Antoine et Cléopâtre

Antony and Cleopatra

de William Shakespeare

by William Shakespeare

Traduction par François Guizot (1864)
(1607)
 

ACTE PREMIER

ACT I

SCÈNE I

SCENE I.

Alexandrie

Un appartement du palais de Cléopâtre.

Alexandria.

A Room in Cleopatra’s palace.

Entrent DÉMÉTRIUS ET PHILON.

Enter Demetrius and Philo.

PHILON.
  — En vérité, ce fol amour de notre général passe la mesure. Ses beaux yeux, qu'on voyait, au milieu de ses légions rangées en bataille, étinceler, comme ceux de Mars armé, maintenant tournent leurs regards, fixent leur attention sur un front basané. Son cœur de guerrier, qui, plus d'une fois, dans la mêlée des grandes batailles, brisa sur son sein les boucles de sa cuirasse, dément sa trempe. Il est devenu le soufflet et l'éventail qui apaisent les impudiques désirs d'une Égyptienne. Regarde, les voilà qui viennent.
 
  (Fanfares. Entrent Antoine et Cléopâtre avec leur suite. Des eunuques agitent des éventails devant Cléopâtre).
 
  — Observe-le bien, et tu verras en lui la troisième colonne de l'univers devenue le jouet d'une prostituée. Regarde et vois.

PHILO.
  Nay, but this dotage of our general’s
  O’erflows the measure. Those his goodly eyes,
  That o’er the files and musters of the war
  Have glowed like plated Mars, now bend, now turn
  The office and devotion of their view
  Upon a tawny front. His captain’s heart,
  Which in the scuffles of great fights hath burst
  The buckles on his breast, reneges all temper
  And is become the bellows and the fan
  To cool a gipsy’s lust.
 
Flourish. Enter Antony and Cleopatra, her Ladies, the Train, with Eunuchs fanning her.
 
  Look where they come:
  Take but good note, and you shall see in him
  The triple pillar of the world transform’d
  Into a strumpet’s fool. Behold and see.

CLÉOPÂTRE.
  — Si c'est de l'amour, dites-moi, quel degré d'amour?

CLEOPATRA.
  If it be love indeed, tell me how much.

ANTOINE.
  — C'est un amour bien pauvre, celui que l'on peut calculer.

ANTONY.
  There’s beggary in the love that can be reckoned.

CLÉOPÂTRE.
  — Je veux établir, par une limite, jusqu'à quel point je puis être aimée.

CLEOPATRA.
  I’ll set a bourn how far to be beloved.

ANTOINE.
  — Alors il te faudra découvrir un nouveau ciel et une nouvelle terre.

ANTONY.
  Then must thou needs find out new heaven, new earth.

    (Entre un serviteur.)

    Enter a Messenger.

LE SERVITEUR.
  — Des nouvelles, mon bon seigneur, des nouvelles de Rome!

MESSENGER.
  News, my good lord, from Rome.

ANTOINE.
  — Ta présence m'importune: sois bref.

ANTONY.
  Grates me, the sum.

CLÉOPÂTRE.
  — Non; écoute ces nouvelles, Antoine, Fulvie peut-être est courroucée. Ou qui sait, si l'imberbe César ne vous envoie pas ses ordres suprêmes: Fais ceci ou fais cela; empare-toi de ce royaume et affranchis cet autre: obéis, ou nous te réprimanderons.

CLEOPATRA.
  Nay, hear them, Antony.
  Fulvia perchance is angry; or who knows
  If the scarce-bearded Caesar have not sent
  His powerful mandate to you: “Do this or this;
  Take in that kingdom and enfranchise that.
  Perform’t, or else we damn thee.”

ANTOINE.
  — Comment, mon amour?

ANTONY.
  How, my love?

CLÉOPÂTRE.
  — Peut-être, et même cela est très-probable, peut-être que vous ne devez pas vous arrêter plus longtemps ici; César vous donne votre congé. Il faut donc l'entendre, Antoine. — Où sont les ordres de Fulvie? de César, veux-je dire? ou de tous deux? — Faites entrer les messagers. — Aussi vrai que je suis reine d'Égypte, tu rougis, Antoine: ce sang qui te monte au visage rend hommage à César; ou c'est la honte qui colore ton front, quand l'aigre voix de Fulvie te gronde. — Les messagers!

CLEOPATRA.
  Perchance! Nay, and most like.
  You must not stay here longer; your dismission
  Is come from Caesar; therefore hear it, Antony.
  Where’s Fulvia’s process? —Caesar’s I would say? Both?
  Call in the messengers. As I am Egypt’s queen,
  Thou blushest, Antony, and that blood of thine
  Is Caesar’s homager; else so thy cheek pays shame
  When shrill-tongued Fulvia scolds. The messengers!

ANTOINE.
  — Que Rome se fonde dans le Tibre, que le vaste portique de l'empire s'écroule! C'est ici qu'est mon univers. Les royaumes ne sont qu'argile. Notre globe fangeux nourrit également la brute et l'homme. Le noble emploi de la vie, c'est ceci (il l'embrasse), quand un tendre couple, quand des amants comme nous peuvent le faire. Et j'invite le monde sous peine de châtiment à reconnaître que nous sommes incomparables!

ANTONY.
  Let Rome in Tiber melt, and the wide arch
  Of the ranged empire fall! Here is my space.
  Kingdoms are clay. Our dungy earth alike
  Feeds beast as man. The nobleness of life
  Is to do thus [Embracing]; when such a mutual pair
  And such a twain can do’t, in which I bind,
  On pain of punishment, the world to weet
  We stand up peerless.

CLÉOPÂTRE.
  — O rare imposture! Pourquoi a-t-il épousé Fulvie s'il ne l'aimait pas? Je semblerai dupe, mais je ne le suis pas. — Antoine sera toujours lui-même.

CLEOPATRA.
  Excellent falsehood!
  Why did he marry Fulvia, and not love her?
  I’ll seem the fool I am not. Antony
  Will be himself.

ANTOINE.
  — S'il est inspiré par Cléopâtre. Mais au nom de l'amour et de ses douces heures, ne perdons pas le temps en fâcheux entretiens. Nous ne devrions pas laisser écouler maintenant sans quelque plaisir une seule minute de notre vie... Quel sera l'amusement de ce soir?

ANTONY.
  But stirred by Cleopatra.
  Now, for the love of Love and her soft hours,
  Let’s not confound the time with conference harsh.
  There’s not a minute of our lives should stretch
  Without some pleasure now. What sport tonight?

CLÉOPÂTRE.
  — Entendez les ambassadeurs.

CLEOPATRA.
  Hear the ambassadors.

ANTOINE.
  — Fi donc! reine querelleuse, à qui tout sied: gronder, rire, pleurer: chaque passion brigue à l'envie l'honneur de paraître belle et de se faire admirer sur votre visage. Point de députés! Je suis à toi, et à toi seule, et ce soir, nous nous promènerons dans les rues d'Alexandrie, et nous observerons les mœurs du peuple... Venez, ma reine: hier au soir vous en aviez envie. (Au messager.) Ne nous parle pas.

ANTONY.
  Fie, wrangling queen!
  Whom everything becomes—to chide, to laugh,
  To weep; whose every passion fully strives
  To make itself, in thee fair and admired!
  No messenger but thine, and all alone
  Tonight we’ll wander through the streets and note
  The qualities of people. Come, my queen,
  Last night you did desire it. Speak not to us.

    (Ils sortent avec leur suite.)

    [Exeunt Antony and Cleopatra with the Train.]

DÉMÉTRIUS.
  — Antoine fait-il donc si peu de cas de César?

DEMETRIUS.
  Is Caesar with Antonius prized so slight?

PHILON.
  — Oui, quelquefois, quand il n'est plus Antoine, il s'écarte trop de ce caractère qui devrait toujours accompagner Antoine.

PHILO.
  Sir, sometimes when he is not Antony,
  He comes too short of that great property
  Which still should go with Antony.

DÉMÉTRIUS.
  — Je suis vraiment affligé de voir confirmer tout ce que répète de lui à Rome la renommée, si souvent menteuse: mais j'espère de plus nobles actions pour demain... Reposez doucement!

DEMETRIUS.
  I am full sorry
  That he approves the common liar who
  Thus speaks of him at Rome, but I will hope
  Of better deeds tomorrow. Rest you happy!

 
 
 

SCÈNE II

SCENE II.

Alexandrie

Un autre appartement du palais.

Alexandria.

Another Room in Cleopatra’s palace.

  Entrent CHARMIANE, ALEXAS, IRAS ET UN DEVIN.

  Enter Enobarbus, a Soothsayer, Charmian, Iras, Mardian and Alexas.

CHARMIANE.
  — Seigneur Alexas, cher Alexas, incomparable, presque tout-puissant Alexas, où est le devin que vous avez tant vanté à la reine? Oh! que je voudrais connaître cet époux, qui, dites-vous, doit couronner ses cornes de guirlandes!

CHARMIAN.
  Lord Alexas, sweet Alexas, most anything Alexas, almost most absolute Alexas, where’s the soothsayer that you praised so to th’ queen? O, that I knew this husband which you say must charge his horns with garlands!

ALEXAS.
  — Devin!

ALEXAS.
  Soothsayer!

LE DEVIN.
  — Que désirez-vous?

SOOTHSAYER.
  Your will?

CHARMIANE.
  — Est-ce cet homme?... Est-ce vous, monsieur, qui connaissez les choses?

CHARMIAN.
  Is this the man? Is’t you, sir, that know things?

LE DEVIN.
  — Je sais lire un peu dans le livre immense des secrets de la nature.

SOOTHSAYER.
  In nature’s infinite book of secrecy
  A little I can read.

ALEXAS.
  — Montrez-lui votre main.

ALEXAS.
  Show him your hand.

ÉNOBARBUS.
  — Qu'on serve promptement le repas: et du vin en abondance, pour boire à la santé de Cléopâtre.

ENOBARBUS.
  Bring in the banquet quickly; wine enough
  Cleopatra’s health to drink.

CHARMIANE.
  — Mon bon monsieur, donnez-moi une bonne fortune.

CHARMIAN.
  Good, sir, give me good fortune.

LE DEVIN.
  — Je ne la fais pas, mais je la devine.

SOOTHSAYER.
  I make not, but foresee.

CHARMIANE.
  — Eh bien! je vous prie, devinez-m'en une bonne.

CHARMIAN.
  Pray, then, foresee me one.

LE DEVIN.
  — Vous serez encore plus belle que vous n'êtes.

SOOTHSAYER.
  You shall be yet far fairer than you are.

CHARMIANE.
  — Il veut dire en embonpoint.

CHARMIAN.
  He means in flesh.

IRAS.
  — Non; il veut dire que vous vous farderez quand vous serez vieille.

IRAS.
  No, you shall paint when you are old.

CHARMIANE.
  — Que les rides m'en préservent!

CHARMIAN.
  Wrinkles forbid!

ALEXAS.
  — Ne troublez point sa prescience, et soyez attentive.

ALEXAS.
  Vex not his prescience. Be attentive.

CHARMIANE.
  — Chut!

CHARMIAN.
  Hush!

LE DEVIN.
  — Vous aimerez plus que vous ne serez aimée.

SOOTHSAYER.
  You shall be more beloving than beloved.

CHARMIANE.
  — J'aimerais mieux m'échauffer le foie avec le vin.

CHARMIAN.
  I had rather heat my liver with drinking.

ALEXAS.
  — Allons, écoutez.

ALEXAS.
  Nay, hear him.

CHARMIANE.
  — Voyons, maintenant, quelque bonne aventure; que j'épouse trois rois dans une matinée, que je devienne veuve de tous trois, que j'aie à cinquante ans un fils auquel Hérode de Judée rende hommage. Trouve-moi un moyen de me marier avec Octave César, et de marcher l'égale de ma maîtresse.

CHARMIAN.
  Good now, some excellent fortune! Let me be married to three kings in a forenoon and widow them all. Let me have a child at fifty, to whom Herod of Jewry may do homage. Find me to marry me with Octavius Caesar, and companion me with my mistress.

LE DEVIN.
  — Vous survivrez à la reine que vous servez.

SOOTHSAYER.
  You shall outlive the lady whom you serve.

CHARMIANE.
  — Oh! merveilleux! J'aime bien mieux une longue vie que des figues.

CHARMIAN.
  O, excellent! I love long life better than figs.

LE DEVIN.
  — Vous avez éprouvé dans le passé une meilleure fortune que celle qui vous attend.

SOOTHSAYER.
  You have seen and proved a fairer former fortune
  Than that which is to approach.

CHARMIANE.
  — A ce compte, il y a toute apparence que mes enfants n'auront pas de nom. Je vous prie, combien dois-je avoir de garçons et de filles?

CHARMIAN.
  Then belike my children shall have no names. Prithee, how many boys and wenches must I have?

LE DEVIN.
  — Si chacun de vos désirs avait un sein fécond, vous auriez un million d'enfants.

SOOTHSAYER.
  If every of your wishes had a womb,
  And fertile every wish, a million.

CHARMIANE.
  — Tais-toi, insensé! Je te pardonne, parce que tu es un sorcier.

CHARMIAN.
  Out, fool! I forgive thee for a witch.

ALEXAS.
  — Vous croyez que votre couche est la seule confidente de vos désirs.

ALEXAS.
  You think none but your sheets are privy to your wishes.

CHARMIANE.
  — Allons, viens. Dis aussi à Iras sa bonne aventure.

CHARMIAN.
  Nay, come, tell Iras hers.

ALEXAS.
  — Nous voulons tous savoir notre destinée.

ALEXAS.
  We’ll know all our fortunes.

ÉNOBARBUS.
  — Ma destinée, comme celle de la plupart de vous, sera d'aller nous coucher ivres ce soir.

ENOBARBUS.
  Mine, and most of our fortunes tonight, shall be drunk to bed.

LE DEVIN.
  — Voilà une main qui présage la chasteté, si rien ne s'y oppose d'ailleurs.

IRAS.
  There’s a palm presages chastity, if nothing else.

CHARMIANE.
  — Oui, comme le Nil débordé présage la famine...

CHARMIAN.
  E’en as the o’erflowing Nilus presageth famine.

IRAS.
  — Allez, folâtre compagne de lit, vous ne savez pas prédire.

IRAS.
  Go, you wild bedfellow, you cannot soothsay.

CHARMIANE.
  — Oui, si une main humide n'est pas un pronostic de fécondité, il n'est pas vrai que je puisse me gratter l'oreille.—Je t'en prie, dis-lui seulement une destinée tout ordinaire.

CHARMIAN.
  Nay, if an oily palm be not a fruitful prognostication, I cannot scratch mine ear. Prithee, tell her but workaday fortune.

LE DEVIN.
  — Vos destinées se ressemblent.

SOOTHSAYER.
  Your fortunes are alike.

IRAS.
  — Mais comment, comment? Citez quelques particularités.

IRAS.
  But how, but how? give me particulars.

LE DEVIN.
  — J'ai dit.

SOOTHSAYER.
  I have said.

IRAS.
  — Quoi! n'aurai-je pas seulement un pouce de bonne fortune de plus qu'elle?

IRAS.
  Am I not an inch of fortune better than she?

CHARMIANE.
  — Et si vous aviez un pouce de bonne fortune de plus que moi, où le choisiriez-vous?

CHARMIAN.
  Well, if you were but an inch of fortune better than I, where would you choose it?

IRAS.
  — Ce ne serait pas au nez de mon mari.

IRAS.
  Not in my husband’s nose.

CHARMIANE.
  — Que le ciel corrige nos mauvaises pensées! — Alexas! allons, sa bonne aventure, à lui, sa bonne aventure. Oh! qu'il épouse une femme qui ne puisse pas marcher. Douce Isis, je t'en supplie, que cette femme meure! et alors donne-lui-en une pire encore, et après celle-là d'autres toujours plus méchantes, jusqu'à ce que la pire de toutes le conduise en riant à sa tombe, cinquante fois déshonoré. Bonne Isis, exauce ma prière, et, quand tu devrais me refuser dans des occasions plus importantes, accorde-moi cette grâce; bonne Isis, je t'en conjure!

CHARMIAN.
  Our worser thoughts heavens mend! Alexas—come, his fortune! his fortune! O, let him marry a woman that cannot go, sweet Isis, I beseech thee, and let her die too, and give him a worse, and let worse follow worse, till the worst of all follow him laughing to his grave, fiftyfold a cuckold! Good Isis, hear me this prayer, though thou deny me a matter of more weight; good Isis, I beseech thee!

IRAS.
  — Ainsi soit-il; chère déesse, entends la prière que nous t'adressons toutes! car si c'est un crève-cœur de voir un bel homme avec une mauvaise femme, c'est un chagrin mortel de voir un laid malotru sans cornes: ainsi donc, chère Isis, par bienséance, donne-lui la destinée qui lui convient.

IRAS.
  Amen. Dear goddess, hear that prayer of the people! For, as it is a heartbreaking to see a handsome man loose-wived, so it is a deadly sorrow to behold a foul knave uncuckolded. Therefore, dear Isis, keep decorum and fortune him accordingly!

CHARMIANE.
  — Ainsi soit-il.

CHARMIAN.
  Amen.

ALEXAS.
  — Voyez-vous; s'il dépendait d'elles de me déshonorer, elles se prostitueraient pour en venir à bout.

ALEXAS.
  Lo now, if it lay in their hands to make me a cuckold, they would make themselves whores but they’d do’t!

        Enter Cleopatra.

ÉNOBARBUS.
  — Silence: voici Antoine.

ENOBARBUS.
  Hush, Here comes Antony.

CHARMIANE.
  — Ce n'est pas lui; c'est la reine.

CHARMIAN.
  Not he, the queen.

        (Entre Cléopâtre.)

CLÉOPÂTRE.
  — Avez-vous vu mon seigneur?

CLEOPATRA.
  Saw you my lord?

ÉNOBARBUS.
  — Non, madame.

ENOBARBUS.
  No, lady.

CLÉOPÂTRE.
  — Est-ce qu'il n'est pas venu ici?

CLEOPATRA.
  Was he not here?

CHARMIANE.
  — Non, madame.

CHARMIAN.
  No, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — Il était d'une humeur gaie... Mais tout à coup un souvenir de Rome a saisi son âme. — Énobarbus!

CLEOPATRA.
  He was disposed to mirth; but on the sudden
  A Roman thought hath struck him. Enobarbus!

ÉNOBARBUS.
  — Madame?

ENOBARBUS.
  Madam?

CLÉOPÂTRE.
  — Cherchez-le, et l'amenez ici... — Où est Alexas?

CLEOPATRA.
  Seek him and bring him hither. Where’s Alexas?

ALEXAS.
  — Me voici, madame, à votre service. — Mon seigneur s'avance.

ALEXAS.
  Here, at your service. My lord approaches.

    (Antoine entre avec un messager et sa suite.)

    Enter Antony with a Messenger.

CLÉOPÂTRE.
  — Nous ne le regarderons pas. — Suivez-moi.

CLEOPATRA.
  We will not look upon him. Go with us.

  (Sortent Cléopâtre, Énobarbus, Alexas, Iras, Charmiane, le devin et la suite.)

  [Exeunt Cleopatra, Enobarbus, Charmian, Iras, Alexas and Soothsayer.]

LE MESSAGER.
  — Fulvie, votre épouse, s'est avancée sur le champ de bataille...

MESSENGER.
  Fulvia thy wife first came into the field.

ANTOINE.
  — Contre mon frère Lucius?

ANTONY.
  Against my brother Lucius.

LE MESSAGER.
  — Oui: mais cette guerre a bientôt été terminée. Les circonstances les ont aussitôt réconciliés, et ils ont réuni leurs forces contre César. Mais, dès le premier choc, la fortune de César dans la guerre les a chassés tous deux de l'Italie.

MESSENGER.
  Ay.
  But soon that war had end, and the time’s state
  Made friends of them, jointing their force ’gainst Caesar,
  Whose better issue in the war from Italy
  Upon the first encounter drave them.

ANTOINE.
  — Bien: qu'as-tu de plus funeste encore à m'apprendre?

ANTONY.
  Well, what worst?

LE MESSAGER.
  — Les mauvaises nouvelles sont fatales à celui qui les apporte.

MESSENGER.
  The nature of bad news infects the teller.

ANTOINE.
  — Oui, quand elles s'adressent à un insensé, ou à un lâche; poursuis. — Avec moi, ce qui est passé est passé, voilà mon principe. Quiconque m'apprend une vérité, dût la mort être au bout de son récit, je l'écoute comme s'il me flattait.

ANTONY.
  When it concerns the fool or coward. On.
  Things that are past are done with me. ’Tis thus:
  Who tells me true, though in his tale lie death,
  I hear him as he flattered.

LE MESSAGER.
  — Labiénus, et c'est une sinistre nouvelle, a envahi l'Asie Mineure depuis l'Euphrate avec son armée de Parthes; sa bannière triomphante a flotté depuis la Syrie, jusqu'à la Lydie et l'Ionie; tandis que...

MESSENGER.
  Labienus—
  This is stiff news—hath with his Parthian force
  Extended Asia from Euphrates
  His conquering banner shook from Syria
  To Lydia and to Ionia,
  Whilst—

ANTOINE.
  — Tandis qu'Antoine, voulais-tu dire...

ANTONY.
  “Antony”, thou wouldst say—

LE MESSAGER.
  — Oh! mon maître!

MESSENGER.
  O, my lord!

ANTOINE.
  — Parle-moi sans détour: ne déguise point les bruits populaires: appelle Cléopâtre comme on l'appelle à Rome; prends le ton d'ironie avec lequel Fulvie parle de moi; reproche-moi mes fautes avec toute la licence de la malignité et de la vérité réunies. — Oh! nous ne portons que des ronces quand les vents violents demeurent immobiles; et le récit de nos torts est pour nous une culture. — Laisse-moi un moment.

ANTONY.
  Speak to me home; mince not the general tongue.
  Name Cleopatra as she is called in Rome;
  Rail thou in Fulvia’s phrase, and taunt my faults
  With such full licence as both truth and malice
  Have power to utter. O, then we bring forth weeds
  When our quick minds lie still, and our ills told us
  Is as our earing. Fare thee well awhile.

LE MESSAGER.
  — Selon votre plaisir, seigneur.

MESSENGER.
  At your noble pleasure.

  (Il sort.)

    [Exit Messenger.]

        Enter another Messenger.

ANTOINE.
  — Quelles nouvelles de Sicyone? Appelle le messager de Sicyone.

ANTONY.
  From Sicyon, ho, the news? Speak there!

PREMIER SERVITEUR.
  — Le messager de Sicyone? y en a-t-il un?

SECOND MESSENGER.
  The man from Sicyon—

ANTONY.
  Is there such a one?

SECOND SERVITEUR.
  — Seigneur, il attend vos ordres.

SECOND MESSENGER.
  He stays upon your will.

ANTOINE.
  — Qu'il vienne. — Il faut que je brise ces fortes chaînes égyptiennes, ou je me perds dans ma folle passion. (Entre un autre messager.) Qui êtes-vous?

ANTONY.
  Let him appear.

    [Exit second Messenger.]

  These strong Egyptian fetters I must break,
  Or lose myself in dotage.
 
    Enter another Messenger with a letter.
 
  What are you?

LE SECOND MESSAGER.
  — Votre épouse Fulvie est morte.

THIRD MESSENGER.
  Fulvia thy wife is dead.

ANTOINE.
  — Où est-elle morte?

ANTONY.
  Where died she?

