I have been up all night and I am starving. Is there no way of getting something to eat?" |
Les deux agents se regardèrent, puis l’un d’eux fit signe à Silvestre, le domestique, qui s’approcha et avec lequel il s’entretint. Silvestre s’en alla du côté de la salle à manger et de l’office et rapporta un croissant. |
The two policemen exchanged glances and one of them beckoned to Silvestre and spoke to him. Silvestre went toward the dining-room, and returned with a horseshoe roll. |
« Bien, pensa don Luis, après avoir remercié, la preuve est faite. Je suis bouclé. C’est ce que je voulais savoir. Mais M. Desmalions manque de logique. Car si c’est Arsène Lupin qu’il a l’intention de retenir ici, tous ces braves agents sont quelque peu insuffisants; et si c’est don Luis Perenna, ils sont inutiles, puisque la fuite du sieur Perenna enlèverait au sieur Perenna toute chance de palper la galette du bon Cosmo. Sur quoi, je m’assieds. » |
"Good," thought Don Luis, after thanking him. "This settles it. I'm nabbed. That's what I wanted to know. But M. Desmalions is deficient in logic. For, if it's Arsène Lupin whom he means to detain here, all these worthy plain-clothesmen are hardly enough; and, if it's Don Luis Perenna, they are superfluous, because the flight of Master Perenna would deprive Master Perenna of every chance of seeing the colour of my poor Cosmo's shekels. Having said which, I will take a chair." |
Il reprit sa place en effet dans le couloir et attendit les événements. |
He resumed his seat in the passage and awaited events. |
Par la porte ouverte du bureau, il vit les magistrats poursuivre leur enquête. Le médecin légiste fit un premier examen des deux cadavres et reconnut aussitôt les mêmes indices d’empoisonnement qu’il avait lui-même constatés la veille au soir sur le cadavre de l’inspecteur Vérot. |
Through the open door of the study he saw the magistrates pursuing their investigations. The divisional surgeon made a first examination of the two bodies and at once recognized the same symptoms of poisoning which he himself had perceived, the evening before, on the corpse of Inspector Vérot. |
Puis des agents soulevèrent les corps, que l’on transporta dans les deux chambres contiguës que le père et le fils occupaient naguère au second étage de l’hôtel. |
Next, the detectives took up the bodies and carried them to the adjoining bedrooms which the father and son formerly occupied on the second floor of the house. |
Le préfet de police redescendit alors, et don Luis saisit ces paroles qu’il adressait aux magistrats : |
The Prefect of Police then came downstairs; and Don Luis heard him say to the magistrates: |
— Pauvre femme ! elle ne voulait pas comprendre… Quand elle a compris, elle est tombée raide par terre, évanouie. Pensez donc ! son mari et son fils d’un seul coup… La malheureuse ! |
"Poor woman! She refused to understand.... When at last she understood, she fell to the ground in a dead faint. Only think, her husband and her son at one blow!... Poor thing!" |
À partir de ce moment, il ne vit plus rien et n’entendit plus rien. La porte fut fermée. Le préfet dut ensuite donner des ordres de l’extérieur, par la communication que le jardin offrait avec l’entrée principale, car les deux agents vinrent s’installer dans le vestibule, à l’issue même du couloir, à droite et à gauche de la tapisserie. |
From that moment Perenna heard and saw nothing. The door was shut. The Prefect must afterward have given some order through the outside, through the communication with the front door offered by the garden, for the two detectives came and took up their positions in the hall, at the entrance to the passage, on the right and left of the dividing curtain. |
« Décidément, se dit Perenna, mes actions ne sont pas en hausse. Quelle bile doit se faire Alexandre ! Non, mais quelle bile ! » |
"One thing's certain," thought Don Luis. "My shares are not booming. What a state Alexandre must be in! Oh, what a state!" |
À midi, Silvestre lui apporta quelques aliments sur un plateau. |
At twelve o'clock Silvestre brought him some food on a tray. |
Et l’attente recommença, très longue, pénible. |
And the long and painful wait began anew. |
Dans le bureau et dans l’hôtel, l’enquête, interrompue par le déjeuner, avait repris. Il percevait de tous côtés des allées et venues et des bruits de voix. À la fin, fatigué, ennuyé, il se renversa sur son fauteuil et s’endormit. |
In the study and in the house, the inquiry, which had been adjourned for lunch, was resumed. Perenna heard footsteps and the sound of voices on every side. At last, feeling tired and bored, he leaned back in his chair and fell asleep. |
* * * * * |
|
Il était quatre heures lorsque le brigadier Mazeroux le réveilla. Et, tout en le conduisant, Mazeroux chuchotait : |
It was four o'clock when Sergeant Mazeroux came and woke him. As he led him to the study, Mazeroux whispered: |
— Eh bien, vous l’avez découvert ? |
"Well, have you discovered him?" |
— Qui ? |
"Whom?" |
— Le coupable ? |
"The murderer." |
— Parbleu ! dit Perenna, c’est simple comme bonjour. |
"Of course!" said Perenna. "It's as easy as shelling peas!" |
— Ah ! heureusement, fit Mazeroux, tout joyeux, et ne comprenant pas la plaisanterie. Sans cela, comme vous le disiez, vous étiez fichu. |
"That's a good thing!" said Mazeroux, greatly relieved and failing to see the joke. "But for that, as you saw for yourself, you would have been done for." |
Don Luis entra. Dans la pièce se trouvaient réunis le procureur de la République, le juge d’instruction, le chef de la Sûreté, le commissaire du quartier, deux inspecteurs et trois agents en uniforme. |
Don Luis entered. In the room were the public prosecutor, the examining magistrate, the chief detective, the local commissary of police, two inspectors, and three constables in uniform. |
Dehors, sur le boulevard Suchet, s’élevaient des clameurs, et quand le commissaire et les trois agents, obéissant au préfet, sortirent pour écarter la foule, on entendit la voix éraillée d’un camelot qui hurlait : |
Outside, on the Boulevard Suchet, shouts were raised; and, when the commissary and his three policemen went out, by the Prefect's orders, to listen to the crowd, the hoarse voice of a newsboy was heard shouting: |
— Le double assassinat du boulevard Suchet ! Curieux détails sur la mort de l’inspecteur Vérot ! Le désarroi de la police ! |
"The double murder on the Boulevard Suchet! Full particulars of the death of Inspector Vérot! The police at a loss!--" |
Puis, la porte close, ce fut le silence. |
Then, when the door was closed, all was silent. |
« Mazeroux ne se trompait pas, pensa don Luis, moi ou l’autre, c’est net. Si je ne parviens pas à tirer, des paroles qui vont être dites et des faits qui vont se produire au cours de cet interrogatoire, quelque lumière qui me permette de leur désigner cet X mystérieux, c’est moi qu’ils livreront, ce soir, en pâture au public. Attention, mon bon Lupin ! » |
"Mazeroux was quite right," thought Don Luis. "It's I or the other one: that's clear. Unless the words that will be spoken and the facts that will come to light in the course of this examination supply me with some clue that will enable me to give them the name of that mysterious X, they'll surrender me this evening for the people to batten on. Attention, Lupin, old chap, the great game is about to commence!" |
Il eut ce frisson de joie qui le faisait tressaillir à l’approche des grandes luttes. Celle-là, en vérité, comptait au nombre des plus terribles qu’il eût encore soutenues. |
He felt that thrill of delight which always ran through him at the approach of the great struggles. This one, indeed, might be numbered among the most terrible that he had yet sustained. |
Il connaissait la réputation du préfet, son expérience, sa ténacité, le plaisir très vif qu’il éprouvait à s’occuper des instructions importantes et à les pousser lui-même à fond avant de les remettre aux mains du juge, et Perenna connaissait aussi toutes les qualités professionnelles du chef de la Sûreté, toute la finesse, toute la logique pénétrante du juge d’instruction. |
He knew the Prefect's reputation, his experience, his tenacity, and the keen pleasure which he took in conducting important inquiries and in personally pushing them to a conclusion before placing them in the magistrate's hands; and he also knew all the professional qualities of the chief detective, and all the subtlety, all the penetrating logic possessed by the examining magistrate. |
Ce fut le préfet de police qui dirigea l’attaque. Il le fit nettement, sans détours, d’une voix un peu sèche, où il n’y avait plus, à l’égard de don Luis, les mêmes intonations de sympathie. L’attitude également était plus raide et manquait de cette bonhomie qui, la veille, avait frappé don Luis. |
The Prefect of Police himself directed the attack. He did so in a straightforward fashion, without beating about the bush, and in a rather harsh voice, which had lost its former tone of sympathy for Don Luis. His attitude also was more formal and lacked that geniality which had struck Don Luis on the previous day. |
— Monsieur, dit-il, les circonstances ayant voulu que, comme légataire universel et comme représentant de M. Cosmo Mornington, vous passiez la nuit dans ce rez-de-chaussée, tandis que s’y commettait un double assassinat, nous désirons recevoir votre témoignage détaillé sur les divers incidents de cette nuit. |
"Monsieur," he said, "circumstances having brought about that, as the residuary legatee and representative of Mr. Cosmo Mornington, you spent the night on this ground floor while a double murder was being committed here, we wish to receive your detailed evidence as to the different incidents that occurred last night." |
— En d’autres termes, monsieur le préfet, dit Perenna qui riposta directement à l’attaque, en d’autres termes, les circonstances ayant voulu que vous m’accordiez l’autorisation de passer la nuit ici, vous seriez désireux de savoir si mon témoignage correspond exactement à celui du brigadier Mazeroux. |
"In other words, Monsieur le Préfet," said Perenna, replying directly to the attack, "in other words, circumstances having brought about that you authorized me to spend the night here, you would like to know if my evidence corresponds at all points with that of Sergeant Mazeroux?" |
— Oui, dit le préfet. |
"Yes." |
— C’est-à-dire que mon rôle vous semble suspect ? |
"Meaning that the part played by myself strikes you as suspicious?" |
M. Desmalions hésita. Ses yeux s’attachèrent aux yeux de don Luis. Visiblement il fut impressionné par ce regard si franc. Néanmoins, il répondit, et sa réponse était claire et son accent brusque : |
M. Desmalions hesitated. His eyes met Don Luis's eyes; and he was visibly impressed by the other's frank glance. Nevertheless he replied, plainly and bluntly: |
— Vous n’avez pas de questions à me poser, monsieur. |
"It is not for you to ask me questions, Monsieur." |
Don Luis s’inclina. |
Don Luis bowed. |
— Je suis à vos ordres, monsieur le préfet. |
"I am at your orders, Monsieur le Préfet." |
— Veuillez nous dire ce que vous savez. |
"Please tell us what you know." |
Don Luis fit alors une relation minutieuse des événements, à la suite de quoi M. Desmalions réfléchit quelques instants et dit : |
Don Luis thereupon gave a minute account of events, after which M. Desmalions reflected for a few moments and said: |
— Il est un point au sujet duquel il nous faut quelques éclaircissements. Lorsque vous êtes entré ce matin à deux heures et demie dans cette pièce, et que vous avez pris place à côté de M. Fauville, aucun indice ne vous a révélé qu’il était mort ? |
"There is one point on which we want to be informed. When you entered this room at half-past two this morning and sat down beside M. Fauville, was there nothing to tell you that he was dead?" |
— Aucun, monsieur le préfet… sinon le brigadier Mazeroux et moi nous aurions donné l’alarme. |
"Nothing, Monsieur le Préfet. Otherwise, Sergeant Mazeroux and I would have given the alarm." |
— La porte du jardin était fermée ? |
"Was the garden door shut?" |
— Elle l’était forcément, puisque nous avons dû l’ouvrir à sept heures du matin. |
"It must have been, as we had to unlock it at seven o'clock." |
— Avec quoi ? |
"With what?" |
— Avec la clef du trousseau. |
"With the key on the bunch." |
— Mais comment des assassins, venus du dehors, auraient-ils pu l’ouvrir, eux ? |
"But how could the murderers, coming from the outside, have opened it?" |
— Avec de fausses clefs. |
"With false keys." |
— Vous avez une preuve qui vous permet de supposer qu’elle a été ouverte avec de fausses clefs ? |
"Have you a proof which allows you to suppose that it was opened with false keys?" |
— Non, monsieur le préfet. |
"No, Monsieur le Préfet." |
— Donc, jusqu’à preuve du contraire, nous devons penser qu’elle n’a pas pu être ouverte du dehors et que le coupable se trouvait à l’intérieur. |
"Therefore, until we have proofs to the contrary, we are bound to believe that it was not opened from the outside, and that the criminal was inside the house." |
— Mais, enfin, monsieur le préfet, il n’y avait là que le brigadier Mazeroux et moi ! |
"But, Monsieur le Préfet, there was no one here but Sergeant Mazeroux and myself!" |
Il y eut un silence, un silence dont la signification ne faisait aucun doute, et auquel les paroles de M. Desmalions allaient donner une valeur plus précise encore. |
There was a silence, a pause whose meaning admitted of no doubt. M. Desmalions's next words gave it an even more precise value. |
— Vous n’avez pas dormi de la nuit ? |
"You did not sleep during the night?" |
— Si, vers la fin. |
"Yes, toward the end." |
— Vous n’avez pas dormi auparavant, tandis que vous étiez dans le couloir ? |
"You did not sleep before, while you were in the passage?" |
— Non. |
"No." |
— Et le brigadier Mazeroux ? |
"And Sergeant Mazeroux?" |
Don Luis resta indécis une seconde, mais pouvait-il espérer que l’honnête et scrupuleux Mazeroux eût désobéi aux ordres de sa conscience ? |
Don Luis remained undecided for a moment; but how could he hope that the honest and scrupulous Mazeroux had disobeyed the dictates of his conscience? |
Il répondit : |
He replied: |
— Le brigadier Mazeroux s’est endormi sur son fauteuil et il ne s’est réveillé qu’au retour de Mme Fauville, deux heures plus tard. |
"Sergeant Mazeroux went to sleep in his chair and did not wake until Mme. Fauville returned, two hours later." |
Il y eut un nouveau silence, et qui signifiait évidemment, celui-là : |
There was a fresh silence, which evidently meant: |
— Donc, pendant les deux heures que le brigadier Mazeroux dormait, il vous eût été matériellement possible d’ouvrir la porte et de supprimer les deux Fauville. |
"So, during the two hours when Sergeant Mazeroux was asleep, it was physically possible for you to open the door and kill the two Fauvilles." |
L’interrogatoire suivait la marche que Perenna avait prévue, et le cercle se restreignait autour de lui. Son adversaire menait le combat avec une logique et une vigueur qu’il admirait sans réserve. |
The examination was taking the course which Perenna had foreseen; and the circle was drawing closer and closer around him. His adversary was conducting the contest with a logic and vigour which he admired without reserve. |
« Bigre, se disait-il, que c’est malaisé de se défendre quand on est innocent ! Voilà mon aile droite et mon aile gauche enfoncées. Le centre pourra-t-il supporter l’assaut ? » |
"By Jove!" he thought. "How difficult it is to defend one's self when one is innocent. There's my right wing and my left wing driven in. Will my centre be able to stand the assault?" |
M. Desmalions, après s’être concerté avec le juge d’instruction, reprit la parole en ces termes : |
M. Desmalions, after a whispered colloquy with the examining magistrate, resumed his questions in these terms: |
— Hier soir, lorsque M. Fauville ouvrit son coffre-fort devant vous et devant le brigadier, qu’y avait-il dans ce coffre ? |
"Yesterday evening, when M. Fauville opened his safe in your presence and the sergeant's, what was in the safe?" |
— Un amoncellement de paperasses sur un des rayons, et, parmi ces paperasses, le cahier de toile grise qui a disparu. |
"A heap of papers, on one of the shelves; and, among those papers, the diary in drab cloth which has since disappeared." |
— Vous n’avez pas touché à ces paperasses ? |
"You did not touch those papers?" |
— Pas plus qu’au coffre, monsieur le préfet. Le brigadier Mazeroux a dû même vous dire que ce matin, pour la régularité de l’enquête, il m’a tenu à l’écart. |
"Neither the papers nor the safe, Monsieur le Préfet. Sergeant Mazeroux must have told you that he made me stand aside, to insure the regularity of the inquiry." |
— Donc, de vous à ce coffre, il n’y a pas eu le moindre contact ? |
"So you never came into the slightest contact with the safe?" |
— Pas le moindre. |
"Not the slightest." |
M. Desmalions regarda le juge d’instruction en hochant la tête. Si Perenna avait pu douter qu’un piège lui fût tendu, il lui eût suffit, pour être renseigné, de jeter un coup d’œil sur Mazeroux : Mazeroux était livide. |
M. Desmalions looked at the examining magistrate and nodded his head. Had Perenna been able to doubt that a trap was being laid for him, a glance at Mazeroux would have told him all about it. Mazeroux was ashen gray. |
Cependant, M. Desmalions continua : |
Meanwhile, M. Desmalions continued: |
— Vous vous êtes occupé d’enquêtes, monsieur, d’enquêtes policières. C’est donc au détective qui fit ses preuves que je vais poser une question. |
"You have taken part in inquiries, Monsieur, in police inquiries. Therefore, in putting my next question to you, I consider that I am addressing it to a tried detective." |
— J’y répondrai de mon mieux, monsieur le préfet. |
"I will answer your question, Monsieur le Préfet, to the best of my ability." |
— Voici. Au cas où il y aurait actuellement dans le coffre-fort un objet quelconque, un bijou… mettons un brillant détaché d’une épingle de cravate, et que ce brillant fût détaché d’une épingle de cravate appartenant, sans contestation possible, à une personne connue de nous, personne ayant passé la nuit dans cet hôtel, que penseriez-vous de cette coïncidence ? |
"Here it is, then: Supposing that there were at this moment in the safe an object of some kind, a jewel, let us say, a diamond out of a tie pin, and that this diamond had come from a tie pin which belonged to somebody whom we knew, somebody who had spent the night in this house, what would you think of the coincidence?" |
« Ça y est, se dit Perenna, voilà le piège. Il est clair qu’ils ont trouvé quelque chose dans le coffre, et ensuite qu’ils s’imaginent que ce quelque chose m’appartient. Bien. Mais, pour cela, il faudrait supposer, puisque je n’ai pas touché au coffre, que ce quelque chose m’eût été dérobé et qu’on l’eût placé dans le coffre pour me compromettre. Et c’est impossible, puisque je ne suis mêlé à cette affaire que depuis hier soir et qu’on n’a pas eu le temps, durant cette nuit où je n’ai vu personne, de préparer contre moi une intrigue aussi ardue. Donc… » |
"There we are," said Perenna to himself. "There's the trap. It's clear that they've found something in the safe, and next, that they imagine that this something belongs to me. Good! But, in that case, we must presume, as I have not touched the safe, that the thing was taken from me and put in the safe to compromise me. But I did not have a finger in this pie until yesterday; and it is impossible that, during last night, when I saw nobody, any one can have had time to prepare and contrive such a determined plot against me. So--" |
Le préfet de police interrompit ce monologue et répéta : |
The Prefect of Police interrupted this silent monologue by repeating: |
— Quelle serait votre opinion ? |
"What would be your opinion?" |
— Il y aurait, monsieur le préfet, corrélation indéniable entre la présence de cet individu dans l’hôtel et les deux crimes commis. |
"There would be an undeniable connection between that person's presence in the house and the two crimes that had been committed." |
— Nous aurions par conséquent le droit tout au moins de soupçonner cet individu ? |
"Consequently, we should have the right at least to suspect the person?" |
— Oui. |
"Yes." |
— C’est votre avis ? |
"That is your view?" |
— Très net. |
"Decidedly." |
M. Desmalions sortit de sa poche un papier de soie qu’il déplia, et saisit entre deux doigts une petite pierre bleue qu’il montra : |
M. Desmalions produced a piece of tissue paper from his pocket and took from it a little blue stone, which he displayed. |
— Voici une turquoise que nous avons trouvée dans le coffre. Cette turquoise, sans aucune espèce de doute, fait partie de la bague que vous portez à l’index. |
"Here is a turquoise which we found in the safe. It belongs, without a shadow of a doubt, to the ring which you are wearing on your finger." |
Un accès de rage secoua don Luis. Il grinça, les dents serrées : |
Don Luis was seized with a fit of rage. He half grated, through his clenched teeth: |
— Ah ! les coquins ! Sont-ils forts tout de même !… Mais non, je ne puis croire… |
"Oh, the rascals! How clever they are! But no, I can't believe--" |
Il examina sa bague. Le chaton en était formé par une grosse turquoise éteinte, morte, qu’entourait un cercle de petites turquoises irrégulières, d’un bleu également pâle. L’une d’elles manquait. Celle que M. Desmalions tenait à la main la remplaça exactement. |
He looked at his ring, which was formed of a large, clouded, dead turquoise, surrounded by a circle of small, irregular turquoises, also of a very pale blue. One of these was missing; and the one which M. Desmalions had in his hand fitted the place exactly. |
M. Desmalions prononça : — Qu’en dites-vous ? |
"What do you say?" asked M. Desmalions. |
— Je dis que cette turquoise fait partie de ma bague, bague qui me fut donnée par Cosmo Mornington la première fois que je lui sauvai la vie. |
"I say that this turquoise belongs to my ring, which was given me by Cosmo Mornington on the first occasion that I saved his life." |
— Donc, nous sommes d’accord ? |
"So we are agreed?" |
— Oui, monsieur le préfet, nous sommes d’accord. |
"Yes, Monsieur le Préfet, we are agreed." |
Don Luis Perenna se mit à marcher à travers la pièce en réfléchissant. Au mouvement que les agents de la Sûreté firent vers chacune des portes, il comprit que son arrestation avait été prévue. Une parole de M. Desmalions, et le brigadier Mazeroux serait obligé de mettre la main au collet de son patron. |
Don Luis Perenna began to walk across the room, reflecting. The movement which the two detectives made toward the two doors told him that his arrest was provided for. A word from M. Desmalions, and Sergeant Mazeroux would be forced to take his chief by the collar. |
De nouveau, don Luis lança un coup d’œil vers son ancien complice. Mazeroux esquissa un geste de supplication, comme s’il eût voulu dire : |
Don Luis once more gave a glance toward his former accomplice. Mazeroux made a gesture of entreaty, as though to say: |
« Eh bien, qu’est ce que vous attendez pour leur livrer le coupable ? Vite, il est temps. » |
"Well, what are you waiting for? Why don't you give up the criminal? Quick, it's time!" |
Don Luis sourit. |
Don Luis smiled. |
— Qu’y a-t-il ? demanda le préfet, d’un ton où plus rien ne perçait de cette sorte de politesse involontaire que, malgré tout, il lui témoignait depuis le début de l’instruction. |
"What's the matter?" asked the Prefect, in a tone that now entirely lacked the sort of involuntary politeness which he had shown since the commencement of the examination. |
— Il y a… Il y a… |
"The matter? The matter?--" |
Perenna saisit une chaise par le dossier, la fit pirouetter et s’assit en disant ce simple mot : |
Perenna seized a chair by the back, spun it round and sat down upon it, with the simple remark: |
— Causons. |
"Let's talk!" |
Et le mot était dit de telle manière, et le mouvement exécuté avec tant de décision, que le préfet murmura, comme ébranlé : |
And this was said in such a way and the movement executed with so much decision that the Prefect muttered, as though wavering: |
— Je ne vois pas bien… |
"I don't quite see--" |
— Vous allez comprendre, monsieur le préfet. |
"You soon will, Monsieur le Préfet." |
Et, la voix lente, en scandant chacune des syllabes de son discours, il commença : |
And, speaking in a slow voice, laying stress on every syllable that he uttered, he began: |
— Monsieur le préfet, la situation est limpide. Vous m’avez donné hier soir une autorisation qui engage votre responsabilité de la façon la plus grave. Il vous faut donc à tout prix, et sur-le-champ, un coupable. Le coupable, ce sera donc moi. Comme charges, vous avez ma présence ici, le fait que la porte était fermée à l’intérieur, le fait que le brigadier Mazeroux dormait pendant le crime, et la découverte, dans le coffre, de cette turquoise. C’est écrasant, je l’avoue. Il s’y ajoute cette présomption terrible que j’avais tout intérêt à la disparition de M. Fauville et de son fils, puisque s’il n’existe pas d’héritier de Cosmo Mornington je touche deux cents millions. Parfait. Il n’y a donc plus pour moi qu’à vous suivre au Dépôt… ou bien… |
"Monsieur le Préfet, the position is as clear as daylight. Yesterday evening you gave me an authorization which involves your responsibility most gravely. The result is that what you now want, at all costs and without delay, is a culprit. And that culprit is to be myself. By way of incriminating evidence, you have the fact of my presence here, the fact the door was locked on the inside, the fact that Sergeant Mazeroux was asleep while the crime was committed, and the fact of the discovery of the turquoise in the safe. All this is crushing, I admit. Added to it," he continued, "we have the terrible presumption that I had every interest in the removal of M. Fauville and his son, inasmuch as, if there is no heir of Cosmo Mornington's in existence, I come into a hundred million francs. Exactly. There is therefore nothing for me to do, Monsieur le Préfet, but to go with you to the lockup or else--" |
— Ou bien ? |
"Or else what?" |
— Ou bien à remettre en vos mains le coupable, le vrai coupable. |
"Or else hand over to you the criminal, the real criminal." |
Le préfet de police sourit ironiquement et tira sa montre. |
The Prefect of Police smiled and took out his watch. |
— J’attends. |
"I'm waiting," he said. |
— Ce sera l’affaire d’une petite heure, monsieur le préfet, dit Perenna, pas davantage, si vous me laissez toute latitude. Et la recherche de la vérité vaut bien, il me semble, un peu de patience. |
"It will take me just an hour, Monsieur le Préfet, and no more, if you give me every latitude. And the search of the truth, it seems to me, is worth a little patience." |
— J’attends, répéta M. Desmalions. |
"I'm waiting," repeated M. Desmalions. |
— Brigadier Mazeroux, veuillez dire au sieur Silvestre, domestique, que M. le préfet désire le voir. |
"Sergeant Mazeroux, please tell Silvestre, the manservant, that Monsieur le Préfet wishes to see him." |
Sur un signe de M. Desmalions, Mazeroux sortit. |
Upon a sign from M. Desmalions, Mazeroux went out. |
Don Luis expliqua : |
Don Luis explained his motive. |
— Monsieur le préfet, si la découverte de la turquoise constitue à vos yeux une preuve extrêmement grave, elle est pour moi une révélation de la plus haute importance. Voici pourquoi. Cette turquoise a dû se détacher de ma bague hier soir et rouler sur le tapis. Or, quatre personnes seulement ont pu remarquer cette chute pendant qu’elle se produisait, ramasser la turquoise et, pour compromettre l’ennemi nouveau que j’étais, la glisser dans le coffre. La première de ces personnes est un de vos agents, le brigadier Mazeroux… n’en parlons pas. La seconde est morte. C’est M. Fauville… n’en parlons pas. La troisième, c’est le domestique Silvestre. Je voudrais lui dire quelques mots. Ce sera bref. |
"Monsieur le Préfet, whereas the discovery of the turquoise constitutes in your eyes an extremely serious proof against me, to me it is a revelation of the highest importance. I will tell you why. That turquoise must have fallen from my ring last evening and rolled on the carpet. "Now there are only four persons," he continued, "who can have noticed this fall when it happened, picked up the turquoise and, in order to compromise the new adversary that I was, slipped it into the safe. The first of those four persons is one of your detectives, Sergeant Mazeroux, of whom we will not speak. The second is dead: I refer to M. Fauville. We will not speak of him. The third is Silvestre, the manservant. I should like to say a few words to him. I shall not take long." |
L’audition de Silvestre fut brève, en effet. Le domestique put prouver que, avant l’arrivée de Mme Fauville à qui il devait ouvrir la porte, il n’avait pas quitté la cuisine, où il jouait aux cartes avec la femme de chambre et un autre domestique. |
Silvestre's examination, in fact, was soon over. He was able to prove that, pending the return of Mme. Fauville, for whom he had to open the door, he had not left the kitchen, where he was playing at cards with the lady's maid and another manservant. |
— C’est bien, dit Perenna. Un mot encore. Vous avez dû lire dans les journaux de ce matin la mort de l’inspecteur Vérot et voir son portrait ? |
"Very well," said Perenna. "One word more. You must have read in this morning's papers of the death of Inspector Vérot and seen his portrait." |
— Oui. |
"Yes." |
— Connaissez-vous l’inspecteur Vérot ? |
"Do you know Inspector Vérot?" |
— Non. |
"No." |
— Pourtant il est probable qu’il a dû venir ici dans la journée. |
"Still, it is probable that he came here yesterday, during the day." |
— Je l’ignore, répondit le domestique. M. Fauville recevait beaucoup de personnes par le jardin, et il leur ouvrait lui-même. |
"I can't say," replied the servant. "M. Fauville used to receive many visitors through the garden and let them in himself." |
— Vous n’avez pas d’autre déposition à faire ? |
"You have no more evidence to give?" |
— Aucune. |
"No." |
— Veuillez prévenir Mme Fauville que M. le préfet serait heureux de lui parler. |
"Please tell Mme. Fauville that Monsieur le Préfet would be very much obliged if he could have a word with her." |
Silvestre se retira. |
Silvestre left the room. |
Le juge d’instruction et le procureur de la République s’étaient approchés avec étonnement. |
The examining magistrate and the public prosecutor had drawn nearer in astonishment. |
Le préfet s’écria : |
The Prefect exclaimed: |
— Quoi ! monsieur, vous n’allez pas prétendre que Mme Fauville serait pour quelque chose… |
"What, Monsieur! You don't mean to pretend that Mme. Fauville is mixed up--" |
— Monsieur le préfet, Mme Fauville est la quatrième personne qui ait pu voir tomber ma turquoise. |
"Monsieur le Préfet, Mme. Fauville is the fourth person who may have seen the turquoise drop out of my ring." |
— Et après ? A-t-on le droit, sans une preuve réelle, de supposer qu’une femme puisse tuer son mari, qu’une mère puisse empoisonner son fils ? |
"And what then? Have we the right, in the absence of any real proof, to suppose that a woman can kill her husband, that a mother can poison her son?" |
— Je ne suppose rien, monsieur le préfet. |
"I am supposing nothing, Monsieur le Préfet." |
— Alors ? |
"Then--?" |
Don Luis ne répondit point. M. Desmalions ne cachait pas son irritation. Cependant il dit : |
Don Luis made no reply. M. Desmalions did not conceal his irritation. However, he said: |
« Soit, mais je vous donne l’ordre absolu de garder le silence. Quelle question dois-je poser à Mme Fauville ? |
"Very well; but I order you most positively to remain silent. What questions am I to put to Mme. Fauville?" |
— Une seule, monsieur le préfet. Mme Fauville connaît-elle, en dehors de son mari, un descendant des sœurs Roussel ? |
"One only, Monsieur le Préfet: ask Mme. Fauville if she knows any one, apart from her husband, who is descended from the sisters Roussel." |
— Pourquoi cette question ? |
"Why that question?" |
— Parce que, si ce descendant existe, ce n’est pas moi qui hérite des millions, mais lui, et c’est alors lui, et non pas moi, qui aurait intérêt à la disparition de M. Fauville et de son fils. |
"Because, if that descendant exists, it is not I who will inherit the millions, but he; and then it will be he and not I who would be interested in the removal of M. Fauville and his son." |
— Évidemment… évidemment… murmura M. Desmalions… Encore faudrait-il que cette nouvelle piste… |
"Of course, of course," muttered M. Desmalions. "But even so, this new trail--" |
Mme Fauville entra sur ces paroles. Son visage restait gracieux et charmant, malgré les pleurs qui avaient rougi ses paupières et altéré la fraîcheur de ses joues. Mais ses yeux exprimaient l’effarement de l’épouvante, et la pensée obsédante du drame donnait à toute sa jolie personne, à sa démarche, ses mouvements, quelque chose de fébrile et de saccadé qui faisait peine à voir. |
Mme. Fauville entered as he was speaking. Her face remained charming and pretty in spite of the tears that had reddened her eyelids and impaired the freshness of her cheeks. But her eyes expressed the scare of terror; and the obsession of the tragedy imparted to all her attractive personality, to her gait and to her movements, something feverish and spasmodic that was painful to look upon. |
— Asseyez-vous, madame, lui dit le préfet avec une déférence extrême, et pardonnez-moi de vous imposer la fatigue d’une nouvelle émotion. Mais le temps est précieux et nous devons tout faire pour que les deux victimes que vous pleurez soient vengées sans retard. |
"Pray sit down, Madame," said the Prefect, speaking with the height of deference, "and forgive me for inflicting any additional emotion upon you. But time is precious; and we must do everything to make sure that the two victims whose loss you are mourning shall be avenged without delay." |
Des larmes encore s’échappèrent des beaux yeux et, avec un sanglot, elle balbutia : |
Tears were still streaming from her beautiful eyes; and, with a sob, she stammered: |
— Puisque la justice a besoin de moi, monsieur le préfet… |
"If the police need me, Monsieur le Préfet--" |
— Oui, il s’agit d’un renseignement. La mère de votre mari est morte, n’est-ce pas ? |
"Yes, it is a question of obtaining a few particulars. Your husband's mother is dead, is she not?" |
— Oui, monsieur le préfet. |
"Yes, Monsieur le Préfet." |
— Elle était bien originaire de Saint-Étienne et s’appelait de son nom de jeune fille Roussel ? |
"Am I correct in saying that she came from Saint-Etienne and that her maiden name was Roussel?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Élisabeth Roussel ? |
"Elizabeth Roussel?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Votre mari avait-il un frère ou une sœur ? |
"Had your husband any brothers or sisters?" |
— Non. |
"No." |
— Par conséquent, il ne reste plus aucun descendant d’Élisabeth Roussel ? |
"Therefore there is no descendant of Elizabeth Roussel living?" |
— Aucun. |
"No." |
— Bien. Mais Élisabeth Roussel avait deux sœurs, n’est-ce pas ? |
"Very well. But Elizabeth Roussel had two sisters, did she not?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Ermeline Roussel, l’aînée, s’exila, et personne n’entendit plus parler d’elle. L’autre, la plus jeune… |
"Ermeline Roussel, the elder, went abroad and was not heard of again. The other, the younger--" |
— L’autre s’appelait Armande Roussel. C’était ma mère. |
"The other was called Armande Roussel. She was my mother." |
— Hein ? Comment ? |
"Eh? What do you say?" |
— Je dis que ma mère s’appelait, de son nom de jeune fille, Armande Roussel et que j’ai épousé mon cousin, le fils d’Élisabeth Roussel. |
"I said my mother's maiden name was Armande Roussel, and I married my cousin, the son of Elizabeth Roussel." |
Ce fut un véritable coup de théâtre. Ainsi donc, Hippolyte Fauville et son fils Edmond, descendants directs de la sœur aînée, étant morts, l’héritage de Cosmo Mornington passait à l’autre branche, celle d’Armande Roussel, et cette branche cadette était représentée jusqu’ici par Mme Fauville. |
The statement had the effect of a thunderclap. So, upon the death of Hippolyte Fauville and his son Edmond, the direct descendants of the eldest sister, Cosmo Mornington's inheritance passed to the other branch, that of Armande Roussel; and this branch was represented so far by Mme. Fauville! |
Le préfet de police et le juge d’instruction échangèrent un regard, après quoi l’un et l’autre se tournèrent instinctivement du côté de don Luis Perenna. Il ne broncha pas. |
The Prefect of Police and the examining magistrate exchanged glances and both instinctively turned toward Don Luis Perenna, who did not move a muscle. |
Le préfet demanda : — Vous n’avez pas de frère ni de sœur, madame ? |
"Have you no brother or sister, Madame?" asked the Prefect. |
— Non, monsieur le préfet, je suis seule. |
"No, Monsieur le Préfet, I am the only one." |
Seule ! C’est-à-dire que, rigoureusement, sans aucune espèce de contestation, maintenant que son mari et son fils étaient morts, les millions de Cosmo Mornington lui revenaient à elle, à elle seule. |
The only one! In other words, now that her husband and son were dead, Cosmo Mornington's millions reverted absolutely and undeniably to her, to her alone. |
Une idée affreuse cependant, un cauchemar, pesait sur les magistrats, et ils ne pouvaient s’en délivrer : la femme qu’ils avaient devant eux était la mère d’Edmond Fauville. M. Desmalions observa don Luis Perenna. Celui-ci avait écrit quelques mots sur une carte qu’il tendit à M. Desmalions. |
Meanwhile, a hideous idea weighed like a nightmare upon the magistrates and they could not rid themselves of it: the woman sitting before them was the mother of Edmond Fauville. M. Desmalions had his eyes on Don Luis Perenna, who wrote a few words on a card and handed it to the Prefect. |
Le préfet, qui peu à peu reprenait vis-à-vis de don Luis son attitude courtoise de la veille, lut cette carte, réfléchit un instant et posa cette question à Mme Fauville : |
M. Desmalions, who was gradually resuming toward Don Luis his courteous attitude of the day before, read it, reflected a moment, and put this question to Mme. Fauville: |
— Quel âge avait votre fils Edmond ? |
"What was your son Edmond's age?" |
— Dix-sept ans. |
"Seventeen." |
— Vous paraissez si jeune… |
"You look so young--" |
— Edmond n’était pas mon fils, mais mon beau-fils, le fils d’une première femme que mon mari avait épousée, et qui est morte. |
"Edmond was not my son, but my stepson, the son of my husband by his first wife, who died," |
— Ah !… Ainsi, Edmond Fauville… murmura le préfet, qui n’acheva pas sa phrase… |
"Ah! So Edmond Fauville--" muttered the Prefect, without finishing his sentence. |
En deux minutes toute la situation avait changé. Aux yeux des magistrats, Mme Fauville n’était plus la veuve et la mère inattaquable. Elle devenait tout à coup une femme que les circonstances exigeaient que l’on interrogeât. Si prévenu que l’on fût en sa faveur, si charmé par la séduction de sa beauté, il était impossible qu’on ne se demandât pas si, pour une raison quelconque, pour être seule par exemple à jouir de l’énorme fortune, elle n’avait pas eu la folie de tuer son mari et l’enfant qui n’était que le fils de son mari. En tout cas, la question se posait. Il fallait la résoudre. |
In two minutes the whole situation had changed. In the eyes of the magistrates, Mme. Fauville was no longer the widow and mother who must on no account be attacked. She had suddenly become a woman whom circumstances compelled them to cross-examine. However prejudiced they might be in her favour, however charmed by the seductive qualities of her beauty, they were inevitably bound to ask themselves, whether for some reason or other, for instance, in order to be alone in the enjoyment of the enormous fortune, she had not had the madness to kill her husband and to kill the boy who was only her husband's son. In any case, the question was there, calling for a solution. |
Le préfet de police reprit : |
The Prefect of Police continued: |
— Connaissez-vous cette turquoise ? |
"Do you know this turquoise?" |
Elle saisit la pierre qu’on lui tendait, et l’examina sans le moindre trouble. |
She took the stone which he held out to her and examined it without the least sign of confusion. |
— Non, dit-elle. J’ai un collier en turquoise, que je ne mets jamais. Mais les pierres sont plus grosses et aucune d’elles n’a cette forme irrégulière. |
"No," she said. "I have an old-fashioned turquoise necklace, which I never wear, but the stones are larger and none of them has this irregular shape." |
— Nous avons recueilli celle-ci dans le coffre-fort, dit M. Desmalions. Elle fait partie d’une bague qui appartient à une personne que nous connaissons. |
"We found this one in the safe," said M. Desmalions. "It forms part of a ring belonging to a person whom we know." |
— Eh bien, fit-elle vivement, il faut retrouver cette personne. |
"Well," she said eagerly, "you must find that person." |
— Elle est ici, dit le préfet, en désignant don Luis, qui, se tenant à l’écart, n’avait pas été remarqué par Mme Fauville. |
"He is here," said the Prefect, pointing to Don Luis, who had been standing some way off and who had not been noticed by Mme. Fauville. |
Elle tressaillit en voyant Perenna, et s’écria, très agitée : |
She started at the sight of Perenna and cried, very excitedly: |
— Mais ce monsieur était là hier soir ! Il causait avec mon mari… et, tenez avec cet autre monsieur, dit-elle en montrant le brigadier Mazeroux… Il faut les interroger, savoir pour quelle raison ils sont venus. Vous comprenez que si cette turquoise appartient à l’un d’eux… |
"But that gentleman was here yesterday evening! He was talking to my husband--and so was that other gentleman," she said, referring to Sergeant Mazeroux. "You must question them, find out why they were here. You understand that, if the turquoise belonged to one of them--" |
L’insinuation était claire, mais combien maladroite ! et comme elle donnait du poids à l’argumentation de Perenna : |
The insinuation was direct, but clumsy; and it lent the greatest weight to Perenna's unspoken argument: |
« Cette turquoise a été ramassée par quelqu’un qui m’a vu hier soir et qui veut me compromettre. Or, en dehors de M. Fauville et du brigadier, deux personnes seulement m’ont vu, le domestique Silvestre et Mme Fauville. Par conséquent, le domestique Silvestre étant hors de cause, j’accuse Mme Fauville d’avoir mis la turquoise dans ce coffre-fort. » |
"The turquoise was picked up by some one who saw me yesterday and who wishes to compromise me. Apart from M. Fauville and the detective sergeant, only two people saw me: Silvestre, the manservant, and Mme. Fauville. Consequently, as Silvestre is outside the question, I accuse Mme. Fauville of putting the turquoise in the safe." |
M. Desmalions reprit : |
M. Desmalions asked: |
— Voulez-vous me faire voir votre collier, madame ? |
"Will you let me see the necklace, Madame?" |
— Certes. Il est avec mes autres bijoux, dans mon armoire à glace. Je vais y aller. |
"Certainly. It is with my other jewels, in my wardrobe. I will go for it." |
— Ne vous donnez pas cette peine, madame. Votre femme de chambre le connaît ? |
"Pray don't trouble, Madame. Does your maid know the necklace?" |
— Très bien. |
"Quite well." |
— En ce cas, le brigadier Mazeroux va s’entendre avec elle. |
"In that case, Sergeant Mazeroux will tell her what is wanted." |
* * * * * |
|
Durant les quelques minutes que dura l’absence de Mazeroux, aucune parole ne fut échangée. Mme Fauville semblait absorbée par sa douleur. M. Desmalions ne la quittait pas des yeux. |
Not a word was spoken during the few minutes for which Mazeroux was absent. Mme. Fauville seemed absorbed in her grief. M. Desmalions kept his eyes fixed on her. |
Le brigadier revint. Il apportait une grande cassette qui contenait beaucoup d’écrins et de bijoux. |
The sergeant returned, carrying a very large box containing a number of jewel-cases and loose ornaments. |
M. Desmalions trouva le collier, l’examina et put constater que, en effet, les pierres différaient de la turquoise et qu’aucune d’elles ne manquait… |
M. Desmalions found the necklace, examined it, and realized, in fact, that the stones did not resemble the turquoise and that none of them was missing. |
Mais, ayant écarté l’un de l’autre deux écrins pour dégager un diadème où il y avait également des pierres bleues, il eut un geste de surprise. |
But, on separating two jewel cases in order to take out a tiara which also contained blue stones, he made a gesture of surprise. |
— Qu’est-ce que c’est que ces deux clefs ? demanda t-il, en montrant deux clefs identiques comme forme à celles qui ouvraient le verrou et la serrure de la porte du jardin. |
"What are these two keys?" he asked, pointing to two keys identical in shape and size with those which opened the lock and the bolt of the garden door. |
Mme Fauville resta fort calme. Pas un muscle de son visage ne bougea. Rien n’indiqua que cette découverte pût la troubler. Elle dit uniquement : |
Mme. Fauville remained very calm. Not a muscle of her face moved. Nothing pointed to the least perturbation on account of this discovery. She merely said: |
— Je ne sais pas… Il y a longtemps qu’elles sont ici… |
"I don't know. They have been there a long time." |
— Mazeroux, dit M. Desmalions, essayez-les à cette porte. |
"Mazeroux," said M. Desmalions, "try them on that door." |
Mazeroux exécuta l’ordre. La porte fut ouverte ! |
Mazeroux did so. The door opened. |
— En effet, dit Mme Fauville, je me souviens maintenant que mon mari me les avait confiées. Je les avais en double… |
"Yes," said Mme. Fauville. "I remember now, my husband gave them to me. They were duplicates of his own keys--" |
Ces mots furent prononcés du ton le plus naturel, et comme si la jeune femme n’eût même pas entrevu la charge terrible qui se levait contre elle. |
The words were uttered in the most natural tone and as though the speaker did not even suspect the terrible charge that was forming against her. |
Et rien n’était plus angoissant que cette tranquillité. Était-ce la marque d’une innocence absolue ? ou la ruse infernale d’une criminelle que rien ne pouvait émouvoir ? Ne comprenait-elle rien au drame qui se jouait et dont elle était l’héroïne inconsciente ? ou bien devinait-elle l’accusation terrible qui, peu à peu, l’enserrait de toutes parts et la menaçait du danger le plus effrayant ? Mais, en ce cas, comment avait-elle pu commettre la maladresse inouïe de conserver ces deux clefs ? |
And nothing was more agonizing than this tranquillity. Was it a sign of absolute innocence, or the infernal craft of a criminal whom nothing is able to stir? Did she realize nothing of the tragedy which was taking place and of which she was the unconscious heroine? Or did she guess the terrible accusation which was gradually closing in upon her on every side and which threatened her with the most awful danger? But, in that case, how could she have been guilty of the extraordinary blunder of keeping those two keys? |
Une série de questions s’imposait à l’esprit de tous. Le préfet de police s’exprima ainsi : |
A series of questions suggested itself to the minds of all those present. The Prefect of Police put them as follows: |
— Pendant que le crime s’accomplissait, vous étiez absente, n’est-ce pas, madame ? |
"You were out, Madame, were you not, when the murders were committed?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Vous avez été à l’Opéra ? |
"You were at the opera?" |
— Oui, et ensuite à la soirée d’une de mes amies, Mme d’Ersinger. |
"Yes; and I went on to a party at the house of one of my friends, Mme. d'Ersingen." |
— Votre chauffeur vous accompagnait ? |
"Did your chauffeur drive you?" |
— En allant à l’Opéra, oui. Mais je l’ai renvoyé à son garage, et il est venu me rechercher à la soirée. |
"To the opera, yes. But I sent him back to his garage; and he came to fetch me at the party." |
— Ah ! fit M. Desmalions, mais comment avez-vous été de l’Opéra chez Mme d’Ersinger ? |
"I see," said M. Desmalions. "But how did you go from the opera to Mme. d'Ersingen's?" |
Pour la première fois, Mme Fauville parut comprendre qu’elle était l’objet d’un véritable interrogatoire, et son regard, son attitude trahirent une sorte de malaise. Elle répondit : |
For the first time, Mme. Fauville seemed to understand that she was the victim of a regular cross-examination; and her look and attitude betrayed a certain uneasiness. She replied: |
— J’ai pris une automobile. |
"I took a motor cab." |
— Dans la rue ? |
"In the street?" |
— Sur la place de l’Opéra. |
"On the Place de l'Opéra." |
— À minuit, par conséquent. |
"At twelve o'clock, therefore?" |
— Non, à onze heures et demie. Je suis partie avant la fin du spectacle. |
"No, at half-past eleven: I left before the opera was over." |
— Vous aviez hâte d’arriver chez votre amie ? |
"You were in a hurry to get to your friend's?" |
— Oui… ou plutôt… |
"Yes ... or rather--" |
Elle s’arrêta, ses joues étaient empourprées, un tremblement agitait ses lèvres et son menton, et elle dit : |
She stopped; her cheeks were scarlet; her lips and chin trembled; and she asked: |
— Pourquoi toutes ces questions ? |
"Why do you ask me all these questions?" |
— Elles sont nécessaires, madame. Elles peuvent nous éclairer. Je vous supplie donc d’y répondre. À quelle heure êtes-vous arrivée chez votre amie ? |
"They are necessary, Madame. They may throw a light on what we want to know. I beg you, therefore, to answer them. At what time did you reach your friend's house?" |
— Je ne sais pas trop… Je n’ai pas fait attention. |
"I hardly know. I did not notice the time." |
— Vous y avez été directement ? |
"Did you go straight there?" |
— Presque. |
"Almost." |
— Comment presque ? |
"How do you mean, almost?" |
— Oui… J’avais un peu mal à la tête, j’ai dit au chauffeur de monter les Champs-Élysées… l’avenue du Bois… très lentement… et puis de redescendre les Champs-Élysées… |
"I had a little headache and told the driver to go up the Champs Elysées and the Avenue du Bois--very slowly--and then down the Champs Elysées again--" |
Elle s’embarrassait de plus en plus. Sa voix devenait indistincte. Elle baissa la tête et se tut. |
She was becoming more and more embarrassed. Her voice grew indistinct. She lowered her head and was silent. |
Certes il n’y avait pas d’aveu dans ce silence, et rien n’autorisait à croire que son accablement fût autre chose qu’une conséquence de sa douleur. Mais cependant elle semblait si lasse qu’on eût pu dire que, se sentant perdue, elle renonçait à la lutte. Et c’était presque de la pitié qu’on éprouvait pour cette femme contre qui se tournaient toutes les circonstances et qui se défendait si mal qu’on hésitait à la presser davantage. |
Certainly her silence contained no confession, and there was nothing entitling any one to believe that her dejection was other than a consequence of her grief. But yet she seemed so weary as to give the impression that, feeling herself lost, she was giving up the fight. And it was almost a feeling of pity that was entertained for this woman against whom all the circumstances seemed to be conspiring, and who defended herself so badly that her cross-examiner hesitated to press her yet further. |
De fait, M. Desmalions avait l’air indécis, comme si la victoire eût été trop facile et qu’il eût eu quelque scrupule à la poursuivre. |
M. Desmalions, in fact, wore an irresolute air, as if the victory had been too easy, and as if he had some scruple about pursuing it. |
Machinalement, il observa Perenna. Celui-ci lui tendit un bout de papier en disant : |
Mechanically he observed Perenna, who passed him a slip of paper, saying: |
— Voici le numéro du téléphone de Mme d’Ersinger. |
"Mme. d'Ersingen's telephone number." |
M. Desmalions murmura : |
M. Desmalions murmured: |
— Oui… en effet… on peut savoir… |
"Yes, true, they may know--" |
Et, décrochant le récepteur, il demanda : — Allô… Louvre 25-04, s’il vous plaît. Et, tout de suite obtenant la communication, il continua : |
And, taking down the receiver, he asked for number 325.04. He was connected at once and continued: |
— Qui est à l’appareil ?… Le maître d’hôtel… Ah ! bien… Est-ce que Mme d’Ersinger est chez elle ?… Non… Et monsieur ? Non plus… Mais, j’y pense, vous pourriez me répondre à ce sujet… Je suis M. Desmalions, préfet de police, et j’aurais besoin d’un renseignement. À quelle heure Mme Fauville est-elle arrivée cette nuit ? Comment dites-vous ?… Vous êtes sûr ?… À deux heures du matin ?… Pas avant ?… Et elle est repartie ?… Au bout de dix minutes, n’est-ce pas ?… Bien… Donc, sur l’heure de l’arrivée, vous ne vous trompez pas ?… J’insiste là-dessus de la façon la plus formelle… Alors, c’est à deux heures du matin ?… Deux heures du matin… Bien. Je vous remercie. |
"Who is that speaking?... The butler? Ah! Is Mme. d'Ersingen at home?... No?... Or Monsieur?... Not he, either?... Never mind, you can tell me what I want to know. I am M. Desmalions, the Prefect of Police, and I need certain information. At what time did Mme. Fauville come last night?... What do you say?... Are you sure?... At two o'clock in the morning?... Not before?... And she went away?... In ten minutes time?... Good ... But you're certain you are not mistaken about the time when she arrived? I must know this positively: it is most important.... You say it was two o'clock in the morning? Two o'clock in the morning?... Very well.... Thank you." |
Lorsque M. Desmalions se retourna, il aperçut, debout près de lui, Mme Fauville qui le regardait avec une angoisse folle. Et la même idée revint à l’esprit des assistants : ils étaient en présence d’une femme absolument innocente, ou d’une comédienne exceptionnelle dont le visage se prêtait à l’expression la plus parfaite de l’innocence. |
When M. Desmalions turned round, he saw Mme. Fauville standing beside him and looking at him with an expression of mad anguish. And one and the same idea occurred to the mind of all the onlookers. They were in the presence either of an absolutely innocent woman or else of an exceptional actress whose face lent itself to the most perfect simulation of innocence. |
— Qu’est-ce que vous voulez ?… balbutia-t-elle. Qu’est-ce que ça veut dire ? Expliquez-vous ! |
"What do you want?" she stammered. "What does this mean? Explain yourself!" |
Alors M. Desmalions demanda simplement : |
Then M. Desmalions asked simply: |
— Qu’avez-vous fait cette nuit de onze heures et demie du soir à deux heures du matin ? |
"What were you doing last night between half-past eleven in the evening and two o'clock in the morning?" |
Question terrifiante au point où l’interrogatoire avait été amené. Question fatale, qui signifiait : |
It was a terrifying question at the stage which the examination had reached, a fatal question implying: |
« Si vous ne pouvez pas donner l’emploi rigoureusement exact de votre temps pendant que le crime s’accomplissait, nous avons le droit de conclure que vous n’êtes pas étrangère au meurtre de votre mari et de votre beau-fils… » |
"If you cannot give us an exact and strict account of the way in which you employed your time while the crime was being committed, we have the right to conclude that you were not alien to the murder of your husband and stepson--" |
Elle le comprit ainsi et vacilla sur ses jambes en gémissant : |
She understood it in this sense and staggered on her feet, moaning: |
— C’est horrible… c’est horrible… |
"It's horrible!... horrible!" |
Le préfet répéta : |
The Prefect repeated: |
— Qu’avez-vous fait ? La réponse doit vous être facile. |
"What were you doing? The question must be quite easy to answer." |
— Oh ! dit-elle sur ce même ton lamentable, comment pouvez-vous croire ?… Oh ! non… non… est-il possible ? Comment pouvez-vous croire ? |
"Oh," she cried, in the same piteous tone, "how can you believe!... Oh, no, no, it's not possible! How can you believe!" |
— Je ne crois rien encore, fit-il… D’un mot, d’ailleurs, vous pouvez établir la vérité. |
"I believe nothing yet," he said. "Besides, you can establish the truth with a single word." |
Ce mot, on eût supposé, au mouvement de ses lèvres et au geste soudain de résolution qui la souleva, qu’elle allait le dire. Mais elle parut tout à coup stupéfaite, bouleversée, articula quelques syllabes inintelligibles et s’écroula sur un fauteuil avec des sanglots convulsifs et des cris de désespoir. |
It seemed, from the movement of her lips and the sudden gesture of resolution that shook her frame, as though she were about to speak that word. But all at once she appeared stupefied and dumfounded, pronounced a few unintelligible syllables, and fell huddled into a chair, sobbing convulsively and uttering cries of despair. |
C’était l’aveu. C’était tout au moins l’aveu de son impuissance à fournir l’explication plausible qui eût clos ce débat. |
It was tantamount to a confession. At the very least, it was a confession of her inability to supply the plausible explanation which would have put an end to the discussion. |
Le préfet de police s’écarta d’elle et s’entretint à voix basse avec le juge d’instruction et le procureur de la République. |
The Prefect of Police moved away from her and spoke in a low voice to the examining magistrate and the public prosecutor. |
Perenna et le brigadier Mazeroux demeurèrent seuls l’un près de l’autre. |
Perenna and Sergeant Mazeroux were left alone together, side by side. |
Mazeroux murmura : |
Mazeroux whispered: |
— Qu’est-ce que je vous disais ? Je savais bien que vous trouveriez ! Ah ! quel homme vous faites ! Vous avez mené ça !… |
"What did I tell you? I knew you would find out! Oh, what a man you are! The way you managed!" |
Il rayonnait à l’idée que le patron était hors de cause et n’avait plus maille à partir avec ses chefs à lui, Mazeroux, ses chefs qu’il vénérait presque à l’égal du patron. Tout le monde s’entendait maintenant. « On était des amis. » Mazeroux suffoquait de joie. |
He was beaming at the thought that the chief was clear of the matter and that he had no more crows to pluck with his, Mazeroux's, superiors, whom he revered almost as much as he did the chief. Everybody was now agreed; they were "friends all round"; and Mazeroux was choking with delight. |
— On va la coffrer, hein ? |
"They'll lock her up, eh?" |
— Non, dit Perenna. Il n’y a pas assez de « prise » pour qu’on la mette sous mandat. |
"No," said Perenna. "There's not enough 'hold' on her for them to issue a warrant." |
— Comment, grogna Mazeroux, indigné, pas assez de prise ! J’espère bien, en tout cas, que vous n’allez pas la lâcher. Avec ça qu’elle mettait des gants, elle, pour vous attaquer ! Allons, patron, achevez-la. Une pareille diablesse ! |
"What!" growled Mazeroux indignantly. "Not enough hold? I hope, in any case, that you won't let her go. She made no bones, you know, about attacking you! Come, Chief, polish her off, a she-devil like that!" |
Don Luis demeurait pensif. Il songeait aux coïncidences inouïes, à l’ensemble de faits qui traquaient de toutes parts Mme Fauville. Et la preuve décisive qui devait réunir tous ces faits les uns aux autres et donner à l’accusation la base qui lui manquait encore, cette preuve, Perenna pouvait la fournir. C’était la morsure des dents sur la pomme, sur la pomme cachée parmi les feuillages du jardin. Pour la justice, cela vaudrait une empreinte de doigts. D’autant que l’on pouvait corroborer les marques avec celles que portait la tablette de chocolat. |
Don Luis remained pensive. He was thinking of the unheard-of coincidences, the accumulation of facts that bore down on Mme. Fauville from every side. And the decisive proof which would join all these different facts together and give to the accusation the grounds which it still lacked was one which Perenna was able to supply. This was the marks of the teeth in the apple hidden among the shrubs in the garden. To the police these would be as good as any fingerprint, all the more as they could compare the marks with those on the cake of chocolate. |