LE MESSAGER.
  — A Sicyone: la longueur de sa maladie, et d'autres circonstances plus graves encore, qu'il vous importe de connaître, sont détaillées dans cette lettre.

THIRD MESSENGER.
  In Sicyon:
  Her length of sickness, with what else more serious
  Importeth thee to know, this bears.

    (Il lui donne la lettre.)

      [Gives a letter.]

ANTOINE.
  — Laissez-moi seul. (Le messager sort.) Voilà une grande âme partie! Je l'ai pourtant désiré. — L'objet que nous avons repoussé avec dédain, nous voudrions le posséder encore! Le plaisir du jour diminue par la révolution des temps et devient une peine. — Elle est bonne parce qu'elle n'est plus. La main qui la repoussait voudrait la ramener! — Il faut absolument que je m'affranchisse du joug de cette reine enchanteresse. Mille maux plus grands que ceux que je connais déjà sont près d'éclore de mon indolence. — Où es-tu, Énobarbus?

ANTONY.
  Forbear me.

      [Exit third Messenger.]

  There’s a great spirit gone! Thus did I desire it.
  What our contempts doth often hurl from us,
  We wish it ours again. The present pleasure,
  By revolution lowering, does become
  The opposite of itself. She’s good, being gone.
  The hand could pluck her back that shoved her on.
  I must from this enchanting queen break off.
  Ten thousand harms, more than the ills I know,
  My idleness doth hatch. How now, Enobarbus!

    (Énobarbus entre.)

    Enter Enobarbus.

ÉNOBARBUS.
  — Que voulez-vous, seigneur?

ENOBARBUS.
  What’s your pleasure, sir?

ANTOINE.
  — Il faut que je parte sans délai de ces lieux.

ANTONY.
  I must with haste from hence.

ÉNOBARBUS.
  — En ce cas, nous tuons toutes nos femmes. Nous voyons combien une dureté leur est mortelle: s'il leur faut subir notre départ, la mort est là pour elles.

ENOBARBUS.
  Why then we kill all our women. We see how mortal an unkindness is to them. If they suffer our departure, death’s the word.

ANTOINE.
  — Il faut que je parte.

ANTONY.
  I must be gone.

ÉNOBARBUS.
  — Dans une occasion pressante, que les femmes meurent! — Mais ce serait pitié de les rejeter pour un rien, quoique comparées à un grand intérêt elles doivent être comptées pour rien. Au moindre bruit de ce dessein, Cléopâtre meurt, elle meurt aussitôt; je l'ai vue mourir vingt fois pour des motifs bien plus légers. Je crois qu'il y a de l'amour pour elle dans la mort, qui lui procure quelque jouissance amoureuse, tant elle est prompte à mourir.

ENOBARBUS.
  Under a compelling occasion, let women die. It were pity to cast them away for nothing, though, between them and a great cause they should be esteemed nothing. Cleopatra, catching but the least noise of this, dies instantly. I have seen her die twenty times upon far poorer moment. I do think there is mettle in death which commits some loving act upon her, she hath such a celerity in dying.

ANTOINE.
  — Elle est rusée à un point que l'homme ne peut imaginer.

ANTONY.
  She is cunning past man’s thought.

ÉNOBARBUS.
  — Hélas, non, seigneur! Ses passions ne sont formées que des plus purs éléments de l'amour. Nous ne pouvons comparer ses soupirs et ses larmes aux vents et aux flots. Ce sont de plus grandes tempêtes que celles qu'annoncent les almanachs, ce ne peut être une ruse chez elle. Si c'en est une, elle fait tomber la pluie aussi bien que Jupiter.

ENOBARBUS.
  Alack, sir, no; her passions are made of nothing but the finest part of pure love. We cannot call her winds and waters sighs and tears; they are greater storms and tempests than almanacs can report. This cannot be cunning in her; if it be, she makes a shower of rain as well as Jove.

ANTOINE.
  — Que je voudrais ne l'avoir jamais vue!

ANTONY.
  Would I had never seen her!

ÉNOBARBUS.
  — Ah! seigneur, vous auriez manqué de voir une merveille; et n'avoir pas été heureux par elle, c'eût été décréditer votre voyage.

ENOBARBUS.
  O, sir, you had then left unseen a wonderful piece of work, which not to have been blest withal would have discredited your travel.

ANTOINE.
  — Fulvie est morte.

ANTONY.
  Fulvia is dead.

ÉNOBARBUS.
  — Seigneur?

ENOBARBUS.
  Sir?

ANTOINE.
  — Fulvie est morte.

ANTONY.
  Fulvia is dead.

ÉNOBARBUS.
  — Fulvie?

ENOBARBUS.
  Fulvia?

ANTOINE.
  — Morte!

ANTONY.
  Dead.

ÉNOBARBUS.
  — Eh bien! seigneur, offrez aux dieux un sacrifice d'actions de grâces! Quand il plaît à leur divinité d'enlever à un homme sa femme, ils lui montrent les tailleurs de la terre, pour le consoler en lui faisant voir que lorsque les vieilles robes sont usées, il reste des gens pour en faire de neuves. S'il n'y avait pas d'autre femme que Fulvie, alors vous auriez une véritable blessure et des motifs pour vous lamenter; mais votre chagrin porte avec lui sa consolation; votre vieille chemise vous donne un jupon neuf. En vérité, pour verser des larmes sur un tel chagrin, il faudrait les faire couler avec un oignon.

ENOBARBUS.
  Why, sir, give the gods a thankful sacrifice. When it pleaseth their deities to take the wife of a man from him, it shows to man the tailors of the earth; comforting therein that when old robes are worn out, there are members to make new. If there were no more women but Fulvia, then had you indeed a cut, and the case to be lamented. This grief is crowned with consolation; your old smock brings forth a new petticoat: and indeed the tears live in an onion that should water this sorrow.

ANTOINE.
  — Les affaires qu'elle a entamées dans l'État ne peuvent supporter mon absence.

ANTONY.
  The business she hath broached in the state
  Cannot endure my absence.

ÉNOBARBUS.
  — Et les affaires que vous avez entamées ici ne peuvent se passer de vous, surtout celle de Cléopâtre, qui dépend absolument de votre présence.

ENOBARBUS.
  And the business you have broached here cannot be without you, especially that of Cleopatra’s, which wholly depends on your abode.

ANTOINE.
  — Plus de frivoles réponses. — Que nos officiers soient instruits de ma résolution. Je déclarerai à la reine la cause de notre expédition, et j'obtiendrai de son amour la liberté de partir. Car ce n'est pas seulement la mort de Fulvie, et d'autres motifs plus pressants encore, qui parlent fortement à mon cœur: des lettres aussi de plusieurs de nos amis qui travaillent pour nous dans Rome, pressent mon retour dans ma patrie. Sextus Pompée a défié César, et il tient l'empire de la mer. Notre peuple inconstant, dont l'amour ne s'attache jamais à l'homme de mérite, que lorsque son mérite a disparu, commence à faire passer toutes les dignités et la gloire du grand Pompée sur son fils, qui, grand déjà en renommée et en puissance, plus grand encore par sa naissance et son courage, passe pour un grand guerrier; si ses avantages vont en croissant, l'univers pourrait être en danger. Plus d'un germe se développe, qui, semblable au poil d'un coursier, n'a pas encore le venin du serpent, mais est déjà doué de la vie. Apprends à ceux dont l'emploi dépend de nous, que notre bon plaisir est de nous éloigner promptement de ces lieux.

ANTONY.
  No more light answers. Let our officers
  Have notice what we purpose. I shall break
  The cause of our expedience to the Queen,
  And get her leave to part. For not alone
  The death of Fulvia, with more urgent touches,
  Do strongly speak to us, but the letters too
  Of many our contriving friends in Rome
  Petition us at home. Sextus Pompeius
  Hath given the dare to Caesar, and commands
  The empire of the sea. Our slippery people,
  Whose love is never linked to the deserver
  Till his deserts are past, begin to throw
  Pompey the Great and all his dignities
  Upon his son, who, high in name and power,
  Higher than both in blood and life, stands up
  For the main soldier; whose quality, going on,
  The sides o’ th’ world may danger. Much is breeding
  Which, like the courser’s hair, hath yet but life
  And not a serpent’s poison. Say our pleasure
  To such whose place is under us, requires
  Our quick remove from hence.

ÉNOBARBUS.
  — Je vais exécuter vos ordres.

ENOBARBUS.
  I shall do’t.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE III

SCENE III.

Alexandria.

A Room in Cleopatra’s palace.

      CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, ALEXAS, IRAS.

    Enter Cleopatra, Charmian, Alexas and Iras.

CLÉOPÂTRE.
  — Où est-il?

CLEOPATRA.
  Where is he?

CHARMIANE.
  — Je ne l'ai pas vu depuis.

CHARMIAN.
  I did not see him since.

CLÉOPÂTRE.
  — Voyez où il est, qui est avec lui, et ce qu'il fait. Je ne vous ai pas envoyée. — Si vous le trouvez triste, dites que je suis à danser; s'il est gai, annoncez que je viens de me trouver mal. Volez, et revenez.

CLEOPATRA.
  See where he is, who’s with him, what he does.
  I did not send you. If you find him sad,
  Say I am dancing; if in mirth, report
  That I am sudden sick. Quick, and return.

      [Exit Alexas.]

CHARMIANE.
  — Madame, il me semble que si vous l'aimez tendrement, vous ne prenez pas les moyens d'obtenir de lui le même amour.

CHARMIAN.
  Madam, methinks, if you did love him dearly,
  You do not hold the method to enforce
  The like from him.

CLÉOPÂTRE.
  — Que devrais-je faire,... que je ne fasse?

CLEOPATRA.
  What should I do I do not?

CHARMIANE.
  — Cédez-lui en tout; ne le contrariez en rien.

CHARMIAN.
  In each thing give him way; cross him in nothing.

CLÉOPÂTRE.
  — Tu parles comme une folle; c'est le moyen de le perdre.

CLEOPATRA.
  Thou teachest like a fool: the way to lose him.

CHARMIANE.
  — Ne le poussez pas ainsi à bout, je vous en prie, prenez garde: nous finissons par haïr ce que nous craignons trop souvent. (Antoine entre.) Mais voici Antoine.

CHARMIAN.
  Tempt him not so too far; I wish, forbear.
  In time we hate that which we often fear.
  But here comes Antony.

      Enter Antony.

CLÉOPÂTRE.
  — Je suis malade et triste.

CLEOPATRA.
  I am sick and sullen.

ANTOINE.
  — Il m'est pénible de lui déclarer mon dessein.

ANTONY.
  I am sorry to give breathing to my purpose—

CLÉOPÂTRE.
  — Aide-moi, chère Charmiane, à sortir de ce lieu. Je vais tomber. Cela ne peut durer longtemps: la nature ne peut le supporter.

CLEOPATRA.
  Help me away, dear Charmian! I shall fall.
  It cannot be thus long; the sides of nature
  Will not sustain it.

ANTOINE.
  — Eh bien! ma chère reine...

ANTONY.
  Now, my dearest queen—

CLÉOPÂTRE.
  — Je vous prie, tenez-vous loin de moi.

CLEOPATRA.
  Pray you, stand farther from me.

ANTOINE.
  — Qu'y a-t-il donc?

ANTONY.
  What’s the matter?

CLÉOPÂTRE.
  — Je lis dans vos yeux que vous avez reçu de bonnes nouvelles. Que vous dit votre épouse? — Vous pouvez partir. Plût aux dieux qu'elle ne vous eût jamais permis de venir! — Qu'elle ne dise pas surtout que c'est moi qui vous retiens: je n'ai aucun pouvoir sur vous. Vous êtes tout à elle.

CLEOPATRA.
  I know by that same eye there’s some good news.
  What, says the married woman you may go?
  Would she had never given you leave to come!
  Let her not say ’tis I that keep you here.
  I have no power upon you; hers you are.

ANTOINE.
  — Les dieux savent bien...

ANTONY.
  The gods best know—

CLÉOPÂTRE.
  — Non, jamais reine ne fut si indignement trahie... Cependant, dès l'abord, j'avais vu poindre ses trahisons.

CLEOPATRA.
  O, never was there queen
  So mightily betrayed! Yet at the first
  I saw the treasons planted.

ANTOINE.
  — Cléopâtre!

ANTONY.
  Cleopatra—

CLÉOPÂTRE.
  — Quand tu ébranlerais de tes serments le trône même des dieux, comment pourrais-je croire que tu es à moi, que tu es sincère, toi, qui as trahi Fulvie? Quelle passion extravagante a pu me laisser séduire par ces serments des lèvres aussitôt violés que prononcés?

CLEOPATRA.
  Why should I think you can be mine and true,
  Though you in swearing shake the throned gods,
  Who have been false to Fulvia? Riotous madness,
  To be entangled with those mouth-made vows
  Which break themselves in swearing!

ANTOINE.
  — Ma tendre reine...

ANTONY.
  Most sweet queen—

CLÉOPÂTRE.
  — Ah! de grâce, ne cherche point de prétexte pour me quitter: dis-moi adieu, et pars. Lorsque tu me conjurais pour rester, c'était alors le temps des paroles: tu ne parlais pas alors de départ. — L'éternité était dans nos yeux et sur nos lèvres. Le bonheur était peint sur notre front; aucune partie de nous-mêmes qui ne nous fît goûter la félicité du ciel. Il en est encore ainsi, ou bien toi, le plus grand guerrier de l'univers, tu en es devenu le plus grand imposteur!

CLEOPATRA.
  Nay, pray you seek no colour for your going,
  But bid farewell and go. When you sued staying,
  Then was the time for words. No going then,
  Eternity was in our lips and eyes,
  Bliss in our brows’ bent; none our parts so poor
  But was a race of heaven. They are so still,
  Or thou, the greatest soldier of the world,
  Art turned the greatest liar.

ANTOINE.
  — Que dites-vous, madame?

ANTONY.
  How now, lady!

CLÉOPÂTRE.
  — Que je voudrais avoir ta taille. — Tu apprendrais qu'il y avait un cœur en Égypte.

CLEOPATRA.
  I would I had thy inches, thou shouldst know
  There were a heart in Egypt.

ANTOINE.
  — Reine, écoutez-moi. L'impérieuse nécessité des circonstances exige pour un temps notre service; mais mon cœur tout entier reste avec vous. Partout, notre Italie étincelle des épées de la guerre civile. Sextus Pompée s'avance jusqu'au port de Rome. L'égalité de deux pouvoirs domestiques engendre les factions. Le parti odieux, devenu puissant, redevient le parti chéri. Pompée proscrit, mais riche de la gloire de son père, s'insinue insensiblement dans les cœurs de ceux qui n'ont point gagné au gouvernement actuel: leur nombre s'accroît et devient redoutable, et les esprits fatigués du repos aspirent à en sortir par quelque résolution désespérée. — Un motif plus personnel pour moi, et qui doit surtout vous rassurer sur mon départ, c'est la mort de Fulvie.

ANTONY.
  Hear me, queen:
  The strong necessity of time commands
  Our services awhile, but my full heart
  Remains in use with you. Our Italy
  Shines o’er with civil swords; Sextus Pompeius
  Makes his approaches to the port of Rome;
  Equality of two domestic powers
  Breed scrupulous faction; the hated, grown to strength,
  Are newly grown to love; the condemned Pompey,
  Rich in his father’s honour, creeps apace
  Into the hearts of such as have not thrived
  Upon the present state, whose numbers threaten;
  And quietness, grown sick of rest, would purge
  By any desperate change. My more particular,
  And that which most with you should safe my going,
  Is Fulvia’s death.

CLÉOPÂTRE.
  — Si l'âge n'a pu affranchir mon cœur de la folie de l'amour, il l'a guéri du moins de la crédulité de l'enfance! — Fulvie peut-elle mourir?

CLEOPATRA.
  Though age from folly could not give me freedom,
  It does from childishness. Can Fulvia die?

ANTOINE.
  — Elle est morte, ma reine. Jetez ici les yeux et lisez à votre loisir tous les troubles qu'elle a suscités. La dernière nouvelle est la meilleure; voyez en quel lieu, en quel temps elle est morte.

ANTONY.
  She’s dead, my queen.
  Look here, and at thy sovereign leisure read
  The garboils she awaked; at the last, best,
  See when and where she died.

CLÉOPÂTRE.
  — O le plus faux des amants! Où sont les fioles sacrées que tu as dû remplir des larmes de ta douleur? Ah! je vois maintenant, je vois par la mort de Fulvie comment la mienne sera reçue!

CLEOPATRA.
  O most false love!
  Where be the sacred vials thou shouldst fill
  With sorrowful water? Now I see, I see,
  In Fulvia’s death how mine received shall be.

ANTOINE.
  — Cessez vos reproches, et préparez-vous à entendre les projets que je porte en mon sein, qui s'accompliront ou seront abandonnés selon vos conseils. Je jure par le feu qui féconde le limon du Nil, que je pars de ces lieux votre guerrier, votre esclave, faisant la paix ou la guerre au gré de vos désirs.

ANTONY.
  Quarrel no more, but be prepared to know
  The purposes I bear; which are, or cease,
  As you shall give th’ advice. By the fire
  That quickens Nilus’ slime, I go from hence
  Thy soldier, servant, making peace or war
  As thou affects.

CLÉOPÂTRE.
  — Coupe mon lacet, Charmiane, viens; mais non.... laisse-moi: je me sens mal, et puis mieux dans un instant: c'est ainsi qu'aime Antoine!

CLEOPATRA.
  Cut my lace, Charmian, come!
  But let it be; I am quickly ill and well,
  So Antony loves.

ANTOINE.
  — Reine bien-aimée, épargnez-moi: rendez justice à l'amour d'Antoine, qui supportera aisément une juste procédure.

ANTONY.
  My precious queen, forbear,
  And give true evidence to his love, which stands
  An honourable trial.

CLÉOPÂTRE.
  — Fulvie doit me l'avoir appris. Ah! de grâce, détourne-toi, et verse des pleurs pour elle; puis, fais-moi tes adieux, et dis que ces pleurs coulent pour l'Égypte. Maintenant, joue devant moi une scène de dissimulation profonde et qui imite l'honneur parfait.

CLEOPATRA.
  So Fulvia told me.
  I prithee, turn aside and weep for her,
  Then bid adieu to me, and say the tears
  Belong to Egypt. Good now, play one scene
  Of excellent dissembling, and let it look
  Like perfect honour.

ANTOINE.
  — Vous m'échaufferez le sang. — Cessez.

ANTONY.
  You’ll heat my blood. No more.

CLÉOPÂTRE.
  — Tu pourrais faire mieux, mais ceci est bien déjà.

CLEOPATRA.
  You can do better yet, but this is meetly.

ANTOINE.
  — Je jure par mon épée!...

ANTONY.
  Now, by my sword—

CLÉOPÂTRE.
  — Jure aussi par ton bouclier... Son jeu s'améliore; mais il n'est pas encore parfait. — Vois, Charmiane, vois, je te prie, comme cet emportement sied bien à cet Hercule romain.

CLEOPATRA.
  And target. Still he mends.
  But this is not the best. Look, prithee, Charmian,
  How this Herculean Roman does become
  The carriage of his chafe.

ANTOINE.
  — Je vous laisse, madame.

ANTONY.
  I’ll leave you, lady.

CLÉOPÂTRE.
  — Aimable seigneur, un seul mot... «Seigneur, il faut donc nous séparer...» Non, ce n'est pas cela: «Seigneur, nous nous sommes aimés.» Non, ce n'est pas cela; vous le savez assez!... C'est quelque chose que je voudrais dire... Oh! ma mémoire est un autre Antoine; j'ai tout oublié!

CLEOPATRA.
  Courteous lord, one word.
  Sir, you and I must part, but that’s not it;
  Sir, you and I have loved, but there’s not it;
  That you know well. Something it is I would—
  O, my oblivion is a very Antony,
  And I am all forgotten.

ANTOINE.
  — Si votre royauté ne comptait la nonchalance parmi ses sujets, je vous prendrais vous-même pour la nonchalance.

ANTONY.
  But that your royalty
  Holds idleness your subject, I should take you
  For idleness itself.

CLÉOPÂTRE.
  — C'est un pénible travail que de porter cette nonchalance aussi près du cœur que je la porte! Mais, seigneur, pardonnez, puisque le soin de ma dignité me tue dès que ce soin vous déplaît. Votre honneur vous rappelle loin de moi; soyez sourd à ma folie, qui ne mérite pas la pitié; que tous les dieux soient avec vous! Que la victoire, couronnée de lauriers, se repose sur votre épée, et que de faciles succès jonchent votre sentier!

CLEOPATRA.
  ’Tis sweating labour
  To bear such idleness so near the heart
  As Cleopatra this. But, sir, forgive me,
  Since my becomings kill me when they do not
  Eye well to you. Your honour calls you hence;
  Therefore be deaf to my unpitied folly,
  And all the gods go with you! Upon your sword
  Sit laurel victory, and smooth success
  Be strewed before your feet!

ANTOINE.
  — Sortons, madame, venez. Telle est notre séparation, qu'en demeurant ici vous me suivez pourtant, et que moi, en fuyant, je reste avec vous. — Sortons.

ANTONY.
  Let us go. Come.
  Our separation so abides and flies
  That thou, residing here, goes yet with me,
  And I, hence fleeting, here remain with thee.
  Away!

      (Ils sortent.)

        [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE IV

SCENE IV.

Rome.

Un appartement dans la maison de César.

Rome.

An Apartment in Caesar’s House.

    Entrent OCTAVE CÉSAR, LÉPIDE et leur suite.

    Enter Octavius Caesar, Lepidus and their train.

CÉSAR.
  — Vous voyez, Lépide, et vous saurez à l'avenir que ce n'est point le vice naturel de César de haïr un grand rival. — Voici les nouvelles d'Alexandrie. Il pêche, il boit, et les lampes de la nuit éclairent ses débauches. Il n'est pas plus homme que Cléopâtre, et la veuve de Ptolémée n'est pas plus efféminée que lui. Il a donné à peine audience à mes députés, et daigne difficilement se rappeler qu'il a des collègues. Vous reconnaîtrez dans Antoine l'abrégé de toutes les faiblesses dont l'humanité est capable.

CAESAR.
  You may see, Lepidus, and henceforth know,
  It is not Caesar’s natural vice to hate
  Our great competitor. From Alexandria
  This is the news: he fishes, drinks, and wastes
  The lamps of night in revel: is not more manlike
  Than Cleopatra, nor the queen of Ptolemy
  More womanly than he; hardly gave audience, or
  Vouchsafed to think he had partners. You shall find there
  A man who is the abstract of all faults
  That all men follow.

LÉPIDE.
  — Je ne puis croire qu'il ait des torts assez grands pour obscurcir toutes ses vertus. Ses défauts sont comme les taches du ciel, rendues plus éclatantes par les ténèbres de la nuit. Ils sont héréditaires plutôt qu'acquis; il ne peut s'en corriger, mais il ne les a pas cherchés.

LEPIDUS.
  I must not think there are
  Evils enough to darken all his goodness.
  His faults in him seem as the spots of heaven,
  More fiery by night’s blackness; hereditary
  Rather than purchased; what he cannot change
  Than what he chooses.

CÉSAR.
  — Vous êtes trop indulgent. Accordons que ce ne soit pas un crime de se laisser tomber sur la couche de Ptolémée, de donner un royaume pour un sourire, de s'asseoir pour s'enivrer avec un esclave; de chanceler, en plein midi, dans les rues, et de faire le coup de poing avec une troupe de drôles trempés de sueur. Dites que cette conduite sied bien à Antoine, et il faut que ce soit un homme d'une trempe bien extraordinaire pour que ces choses ne soient pas des taches dans son caractère... Mais du moins Antoine ne peut excuser ses souillures, quand sa légèreté nous impose un si pesant fardeau: encore s'il ne consumait dans les voluptés que ses moments de loisir, le dégoût et son corps exténué lui en demanderaient compte; mais sacrifier un temps si précieux qui l'appelle à quitter ses divertissements, et parle si haut pour sa fortune et pour la nôtre, c'est mériter d'être grondé comme ces jeunes gens, qui, déjà dans l'âge de connaître leurs devoirs, immolent leur expérience au plaisir présent, et se révoltent contre le bon jugement.

CAESAR.
  You are too indulgent. Let’s grant it is not
  Amiss to tumble on the bed of Ptolemy,
  To give a kingdom for a mirth, to sit
  And keep the turn of tippling with a slave,
  To reel the streets at noon, and stand the buffet
  With knaves that smell of sweat. Say this becomes him—
  As his composure must be rare indeed
  Whom these things cannot blemish—yet must Antony
  No way excuse his foils when we do bear
  So great weight in his lightness. If he filled
  His vacancy with his voluptuousness,
  Full surfeits and the dryness of his bones
  Call on him for’t. But to confound such time
  That drums him from his sport, and speaks as loud
  As his own state and ours, ’tis to be chid
  As we rate boys who, being mature in knowledge,
  Pawn their experience to their present pleasure
  And so rebel to judgment.

    (Entre un messager.)

    Enter a Messenger.

LÉPIDE.
  — Voici encore des nouvelles.

LEPIDUS.
  Here’s more news.

LE MESSAGER, à César.
  — Vos ordres sont exécutés, et d'heure en heure, très-noble César, vous serez instruit de ce qui se passe. Pompée est puissant sur mer, et il paraît aimé de tous ceux que la crainte seule attachait à César. Les mécontents se rendent dans nos ports; et le bruit court qu'on lui a fait grand tort.

MESSENGER.
  Thy biddings have been done, and every hour,
  Most noble Caesar, shalt thou have report
  How ’tis abroad. Pompey is strong at sea,
  And it appears he is beloved of those
  That only have feared Caesar. To the ports
  The discontents repair, and men’s reports
  Give him much wronged.

CÉSAR.
  — Je ne devais pas m'attendre à moins. L'histoire, dès son origine, nous apprend que celui qui est au pouvoir a été bien-aimé jusqu'au moment où il l'a obtenu; et que l'homme tombé dans la disgrâce, qui n'avait jamais été aimé, qui n'avait jamais mérité l'amour du peuple, lui devient cher dès qu'il tombe. Cette multitude ressemble au pavillon flottant sur les ondes, qui avance ou recule, suit servilement l'inconstance du flot, et s'use par son mouvement continuel.

CAESAR.
  I should have known no less.
  It hath been taught us from the primal state
  That he which is was wished until he were,
  And the ebbed man, ne’er loved till ne’er worth love,
  Comes deared by being lacked. This common body,
  Like to a vagabond flag upon the stream,
  Goes to and back, lackeying the varying tide,
  To rot itself with motion.

    Enter a second Messenger.

LE MESSAGER.
  — César, je t'annonce que Ménécrate et Ménas, deux fameux pirates, exercent leur empire sur les mers, qu'ils fendent et sillonnent de vaisseaux de toute espèce. Ils font de fréquentes et vives incursions sur les côtes d'Italie. Les peuples qui habitent les rivages pâlissent à leur nom seul, et la jeunesse ardente se révolte. Nul vaisseau ne peut se montrer qu'il ne soit pris aussitôt qu'aperçu. Le nom seul de Pompée inspire plus de terreur que n'en inspirerait la présence même de toute son armée.

SECOND MESSENGER.
  Caesar, I bring thee word
  Menecrates and Menas, famous pirates,
  Make the sea serve them, which they ear and wound
  With keels of every kind. Many hot inroads
  They make in Italy—the borders maritime
  Lack blood to think on’t—and flush youth revolt.
  No vessel can peep forth but ’tis as soon
  Taken as seen; for Pompey’s name strikes more
  Than could his war resisted.

CÉSAR.
  — Antoine, quitte tes débauches et tes voluptés! Lorsque repoussé de Mutine, après avoir tué les deux consuls, Hirtius et Pansa, tu fus poursuivi par la famine, tu la combattis, malgré ta molle éducation, avec une patience plus grande que celle des sauvages. Tu bus l'urine de tes chevaux, et des eaux fangeuses que les animaux mêmes auraient rejetées avec dégoût. Ton palais ne dédaignait pas alors les fruits les plus sauvages des buissons épineux. Tel que le cerf affamé, lorsque la neige couvre les pâturages, tu mâchais l'écorce des arbres. On dit que sur les Alpes tu te repus d'une chair étrange, dont la vue seule fit périr plusieurs des tiens; et toi (ton honneur souffre maintenant de ces récits) tu supportas tout cela en guerrier si intrépide, que ton visage même n'en fut pas altéré.

CAESAR.
  Antony,
  Leave thy lascivious wassails. When thou once
  Was beaten from Modena, where thou slew’st
  Hirtius and Pansa, consuls, at thy heel
  Did famine follow, whom thou fought’st against,
  Though daintily brought up, with patience more
  Than savages could suffer. Thou didst drink
  The stale of horses and the gilded puddle
  Which beasts would cough at. Thy palate then did deign
  The roughest berry on the rudest hedge.
  Yea, like the stag when snow the pasture sheets,
  The barks of trees thou browsed. On the Alps
  It is reported thou didst eat strange flesh
  Which some did die to look on. And all this—
  It wounds thine honour that I speak it now—
  Was borne so like a soldier that thy cheek
  So much as lanked not.

LÉPIDE.
  — C'est bien dommage.

LEPIDUS.
  ’Tis pity of him.

CÉSAR.
  — Que la honte le ramène promptement à Rome. Il est temps que nous nous montrions tous deux sur le champ de bataille. Assemblons, sans tarder, notre conseil, pour concerter nos projets. Pompée prospère par notre indolence.

CAESAR.
  Let his shames quickly
  Drive him to Rome. ’Tis time we twain
  Did show ourselves i’ th’ field, and to that end
  Assemble we immediate council. Pompey
  Thrives in our idleness.

LÉPIDE.
  — Demain, César, je serai en état de vous instruire, avec exactitude, de ce que je puis exécuter sur mer et sur terre, pour faire face aux circonstances présentes.

LEPIDUS.
  Tomorrow, Caesar,
  I shall be furnished to inform you rightly
  Both what by sea and land I can be able
  To front this present time.

CÉSAR.
  — C'est aussi le soin qui m'occupera jusqu'à demain. Adieu.

CAESAR.
  Till which encounter
  It is my business too. Farewell.

LÉPIDE.
  — Adieu, seigneur. Tout ce que vous apprendrez d'ici là des mouvements qui se passent au dehors, je vous conjure de m'en faire part.

LEPIDUS.
  Farewell, my lord. What you shall know meantime
  Of stirs abroad, I shall beseech you, sir,
  To let me be partaker.

CÉSAR.
  — N'en doutez pas, seigneur; je sais que c'est mon devoir.

CAESAR.
  Doubt not, sir.
  I knew it for my bond.

    (Ils sortent.)

[Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE V

SCENE V.

Alexandrie.

Appartement du palais.

Alexandria.

A Room in the Palace.

    Entrent CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, l'eunuque MARDIAN.

    Enter Cleopatra, Charmian, Iras and Mardian.

CLÉOPÂTRE.
  — Charmiane.

CLEOPATRA.
  Charmian!

CHARMIANE.
  — Madame?

CHARMIAN.
  Madam?

CLÉOPÂTRE.
  — Ah! ah! donne-moi une potion de mandragore.

CLEOPATRA.
  Ha, ha!
  Give me to drink mandragora.

CHARMIANE.
  — Pourquoi donc, madame?

CHARMIAN.
  Why, madam?

CLÉOPÂTRE.
  — Afin que je puisse dormir pendant tout le temps que mon Antoine sera absent.

CLEOPATRA.
  That I might sleep out this great gap of time
  My Antony is away.

CHARMIANE.
  — Vous songez trop à lui.

CHARMIAN.
  You think of him too much.

CLÉOPÂTRE.
  — O trahison!...

CLEOPATRA.
  O, ’tis treason!

CHARMIANE.
  — Madame, j'espère qu'il n'en est point ainsi.

CHARMIAN.
  Madam, I trust not so.

CLÉOPÂTRE.
  — Eunuque! Mardian!

CLEOPATRA.
  Thou, eunuch Mardian!

MARDIAN.
  — Quel est le bon plaisir de Votre Majesté?

MARDIAN.
  What’s your highness’ pleasure?

CLÉOPÂTRE.
  — Je ne veux pas maintenant t'entendre chanter. Je ne prends aucun plaisir à ce qui vient d'un eunuque. — Il est heureux pour toi que ton impuissance empêche tes pensées les plus libres d'aller errer hors de l'Égypte. As-tu des inclinations?

CLEOPATRA.
  Not now to hear thee sing. I take no pleasure
  In aught an eunuch has. ’Tis well for thee
  That, being unseminared, thy freer thoughts
  May not fly forth of Egypt. Hast thou affections?

L'EUNUQUE.
  — Oui, gracieuse reine.

MARDIAN.
  Yes, gracious madam.

CLÉOPÂTRE.
  — En vérité?

CLEOPATRA.
  Indeed?

MARDIAN.
  — Pas en vérité, madame, car je ne puis rien faire en vérité que ce qu'il est honnête de faire; mais j'ai de violentes passions, et je pense à ce que Mars fit avec Vénus.

MARDIAN.
  Not in deed, madam, for I can do nothing
  But what indeed is honest to be done.
  Yet have I fierce affections, and think
  What Venus did with Mars.

CLÉOPÂTRE.
  — O Charmiane, où crois-tu qu'il soit à présent? Est-il debout ou assis? Se promène-t-il à pied ou est-il à cheval? Heureux coursier, qui porte Antoine, conduis-toi bien, cheval; car sais-tu bien qui tu portes? L'Atlas qui soutient la moitié de ce globe, le bras et le casque de l'humanité. — Il dit maintenant ou murmure tout bas: Où est mon serpent du vieux Nil? car c'est le nom qu'il me donne. — Oh! maintenant, je me nourris d'un poison délicieux. — Penses-tu à moi qui suis brunie par les brûlants baisers du soleil, et dont le temps a déjà sillonné le visage de rides profondes? — O toi, César au large front, dans le temps que tu étais ici à terre, j'étais un morceau de roi! et le grand Pompée s'arrêtait, et fixait ses regards sur mon front; il eût voulu y attacher à jamais sa vue, et mourir en me contemplant!

CLEOPATRA.
  O, Charmian,
  Where think’st thou he is now? Stands he, or sits he?
  Or does he walk? Or is he on his horse?
  O happy horse, to bear the weight of Antony!
  Do bravely, horse, for wot’st thou whom thou mov’st?
  The demi-Atlas of this earth, the arm
  And burgonet of men. He’s speaking now,
  Or murmuring “Where’s my serpent of old Nile?”
  For so he calls me. Now I feed myself
  With most delicious poison. Think on me
  That am with Phœbus’ amorous pinches black,
  And wrinkled deep in time? Broad-fronted Caesar,
  When thou wast here above the ground, I was
  A morsel for a monarch. And great Pompey
  Would stand and make his eyes grow in my brow;
  There would he anchor his aspect, and die
  With looking on his life.

    Enter Alexas.

ALEXAS entre.
  — Souveraine d'Égypte, salut!

ALEXAS.
  Sovereign of Egypt, hail!

CLÉOPÂTRE.
  — Que tu es loin de ressembler à Marc-Antoine! Et cependant, venant de sa part, il me semble que cette pierre philosophale t'a changé en or. Comment se porte mon brave Marc-Antoine?

CLEOPATRA.
  How much unlike art thou Mark Antony!
  Yet, coming from him, that great medicine hath
  With his tinct gilded thee.
  How goes it with my brave Mark Antony?

ALEXAS.
  — La dernière chose qu'il ait faite, chère reine, a été de baiser cent fois cette perle orientale. — Ses paroles sont encore gravées dans mon cœur.

ALEXAS.
  Last thing he did, dear queen,
  He kissed—the last of many doubled kisses—
  This orient pearl. His speech sticks in my heart.

CLÉOPÂTRE.
  — Mon oreille est impatiente de les faire passer dans le mien.

CLEOPATRA.
  Mine ear must pluck it thence.

ALEXAS.
  — «Ami, m'a-t-il dit, va: dis que le fidèle Romain envoie à la reine d'Égypte ce trésor de l'huître, et que, pour rehausser la mince valeur du présent, il ira bientôt à ses pieds décorer de royaumes son trône superbe; dis-lui que bientôt tout l'Orient la nommera sa souveraine.» Là-dessus, il me fit un signe de tête, et monta d'un air grave sur son coursier fougueux, qui alors a poussé de si grands hennissements, que, lorsque j'ai voulu parler, il m'a réduit au silence.

ALEXAS.
  “Good friend,” quoth he,
  “Say, the firm Roman to great Egypt sends
  This treasure of an oyster; at whose foot,
  To mend the petty present, I will piece
  Her opulent throne with kingdoms. All the east,
  Say thou, shall call her mistress.” So he nodded
  And soberly did mount an arm-gaunt steed,
  Who neighed so high that what I would have spoke
  Was beastly dumbed by him.

CLÉOPÂTRE.
  — Dis-moi, était-il triste ou gai?

CLEOPATRA.
  What, was he sad or merry?

ALEXAS.
  — Comme la saison de l'année qui est placée entre les extrêmes de la chaleur et du froid; il n'était ni triste ni gai.

ALEXAS.
  Like to the time o’ th’ year between the extremes
  Of hot and cold, he was nor sad nor merry.

CLÉOPÂTRE.
  — O caractère bien partagé! Observe-le bien, observe-le bien, bonne Charmiane; c'est bien lui, mais observe-le bien; il n'était pas triste, parce qu'il voulait montrer un front serein à ceux qui composent leur visage sur le sien; il n'était pas gai, ce qui semblait leur dire qu'il avait laissé en Égypte son souvenir et sa joie, mais il gardait un juste milieu. O céleste mélange! Que tu sois triste ou gai, les transports de la tristesse et de la joie te conviennent également, plus qu'à aucun autre mortel! — As-tu rencontré mes courriers?

CLEOPATRA.
  O well-divided disposition!—Note him,
  Note him, good Charmian, ’tis the man; but note him:
  He was not sad, for he would shine on those
  That make their looks by his; he was not merry,
  Which seemed to tell them his remembrance lay
  In Egypt with his joy; but between both.
  O heavenly mingle!—Be’st thou sad or merry,
  The violence of either thee becomes,
  So does it no man else.—Met’st thou my posts?

ALEXAS.
  — Oui, madame, au moins vingt. Pourquoi les dépêchez-vous si près l'un de l'autre?

ALEXAS.
  Ay, madam, twenty several messengers.
  Why do you send so thick?

CLÉOPÂTRE.
  — Il périra misérable, l'enfant qui naîtra le jour où j'oublierai d'envoyer vers Antoine. — Charmiane, de l'encre et du papier. — Sois le bienvenu, cher Alexas. — Charmiane, ai-je jamais autant aimé César?

CLEOPATRA.
  Who’s born that day
  When I forget to send to Antony
  Shall die a beggar.—Ink and paper, Charmian.—
  Welcome, my good Alexas.—Did I, Charmian,
  Ever love Caesar so?

CHARMIANE.
  — O ce brave César!

CHARMIAN.
  O that brave Caesar!

CLÉOPÂTRE.
  — Que ton exclamation t'étouffe! Dis, le brave Antoine.

CLEOPATRA.
  Be choked with such another emphasis!
  Say “the brave Antony.”

CHARMIANE.
  — Ce vaillant César!

CHARMIAN.
  The valiant Caesar!

CLÉOPÂTRE.
  — Par Isis, je vais ensanglanter ta joue, si tu oses encore comparer César avec le plus grand des hommes.

CLEOPATRA.
  By Isis, I will give thee bloody teeth
  If thou with Caesar paragon again
  My man of men.

CHARMIANE.
  — Sauf votre bon plaisir, je ne fais que répéter ce que vous disiez vous-même.

CHARMIAN.
  By your most gracious pardon,
  I sing but after you.

CLÉOPÂTRE.
  — Temps de jeunesse quand mon jugement n'était pas encore mûr. — Coeur glacé de répéter ce que je disais alors. — Mais viens, sortons: donne-moi de l'encre et du papier; il aura chaque jour plus d'un message, dussé-je dépeupler l'Égypte.

CLEOPATRA.
  My salad days,
  When I was green in judgment, cold in blood,
  To say as I said then. But come, away,
  Get me ink and paper.
  He shall have every day a several greeting,
  Or I’ll unpeople Egypt.

    [Exeunt.]

 
 
 

ACTE DEUXIÈME

ACT II

SCÈNE I

SCENE I.

Messine.

Appartement de la maison de Pompée.

Messina.

A Room in Pompey’s house.

    Entrent POMPÉE, MÉNÉCRATE ET MÉNAS.

    Enter Pompey, Menecrates and Menas in warlike manner.

POMPÉE.
  — Si les grands dieux sont justes, ils seconderont les armes du parti le plus juste.

POMPEY.
  If the great gods be just, they shall assist
  The deeds of justest men.

MÉNÉCRATE.
  — Vaillant Pompée, songez que les dieux ne refusent pas ce qu'ils diffèrent d'accorder.

MENECRATES.
  Know, worthy Pompey,
  That what they do delay they not deny.

POMPÉE.
  — Tandis qu'au pied de leur trône nous les implorons, la cause que nous les supplions de protéger dépérit.

POMPEY.
  Whiles we are suitors to their throne, decays
  The thing we sue for.

MÉNÉCRATE.
  — Nous nous ignorons nous-mêmes, et nous demandons souvent notre ruine, leur sagesse nous refuse pour notre bien, et nous gagnons à ne pas obtenir l'objet de nos prières.

MENECRATES.
  We, ignorant of ourselves,
  Beg often our own harms, which the wise powers
  Deny us for our good; so find we profit
  By losing of our prayers.

POMPÉE.
  — Je réussirai: le peuple m'aime, et la mer est à moi; ma puissance est comme le croissant de la lune, et mon espérance me prédit qu'elle parviendra à son plein. Marc-Antoine est à table en Égypte; il n'en sortira jamais pour faire la guerre. César, en amassant de l'argent, perd les cœurs; Lépide les flatte tous deux, et tous deux flattent Lépide: mais il n'aime ni l'un ni l'autre, et ni l'un ni l'autre ne se soucie de lui.

POMPEY.
  I shall do well.
  The people love me, and the sea is mine;
  My powers are crescent, and my auguring hope
  Says it will come to th’ full. Mark Antony
  In Egypt sits at dinner, and will make
  No wars without doors. Caesar gets money where
  He loses hearts. Lepidus flatters both,
  Of both is flattered; but he neither loves
  Nor either cares for him.

MÉNÉCRATE.
  — César et Lépide sont en campagne, amenant avec eux des forces imposantes.

MENAS.
  Caesar and Lepidus
  Are in the field. A mighty strength they carry.

POMPÉE.
  — D'où tenez-vous cette nouvelle? Elle est fausse.

POMPEY.
  Where have you this? ’Tis false.

MÉNÉCRATE.
  — De Silvius, seigneur.

MENAS.
  From Silvius, sir.

POMPÉE.
  — Il rêve; je sais qu'ils sont encore tous deux à Rome, où ils attendent Antoine.—Voluptueuse Cléopâtre, que tous les charmes de l'amour prêtent leur douceur à tes lèvres flétries! Joins à la beauté les arts magiques et la volupté; enchaîne le débauché dans un cercle de fêtes; échauffe sans cesse son cerveau. Que les cuisiniers épicuriens aiguisent son appétit par des assaisonnements toujours renouvelés, afin que le sommeil et les banquets lui fassent oublier son honneur dans la langueur du Léthé.—Qu'y a-t-il, Varius?

POMPEY.
  He dreams. I know they are in Rome together,
  Looking for Antony. But all the charms of love,
  Salt Cleopatra, soften thy waned lip!
  Let witchcraft join with beauty, lust with both;
  Tie up the libertine in a field of feasts;
  Keep his brain fuming. Epicurean cooks
  Sharpen with cloyless sauce his appetite,
  That sleep and feeding may prorogue his honour
  Even till a Lethe’d dullness—

    (Varius paraît.)

    Enter Varrius.

  How now, Varrius!

VARIUS.
  — Comptez sur la vérité de la nouvelle que je vous annonce. Marc-Antoine est d'heure en heure attendu à Rome: depuis qu'il est parti d'Égypte il aurait eu le temps de faire un plus long voyage.

VARRIUS.
  This is most certain that I shall deliver:
  Mark Antony is every hour in Rome
  Expected. Since he went from Egypt ’tis
  A space for farther travel.

POMPÉE.
  — J'aurais écouté plus volontiers une nouvelle moins sérieuse... Ménas, je n'aurais jamais pensé que cet homme insatiable de voluptés eût mis son casque pour une guerre aussi peu importante. C'est un guerrier qui vaut à lui seul plus que les deux autres ensemble... Mais concevons de nous-mêmes une plus haute opinion, puisque le bruit de notre marche peut arracher des genoux de la veuve d'Égypte cet Antoine qui n'est jamais las de débauches.

POMPEY.
  I could have given less matter
  A better ear.—Menas, I did not think
  This amorous surfeiter would have donned his helm
  For such a petty war. His soldiership
  Is twice the other twain. But let us rear
  The higher our opinion, that our stirring
  Can from the lap of Egypt’s widow pluck
  The ne’er lust-wearied Antony.

MÉNAS.
  — Je ne puis croire que César et Antoine puissent s'accorder ensemble. Sa femme, qui vient de mourir, a offensé César; son frère lui a fait la guerre, quoiqu'il n'y fût pas, je crois, poussé par Antoine.

MENAS.
  I cannot hope
  Caesar and Antony shall well greet together.
  His wife that’s dead did trespasses to Caesar;
  His brother warred upon him, although I think,
  Not moved by Antony.

POMPÉE.
  — Je ne sais pas, Ménas, jusqu'à quel point de légères inimitiés peuvent céder devant de plus grandes. S'ils ne nous voyaient pas armés contre eux tous, ils ne tarderaient pas à se disputer ensemble: car ils ont assez de sujets de tirer l'épée les uns contre les autres: mais jusqu'à quel point la crainte que nous leur inspirons concilie-t-elle leurs divisions et enchaîne-t-elle leurs petites discordes, c'est ce que nous ne savons pas encore. Au reste, qu'il en arrive ce qu'il plaira aux dieux: il y va de notre vie de déployer toutes nos forces. Viens, Ménas.

POMPEY.
  I know not, Menas,
  How lesser enmities may give way to greater.
  Were’t not that we stand up against them all,
  ’Twere pregnant they should square between themselves,
  For they have entertained cause enough
  To draw their swords. But how the fear of us
  May cement their divisions, and bind up
  The petty difference, we yet not know.
  Be’t as our gods will have’t! It only stands
  Our lives upon to use our strongest hands.
  Come, Menas.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE II

SCENE II.

Rome.

Appartement dans la maison de Lépide.