Pourtant il hésitait. Et, de toute son attention anxieuse, il examinait, avec un mélange de pitié et de répulsion, cette femme qui, selon toute vraisemblance, avait tué son mari et le fils de son mari. Devait-il lui porter le coup de grâce ? Avait-il le droit de jouer ce rôle de justicier ? Et s’il se trompait ? |
Nevertheless, he hesitated; and, concentrating his anxious attention, he watched, with mingled feelings of pity and repulsion, that woman who, to all seeming, had killed her husband and her husband's son. Was he to give her the finishing stroke? Had he the right to play the part of judge? And supposing he were wrong? |
* * * * * |
|
M. Desmalions cependant s’était rapproché de lui, et, tout en affectant de parler à Mazeroux, ce fut à Perenna qu’il dit : |
Meantime, M. Desmalions had walked up to him and, while pretending to speak to Mazeroux, was really asking Perenna: |
— Qu’est-ce que vous en pensez ? |
"What do you think of it?" |
Mazeroux hocha la tête. Don Luis répliqua : |
Mazeroux shook his head. Perenna replied: |
— Je pense, monsieur le préfet, que si cette femme est coupable elle se défend, malgré toute son habileté, avec une incroyable maladresse. |
"I think, Monsieur le Préfet, that, if this woman is guilty, she is defending herself, for all her cleverness, with inconceivable lack of skill." |
— C’est-à-dire ?… |
"Meaning--?" |
— C’est-à-dire qu’elle n’a sans doute été qu’un instrument entre les mains d’un complice. |
"Meaning that she was doubtless only a tool in the hands of an accomplice." |
— Un complice ? |
"An accomplice?" |
— Rappelez-vous, monsieur le préfet, l’exclamation de son mari, hier, à la Préfecture : « Ah ! les misérables !… les misérables ! » Il y a donc tout au moins un complice, qui n’est autre peut-être que cet homme dont, le brigadier Mazeroux a dû vous le dire, nous avons noté la présence au café du Pont-Neuf, en même temps que s’y trouvait l’inspecteur Vérot, un homme à barbe châtaine, porteur d’une canne d’ébène à poignée d’argent. De sorte que… |
"Remember, Monsieur le Préfet, her husband's exclamation in your office yesterday: 'Oh, the scoundrels! the scoundrels!' There is, therefore, at least one accomplice, who perhaps is the same as the man who was present, as Sergeant Mazeroux must have told you, in the Café du Pont-Neuf when Inspector Vérot was last there: a man with a reddish-brown beard, carrying an ebony walking-stick with a silver handle. So that--" |
— De sorte que, acheva M. Desmalions, nous avons des chances, en arrêtant, dès aujourd’hui et sur de simples présomptions, Mme Fauville, de parvenir jusqu’au complice ? |
"So that," said M. Desmalions, completing the sentence, "by arresting Mme. Fauville to-day, merely on suspicion, we have a chance of laying our hands on the accomplice." |
Perenna ne répondit pas. Le préfet reprit, pensivement : |
Perenna did not reply. The Prefect continued, thoughtfully: |
— L’arrêter… l’arrêter… Encore faudrait-il une preuve… Vous n’avez relevé aucune trace ?… |
"Arrest her ... arrest her.... We should need a proof for that.... Did you receive no clue?" |
— Aucune, monsieur le préfet. Il est vrai que mon enquête fut sommaire. |
"None at all, Monsieur le Préfet. True, my search was only summary." |
— Mais la nôtre fut minutieuse. Nous avons fouillé cette pièce à fond. |
"But ours was most minute. We have been through every corner of the room." |
— Et le jardin, monsieur le préfet ? |
"And the garden, Monsieur le Préfet?" |
— Aussi. |
"The garden also." |
— Avec autant de soin ? |
"With the same care?" |
— Peut-être pas. Mais il me semble… |
"Perhaps not.... But I think--" |
— Il me semble au contraire, monsieur le préfet, que, les assassins ayant passé par le jardin pour entrer et pour repartir, on aurait quelque chance… |
"I think, on the contrary, Monsieur le Préfet, that, as the murderers passed through the garden in coming and going, there might be a chance--" |
— Mazeroux, dit M. Desmalions, allez donc voir cela d’un peu plus près. |
"Mazeroux," said M. Desmalions, "go outside and make a more thorough inspection." |
Le brigadier sortit. Perenna, qui se tenait de nouveau à l’écart, entendit le préfet de police qui répétait au juge d’instruction : |
The sergeant went out. Perenna, who was once more standing at one side, heard the Prefect of Police repeating to the examining magistrate: |
— Ah ! si nous avions une preuve, une seule ! Il est évident que cette femme est coupable. Il y a trop de présomptions contre elle !… Et puis les millions de Cosmo Mornington… Mais, d’autre part, regardez-la… regardez tout ce qu’il y a d’honnête dans sa jolie figure, tout ce qu’il y a de sincère dans sa douleur. |
"Ah, if we only had a proof, just one! The woman is evidently guilty. The presumption against her is too great! ... And then there are Cosmo Mornington's millions.... But, on the other hand, look at her ... look at all the honesty in that pretty face of hers, look at all the sincerity of her grief." |
Elle pleurait toujours, avec des sanglots saccadés et des sursauts de révolte qui lui crispaient les poings. Un moment, elle saisit son mouchoir trempé de larmes, le mordit à pleines dents, et le déchira comme font certaines actrices. |
She was still crying, with fitful sobs and starts of indignant protest that made her clench her fists. At one moment she took her tear-soaked handkerchief, bit it with her teeth and tore it, after the manner of certain actresses. |
Et Perenna voyait les belles dents blanches, un peu larges, humides et claires, qui s’acharnaient après la fine batiste. Et il songeait aux empreintes de la pomme. Et un désir extrême le pénétrait de savoir. Était-ce la même mâchoire qui avait imprimé sa forme dans la chair du fruit ? |
Perenna saw those beautiful white teeth, a little wide, moist and gleaming, rending the dainty cambric. And he thought of the marks of teeth on the apple. And he was seized with an extreme longing to know the truth. Was it the same pair of jaws that had left its impress in the pulp of the fruit? |
Mazeroux rentra. M. Desmalions se dirigea vivement vers le brigadier, qui lui montra la pomme trouvée sous le lierre. Et, tout de suite, Perenna put se rendre compte de l’importance considérable que le préfet de police attribuait aux explications et à la découverte inattendue de Mazeroux. |
Mazeroux returned. M. Desmalions moved briskly toward the sergeant, who showed him the apple which he had found under the ivy. And Perenna at once realized the supreme importance which the Prefect of Police attached to Mazeroux's explanations and to his unexpected discovery. |
Un colloque assez long s’engagea entre les magistrats, qui aboutit à la décision que don Luis avait prévue. |
A conversation of some length took place between the magistrates and ended in the decision which Don Luis foresaw. |
M. Desmalions revint vers Mme Fauville. |
M. Desmalions walked across the room to Mme. Fauville. |
C’était le dénouement. |
It was the catastrophe. |
Il réfléchit quelques instants sur la manière dont il devait engager cette dernière bataille, et il dit : |
He reflected for a second on the manner in which he should open this final contest, and then he asked: |
— Il ne vous est toujours pas possible, madame, de nous donner l’emploi de votre temps cette nuit ? |
"Are you still unable, Madame, to tell us how you employed your time last night?" |
Elle fit un effort et murmura : |
She made an effort and whispered: |
— Si… si… J’étais en auto… Je me suis promenée… et aussi un peu à pied… |
"Yes, yes.... I took a taxi and drove about. ... I also walked a little--" |
— C’est là un fait qu’il nous sera facile de vérifier lorsque nous aurons retrouvé le chauffeur de cette auto… En attendant, il se présente une occasion de dissiper l’impression un peu… fâcheuse que nous a laissée votre silence… |
"That is a fact which we can easily verify when we have found the driver of the taxi. Meanwhile, there is an opportunity of removing the somewhat ... grievous impression which your silence has left on our minds." |
— Je suis toute prête… |
"I am quite ready--" |
— Voici. La personne, ou une des personnes qui ont participé au crime, a mordu dans une pomme qu’elle a ensuite jetée dans le jardin et que nous venons de retrouver. Pour couper court à toute hypothèse vous concernant, nous vous prions de vouloir bien exécuter le même geste… |
"It is this: the person or one of the persons who took part in the crime appears to have bitten into an apple which was afterward thrown away in the garden and which has just been found. To put an end to any suppositions concerning yourself, we should like you to perform the same action." |
— Oh ! sûrement, s’écria-t-elle avec vivacité. S’il suffit de cela pour vous convaincre… |
"Oh, certainly!" she cried, eagerly. "If this is all you need to convince you--" |
Elle saisit une des trois autres pommes que M. Desmalions lui tendait et qu’il avait prise dans le compotier, et la porta à sa bouche. |
She took one of the three apples which Desmalions handed her from the dish and lifted it to her mouth. |
L’acte était décisif. Si les deux empreintes se ressemblaient, la preuve existait, certaine, irréfragable. |
It was a decisive act. If the two marks resembled each other, the proof existed, assured and undeniable. |
Or, avant que son geste ne fût achevé, elle s’arrêta net, comme frappée d’une peur subite… Peur d’un piège ? peur du hasard monstrueux qui pouvait la perdre ? ou, plutôt, peur de l’arme effrayante qu’elle allait donner contre elle ? En tout cas, rien ne l’accusait plus violemment que cette hésitation suprême, incompréhensible si elle était innocente, mais combien claire si elle était coupable ! |
Before completing her movement, she stopped short, as though seized with a sudden fear.... Fear of what? Fear of the monstrous chance that might be her undoing? Or fear rather of the dread weapon which she was about to deliver against herself? In any case nothing accused her with greater directness than this last hesitation, which was incomprehensible if she was innocent, but clear as day if she was guilty! |
— Que craignez-vous, madame ? dit M. Desmalions. |
"What are you afraid of, Madame?" asked M. Desmalions. |
— Rien… rien… dit-elle en frissonnant… je ne sais pas… je crains tout… tout cela est si horrible. |
"Nothing, nothing," she said, shuddering. "I don't know.... I am afraid of everything.... It is all so horrible--" |
— Pourtant, madame, je vous assure que ce que nous vous demandons n’a aucune espèce d’importance et ne peut avoir pour vous, j’en suis persuadé, que des conséquences heureuses. Alors ?… |
"But, Madame, I assure you that what we are asking of you has no sort of importance and, I am persuaded, can only have a fortunate result for you. If you don't mind, therefore--" |
Elle leva le bras davantage, et davantage encore, avec une lenteur où se révélait son inquiétude. Et vraiment, de la façon dont les événements se déroulaient, la scène avait quelque chose de solennel et de tragique qui serrait les cœurs. |
She raised her hand higher and yet higher, with a slowness that betrayed her uneasiness. And really, in the fashion in which things were happening, the scene was marked by a certain solemnity and tragedy that wrung every heart. |
— Et si je refuse ? dit-elle tout à coup. |
"And, if I refuse?" she asked, suddenly. |
— C’est votre droit absolu, madame, dit le préfet de police. Mais est-ce bien la peine ? Je suis sûr que votre avocat sera le premier à vous donner le conseil… |
"You are absolutely entitled to refuse," said the Prefect of Police. "But is it worth while, Madame? I am sure that your counsel would be the first to advise you--" |
— Mon avocat… balbutia-t-elle, comprenant la signification redoutable de cette réponse. |
"My counsel?" she stammered, understanding the formidable meaning conveyed by that reply. |
Et brusquement, avec une résolution farouche, et cet air, en quelque sorte féroce, qui tord le visage aux minutes des grands dangers, elle fit le mouvement auquel on la contraignait. Elle ouvrit la bouche. On vit l’éclair des dents blanches. D’un coup, elles s’enfoncèrent dans le fruit. |
And, suddenly, with a fierce resolve and the almost ferocious air that contorts the face when great dangers threaten, she made the movement which they were pressing her to make. She opened her mouth. They saw the gleam of the white teeth. At one bite, the white teeth dug into the fruit. |
— C’est fait, monsieur, dit-elle. |
"There you are, Monsieur," she said. |
M. Desmalions se retourna vers le juge d’instruction : |
M. Desmalions turned to the examining magistrate. |
— Vous avez la pomme trouvée dans le jardin ? |
"Have you the apple found in the garden?" |
— Voici, monsieur le préfet. |
"Here, Monsieur le Préfet." |
M. Desmalions rapprocha les deux fruits l’un de l’autre. |
M. Desmalions put the two apples side by side. |
Et ce fut, chez tous ceux qui s’empressaient autour de lui et regardaient anxieusement, ce fut une même exclamation. |
And those who crowded round him, anxiously looking on, all uttered one exclamation. |
Les deux empreintes étaient identiques. |
The two marks of teeth were identical. |
Identiques ! Certes, avant d’affirmer l’identité de tous les détails, l’analogie absolue des empreintes de chaque dent, il fallait attendre les résultats de l’expertise. Mais il y avait une chose qui ne trompait pas : c’était la similitude totale de la double courbe. |
Identical! Certainly, before declaring the identity of every detail, the absolute analogy of the marks of each tooth, they must wait for the results of the expert's report. But there was one thing which there was no mistaking and that was the complete similarity of the two curves. |
Sur un fruit comme sur l’autre, l’arc s’arrondissait selon la même inflexion. Les deux demi-cercles auraient pu se confondre, très étroits tous deux, un peu allongés et ovales, et d’un rayon restreint, qui était la caractéristique même de la mâchoire. |
In either fruit the rounded arch was bent according to the same inflection. The two semicircles could have fitted one into the other, both very narrow, both a little long-shaped and oval and of a restricted radius which was the very character of the jaw. |
Les hommes ne prononcèrent pas une parole. M. Desmalions leva la tête. Mme Fauville ne bougeait pas, livide, folle d’épouvante. Mais tous les sentiments d’épouvante, de stupeur, d’indignation qu’elle pouvait simuler avec la mobilité de sa figure et ses dons prodigieux de comédienne, ne prévalaient pas contre la preuve péremptoire qui s’offrait à tous les yeux. |
The men did not speak a word. M. Desmalions raised his head. Mme. Fauville did not move, stood livid and mad with terror. But all the sentiments of terror, stupor and indignation that she might simulate with her mobile face and her immense gifts as an actress, did not prevail against the compelling proof that presented itself to every eye. |
Les deux empreintes étaient identiques les mêmes dents avaient mordu les deux pommes ! |
The two imprints were identical! The same teeth had bitten into both apples! |
— Madame, commença le préfet de police… |
"Madame--" the Prefect of Police began. |
— Non, non, s’écria-t-elle, prise d’un accès de fureur… non… ce n’est pas vrai… Tout cela n’est qu’un cauchemar… Non, n’est-ce pas ? Vous n’allez pas m’arrêter ? Moi, en prison ! mais c’est affreux… Qu’ai-je fait ? Ah ! je vous jure, vous vous trompez… |
"No, no," she cried, seized with a fit of fury, "no, it's not true.... This is all just a nightmare.... No, you are never going to arrest me? I in prison! Why, it's horrible!... What have I done? Oh, I swear that you are mistaken--" |
Elle se prenait la tête à deux mains. |
She took her head between her hands. |
— Ah ! mon cerveau éclate… Qu’est-ce que tout ça veut dire ? Je n’ai pas tué pourtant… je ne savais rien. C’est vous qui m’avez tout appris ce matin… Est-ce que je m’en doutais ? Mon pauvre mari… et ce petit Edmond qui m’aimait tant… et que j’aimais… Mais pourquoi les aurais-je tués ? Dites-le… Dites-le donc ? On ne tue pas sans motif… Alors… Alors… Mais répondez donc ! |
"Oh, my brain is throbbing as if it would burst! What does all this mean? I have done no wrong.... I knew nothing. It was you who told me this morning.... Could I have suspected? My poor husband ... and that dear Edmond who loved me ... and whom I loved! Why should I have killed them? Tell me that! Why don't you answer?" she demanded. "People don't commit murder without a motive.... Well?... Well?... Answer me, can't you?" |
Et, secouée d’une nouvelle colère, l’attitude agressive, les poings tendus vers le groupe des magistrats, elle proférait : |
And once more convulsed with anger, standing in an aggressive attitude, with her clenched hands outstretched at the group of magistrates, she screamed: |
— Vous n’êtes que des bourreaux… On n’a pas le droit de torturer une femme comme ça !… Ah ! quelle horreur ! m’accuser… m’arrêter… pour rien ! Ah ! c’est abominable… Quels bourreaux que tous ces gens ! Et c’est vous surtout (elle s’adressait à Perenna), oui, c’est vous… je le sais bien… c’est vous l’ennemi… Ah ! je comprends ça… vous avez des raisons… vous étiez là cette nuit, vous… Alors, pourquoi ne vous arrête-t-on pas ? Pourquoi n’est-ce pas vous, puisque vous étiez là… et que je n’y étais pas… et que je ne sais rien, absolument rien de tout ce qui s’est passé ?… Pourquoi n’est-ce pas vous ? |
"You're no better than butchers ... you have no right to torture a woman like this.... Oh, how horrible! To accuse me ... to arrest me ... for nothing! ... Oh, it's abominable! ... What butchers you all are! ... And it's you in particular," addressing Perenna, "it's you--yes, I know--it's you who are the enemy. "Oh, I understand! You had your reasons, you were here last night.... Then why don't they arrest you? Why not you, as you were here and I was not and know nothing, absolutely nothing of what happened.... Why isn't it you?" |
Les derniers mots furent prononcés d’une façon à peine intelligible. Elle n’avait plus de forces. Elle dut s’asseoir. Sa tête s’inclina jusqu’à ses genoux et elle pleura de nouveau, abondamment. |
The last words were pronounced in a hardly intelligible fashion. She had no strength left. She had to sit down, with her head bent over her knees, and she wept once more, abundantly. |
Perenna s’approcha d’elle, et, lui relevant le front, découvrant la figure ravagée de larmes, il dit : |
Perenna went up to her and, raising her forehead and uncovering the tear-stained face, said: |
— Les empreintes gravées dans les deux pommes sont absolument identiques. Il est donc hors de doute que la première provient de vous comme la seconde. |
"The imprints of teeth in both apples are absolutely identical. There is therefore no doubt whatever but that the first comes from you as well as the second." |
– Non, dit-elle. |
"No!" she said. |
– Si, affirma-t-il. C’est là un fait qu’il est matériellement impossible de nier. Mais la première empreinte a pu être laissée par vous avant cette nuit, c’est-à-dire que vous avez pu mordre dans cette pomme hier, par exemple… |
"Yes," he affirmed. "That is a fact which it is materially impossible to deny. But the first impression may have been left by you before last night, that is to say, you may have bitten that apple yesterday, for instance--" |
Elle balbutia : |
She stammered: |
— Vous croyez ?… Oui, peut-être, il me semble que je me rappelle… hier matin… |
"Do you think so? Yes, perhaps, I seem to remember--yesterday morning--" |
Mais le préfet de police l’interrompit : |
But the Prefect of Police interrupted her. |
— Inutile, madame, je viens de questionner le domestique Silvestre… C’est lui-même qui a acheté les fruits, hier soir, à huit heures. Quand M. Fauville s’est couché, quatre pommes étaient dans le compotier. Ce matin, à huit heures, il n’y en avait plus que trois. Donc celle qu’on a retrouvée dans le jardin est incontestablement la quatrième, et cette quatrième fut « marquée » cette nuit. Or, cette marque est celle de vos dents. |
"It is useless, Madame; I have just questioned your servant, Silvestre. He bought the fruit himself at eight o'clock last evening. When M. Fauville went to bed, there were four apples in the dish. At eight o'clock this morning there were only three. Therefore the one found in the garden is incontestably the fourth; and this fourth apple was marked last night. And the mark is the mark of your teeth." |
Elle bégaya : |
She stammered: |
— Ce n’est pas moi… ce n’est pas moi… cette marque n’est pas de moi. |
"It was not I ... it was not I ... that mark is not mine." |
— Cependant… |
"But--" |
— Cette marque n’est pas de moi… Je le jure sur mon salut éternel… Et puis je jure que je vais mourir… Oui…, mourir… j’aime mieux la mort que la prison… je me tuerai… je me tuerai… |
"That mark is not mine.... I swear it as I hope to be saved.... And I also swear that I shall die, yes, die.... I prefer death to prison.... I shall kill myself.... I shall kill myself--" |
Ses yeux étaient fixes. Elle se raidit dans un effort suprême pour se lever. Mais, une fois debout, elle tournoya sur elle-même et tomba évanouie. |
Her eyes were staring before her. She stiffened her muscles and made a supreme effort to rise from her chair. But, once on her feet, she tottered and fell fainting on the floor. |
Tandis qu’on la soignait, Mazeroux fit signe à don Luis, et, tout bas : |
While she was being seen to, Mazeroux beckoned to Don Luis and whispered: |
— Fichez le camp, patron. |
"Clear out, Chief." |
— Ah ! la consigne est levée. Je suis libre ? |
"Ah, so the orders are revoked? I'm free?" |
— Patron, regardez l’individu qui vient d’entrer il y a dix minutes, et qui cause avec le préfet. Le connaissez-vous ? |
"Chief, take a look at the beggar who came in ten minutes ago and who's talking to the Prefect. Do you know him?" |
— Nom d’un chien ! fit Perenna après avoir examiné un gros homme au teint rouge, qui ne le quittait pas des yeux… Nom d’un chien ! c’est le sous-chef Weber. |
"Hang it all!" said Perenna, after glancing at a large red-faced man who did not take his eyes off him. "Hang it, it's Weber, the deputy chief!" |
— Et il vous a reconnu, patron ! Du premier coup, il a reconnu Lupin. Avec lui, il n’y a pas de camouflage qui tienne. Il a le chic pour ça. Or, rappelez-vous, patron, tous les tours que vous lui avez joués[1], et demandez-vous s’il ne fera pas l’impossible pour prendre sa revanche. |
"And he's recognized you, Chief! He recognized Lupin at first sight. There's no fake that he can't see through. He's got the knack of it. Well, Chief, just think of all the tricks you've played on him and ask yourself if he'll stick at anything to have his revenge!" |
— Il a averti le préfet ? |
"And you think he has told the Prefect?" |
— Parbleu, et le préfet a donné l’ordre aux camarades de vous filer. Si vous faites mine de leur fausser compagnie, on vous empoigne. |
"Of course he has; and the Prefect has ordered my mates to keep you in view. If you make the least show of trying to escape them, they'll collar you." |
— En ce cas, rien à faire. |
"In that case, there's nothing to be done?" |
— Comment, rien à faire ? Mais il s’agit de les semer, et proprement. |
"Nothing to be done? Why, it's a question of putting them off your scent and mighty quickly!" |
— À quoi cela me servirait-il, puisque je rentre chez moi et que mon domicile est connu ? |
"What good would that do me, as I'm going home and they know where I live?" |
— Hein ? Après ce qui s’est passé, vous auriez le toupet de rentrer chez vous ? |
"Eh, what? Can you have the cheek to go home after what's happened?" |
— Où veux-tu que je couche ? Sous les ponts ? |
"Where do you expect me to sleep? Under the bridges?" |
— Mais, cré tonnerre ! vous ne comprenez donc pas qu’à la suite de cette histoire il va y avoir un tapage infernal, que vous êtes déjà compromis jusqu’à la gauche et que tout le monde va se retourner contre vous ? |
"But, dash it all, don't you understand that, after this job, there will be the most infernal stir, that you're compromised up to the neck as it is, and that everybody will turn against you?" |
— Eh bien ? |
"Well?" |
— Eh bien, lâchez l’affaire. |
"Drop the business." |
— Et les assassins de Cosmo Mornington et de Fauville ? |
"And the murderers of Cosmo Mornington and the Fauvilles?" |
— La police s’en charge. |
"The police will see to that." |
— T’es bête, Alexandre. |
"Alexandre, you're an ass." |
— Alors, redevenez Lupin, l’invisible et l’imprenable Lupin, et combattez-les vous-même, comme autrefois. Mais, pour Dieu ! ne restez pas Perenna ! c’est trop dangereux, et ne vous occupez plus officiellement d’une affaire où vous n’êtes pas intéressé. |
"Then become Lupin again, the invisible, impregnable Lupin, and do your own fighting, as you used to. But in Heaven's name don't remain Perenna! It is too dangerous. And don't occupy yourself officially with a business in which you are not interested." |
— T’en as de bonnes, Alexandre. J’y suis intéressé pour deux cents millions. Si Perenna ne demeure pas solide à son poste, les deux cents millions lui passeront sous le nez. Et, pour une fois où je peux gagner quelques centimes par la droiture et la probité, ce serait vexant. |
"The things you say, Alexandre! I am interested in it to the tune of a hundred millions. If Perenna does not stick to his post, the hundred millions will be snatched from under his nose. And, on the one occasion when I can earn a few honest centimes, that would be most annoying." |
— Et si l’on vous arrête ? |
"And, if they arrest you?" |
— Pas mèche. Je suis mort. |
"No go! I'm dead!" |
— Lupin est mort. Mais Perenna est vivant. |
"Lupin is dead. But Perenna is alive." |
— Du moment qu’on ne m’a pas arrêté aujourd’hui, je suis tranquille. |
"As they haven't arrested me to-day, I'm easy in my mind." |
— Ce n’est que partie remise. Et, d’ici là, les ordres sont formels. On va cerner votre maison, vous surveiller jour et nuit. |
"It's only put off. And the orders are strict from this moment onward. They mean to surround your house and to keep watch day and night." |
— Tant mieux ! J’ai peur la nuit. |
"Capital. I always was frightened at night." |
— Mais, bon sang ! qu’est-ce que vous espérez ? |
"But, good Lord! what are you hoping for?" |
— Je n’espère rien, Alexandre. Je suis sûr. Je suis sûr que, maintenant, l’on n’osera pas m’arrêter. |
"I hope for nothing, Alexandre. I am sure. I am sure now that they will not dare arrest me." |
— Weber se gênera ! |
"Do you imagine that Weber will stand on ceremony?" |
— Je me fiche de Weber. Sans ordres, Weber ne peut rien. |
"I don't care a hang about Weber. Without orders, Weber can do nothing." |
— Mais on lui en donnera, des ordres ! |
"But they'll give him his orders." |
— L’ordre de me filer, oui ; celui de m’arrêter, non. Le préfet de police est tellement engagé à mon égard qu’il sera obligé de me soutenir. Et puis, il y a encore ceci : il y a que l’affaire est tellement absurde, tellement complexe, que vous êtes incapables d’en sortir. Un jour ou l’autre vous viendrez me chercher. Car personne autre que moi n’est de taille à combattre de pareils adversaires, pas plus toi que Weber, et pas plus Weber que tous vos copains de la Sûreté. J’attends ta visite, Alexandre. |
"The order to shadow me, yes; to arrest me, no. The Prefect of Police has committed himself about me to such an extent that he will be obliged to back me up. And then there's this: the whole affair is so absurd, so complicated, that you people will never find your way out of it alone. Sooner or later, you will come and fetch me. For there is no one but myself able to fight such adversaries as these: not you nor Weber, nor any of your pals at the detective office. I shall expect your visit, Alexandre." |
Le lendemain, une expertise légale identifiait les empreintes des deux pommes et constatait également que l’empreinte gravée sur la tablette était semblable aux autres. |
On the next day an expert examination identified the tooth prints on the two apples and likewise established the fact that the print on the cake of chocolate was similar to the others. |
En outre, un chauffeur de taxi vint déposer qu’une dame l’avait appelé au sortir de l’Opéra, qu’elle s’était fait conduire directement à l’extrémité de l’avenue Henri-Martin, et qu’elle l’avait quitté à cet endroit. |
Also, the driver of a taxicab came and gave evidence that a lady engaged him as she left the opera, told him to drive her straight to the end of the Avenue Henri Martin, and left the cab on reaching that spot. |
Or, l’extrémité de l’avenue Henri-Martin se trouve à cinq minutes de l’hôtel Fauville. |
Now the end of the Avenue Henri Martin was within five minutes' walk of the Fauvilles' house. |
Confronté avec Mme Fauville, cet homme n’hésita pas à la reconnaître. |
The man was brought into Mme. Fauville's presence and recognized her at once. |
Qu’avait-elle fait dans ce quartier pendant plus d’une heure ? |
What had she done in that neighbourhood for over an hour? |
Marie-Anne Fauville fut écrouée au Dépôt. Le soir même elle couchait à la prison de Saint-Lazare. |
Marie Fauville was taken to the central lockup, was entered on the register, and slept, that night, at the Saint-Lazare prison. |
C’est ce même jour, alors que les reporters commençaient à divulguer certains détails de l’enquête, comme la découverte des empreintes, mais alors qu’ils ignoraient à qui les attribuer, c’est ce même jour que deux grands quotidiens donnaient comme titre à leurs articles les mots mêmes que don Luis Perenna avait employés pour désigner les marques de la pomme, les mots sinistres qui évoquaient si bien le caractère sauvage, féroce, et pour ainsi dire bestial, de l’aventure : Les dents du tigre.