Rome.

A Room in the House of Lepidus.

    LÉPIDE, ÉNOBARBUS.

    Enter Enobarbus and Lepidus.

LÉPIDE.
  — Cher Énobarbus, tu feras une action louable et qui te siéra bien en engageant ton général à s'expliquer avec douceur et ménagement.

LEPIDUS.
  Good Enobarbus, ’tis a worthy deed,
  And shall become you well, to entreat your captain
  To soft and gentle speech.

ÉNOBARBUS.
  — Je l'engagerai à répondre comme lui-même. Si César l'irrite, qu'Antoine regarde par-dessus la tête de César, et parle aussi fièrement que Mars. Par Jupiter, si je portais la barbe d'Antoine je ne me ferais pas raser aujourd'hui.

ENOBARBUS.
  I shall entreat him
  To answer like himself. If Caesar move him,
  Let Antony look over Caesar’s head
  And speak as loud as Mars. By Jupiter,
  Were I the wearer of Antonius’ beard,
  I would not shave’t today.

LÉPIDE.
  — Ce n'est pas ici le temps des ressentiments particuliers.

LEPIDUS.
  ’Tis not a time
  For private stomaching.

ÉNOBARBUS.
  — Tout temps est bon pour les affaires qu'il fait naître.

ENOBARBUS.
  Every time
  Serves for the matter that is then born in’t.

LÉPIDE.
  — Les moins importantes doivent céder aux plus graves.

LEPIDUS.
  But small to greater matters must give way.

ÉNOBARBUS.
  — Non, si les moins importantes viennent les premières.

ENOBARBUS.
  Not if the small come first.

LÉPIDE.
  — Tu parles avec passion: mais de grâce ne remue pas les tisons. — Voici le noble Antoine.

LEPIDUS.
  Your speech is passion;
  But pray you stir no embers up. Here comes
  The noble Antony.

    (Entrent Antoine et Ventidius.)

    Enter Antony and Ventidius.

ÉNOBARBUS.
  — Et voilà César là-bas.

ENOBARBUS.
  And yonder Caesar.

    (Entrent César, Mécène et Agrippa.)

    Enter Caesar, Maecenas and Agrippa.

ANTOINE.
  — Si nous pouvons nous entendre, marchons contre les Parthes. — Ventidius, écoute.

ANTONY.
  If we compose well here, to Parthia.
  Hark, Ventidius.

CÉSAR.
  — Je ne sais pas, Mécène; demande à Agrippa.

CAESAR.
  I do not know, Maecenas. Ask Agrippa.

LÉPIDE.
  — Nobles amis, il n'est point d'objet plus grand que celui qui nous a réunis; que des causes plus légères ne nous séparent pas. Les torts peuvent être rappelés avec douceur; en discutant avec violence des différends peu importants, nous rendons mortelles les blessures que nous voulons guérir: ainsi donc, nobles collègues (je vous en conjure avec instances), traitez les questions les plus aigres dans les termes les plus doux, et que la mauvaise humeur n'aggrave pas nos querelles.

LEPIDUS.
  Noble friends,
  That which combined us was most great, and let not
  A leaner action rend us. What’s amiss,
  May it be gently heard. When we debate
  Our trivial difference loud, we do commit
  Murder in healing wounds. Then, noble partners,
  The rather for I earnestly beseech,
  Touch you the sourest points with sweetest terms,
  Nor curstness grow to th’ matter.

ANTOINE.
  — C'est bien parlé; si nous étions à la tête de nos armées et prêts à combattre, j'agirais ainsi.

ANTONY.
  ’Tis spoken well.
  Were we before our armies, and to fight,
  I should do thus.

CÉSAR.
  — Soyez le bienvenu dans Rome.

CAESAR.
  Welcome to Rome.

ANTOINE.
  — Merci!

ANTONY.
  Thank you.

CÉSAR.
  — Asseyez-vous.

CAESAR.
  Sit.

ANTOINE.
  — Asseyez-vous, seigneur.

ANTONY.
  Sit, sir.

CÉSAR.
  — Ainsi donc...

CAESAR.
  Nay, then.

ANTOINE.
  — J'apprends que vous vous offensez de choses qui ne sont point blâmables, ou qui, si elles le sont, ne vous regardent pas.

ANTONY.
  I learn you take things ill which are not so,
  Or being, concern you not.

CÉSAR.
  — Je serais ridicule, si je me prétendais offensé pour rien ou pour peu de chose; mais avec vous surtout: plus ridicule encore si je vous avais nommé avec des reproches, lorsque je n'avais point affaire de prononcer votre nom.

CAESAR.
  I must be laughed at
  If, or for nothing or a little, I
  Should say myself offended, and with you
  Chiefly i’ th’ world; more laughed at that I should
  Once name you derogately when to sound your name
  It not concerned me.

ANTOINE.
  — Que vous importait donc, César, mon séjour en Égypte?

ANTONY.
  My being in Egypt, Caesar,
  What was’t to you?

CÉSAR.
  — Pas plus que mon séjour à Rome ne devait vous inquiéter en Égypte: cependant, si de là vous cherchiez à me nuire, votre séjour en Égypte pouvait m'occuper.

CAESAR.
  No more than my residing here at Rome
  Might be to you in Egypt. Yet if you there
  Did practise on my state, your being in Egypt
  Might be my question.

ANTOINE.
  — Qu'entendez-vous par chercher à vous nuire?

ANTONY.
  How intend you, practised?

CÉSAR.
  — Vous pourriez bien saisir le sens de ce que je veux dire par ce qui m'est arrivé ici; votre femme et votre frère ont pris les armes contre moi, leur attaque était pour vous un sujet de vous déclarer contre moi, votre nom était leur mot d'ordre.

CAESAR.
  You may be pleased to catch at mine intent
  By what did here befall me. Your wife and brother
  Made wars upon me, and their contestation
  Was theme for you; you were the word of war.

ANTOINE.
  — Vous vous méprenez. Jamais mon frère ne m'a mis en avant dans cette guerre. Je m'en suis instruit, et ma certitude est fondée sur les rapports fidèles de ceux mêmes qui ont tiré l'épée pour vous! N'attaquait-il pas plutôt mon autorité que la vôtre? ne dirigeait-il pas également la guerre contre moi puisque votre cause est la mienne? là-dessus mes lettres vous ont déjà satisfait. Si vous voulez trouver un prétexte de querelle, comme vous n'en avez pas de bonne raison, il ne faut pas compter sur celui-ci.

ANTONY.
  You do mistake your business. My brother never
  Did urge me in his act. I did inquire it,
  And have my learning from some true reports
  That drew their swords with you. Did he not rather
  Discredit my authority with yours,
  And make the wars alike against my stomach,
  Having alike your cause? Of this my letters
  Before did satisfy you. If you’ll patch a quarrel,
  As matter whole you have not to make it with,
  It must not be with this.

CÉSAR.
  — Vous faites-là votre éloge, en m'accusant de défaut de jugement: mais vous déguisez mal vos torts.

CAESAR.
  You praise yourself
  By laying defects of judgment to me; but
  You patched up your excuses.

ANTOINE.
  — Non, non! Je sais, je suis certain que vous ne pouviez pas manquer de faire cette réflexion naturelle, que moi, votre associé dans la cause contre laquelle mon frère s'armait, je ne pouvais voir d'un oeil satisfait une guerre qui troublait ma paix. Quant à ma femme, je voudrais que vous trouvassiez une autre femme douée du même caractère.—Le tiers de l'univers est sous vos lois; vous pouvez, avec le plus faible frein, le gouverner à votre gré, mais non pas une pareille femme.

ANTONY.
  Not so, not so.
  I know you could not lack—I am certain on’t—
  Very necessity of this thought, that I,
  Your partner in the cause ’gainst which he fought,
  Could not with graceful eyes attend those wars
  Which fronted mine own peace. As for my wife,
  I would you had her spirit in such another.
  The third o’ th’ world is yours, which with a snaffle
  You may pace easy, but not such a wife.

ÉNOBARBUS.
  — Plût au ciel que nous eussions tous de pareilles épouses! les hommes pourraient aller à la guerre avec les femmes.

ENOBARBUS.
  Would we had all such wives, that the men
  Might go to wars with the women.

ANTOINE.
  — Les embarras qu'a suscités son impatience et son caractère intraitable qui ne manquait pas non plus des ruses de la politique, vous ont trop inquiété, César; je vous l'accorde avec douleur; mais vous êtes forcé d'avouer qu'il n'était pas en mon pouvoir de l'empêcher.

ANTONY.
  So much uncurbable, her garboils, Caesar,
  Made out of her impatience—which not wanted
  Shrewdness of policy too—I grieving grant
  Did you too much disquiet. For that you must
  But say I could not help it.

CÉSAR.
  — Je vous ai écrit pendant que vous étiez plongé dans les débauches, à Alexandrie; vous avez mis mes lettres dans votre poche, et vous avez renvoyé avec mépris mon député de votre présence.

CAESAR.
  I wrote to you
  When rioting in Alexandria; you
  Did pocket up my letters, and with taunts
  Did gibe my missive out of audience.

ANTOINE.
  — César, il est entré brusquement, avant qu'on l'eût admis. Je venais de fêter trois rois, et je n'étais plus tout à fait l'homme du matin: mais le lendemain, j'en ai fait l'aveu moi-même à votre député; ce qui équivalait à lui en demander pardon. Que cet homme n'entre pour rien dans notre différend. S'il faut que nous contestions ensemble, qu'il ne soit plus question de lui.

ANTONY.
  Sir,
  He fell upon me ere admitted, then.
  Three kings I had newly feasted, and did want
  Of what I was i’ th’ morning. But next day
  I told him of myself, which was as much
  As to have asked him pardon. Let this fellow
  Be nothing of our strife; if we contend,
  Out of our question wipe him.

CÉSAR.
  — Vous avez violé un article de vos serments, ce que vous n'aurez jamais à me reprocher.

CAESAR.
  You have broken
  The article of your oath, which you shall never
  Have tongue to charge me with.

LÉPIDE.
  — Doucement, César.

LEPIDUS.
  Soft, Caesar!

ANTOINE.
  — Non, Lépide, laissez-le parler, l'honneur dont il parle maintenant est sacré, en supposant que j'en ai manqué; voyons, César, l'article de mon serment....

ANTONY.
  No, Lepidus, let him speak.
  The honour is sacred which he talks on now,
  Supposing that I lacked it. But on, Caesar:
  The article of my oath?

CÉSAR.
  — C'était de me prêter vos armes et votre secours à ma première réquisition; vous m'avez refusé l'un et l'autre.

CAESAR.
  To lend me arms and aid when I required them,
  The which you both denied.

ANTOINE.
  — Dites plutôt négligé, et cela pendant ces heures empoisonnées qui m'avaient ôté la connaissance de moi-même. Je vous en témoignerai mon repentir autant que je le pourrai; mais ma franchise n'avilira point ma grandeur, comme ma puissance ne fera rien sans ma franchise. La vérité est que Fulvie, pour m'attirer hors d'Égypte, vous a fait la guerre ici. Et moi, qui étais sans le savoir le motif de cette guerre, je vous en fais toutes les excuses où mon honneur peut descendre en pareille occasion.

ANTONY.
  Neglected, rather;
  And then when poisoned hours had bound me up
  From mine own knowledge. As nearly as I may
  I’ll play the penitent to you. But mine honesty
  Shall not make poor my greatness, nor my power
  Work without it. Truth is that Fulvia,
  To have me out of Egypt, made wars here,
  For which myself, the ignorant motive, do
  So far ask pardon as befits mine honour
  To stoop in such a case.

LÉPIDE.
  — C'est noblement parler.

LEPIDUS.
  ’Tis noble spoken.

MÉCÈNE.
  — S'il pouvait vous plaire de ne pas pousser plus loin vos griefs réciproques, de les oublier tout à fait, pour vous souvenir que le besoin présent vous invite à vous réconcilier?

MAECENAS.
  If it might please you to enforce no further
  The griefs between ye; to forget them quite
  Were to remember that the present need
  Speaks to atone you.

LÉPIDE.
  — Sagement parlé, Mécène.

LEPIDUS.
  Worthily spoken, Maecenas.

ÉNOBARBUS.
  — Ou bien empruntez-vous l'un à l'autre, pour le moment, votre affection; et quand vous n'entendrez plus parler de Pompée, alors vous vous la rendrez: vous aurez tout le loisir de vous disputer, quand vous n'aurez pas autre chose à faire.

ENOBARBUS.
  Or, if you borrow one another’s love for the instant, you may, when you hear no more words of Pompey, return it again. You shall have time to wrangle in when you have nothing else to do.

ANTOINE.
  — Tu n'es qu'un soldat: tais-toi.

ANTONY.
  Thou art a soldier only. Speak no more.

ÉNOBARBUS.
  — J'avais presque oublié que la vérité devait se taire.

ENOBARBUS.
  That truth should be silent I had almost forgot.

ANTOINE.
  — Tu manques de respect à cette assemblée; ne dis plus rien.

ANTONY.
  You wrong this presence; therefore speak no more.

ÉNOBARBUS.
  — Allons, poursuivez. Je suis muet comme une pierre.

ENOBARBUS.
  Go to, then. Your considerate stone!

CÉSAR.
  — Je ne désapprouve point le fond, mais bien, la forme de son discours. — Il n'est pas possible que nous restions amis, nos principes et nos actions différant si fort. Cependant, si je connaissais un lien assez fort pour nous tenir étroitement unis, je le chercherais dans le monde entier.

CAESAR.
  I do not much dislike the matter, but
  The manner of his speech; for’t cannot be
  We shall remain in friendship, our conditions
  So differing in their acts. Yet if I knew
  What hoop should hold us staunch, from edge to edge
  O’ th’ world I would pursue it.

AGRIPPA.
  — Permettez-moi, César...

AGRIPPA.
  Give me leave, Caesar.

CÉSAR.
  — Parle, Agrippa.

CAESAR.
  Speak, Agrippa.

AGRIPPA.
  — Vous avez du côté maternel une soeur, la belle Octavie. Le grand Marc-Antoine est veuf maintenant.

AGRIPPA.
  Thou hast a sister by the mother’s side,
  Admired Octavia. Great Mark Antony
  Is now a widower.

CÉSAR.
  — Ne parle pas ainsi, Agrippa; si Cléopâtre t'entendait, elle te reprocherait, avec raison, ta témérité....

CAESAR.
  Say not so, Agrippa.
  If Cleopatra heard you, your reproof
  Were well deserved of rashness.

ANTOINE.
  — Je ne suis pas marié, César; laissez-moi entendre Agrippa.

ANTONY.
  I am not married, Caesar. Let me hear
  Agrippa further speak.

AGRIPPA.
  — Pour entretenir entre vous une éternelle amitié, pour faire de vous deux frères, et unir vos cœurs par un noeud indissoluble, il faut qu'Antoine épouse Octavie: sa beauté réclame pour époux le plus illustre des mortels; ses vertus et ses grâces en tout genre disent ce qu'elles peuvent seules exprimer. Cet hymen dissipera toutes ces petites jalousies, qui maintenant vous paraissent si grandes; et toutes les grandes craintes qui vous offrent maintenant des dangers sérieux s'évanouiront. Les vérités même ne vous paraîtront alors que des fables, tandis que la moitié d'une fable passe maintenant pour la vérité. Sa tendresse pour tous les deux vous enchaînerait l'un à l'autre et vous attirerait à tous deux tous les cœurs. Pardonnez ce que je viens de dire: ce n'est pas la pensée du moment, mais une idée étudiée et méditée par le devoir.

AGRIPPA.
  To hold you in perpetual amity,
  To make you brothers, and to knit your hearts
  With an unslipping knot, take Antony
  Octavia to his wife; whose beauty claims
  No worse a husband than the best of men;
  Whose virtue and whose general graces speak
  That which none else can utter. By this marriage
  All little jealousies, which now seem great,
  And all great fears, which now import their dangers,
  Would then be nothing. Truths would be tales,
  Where now half-tales be truths. Her love to both
  Would each to other, and all loves to both,
  Draw after her. Pardon what I have spoke,
  For ’tis a studied, not a present thought,
  By duty ruminated.

ANTOINE.
  — César veut-il parler?

ANTONY.
  Will Caesar speak?

CÉSAR.
  — Non, jusqu'à ce qu'il sache comment Antoine reçoit cette proposition.

CAESAR.
  Not till he hears how Antony is touched
  With what is spoke already.

ANTOINE.
  — Quels pouvoirs aurait Agrippa, pour accomplir ce qu'il propose, si je disais: Agrippa, j'y consens?

ANTONY.
  What power is in Agrippa,
  If I would say “Agrippa, be it so,”
  To make this good?

CÉSAR.
  — Le pouvoir de César, et celui qu'a César sur Octavie.

CAESAR.
  The power of Caesar, and
  His power unto Octavia.

ANTOINE.
  — Loin de moi la pensée de mettre obstacle à ce bon dessein, qui offre tant de belles espérances! (A César.) Donnez-moi votre main, accomplissez cette gracieuse ouverture, et qu'à compter de ce moment un cœur fraternel inspire notre tendresse mutuelle et préside à nos grands desseins.

ANTONY.
  May I never
  To this good purpose, that so fairly shows,
  Dream of impediment! Let me have thy hand.
  Further this act of grace; and from this hour
  The heart of brothers govern in our loves
  And sway our great designs!

CÉSAR.
  — Voilà ma main. Je vous cède une soeur aimée comme jamais soeur ne fut aimée de son frère. Qu'elle vive pour unir nos empires et nos cœurs, et que notre amitié ne s'évanouisse plus!

CAESAR.
  There’s my hand.
  A sister I bequeath you, whom no brother
  Did ever love so dearly. Let her live
  To join our kingdoms and our hearts; and never
  Fly off our loves again!

LÉPIDE.
  — Heureuse réconciliation! Ainsi soit-il.

LEPIDUS.
  Happily, amen!

ANTOINE.
  — Je ne songeais pas à tirer l'épée contre Pompée: il m'a tout récemment accablé des égards les plus grands et les plus rares; il faut qu'au moins je lui en exprime ma reconnaissance, pour me dérober au reproche d'ingratitude: immédiatement après, je lui envoie un défi.

ANTONY.
  I did not think to draw my sword ’gainst Pompey,
  For he hath laid strange courtesies and great
  Of late upon me. I must thank him only,
  Lest my remembrance suffer ill report;
  At heel of that, defy him.

LÉPIDE.
  — Le temps presse; il nous faut chercher tout de suite Pompée, ou il va nous prévenir.

LEPIDUS.
  Time calls upon ’s.
  Of us must Pompey presently be sought,
  Or else he seeks out us.

ANTOINE.
  — Et où est-il?

ANTONY.
  Where lies he?

CÉSAR.
  — Près du mont Misène.

CAESAR.
  About the Mount Misena.

ANTOINE.
  — Quelles sont ses forces sur terre?

ANTONY.
  What is his strength by land?

CÉSAR.
  — Elles sont grandes et augmentent tous les jours: sur mer, il est maître absolu.

CAESAR.
  Great and increasing; but by sea
  He is an absolute master.

ANTOINE.
  — C'est le bruit qui court. Je voudrais avoir eu une conférence avec lui: hâtons-nous de nous la procurer; mais avant de nous mettre en campagne, dépêchons l'affaire dont nous avons parlé.

ANTONY.
  So is the fame.
  Would we had spoke together! Haste we for it.
  Yet, ere we put ourselves in arms, dispatch we
  The business we have talked of.

CÉSAR.
  — Avec la plus grande joie, et je vous invite à venir voir ma soeur; je vais de ce pas vous conduire chez elle.

CAESAR.
  With most gladness,
  And do invite you to my sister’s view,
  Whither straight I’ll lead you.

ANTOINE.
  — Lépide, ne nous privez pas de votre compagnie.

ANTONY.
  Let us, Lepidus, not lack your company.

LÉPIDE.
  — Noble Antoine, les infirmités mêmes ne me retiendraient pas.

LEPIDUS.
  Noble Antony, not sickness should detain me.

    (Fanfares; Antoine, César, Lépide sortent.)

    [Flourish. Exeunt all except Enobarbus, Agrippa and Maecenas.]

MÉCÈNE.
  — Soyez le bienvenu d'Égypte, seigneur Énobarbus.

MAECENAS.
  Welcome from Egypt, sir.

ÉNOBARBUS.
  — Seconde moitié du cœur de César, digne Mécène! — Mon honorable ami Agrippa!

ENOBARBUS.
  Half the heart of Caesar, worthy Maecenas! My honourable friend,
  Agrippa!

AGRIPPA.
  — Bon Énobarbus!

AGRIPPA.
  Good Enobarbus!

MÉCÈNE.
  — Nous devons être joyeux, en voyant tout si heureusement terminé. — Vous vous êtes bien trouvé en Égypte?

MAECENAS.
  We have cause to be glad that matters are so well digested. You stayed well by ’t in Egypt.

ÉNOBARBUS.
  — Oui, Mécène. Nous dormions tant que le jour durait, et nous passions les nuits à boire jusqu'à la pointe du jour.

ENOBARBUS.
  Ay, sir, we did sleep day out of countenance and made the night light with drinking.

MÉCÈNE.
  — Huit sangliers rôtis pour un déjeuner! et douze convives seulement! Le fait est-il vrai?

MAECENAS.
  Eight wild boars roasted whole at a breakfast, and but twelve persons there. Is this true?

ÉNOBARBUS.
  — Ce n'était là qu'une mouche pour un aigle; nous avions, dans nos festins, bien d'autres plats monstrueux et dignes d'être remarqués.

ENOBARBUS.
  This was but as a fly by an eagle. We had much more monstrous matter of feast, which worthily deserved noting.

MÉCÈNE.
  — C'est une reine bien magnifique, si la renommée dit vrai.

MAECENAS.
  She’s a most triumphant lady, if report be square to her.

ÉNOBARBUS.
  — Dès sa première entrevue avec Marc-Antoine sur le fleuve Cydnus, elle a pris son cœur dans ses filets.

ENOBARBUS.
  When she first met Mark Antony, she pursed up his heart upon the river of Cydnus.

AGRIPPA.
  — En effet, c'est sur ce fleuve qu'elle s'est offerte à ses yeux, si celui qui m'en a fait le récit n'a pas inventé.

AGRIPPA.
  There she appeared indeed, or my reporter devised well for her.

ÉNOBARBUS.
  — Je vais vous raconter cette entrevue:
 
La galère où elle était assise, ainsi qu'un trône éclatant, semblait brûler sur les eaux. La poupe était d'or massif, les voiles de pourpre, et si parfumées, que les vents venaient s'y jouer avec amour. Les rames d'argent frappaient l'onde en cadence au son des flûtes, et les flots amoureux se pressaient à l'envie à la suite du vaisseau. Pour Cléopâtre, il n'est point d'expression qui puisse la peindre. Couchée sous un pavillon de tissu d'or, elle effaçait cette Vénus fameuse où nous voyons l'imagination surpasser la nature; à ses côtés étaient assis de jeunes et beaux enfants, comme un groupe de riants amours, qui agitaient des éventails de couleurs variées, dont le vent semblait colorer les joues délicates qu'ils rafraîchissaient comme s'ils eussent produit cette chaleur qu'ils diminuaient.