|
That same day, when the reporters were beginning to publish details of the investigation, such as the discovery of the tooth prints, but when they did not yet know to whom to attribute them, two of the leading dailies used as a headline for their article the very words which Don Luis Perenna had employed to describe the marks on the apple, the sinister words which so well suggested the fierce, savage, and so to speak, brutal character of the incident: "THE TEETH OF THE TIGER." |
Chapitre IV.Le rideau de fer |
Chapter 4:The Iron Curtain |
La tâche est parfois ingrate de raconter la vie d’Arsène Lupin, pour ce motif que chacune de ses aventures est en partie connue du public, qu’elle fut, à son heure, l’objet de commentaires passionnés, et qu’on est contraint, si l’on veut éclaircir ce qui se passa dans l’ombre, de recommencer tout de même, et par le menu, l’histoire de ce qui se déroula en pleine lumière. |
It is sometimes an ungrateful task to tell the story of Arsène Lupin's life, for the reason that each of his adventures is partly known to the public, having at the time formed the subject of much eager comment, whereas his biographer is obliged, if he would throw light upon what is not known, to begin at the beginning and to relate in full detail all that which is already public property. |
C’est en vertu de cette nécessité qu’il faut redire ici l’émotion extrême que souleva en France, en Europe et dans le monde entier, la nouvelle de cette abominable série de forfaits. D’un coup, — car deux jours plus tard l’affaire du testament de Cosmo Mornington était publiée, — d’un coup, c’était quatre crimes que l’on apprenait. |
It is because of this necessity that I am compelled to speak once more of the extreme excitement which the news of that shocking series of crimes created in France, in Europe and throughout the civilized world. The public heard of four murders practically all at once, for the particulars of Cosmo Mornington's will were published two days later. |
La même personne, en toute certitude, avait frappé Cosmo Mornington, l’inspecteur Vérot, l’ingénieur Fauville et son fils Edmond. La même personne avait fait l’identique et sinistre morsure, laissant contre elle, par une étourderie qui semblait la revanche du destin, la preuve la plus impressionnante et la plus accusatrice, la preuve qui donnait aux foules comme le frisson de l’épouvantable réalité, laissant contre elle l’empreinte même de ses dents — les dents du tigre ! |
There was no doubt that the same person had killed Cosmo Mornington, Inspector Vérot, Fauville the engineer, and his son Edmond. The same person had made the identical sinister bite, leaving against himself or herself, with a heedlessness that seemed to show the avenging hand of fate, a most impressive and incriminating proof, a proof which made people shudder as they would have shuddered at the awful reality: the marks of his or her teeth, the teeth of the tiger! |
Et, au milieu de ce carnage, à l’instant le plus tragique de la funèbre tragédie, voici que la plus étrange figure surgissait de l’ombre ! |
And, in the midst of all this bloodshed, at the most tragic moment of the dismal tragedy, behold the strangest of figures emerging from the darkness! |
Voici qu’une sorte d’aventurier héroïque, surprenant d’intelligence et de clairvoyance, dénouait en quelques heures une partie des fils embrouillés de l’intrigue, pressentait l’assassinat de Cosmo Mornington, annonçait l’assassinat de l’inspecteur Vérot, prenait en main la conduite de l’enquête, livrait à la justice la créature monstrueuse dont les belles dents blanches s’adaptaient aux empreintes comme des pierres précieuses aux alvéoles de leur monture, touchait, le lendemain de ces exploits, un chèque d’un million, et, finalement, se trouvait le bénéficiaire probable d’une fortune prodigieuse. |
An heroic adventurer, endowed with astounding intelligence and insight, had in a few hours partly unravelled the tangled skeins of the plot, divined the murder of Cosmo Mornington, proclaimed the murder of Inspector Vérot, taken the conduct of the investigation into his own hands, delivered to justice the inhuman creature whose beautiful white teeth fitted the marks as precious stones fit their settings, received a cheque for a million francs on the day after these exploits and, finally, found himself the probable heir to an immense fortune. |
Et voilà qu’Arsène Lupin ressuscitait ! |
And here was Arsène Lupin coming to life again! |
Car la foule ne s’y trompa pas, et, grâce à une intuition miraculeuse, avant qu’un examen attentif des événements ne donnât quelque crédit à l’hypothèse de cette résurrection, elle proclama : don Luis Perenna, c’est Arsène Lupin. |
For the public made no mistake about that, and, with wonderful intuition, proclaimed aloud that Don Luis Perenna was Arsène Lupin, before a close examination of the facts had more or less confirmed the supposition. |
— Mais il est mort ! objectèrent les incrédules. |
"But he's dead!" objected the doubters. |
À quoi l’on répondit : |
To which the others replied: |
— Oui, on a retrouvé sous les décombres encore fumants d’un petit chalet situé près de la frontière luxembourgeoise, le cadavre de Dolorès Kesselbach[1] et le cadavre d’un homme que la police reconnut comme étant Arsène Lupin. Mais tout prouve que la mise en scène fut machinée par Lupin, qui voulait, pour des raisons secrètes, que l’on crût à sa mort. Et tout prouve que la police accepta et rendit légale cette mort pour le seul motif qu’elle désirait se débarrasser de son éternel adversaire. |
"Yes, Dolores Kesselbach's corpse was recovered under the still smoking ruins of a little chalet near the Luxemburg frontier and, with it, the corpse of a man whom the police identified as Arsène Lupin. But everything goes to show that the whole scene was contrived by Lupin, who, for reasons of his own, wanted to be thought dead. And everything shows that the police accepted and legalized the theory of his death only because they wished to be rid of their everlasting adversary. |
Comme indications, il y a les confidences de Valenglay, qui était déjà président du conseil à cette époque. Et il y a l’incident mystérieux de l’île de Capri où l’empereur d’Allemagne, au moment d’être enseveli sous un éboulement, aurait été sauvé par un ermite, lequel, selon la version allemande, n’était autre qu’Arsène Lupin. |
"As a proof, we have the confidences made by Valenglay, who was Prime Minister at the time and whom the chances of politics have just replaced at the head of the government. And there is the mysterious incident on the island of Capri when the German Emperor, just as he was about to be buried under a landslip, was saved by a hermit who, according to the German version, was none other than Arsène Lupin." |
Là-dessus, nouvelle objection : |
To this came a fresh objection: |
— Soit, mais lisez les feuilles de l’époque. Dix minutes plus tard cet ermite se jetait du haut du promontoire de Tibère. |
"Very well; but read the newspapers of the time: ten minutes afterward, the hermit flung himself into the sea from Tiberius' Leap." |
Et nouvelle réponse : |
And the answer: |
— En effet. Mais le corps ne fut pas retrouvé. Et justement il est notoire qu’un navire recueillit en mer, dans ces parages, un homme qui lui faisait des signaux, et que ce navire se dirigeait vers Alger. Or, comparez les dates et notez les coïncidences : quelques jours après l’arrivée du bateau à Alger, le nommé don Luis Perenna, qui nous occupe aujourd’hui s’engageait, à Sidi-Bel-Abbès, dans la Légion étrangère. |
"Yes, but the body was never found. And, as it happens, we know that a steamer picked up a man who was making signals to her and that this steamer was on her way to Algiers. Well, a few days later, Don Luis Perenna enlisted in the Foreign Legion at Sidi-bel-Abbes." |
Bien entendu, la polémique engagée par les journaux à ce sujet, fut discrète. On craignait le personnage, et les reporters gardaient une certaine réserve dans leurs articles, évitant d’affirmer trop catégoriquement ce qu’il pouvait y avoir de Lupin sous le masque de Perenna. |
Of course, the controversy upon which the newspapers embarked on this subject was carried on discreetly. Everybody was afraid of Lupin; and the journalists maintained a certain reserve in their articles, confined themselves to comparing dates and pointing out coincidences, and refrained from speaking too positively of any Lupin that might lie hidden under the mask of Perenna. |
Mais sur le chapitre du légionnaire, sur son séjour au Maroc, ils prirent leur revanche et s’en donnèrent à cœur joie. |
But, as regards the private in the Foreign Legion and his stay in Morocco, they took their revenge and let themselves go freely. |
Le commandant d’Astrignac avait parlé. D’autres officiers, d’autres compagnons de Perenna relatèrent ce qu’ils avaient vu. On publia les rapports et les ordres du jour qui le concernaient. Et ce que l’on appela « l’Épopée du héros » se constitua en une sorte de livre d’or dont chaque page racontait la plus folle et la plus invraisemblable des prouesses. |
Major d'Astrignac had spoken. Other officers, other comrades of Perenna's, related what they had seen. The reports and daily orders concerning him were published. And what became known as "The Hero's Idyll" began to take the form of a sort of record each page of which described the maddest and unlikeliest of facts. |
At Médiouna, on the twenty-fourth of March, the adjutant, Captain Pollex, awarded Private Perenna four days' cells on a charge of having broken out of camp past two sentries after evening roll call, contrary to orders, and being absent without leave until noon on the following day. Perenna, the report went on to say, brought back the body of his sergeant, killed in ambush. And in the margin was this note, in the colonel's hand: |
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"The colonel commanding doubles Private Perenna's award, but mentions his name in orders and congratulates and thanks him." |
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After the fight of Ber-Réchid, Lieutenant Fardet's detachment being obliged to retreat before a band of four hundred Moors, Private Perenna asked leave to cover the retreat by installing himself in a kasbah. |
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"How many men do you want, Perenna?" |
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"None, sir." |
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"What! Surely you don't propose to cover a retreat all by yourself?" |
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"What pleasure would there be in dying, sir, if others were to die as well as I?" |
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At his request, they left him a dozen rifles, and divided with him the cartridges that remained. His share came to seventy-five. |
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The detachment got away without being further molested. Next day, when they were able to return with reinforcements, they surprised the Moors lying in wait around the kasbah, but afraid to approach. The ground was covered with seventy-five of their killed. |
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Our men drove them off. They found Private Perenna stretched on the floor of the kasbah. They thought him dead. He was asleep! |
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He had not a single cartridge left. But each of his seventy-five bullets had gone home. |
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What struck the imagination of the public most, however, was Major Comte d'Astrignac's story of the battle of Dar-Dbibarh. The major confessed that this battle, which relieved Fez at the moment when we thought that all was lost and which created such a sensation in France, was won before it was fought and that it was won by Perenna, alone! |
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At daybreak, when the Moorish tribes were preparing for the attack, Private Perenna lassoed an Arab horse that was galloping across the plain, sprang on the animal, which had no saddle, bridle, nor any sort of harness, and without jacket, cap, or arms, with his white shirt bulging out and a cigarette between his teeth, charged, with his hands in his trousers-pockets! |
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He charged straight toward the enemy, galloped through their camp, riding in and out among the tents, and then left it by the same place by which he had gone in. |
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This quite inconceivable death ride spread such consternation among the Moors that their attack was half-hearted and the battle was won without resistance. |
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Ainsi se forma la légende héroïque de Perenna. Elle mettait en relief l’énergie surhumaine, la témérité prodigieuse, la fantaisie étourdissante, l’esprit d’aventures, l’adresse physique et le sang-froid d’un personnage singulièrement mystérieux qu’il était difficile de ne pas confondre avec Arsène Lupin, mais un Arsène Lupin nouveau, plus grand, ennobli par ses exploits, idéalisé et purifié. |
This, together with numberless other feats of bravado, went to make up the heroic legend of Perenna. It threw into relief the superhuman energy, the marvellous recklessness, the bewildering fancy, the spirit of adventure, the physical dexterity, and the coolness of a singularly mysterious individual whom it was impossible not to take for Arsène Lupin, but a new and greater Arsène Lupin, dignified, idealized, and ennobled by his exploits. |
Un matin, quinze jours après le double assassinat du boulevard Suchet, cet homme extraordinaire, qui suscitait une curiosité si ardente, et de qui l’on parlait de tous côtés comme d’un être fabuleux, en quelque sorte irréel, don Luis Perenna, s’habilla et fit le tour de son hôtel. |
One morning, a fortnight after the double murder in the Boulevard Suchet, this extraordinary man, who aroused such eager interest and who was spoken of on every side as a fabulous and more or less impossible being: one morning, Don Luis Perenna dressed himself and went the rounds of his house. |
C’était une confortable et spacieuse construction du xviiie siècle, située à l’entrée du faubourg Saint-Germain, sur la petite place du Palais-Bourbon, et qu’il avait achetée toute meublée à un riche Roumain, le comte Malonesco, gardant pour son usage et pour son service les chevaux, les voitures, les automobiles, les huit domestiques, et conservant même la secrétaire du comte, Mlle Levasseur, qui se chargeait de diriger le personnel, de recevoir et d’éconduire les visiteurs, journalistes, importuns ou marchands de bibelots, attirés par le luxe de la maison et la réputation de son nouveau propriétaire. |
It was a comfortable and roomy eighteenth-century mansion, situated at the entrance to the Faubourg Saint-Germain, on the little Place du Palais-Bourbon. He had bought it, furnished, from a rich Hungarian, Count Malonyi, keeping for his own use the horses, carriages, motor cars, and taking over the eight servants and even the count's secretary, Mlle. Levasseur, who undertook to manage the household and to receive and get rid of the visitors--journalists, bores and curiosity-dealers--attracted by the luxury of the house and the reputation of its new owner. |
Ayant terminé l’inspection des écuries et du garage, il traversa la cour d’honneur, remonta dans son cabinet de travail, entrouvrit une des fenêtres et leva la tête. Au-dessus de lui, il y avait un miroir incliné et ce miroir reflétait, par-dessus la cour et par-dessus le mur qui la fermait, tout un côté de la place du Palais-Bourbon. |
After finishing his inspection of the stables and garage, he walked across the courtyard and went up to his study, pushed open one of the windows and raised his head. Above him was a slanting mirror; and this mirror reflected, beyond the courtyard and its surrounding wall, one whole side of the Place du Palais-Bourbon. |
— Zut ! dit-il, ces policiers de malheur sont encore là. Et voilà deux semaines que cela dure ! Je commence à en avoir assez, d’une telle surveillance. |
"Bother!" he said. "Those confounded detectives are still there. And this has been going on for a fortnight. I'm getting tired of this spying." |
De mauvaise humeur, il se mit à parcourir son courrier, déchirant, après les avoir lues, les lettres qui le concernaient personnellement, annotant les autres, demandes de secours, sollicitations d’entrevues… |
He sat down, in a bad temper, to look through his letters, tearing up, after he had read them, those which concerned him personally and making notes on the others, such as applications for assistance and requests for interviews. |
Quand il eut fini, il sonna. |
When he had finished, he rang the bell. |
— Priez Mlle Levasseur de m’apporter les journaux. |
"Ask Mlle. Levasseur to bring me the newspapers." |
Elle servait naguère de lectrice et de secrétaire au comte roumain et Perenna l’avait habituée à lire dans les journaux tout ce qui le concernait, et à lui rendre, chaque matin, un compte exact de l’instruction dirigée contre Mme Fauville. |
She had been the Hungarian count's reader as well as his secretary; and Perenna had trained her to pick out in the newspapers anything that referred to him, and to give him each morning an exact account of the proceedings that were being taken against Mme. Fauville. |
Toujours vêtue d’une robe noire, très élégante de taille et de tournure, elle lui était sympathique. Elle avait un air de grande dignité, une physionomie grave, réfléchie, au travers de laquelle il était impossible de pénétrer jusqu’au secret de l’âme, et qui eût paru austère si des boucles de cheveux blonds, rebelles à toute discipline, ne l’eussent encadrée d’une auréole de lumière et de gaieté. |
Always dressed in black, with a very elegant and graceful figure, she had attracted him from the first. She had an air of great dignity and a grave and thoughtful face which made it impossible to penetrate the secret of her soul, and which would have seemed austere had it not been framed in a cloud of fair curls, resisting all attempts at discipline and setting a halo of light and gayety around her. |
La voix avait un timbre musical et doux que Perenna aimait entendre, et, un peu intrigué par la réserve même que gardait Mlle Levasseur, il se demandait ce qu’elle pouvait penser de lui, de son existence, de ce que les journaux racontaient sur son mystérieux passé. |
Her voice had a soft and musical tone which Perenna loved to hear; and, himself a little perplexed by Mlle. Levasseur's attitude of reserve, he wondered what she could think of him, of his mode of life, and of all that the newspapers had to tell of his mysterious past. |
— Rien de nouveau ? dit-il. |
"Nothing new?" he asked, as he glanced at the headings of the articles. |
Elle lut les informations relatives à Mme Fauville et don Luis put voir que, de ce côté, l’instruction n’avançait guère. Marie-Anne Fauville ne se départait pas de son système, pleurant, s’indignant et affectant une entière ignorance des faits sur lesquels on la questionnait. |
She read the reports relating to Mme. Fauville; and Don Luis could see that the police investigations were making no headway. Marie Fauville still kept to her first method, that of weeping, making a show of indignation, and assuming entire ignorance of the facts upon which she was being examined. |
— C’est absurde, pensa-t-il à haute voix. Je n’ai jamais vu personne se défendre d’une façon aussi maladroite. |
"It's ridiculous," he said, aloud. "I have never seen any one defend herself so clumsily." |
— Cependant, si elle est innocente ? |
"Still, if she's innocent?" |
C’était la première fois que Mlle Levasseur formulait une opinion, ou plutôt une remarque sur cette affaire. Don Luis la regarda, très étonné. |
It was the first time that Mlle. Levasseur had uttered an opinion or rather a remark upon the case. Don Luis looked at her in great surprise. |
— Vous la croyez donc innocente, mademoiselle ? |
"So you think her innocent, Mademoiselle?" |
Elle sembla prête à répondre et à expliquer le sens de son interruption. On eût dit qu’elle dénouait son masque d’impassibilité, et que, sous la poussée des sentiments qui la remuaient, sa figure allait prendre une expression plus animée. Mais, par un effort visible, elle se contint et murmura : |
She seemed ready to reply and to explain the meaning of her interruption. It was as though she were removing her impassive mask and about to allow her face to adopt a more animated expression under the impulse of her inner feelings. But she restrained herself with a visible effort, and murmured: |
— Je ne sais pas… je n’ai aucun avis. |
"I don't know. I have no views." |
— Peut-être, dit-il, en l’examinant avec curiosité, mais vous avez un doute… un doute qui serait permis s’il n’y avait pas les empreintes laissées par la morsure même de Mme Fauville. Ces empreintes-là, voyez-vous, c’est plus qu’une signature, plus qu’un aveu de culpabilité. Et tant qu’elle n’aura pas donné là-dessus une explication satisfaisante… |
"Possibly," he said, watching her with curiosity, "but you have a doubt: a doubt which would be permissible if it were not for the marks left by Mme. Fauville's own teeth. Those marks, you see, are something more than a signature, more than a confession of guilt. And, as long as she is unable to give a satisfactory explanation of this point--" |
Mais, pas plus là-dessus que sur les autres choses, Marie-Anne Fauville ne donnait la moindre explication. Elle demeurait impénétrable. D’autre part, la police ne réussissait pas à découvrir son complice, ou ses complices, ni cet homme à la canne d’ébène et au lorgnon d’écaille dont le garçon du café du Pont-Neuf avait donné le signalement à Mazeroux, et dont le rôle semblait singulièrement suspect. Bref, aucune lueur ne s’élevait du fond des ténèbres. |
But Marie Fauville vouchsafed not the slightest explanation of this or of anything else. She remained impenetrable. On the other hand, the police failed to discover her accomplice or accomplices, or the man with the ebony walking-stick and the tortoise-shell glasses whom the waiter at the Café du Pont-Neuf had described to Mazeroux and who seemed to have played a singularly suspicious part. In short, there was not a ray of light thrown upon the subject. |
On recherchait également en vain les traces de ce Victor, le cousin germain des sœurs Roussel, lequel, à défaut d’héritiers directs, eût touché l’héritage Mornington. |
Equally vain was all search for the traces of Victor, the Roussel sister's first cousin, who would have inherited the Mornington bequest in the absence of any direct heirs. |
— C’est tout ? fit Perenna. |
"Is that all?" asked Perenna. |
— Non, dit Mlle Levasseur, il y a dans l’Écho de France un article… |
"No," said Mlle. Levasseur, "there is an article in the Echo de France--" |
— Qui se rapporte à moi ? |
"Relating to me?" |
— Je suppose, monsieur. Il est intitulé : Pourquoi ne l’arrête-t-on pas ? |
"I presume so, Monsieur. It is called, 'Why Don't They Arrest Him?'" |
— Cela me regarde, dit-il en riant. |
"That concerns me," he said, with a laugh. |
Il prit le journal et lut : |
He took the newspaper and read: |
« Pourquoi ne l’arrête-t-on pas ? Pourquoi prolonger, à l’encontre de toute logique, une situation anormale qui remplit de stupeur les honnêtes gens ? C’est une question que tout le monde se pose et à laquelle le hasard de nos investigations nous permet de donner l’exacte réponse. |
"Why do they not arrest him? Why go against logic and prolong an unnatural situation which no decent man can understand? This is the question which everybody is asking and to which our investigations enable us to furnish a precise reply. |
» Un an après la mort simulée d’Arsène Lupin, la justice ayant découvert, ou cru découvrir, qu’Arsène Lupin n’était autre, de son vrai nom, que le sieur Floriani, né à Blois, et disparu, a fait inscrire sur les registres de l’état civil, à la page qui concernait le sieur Floriani, la mention décédé, suivie de ces mots : sous le nom d’Arsène Lupin. |
"Two years ago, in other words, three years after the pretended death of Arsène Lupin, the police, having discovered or believing they had discovered that Arsène Lupin was really none other than one Floriani, born at Blois and since lost to sight, caused the register to be inscribed, on the page relating to this Floriani, with the word 'Deceased,' followed by the words 'Under the alias of Arsène Lupin.' |
» Par conséquent, pour ressusciter Arsène Lupin, il ne faudrait pas seulement avoir la preuve irréfutable de son existence, — ce qui ne serait pas impossible, — il faudrait mettre en jeu les rouages administratifs les plus compliqués et obtenir un décret du Conseil d’État. |
"Consequently, to bring Arsène Lupin back to life, there would be wanted something more than the undeniable proof of his existence, which would not be impossible. The most complicated wheels in the administrative machine would have to be set in motion, and a decree obtained from the Council of State. |
» Or, il paraîtrait que M. Valenglay président du conseil, d’accord avec le préfet de police, s’oppose à toute enquête trop minutieuse, susceptible de déchaîner un scandale dont on s’effraye en haut lieu. Ressusciter Arsène Lupin ? Recommencer la lutte avec ce damné personnage ? Risquer encore la défaite et le ridicule ? Non, non, mille fois non. |
"Now it would seem that M. Valenglay, the Prime Minister, together with the Prefect of Police, is opposed to making any too minute inquiries capable of opening up a scandal which the authorities are anxious to avoid. Bring Arsène Lupin back to life? Recommence the struggle with that accursed scoundrel? Risk a fresh defeat and fresh ridicule? No, no, and again no! |
» Et, c’est ainsi qu’il arrive cette chose inouïe qu’Arsène Lupin, l’ancien voleur, le récidiviste impénitent, le roi des bandits, l’empereur de la cambriole et de l’escroquerie, qu’Arsène Lupin peut aujourd’hui, non pas clandestinement, mais au vu et au su du monde entier, poursuivre l’œuvre la plus formidable qu’il ait encore entreprise, habiter publiquement sous un nom qui n’est pas le sien, mais qu’il a fait en sorte qu’on ne lui contestât pas, supprimer impunément quatre personnes qui le gênaient, faire jeter en prison une femme innocente contre laquelle il a lui-même accumulé les preuves les plus mensongères, et, en fin de compte, malgré la révolte du bon sens, et grâce à des complicités inavouables, toucher les deux cents millions de l’héritage Mornington. |
"And thus is brought about this unprecedented, inadmissible, inconceivable, disgraceful situation, that Arsène Lupin, the hardened thief, the impenitent criminal, the robber-king, the emperor of burglars and swindlers, is able to-day, not clandestinely, but in the sight and hearing of the whole world, to pursue the most formidable task that he has yet undertaken, to live publicly under a name which is not his own, but which he has incontestably made his own, to destroy with impunity four persons who stood in his way, to cause the imprisonment of an innocent woman against whom he himself has accumulated false evidence, and at the end of all, despite the protests of common sense and thanks to an unavowed complicity, to receive the hundred millions of the Mornington legacy. |
» Voilà l’ignominieuse vérité. Il était bon qu’elle fût dite. Espérons qu’une fois révélée elle influera sur la conduite des événements. » |
"There is the ignominious truth in a nutshell. It is well that it should be stated. Let us hope, now that it stands revealed, that it will influence the future conduct of events." |
— Elle influera tout au moins sur la conduite de l’imbécile qui a écrit cet article, ricana don Luis. |
"At any rate, it will influence the conduct of the idiot who wrote that article," said Lupin, with a grin. |
Il congédia Mlle Levasseur et demanda le commandant d’Astrignac au téléphone. |
He dismissed Mlle. Levasseur and rang up Major d'Astrignac on the telephone. |
— C’est vous, mon commandant ? |
"Is that you, Major? Perenna speaking." |
"Yes, what is it?" |
|
— Vous avez lu l’article de l’Écho de France ? |
"Have you read the article in the Echo de France?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Cela vous ennuierait-il beaucoup de demander une réparation par les armes à ce monsieur ? |
"Would it bore you very much to call on that gentleman and ask for satisfaction in my name?" |
— Oh ! oh ! un duel ! |
"Oh! A duel!" |
— Il le faut, mon commandant. Tous ces artistes-là m’embêtent avec leurs élucubrations. Il est nécessaire de leur mettre un bâillon. Celui-là paiera pour les autres. |
"It's got to be, Major. All these sportsmen are wearying me with their lucubrations. They must be gagged. This fellow will pay for the rest." |
"Well, of course, if you're bent on it--" |
|
"I am, very much." |
|
* * * * * |
|
Les pourparlers furent immédiats. |
The preliminaries were entered upon without delay. |
Le directeur de l’Écho de France déclara que, bien que l’article, déposé à son journal sans signature et sous forme dactylographique, eût été publié à son insu, il en prenait l’entière responsabilité. |
The editor of the Echo de France declared that the article had been sent in without a signature, typewritten, and that it had been published without his knowledge; but he accepted the entire responsibility. |
Le même jour, à trois heures, don Luis Perenna, accompagné du commandant d’Astrignac, d’un autre officier et d’un docteur, quittait dans son automobile l’hôtel de la place du Palais-Bourbon et, suivi de près par un taxi où s’entassaient les agents de la Sûreté chargés de le surveiller, arrivait au Parc des Princes. |
That same day, at three o'clock, Don Luis Perenna, accompanied by Major d'Astrignac, another officer, and a doctor, left the house in the Place du Palais-Bourbon in his car, and, followed by a taxi crammed with the detectives engaged in watching him, drove to the Parc des Princes. |
En attendant l’adversaire, le comte d’Astrignac emmena don Luis à l’écart : |
While waiting for the arrival of the adversary, the Comte d'Astrignac took Don Luis aside. |
— Mon cher Perenna, je ne vous demande rien. Qu’y a-t-il de vrai dans tout ce que l’on publie à votre égard ? Quel est votre véritable nom ? Cela m’est égal. Pour moi, vous êtes le légionnaire Perenna, et ça suffit. Votre passé commence au Maroc. Quant à l’avenir, je sais que vous n’aurez d’autre but que de venger Cosmo Mornington et de protéger ses héritiers. Seulement, il y a une chose qui me tracasse. |
"My dear Perenna, I ask you no questions. I don't want to know how much truth there is in all that is being written about you, or what your real name is. To me, you are Perenna of the Legion, and that is all I care about. Your past began in Morocco. As for the future, I know that, whatever happens and however great the temptation, your only aim will be to revenge Cosmo Mornington and protect his heirs. But there's one thing that worries me." |
— Parlez, mon commandant. |
"Speak out, Major." |
— Donnez-moi votre parole que vous ne tuerez pas cet homme. |
"Give me your word that you won't kill this man." |
— Deux mois de lit, mon commandant, ça vous va ? |
"Two months in bed, Major; will that suit you?" |
— C’est trop. Quinze jours. |
"Too long. A fortnight." |
— Adjugé. |
"Done." |
Les deux adversaires se mirent en ligne. À la seconde reprise, le directeur de l’Écho de France s’écroula, touché à la poitrine. |
The two adversaries took up their positions. At the second encounter, the editor of the Echo de France fell, wounded in the chest. |
— Ah ! c’est mal, Perenna, grommela le comte d’Astrignac, vous m’aviez promis… |
"Oh, that's too bad of you, Perenna!" growled the Comte d'Astrignac. "You promised me--" |
— J’ai promis, j’ai tenu, mon commandant. |
"And I've kept my promise, Major." |
Cependant les docteurs examinaient le blessé. L’un d’eux se releva et dit : |
The doctors were examining the injured man. Presently one of them rose and said: |
— Ce ne sera rien… trois semaines de repos, tout au plus. Seulement, un centimètre de plus et ça y était. |
"It's nothing. Three weeks' rest, at most. Only a third of an inch more, and he would have been done for." |
— Oui, mais le centimètre n’y est pas, murmura Perenna. |
"Yes, but that third of an inch isn't there," murmured Perenna. |
Toujours suivi par l’automobile des policiers, don Luis retourna au faubourg Saint-Germain, et c’est alors qu’il se produisit un incident qui devait l’intriguer singulièrement et jeter sur l’article de l’Écho un jour vraiment étrange. |
Still followed by the detectives' motor cab, Don Luis returned to the Faubourg Saint-Germain; and it was then that an incident occurred which was to puzzle him greatly and throw a most extraordinary light on the article in the Echo de France. |
Dans la cour de son hôtel, il aperçut deux petites chiennes, lesquelles appartenaient au cocher et se tenaient généralement à l’écurie. Elles jouaient alors avec une pelote de ficelle rouge qui s’accrochait un peu partout, aux marches du perron, aux vases de fleurs. À la fin le bouchon de papier autour duquel la ficelle était enroulée apparut. Don Luis passait à cet instant. Machinalement, son regard ayant discerné des traces d’écriture sur le papier, il le ramassa et le déplia. |
In the courtyard of his house he saw two little puppies which belonged to the coachman and which were generally confined to the stables. They were playing with a twist of red string which kept catching on to things, to the railings of the steps, to the flower vases. In the end, the paper round which the string was wound, appeared. Don Luis happened to pass at that moment. His eyes noticed marks of writing on the paper, and he mechanically picked it up and unfolded it. |
Il tressaillit. Tout de suite, il avait reconnu les premières lignes de l’article inséré dans l’Écho de France. Et l’article s’y trouvait, intégralement écrit à la plume, sur du papier quadrillé, avec des ratures. |
He gave a start. He had at once recognized the opening lines of the article printed in the Echo de France. And the whole article was there, written in ink, on ruled paper, with erasures, and with sentences added, struck out, and begun anew. |
Il appela le cocher et lui demanda : |
He called the coachman and asked him: |
— D’où vient donc cette pelote de ficelle ? |
"Where does this ball of string come from?" |
— Cette pelote, monsieur ?… Mais de la sellerie… C’est Mirza qui l’aura… |
"The string, sir? Why, from the harness-room, I think. It must have been that little she-devil of a Mirza who--" |
— Et quand avez-vous enroulé la ficelle sur le papier ? |
"And when did you wind the string round the paper?" |
— Hier soir, monsieur. |
"Yesterday evening, Monsieur." |
— Ah !… Et d’où provient ce papier ? |
"Yesterday evening. I see. And where is the paper from?" |
— Ma foi, monsieur, je ne sais pas trop… j’avais besoin de quelque chose pour ma ficelle… j’ai pris cela derrière la remise, là où l’on jette tous les chiffons de la maison, en attendant qu’on les porte dans la rue, le soir. |
"Upon my word, Monsieur, I can't say. I wanted something to wind my string on. I picked this bit up behind the coach-house where they fling all the rubbish of the house to be taken into the street at night." |
Don Luis poursuivit ses investigations. Il questionna ou il pria Mlle Levasseur de questionner les autres domestiques. Il ne découvrit rien, mais un fait demeurait acquis : l’article de l’Écho de France avait été écrit — le brouillon ramassé en faisait foi — par quelqu’un qui habitait la maison, ou qui entretenait des relations avec un des habitants de la maison. |
Don Luis pursued his investigations. He questioned or asked Mlle. Levasseur to question the other servants. He discovered nothing; but one fact remained: the article in the Echo de France had been written, as the rough draft which he had picked up proved, by somebody who lived in the house or who was in touch with one of the people in the house. |
L’ennemi était dans la place. |
The enemy was inside the fortress. |
Mais quel ennemi ? Et que voulait-il ? Simplement l’arrestation de Perenna ? |
But what enemy? And what did he want? Merely Perenna's arrest? |
Toute cette fin d’après-midi, don Luis resta soucieux, tourmenté par le mystère qui l’entourait, exaspéré par son inaction et surtout par cette menace d’arrestation qui, certes, ne l’inquiétait pas, mais qui paralysait ses mouvements. |
All the remainder of the afternoon Don Luis continued anxious, annoyed by the mystery that surrounded him, incensed at his own inaction, and especially at that threatened arrest, which certainly caused him no uneasiness, but which hampered his movements. |
Aussi, quand on lui annonça, vers dix heures, qu’un individu, qui se présentait sous le nom d’Alexandre, insistait pour le voir, quand il eut fait entrer cet individu, et qu’il se trouva en face de Mazeroux, mais d’un Mazeroux travesti, enfoui sous un vieux manteau méconnaissable, il se jeta sur lui comme sur une proie : |
Accordingly, when he was told at about ten o'clock that a man who gave the name of Alexandre insisted on seeing him, he had the man shown in; and when he found himself face to face with Mazeroux, but Mazeroux disguised beyond recognition and huddled in an old cloak, he flung himself on him as on a prey, hustling and shaking him. |
— Enfin, c’est toi ! Hein ! je te l’avais dit, vous n’en sortez pas, à la préfecture, et tu viens me chercher ? Ah ! elle est rigolote, celle-là… Morbleu ! je savais bien que vous n’auriez pas le culot de m’arrêter et que le préfet de police calmerait un peu les ardeurs intempestives de ce sacré Weber. D’abord est-ce qu’on arrête un homme dont on a besoin ? Va, dégoise. Dieu ! que tu as l’air abruti ! Mais réponds donc. Où en êtes-vous ? Vite, parle. Je vais vous régler ça en cinq sec. Montre en main, deux minutes. Tu dis ? |
"So it's you, at last?" he cried. "Well, what did I tell you? You can't make head or tail of things at the police office and you've come for me! Confess it, you numskull! You've come to fetch me! Oh, how funny it all is! Gad, I knew that you would never have the cheek to arrest me, and that the Prefect of Police would manage to calm the untimely ardour of that confounded Weber! To begin with, one doesn't arrest a man whom one has need of. Come, out with it! Lord, how stupid you look! Why don't you answer? How far have you got at the office? Quick, speak! I'll settle the thing in five seconds. Just tell me about your inquiry in two words, and I'll finish it for you in the twinkling of a bed-post, in two minutes by my watch. Well, you were saying--" |
— Mais, patron… bredouilla Mazeroux interloqué. |
"But, Chief," spluttered Mazeroux, utterly nonplussed. |
— Quoi ? Faut t’arracher les paroles ! Allons-y. J’opère. Il s’agit de l’homme à la canne d’ébène, n’est-ce pas ? de celui qu’on a vu au café du Pont-Neuf, le jour où l’inspecteur Vérot a été assassiné ? |
"What! Must I drag the words out of you? Come on! I'll make a start. It has to do with the man with the ebony walking-stick, hasn't it? The one we saw at the Café du Pont-Neuf on the day when Inspector Vérot was murdered?" |
— Oui… en effet. |
"Yes, it has." |
— Vous avez retrouvé ses traces ? |
"Have you found his traces?" |
— Oui. |
"Yes." |
— Eh bien, bavarde, voyons ! |
"Well, come along, find your tongue!" |
— Voilà, patron. Il n’y a pas que le garçon de café qui l’avait remarqué. Il y a aussi un autre consommateur, et cet autre consommateur, que j’ai fini par découvrir, était sorti du café en même temps que notre homme, et, dehors, l’avait entendu demander à un passant « la plus proche station du métro pour aller à Neuilly ». |
"It's like this, Chief. Some one else noticed him besides the waiter. There was another customer in the cafe; and this other customer, whom I ended by discovering, went out at the same time as our man and heard him ask somebody in the street which was the nearest underground station for Neuilly." |
— Excellent, cela. Et, dans Neuilly, à force d’interroger de droite et de gauche, vous avez déniché l’artiste ? |
"Capital, that. And, in Neuilly, by asking questions on every side, you ferreted him out?" |
— Et même appris son nom, patron : Hubert Lautier, avenue du Roule. Seulement, il a décampé, il y a six mois, laissant son mobilier et n’emportant qu’une malle. |
"And even learnt his name, Chief: Hubert Lautier, of the Avenue du Roule. Only he decamped from there six months ago, leaving his furniture behind him and taking nothing but two trunks." |
— Mais à la poste ? |
"What about the post-office?" |
— Nous avons été à la poste. Un des employés a reconnu le signalement qu’on lui a fourni. Notre homme vient tous les huit ou dix jours chercher son courrier, qui, d’ailleurs, est très peu important… une lettre ou deux. |
"We have been to the post-office. One of the clerks recognized the description which we supplied. Our man calls once every eight or ten days to fetch his mail, which never amounts to much: just one or two letters. He has not been there for some time." |
— Et ce courrier est sous son nom ? |
"Is the correspondence in his name?" |
— Sous des initiales. |
"No, initials." |
— On a pu se les rappeler ? |
"Were they able to remember them?" |
— Oui. B. R. W. 8. |
"Yes: B.R.W.8." |
— C’est tout ? |
"Is that all?" |
— De mon côté, absolument tout. Mais un de mes collègues a pu établir, d’après les dépositions de deux agents de police, qu’un individu portant une canne d’ébène, à manche d’argent et un binocle d’écaille est sorti, le soir du double assassinat, de gare d’Auteuil, vers onze heures trois quarts et s’est dirigé vers le Ranelagh. Rappelez-vous la présence de Mme Fauville dans ce quartier, à la même heure. Et rappelez-vous que le crime fut commis un peu avant minuit… J’en conclus… |
"That is absolutely all that I have discovered. But one of my fellow officers succeeded in proving, from the evidence of two detectives, that a man carrying a silver-handled ebony walking-stick and a pair of tortoise-shell glasses walked out of the Gare d'Auteuil on the evening of the double murder and went toward Renelagh. Remember the presence of Mme. Fauville in that neighbourhood at the same hour. And remember that the crime was committed round about midnight. I conclude from this--" |
— Assez, file. |
"That will do; be off!" |
— Mais… |
"But--" |
— Au galop. |
"Get!" |
— Alors on ne se revoit plus ? |
"Then I don't see you again?" |
— Rendez-vous dans une demi-heure devant le domicile de notre homme. |
"Meet me in half an hour outside our man's place." |
— Quel homme ? |
"What man?" |
— Le complice de Marie-Anne Fauville… |
"Marie Fauville's accomplice." |
— Mais vous ne connaissez pas… |
"But you don't know--" |
— Son adresse ? Mais c’est toi-même qui me l’as donnée. Boulevard Richard-Wallace, numéro huit. Va, et ne prends pas cette tête d’idiot. |
"The address? Why, you gave it to me yourself: Boulevard Richard-Wallace, No. 8. Go! And don't look such a fool." |
Il le fit pirouetter, le poussa par les épaules jusqu’à la porte et le remit, tout ahuri, aux mains d’un domestique. |
He made him spin round on his heels, took him by the shoulders, pushed him to the door, and handed him over, quite flabbergasted, to a footman. |
Lui-même sortait quelques minutes plus tard, entraînant sur ses pas les policiers attachés à sa personne, les laissait de planton devant un immeuble à double issue, et se faisait conduire à Neuilly en automobile. |
He himself went out a few minutes later, dragging in his wake the detectives attached to his person, left them posted on sentry duty outside a block of flats with a double entrance, and took a motor cab to Neuilly. |
Il suivit à pied l’avenue de Madrid et rejoignit le boulevard Richard-Wallace, en vue du bois de Boulogne. |
He went along the Avenue de Madrid on foot and turned down the Boulevard Richard-Wallace, opposite the Bois de Boulogne. |
Mazeroux l’attendait là, devant une petite maison qui dressait ses trois étages au fond d’une cour que bordaient les murs très hauts de la propriété voisine. |
Mazeroux was waiting for him in front of a small three-storied house standing at the back of a courtyard contained within the very high walls of the adjoining property. |
— C’est bien le numéro huit ? |
"Is this number eight?" |
— Oui, patron, mais vous allez m’expliquer… |
"Yes, Chief, but tell me how--" |
— Une seconde, mon vieux, que je reprenne mon souffle ! |
"One moment, old chap; give me time to recover my breath." |
Il aspira largement quelques bouffées d’air. |
He gave two or three great gasps. |
— Dieu ! que c’est bon d’agir ! dit-il. Vrai, je me rouillais… Et quel plaisir de poursuivre ces bandits ! Alors tu veux que je t’explique ? |
"Lord, how good it is to be up and doing!" he said. "Upon my word, I was getting rusty. And what a pleasure to pursue those scoundrels! So you want me to tell you?" |
Il passa son bras sous celui du brigadier. |
He passed his arm through the sergeant's. |
— Écoute, Alexandre, et profite. Quand une personne choisit des initiales quelconques pour son adresse de poste restante, dis-toi bien qu’elle ne les choisit pas au hasard, mais presque toujours de façon que les lettres aient une signification pour la personne en correspondance avec elle, signification qui permettra à cette autre personne de se rappeler facilement l’adresse qu’on lui donne. |
"Listen, Alexandre, and profit by my words. Remember this: when a person is choosing initials for his address at a poste restante he doesn't pick them at random, but always in such a way that the letters convey a meaning to the person corresponding with him, a meaning which will enable that other person easily to remember the address." |
— Et en l’occurrence ? |
"And in this case?" |
— En l’occurrence, Mazeroux, un homme comme moi, qui connais Neuilly et les alentours du Bois, est aussitôt frappé par ces trois lettres B R W et surtout par cette lettre étrangère W, lettre étrangère, lettre anglaise. De sorte que, dans mon esprit, devant mes yeux, instantanément, comme une hallucination, j’ai vu les trois lettres à leur place logique d’initiales, à la tête des mots qu’elles appellent et qu’elles nécessitent. J’ai vu le B du boulevard, j’ai vu l’R et le W anglais de Richard et de Wallace. Et je suis venu vers le boulevard Richard-Wallace. Et voilà pourquoi, mon cher monsieur, votre fille est sourde. |
"In this case, Mazeroux, a man like myself, who knows Neuilly and the neighbourhood of the Bois, is at once struck by those three letters, 'B.R.W,' and especially by the 'W.', a foreign letter, an English letter. So that in my mind's eye, instantly, as in a flash, I saw the three letters in their logical place as initials at the head of the words for which they stand. I saw the 'B' of 'boulevard,' and the 'R' and the English 'W' of Richard-Wallace. And so I came to the Boulevard Richard-Wallace, And that, my dear sir, explains the milk in the cocoanut." |
Mazeroux sembla quelque peu sceptique. |
Mazeroux seemed a little doubtful. |
— Et vous croyez, patron ? |
"And what do you think, Chief?" |
— Je ne crois rien. Je cherche. Je construis une hypothèse sur la première base venue… une hypothèse vraisemblable… Et je me dis… je me dis… je me dis, Mazeroux, que ce petit coin est diablement mystérieux… et que cette maison… Chut… Écoute… |
"I think nothing. I am looking about. I am building up a theory on the first basis that offers a probable theory. And I say to myself ... I say to myself ... I say to myself, Mazeroux, that this is a devilish mysterious little hole and that this house--Hush! Listen--" |
Il repoussa Mazeroux dans un renfoncement d’ombre. Ils avaient entendu du bruit, le claquement d’une porte. |
He pushed Mazeroux into a dark corner. They had heard a noise, the slamming of a door. |
De fait, des pas traversèrent la cour, devant la maison. La serrure de la grille extérieure grinça. Quelqu’un parut, que la lumière d’un réverbère éclaira en plein visage. |
Footsteps crossed the courtyard in front of the house. The lock of the outer gate grated. Some one appeared, and the light of a street lamp fell full on his face. |
— Cré tonnerre ! mâchonna Mazeroux, c’est lui. |
"Dash it all," muttered Mazeroux, "it's he!" |
— Il me semble, en effet… |
"I believe you're right." |
— C’est lui, patron. Regardez la canne noire et le brillant de la poignée… Et puis vous avez vu le lorgnon… et la barbe… Quel type vous êtes, patron ! |
"It's he. Chief. Look at the black stick and the bright handle. And did you see the eyeglasses--and the beard? What a oner you are, Chief!" |
— Calme-toi, et suivons-le. |
"Calm yourself and let's go after him." |
L’individu avait traversé le boulevard Richard-Wallace et tournait sur le boulevard Maillot. Il marchait assez vite, la tête haute, en faisant tournoyer sa canne d’un geste allègre. Il alluma une cigarette. |
The man had crossed the Boulevard Richard-Wallace and was turning into the Boulevard Maillot. He was walking pretty fast, with his head up, gayly twirling his stick. He lit a cigarette. |
À l’extrémité du boulevard Maillot, l’homme passa l’octroi et pénétra dans Paris. La station du chemin de fer de Ceinture était proche. Il se dirigea vers elle et, toujours suivi, prit un train qui le conduisait à Auteuil. |
At the end of the Boulevard Maillot, the man passed the octroi and entered Paris. The railway station of the outer circle was close by. He went to it and, still followed by the others, stepped into a train that took them to Auteuil. |
— Bizarre, dit Mazeroux, il refait ce qu’il a fait il y a quinze jours. C’est là qu’on l’a aperçu. |
"That's funny," said Mazeroux. "He's doing exactly what he did a fortnight ago. This is where he was seen." |
L’individu longea dès lors les fortifications. En un quart d’heure, il atteignit le boulevard Suchet, et presque aussitôt l’hôtel où l’ingénieur Fauville et son fils avaient été assassinés. |
The man now went along the fortifications. In a quarter of an hour he reached the Boulevard Suchet and almost immediately afterward the house in which M. Fauville and his son had been murdered. |
En face de cet hôtel, il monta sur les fortifications, et il resta là quelques minutes, immobile, tourné vers la façade. Puis, continuant sa route, il gagna la Muette, s’engagea dans les ténèbres du bois de Boulogne. |
He climbed the fortifications opposite the house and stayed there for some minutes, motionless, with his face to the front of the house. Then continuing his road he went to La Muette and plunged into the dusk of the Bois de Boulogne. |
— À l’œuvre et hardiment ! fit don Luis qui pressa le pas. |
"To work and boldly!" said Don Luis, quickening his pace. |
Mazeroux le retint : |
Mazeroux stopped him. |
— Que voulez-vous dire, patron ? |
"What do you mean, Chief?" |
— Eh bien, sautons-lui à la gorge, nous sommes deux, et le moment est propice. |
"Well, catch him by the throat! There are two of us; we couldn't hope for a better moment." |
— Voyons, patron, vous n’y pensez pas ? |
"What! Why, it's impossible!" |
"Impossible? Are you afraid? Very well, I'll do it by myself." |
|
"Look here, Chief, you're not serious!" |
|
— Pourquoi n’y penserais-je pas ? |
"Why shouldn't I be serious?" |
— Parce qu’on ne peut arrêter un homme sans motif. |
"Because one can't arrest a man without a reason." |
— Sans motif ? Un bandit de son espèce ? Un assassin ? Qu’est-ce qu’il te faut donc ? |
"Without a reason? A scoundrel like this? A murderer? What more do you want?" |
— En l’absence d’un cas de force majeure, d’un flagrant délit, il me faut quelque chose que je n’ai pas. |
"In the absence of compulsion, of catching him in the act, I want something that I haven't got." |
— Quoi ? |
"What's that?" |
— Un mandat. Je n’ai pas de mandat. |
"A warrant. I haven't a warrant." |
L’accent de Mazeroux était si convaincu et sa réponse parut si comique à don Luis Perenna qu’il éclata de rire. |
Mazeroux's accent was so full of conviction, and the answer struck Don Luis Perenna as so comical, that he burst out laughing. |
— T’as pas de mandat ? Pauvre petit ! Eh bien, tu vas voir si j’en ai besoin, d’un mandat ! |
"You have no warrant? Poor little chap! Well, I'll soon show you if I need a warrant!" |
— Je ne verrai rien du tout, s’écria Mazeroux en s’accrochant au bras de son compagnon. Vous ne toucherez pas à cet individu. |
"You'll show me nothing," cried Mazeroux, hanging on to his companion's arm. "You shan't touch the man." |
— C’est ta mère ? |
"One would think he was your mother!" |
— Voyons, patron… |
"Come, Chief." |
— Mais, triple honnête homme, articula don Luis, exaspéré, si nous laissons échapper l’occasion, la retrouverons-nous ? |
"But, you stick-in-the-mud of an honest man," shouted Don Luis, angrily, "if we let this opportunity slip shall we ever find another?" |
— Facilement. Il rentre chez lui. Je préviens le commissaire de police. On téléphone à la préfecture, et demain matin… |
"Easily. He's going home. I'll inform the commissary of police. He will telephone to headquarters; and to-morrow morning--" |
— Et si l’oiseau est envolé ? |
"And suppose the bird has flown?" |
— Je n’ai pas de mandat. |
"I have no warrant." |
— Veux-tu que je t’en signe un, idiot ? |
"Do you want me to sign you one, idiot?" |
Mais don Luis domina sa colère. Il sentait bien que tous ses arguments se briseraient contre l’obstination du brigadier, et que Mazeroux irait au besoin jusqu’à défendre l’ennemi contre lui. Il formula simplement d’un ton sentencieux : |
But Don Luis mastered his rage. He felt that all his arguments would be shattered to pieces against the sergeant's obstinacy, and that, if necessary, Mazeroux would go to the length of defending the enemy against him. He simply said in a sententious tone: |
— Un imbécile et toi, ça fait deux imbéciles, et il y a autant d’imbéciles qu’il y a de gens qui veulent faire de la police avec des chiffons de papier, des signatures, des mandats et d’autres calembredaines. La police, mon petit, ça se fait avec le poing. Quand l’ennemi est là, on cogne. Sinon, on risque de cogner dans le vide. Là-dessus, bonne nuit. Je vais me coucher. Téléphone-moi quand tout sera fini. |
"One ass and you make a pair of asses; and there are as many asses as there are people who try to do police work with bits of paper, signatures, warrants, and other gammon. Police work, my lad, is done with one's fists. When you come upon the enemy, hit him. Otherwise, you stand a chance of hitting the air. With that, good-night. I'm going to bed. Telephone to me when the job is done." |
Il rentra chez lui, furieux, excédé d’une aventure où il n’avait pas ses coudées franches, et où il lui fallait se soumettre à la volonté ou, plutôt, à la mollesse des autres. |
He went home, furious, sick of an adventure in which he had not had elbow room, and in which he had had to submit to the will, or, rather, to the weakness of others. |
Mais, le lendemain matin, lorsqu’il se réveilla, le désir de voir la police aux prises avec l’homme à la canne d’ébène, et surtout le sentiment que son concours ne serait pas inutile, le poussèrent à s’habiller plus vite. |