ENOBARBUS.
  I will tell you.
  The barge she sat in, like a burnished throne,
  Burned on the water. The poop was beaten gold;
  Purple the sails, and so perfumed that
  The winds were love-sick with them; the oars were silver,
  Which to the tune of flutes kept stroke, and made
  The water which they beat to follow faster,
  As amorous of their strokes. For her own person,
  It beggared all description: she did lie
  In her pavilion, cloth-of-gold of tissue,
  O’erpicturing that Venus where we see
  The fancy outwork nature. On each side her
  Stood pretty dimpled boys, like smiling Cupids,
  With divers-coloured fans, whose wind did seem
  To glow the delicate cheeks which they did cool,
  And what they undid did.

AGRIPPA.
  — O spectacle admirable pour Antoine!...

AGRIPPA.
  O, rare for Antony!

ÉNOBARBUS.
  — Ses femmes, comme autant de Néréides et de Sirènes, cherchaient à deviner ses ordres dans ses regards et s'inclinaient avec grâce. Une d'elles, telle qu'une vraie sirène, assise au gouvernail, dirige le vaisseau: les cordages de soie obéissent à ces mains douces comme les fleurs, qui manoeuvrent avec dextérité. Du sein de la galère s'exhalent d'invisibles parfums qui frappent les sens, sur les quais adjacents. La ville envoie tous ses habitants au-devant d'elle: Antoine, assis sur un trône au milieu de la place publique, est resté seul, haranguant l'air, qui, sans son horreur pour le vide, eût aussi été contempler Cléopâtre et eût abandonné sa place dans la nature.

ENOBARBUS.
  Her gentlewomen, like the Nereides,
  So many mermaids, tended her i’ th’ eyes,
  And made their bends adornings. At the helm
  A seeming mermaid steers. The silken tackle
  Swell with the touches of those flower-soft hands
  That yarely frame the office. From the barge
  A strange invisible perfume hits the sense
  Of the adjacent wharfs. The city cast
  Her people out upon her, and Antony,
  Enthroned i’ th’ market-place, did sit alone,
  Whistling to th’ air, which, but for vacancy,
  Had gone to gaze on Cleopatra too,
  And made a gap in nature.

AGRIPPA.
  — O merveille de l'Égypte!

AGRIPPA.
  Rare Egyptian!

ÉNOBARBUS.
  — Aussitôt qu'elle fut débarquée, Antoine envoya vers elle et l'invita à souper. Elle répondit qu'il vaudrait mieux qu'il devînt son hôte, et qu'elle l'en conjurait. Notre galant Antoine, à qui jamais femme n'entendit prononcer le mot non, va au festin après s'être fait raser dix fois, et, selon sa coutume, il paye de son cœur ce que ses yeux seuls ont dévoré.

ENOBARBUS.
  Upon her landing, Antony sent to her,
  Invited her to supper. She replied
  It should be better he became her guest,
  Which she entreated. Our courteous Antony,
  Whom ne’er the word of “No” woman heard speak,
  Being barbered ten times o’er, goes to the feast,
  And, for his ordinary, pays his heart
  For what his eyes eat only.

AGRIPPA.
  — Prostituée royale! elle fit déposer au grand César son épée sur son lit; il la cultiva, et elle porta un fruit.

AGRIPPA.
  Royal wench!
  She made great Caesar lay his sword to bed.
  He ploughed her, and she cropped.

ÉNOBARBUS.
  — Je l'ai vue une fois sauter à cloche-pied pendant quarante pas, dans les rues d'Alexandrie; et bientôt, perdant haleine, elle parla, tout essoufflée; elle se fit une nouvelle perfection de ce manque de forces, et de sa bouche sans haleine il s'exhalait un charme tout-puissant.

ENOBARBUS.
  I saw her once
  Hop forty paces through the public street
  And, having lost her breath, she spoke and panted,
  That she did make defect perfection,
  And, breathless, pour breath forth.

MÉCÈNE.
  — A présent, voilà Antoine obligé de la quitter pour toujours.

MAECENAS.
  Now Antony must leave her utterly.

ÉNOBARBUS.
  — Jamais, il ne la quittera pas. L'âge ne peut la flétrir, ni l'habitude épuiser l'infinie variété de ses appas. Les autres femmes rassasient les désirs qu'elles satisfont; mais elle, plus elle donne, plus elle affame; car les choses les plus viles ont de la grâce chez elle: tellement, que les prêtres sacrés la bénissent au milieu de ses débauches.

ENOBARBUS.
  Never. He will not.
  Age cannot wither her, nor custom stale
  Her infinite variety. Other women cloy
  The appetites they feed, but she makes hungry
  Where most she satisfies. For vilest things
  Become themselves in her, that the holy priests
  Bless her when she is riggish.

MÉCÈNE.
  — Si la beauté, la sagesse et la modestie peuvent fixer le cœur d'Antoine, Octavie est pour lui un heureux lot.

MAECENAS.
  If beauty, wisdom, modesty can settle
  The heart of Antony, Octavia is
  A blessed lottery to him.

AGRIPPA.
  — Allons-nous-en. Cher Énobarbus, deviens mon hôte pendant ton séjour ici.

AGRIPPA.
  Let us go.
  Good Enobarbus, make yourself my guest
  Whilst you abide here.

ÉNOBARBUS.
  — Seigneur, je vous remercie humblement.

ENOBARBUS.
  Humbly, sir, I thank you.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE III

SCENE III.

Rome.

Appartement de la maison de César.

Rome.

A Room in Caesar’s House.

    CÉSAR, ANTOINE, OCTAVIE au milieu d'eux, suite et un DEVIN.

    Enter Antony, Caesar, Octavia between them.

ANTOINE.
  — Le monde et ma charge importante m'arracheront quelquefois de vos bras.

ANTONY.
  The world and my great office will sometimes
  Divide me from your bosom.

OCTAVIE.
  — Tout le temps de votre absence j'irai fléchir les genoux devant les dieux et les prier pour vous.

OCTAVIA.
  All which time
  Before the gods my knee shall bow my prayers
  To them for you.

ANTOINE.
  — Adieu, seigneur... — Mon Octavie, ne jugez point mes torts sur les récits du monde. J'ai quelquefois passé les bornes, je l'avoue; mais, à l'avenir, ma conduite ne s'écartera plus de la règle. Adieu, chère épouse.

ANTONY.
  Good night, sir.—My Octavia,
  Read not my blemishes in the world’s report.
  I have not kept my square, but that to come
  Shall all be done by th’ rule. Good night, dear lady.

OCTAVIE.
  — Adieu, seigneur.

OCTAVIA.
  Good night, sir.

CÉSAR.
  — Adieu, Antoine.

CAESAR.
  Good night.

    (César et Octavie sortent.)

    [Exeunt Caesar and Octavia.]

    Enter Soothsayer.

ANTOINE.
  — Eh bien! maraud, voudrais-tu être encore en Égypte?

ANTONY.
  Now, sirrah, you do wish yourself in Egypt?

LE DEVIN.
  — Plût aux dieux que je n'en fusse jamais sorti, et que vous ne fussiez jamais venu ici!

SOOTHSAYER.
  Would I had never come from thence, nor you thither!

ANTOINE.
  — La raison, si tu peux la dire?

ANTONY.
  If you can, your reason.

LE DEVIN.
  — Je la devine par mon art; mais ma langue ne peut l'exprimer: retournez au plus tôt en Égypte.

SOOTHSAYER.
  I see it in my motion, have it not in my tongue.
  But yet hie you to Egypt again.

ANTOINE.
  — Dis-moi qui, de César ou de moi, élèvera le plus haut sa fortune.

ANTONY.
  Say to me,
  Whose fortunes shall rise higher, Caesar’s or mine?

LE DEVIN.
  — César. — O Antoine, ne reste donc point à ses côtés. Ton démon, c'est-à-dire l'esprit qui te protège est noble, courageux, fier, sans égal partout où celui de César n'est pas; mais près de lui ton ange se change en Terreur, comme s'il était dompté. Ainsi donc, mets toujours assez de distance entre lui et toi.

SOOTHSAYER.
  Caesar’s.
  Therefore, O Antony, stay not by his side.
  Thy dæmon—that thy spirit which keeps thee—is
  Noble, courageous, high, unmatchable,
  Where Caesar’s is not. But near him, thy angel
  Becomes afeard, as being o’erpowered. Therefore
  Make space enough between you.

ANTOINE.
  — Ne me parle plus de cela.

ANTONY.
  Speak this no more.

LE DEVIN.
  — Je n'en parle qu'à toi; je n'en parlerai jamais qu'à toi seul. — Si tu joues avec lui à quelque jeu que ce soit, tu es sûr de perdre. Il a tant de bonheur, qu'il te battra malgré tous tes avantages. Dès qu'il brille près de toi, ton éclat s'éclipse. Je te le répète encore: ton génie ne te gouverne qu'avec terreur, quand il te voit près de lui. Loin de César, il reprend toute sa grandeur.

SOOTHSAYER.
  To none but thee; no more but when to thee.
  If thou dost play with him at any game,
  Thou art sure to lose; and of that natural luck
  He beats thee ’gainst the odds. Thy lustre thickens
  When he shines by. I say again, thy spirit
  Is all afraid to govern thee near him;
  But, he away, ’tis noble.

ANTOINE.
  — Va-t'en et dis à Ventidius que je veux lui parler. (Le devin sort.) — Il marchera contre les Parthes... Soit science ou hasard, cet homme a dit la vérité. Les dés même obéissent à César, et, dans nos jeux, il gagne; ma plus grande adresse échoue contre son bonheur, si nous tirons au sort; ses coqs sont toujours vainqueurs des miens, quand toutes les chances sont pour moi, et ses cailles battent toujours les miennes dans l'enceinte où nous les excitons entre elles.—Je veux retourner en Égypte. Si j'accepte ce mariage, c'est pour assurer ma paix; mais tous mes plaisirs sont dans l'Orient. (Ventidius paraît.) Oh! viens, Ventidius; il faut marcher contre les Parthes: ta commission est prête; suis-moi, et viens la recevoir.

ANTONY.
  Get thee gone.
  Say to Ventidius I would speak with him.

[Exit Soothsayer.]

  He shall to Parthia. Be it art or hap,
  He hath spoken true. The very dice obey him,
  And in our sports my better cunning faints
  Under his chance. If we draw lots, he speeds;
  His cocks do win the battle still of mine
  When it is all to naught, and his quails ever
  Beat mine, inhooped, at odds. I will to Egypt:
  And though I make this marriage for my peace,
  I’ th’ East my pleasure lies.

Enter Ventidius.

  O, come, Ventidius,
  You must to Parthia. Your commission’s ready.
  Follow me and receive ’t.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE IV

SCENE IV.

Une rue de Rome.

Rome.

A street.

    LÉPIDE, MÉCÈNE, AGRIPPA.

    Enter Lepidus, Maecenas and Agrippa.

LÉPIDE.
  — Qu'aucun soin ne vous retienne plus longtemps: hâtez-vous de suivre vos généraux.

LEPIDUS.
  Trouble yourselves no further. Pray you hasten
  Your generals after.

AGRIPPA.
  — Seigneur, Marc-Antoine ne demande que le temps d'embrasser Octavie, et nous partons.

AGRIPPA.
  Sir, Mark Antony
  Will e’en but kiss Octavia, and we’ll follow.

LÉPIDE.
  — Adieu donc, jusqu'à ce que je vous voie revêtus de votre armure guerrière, qui vous sied si bien à tous deux.

LEPIDUS.
  Till I shall see you in your soldier’s dress,
  Which will become you both, farewell.

MÉCÈNE.
  — Si je ne me trompe sur ce voyage, Lépide, nous serons avant vous au mont de Misène.

MAECENAS.
  We shall,
  As I conceive the journey, be at the Mount
  Before you, Lepidus.

LÉPIDE.
  — Votre route est la plus courte: mes desseins m'obligent de prendre des détours, et vous gagnerez deux journées sur moi.

LEPIDUS.
  Your way is shorter;
  My purposes do draw me much about.
  You’ll win two days upon me.

AGRIPPA ET MÉCÈNE.
  — Bon succès, seigneur!

BOTH.
  Sir, good success!

LÉPIDE.
  — Adieu.

LEPIDUS.
  Farewell.

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE V

SCENE V.

Alexandrie.

Appartement du palais.

Alexandria.

A Room in the Palace.

    CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, ALEXAS.

    Enter Cleopatra, Charmian, Iras, Alexas.

CLÉOPÂTRE.
  — Faites-moi de la musique. La musique est l'aliment mélancolique de ceux qui ne vivent que d'amour.

CLEOPATRA.
  Give me some music—music, moody food
  Of us that trade in love.

LES SUIVANTES.
  — La musique! Eh!

ALL.
  The music, ho!

    (Mardian entre.)

    Enter Mardian, the eunuch.

CLÉOPÂTRE.
  — Non, point de musique; allons plutôt jouer au billard. Viens, Charmiane.

CLEOPATRA.
  Let it alone. Let’s to billiards. Come, Charmian.

CHARMIANE.
  — Mon bras me fait mal; vous ferez mieux de jouer avec Mardian.

CHARMIAN.
  My arm is sore. Best play with Mardian.

CLÉOPÂTRE.
  — Autant jouer avec un eunuque qu'avec une femme. Allons, Mardian, veux-tu faire ma partie?

CLEOPATRA.
  As well a woman with an eunuch played
  As with a woman. Come, you’ll play with me, sir?

MARDIAN.
  — Aussi bien que je pourrai, madame.

MARDIAN.
  As well as I can, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — Dès que l'acteur montre de la bonne volonté, quand il ne réussirait pas, il a droit à notre indulgence. — Mais je ne jouerai pas à présent. — Donnez-moi mes lignes; nous irons à la rivière, et là, tandis que ma musique se fera entendre dans le lointain, je tendrai des pièges aux poissons dorés: mon hameçon courbé percera leurs molles ouïes.....et à chaque poisson que je tirerai hors de l'eau, m'imaginant prendre un Antoine, je m'écrierai: Ah! vous voilà pris.

CLEOPATRA.
  And when good will is showed, though’t come too short,
  The actor may plead pardon. I’ll none now.
  Give me mine angle; we’ll to the river. There,
  My music playing far off, I will betray
  Tawny-finned fishes. My bended hook shall pierce
  Their slimy jaws, and as I draw them up
  I’ll think them every one an Antony,
  And say “Ah, ha! You’re caught.”

CHARMIANE.
  — C'était un tour bien plaisant, lorsque vous fites une gageure avec Antoine sur votre pêche, et qu'il tira de l'eau avec transport un poisson salé que votre plongeur avait attaché à sa ligne.

CHARMIAN.
  ’Twas merry when
  You wagered on your angling; when your diver
  Did hang a salt fish on his hook, which he
  With fervency drew up.

CLÉOPÂTRE.
  — Ce temps-là! O temps! Je le plaisantai jusqu'à lui faire perdre patience; la nuit suivante, ma gaieté lui rendit la patience, et le lendemain matin, avant la neuvième heure, je l'enivrai au point qu'il alla se mettre au lit: je le couvris de mes robes et de mes manteaux, et moi je ceignis son épée Philippine.... (Entre un messager.) Oh! des nouvelles d'Italie! Introduis tes fécondes nouvelles dans mes oreilles, qui ont été si longtemps à sec.

CLEOPATRA.
  That time?—O times!—
  I laughed him out of patience; and that night
  I laughed him into patience, and next morn,
  Ere the ninth hour, I drunk him to his bed,
  Then put my tires and mantles on him, whilst
  I wore his sword Philippan.

    Enter Messenger.

  O! from Italy!
  Ram thou thy fruitful tidings in mine ears,
  That long time have been barren.

LE MESSAGER.
  — Madame.... madame....

MESSENGER.
  Madam, madam—

CLÉOPÂTRE.
  — Antoine est mort? Si tu le dis, misérable, tu assassines ta maîtresse. Mais s'il est libre et bien portant, si c'est là ce que tu viens m'apprendre, voilà de l'or, et baise les veines azurées de cette main, de cette main que des rois ont pressée de leurs lèvres, et n'ont baisée qu'en tremblant.

CLEOPATRA.
  Antony’s dead! If thou say so, villain,
  Thou kill’st thy mistress. But well and free,
  If thou so yield him, there is gold, and here
  My bluest veins to kiss, a hand that kings
  Have lipped, and trembled kissing.

LE MESSAGER.
  — D'abord, madame: il se porte bien.

MESSENGER.
  First, madam, he’s well.

CLÉOPÂTRE.
  — Tiens, voilà encore de l'or; mais prends garde, coquin. Nous disons ordinairement que les morts vont bien. Si c'est là ce que tu veux dire, cet or que je te donne, je le ferai fondre et le verserai tout brûlant dans la gorge qui annonce des malheurs.

CLEOPATRA.
  Why, there’s more gold.
  But sirrah, mark, we use
  To say the dead are well. Bring it to that,
  The gold I give thee will I melt and pour
  Down thy ill-uttering throat.

LE MESSAGER.
  — Grande reine, daignez m'écouter.

MESSENGER.
  Good madam, hear me.

CLÉOPÂTRE.
  — Allons, j'y consens; poursuis: mais il n'y a rien de bon dans ta figure. Si Antoine est libre et plein de santé, pourquoi cette physionomie si sombre, pour annoncer des nouvelles si heureuses? S'il n'est pas bien, tu devrais te présenter devant moi comme une furie couronnée de serpents, et non sous la forme d'un homme.

CLEOPATRA.
  Well, go to, I will.
  But there’s no goodness in thy face if Antony
  Be free and healthful. So tart a favour
  To trumpet such good tidings! If not well,
  Thou shouldst come like a Fury crowned with snakes,
  Not like a formal man.

LE MESSAGER.
  — Vous plaît-il de m'entendre?

MESSENGER.
  Will’t please you hear me?

CLÉOPÂTRE.
  — J'ai envie de te frapper avant que tu parles. Cependant, si tu me dis qu'Antoine vit et se porte bien, ou qu'il est ami de César, et non pas son esclave, je verserai sur ta tête une pluie d'or et une grêle de perles.

CLEOPATRA.
  I have a mind to strike thee ere thou speak’st.
  Yet if thou say Antony lives, is well,
  Or friends with Caesar, or not captive to him,
  I’ll set thee in a shower of gold and hail
  Rich pearls upon thee.

LE MESSAGER.
  — Madame, il se porte bien.

MESSENGER.
  Madam, he’s well.

CLÉOPÂTRE.
  — C'est bien parlé.

CLEOPATRA.
  Well said.

LE MESSAGER.
  — Et il est ami de César.

MESSENGER.
  And friends with Caesar.

CLÉOPÂTRE.
  — Tu es un brave homme.

CLEOPATRA.
  Th’ art an honest man.

LE MESSAGER.
  — César et lui sont plus amis que jamais.

MESSENGER.
  Caesar and he are greater friends than ever.

CLÉOPÂTRE.
  — Tu feras ta fortune avec moi.

CLEOPATRA.
  Make thee a fortune from me.

LE MESSAGER.
  — Mais cependant, madame...

MESSENGER.
  But yet, madam—

CLÉOPÂTRE.
  — Je n'aime point ce mais cependant, il gâte les bonnes nouvelles; j'abhorre ce mais qui précède cependant. Mais cependant est comme un geôlier qui va traîner après lui quelque monstrueux malfaiteur. De grâce, ami, verse tout ce que tu portes dans mon oreille, le bien et le mal à la fois... Il est ami de César, il est en pleine santé, dis-tu? il est libre, dis-tu encore?

CLEOPATRA.
  I do not like “But yet”, it does allay
  The good precedence. Fie upon “But yet”!
  “But yet” is as a gaoler to bring forth
  Some monstrous malefactor. Prithee, friend,
  Pour out the pack of matter to mine ear,
  The good and bad together: he’s friends with Caesar,
  In state of health, thou say’st; and, thou say’st, free.

LE MESSAGER.
  — Libre, madame, non; je ne vous ai rien dit de semblable. Il est lié à Octavie.

MESSENGER.
  Free, madam? No. I made no such report.
  He’s bound unto Octavia.

CLÉOPÂTRE.
  — Pour quel service?

CLEOPATRA.
  For what good turn?

LE MESSAGER.
  — Pour le meilleur service, celui du lit.

MESSENGER.
  For the best turn i’ th’ bed.

CLÉOPÂTRE.
  — Je pâlis, Charmiane.

CLEOPATRA.
  I am pale, Charmian.

LE MESSAGER.
  — Madame, il est marié à Octavie.

MESSENGER.
  Madam, he’s married to Octavia.

CLÉOPÂTRE.
  — Que la peste la plus contagieuse t'atteigne!

CLEOPATRA.
  The most infectious pestilence upon thee!

    [Strikes him down.]

LE MESSAGER.
  — Madame, de la patience.

MESSENGER.
  Good madam, patience.

CLÉOPÂTRE.
  — Que dis-tu? Sors d'ici, horrible scélérat! (Elle le frappe) ou avec mon pied je repousserai tes yeux comme des billes; j'arracherai tous les cheveux de ta tête. (Elle le maltraite.) Tu seras fouetté avec des verges de fer trempées dans de l'eau salée; tes plaies, imprégnées de saumure, seront cuisantes.

CLEOPATRA.
  What say you?

    [Strikes him again.]

  Hence, horrible villain, or I’ll spurn thine eyes
  Like balls before me! I’ll unhair thy head!

    [She hales him up and down.]

  Thou shalt be whipped with wire and stewed in brine,
  Smarting in ling’ring pickle.

LE MESSAGER.
  — Gracieuse reine, je vous apporte ces nouvelles, mais je n'ai pas fait le mariage.

MESSENGER.
  Gracious madam,
  I that do bring the news made not the match.

CLÉOPÂTRE.
  — Dis que ce n'est pas vrai, et je te donnerai une province; tu parviendras à la fortune la plus brillante. Le coup que tu as reçu te fera pardonner de m'avoir mise en fureur, et je t'accorderai, en outre, tout ce que tu jugeras à propos de demander.

CLEOPATRA.
  Say ’tis not so, a province I will give thee,
  And make thy fortunes proud. The blow thou hadst
  Shall make thy peace for moving me to rage,
  And I will boot thee with what gift beside
  Thy modesty can beg.

LE MESSAGER.
  — Il est marié, madame.

MESSENGER.
  He’s married, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — Scélérat, tu as trop vécu.

CLEOPATRA.
  Rogue, thou hast lived too long.

    (Elle tire un poignard.)

    [Draws a knife.]

LE MESSAGER.
  — Ah! alors, je me sauve. Madame, que prétendez-vous? Je ne suis coupable d'aucune faute.

MESSENGER.
  Nay then I’ll run.
  What mean you, madam? I have made no fault.

    [Exit.]

CHARMIANE.
  — Madame, contenez-vous; cet homme est innocent.

CHARMIAN.
  Good madam, keep yourself within yourself.
  The man is innocent.

CLÉOPÂTRE.
  — Il est des innocents qui n'échappent pas à la foudre!... Que l'Égypte s'ensevelisse dans le Nil, et que toutes les créatures bienfaisantes se transforment en serpents!... Rappelez cet esclave: malgré ma rage, je ne le mordrai point; rappelez-le.

CLEOPATRA.
  Some innocents ’scape not the thunderbolt.
  Melt Egypt into Nile, and kindly creatures
  Turn all to serpents! Call the slave again.
  Though I am mad, I will not bite him. Call!

CHARMIANE.
  — Il a peur de revenir.

CHARMIAN.
  He is afeard to come.