But next morning when he woke up his longing to see the police lay hold of the man with the ebony stick, and especially the feeling that his assistance would be of use, impelled him to dress as quickly as he could. |
« Si je n’arrive pas à la rescousse, se disait-il, ils vont se laisser rouler. » |
"If I don't come to the rescue," he thought, "they'll let themselves be done in the eye. They're not equal to a contest of this kind." |
Justement Mazeroux le demanda au téléphone. Il se précipita vers une petite cabine que son prédécesseur avait fait établir au premier étage, dans un réduit obscur qui ne communiquait qu’avec son bureau, et il alluma l’électricité. |
Just then Mazeroux rang up and asked to speak to him. He rushed to a little telephone box which his predecessor had fitted up on the first floor, in a dark recess that communicated only with his study, and switched on the electric light. |
— C’est toi, Alexandre ? |
"Is that you, Alexandre?" |
— Oui, patron. Je suis chez un marchand de vin, près de la maison du boulevard Richard-Wallace. |
"Yes, Chief. I'm speaking from a wine shop near the house on the Boulevard Richard-Wallace." |
— Et notre homme ? |
"What about our man?" |
— L’oiseau est au nid. Mais il était temps. |
"The bird's still in the nest. But we're only just in time." |
— Ah ! |
"Really?" |
— Oui, sa valise est faite. Il doit partir ce matin en voyage. |
"Yes, he's packed his trunk. He's going away this morning." |
— Comment le sait-on ? |
"How do they know?" |
— Par la femme de ménage. Elle vient d’entrer chez lui, et nous ouvrira. |
"Through the woman who manages for him. She's just come to the house and will let us in." |
— Il habite seul ? |
"Does he live alone?" |
— Oui, cette femme lui prépare ses repas et s’en va le soir. Personne ne vient jamais, sauf une dame voilée qui lui a rendu trois visites depuis qu’il est ici. La femme de ménage ne pourrait pas la reconnaître. Lui, c’est un savant, dit-elle, qui passe son temps à lire et à travailler. |
"Yes, the woman cooks his meals and goes away in the evening. No one ever calls except a veiled lady who has paid him three visits since he's been here. The housekeeper was not able to see what she was like. As for him, she says he's a scholar, who spends his time reading and working." |
— Et tu as un mandat ? |
"And have you a warrant?" |
— Oui, on va opérer. |
"Yes, we're going to use it." |
— J’accours. |
"I'll come at once." |
— Impossible ! C’est le sous-chef Weber qui nous commande. Ah ! dites donc, vous ne savez pas la nouvelle à propos de Mme Fauville ? |
"You can't! We've got Weber at our head. Oh, by the way, have you heard the news about Mme. Fauville?" |
— À propos de Mme Fauville ? |
"About Mme. Fauville?" |
— Oui, elle a voulu se tuer, cette nuit. |
"Yes, she tried to commit suicide last night." |
— Hein ! elle a voulu se tuer ? |
"What! Tried to commit suicide!" |
Perenna avait jeté une exclamation de stupeur, et il fut très étonné d’entendre, presque en même temps, un autre cri, comme un écho très proche. |
Perenna had uttered an exclamation of astonishment and was very much surprised to hear, almost at the same time, another cry, like an echo, at his elbow. |
Sans lâcher le récepteur, il se retourna. Mlle Levasseur était dans le cabinet de travail, à quelques pas de lui, la figure contractée, livide. |
Without letting go the receiver, he turned round and saw that Mlle. Levasseur was in the study a few yards away from him, standing with a distorted and livid face. |
Leurs regards se rencontrèrent. Il fut sur le point de l’interroger, mais elle s’éloigna. |
Their eyes met. He was on the point of speaking to her, but she moved away, without leaving the room, however. |
« Pourquoi diable m’écoutait-elle ? se demanda don Luis, et pourquoi cet air d’épouvante ? » |
"What the devil was she listening for?" Don Luis wondered. "And why that look of dismay?" |
Mazeroux continuait cependant : |
Meanwhile, Mazeroux continued: |
— Elle l’avait bien dit, qu’elle essaierait de se tuer. Il lui a fallu un rude courage. |
"She said, you know, that she would try to kill herself. But it must have taken a goodish amount of pluck." |
Perenna reprit : — Mais comment ? |
"But how did she do it?" Perenna asked. |
— Je vous raconterai cela. On m’appelle. Mais surtout ne venez pas, patron. |
"I'll tell you another time. They're calling me. Whatever you do, Chief, don't come." |
— Si, répondit-il nettement, je viens. |
"Yes," he replied, firmly, "I'm coming. After all, the least I can do is to be in at the death, seeing that it was I who found the scent. But don't be afraid. I shall keep in the background." |
— Alors, dépêchez-vous, patron. On donne l’assaut. |
"Then hurry, Chief. We're delivering the attack in ten minutes." |
— J’arrive. |
"I'll be with you before that." |
Il raccrocha vivement le récepteur et fit demi-tour sur lui-même pour sortir de la cabine. Un mouvement de recul le rejeta jusqu’au mur du fond. |
He quickly hung up the receiver and turned on his heel to leave the telephone box. The next moment he had flung himself against the farther wall. |
À l’instant précis où il allait franchir le seuil, quelque chose s’était déclenché au-dessus de sa tête, et il n’avait eu que le temps de bondir en arrière pour n’être pas atteint par un rideau de fer qui tomba devant lui avec une violence terrible. |
Just as he was about to pass out he had heard something click above his head and he but barely had the time to leap back and escape being struck by an iron curtain which fell in front of him with a terrible thud. |
Une seconde de plus, et la masse énorme l’écrasait. Il en sentit le frôlement contre sa main. Et jamais peut-être il n’éprouva de façon plus intense l’angoisse du danger. |
Another second and the huge mass would have crushed him. He could feel it whizzing by his head. And he had never before experienced the anguish of danger so intensely. |
Après un moment de véritable frayeur où il resta comme pétrifié, le cerveau en désordre, il reprit son sang-froid et se jeta sur l’obstacle. |
After a moment of genuine fright, in which he stood as though petrified, with his brain in a whirl, he recovered his coolness and threw himself upon the obstacle. |
Mais tout de suite l’obstacle lui parut infranchissable. |
But it at once appeared to him that the obstacle was unsurmountable. |
C’était un lourd panneau de métal, non pas fait de lamelles ou de pièces rattachées les unes aux autres, mais formé d’un seul bloc, massif, puissant, rigide et que le temps avait revêtu de sa patine luisante, à peine obscurcie, çà et là, par des taches de rouille. De droite et de gauche, en haut et en bas, les bords du panneau s’enfonçaient dans une rainure étroite qui les recouvrait hermétiquement. |
It was a heavy metal panel, not made of plates or lathes fastened one to the other, but formed of a solid slab, massive, firm, and strong, and covered with the sheen of time darkened here and there with patches of rust. On either side and at the top and bottom the edges of the panel fitted in a narrow groove which covered them hermetically. |
Il était prisonnier. À coups de poing, avec une rage soudaine, il frappa, se rappelant la présence de Mlle Levasseur dans le cabinet de travail. Si elle n’avait pas encore quitté la pièce — et sûrement elle ne pouvait pas encore l’avoir quittée lorsque la chose s’était produite — elle entendrait le bruit. Elle devait l’entendre. Elle allait revenir sur ses pas. Elle allait donner l’alarme et le secourir. |
He was a prisoner. In a sudden fit of rage he banged at the metal with his fists. He remembered that Mlle. Levasseur was in the study. If she had not yet left the room--and surely she could not have left it when the thing happened--she would hear the noise. She was bound to hear it. She would be sure to come back, give the alarm, and rescue him. |
Il écouta. Rien. Il appela. Aucune réponse. Sa voix se heurtait aux murs et au plafond de la cabine où il était enfermé, et il avait l’impression que l’hôtel entier, par-delà les salons, et les escaliers, et les vestibules, demeurait sourd à son appel. |
He listened. He shouted. No reply. His voice died away against the walls and ceiling of the box in which he was shut up, and he felt that the whole house--drawing-rooms, staircases, and passages--remained deaf to his appeal. |
Pourtant… pourtant… Mlle Levasseur ? |
And yet ... and yet ... Mlle. Levasseur-- |
— Qu’est-ce que ça veut dire ? murmura-t-il… Qu’est ce que tout cela signifie ? |
"What does it mean?" he muttered. "What can it all mean?" |
Et immobile maintenant, taciturne, il pensait de nouveau à l’étrange attitude de la jeune fille, à son visage bouleversé, à ses yeux égarés. Et il se demandait aussi par quel hasard s’était déclenché le mécanisme invisible qui avait projeté sur lui, sournoisement et implacablement, le redoutable rideau de fer. |
And motionless now and silent, he thought once more of the girl's strange attitude, of her distraught face, of her haggard eyes. And he also began to wonder what accident had released the mechanism which had hurled the formidable iron curtain upon him, craftily and ruthlessly. |
|
Chapitre V.L’homme à la canne d’ébène |
Chapter 5:The Man with the Ebony Walking-Stick |
Sur le boulevard Richard-Wallace, le sous-chef Weber, l’inspecteur principal Ancenis, le brigadier Mazeroux, trois inspecteurs et le commissaire de police de Neuilly, étaient groupés devant la grille du numéro huit. |
A group consisting of Deputy Chief Detective Weber, Chief Inspector Ancenis, Sergeant Mazeroux, three inspectors, and the Neuilly commissary of police stood outside the gate of No. 8 Boulevard Richard-Wallace. |
Mazeroux surveillait l’avenue de Madrid par laquelle don Luis devait venir, mais il commençait à s’étonner, car une demi-heure s’était écoulée depuis qu’ils avaient échangé un coup de téléphone, et Mazeroux ne trouvait plus de prétexte pour reculer l’opération. |
Mazeroux was watching the Avenue de Madrid, by which Don Luis would have to come, and began to wonder what had happened; for half an hour had passed since they telephoned to each other, and Mazeroux could find no further pretext for delaying the work. |
— Il est temps, dit le sous-chef Weber, la femme de ménage nous a fait signe d’une fenêtre : le type s’habille. |
"It's time to make a move," said Weber. "The housekeeper is making signals to us from the window: the joker's dressing." |
— Pourquoi ne pas l’empoigner quand il sortira ? objecta Mazeroux. |
"Why not nab him when he comes out?" objected Mazeroux. "We shall capture him in a moment." |
— Et s’il se trotte par une autre issue que nous ne connaissons pas ? dit le sous-chef. C’est qu’il faut se méfier de pareils bougres. Non, attaquons-le au gîte. Il y a plus de certitude. |
"And if he cuts off by another outlet which we don't know of?" said the deputy chief. "You have to be careful with these beggars. No, let's beard him in his den. It's more certain." |
— Cependant… |
"Still--" |
— Qu’est-ce que vous avez donc, Mazeroux ? dit le sous-chef en le prenant à part. Vous ne voyez donc pas que nos hommes sont nerveux ? Ce type-là les inquiète. Il n’y a qu’un moyen, c’est de les lancer dessus, comme sur une bête fauve. Et puis il faut que l’affaire soit dans le sac quand le préfet viendra. |
"What's the matter with you, Mazeroux?" asked the deputy chief, taking him on one side. "Don't you see that our men are getting restive? They're afraid of this sportsman. There's only one way, which is to set them on him as if he were a wild beast. Besides, the business must be finished by the time the Prefect comes," |
— Il vient donc ? |
"Is he coming?" |
— Oui. Il veut se rendre compte par lui-même. Toute cette histoire-là le préoccupe au plus haut point. Ainsi donc, en avant ! Vous êtes prêts, les gars ? Je sonne. |
"Yes. He wants to see things for himself. The whole affair interests him enormously. So, forward! Are you ready, men? I'm going to ring." |
Le timbre retentit en effet, et, tout de suite, la femme de ménage accourut et entrebâilla la porte. |
The bell sounded; and the housekeeper at once came and half opened the gate. |
Bien que la consigne fût de garder le plus grand calme afin de ne pas effaroucher trop tôt l’adversaire, la crainte qu’il inspirait était telle qu’il y eut une poussée et que tous les agents se ruèrent dans la cour, prêts au combat… Mais une fenêtre s’ouvrit et quelqu’un cria, du second étage : |
Although the orders were to observe great quiet, so as not to alarm the enemy too soon, the fear which he inspired was so intense that there was a general rush; and all the detectives crowded into the courtyard, ready for the fight. But a window opened and some one cried from the second floor: |
— Qu’y a-t-il ? |
"What's happening?" |
Le sous-chef ne répondit pas. Deux agents, l’inspecteur principal, le commissaire et lui, envahissaient la maison, tandis que les deux autres, restés dans la cour, rendaient toute fuite impossible. |
The deputy chief did not reply. Two detectives, the chief inspector, the commissary, and himself entered the house, while the others remained in the courtyard and made any attempt at flight impossible. |
La rencontre eut lieu au premier étage. L’homme était descendu, tout habillé, le chapeau sur la tête, et le sous-chef proférait : |
The meeting took place on the first floor. The man had come down, fully dressed, with his hat on his head; and the deputy chief roared: |
— Halte ! Pas un geste ! C’est bien vous, Hubert Lautier ? |
"Stop! Hands up! Are you Hubert Lautier?" |
L’homme sembla confondu. Cinq revolvers étaient braqués sur lui. Pourtant, aucune expression de peur n’altéra son visage, et il dit simplement : |
The man seemed disconcerted. Five revolvers were levelled at him. And yet no sign of fear showed in his face; and he simply said: |
— Que voulez-vous, monsieur ? Que venez-vous faire ici ? |
"What do you want, Monsieur? What are you here for?" |
— Nous venons au nom de la loi. Voici le mandat qui vous concerne, un mandat d’arrêt. |
"We are here in the name of the law, with a warrant for your arrest." |
— Un mandat d’arrêt contre moi ! |
"A warrant for my arrest?" |
— Contre Hubert Lautier, domicilié au huit, boulevard Richard-Wallace. |
"A warrant for the arrest of Hubert Lautier, residing at 8 Boulevard Richard-Wallace." |
— Mais c’est absurde !… dit-il, c’est incroyable… Pour quelle raison ?… |
"But it's absurd!" said the man. "It's incredible! What does it mean? What for?" |
Sans qu’il opposât la moindre résistance, on l’empoigna par les deux bras et on le fit entrer dans une pièce assez grande où il n’y avait que trois chaises de paille, un fauteuil, et une table encombrée de gros livres. |
They took him by both arms, without his offering the least resistance, pushed him into a fairly large room containing no furniture but three rush-bottomed chairs, an armchair, and a table covered with big books. |
— Là, dit le sous-chef, et ne bougez pas. Au moindre geste, tant pis pour vous… |
"There," said the deputy chief. "Don't stir. If you attempt to move, so much the worse for you." |
L’homme ne protestait pas. Tenu au collet par les deux agents, il paraissait réfléchir, comme s’il eût cherché à comprendre les motifs secrets d’une arrestation à laquelle rien ne l’eût préparé. Il avait une figure intelligente, une barbe châtaine à reflets un peu roux, des yeux d’un bleu gris dont l’expression devenait par instants, derrière le binocle qu’il portait, d’une certaine dureté. Les épaules larges, le cou puissant dénotaient la force. |
The man made no protest. While the two detectives held him by the collar, he seemed to be reflecting, as though he were trying to understand the secret causes of an arrest for which he was totally unprepared. He had an intelligent face, a reddish-brown beard, and a pair of blue-gray eyes which now and again showed a certain hardness of expression behind his glasses. His broad shoulders and powerful neck pointed to physical strength. |
— On lui passe le cabriolet ? dit Mazeroux au sous-chef. |
"Shall we tie his wrists?" Mazeroux asked the deputy chief. |
— Une seconde… Le préfet arrive, je l’entends… Vous avez fouillé les poches ? Pas d’armes ? |
"One second. The Prefect's coming; I can hear him. Have you searched the man's pockets? Any weapons?" |
— Non. |
"No." |
— Rien d’équivoque ? |
"No flask, no phial? Nothing suspicious?" |
— Non, rien. |
"No, nothing." |
Dès son arrivée, M. Desmalions, tout en examinant la figure du prisonnier, s’entretint à voix basse avec le sous-chef et se fit raconter les détails de l’opération. |
M. Desmalions arrived and, while watching the prisoner's face, talked in a low voice with the deputy chief and received the particulars of the arrest. |
— Bonne affaire, dit-il, nous avions besoin de cela. Les deux complices arrêtés, il faudra bien qu’ils parlent, et tout s’éclaircira. Ainsi, il n’y a pas eu de résistance ? |
"This is good business," he said. "We wanted this. Now that both accomplices are in custody, they will have to speak; and everything will be cleared up. So there was no resistance?" |
— Aucune, monsieur le préfet. |
"None at all, Monsieur le Préfet." |
— N’importe ! restons sur nos gardes. |
"No matter, we will remain on our guard." |
Le prisonnier n’avait pas prononcé une parole, et il conservait le visage pensif de quelqu’un pour qui les événements ne se prêtent à aucune explication. Cependant, lorsqu’il eut compris que le nouveau venu n’était autre que le préfet de police, il releva la tête, et M. Desmalions lui ayant dit : |
The prisoner had not uttered a word, but still wore a thoughtful look, as though trying to understand the inexplicable events of the last few minutes. Nevertheless, when he realized that the newcomer was none other than the Prefect of Police, he raised his head and looked at M. Desmalions, who asked him: |
— Inutile, n’est-ce pas, de vous exposer les motifs de votre arrestation ? |
"It is unnecessary to tell you the cause of your arrest, I presume?" |
Il répliqua d’une voix déférente : |
He replied, in a deferential tone: |
— Excusez-moi, monsieur le préfet, je vous demande au contraire de me renseigner. Je n’ai pas la moindre idée à ce sujet : Il y a là, chez vos agents, une erreur formidable qu’un mot sans doute peut dissiper. Ce mot, je le désire… je l’exige… |
"Excuse me, Monsieur le Préfet, but I must ask you, on the contrary, to inform me. I have not the least idea of the reason. Your detectives have made a grave mistake which a word, no doubt, will be enough to set right. That word I wish for, I insist upon--" |
Le préfet haussa les épaules et dit : |
The Prefect shrugged his shoulders and said: |
— Vous êtes soupçonné d’avoir participé à l’assassinat de l’ingénieur Fauville et de son fils Edmond. |
"You are suspected of taking part in the murder of Fauville, the civil engineer, and his son Edmond." |
— Hippolyte est mort ! |
"Is Hippolyte dead?" |
Le cri fut spontané, comme inconscient, cri de stupeur et d’effroi, qui jaillissait d’un être bouleversé jusqu’au plus profond de son âme. Et c’était tellement étrange, cette stupeur, tellement imprévu cette question par laquelle il voulait faire croire à une ignorance inadmissible ! |
The cry was spontaneous, almost unconscious; a bewildered cry of dismay from a man moved to the depths of his being. And his dismay was supremely strange, his question, trying to make them believe in his ignorance, supremely unexpected. |
Il répéta, la voix sourde, avec un tremblement nerveux : — Hippolyte est mort ? Qu’est-ce que vous dites là ? Est-ce possible qu’il soit mort ? Et comment ? Assassiné ? Edmond également ? |
"Is Hippolyte dead?" He repeated the question in a hoarse voice, trembling all over as he spoke. "Is Hippolyte dead? What are you saying? Is it possible that he can be dead? And how? Murdered? Edmond, too?" |
Le préfet haussa de nouveau les épaules. |
The Prefect once more shrugged his shoulders. |
— Le fait même que vous appeliez M. Fauville par son prénom montre que vous étiez dans son intimité. Et en admettant que vous ne soyez pour rien dans son assassinat, la lecture des journaux depuis quinze jours eût suffi à vous l’apprendre. |
"The mere fact of your calling M. Fauville by his Christian name shows that you knew him intimately. And, even if you were not concerned in his murder, it has been mentioned often enough in the newspapers during the last fortnight for you to know of it." |
— Je ne lis jamais de journaux, monsieur le préfet. |
"I never read a newspaper, Monsieur le Préfet." |
— Hein ! vous allez prétendre… |
"What! You mean to tell me--?" |
— Cela peut être invraisemblable, mais c’est ainsi. Je vis une existence de travail, m’occupant exclusivement de recherches scientifiques en vue d’un ouvrage de vulgarisation, et sans prendre la moindre part ni le moindre intérêt aux choses de dehors. Je défie donc qui que ce soit au monde de prouver que j’aie lu un seul journal depuis des mois et des mois. Et c’est pourquoi j’ai le droit de dire que j’ignorais l’assassinat d’Hippolyte Fauville. |
"It may sound improbable, but it is quite true. I lead an industrious life, occupying myself solely with scientific research, in view of a popular work which I am preparing, and I do not take the least part or the least interest in outside things. I defy any one to prove that I have read a newspaper for months and months past. And that is why I am entitled to say that I did not know of Hippolyte Fauville's murder." |
— Cependant vous connaissiez M. Fauville. |
"Still, you knew M. Fauville." |
— Je l’ai connu autrefois, mais nous nous sommes fâchés. |
"I used to know him, but we quarrelled." |
— Quelles raisons ? |
"For what reason?" |
— Des affaires de famille… |
"Family affairs." |
— Des affaires de famille ! Vous étiez donc parents ? |
"Family affairs! Were you related, then?" |
— Oui, Hippolyte était mon cousin. |
"Yes. Hippolyte was my cousin." |
— Votre cousin ! M. Fauville était votre cousin ? Mais… mais alors… Voyons, précisons. M. Fauville et sa femme étaient les enfants de deux sœurs, Élisabeth et Armande Roussel. Ces deux sœurs avaient été élevées avec un cousin germain du nom de Victor. |
"Your cousin! M. Fauville was your cousin! But ... but then ... Come, let us have the rights of the matter. M. Fauville and his wife were the children of two sisters, Elizabeth and Armande Roussel. Those two sisters had been brought up with a first cousin called Victor." |
— Oui, Victor Sauverand, issu du grand-père Roussel, Victor Sauverand s’est marié à l’étranger et il a eu deux fils. L’un est mort il y a quinze ans. L’autre, c’est moi. |
"Yes, Victor Sauverand, whose grandfather was a Roussel. Victor Sauverand married abroad and had two sons. One of them died fifteen years ago; the other is myself." |
M. Desmalions tressaillit. Son émotion était visible. Si cet homme disait vrai, s’il était réellement le fils de ce Victor dont la police n’avait pas encore pu reconstituer l’état civil, on avait arrêté par là même, puisque M. Fauville et son fils étaient morts et Mme Fauville pour ainsi dire convaincue d’assassinat et déchue de ses droits, on avait arrêté l’héritier définitif de l’Américain Cosmo Mornington. |
M. Desmalions gave a start. His excitement was manifest. If that man was telling the truth, if he was really the son of that Victor whose record the police had not yet been able to trace, then, owing to this very fact, since M. Fauville and his son were dead and Mme. Fauville, so to speak, convicted of murder and forfeiting her rights, they had arrested the final heir to Cosmo Mornington. |
Mais par quelle aberration donnait-il contre lui, sans y être obligé, cette charge écrasante ? |
But why, in a moment of madness, had he voluntarily brought this crushing indictment against himself? |
Il reprit : |
He continued: |
— Mes révélations, monsieur le préfet, semblent vous étonner. Peut-être vous éclairent-elles sur l’erreur dont je suis victime ? |
"My statements seem to surprise you, Monsieur le Préfet. Perhaps they throw a light on the mistake of which I am a victim?" |
Il s’exprimait sans aucun trouble, avec une grande politesse et une distinction de voix remarquable, et il n’avait nullement l’air de se douter que ses révélations confirmaient au contraire la légitimité des mesures prises à son égard. |
He expressed himself calmly, with great politeness and in a remarkably well-bred voice; and he did not for a moment seem to suspect that his revelations, on the contrary, were justifying the measures taken against him. |
Sans répondre à sa question, le préfet de police lui demanda : |
Without replying to the question, the Prefect of Police asked him: |
— Ainsi, votre nom véritable, c’est ?… |
"So your real name is--" |
— Gaston Sauverand, dit-il. |
"Gaston Sauverand." |
— Pourquoi vous faites-vous appeler Hubert Lautier ? |
"Why do you call yourself Hubert Lautier?" |
L’homme eut une petite défaillance qui ne pouvait échapper à un observateur aussi perspicace que M. Desmalions. Il fléchit sur ses jambes, ses yeux papillotèrent. |
The man had a second of indecision which did not escape so clear-sighted an observer as M. Desmalions. He swayed from side to side, his eyes flickered and he said: |
— Cela ne regarde pas la police, cela ne regarde que moi. |
"That does not concern the police; it concerns no one but myself." |
M. Desmalions sourit : |
M. Desmalions smiled: |
— L’argument est médiocre. M’opposerez-vous le même si je veux savoir pourquoi vous vous cachez, pourquoi vous avez quitté votre domicile de l’avenue du Roule sans laisser d’adresse et pourquoi vous recevez votre correspondance à la poste, sous des initiales ? |
"That is a poor argument. Will you use the same when I ask you why you live in hiding, why you left the Avenue du Roule, where you used to live, without leaving an address behind you, and why you receive your letters at the post-office under initials?" |
— Oui, monsieur le préfet, ce sont là des actes d’ordre privé, qui relèvent de ma seule conscience. Vous n’avez pas à m’interroger là-dessus. |
"Yes, Monsieur le Préfet, those are matters of a private character, which affect only my conscience. You have no right to question me about them." |
— C’est l’exacte réponse que nous oppose à tout instant votre complice. |
"That is the exact reply which we are constantly receiving at every moment from your accomplice." |
— Mon complice ? |
"My accomplice?" |
— Oui, Mme Fauville. |
"Yes, Mme. Fauville." |
— Mme Fauville ? |
"Mme. Fauville!" |
Gaston Sauverand avait poussé le même cri qu’à l’annonce de la mort de l’ingénieur, et ce fut une stupeur plus grande encore, une angoisse qui rendit ses traits méconnaissables. |
Gaston Sauverand had uttered the same cry as when he heard of the death of the engineer; and his stupefaction seemed even greater, combined as it was with an anguish that distorted his features beyond recognition. |
— Quoi ?… Quoi ?… Qu’est-ce que vous dites ? Marie-Anne… Non, n’est-ce pas ? Ce n’est pas vrai ? |
"What?... What?... What do you say? Marie!... No, you don't mean it! It's not true!" |
M. Desmalions jugea inutile de répondre, tellement cette affectation d’ignorer tout ce qui concernait le drame du boulevard Suchet était absurde et puérile. |
M. Desmalions considered it useless to reply, so absurd and childish was this affectation of knowing nothing about the tragedy on the Boulevard Suchet. |
Hors de lui, les yeux effarés, Gaston Sauverand murmura : |
Gaston Sauverand, beside himself, with his eyes starting from his head, muttered: |