CLÉOPÂTRE.
  — Je ne le maltraiterai point: ces mains s'avilissent en frappant un malheureux au-dessous de moi, sans autre sujet que celui que je me suis donné moi-même. Approche, mon ami. (Le messager revient.) Il n'y a pas de crime; mais il y a toujours du danger à être porteur de mauvaises nouvelles. Emprunte cent voix pour un message agréable, mais laisse les nouvelles fâcheuses s'annoncer elles-mêmes en se faisant sentir.

CLEOPATRA.
  I will not hurt him.

    [Exit Charmian.]

  These hands do lack nobility that they strike
  A meaner than myself, since I myself
  Have given myself the cause.

    Enter the Messenger again with Charmian.

  Come hither, sir.
  Though it be honest, it is never good
  To bring bad news. Give to a gracious message
  An host of tongues, but let ill tidings tell
  Themselves when they be felt.

LE MESSAGER.
  — J'ai rempli mon devoir.

MESSENGER.
  I have done my duty.

CLÉOPÂTRE.
  — Il est marié? Il ne m'est pas possible de te haïr plus que je ne fais, si tu dis encore oui.

CLEOPATRA.
  Is he married?
  I cannot hate thee worser than I do
  If thou again say “Yes.”

LE MESSAGER.
  — Il est marié, madame.

MESSENGER.
  He’s married, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — Que les dieux te confondent! tu oses donc persister?

CLEOPATRA.
  The gods confound thee! Dost thou hold there still!

LE MESSAGER.
  — Dois-je mentir, madame?

MESSENGER.
  Should I lie, madam?

CLÉOPÂTRE.
  — Oh! je voudrais que tu m'eusses menti; dût la moitié de mon Égypte être submergée et changée en citerne pour les serpents écailleux! Va, va-t'en. Eusses-tu la beauté de Narcisse, tu me paraîtrais hideux... Il est marié?...

CLEOPATRA.
  O, I would thou didst,
  So half my Egypt were submerged and made
  A cistern for scaled snakes! Go, get thee hence.
  Hadst thou Narcissus in thy face, to me
  Thou wouldst appear most ugly. He is married?

LE MESSAGER.
  — Je demande pardon à Votre Majesté.

MESSENGER.
  I crave your highness’ pardon.

CLÉOPÂTRE.
  — Il est marié?

CLEOPATRA.
  He is married?

LE MESSAGER.
  — Ne soyez point offensée de ce que je ne voulais pas vous déplaire. Me punir, pour obéir à vos ordres, ne me paraît pas juste. Il est marié à Octavie.

MESSENGER.
  Take no offence that I would not offend you.
  To punish me for what you make me do
  Seems much unequal. He’s married to Octavia.

CLÉOPÂTRE.
  — Oh! pourquoi son crime fait-il de toi, à mes yeux, un scélérat que tu n'es pas! Quoi! es-tu bien sûr de ce que tu dis?... Va-t'en, la marchandise que tu as apportée de Rome est trop chère pour moi. Qu'elle repose sur ta tête, et qu'elle cause ta perte.

CLEOPATRA.
  O, that his fault should make a knave of thee
  That art not what thou’rt sure of! Get thee hence!
  The merchandise which thou hast brought from Rome
  Are all too dear for me. Lie they upon thy hand,
  And be undone by ’em!

    (Le messager sort.)

    [Exit Messenger.]

CHARMIANE.
  — Noble reine, de la patience.

CHARMIAN.
  Good your highness, patience.

CLÉOPÂTRE.
  — En louant Antoine, j'ai déprécié César.

CLEOPATRA.
  In praising Antony I have dispraised Caesar.

CHARMIANE.
  — Bien, bien des fois, madame.

CHARMIAN.
  Many times, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — J'en suis punie aujourd'hui. Qu'on m'emmène de ce lieu. Je succombe. Oh! Iras, Charmiane. — N'importe. — Cher Alexas, va trouver cet homme, dis-lui de te rendre compte des traits d'Octavie, de son âge, de ses inclinations; qu'il n'oublie pas de dire la couleur de ses cheveux. Reviens promptement m'en instruire. (Alexas sort.) Qu'il m'abandonne à jamais! — Mais non. — Charmiane, quoique sous une face il m'offre les traits de Gorgone, sous les autres il me parait un dieu Mars. — Recommande à Alexas de me rapporter de quelle taille elle est. — Aie pitié de moi, Charmiane; mais ne me parle pas, conduis-moi à ma chambre.

CLEOPATRA.
  I am paid for’t now.
  Lead me from hence;
  I faint. O Iras, Charmian! ’Tis no matter.
  Go to the fellow, good Alexas, bid him
  Report the feature of Octavia, her years,
  Her inclination; let him not leave out
  The colour of her hair. Bring me word quickly.

    [Exit Alexas.]

  Let him for ever go—let him not, Charmian.
  Though he be painted one way like a Gorgon,
  The other way ’s a Mars. [To Mardian] Bid you Alexas
  Bring me word how tall she is. Pity me, Charmian,
  But do not speak to me. Lead me to my chamber.

    (Elles sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE VI

SCENE VI.

Les côtes d'Italie, près de Misène.

Near Misenum.

    POMPÉE ET MÉNAS entrent d'un côté au son du tambour et des trompettes; de l'autre, CÉSAR, ANTOINE, LÉPIDE, ÉNOBARBUS, MÉCÈNE ET AGRIPPA paraissent avec leurs soldats.

    Flourish. Enter Pompey and Menas at one door, with drum and trumpet; at another, Caesar, Lepidus, Antony, Enobarbus, Maecenas, Agrippa, with Soldiers marching.

POMPÉE.
  — J'ai reçu vos otages, vous avez les miens, et nous causerons avant de nous battre.

POMPEY.
  Your hostages I have, so have you mine,
  And we shall talk before we fight.

CÉSAR.
  — Il convient que nous commencions par conférer ensemble, et c'est pourquoi nous vous avons envoyé nos propositions par écrit. Si vous les avez examinées, faites-nous savoir si elles enchaîneront votre épée mécontente, et renverront en Sicile une foule de belle jeunesse, qui autrement doit périr ici.

CAESAR.
  Most meet
  That first we come to words, and therefore have we
  Our written purposes before us sent,
  Which if thou hast considered, let us know
  If ’twill tie up thy discontented sword
  And carry back to Sicily much tall youth
  That else must perish here.

POMPÉE.
  — C'est à vous trois que je parle, vous les seuls sénateurs de ce vaste univers et les illustres agents des dieux. — Je ne vois pas pourquoi mon père manquerait de vengeurs, puisqu'il laisse un fils et des amis; tandis que Jules César, dont le fantôme apparut à Philippes au vertueux Brutus, vous vit alors travailler pour lui. Quel motif engagea le pâle Cassius à conspirer? Et ce Romain vénéré de tous les hommes, le vertueux Brutus, quel motif le porta, avec les autres guerriers de son parti, amants de la belle liberté, à ensanglanter le Capitole? Ils ne voulaient voir qu'un homme dans un homme, et rien de plus. C'est le même motif qui m'a porté à équiper ma flotte, dont le poids fait écumer l'Océan indigné; avec elle, je veux châtier l'ingratitude que l'injuste Rome a montrée à mon illustre père.

POMPEY.
  To you all three,
  The senators alone of this great world,
  Chief factors for the gods: I do not know
  Wherefore my father should revengers want,
  Having a son and friends, since Julius Caesar,
  Who at Philippi the good Brutus ghosted,
  There saw you labouring for him. What was’t
  That moved pale Cassius to conspire? And what
  Made the all-honoured, honest Roman, Brutus,
  With the armed rest, courtiers of beauteous freedom,
  To drench the Capitol, but that they would
  Have one man but a man? And that is it
  Hath made me rig my navy, at whose burden
  The angered ocean foams, with which I meant
  To scourge th’ ingratitude that despiteful Rome
  Cast on my noble father.

CÉSAR.
  — Prenez votre temps.

CAESAR.
  Take your time.

ANTOINE.
  — Pompée, tu ne peux nous intimider avec tes vaisseaux. Nous te répondrons sur mer. Sur terre, tu sais combien nos forces dépassent les tiennes.

ANTONY.
  Thou canst not fear us, Pompey, with thy sails.
  We’ll speak with thee at sea. At land thou know’st
  How much we do o’ercount thee.

POMPÉE.
  — Sur terre, en effet, tes biens dépassent les miens, tu as la maison de mon père; mais puisque le coucou prend le nid des autres oiseaux, reste-s-y tant que tu pourras.

POMPEY.
  At land indeed
  Thou dost o’ercount me of my father’s house;
  But since the cuckoo builds not for himself,
  Remain in’t as thou mayst.

LÉPIDE.
  — Ayez la bonté de nous dire, car tout ceci s'éloigne de la question présente, ce que vous décidez sur les offres que nous vous avons envoyées?

LEPIDUS.
  Be pleased to tell us—
  For this is from the present—how you take
  The offers we have sent you.

CÉSAR.
  — Oui, voilà le point.

CAESAR.
  There’s the point.

ANTOINE.
  — On ne te prie pas de consentir. C'est à toi de peser les choses, et de voir quel parti tu dois embrasser.

ANTONY.
  Which do not be entreated to, but weigh
  What it is worth embraced.

CÉSAR.
  — Et quelles suites peut avoir l'envie de tenter une plus grande fortune.

CAESAR.
  And what may follow
  To try a larger fortune.

POMPÉE.
  — Vous m'offrez la Sicile et la Sardaigne, sous la condition que je purgerai la mer des pirates, et que j'enverrai du froment à Rome; ceci convenu, nous nous séparerons avec nos épées sans brèche et nos boucliers sans traces de combat?

POMPEY.
  You have made me offer
  Of Sicily, Sardinia; and I must
  Rid all the sea of pirates; then to send
  Measures of wheat to Rome. This ’greed upon,
  To part with unhacked edges and bear back
  Our targes undinted.

CÉSAR, ANTOINE ET LÉPIDE.
  — C'est ce que nous offrons.

CAESAR, ANTONY, and LEPIDUS.
  That’s our offer.

POMPÉE.
  — Sachez donc que je suis ici devant vous, en homme disposé à accepter vos offres. Mais Marc-Antoine m'a un peu impatienté. Quand je devrais perdre le prix du bienfait en le rappelant, vous devez vous souvenir, Antoine, que, lorsque César et votre frère étaient en guerre, votre mère se réfugia en Sicile, et qu'elle y trouva un accueil amical.

POMPEY.
  Know, then,
  I came before you here a man prepared
  To take this offer. But Mark Antony
  Put me to some impatience. Though I lose
  The praise of it by telling, you must know
  When Caesar and your brother were at blows,
  Your mother came to Sicily and did find
  Her welcome friendly.

ANTOINE.
  — J'en suis instruit, Pompée, et je me préparais à vous exprimer toute la reconnaissance que je vous dois.

ANTONY.
  I have heard it, Pompey,
  And am well studied for a liberal thanks
  Which I do owe you.

POMPÉE.
  — Donnez-moi votre main. — Je ne m'attendais pas, seigneur, à vous rencontrer en ces lieux.

POMPEY.
  Let me have your hand.
  I did not think, sir, to have met you here.

ANTOINE.
  — Les lits d'Orient sont bien doux! et je vous dois des remerciements, car c'est vous qui m'avez fait revenir ici plus tôt que je ne comptais, et j'y ai beaucoup gagné.

ANTONY.
  The beds i’ th’ East are soft; and thanks to you,
  That called me timelier than my purpose hither,
  For I have gained by ’t.

CÉSAR.
  — Vous me paraissez changé depuis la dernière fois que je vous ai vu.

CAESAR.
  Since I saw you last,
  There is a change upon you.

POMPÉE.
  — Peut-être; je ne sais pas quelles marques la fortune trace sur mon visage; mais elle ne pénétrera jamais dans mon sein pour asservir mon cœur.

POMPEY.
  Well, I know not
  What counts harsh Fortune casts upon my face,
  But in my bosom shall she never come
  To make my heart her vassal.

LÉPIDE.
  — Je suis bien satisfait de vous voir ici.

LEPIDUS.
  Well met here.

POMPÉE.
  — Je l'espère, Lépide. — Ainsi, nous voilà d'accord. Je désire que notre traité soit mis par écrit et scellé par nous.

POMPEY.
  I hope so, Lepidus. Thus we are agreed.
  I crave our composition may be written
  And sealed between us.

CÉSAR.
  — C'est ce qu'il faut faire tout de suite.

CAESAR.
  That’s the next to do.

POMPÉE.
  — Il faut nous fêter mutuellement avant de nous séparer. Tirons au sort à qui commencera.

POMPEY.
  We’ll feast each other ere we part, and let’s
  Draw lots who shall begin.

ANTOINE.
  — Moi, Pompée.

ANTONY.
  That will I, Pompey.

POMPÉE.
  — Non, Antoine, il faut que le sort en décide. Mais, que vous soyez le premier ou le dernier, votre fameuse cuisine égyptienne aura toujours la supériorité. J'ai ouï dire que Jules César acquit de l'embonpoint dans les banquets de cette contrée.

POMPEY.
  No, Antony, take the lot.
  But, first or last, your fine Egyptian cookery
  Shall have the fame. I have heard that Julius Caesar
  Grew fat with feasting there.

ANTOINE.
  — Vous avez ouï dire bien des choses.

ANTONY.
  You have heard much.

POMPÉE.
  — Mon intention est innocente.

POMPEY.
  I have fair meanings, sir.

ANTOINE.
  — Et vos paroles aussi.

ANTONY.
  And fair words to them.

POMPÉE.
  — Voilà ce que j'ai ouï dire, et aussi qu'Appollodore porta...

POMPEY.
  Then so much have I heard.
  And I have heard Apollodorus carried—

ÉNOBARBUS.
  — N'en parlons plus. Le fait est vrai.

ENOBARBUS.
  No more of that. He did so.

POMPÉE.
  — Quoi, s'il vous plaît?

POMPEY.
  What, I pray you?

ÉNOBARBUS.
  — Une certaine reine à César dans un matelas.

ENOBARBUS.
  A certain queen to Caesar in a mattress.

POMPÉE.
  — Je te reconnais à présent. Comment te portes-tu, guerrier?

POMPEY.
  I know thee now. How far’st thou, soldier?

ÉNOBARBUS.
  — Fort bien; et il y a apparence que je continuerai, car j'aperçois à l'horizon quatre festins.

ENOBARBUS.
  Well;
  And well am like to do, for I perceive
  Four feasts are toward.

POMPÉE.
  — Donne-moi une poignée de main: je ne t'ai jamais haï; je t'ai vu combattre, et tu m'as rendu jaloux de ta valeur.

POMPEY.
  Let me shake thy hand.
  I never hated thee. I have seen thee fight
  When I have envied thy behaviour.

ÉNOBARBUS.
  — Moi, seigneur, je ne vous ai jamais beaucoup aimé; mais j'ai fait votre éloge, quand vous méritiez dix fois plus de louanges que je ne le disais.

ENOBARBUS.
  Sir,
  I never loved you much, but I ha’ praised ye
  When you have well deserved ten times as much
  As I have said you did.

POMPÉE.
  — Conserve ta franchise, elle te sied bien. — Je vous invite tous à bord de ma galère. Voulez-vous me précéder, seigneurs?

POMPEY.
  Enjoy thy plainness;
  It nothing ill becomes thee.
  Aboard my galley I invite you all.
  Will you lead, lords?

TOUS.
  — Montrez-nous le chemin.

CAESAR, ANTONY, and LEPIDUS.
  Show’s the way, sir.

POMPÉE.
  — Allons, venez.

POMPEY.
  Come.

(Pompée, César, Antoine, Lépide, les soldats et la suite sortent.)

[Exeunt all but Enobarbus and Menas.]

MÉNAS, à part.
  — Ton père, Pompée, n'eût jamais fait ce traité. (À Énobarbus.) Nous nous sommes connus, seigneur?

MENAS.
  [Aside.] Thy father, Pompey, would ne’er have made this treaty.—
  You and I have known, sir.

ÉNOBARBTUS.
  — Sur mer, je crois.

ENOBARBUS.
  At sea, I think.

MÉNAS.
  — Oui, seigneur.

MENAS.
  We have, sir.

ÉNOBARBUS.
  — Vous avez fait des prouesses sur mer.

ENOBARBUS.
  You have done well by water.

MÉNAS.
  — Et vous sur terre.

MENAS.
  And you by land.

ÉNOBARBUS.
  — Je louerai toujours qui me louera. Mais on ne peut nier mes exploits sur terre.

ENOBARBUS.
  I will praise any man that will praise me, though it cannot be denied what I have done by land.

MÉNAS.
  — Ni mes exploits de mer non plus.

MENAS.
  Nor what I have done by water.

ÉNOBARBUS.
  — Oui, mais il y a quelque chose que vous pouvez nier, pour votre sûreté.
  — Vous avez été un grand voleur sur mer.

ENOBARBUS.
  Yes, something you can deny for your own safety: you have been a great thief by sea.

MÉNAS.
  — Et vous sur terre.

MENAS.
  And you by land.

ÉNOBARBUS.
  — A ce titre, je nie mes services de terre.
  — Mais donnez-moi votre main, Ménas: si nos yeux avaient quelque autorité, ils pourraient surprendre deux voleurs qui s'embrassent.

ENOBARBUS.
  There I deny my land service. But give me your hand, Menas. If our eyes had authority, here they might take two thieves kissing.

MÉNAS.
  — Le visage des hommes est sincère, quoi que fassent leurs mains.

MENAS.
  All men’s faces are true, whatsome’er their hands are.

ÉNOBARBUS.
  — Mais il n'y eut jamais une belle femme dont le visage fût sincère.

ENOBARBUS.
  But there is never a fair woman has a true face.

MÉNAS.
  — Ce n'est pas une calomnie: elles volent les cœurs.

MENAS.
  No slander. They steal hearts.

ÉNOBARBUS.
  — Nous sommes venus ici pour vous combattre.

ENOBARBUS.
  We came hither to fight with you.

MÉNAS.
  — Quant à moi, je suis fâché que cela soit changé en débauche. Pompée, aujourd'hui, perd sa fortune en riant.

MENAS.
  For my part, I am sorry it is turned to a drinking. Pompey doth this day laugh away his fortune.

ÉNOBARBUS.
  — Si cela est, il est sûr que ses larmes ne la rappelleront pas.

ENOBARBUS.
  If he do, sure he cannot weep ’t back again.

MÉNAS.
  — Vous l'avez dit, seigneur.
  — Nous ne nous attendions pas à trouver Marc-Antoine ici. Mais, je vous prie, est-il marié à Cléopâtre?

MENAS.
  You have said, sir. We looked not for Mark Antony here. Pray you, is he married to Cleopatra?

ÉNOBARBUS.
  — La soeur de César se nomme Octavie.

ENOBARBUS.
  Caesar’s sister is called Octavia.

MÉNAS.
  — Oui; elle était femme de Caïus Marcellus.

MENAS.
  True, sir. She was the wife of Caius Marcellus.

ÉNOBARBUS.
  — Mais elle est maintenant la femme de Marc-Antoine.

ENOBARBUS.
  But she is now the wife of Marcus Antonius.

MÉNAS.
  — Plaît-il, seigneur?

MENAS.
  Pray you, sir?

ÉNOBARBUS.
  — Rien de plus vrai.

ENOBARBUS.
  ’Tis true.

MÉNAS.
  — Les voilà donc, César et lui, liés ensemble pour jamais.

MENAS.
  Then is Caesar and he for ever knit together.

ÉNOBARBUS.
  — Si j'étais obligé de deviner le sort de cette union, je ne prédirais pas ainsi.

ENOBARBUS.
  If I were bound to divine of this unity, I would not prophesy so.

MÉNAS.
  — Je présume que la politique a eu plus de part que l'amour à cette alliance?

MENAS.
  I think the policy of that purpose made more in the marriage than the   love of the parties.

ÉNOBARBUS.
  — Je le crois comme vous. Vous verrez que le noeud qui semble aujourd'hui resserrer leur amitié étranglera l'affection. Octavie est d'une humeur chaste, froide et tranquille.

ENOBARBUS.
  I think so too. But you shall find the band that seems to tie their   friendship together will be the very strangler of their amity. Octavia   is of a holy, cold, and still conversation.

MÉNAS.
  — Qui ne voudrait que sa femme fût ainsi?

MENAS.
  Who would not have his wife so?

ÉNOBARBUS.
  — Celui qui n'a lui-même aucune de ces qualités; c'est-à-dire Marc-Antoine. Il retournera à son plat égyptien. Alors les soupirs d'Octavie enflammeront la colère de César; et, comme je viens de le dire, ce qui paraît faire la force de leur amitié, sera précisément la cause de leur rupture. Antoine laissera toujours son cœur où il l'a placé; il n'a épousé ici que les circonstances.

ENOBARBUS.
  Not he that himself is not so; which is Mark Antony. He will to his Egyptian dish again. Then shall the sighs of Octavia blow the fire up in Caesar, and, as I said before, that which is the strength of their amity shall prove the immediate author of their variance. Antony will use his affection where it is. He married but his occasion here.

MÉNAS.
  — Cela pourrait bien être. Allons, seigneur, voulez-vous venir à bord? j'ai une santé à vous faire boire.

MENAS.
  And thus it may be. Come, sir, will you aboard? I have a health for you.

ÉNOBARBUS.
  — Je l'accepterai. Nous avons utilisé nos gosiers en Égypte.

ENOBARBUS.
  I shall take it, sir. We have used our throats in Egypt.

MÉNAS.
  — Allons, venez.

MENAS.
  Come, let’s away.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE VII

SCENE VII.

A bord de la galère de Pompée, près de Messine.
On board Pompey’s Galley, lying near Misenum.

SYMPHONIE. Entrent deux ou trois serviteurs avec un dessert.

Music. Enter two or three Servants with a banquet.

PREMIER SERVITEUR.
  — C'est ici qu'ils se placeront, camarade. La plante des pieds de quelques-uns ne tient plus guère à la terre, le plus faible vent du monde les renversera.

FIRST SERVANT.
  Here they’ll be, man. Some o’ their plants are ill-rooted already; the least wind i’ th’ world will blow them down.

SECOND SERVITEUR.
  — Lépide est haut en couleur.

SECOND SERVANT.
  Lepidus is high-coloured.

PREMIER SERVITEUR.
  — Ils lui ont fait boire les coups de charité.

FIRST SERVANT.
  They have made him drink alms-drink.

SECOND SERVITEUR.
  — Quand ils se disent leurs vérités, il leur crie: Allons, laissez cela, les réconcilie par ses prières, et puis se réconcilie avec la liqueur.

SECOND SERVANT.
  As they pinch one another by the disposition, he cries out “no more”, reconciles them to his entreaty and himself to th’ drink.

PREMIER SERVITEUR.
  — Ce qui élève une guerre violente entre lui et sa tempérance.

FIRST SERVANT.
  But it raises the greater war between him and his discretion.

SECOND SERVITEUR.
  — Et voilà ce que c'est de mettre son nom dans la compagnie des hommes supérieurs. J'aimerais autant avoir dans mes mains un inutile roseau, qu'une pertuisane que je ne pourrais soulever.

SECOND SERVANT.
  Why, this it is to have a name in great men’s fellowship. I had as lief have a reed that will do me no service as a partisan I could not heave.

PREMIER SERVITEUR.
  — Être élevé dans une vaste sphère pour s'y mouvoir sans y être vu, c'est n'avoir que les cavités où les yeux devraient être; ce qui déforme cruellement le visage.

FIRST SERVANT.
  To be called into a huge sphere, and not to be seen to move in ’t, are the holes where eyes should be, which pitifully disaster the cheeks.

(Les trompettes sonnent: arrivent Octave, Antoine,
Pompée, Lépide, Agrippa, Mécène, Énobarbus, Ménas
et autres capitaines.)

    A sennet sounded. Enter Caesar, Antony, Pompey, Lepidus, Agrippa, Maecenas, Enobarbus, Menas with other Captains.

ANTOINE, à César.
  — Voilà comme ils font, seigneur; ils mesurent la crue du Nil par certains degrés marqués sur les pyramides: ils connaissent, par la hauteur plus ou moins grande des eaux, si la disette ou l'abondance suivront. Plus les eaux du Nil montent, plus il promet; quand il se retire, le laboureur sème son grain sur le limon et la vase, et bientôt les champs sont couverts d'épis.

ANTONY.
  [To Caesar.] Thus do they, sir: they take the flow o’ th’ Nile
  By certain scales i’ th’ pyramid; they know
  By th’ height, the lowness, or the mean, if dearth
  Or foison follow. The higher Nilus swells,
  The more it promises. As it ebbs, the seedsman
  Upon the slime and ooze scatters his grain,
  And shortly comes to harvest.

LÉPIDE.
  — Vous avez là de prodigieux serpents.

LEPIDUS.
  You’ve strange serpents there?

ANTOINE.
  — Oui, Lépide.

ANTONY.
  Ay, Lepidus.

LÉPIDE.
  — Vos serpents d'Égypte naissent du limon par l'opération de votre soleil: il en est de même de vos crocodiles?

LEPIDUS.
  Your serpent of Egypt is bred now of your mud by the operation of your sun; so is your crocodile.

ANTOINE.
  — Tout comme vous le dites.

ANTONY.
  They are so.

POMPÉE.
  — Asseyons-nous, et qu'on apporte du vin. Une santé à Lépide.

POMPEY.
  Sit, and some wine! A health to Lepidus!

LÉPIDE.
  — Je ne suis pas aussi bien que je devrais être, mais jamais je ne reculerai.

LEPIDUS.
  I am not so well as I should be, but I’ll ne’er out.

ÉNOBARBUS, à part.
  — Non, jusqu'à ce que vous ayez dormi. Jusque-là, je crains bien que vous n'avanciez.

ENOBARBUS.
  Not till you have slept. I fear me you’ll be in till then.

LÉPIDE.
  — Oui, j'ai entendu dire que les pyramides de Ptolémée étaient bien belles. En vérité, je l'ai entendu dire.

LEPIDUS.
  Nay, certainly, I have heard the Ptolemies’ pyramises are very goodly things. Without contradiction I have heard that.

MÉNAS, à part, à Pompée.
  — Pompée, un mot....

MENAS.
  [Aside to Pompey.] Pompey, a word.

POMPÉE.
  — Parle-moi à l'oreille. Que veux-tu?

POMPEY.
  [Aside to Menas.] Say in mine ear what is ’t?

MÉNAS, à part, à Pompée.
  — Levez-vous, mon général, je vous en conjure, et daignez m'entendre.

MENAS.
  [Whispers in ’s ear.] Forsake thy seat, I do beseech thee, captain,
  And hear me speak a word.

POMPÉE.
  — Laisse-moi; tout à l'heure... — Cette coupe pour Lépide.

POMPEY.
  [Aside to Menas.] Forbear me till anon.—
  This wine for Lepidus!

LÉPIDE.
  — Quelle espèce d'animal est-ce que votre crocodile?

LEPIDUS.
  What manner o’ thing is your crocodile?

ANTOINE.
  — Il a la forme d'un crocodile; il est large de toute sa largeur et haut de toute sa hauteur. Il se meut avec ses propres organes; il vit de ce qui le nourrit; et quand ses éléments se décomposent, la transmigration s'opère.

ANTONY.
  It is shaped, sir, like itself, and it is as broad as it hath breadth. It is just so high as it is, and moves with it own organs. It lives by that which nourisheth it, and the elements once out of it, it transmigrates.

LÉPIDE.
  — De quelle couleur est-il?

LEPIDUS.
  What colour is it of?

ANTOINE.
  — De sa couleur naturelle.

ANTONY.
  Of its own colour too.

LÉPIDE.
  — C'est un étrange serpent!

LEPIDUS.
  ’Tis a strange serpent.

ANTOINE.
  — Oui! et les pleurs qu'il verse sont humides.

ANTONY.
  ’Tis so, and the tears of it are wet.

CÉSAR.
  — Sera-t-il satisfait de cette description?

CAESAR.
  Will this description satisfy him?

ANTOINE.
  — Il le sera de la santé que Pompée lui propose, ou sinon c'est un véritable Épicure.

ANTONY.
  With the health that Pompey gives him, else he is a very epicure.

POMPÉE, à Menas.
  — Allons, va te faire pendre. Tu viens me parler de cela? Va-t'en; fais ce que je te dis. — Où est la coupe que j'ai demandée?

POMPEY.
  [Aside to Menas.] Go hang, sir, hang! Tell me of that? Away!
  Do as I bid you.—Where’s this cup I called for?

MÉNAS, à part.
  — Si, au nom de mes services, vous daignez m'entendre, levez-vous de votre siége.

MENAS.
  [Aside to Pompey.] If for the sake of merit thou wilt hear me,
  Rise from thy stool.

POMPÉE. (Il se lève, et se retire à l'écart.)
  — Je crois que tu es fou. Qu'y a-t-il?

POMPEY.
  [Aside to Menas.] I think thou’rt mad.
  [Rises and walks aside.]
  The matter?

MÉNAS.
  — Pompée, j'ai toujours servi, chapeau bas, ta fortune.

MENAS.
  I have ever held my cap off to thy fortunes.

POMPÉE.
  — Tu m'as servi avec une grande fidélité. Qu'as-tu encore à me dire ? — Allons, seigneurs, de la gaieté.

POMPEY.
  Thou hast served me with much faith. What’s else to say?—
  Be jolly, lords.

ANTOINE.
  — Lépide, garde-toi de ces sables mouvants, car tu t'enfonces.

ANTONY.
  These quicksands, Lepidus,
  Keep off them, for you sink.

MÉNAS, à Pompée.
  Veux-tu être le seul maître de l'univers?

MENAS.
  Wilt thou be lord of all the world?

POMPÉE.
  — Que veux-tu dire?

POMPEY.
  What sayst thou?

MÉNAS.
  — Encore une fois, veux-tu être le seul maître de l'univers?

MENAS.
  Wilt thou be lord of the whole world?
  That’s twice.

POMPÉE.
  — Comment cela se pourrait-il?

POMPEY.
  How should that be?

MÉNAS.
  — Consens-y seulement; et, quelque faible que tu puisses me croire, je suis l'homme qui te fera don de l'univers.

MENAS.
  But entertain it,
  And though you think me poor, I am the man
  Will give thee all the world.

POMPÉE.
  — As-tu bien bu?

POMPEY.
  Hast thou drunk well?

MÉNAS.
  — Non, Pompée; je me suis abstenu de boire. — Tu es, si tu oses l'être, le Jupiter de la terre: tout ce que l'Océan embrasse, tout ce que la voûte du ciel enferme est à toi, si tu veux le saisir.

MENAS.
  No, Pompey, I have kept me from the cup.
  Thou art, if thou dar’st be, the earthly Jove.
  Whate’er the ocean pales or sky inclips
  Is thine, if thou wilt have’t.

POMPÉE.
  — Montre-moi par quel moyen?

POMPEY.
  Show me which way.

MÉNAS.
  — Ces trois maîtres du monde, ces rivaux sont dans ton vaisseau: laisse-moi couper le câble, et, quand nous serons en mer, leur trancher la tête, et tout est à toi.

MENAS.
  These three world-sharers, these competitors,
  Are in thy vessel. Let me cut the cable,
  And when we are put off, fall to their throats.
  All then is thine.

POMPÉE.
  — Ah! tu aurais dû le faire et non pas me le dire. Ce serait en moi une trahison; de ta part, c'était un bon service. Tu dois savoir que ce n'est pas mon intérêt qui conduit mon honneur, mais mon honneur mon intérêt. Repens-toi de ce que ta langue ait ainsi trahi ton projet. Si tu l'avais exécuté à mon insu, j'aurais approuvé ensuite l'action; mais à présent, je dois la condamner: renonce à ton idée et va boire.

POMPEY.
  Ah, this thou shouldst have done
  And not have spoke on ’t! In me ’tis villainy;
  In thee ’t had been good service. Thou must know
  ’Tis not my profit that does lead mine honour;
  Mine honour it. Repent that e’er thy tongue
  Hath so betray’d thine act. Being done unknown,
  I should have found it afterwards well done,
  But must condemn it now. Desist, and drink.

MÉNAS, à part.
  — Eh bien! moi, je ne veux plus suivre ta fortune sur son déclin. Quiconque cherche l'occasion et ne la saisit pas, lorsqu'elle s'offre une fois, ne la retrouvera jamais.

MENAS.
  [Aside.] For this,
  I’ll never follow thy palled fortunes more.
  Who seeks, and will not take when once ’tis offered,
  Shall never find it more.

POMPÉE.
  — A la santé de Lépide!

POMPEY.
  This health to Lepidus!

ANTOINE.
  — Qu'on le porte sur le rivage; je vous ferai raison pour lui, Pompée.

ANTONY.
  Bear him ashore. I’ll pledge it for him, Pompey.

ÉNOBARBUS, tenant une coupe.
  — A ta santé, Menas.

ENOBARBUS.
  Here’s to thee, Menas!

MÉNAS.
  — Bien volontiers, Énobarbus.

MENAS.
  Enobarbus, welcome!

POMPÉE, à l'esclave.
  — Remplis, jusqu'à cacher les bords.

POMPEY.
  Fill till the cup be hid.

ÉNOBARBUS, montrant l'esclave qui emporte Lépide.
  — Voilà un homme robuste, Ménas.

ENOBARBUS.
  There’s a strong fellow, Menas.
    [Pointing to the servant who carries off Lepidus.]

MÉNAS.
  — Pourquoi ?

MENAS.
  Why?

ÉNOBARBUS.
  — Il porte la troisième partie du monde, ne vois-tu pas?

ENOBARBUS.
  ’A bears the third part of the world, man. Seest not?

MÉNAS.
  — En ce cas, la troisième partie du monde est ivre: je voudrais qu'il le fût tout entier, pour qu'il pût aller sur des roulettes.

MENAS.
  The third part, then, is drunk. Would it were all,
  That it might go on wheels!

ÉNOBARBUS.
  — Allons, bois, et augmente les tours de roues.

ENOBARBUS.
  Drink thou. Increase the reels.

MÉNAS.
  — Allons.

MENAS.
  Come.

POMPÉE, à Antoine.
  — Ce n'est pas encore là une fête d'Alexandrie.

POMPEY.
  This is not yet an Alexandrian feast.

ANTOINE.
  — Elle en approche bien.
  — Heurtons les coupes, holà! à la santé de César.

ANTONY.
  It ripens towards it. Strike the vessels, ho!
  Here is to Caesar!

CÉSAR.
  — Je voudrais bien refuser. C'est un terrible travail pour moi que de laver mon cerveau, et il n'en devient que plus trouble.

CAESAR.
  I could well forbear’t.
  It’s monstrous labour when I wash my brain
  And it grows fouler.

ANTOINE.
  — Soyez l'enfant de la circonstance.

ANTONY.
  Be a child o’ the time.

CÉSAR.
  — Buvez, je vous en rendrai raison; mais j'aimerais mieux jeûner de tout pendant quatre jours que de tant boire en un seul.

CAESAR.
  Possess it, I’ll make answer.
  But I had rather fast from all, four days,
  Than drink so much in one.

ÉNOBARBUS, à-Antoine.
  — Eh bien! mon brave empereur, danserons-nous à présent les bacchanales égyptiennes, et célébrerons-nous notre orgie?

ENOBARBUS.
  [To Antony.] Ha, my brave emperor,
  Shall we dance now the Egyptian Bacchanals
  And celebrate our drink?

POMPÉE.
  — Volontiers, brave soldat.

POMPEY.
  Let’s ha’t, good soldier.

ANTOINE.
  — Allons, entrelaçons nos mains jusqu'à ce que le vin victorieux plonge nos sens dans le doux et voluptueux Léthé.

ANTONY.
  Come, let’s all take hands
  Till that the conquering wine hath steeped our sense
  In soft and delicate Lethe.

ÉNOBARBUS.
  — Prenons-nous tous par la main. Faites retentir à nos oreilles la plus bruyante musique. Moi, je vais vous placer: ce jeune homme va chanter, chacun répétera le refrain de toute la force de ses poumons.

ENOBARBUS.
  All take hands.
  Make battery to our ears with the loud music,
  The while I’ll place you; then the boy shall sing.
  The holding every man shall beat as loud
  As his strong sides can volley.

    (Musique. Énobarbus place les convives.)

    Music plays. Enobarbus places them hand in hand.

AIR.

Viens, monarque du vin,
Joufflu Bacchus à l'oeil enflammé:
Noyons nos soucis dans tes cuves,
Couronnons nos cheveux de tes grappes.
Verse-nous, jusqu'à ce que le monde tourne autour de nous:
Verse-nous jusqu'à ce que le monde tourne autour de nous.

      THE SONG.
    Come, thou monarch of the vine,
    Plumpy Bacchus with pink eyne!
    In thy vats our cares be drowned,
    With thy grapes our hairs be crowned.
    Cup us till the world go round,
    Cup us till the world go round!

CÉSAR.
  — Que voulez-vous de plus? Bonsoir, Pompée. Mon bon frère, laissez-moi vous prier de partir. Nos affaires sérieuses s'indignent de cette légèreté. Aimables seigneurs, séparons-nous. Vous voyez comme nos joues sont enflammées. Le vin a triomphé du robuste Énobarbus, et ma langue entrecoupe tout ce qu'elle dit. Cette folle débauche nous a tous vieillis, en quelque sorte. Qu'est-il besoin de plus de paroles? Bonne nuit. Cher Antoine, ta main.

CAESAR.
  What would you more? Pompey, good night. Good brother,
  Let me request you off. Our graver business
  Frowns at this levity.—Gentle lords, let’s part.
  You see we have burnt our cheeks. Strong Enobarb
  Is weaker than the wine, and mine own tongue
  Splits what it speaks. The wild disguise hath almost
  Anticked us all. What needs more words. Good night.
  Good Antony, your hand.

POMPÉE.
  — Je vous mettrai à l'épreuve sur le rivage.

POMPEY.
  I’ll try you on the shore.

ANTOINE.
  — Vous nous y verrez, seigneur. Donnez-moi votre main.

ANTONY.
  And shall, sir. Give’s your hand.

POMPÉE.
  — Oh! Antoine, tu possèdes la maison de mon père! — Mais, n'importe: nous sommes amis. Allons, descendez dans la chaloupe.

POMPEY.
  O Antony,
  You have my father’s house.
  But, what? We are friends. Come, down into the boat.

    (Sortent Pompée, César, Antoine et leur suite.)

ÉNOBARBUS.
  — Prenez garde de tomber.
  — Ménas, je n'irai point à terre.

ENOBARBUS.
  Take heed you fall not.
    [Exeunt Pompey, Caesar, Antony and Attendants.]
  Menas, I’ll not on shore.

MÉNAS.
  — Non, venez à ma cabine. — Ces tambours, ces trompettes, ces flûtes! — comment donc! Que Neptune entende le bruyant adieu que nous disons à ces grands personnages; sonnez et soyez pendus, sonnez comme il faut.

MENAS.
  No, to my cabin. These drums, these trumpets, flutes! What!
  Let Neptune hear we bid a loud farewell
  To these great fellows. Sound and be hanged, sound out!

    (Fanfares et tambours. Lépide et Octave s'embarquent.)

    [Sound a flourish with drums.]

ÉNOBARBUS. Holà! voilà mon chapeau.

ENOBARBUS.
  Hoo, says ’a! There’s my cap!

MÉNAS.
  — Ah! noble capitaine, venez.

MENAS.
  Hoo! Noble captain, come.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

FIN DU DEUXIÈME ACTE.

 
 
 

ACTE TROISIÈME

ACT III

SCÈNE I

SCENE I.

Une plaine en Syrie.
A plain in Syria.

    VENTIDIUS arrive en triomphe avec SILIUS et d'autres Romains, officiers et soldats. On porte devant lui le corps de Pacurus, fils d'Orodes, roi des Parthes.

    Enter Ventidius as it were in triumph, with Silius and other Romans, Officers and Soldiers; the dead body of Pacorus borne before him.

VENTIDIUS.
  — Enfin, Parthes habiles à lancer le dard, vous voilà frappés; et c'est moi que la fortune a voulu choisir pour le vengeur de Crassus. Qu'on porte en tête de l'armée le corps du jeune prince. Ton fils Pacorus, Orodes, a payé la mort de Marcus Crassus!

VENTIDIUS.
  Now, darting Parthia, art thou struck, and now
  Pleased Fortune does of Marcus Crassus’ death
  Make me revenger. Bear the king’s son’s body
  Before our army. Thy Pacorus, Orodes,
  Pays this for Marcus Crassus.

SILIUS.
  — Noble Ventidius, tandis que ton épée fume encore du sang des Parthes, poursuis les Parthes fugitifs: pénètre dans la Médie, la Mésopotamie, dans tous les asiles où fuient leurs soldats en déroute. Alors ton grand général Antoine te fera monter sur un char de triomphe et mettra des guirlandes sur la tête.

SILIUS.
  Noble Ventidius,
  Whilst yet with Parthian blood thy sword is warm,
  The fugitive Parthians follow. Spur through Media,
  Mesopotamia, and the shelters whither
  The routed fly. So thy grand captain Antony
  Shall set thee on triumphant chariots, and
  Put garlands on thy head.

VENTIDIUS.
  — Oh! Silius, Silius, j'en ai fait assez. Souviens-toi bien qu'un subalterne peut faire une action trop éclatante; car, apprends ceci, Sinus, qu'il vaut mieux laisser une entreprise inachevée que d'acquérir par ses succès une renommée trop brillante, lorsque le chef que nous servons est absent. César et Antoine ont toujours remporté plus de victoires par leurs officiers qu'en personne. Sossius, comme moi lieutenant d'Antoine en Syrie, pour avoir accumulé trop de victoires, qu'il remportait en quelques minutes, perdit la faveur d'Antoine. Quiconque fait dans la guerre plus que son général ne peut faire, devient le général de son général; et l'ambition, vertu des guerriers, fait préférer une défaite à une victoire qui ternit la renommée du chef. Je pourrais faire davantage pour Antoine, mais je l'offenserais; et son ressentiment détruirait tout le mérite de mes services.

VENTIDIUS.
  O Silius, Silius,
  I have done enough. A lower place, note well,
  May make too great an act. For learn this, Silius:
  Better to leave undone than by our deed
  Acquire too high a fame when him we serve’s away.
  Caesar and Antony have ever won
  More in their officer, than person. Sossius,
  One of my place in Syria, his lieutenant,
  For quick accumulation of renown,
  Which he achieved by th’ minute, lost his favour.
  Who does i’ th’ wars more than his captain can
  Becomes his captain’s captain; and ambition,
  The soldier’s virtue, rather makes choice of loss
  Than gain which darkens him.
  I could do more to do Antonius good,
  But ’twould offend him, and in his offence
  Should my performance perish.

SILIUS.
  — Ventidius, tu possèdes ces qualités sans lesquelles il n'y a presque point de différence entre un guerrier et son épée. Tu écriras à Antoine?

SILIUS.
  Thou hast, Ventidius, that
  Without the which a soldier and his sword
  Grants scarce distinction. Thou wilt write to Antony?

VENTIDIUS.
  — Je vais lui mander humblement tout ce que nous avons exécuté en son nom, mot magique dans la guerre. Je lui dirai comment, avec ses étendards et ses troupes bien payées, nous avons chassé du champ de bataille et lassé la cavalerie parthe, jusqu'alors invaincue.

VENTIDIUS.
  I’ll humbly signify what in his name,
  That magical word of war, we have effected;
  How, with his banners, and his well-paid ranks,
  The ne’er-yet-beaten horse of Parthia
  We have jaded out o’ th’ field.

SILIUS.
  — Où est-il maintenant?

SILIUS.
  Where is he now?

VENTIDIUS.
  — Il doit se rendre à Athènes. C'est là que nous allons nous hâter de le rejoindre, autant que le permettra le poids de tout ce que nous traînons après nous. Allons, en marche... Que l'armée défile.

VENTIDIUS.
  He purposeth to Athens, whither, with what haste
  The weight we must convey with ’s will permit,
  We shall appear before him.—On there, pass along!

    (Ils sortent.)

        [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE II

SCENE II.

Rome. — Antichambre de la maison de César.
Rome. An Ante-chamber in Caesar’s house.

    Entrent AGRIPPA ET ÉNOBARBUS qui se rencontrent.

    Enter Agrippa at one door, Enobarbus at another.

AGRIPPA.
  — Quoi! nos frères se sont-ils déjà séparés?

AGRIPPA.
  What, are the brothers parted?

ÉNOBARBUS.
  — Ils ont terminé avec Pompée, qui vient de partir; et actuellement ils sont tous les trois à sceller le traité. Octavie pleure de quitter Rome. César est triste et Lépide, depuis le festin de Pompée, à ce que dit Ménas, est attaqué de la maladie verte.

ENOBARBUS.
  They have dispatched with Pompey; he is gone.
  The other three are sealing. Octavia weeps
  To part from Rome. Caesar is sad, and Lepidus,
  Since Pompey’s feast, as Menas says, is troubled
  With the greensickness.

AGRIPPA.
  — C'est un noble Romain que Lépide!

AGRIPPA.
  ’Tis a noble Lepidus.

ÉNOBARBUS.
  — Un excellent homme. Oh! comme il aime César!

ENOBARBUS.
  A very fine one. O, how he loves Caesar!

AGRIPPA.
  — Oui, et avec quelle tendresse il adore Antoine!

AGRIPPA.
  Nay, but how dearly he adores Mark Antony!

ÉNOBARBUS.
  — César? mais c'est le Jupiter des hommes.

ENOBARBUS.
  Caesar? Why he’s the Jupiter of men.

AGRIPPA.
  — Et Antoine? Le dieu de ce Jupiter?

AGRIPPA.
  What’s Antony? The god of Jupiter.

ÉNOBARBUS, contrefaisant Lépide.
  — Vous parlez de César? Comment, de ce sans pareil?

ENOBARBUS.
  Spake you of Caesar? How, the nonpareil!

AGRIPPA.
  — O Antoine! ô oiseau d'Arabie.

AGRIPPA.
  O, Antony! O thou Arabian bird!

ÉNOBARBUS.
  — Voulez-vous vanter César? dites César, et restez-en là.

ENOBARBUS.
  Would you praise Caesar, say “Caesar”. Go no further.

AGRIPPA.
  — Vraiment, il leur a appliqué à tous deux d'excellentes louanges.

AGRIPPA.
  Indeed, he plied them both with excellent praises.

ÉNOBARBUS.
  — Mais c'est César qu'il aime le mieux: cependant il aime Antoine. Oh! le cœur, la langue, les chiffres, les scribes, les bardes, les poètes ne peuvent penser, exprimer, peindre, écrire, chanter, calculer son amour pour Antoine. Mais pour César: à genoux, à genoux, et admirez.

ENOBARBUS.
  But he loves Caesar best, yet he loves Antony.
  Hoo! Hearts, tongues, figures, scribes, bards, poets, cannot
  Think, speak, cast, write, sing, number—hoo!—
  His love to Antony. But as for Caesar,
  Kneel down, kneel down, and wonder.