— C’est vrai ? Elle est victime de la même méprise que moi ? On l’a peut-être arrêtée ? Elle ! elle ! Marie-Anne en prison ! |
"Is it true? Is Marie the victim of the same mistake as myself? Perhaps they have arrested her? She, she in prison!" |
Ses poings crispés s’élevèrent dans un geste de menace qui s’adressait à tous les ennemis inconnus dont il était entouré, à ceux qui le persécutaient et qui avaient assassiné Hippolyte Fauville et livré Marie-Anne. |
He raised his clenched fists in a threatening manner against all the unknown enemies by whom he was surrounded, against those who were persecuting him, those who had murdered Hippolyte Fauville and delivered Marie Fauville to the police. |
Mazeroux et l’inspecteur Ancenis l’empoignèrent brutalement… Il eut un mouvement de révolte comme s’il allait repousser ses agresseurs. Mais ce ne fut qu’un éclair, et il s’abattit sur une chaise en cachant sa figure entre ses mains. |
Mazeroux and Chief Inspector Ancenis took hold of him roughly. He made a movement of resistance, as though he intended to thrust back his aggressors. But it was only momentary; and he sank into a chair and covered his face with his hands: |
— Quel mystère ! balbutia-t-il !… Je ne comprends pas… je ne comprends pas… |
"What a mystery!" he stammered. "I don't understand! I don't understand--" |
Il se tut. |
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Le préfet de police dit à Mazeroux : |
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— C’est la même comédie qu’avec Mme Fauville, et jouée par un comédien de la même espèce qu’elle et de la même force. On voit qu’ils sont parents. |
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— Il faut se méfier de lui, monsieur le préfet. Pour l’instant, son arrestation l’a déprimé, mais gare au réveil ! |
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Le sous-chef Weber, qui était sorti depuis quelques minutes, rentra. M. Desmalions lui dit : |
Weber, who had gone out a few minutes before, returned. M. Desmalions asked: |
— Tout est prêt ? |
"Is everything ready?" |
— Oui, monsieur le préfet, j’ai fait avancer le taxi jusqu’à la grille, à côté de votre automobile. |
"Yes, Monsieur le Préfet, I have had the taxi brought up to the gate beside your car." |
— Combien êtes-vous ? |
"How many of you are there?" |
— Huit. Deux agents viennent d’arriver du commissariat. |
"Eight. Two detectives have just arrived from the commissary's." |
— Vous avez fouillé la maison ? |
"Have you searched the house?" |
— Oui. D’ailleurs, elle est presque vide. Il n’y a que les meubles indispensables et, dans la chambre, des liasses de papiers. |
"Yes. It's almost empty, however. There's nothing but the indispensable articles of furniture and some bundles of papers in the bedroom." |
— C’est bien, emmenez-le et redoublez de surveillance. |
"Very well. Take him away and keep a sharp lookout." |
Gaston Sauverand se laissa faire docilement et suivit le sous-chef et Mazeroux. Sur le seuil de la porte, il se retourna : |
Gaston Sauverand walked off quietly between the deputy chief and Mazeroux. He turned round in the doorway. |
— Monsieur le préfet, puisque vous perquisitionnez, je vous adjure de prendre soin des papiers qui encombrent la table de ma chambre : ce sont des notes qui m’ont coûté bien des veilles. En outre… |
"Monsieur le Préfet, as you are making a search, I entreat you to take care of the papers on the table in my bedroom. They are notes that have cost me a great deal of labour in the small hours of the night. Also--" |
Il hésita, visiblement embarrassé. |
He hesitated, obviously embarrassed. |
— En outre ? |
"Well?" |
— Eh bien, Monsieur le préfet, je vais vous dire… certaines choses… |
"Well, Monsieur le Préfet, I must tell you--something--" |
Il cherchait ses mots et paraissait en craindre les conséquences, tout en les prononçant. Mais il se décida d’un coup : |
He was looking for his words and seemed to fear the consequences of them at the same time that he uttered them. But he suddenly made up his mind. |
— Monsieur le préfet, il y a ici… quelque part… un paquet de lettres auxquelles je tiens plus qu’à ma vie. Peut-être ces lettres, si on les interprète dans un mauvais sens, donneront-elles des armes contre moi… mais n’importe… Avant tout, il faut… il faut qu’elles soient à l’abri… Vous verrez… Il y a là des documents d’une importance extrême… Je vous les confie… à vous seul, monsieur le préfet. |
"Monsieur le Préfet, there is in this house--somewhere--a packet of letters which I value more than my life. It is possible that those letters, if misinterpreted, will furnish a weapon against me; but no matter. The great thing is that they should be safe. You will see. They include documents of extreme importance. I entrust them to your keeping--to yours alone, Monsieur le Préfet." |
— Où sont-elles ? |
"Where are they?" |
— La cachette est facile à trouver. Il suffit de monter dans la mansarde au-dessus de ma chambre et d’appuyer, à droite de la fenêtre, sur un clou… un clou inutile en apparence, mais qui commande une cachette située au-dehors, sous une des ardoises, le long de la gouttière. |
"The hiding-place is easily found. All you have to do is to go to the garret above my bedroom and press on a nail to the right of the window. It is an apparently useless nail, but it controls a hiding-place outside, under the slates of the roof, along the gutter." |
Il se remit en marche, encadré par les deux hommes. Le préfet les retint. |
He moved away between the two men. The Prefect called them back. |
— Une seconde… Mazeroux, montez dans la mansarde. Vous m’apporterez les lettres. |
"One second. Mazeroux, go up to the garret and bring me the letters." |
Mazeroux obéit et revint au bout de quelques minutes. Il n’avait pu faire jouer le mécanisme. |
Mazeroux went out and returned in a few minutes. He had been unable to work the spring. |
Le préfet ordonna à l’inspecteur principal Ancenis de monter à son tour avec Mazeroux et d’emmener le prisonnier, qui leur ferait voir le fonctionnement de sa cachette. Lui-même, il demeura dans la pièce avec le sous-chef Weber, attendant le résultat de la perquisition, et il se mit à examiner les titres des livres qui s’empilaient sur la table. |
The Prefect ordered Chief Inspector Ancenis to go up with Mazeroux and to take the prisoner, who would show them how to open the hiding-place. He himself remained in the room with Weber, awaiting the result of the search, and began to read the titles of the volumes piled upon the table. |
C’étaient des volumes de science, parmi lesquels il remarqua des ouvrages de chimie : La chimie organique, La chimie dans ses rapports avec l’électricité. Tous ils étaient chargés de notes, en marge. Il feuilletait l’un d’eux lorsqu’il crut entendre des clameurs. |
They were scientific books, among which he noticed works on chemistry: "Organic Chemistry" and "Chemistry Considered in Its Relations with Electricity." They were all covered with notes in the margins. He was turning over the pages of one of them, when he seemed to hear shouts. |
Il se précipita. Mais il n’avait pas franchi le seuil de la porte qu’une détonation retentit au creux de l’escalier et qu’il y eut un hurlement de douleur. |
The Prefect rushed to the door, but had not crossed the threshold when a pistol shot echoed down the staircase and there was a yell of pain. |
Et aussitôt, deux autres coups de feu. Et puis des cris, un bruit de lutte et une détonation encore… |
Immediately after came two more shots, accompanied by cries, the sound of a struggle, and yet another shot. |
Par bonds de quatre marches, avec une agilité qu’on n’eût pas attendue d’un homme de sa taille, le préfet de police, suivi du sous-chef, escalada le second étage et parvint au troisième, qui était plus étroit et plus abrupt. |
Tearing upstairs, four steps at a time, with an agility not to be expected from a man of his build, the Prefect of Police, followed by the deputy chief, covered the second flight and came to a third, which was narrower and steeper. When he reached the bend, a man's body, staggering above him, fell into his arms: it was Mazeroux, wounded. |
Quand il eut gagné le tournant, un corps qui chancelait au-dessus de lui s’abattit dans ses bras : c’était Mazeroux blessé. |
On the stairs lay another body, lifeless, that of Chief Inspector Ancenis. |
Sur les marches gisait un autre corps inerte, celui de l’inspecteur principal Ancenis. En haut, dans l’encadrement d’une petite porte, Gaston Sauverand, terrible, la physionomie féroce, avait le bras tendu. Il tira un cinquième coup au hasard. Puis, apercevant le préfet de police, il visa, posément. |
Above them, in the frame of a small doorway, stood Gaston Sauverand, with a savage look on his face and his arm outstretched. He fired a fifth shot at random. Then, seeing the Prefect of Police, he took deliberate aim. |
Le préfet eut la vision foudroyante de ce canon braqué sur son visage, et il se crut perdu. Mais, à cette seconde précise, derrière lui, une détonation claqua, l’arme de Sauverand tomba de sa main avant qu’il eût pu tirer, et le préfet aperçut, comme dans une vision, un homme, celui qui venait de le sauver de la mort, et qui enjambait le corps de l’inspecteur principal, repoussait Mazeroux contre le mur, et s’élançait, suivi des agents. |
The Prefect stared at that terrifying barrel levelled at his face and gave himself up for lost. But, at that exact second, a shot was discharged from behind him, Sauverand's weapon fell from his hand before he was able to fire, and the Prefect saw, as in a dream, a man, the man who had saved his life, striding across the chief inspector's body, propping Mazeroux against the wall, and darting ahead, followed by the detectives. |
Il le reconnut. C’était don Luis Perenna. |
He recognized the man: it was Don Luis Perenna. |
Don Luis entra vivement dans la mansarde où Sauverand avait reculé, mais il n’eut que le temps de l’aviser, debout sur le rebord de la fenêtre, et qui sautait dans le vide, du haut des trois étages. |
Don Luis stepped briskly into the garret where Sauverand had retreated, but had time only to catch sight of him standing on the window ledge and leaping into space from the third floor. |
— Il s’est jeté par là ? cria le préfet en accourant. Nous ne l’aurons pas vivant ! |
"Has he jumped from there?" cried the Prefect, hastening up. "We shall never capture him alive!" |
— Ni vivant ni mort, monsieur le préfet. Tenez, le voilà qui se relève. Il y a des miracles pour ces gens-là… Il file vers la grille… C’est à peine s’il boite un peu. |
"Neither alive nor dead, Monsieur le Préfet. See, he's picking himself up. There's a providence which looks after that sort. He's making for the gate. He's hardly limping." |
— Mais mes hommes ? |
"But where are my men?" |
— Eh ! ils sont tous dans l’escalier, dans la maison, attirés par les coups de feu, soignant les blessés… |
"Why, they're all on the staircase, in the house, brought here by the shots, seeing to the wounded--" |
— Ah ! le démon, murmura le préfet, il a joué sa partie en maître ! |
"Oh, the demon!" muttered the Prefect. "He's played a masterly game!" |
De fait, Gaston Sauverand prenait la fuite sans rencontrer personne. |
Gaston Sauverand, in fact, was escaping unmolested. |
— Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! vociféra M. Desmalions. |
"Stop him! Stop him!" roared M. Desmalions. |
Il y avait deux automobiles le long du trottoir, qui à cet endroit est fort large, l’automobile du préfet de police et celle que le sous-chef avait fait venir pour le prisonnier. Les deux chauffeurs, assis sur leurs sièges, n’avaient rien perçu de la bataille. Mais ils virent le saut, dans l’espace, de Gaston Sauverand, et le chauffeur de la préfecture, sur le siège duquel on avait déposé un certain nombre de pièces à conviction, prenant dans le tas et au hasard la canne d’ébène, seule arme qu’il eût sous la main, se précipita courageusement au-devant du fugitif. |
There were two motors standing beside the pavement, which is very wide at this spot: the Prefect's own car, and the cab which the deputy chief had provided for the prisoner. The two chauffeurs, sitting on their seats, had noticed nothing of the fight. But they saw Gaston Sauverand's leap into space; and the Prefect's chauffeur, on whose seat a certain number of incriminating articles had been placed, taking out of the heap the first weapon that offered, the ebony walking-stick, bravely rushed at the fugitive. |
— Arrêtez-le ! arrêtez-le ! criait M. Desmalions. |
"Stop him! Stop him!" shouted M. Desmalions. |
La rencontre se produisit à la sortie de la cour. Elle fut brève. Sauverand se jeta sur son agresseur, lui arracha la canne, fit un bond en arrière et la lui cassa sur la figure. Puis, sans lâcher la poignée, il se sauva, poursuivi par l’autre chauffeur et par trois agents qui surgissaient enfin de la maison. Il avait alors trente pas d’avance sur les agents. L’un d’eux tira vainement plusieurs coups de revolver. |
The encounter took place at the exit from the courtyard. It did not last long. Sauverand flung himself upon his assailant, snatched the stick from him, and broke it across his face. Then, without dropping the handle, he ran away, pursued by the other chauffeur and by three detectives who at last appeared from the house. He had thirty yards' start of the detectives, one of whom fired several shots at him without effect. |
Lorsque M. Desmalions et le sous-chef Weber redescendirent, ils trouvèrent au second étage, dans la chambre de Gaston Sauverand, l’inspecteur principal étendu sur le lit, le visage livide. |
When M. Desmalions and Weber went downstairs again, they found the chief inspector lying on the bed in Gaston Sauverand's room on the second floor, gray in the face. |
Frappé à la tête, il agonisait. |
He had been hit on the head and was dying. |
Presque aussitôt il mourut. |
A few minutes later he was dead. |
Le brigadier Mazeroux, dont la blessure était insignifiante, raconta, tandis qu’on le pansait, que Sauverand les avait, l’inspecteur principal et lui, conduits jusqu’à la mansarde, et que, devant la porte, il avait plongé vivement la main dans une sorte de vieille sacoche accrochée au mur entre des tabliers de domestique et des blouses hors d’usage. Il en tirait un revolver et faisait feu à bout portant sur l’inspecteur principal, qui tombait comme une masse. Empoigné par Mazeroux, le meurtrier se dégageait et envoyait trois balles dont la troisième atteignait le brigadier à l’épaule. |
Sergeant Mazeroux, whose wound was only slight, said, while it was being dressed, that Sauverand had taken the chief inspector and himself up to the garret, and that, outside the door, he had dipped his hand quickly into an old satchel hanging on the wall among some servants' wornout aprons and jackets. He drew out a revolver and fired point-blank at the chief inspector, who dropped like a log. When seized by Mazeroux, the murderer released himself and fired three bullets, the third of which hit the sergeant in the shoulder. |
Ainsi, dans la bataille où la police disposait d’une troupe d’agents exercés, où l’ennemi, captif, semblait n’avoir aucune chance de salut, cet ennemi, par un stratagème d’une audace inouïe, emmenait à l’écart deux de ses adversaires, les mettait hors de combat, attirait les autres dans la maison et, la route devenue libre, s’enfuyait. |
And so, in a fight in which the police had a band of experienced detectives at their disposal, while the enemy, a prisoner, seemed to possess not the remotest chance of safety, this enemy, by a strategem of unprecedented daring, had led two of his adversaries aside, disabled both of them, drawn the others into the house and, finding the coast clear, escaped. |
M. Desmalions était pâle de colère et de désespoir. Il s’écria : |
M. Desmalions was white with anger and despair. He exclaimed: |
— Il nous a roulés… Ses lettres, sa cachette, le clou mobile… autant de trucs… Ah ! le bandit ! |
"He's tricked us! His letters, his hiding-place, the movable nail, were all shams. Oh, the scoundrel!" |
Il gagna le rez-de-chaussée et passa dans la cour. Sur le boulevard, il rencontra un des agents qui avaient donné la chasse au meurtrier, et qui revenait à bout de souffle. |
He went down to the ground floor and into the courtyard. On the boulevard he met one of the detectives who had given chase to the murderer and who was returning quite out of breath. |
— Eh bien ? dit-il anxieusement. |
"Well?" he asked anxiously, |
— Monsieur le préfet, il a tourné par la rue voisine… Là, une automobile l’attendait… Le moteur devait être sous pression, car tout de suite notre homme nous a distancés. |
"Monsieur le Préfet, he turned down the first street, where there was a motor waiting for him. The engine must have been working, for our man outdistanced us at once." |
— Mais mon automobile, à moi ? |
"But what about my car?" |
— Le temps de se mettre en marche, monsieur le préfet, vous comprenez… |
"You see, Monsieur le Préfet, by the time it was started--" |
— La voiture qui l’a emporté était une voiture de louage ? |
"Was the motor that picked him up a hired one?" |
— Oui… un taxi… |
"Yes, a taxi." |
— On la retrouvera alors. Le chauffeur viendra de lui-même quand il connaîtra par les journaux… |
"Then we shall find it. The driver will come of his own accord when he has seen the newspapers." |
Weber hocha la tête : |
Weber shook his head. |
— À moins, monsieur le préfet, que ce chauffeur ne soit un compère également. Et puis, quand bien même on retrouverait la voiture, peut-on admettre qu’un gaillard comme Gaston Sauverand ignore les moyens d’embrouiller une piste ? Nous aurons du mal, monsieur le préfet. |
"Unless the driver is himself a confederate, Monsieur le Préfet. Besides, even if we find the cab, aren't we bound to suppose that Gaston Sauverand will know how to front the scent? We shall have trouble, Monsieur le Préfet." |
— Oui, murmura don Luis qui avait assisté sans mot dire aux premières investigations, et qui resta seul un instant avec Mazeroux, oui, vous aurez du mal, surtout si vous laissez prendre la poudre d’escampette aux gens que vous tenez. Hein, Mazeroux, qu’est-ce que je t’avais dit hier soir ? Mais, tout de même, quel bandit ! Et il n’est pas seul, Alexandre. Je te réponds qu’il a des complices… et pas plus loin que chez moi encore… tu entends, chez moi ! |
"Yes," whispered Don Luis, who had been present at the first investigation and who was left alone for a moment with Mazeroux. "Yes, you will have trouble, especially if you let the people you capture take to their heels. Eh, Mazeroux, what did I tell you last night? But, still, what a scoundrel! And he's not alone, Alexandre. I'll answer for it that he has accomplices--and not a hundred yards from my house--do you understand? From my house." |
Après avoir interrogé Mazeroux sur l’attitude de Sauverand et sur les incidents de l’arrestation, don Luis regagna son hôtel de la place du Palais-Bourbon. |
After questioning Mazeroux upon Sauverand's attitude and the other incidents of the arrest, Don Luis went back to the Place du Palais-Bourbon. |
* * * * * |
|
L’enquête qu’il avait à faire se rapportait, certes, à des événements aussi étranges, et, si la partie que jouait Gaston Sauverand dans la poursuite de l’héritage Cosmo Mornington méritait toute son attention, la conduite de Mlle Levasseur ne l’intriguait pas moins vivement. |
The inquiry which he had to make related to events that were certainly quite as strange as those which he had just witnessed; and while the part played by Gaston Sauverand in the pursuit of the Mornington inheritance deserved all his attention, the behaviour of Mile. Levasseur puzzled him no less. |
Il lui était impossible d’oublier le cri de terreur qui avait échappé à la jeune fille pendant qu’il téléphonait avec Mazeroux, impossible aussi d’oublier l’expression effarée de son visage. Or, pouvait-il attribuer ce cri de terreur et cet effarement à autre chose qu’à la phrase prononcée par lui en réponse à Mazeroux : |
He could not forget the cry of terror that escaped the girl while he was telephoning to Mazeroux, nor the scared expression of her face. Now it was impossible to attribute that cry and that expression to anything other than the words which he had uttered in reply to Mazeroux: |
« Qu’est-ce que tu dis ? Mme Fauville a voulu se tuer ? » |
"What! Mme. Fauville tried to commit suicide!" |
Le fait était certain, et il y avait entre l’annonce du suicide et l’émotion extrême de Mlle Levasseur un rapport trop évident pour que Perenna n’essayât pas d’en tirer des conclusions. |
The fact was certain; and the connection between the announcement of the attempt and Mlle. Levasseur's extreme emotion was too obvious for Perenna not to try to draw conclusions. |
Il entra directement dans son bureau, et aussitôt examina la baie qui ouvrait sur la cabine téléphonique. Cette baie, en forme de voûte, large de deux mètres environ et très basse, n’était fermée que par une portière de velours qui, presque toujours relevée, la laissait à découvert. Sous la portière, parmi les moulures de la cimaise, don Luis trouva un bouton mobile sur lequel il suffisait d’appuyer pour que tombât le rideau de fer auquel il s’était heurté deux heures auparavant. |
He went straight to his study and at once examined the arch leading to the telephone box. This arch, which was about six feet wide and very low, had no door, but merely a velvet hanging, which was nearly always drawn up, leaving the arch uncovered. Under the hanging, among the moldings of the cornice, was a button that had only to be pressed to bring down the iron curtain against which he had thrown himself two hours before. |
Il fit jouer le déclenchement à trois ou quatre reprises. Ces expériences lui prouvèrent de la façon la plus catégorique que le mécanisme était en parfait état et ne pouvait fonctionner sans une intervention étrangère. Devait-il donc conclure que la jeune fille avait voulu le tuer, lui, Perenna ? Mais pour quels motifs ? |
He worked the catch two or three times over, and his experiments proved to him in the most explicit fashion that the mechanism was in perfect order and unable to act without outside intervention. Was he then to conclude that the girl had wanted to kill him? But what could be her motive? |
Il fut sur le point de sonner et de la faire venir afin d’avoir avec elle l’explication qu’il était résolu à lui demander. Cependant le temps passait, et il ne sonna pas. Par la fenêtre, il la vit qui traversait la cour. Elle avait une démarche lente, et son buste se balançait sur ses hanches avec un rythme harmonieux. Un rayon de soleil alluma l’or de sa chevelure. |
He was on the point of ringing and sending for her, so as to receive the explanation which he was resolved to demand from her. However, the minutes passed and he did not ring. He saw her through the window as she walked slowly across the yard, her body swinging gracefully from her hips. A ray of sunshine lit up the gold of her hair. |
Tout le reste de la matinée, il resta sur un divan, à fumer des cigares… Il était mal à l’aise, mécontent de lui et des événements dont aucun ne lui apportait la moindre lueur de vérité, et qui, tous, au contraire, s’entendaient de manière à verser plus d’ombre encore dans les ténèbres où il se débattait. Avide d’agir, aussitôt qu’il agissait il rencontrait de nouveaux obstacles qui paralysaient sa volonté d’agir, et rien, dans la nature de ces obstacles, ne le renseignait sur la personnalité des adversaires qui les suscitaient. |
All the rest of the morning he lay on a sofa, smoking cigars. He was ill at ease, dissatisfied with himself and with the course of events, not one of which brought him the least glimmer of truth; in fact, all of them seemed to deepen the darkness in which he was battling. Eager to act, the moment he did so he encountered fresh obstacles that paralyzed his powers of action and left him in utter ignorance of the nature of his adversaries. |
Mais à midi, comme il venait de donner l’ordre qu’on lui servît à déjeuner, son maître d’hôtel pénétra dans le cabinet de travail, un plateau à la main, et s’écria avec une agitation qui montrait que le personnel de la maison n’ignorait pas la situation équivoque de don Luis : |
But, at twelve o'clock, just as he had rung for lunch, his butler entered the study with a tray in his hand, and exclaimed, with an agitation which showed that the household was aware of Don Luis's ambiguous position: |
— Monsieur, c’est le préfet de police. |
"Sir, it's the Prefect of Police!" |
— Hein ? fit Perenna. Où se trouve-t-il ? |
"Eh?" said Perenna. "Where is he?" |
— En bas, monsieur. Je ne savais pas d’abord… et je voulais avertir Mlle Levasseur. Mais… |
"Downstairs, sir. I did not know what to do, at first ... and I thought of telling Mlle. Levasseur. But--" |
— Vous êtes sûr ? |
"Are you sure?" |
— Voici sa carte, monsieur. |
"Here is his card, sir." |
Perenna lut, en effet, sur le bristol : Gustave
Desmalions
Il alla vers la fenêtre, qu’il ouvrit, et, à l’aide du miroir supérieur, observa la place du Palais-Bourbon… Une demi-douzaine d’individus s’y promenaient. Il les reconnut. C’étaient ses surveillants ordinaires, ceux qu’il avait « semés » le soir précédent et qui venaient de reprendre leur faction. |
Perenna took the card from the tray and read M. Desmalions's name. He went to the window, opened it and, with the aid of the overhead mirror, looked into the Place du Palais-Bourbon. Half a dozen men were walking about. He recognized them. They were his usual watchers, those whom he had got rid of on the evening before and who had come to resume their observation. |
« Pas davantage ? se dit-il. Allons, il n’y a rien à craindre, et le préfet de police n’a que de bonnes intentions à mon égard. C’est bien ce que j’avais prévu, et je crois que je n’ai pas été trop mal inspiré en lui sauvant la vie. » |
"No others?" he said to himself. "Come, we have nothing to fear, and the Prefect of Police has none but the best intentions toward me. It was what I expected; and I think that I was well advised to save his life." |
M. Desmalions entra sans dire un seul mot. Tout au plus inclina-t-il légèrement la tête, d’un geste qui pouvait être interprété comme un salut. Weber, qui l’accompagnait, ne prit même pas la peine, lui, de masquer les sentiments qu’un homme comme Perenna pouvait lui inspirer… |
M. Desmalions entered without a word. All that he did was to bend his head slightly, with a movement that might be taken for a bow. As for Weber, who was with him, he did not even give himself the trouble to disguise his feelings toward such a man as Perenna. |
Don Luis parut ne pas s’en apercevoir, et, en revanche, affecta de n’avancer qu’un fauteuil. Mais M. Desmalions se mit à marcher dans la pièce, les mains au dos, et comme s’il eût voulu poursuivre ses réflexions avant de prononcer une seule parole. |
Don Luis took no direct notice of this attitude, but, in revenge, ostentatiously omitted to push forward more than one chair. M. Desmalions, however, preferred to walk about the room, with his hands behind his back, as if to continue his reflections before speaking. |
Le silence se prolongea. Don Luis attendait, paisiblement. Puis, soudain, le préfet s’arrêta et dit : |
The silence was prolonged. Don Luis waited patiently. Then, suddenly, the Prefect stopped and said: |
— En quittant le boulevard Richard-Wallace, êtes vous rentré directement chez vous, monsieur ? |
"When you left the Boulevard Richard-Wallace, Monsieur, did you go straight home?" |
Don Luis accepta la conversation sur ce mode interrogatoire, et il répliqua : |
Don Luis did not demur to this cross-examining manner and answered: |
— Oui, monsieur le préfet. |
"Yes, Monsieur le Préfet." |
"Here, to your study?" |
|
"Here, to my study." |
|
M. Desmalions fit une pause et reprit : |
M. Desmalions paused and then went on: |
— Moi, je suis parti trente ou quarante minutes après vous, et mon automobile m’a conduit à la préfecture. J’y ai reçu ce pneumatique que vous pouvez lire. Vous remarquerez qu’il fut mis à la Bourse à neuf heures et demie. |
"I left thirty or forty minutes after you and drove to the police office in my car. There I received this express letter. Read it. You will see that it was handed in at the Bourse at half-past nine." |
Don Luis prit le pneumatique et il lut ces mots, écrits en lettres capitales : |
Don Luis took the letter and read the following words, written in capital letters: |
« Vous êtes averti que Gaston Sauverand, après sa fuite, a retrouvé son complice, le sieur Perenna, qui n’est autre, comme vous le savez, qu’Arsène Lupin. Arsène Lupin vous avait fourni l’adresse de Sauverand pour se débarrasser de lui et toucher l’héritage Mornington. Ils se sont réconciliés ce matin, et Arsène Lupin a indiqué à Sauverand une retraite sûre. La preuve de leur rencontre et de leur complicité est facile. Par prudence, Sauverand a remis à Lupin le tronçon de canne qu’il avait emporté à son insu. Vous le trouverez sous les coussins qui ornent un divan placé entre les deux fenêtres du cabinet de travail du sieur Perenna. » |
This is to inform you that Gaston Sauverand, after making his escape, rejoined his accomplice Perenna, who, as you know, is none other than Arsène Lupin. Arsène Lupin gave you Sauverand's address in order to get rid of him and to receive the Mornington inheritance. They were reconciled this morning, and Arsène Lupin suggested a safe hiding-place to Sauverand. It is easy to prove their meeting and their complicity. Sauverand handed Lupin the half of the walking-stick which he had carried away unawares. You will find it under the cushions of a sofa standing between the two windows of Perenna's study. |
Don Luis haussa les épaules. La lettre était absurde, puisqu’il n’avait pas quitté son cabinet de travail. Il la replia tranquillement et la rendit au préfet de police, sans ajouter aucun commentaire. Il était résolu à laisser M. Desmalions maître absolu de l’entretien. |
Don Luis shrugged his shoulders. The letter was absurd; for he had not once left his study. He folded it up quietly and handed it to the Prefect of Police without comment. He was resolved to let M. Desmalions take the initiative in the conversation. |
Celui-ci demanda : |
The Prefect asked: |
— Que répondez-vous à l’accusation ? |
"What is your reply to the accusation?" |
— Rien, monsieur le préfet. |
"None, Monsieur le Préfet." |
— Elle est précise pourtant et facile à contrôler. |
"Still, it is quite plain and easy to prove or disprove." |
— Très facile, monsieur le préfet, le divan est là, entre ces deux fenêtres. |
"Very easy, indeed, Monsieur le Préfet; the sofa is there, between the windows." |
M. Desmalions attendit deux ou trois secondes, puis il s’approcha du divan et dérangea les coussins. |
M. Desmalions waited two or three seconds and then walked to the sofa and moved the cushions. |
Sous l’un d’eux le tronçon de la canne apparut. |
Under one of them lay the handle end of the walking-stick. |
Don Luis ne put réprimer un geste de stupeur et de colère. Pas une seconde il n’avait envisagé la possibilité d’un tel miracle, et l’événement le prenait au dépourvu. Cependant il se domina. Après tout, rien ne prouvait que cette moitié de canne fût bien celle que l’on avait vue dans les mains de Gaston Sauverand et que celui-ci avait emportée par mégarde. |
Don Luis could not repress a gesture of amazement and anger. He had not for a second contemplated the possibility of such a miracle; and it took him unawares. However, he mastered himself. After all, there was nothing to prove that this half of a walking-stick was really that which had been seen in Gaston Sauverand's hands and which Sauverand had carried away by mistake. |
— J’ai l’autre moitié sur moi, dit le préfet de police, répondant ainsi à l’objection. Le sous-chef Weber l’a ramassée lui-même sur le boulevard Richard-Wallace. La voici. |
"I have the other half on me," said the Prefect of Police, replying to the unspoken objection. "Deputy Chief Weber himself picked it up on the Boulevard Richard-Wallace. Here it is." |
Il la tira de la poche intérieure de son pardessus et fit l’épreuve. Les extrémités des deux bâtons s’adaptaient exactement l’une à l’autre. |
He produced it from the inside pocket of his overcoat and tried it. The ends of the two pieces fitted exactly. |
Il y eut un nouveau silence. Perenna était confondu, comme devaient l’être, comme l’étaient toujours ceux auxquels, lui-même, il infligeait des défaites et des humiliations de ce genre. Il n’en revenait pas. Par quel prodige Gaston Sauverand avait-il pu, en ce court espace de vingt minutes, s’introduire dans cette maison et pénétrer dans cette pièce ? C’est à peine si l’hypothèse d’un complice attaché à l’hôtel rendait le phénomène moins inexplicable. |
There was a fresh pause. Perenna was confused, as were those, invariably, upon whom he himself used to inflict this kind of defeat and humiliation. He could not get over it. By what prodigy had Gaston Sauverand managed, in that short space of twenty minutes, to enter the house and make his way into this room? Even the theory of an accomplice living in the house did not do much to make the phenomenon easier to understand. |
« Voilà qui démolit mes prévisions, pensa-t-il, et cette fois il faut que j’y passe. J’ai pu échapper à l’accusation de Mme Fauville et déjouer le coup de la turquoise. Mais jamais M. Desmalions n’admettra qu’il y ait là, aujourd’hui, une tentative analogue, et que Gaston Sauverand ait voulu, comme Marie-Anne Fauville, m’écarter de la bataille en me compromettant et en me faisant arrêter. » |
"It upsets all my calculations," he thought, "and I shall have to go through the mill this time. I was able to baffle Mme. Fauville's accusation and to foil the trick of the turquoise. But M. Desmalions will never admit that this is a similar attempt and that Gaston Sauverand has tried, as Marie Fauville did, to get me out of the way by compromising me and procuring my arrest." |
— Eh bien, s’écria le préfet de police impatienté, répondez donc ! Défendez-vous ! |
"Well," exclaimed M. Desmalions impatiently, "answer! Defend yourself!" |
— Non, monsieur le préfet, je n’ai pas à me défendre. |
"No, Monsieur le Préfet, it is not for me to defend myself," |
M. Desmalions frappa du pied et bougonna : |
M. Desmalions stamped his foot and growled: |
— En ce cas… en ce cas… puisque vous avouez… puisque… |
"In that case ... in that case ... since you confess ... since--" |
Il saisit la poignée de la fenêtre, prêt à l’ouvrir. Un coup de sifflet : les agents faisaient irruption, et l’acte était accompli. |
He put his hand on the latch of the window, ready to open it. A whistle, and the detectives would burst in and all would be over. |
— Dois-je faire appeler vos inspecteurs monsieur le préfet ? demanda don Luis. |
"Shall I have your inspectors called, Monsieur le Préfet?" asked Don Luis. |
M. Desmalions ne répliqua pas. Il lâcha la poignée de la fenêtre, et il recommença à marcher dans la pièce. Et soudain, alors que Perenna cherchait les motifs de cette hésitation suprême, pour la seconde fois il se planta devant son interlocuteur et prononça : |
M. Desmalions did not reply. He let go the window latch and started walking about the room again. And, suddenly, while Perenna was wondering why he still hesitated, for the second time the Prefect planted himself in front of him, and said: |
— Et si je considérais l’incident de cette canne d’ébène comme non avenu, ou plutôt comme un incident qui, prouvant sans nul doute la trahison d’un de vos domestiques, ne saurait vous compromettre, vous ? Si je ne considérais que les services que vous nous avez déjà rendus ? En un mot si je vous laissais libre ? |
"And suppose I looked upon the incident of the walking-stick as not having occurred, or, rather, as an incident which, while doubtless proving the treachery of your servants, is not able to compromise yourself? Suppose I took only the services which you have already rendered us into consideration? In a word, suppose I left you free?" |
Perenna ne put s’empêcher de sourire. Malgré l’incident de la canne, bien que toutes les apparences fussent contre lui, les choses prenaient, au moment où tout semblait se gâter, la direction qu’il avait envisagée dès le début, celle même qu’il avait indiquée à Mazeroux. On avait besoin de lui. |
Perenna could not help smiling. Notwithstanding the affair of the walking-stick and though appearances were all against him, at the moment when everything seemed to be going wrong, things were taking the course which he had prophesied from the start, and which he had mentioned to Mazeroux during the inquiry on the Boulevard Suchet. They wanted him. |
— Libre ? dit-il… Plus de surveillance ? Personne à mes trousses ? |
"Free?" he asked. "No more supervision? Nobody shadowing my movements?" |
— Personne. |
"Nobody." |
— Et si la campagne de presse continue autour de mon nom, si l’on réussit, par suite de certains racontars et de certaines coïncidences, à créer un mouvement d’opinion, si l’on demande contre moi des mesures ?… |
"And what if the press campaign around my name continues, if the papers succeed, by means of certain pieces of tittle-tattle, of certain coincidences, in creating a public outcry, if they call for measures against me?" |
— Ces mesures ne seront pas prises. |
"Those measures shall not be taken." |
— Je n’ai donc rien à craindre ? |
"Then I have nothing to fear?" |
— Rien. |
"Nothing." |
— M. Weber renoncera aux préventions qu’il entretient à mon égard ? |
"Will M. Weber abandon his prejudices against me?" |
— Il agira du moins comme s’il y renonçait, n’est-ce pas, Weber ? |
"At any rate, he will act as though he did, won't you, Weber?" |
Le sous-chef poussa quelques grognements que l’on pouvait prendre, à la rigueur, pour un acquiescement, et don Luis aussitôt s’écria : |
The deputy chief uttered a few grunts which might be taken as an expression of assent; and Don Luis at once exclaimed: |
— Alors, monsieur le préfet, je suis sûr de remporter la victoire et de la remporter selon les désirs et les besoins de la justice. |
"In that case, Monsieur le Préfet, I am sure of gaining the victory and of gaining it in accordance with the wishes and requirements of the authorities." |
Ainsi, par un changement subit de la situation, après une série de circonstances exceptionnelles, la police elle-même, s’inclinant devant les qualités prodigieuses de don Luis Perenna, reconnaissant tout ce qu’il avait déjà fait et pressentant tout ce qu’il pouvait faire, décidait de le soutenir, sollicitait son concours, et lui offrait, pour ainsi dire, la conduite des opérations. |
And so, by a sudden change in the situation, after a series of exceptional circumstances, the police themselves, bowing before Don Luis Perenna's superior qualities of mind, acknowledging all that he had already done and foreseeing all that he would be able to do, decided to back him up, begging for his assistance, and offering him, so to speak, the command of affairs. |
L’hommage était flatteur. S’adressait-il seulement à don Luis Perenna ? et Lupin, le terrible, l’indomptable Lupin, n’avait-il pas droit d’en réclamer sa part ? Était-il possible de croire que M. Desmalions, au fond de lui-même, n’admît pas l’identité des deux personnages ? |
It was a flattering compliment. Was it addressed only to Don Luis Perenna? And had Lupin, the terrible, undaunted Lupin, no right to claim his share? Was it possible to believe that M. Desmalions, in his heart of hearts, did not admit the identity of the two persons? |
Rien dans l’attitude du préfet de police n’autorisait la moindre hypothèse sur sa pensée secrète. Il proposait à don Luis Perenna un de ces pactes comme la justice est souvent obligée d’en conclure pour atteindre son but. Le pacte était conclu. Il n’en fut pas dit davantage à ce sujet. |
Nothing in the Prefect's attitude gave any clue to his secret thoughts. He was suggesting to Don Luis Perenna one of those compacts which the police are often obliged to conclude in order to gain their ends. The compact was concluded, and no more was said upon the subject. |
— Vous n’avez pas de renseignements à me demander ? fit-il. |
"Do you want any particulars of me?" asked the Prefect of Police. |
— Si, monsieur le préfet. Les journaux ont parlé d’un calepin qu’on aurait trouvé dans la poche du malheureux inspecteur Vérot. Ce calepin contenait-il une indication quelconque ? |
"Yes, Monsieur le Préfet. The papers spoke of a notebook found in poor Inspector Vérot's pocket. Did the notebook contain a clue of any kind?" |
— Aucune. Des notes personnelles, des relevés de dépenses, c’est tout. Ah ! j’oubliais, une photographie de femme… une photographie à propos de laquelle je n’ai encore pu obtenir le moindre renseignement… Je ne suppose pas d’ailleurs qu’elle ait rapport à l’affaire, et je ne l’ai pas communiquée aux journaux. Tenez, la voici. |
"No. Personal notes, lists of disbursements, that's all. Wait, I was forgetting, there was a photograph of a woman, about which I have not yet been able to obtain the least information. Besides, I don't suppose that it bears upon the case and I have not sent it to the newspapers. Look, here it is." |
Perenna prit le carton qu’on lui tendait et il eut un tressaillement qui n’échappa pas à M. Desmalions. |
Perenna took the photograph which the Prefect handed him and gave a start that did not escape M. Desmalions's eye. |
— Vous connaissez cette femme ? |
"Do you know the lady?" |
— Non… non, monsieur le préfet, j’avais cru… mais non… une simple ressemblance… un air de famille peut-être, que je vérifierai d’ailleurs s’il vous est possible de me laisser cette photographie jusqu’à ce soir. |
"No. No, Monsieur le Préfet. I thought I did; but no, there's merely a resemblance--a family likeness, which I will verify if you can leave the photograph with me till this evening." |
— Jusqu’à ce soir, oui. Vous la rendrez au brigadier Mazeroux, auquel d’ailleurs je donnerai l’ordre de se concerter avec vous pour tout ce qui concerne l’affaire Mornington. |
"Till this evening, yes. When you have done with it, give it back to Sergeant Mazeroux, whom I will order to work in concert with you in everything that relates to the Mornington case." |
Cette fois, l’entretien était fini. Le préfet se retira. Don Luis le reconduisit jusqu’à la porte du perron. |
The interview was now over. The Prefect went away. Don Luis saw him to the door. |
Mais, sur le seuil, M. Desmalions se retourna et dit simplement : |
As M. Desmalions was about to go down the steps, he turned and said simply: |
— Vous m’avez sauvé la vie ce matin. Sans vous, ce bandit de Sauverand… |
"You saved my life this morning. But for you, that scoundrel Sauverand--" |
— Oh ! monsieur le préfet, protesta don Luis. |
"Oh, Monsieur le Préfet!" said Don Luis, modestly protesting. |
— Oui, je sais, ce sont là des choses dont vous êtes coutumier. Tout de même, vous accepterez mes remerciements. |
"Yes, I know, you are in the habit of doing that sort of thing. All the same, you must accept my thanks." |
Et le préfet de police salua, comme s’il eût réellement salué don Luis Perenna, noble Espagnol, héros de la Légion étrangère. Quant à Weber, il mit les deux mains dans ses poches et passa avec un air de dogue muselé, en lançant à l’ennemi un regard de haine atroce. |
And the Prefect of Police made a bow such as he would really have made to Don Luis Perenna, the Spanish noble, the hero of the Foreign Legion. As for Weber, he put his two hands in his pockets, walked past with the look of a muzzled mastiff, and gave his enemy a glance of fierce hatred. |
« Fichtre ! pensa don Luis. En voilà un qui ne me ratera pas quand l’occasion s’en présentera ! » |
"By Jupiter!" thought Don Luis. "There's a fellow who won't miss me when he gets the chance to shoot!" |
D’une fenêtre, il aperçut l’automobile de M. Desmalions qui démarrait. Les agents de la Sûreté emboîtèrent le pas du sous-chef et quittèrent la place du Palais-Bourbon. Le siège était levé. |
Looking through a window, he saw M. Desmalions's motor car drive off. The detectives fell in behind the deputy chief and left the Place du Palais-Bourbon. The siege was raised. |
— À l’œuvre, maintenant ! fit don Luis, j’ai les coudées franches. Ça va ronfler. |
"And now to work!" said Don Luis. "My hands are free, and we shall make things hum." |
Il appela le maître d’hôtel. |
He called the butler. |
— Servez-moi, et vous direz à Mlle Levasseur qu’elle vienne me parler aussitôt après le repas. |
"Serve lunch; and ask Mlle. Levasseur to come and speak to me immediately after." |
Il se dirigea vers la salle à manger et se mit à table. Près de lui, il avait posé la photographie laissée par M. Desmalions et, penché sur elle, il l’examinait avec une attention extrême. |
He went to the dining-room and sat down, placing on the table the photograph which M. Desmalions had left behind; and, bending over it, he examined it attentively. |
Elle était un peu pâlie, un peu usée, comme le sont les photographies qui ont traîné dans des portefeuilles ou parmi des papiers, mais l’image n’en paraissait pas moins nette. C’était l’image rayonnante d’une jeune femme en toilette de bal, aux épaules nues, aux bras nus, coiffée de fleurs et de feuilles, et qui souriait. |
It was a little faded, a little worn, as photographs have a tendency to become when they lie about in pocket-books or among papers; but the picture was quite clear. It was the radiant picture of a young woman in evening dress, with bare arms and shoulders, with flowers and leaves in her hair and a smile upon her face. |
— Mlle Levasseur, murmura-t-il à diverses reprises… Est-ce possible ? |
"Mlle. Levasseur, Mlle. Levasseur," he said. "Is it possible!" |
Dans un coin il y avait quelques lettres effacées à peine visibles. Il lut « Florence », le prénom de la jeune fille, sans doute. |
In a corner was a half-obliterated and hardly visible signature. He made out, "Florence," the girl's name, no doubt. |
Il répéta : |
And he repeated: |
— Mlle Levasseur… Florence Levasseur… Comment sa photographie se trouvait-elle dans le portefeuille de l’inspecteur Vérot ? Et par quel lien la lectrice du comte hongrois dont j’ai pris la succession dans cette maison se rattache-t-elle à toute cette aventure ? |
"Mlle. Levasseur, Florence Levasseur. How did her photograph come to be in Inspector Vérot's pocket-book? And what is the connection between this adventure and the reader of the Hungarian count from whom I took over the house?" |
Il se rappela l’incident du rideau de fer. Il se rappela l’article de l’Écho de France, article dirigé contre lui et dont il avait trouvé le brouillon dans la cour même de son hôtel. Surtout il évoqua l’énigme de ce tronçon de canne apporté dans son cabinet de travail. |
He remembered the incident of the iron curtain. He remembered the article in the _Echo de France_, an article aimed against him, of which he had found the rough draft in his own courtyard. And, above all, he thought of the problem of that broken walking-stick conveyed into his study. |
Et tandis que son esprit tâchait de voir clair en ces événements, tandis qu’il essayait de préciser le rôle joué par Mlle Levasseur, ses yeux demeuraient fixés sur la photographie, et distraitement il contemplait le joli dessin de la bouche, la grâce du sourire, la ligne charmante du cou, l’épanouissement admirable des épaules nues. |
And, while his mind was striving to read these events clearly, while he tried to settle the part played by Mlle. Levasseur, his eyes remained fixed upon the photograph and he gazed absent-mindedly at the pretty lines of the mouth, the charming smile, the graceful curve of the neck, the admirable sweep of the shoulders. |
La porte s’ouvrit brusquement. Mlle Levasseur fit irruption dans la pièce. |
The door opened suddenly and Mlle. Levasseur burst into the room. |
À ce moment, Perenna, qui était seul, portait à ses lèvres un verre qu’il avait rempli d’eau. Elle bondit, lui saisit le bras, arracha le verre et le jeta sur le tapis où il se brisa. |
Perenna, who had dismissed the butler, was raising to his lips a glass of water which he had just filled for himself. She sprang forward, seized his arm, snatched the glass from him and flung it on the carpet, where it smashed to pieces. |
— Vous avez bu ? Vous avez bu ? proféra-t-elle d’une voix étranglée. |
"Have you drunk any of it? Have you drunk any of it?" she gasped, in a choking voice. |
Il affirma : |
He replied: |
— Non, je n’avais pas encore bu. Pourquoi ? |
"No, not yet. Why?" |
Elle balbutia : |
She stammered: |
— L’eau de cette carafe… l’eau de cette carafe… |
"The water in that bottle ... the water in that bottle--" |
— Eh bien ? |
"Well?" |
— Cette eau est empoisonnée. |
"It's poisoned!" |
Il sauta de sa chaise, et, à son tour, lui agrippa le bras avec une violence terrible. |
He leapt from his chair and, in his turn, gripped her arm fiercely: |
— Empoisonnée ! Que dites-vous ? Parlez ! Vous êtes certaine ? |
"What's that? Poisoned! Are you certain? Speak!" |
Malgré son empire sur lui-même, il s’effrayait après coup. Connaissant les effets redoutables du poison employé par les bandits auxquels il s’attaquait, ayant vu le cadavre de l’inspecteur Vérot, les cadavres d’Hippolyte Fauville et de son fils, il savait que, si entraîné qu’il fût à supporter des doses relativement considérables de poison, il n’aurait pu échapper à l’action foudroyante de celui-là. Celui-là ne pardonnait pas. Celui-là tuait, sûrement, fatalement. |
In spite of his usual self-control, he was this time thoroughly alarmed. Knowing the terrible effects of the poison employed by the miscreants whom he was attacking, recalling the corpse of Inspector Vérot, the corpses of Hippolyte Fauville and his son, he knew that, trained though he was to resist comparatively large doses of poison, he could not have escaped the deadly action of this. It was a poison that did not forgive, that killed, surely and fatally. |
La jeune fille se taisait. Il ordonna : |
The girl was silent. He raised his voice in command: |
— Mais répondez donc ! Vous êtes certaine ? |
"Answer me! Are you certain?" |
— Non… c’est une idée que j’ai eue… un pressentiment… certaines coïncidences… |
"No ... it was an idea that entered my head--a presentiment ... certain coincidences--" |
On eût dit qu’elle regrettait ses paroles et qu’elle cherchait à les rattraper. |
It was as though she regretted her words and now tried to withdraw them. |
— Voyons, voyons, s’écria-t-il, je veux pourtant savoir… Vous n’êtes pas certaine que l’eau de cette carafe soit empoisonnée ? |
"Come, come," he cried, "I want to know the truth: You're not certain that the water in this bottle is poisoned?" |
— Non… il se peut… |
"No ... it's possible--" |
— Cependant, tout à l’heure… |
"Still, just now--" |
— J’avais cru en effet… mais non… |
"I thought so. But no ... no!" |
— Il est facile de s’en assurer, dit Perenna qui voulut prendre la carafe. |
"It's easy to make sure," said Perenna, putting out his hand for the water bottle. |
Elle fut plus vive que lui, la saisit et la cassa d’un coup sur la table. |
She was quicker than he, seized it and, with one blow, broke it against the table. |
— Qu’est-ce que vous faites ? dit-il exaspéré. |
"What are you doing?" he said angrily. |
— Je m’étais trompée. Par conséquent, il est inutile d’attacher de l’importance… |
"I made a mistake. And so there is no need to attach any importance--" |
Rapidement don Luis sortit de la salle à manger. D’après ses ordres, l’eau qu’il buvait provenait d’un filtre placé dans une arrière-office, à l’extrémité du couloir qui menait de la salle aux cuisines, et plus loin que les cuisines. |
Don Luis hurriedly left the dining-room. By his orders, the water which he drank was drawn from a filter that stood in a pantry at the end of the passage leading from the dining-room to the kitchens and beyond. |
Il y courut et prit sur une planchette un bol où il versa de l’eau du filtre. Puis, continuant de suivre le couloir, qui bifurquait à cet endroit pour aboutir à la cour, il appela Mirza, la petite chienne. Elle jouait à côté de l’écurie. |
He ran to it and took from a shelf a bowl which he filled with water from the filter. Then, continuing to follow the passage, which at this spot branched off toward the yard, he called Mirza, the puppy, who was playing by the stables. |
— Tiens, dit-il en lui présentant le bol. |
"Here," he said, putting the bowl in front of her. |
La petite chienne se mit à boire. Mais aussitôt elle s’arrêta et demeura immobile, les pattes tendues, toutes raides. Un frisson la secoua. Elle eut un gémissement, tourna deux ou trois fois sur elle et tomba. |
The puppy began to drink. But she stopped almost at once and stood motionless, with her paws tense and stiff. A shiver passed through the little body. The dog gave a hoarse groan, spun round two or three times, and fell. |
— Elle est morte, dit-il après avoir touché la bête. |
"She's dead," he said, after touching the animal. |
Mlle Levasseur l’avait rejoint. Il se tourna vers la jeune fille et lui jeta : |
Mile. Levasseur had joined him. He turned to her and rapped out: |
— C’était vrai, le poison… et vous le saviez… Mais comment le saviez-vous ? |
"You were right about the poison--and you knew it. How did you know it?" |
Tout essoufflée, elle comprima les battements de son cœur et répondit : |
All out of breath, she checked the beating of her heart and answered: |
— J’ai vu l’autre petite chienne en train de boire, dans l’office. Elle est morte… J’ai averti le chauffeur et le cocher… Ils sont là dans l’écurie… Et j’ai couru pour vous prévenir. |
"I saw the other puppy drinking in the pantry. She's dead. I told the coachman and the chauffeur. They're over there, in the stable. And I ran to warn you." |
— Alors, il n’y avait pas à douter. Pourquoi disiez-vous que vous n’étiez pas certaine qu’il y eût du poison, puisque… |
"In that case, there was no doubt about it. Why did you say that you were not certain that the water was poisoned, when--" |
Le cocher, le chauffeur, sortaient de l’écurie. Entraînant la jeune fille, Perenna lui dit : |
The chauffeur and the coachman were coming out of the stables. Leading the girl away, Perenna said: |
— Nous avons à parler. Allons chez vous. |
"We must talk about this. We'll go to your rooms." |
Ils regagnèrent le tournant du couloir. Près de l’office où le filtre était installé, se détachait un autre corridor terminé par trois marches. Au haut de ces marches, une porte. |
They went back to the bend in the passage. Near the pantry where the filter was, another passage ran, ending in a flight of three steps, with a door at the top of the steps. |
Perenna la poussa : c’était l’entrée de l’appartement réservé à Mlle Levasseur. Ils passèrent dans un salon. |
Perenna opened this door. It was the entrance to the rooms occupied by Mlle. Levasseur. They went into a sitting-room. |
Don Luis ferma la porte de l’entrée, ferma la porte du salon. |
Don Luis closed the entrance door and the door of the sitting-room. |
— Et maintenant, expliquons-nous, dit-il d’un ton résolu. |
"And now," he said, in a resolute tone, "you and I will have an explanation." |