AGRIPPA.
  — Il les aime tous deux.

AGRIPPA.
  Both he loves.

ÉNOBARBUS.
  — Ils sont les ailes et lui l'escarbot; ainsi... (Fanfares.) Mais voici le signal pour monter à cheval... Adieu, noble Agrippa.

ENOBARBUS.
  They are his shards, and he their beetle.

    [Trumpets within.]

  So,
  This is to horse. Adieu, noble Agrippa.

AGRIPPA.
  — Bonne fortune, brave soldat; adieu.

AGRIPPA.
  Good fortune, worthy soldier, and farewell.

(Entrent Antoine, César, Lépide, Octavie.)

    Enter Caesar, Antony, Lepidus and Octavia.

ANTOINE.
  — Seigneur, n'allez pas plus loin.

ANTONY.
  No further, sir.

CÉSAR.
  — Vous m'enlevez la plus chère portion de moi-même. Songez à me bien traiter dans sa personne.—Ma soeur, soyez une épouse telle que ma pensée vous peint à mes yeux, et que votre conduite justifie tout ce que je garantirais de vous.—Noble Antoine, que ce modèle de vertu, qui est placé entre nous comme le ciment de notre amitié pour la soutenir, ne devienne jamais le bélier qui en renverse l'édifice; car il aurait été plus aisé de nous aimer sans ce nouveau lien, si nous ne le soignons pas chacun de notre côté.

CAESAR.
  You take from me a great part of myself.
  Use me well in’t. Sister, prove such a wife
  As my thoughts make thee, and as my farthest bond
  Shall pass on thy approof. Most noble Antony,
  Let not the piece of virtue which is set
  Betwixt us, as the cement of our love
  To keep it builded, be the ram to batter
  The fortress of it. For better might we
  Have loved without this mean, if on both parts
  This be not cherished.

ANTOINE.
  — Ne m'offensez pas par votre défiance.

ANTONY.
  Make me not offended
  In your distrust.

CÉSAR.
  — J'ai dit.

CAESAR.
  I have said.

ANTOINE.
  — Quelque scrupuleux que vous soyez sur ce point, vous ne trouverez pas le moindre sujet aux craintes qui paraissent vous alarmer. Que les dieux vous gardent et fassent obéir le cœur des Romains à vos desseins; nous allons nous séparer ici.

ANTONY.
  You shall not find,
  Though you be therein curious, the least cause
  For what you seem to fear. So the gods keep you,
  And make the hearts of Romans serve your ends.
  We will here part.

CÉSAR.
  — Adieu, ma chère soeur: sois heureuse. Que tous les éléments te soient propices et ne donnent à ton esprit que des jouissances! Adieu.

CAESAR.
  Farewell, my dearest sister, fare thee well.
  The elements be kind to thee, and make
  Thy spirits all of comfort! Fare thee well.

OCTAVIE.
  — O mon noble frère!

OCTAVIA.
  My noble brother!

ANTOINE.
  — Le mois d'avril est dans ses yeux; c'est le printemps de l'amour, et ces larmes, la pluie qui favorise son retour.—Consolez-vous.

ANTONY.
  The April’s in her eyes. It is love’s spring,
  And these the showers to bring it on.—Be cheerful.

OCTAVIE.
  — Seigneur, veillez sur la maison de mon époux, et...

OCTAVIA.
  Sir, look well to my husband’s house, and—

CÉSAR.
  — Quoi, ma soeur?

CAESAR.
  What, Octavia?

OCTAVIE.
  — Je vais vous le dire à l'oreille.

OCTAVIA.
  I’ll tell you in your ear.

ANTOINE.
  — Sa langue refuse d'obéir à son cœur, et son cœur ne peut exprimer ce qu'il sent à sa langue, comme le duvet du cygne qui flotte sur l'onde à la marée haute, sans incliner ni d'un côté ni de l'autre.

ANTONY.
  Her tongue will not obey her heart, nor can
  Her heart inform her tongue—the swan’s-down feather,
  That stands upon the swell at the full of tide,
  And neither way inclines.

ÉNOBARBUS, à part, à Agrippa.
  — César pleurera-t-il?

ENOBARBUS.
  [Aside to Agrippa.] Will Caesar weep?

AGRIPPA.
  — Il a un nuage sur le front.

AGRIPPA.
  [Aside to Enobarbus.] He has a cloud in ’s face.

ÉNOBARBUS.
  — Ce serait un mauvais signe s'il était un cheval; à plus forte raison, étant un homme.

ENOBARBUS.
  [Aside to Agrippa.] He were the worse for that were he a horse;
  So is he, being a man.

AGRIPPA.
  — Pourquoi, Énobarbus? Antoine rugit presque de douleur lorsqu'il vit Jules César mort, et à Philippes, il pleura sur le corps de Brutus.

AGRIPPA.
  [Aside to Enobarbus.] Why, Enobarbus,
  When Antony found Julius Caesar dead,
  He cried almost to roaring, and he wept
  When at Philippi he found Brutus slain.

ÉNOBARBUS.
  — Cette année-là, il est vrai, il était incommodé d'un rhume, il pleurait l'homme qu'il aurait de bon cœur détruit lui-même. Crois à ses larmes jusqu'à ce que tu m'aies vu pleurer aussi.

ENOBARBUS.
  [Aside to Agrippa.] That year, indeed, he was troubled with a rheum;
  What willingly he did confound he wailed,
  Believe ’t, till I weep too.

CÉSAR.
  — Non, chère Octavie, vous recevrez encore des nouvelles de votre frère; jamais le temps ne vous fera oublier de moi.

CAESAR.
  No, sweet Octavia,
  You shall hear from me still. The time shall not
  Outgo my thinking on you.

ANTOINE.
  — Allons, seigneur, allons; je disputerai avec vous de tendresse pour elle. Je vous embrasse ici, et je vous quitte en vous recommandant aux dieux.

ANTONY.
  Come, sir, come,
  I’ll wrestle with you in my strength of love.
  Look, here I have you, thus I let you go,
  And give you to the gods.

CÉSAR.
  — Adieu, soyez heureux.

CAESAR.
  Adieu, be happy!

LÉPIDE.
  — Que tous les astres du firmament éclairent votre route!

LEPIDUS.
  Let all the number of the stars give light
  To thy fair way!

CÉSAR embrasse sa soeur.
  — Adieu, adieu!

CAESAR.
  Farewell, farewell!
    [Kisses Octavia.]

ANTOINE.
  — Adieu!

ANTONY.
  Farewell!

    (Ils partent au son des trompettes.)

    [Trumpets sound. Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE III

SCENE III.

Alexandrie. — Appartement du palais.
Alexandria. A Room in the Palace.

    Entrent CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, ALEXAS.

    Enter Cleopatra, Charmian, Iras and Alexas.

CLÉOPÂTRE.
  — Où est ce messager?

CLEOPATRA.
  Where is the fellow?

ALEXAS.
  — Il a un peu peur de paraître devant vous.

ALEXAS.
  Half afeared to come.

CLÉOPÂTRE.
  — Qu'il vienne, qu'il vienne... (Le messager parait.) Approche.

CLEOPATRA.
  Go to, go to.

  Enter a Messenger as before.

  Come hither, sir.

ALEXAS.
  — Grande reine, Hérode de Judée n'oserait lever les yeux sur Votre Majesté que lorsque vous êtes satisfaite.

ALEXAS.
  Good majesty,
  Herod of Jewry dare not look upon you
  But when you are well pleased.

CLÉOPÂTRE.
  — Je veux un jour avoir la tête de cet Hérode; mais quoi! depuis qu'Antoine est parti, qui pourrais-je charger de me l'apporter? — Approche-toi.

CLEOPATRA.
  That Herod’s head
  I’ll have! But how, when Antony is gone,
  Through whom I might command it?—Come thou near.

LE MESSAGER.
  — Très-gracieuse reine...

MESSENGER.
  Most gracious majesty!

CLÉOPÂTRE.
  — As-tu vu Octavie?

CLEOPATRA.
  Didst thou behold Octavia?

LE MESSAGER.
  — Oui, redoutable reine.

MESSENGER.
  Ay, dread queen.

CLÉOPÂTRE.
  — Où?

CLEOPATRA.
  Where?

LE MESSAGER.
  — A Rome, madame. Je l'ai regardée en face, et je l'ai vue marcher entre son frère et Marc-Antoine.

MESSENGER.
  Madam, in Rome
  I looked her in the face, and saw her led
  Between her brother and Mark Antony.

CLÉOPÂTRE.
  — Est-elle aussi grande que moi?

CLEOPATRA.
  Is she as tall as me?

LE MESSAGER.
  — Non, madame.

MESSENGER.
  She is not, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — L'as-tu entendue parler? A-t-elle la voix aiguë ou basse?

CLEOPATRA.
  Didst hear her speak? Is she shrill-tongued or low?

LE MESSAGER.
  — Madame, je l'ai entendue parler; elle a la voix basse.

MESSENGER.
  Madam, I heard her speak. She is low-voiced.

CLÉOPÂTRE.
  — Ce son de voix n'est pas si agréable! il ne peut l'aimer longtemps.

CLEOPATRA.
  That’s not so good. He cannot like her long.

CHARMIANE.
  — L'aimer? Oh! par Isis, cela est impossible.

CHARMIAN.
  Like her? O Isis! ’Tis impossible.

CLÉOPÂTRE.
  — Je le crois, Charmiane. Une langue épaisse et une taille de naine. — Quelle majesté a-t-elle dans sa démarche? Souviens-t'en, si tu as jamais vu de la majesté.

CLEOPATRA.
  I think so, Charmian: dull of tongue and dwarfish!
  What majesty is in her gait? Remember,
  If e’er thou look’dst on majesty.

LE MESSAGER.
  — Elle se traîne: qu'elle marche ou qu'elle s'arrête, c'est la même chose; elle a un corps, mais sans vie; c'est une statue, plutôt qu'une créature qui respire.

MESSENGER.
  She creeps.
  Her motion and her station are as one.
  She shows a body rather than a life,
  A statue than a breather.

CLÉOPÂTRE.
  — En es-tu bien sûr?

CLEOPATRA.
  Is this certain?

LE MESSAGER.
  — Oui, ou je ne m'y connais pas.

MESSENGER.
  Or I have no observance.

CHARMIANE.
  — Il n'y a pas trois hommes en Égypte plus en état que lui d'en juger.

CHARMIAN.
  Three in Egypt
  Cannot make better note.

CLÉOPÂTRE.
  — Il est plein d'intelligence, je m'en aperçois.—Il n'y a encore rien en elle.—Cet homme a un bon jugement.

CLEOPATRA.
  He’s very knowing;
  I do perceive’t. There’s nothing in her yet.
  The fellow has good judgment.

CHARMIANE.
  — Excellent.

CHARMIAN.
  Excellent.

CLÉOPÂTRE.
  — Devine son âge, je te prie?

CLEOPATRA.
  Guess at her years, I prithee.

LE MESSAGER.
  — Madame, elle était veuve.

MESSENGER.
  Madam,
  She was a widow.

CLÉOPÂTRE.
  — Veuve? Tu l'entends, Charmiane.

CLEOPATRA.
  Widow! Charmian, hark!

LE MESSAGER.
  — Et je pense qu'elle a trente ans.

MESSENGER.
  And I do think she’s thirty.

CLÉOPÂTRE.
  — As-tu son visage dans ta mémoire? Est-il long ou rond?

CLEOPATRA.
  Bear’st thou her face in mind? Is’t long or round?

LE MESSAGER.
  — Rond à l'excès.

MESSENGER.
  Round even to faultiness.

CLÉOPÂTRE.
  — Des femmes qui ont ce visage, la plupart n'ont aucun esprit. — Ses cheveux, quelle est leur couleur?

CLEOPATRA.
  For the most part, too, they are foolish that are so.
  Her hair, what colour?

LE MESSAGER.
  — Bruns, madame; et son front est aussi bas qu'il soit possible de le désirer.

MESSENGER.
  Brown, madam, and her forehead
  As low as she would wish it.

CLÉOPÂTRE.
  — Tiens, prends cet or. Il ne faut pas t'offenser de mes premières vivacités. Je veux t'employer; je te trouve très-propre aux affaires; va te préparer à partir; nos lettres sont prêtes.

CLEOPATRA.
  There’s gold for thee.
  Thou must not take my former sharpness ill.
  I will employ thee back again; I find thee
  Most fit for business. Go make thee ready;
  Our letters are prepared.

 

    [Exit Messenger.]

CHARMIANE.
  — Un homme de sens.

CHARMIAN.
  A proper man.

CLÉOPÂTRE.
  — Oui, en vérité; je me repens bien de l'avoir ainsi maltraité. — Eh bien! il me semble, d'après ce qu'il en dit, que cette créature n'est pas grand'chose.

CLEOPATRA.
  Indeed, he is so. I repent me much
  That so I harried him. Why, methinks, by him,
  This creature’s no such thing.

CHARMIANE.
  — Rien du tout, madame.

CHARMIAN.
  Nothing, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — Cet homme a vu parfois de la majesté et doit s'y connaître.

CLEOPATRA.
  The man hath seen some majesty, and should know.

CHARMIANE.
  — S'il en a vu? Bonne Isis! Lui qui a été si longtemps à votre service?

CHARMIAN.
  Hath he seen majesty? Isis else defend,
  And serving you so long!

CLÉOPÂTRE.
  — J'aurais encore une question à lui faire, chère Charmiane; mais peu importe: tu me l'amèneras là où j'écrirai. Je crois que tout ira bien.

CLEOPATRA.
  I have one thing more to ask him yet, good Charmian.
  But ’tis no matter; thou shalt bring him to me
  Where I will write. All may be well enough.

CHARMIANE.
  — J'en réponds, madame.

CHARMIAN.
  I warrant you, madam.

    (Elles sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE IV

SCENE IV.

Athènes. — Appartement de la maison d'Antoine.
Athens. A Room in Antony’s House.

    Entrent ANTOINE, OCTAVIE.

    Enter Antony and Octavia.

ANTOINE.
  — Non, non, Octavie, j'excuserais ce tort-là et mille autres de ce genre; mais il a rallumé la guerre contre Pompée, il a fait son testament et l'a rendu public. Il a parlé de moi avec dédain; et, lors même qu'il ne pouvait s'empêcher de me rendre un témoignage honorable, c'était avec froideur et dégoût; il m'a fait bien petite mesure. Toutes les fois qu'on a ouvert sur mon compte une opinion favorable, il a fait la sourde oreille, ou ne s'est expliqué que du bout des dents.

ANTONY.
  Nay, nay, Octavia, not only that—
  That were excusable, that and thousands more
  Of semblable import—but he hath waged
  New wars ’gainst Pompey; made his will, and read it
  To public ear;
  Spoke scantly of me; when perforce he could not
  But pay me terms of honour, cold and sickly
  He vented them; most narrow measure lent me;
  When the best hint was given him, he not took ’t,
  Or did it from his teeth.

OCTAVIE.
  — Ah! mon cher seigneur, ne croyez pas tout; ou, si vous croyez tout, ne vous offensez pas de tout. S'il faut que cette rupture arrive, jamais femme plus malheureuse que moi ne se trouva, entre les partis, obligée de prier pour tous deux. Les dieux se moqueront désormais de mes prières, lorsque je leur dirai: Ah! protégez mon seigneur et mon époux! et que, démentant aussitôt cette prière, je leur crierai de la même voix: Ah! protégez mon frère! La victoire pour mon époux, la victoire pour mon frère! Je prierai et je contredirai ma prière. Point de milieu entre ces deux extrémités.

OCTAVIA.
  O, my good lord,
  Believe not all, or if you must believe,
  Stomach not all. A more unhappy lady,
  If this division chance, ne’er stood between,
  Praying for both parts.
  The good gods will mock me presently
  When I shall pray “O, bless my lord and husband!”
  Undo that prayer by crying out as loud
  “O, bless my brother!” Husband win, win brother,
  Prays and destroys the prayer; no midway
  ’Twixt these extremes at all.

ANTOINE.
  — Douce Octavie, que votre amour préfère celui qui se montrera plus jaloux de le conserver. Si je perds mon honneur, je me perds moi-même. Il vaudrait mieux que je ne fusse pas à vous, que d'être à vous sans honneur. Mais, comme vous l'avez demandé, vous pouvez être médiatrice entre nous deux. Pendant ce temps, je vais faire des préparatifs de guerre capables d'arrêter votre frère. Faites toute la diligence que vous voudrez, vos désirs sont accomplis.

ANTONY.
  Gentle Octavia,
  Let your best love draw to that point which seeks
  Best to preserve it. If I lose mine honour,
  I lose myself; better I were not yours
  Than yours so branchless. But, as you requested,
  Yourself shall go between’s. The meantime, lady,
  I’ll raise the preparation of a war
  Shall stain your brother. Make your soonest haste,
  So your desires are yours.

OCTAVIE.
  — J'en rends grâce à mon seigneur. — Que le tout-puissant Jupiter fasse de moi, femme faible, bien faible, votre réconciliatrice! La guerre entre vous deux, c'est comme si le globe s'entr'ouvrait et qu'il fallût combler le gouffre avec des cadavres.

OCTAVIA.
  Thanks to my lord.
  The Jove of power make me, most weak, most weak,
  Your reconciler! Wars ’twixt you twain would be
  As if the world should cleave, and that slain men
  Should solder up the rift.

ANTOINE.
  — Dès que vous reconnaîtrez où commencent ces maux, tournez de ce côté votre déplaisir; car nos fautes ne peuvent jamais être si égales, que votre amour puisse se diriger également des deux côtés. Disposez tout pour votre départ; nommez ceux qui doivent vous accompagner, et faites toutes les dépenses que vous voudrez.

ANTONY.
  When it appears to you where this begins,
  Turn your displeasure that way, for our faults
  Can never be so equal that your love
  Can equally move with them. Provide your going;
  Choose your own company, and command what cost
  Your heart has mind to.

(Ils se séparent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE V

SCENE V.

Athènes: un autre appartement de la maison d'Antoine.
Athens. Another Room in Antony’s House.

    ÉNOBARBUS ET ÉROS se rencontrent

    Enter Enobarbus and Eros meeting.

ÉNOBARBUS.
  — Eh bien! ami Éros?

ENOBARBUS.
  How now, friend Eros?

ÉROS.
  — Il y a d'étranges nouvelles, seigneur.

EROS.
  There’s strange news come, sir.

ÉNOBARBUS.
  — Quoi donc?

ENOBARBUS.
  What, man?

ÉROS.
  — César et Lépide ont fait la guerre à Pompée.

EROS.
  Caesar and Lepidus have made wars upon Pompey.

ÉNOBARBUS.
  — Ceci est vieux; qu'elle en a été l'issue?

ENOBARBUS.
  This is old. What is the success?

ÉROS.
  — César, après avoir profité des services de Lépide dans la guerre contre Pompée, lui a refusé ensuite l'égalité du rang, n'a pas voulu qu'il partageât la gloire du combat, et, ne s'arrêtant pas là, il l'accuse d'avoir entretenu auparavant une correspondance avec Pompée. Sur sa propre accusation, il a fait arrêter Lépide. Ainsi, voilà le pauvre triumvir à bas, jusqu'à ce que la mort élargisse sa prison.

EROS.
  Caesar, having made use of him in the wars ’gainst Pompey, presently   denied him rivality; would not let him partake in the glory of the   action, and, not resting here, accuses him of letters he had formerly   wrote to Pompey; upon his own appeal, seizes him. So the poor third is   up, till death enlarge his confine.

ÉNOBARBUS.
  — Alors, ô univers, de trois loups, tu n'en as plus que deux; jette au milieu d'eux toute la nourriture que tu possèdes, et ils se dévoreront l'un l'autre. — Où est Antoine?

ENOBARBUS.
  Then, world, thou hast a pair of chaps, no more,
  And throw between them all the food thou hast,
  They’ll grind the one the other. Where’s Antony?

ÉROS.
  — Il se promène dans les jardins, —comme ceci— et il foule aux pieds les joncs qu'il rencontre devant lui, en s'écriant: O imbécile Lépide! Et il menace la tête de son officier, celui qui a assassiné Pompée.

EROS.
  He’s walking in the garden, thus, and spurns
  The rush that lies before him; cries “Fool Lepidus!”
  And threats the throat of that his officer
  That murdered Pompey.

ÉNOBARBUS.
  — Notre belle flotte est équipée.

ENOBARBUS.
  Our great navy’s rigged.

ÉROS.
  — Elle est destinée pour l'Italie et contre César. D'autres nouvelles: Dominus.... Mais Antoine vous attend. J'aurais pu vous dire mes nouvelles plus tard.

EROS.
  For Italy and Caesar. More, Domitius:
  My lord desires you presently. My news
  I might have told hereafter.

ÉNOBARBUS.
  — Ce sera peu de chose; mais n'importe. Conduis-moi près d'Antoine.

ENOBARBUS.
  ’Twill be naught,
  But let it be. Bring me to Antony.

ÉROS.
  — Venez, seigneur.

EROS.
  Come, sir.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE VI

SCENE VI.

Rome. — Appartement de César.
Rome. A Room in Caesar’s House.

    CÉSAR, AGRIPPA, MÉCÈNE.

    Enter Agrippa, Maecenas and Caesar.

CÉSAR.
  — Au mépris de Rome, il a fait tout ceci, et plus encore dans Alexandrie; et voilà comment, dans la place publique, Cléopâtre et lui se sont assis publiquement sur des trônes d'or, dans une tribune d'argent; à leurs pieds était placé le jeune Césarion, qu'ils appellent le fils de mon père avec tous les enfants illégitimes issus depuis lors de leurs débauches. Antoine a fait don de l'Égypte à Cléopâtre, il l'a proclamée reine absolue de la basse Syrie, de l'île de Chypre et de la Libye.

CAESAR.
  Contemning Rome, he has done all this, and more
  In Alexandria. Here’s the manner of ’t:
  I’ th’ market-place, on a tribunal silvered,
  Cleopatra and himself in chairs of gold
  Were publicly enthroned. At the feet sat
  Caesarion, whom they call my father’s son,
  And all the unlawful issue that their lust
  Since then hath made between them. Unto her
  He gave the stablishment of Egypt; made her
  Of lower Syria, Cyprus, Lydia,
  Absolute queen.

MÉCÈNE.
  — Quoi! aux yeux du public?

MAECENAS.
  This in the public eye?

CÉSAR.
  — Au milieu même de la grande place, où le peuple fait tous ses exercices. C'est là qu'il a proclamé ses fils rois des rois; il a donné à Alexandre la vaste Médie, le pays des Parthes et l'Arménie; il a assigné à Ptolémée la Syrie, la Cilicie et la Phénicie. Cléopâtre, ce jour-là, a paru en public vêtue comme la déesse Isis, et souvent auparavant elle avait, dit-on, donné ses audiences dans cet appareil.

CAESAR.
  I’ th’ common showplace where they exercise.
  His sons he there proclaimed the kings of kings:
  Great Media, Parthia, and Armenia
  He gave to Alexander; to Ptolemy he assigned
  Syria, Cilicia, and Phoenicia. She
  In th’ habiliments of the goddess Isis
  That day appeared, and oft before gave audience,
  As ’tis reported, so.

MÉCÈNE.
  — Il faut que Rome soit instruite de toutes ces choses.

MAECENAS.
  Let Rome be thus informed.

AGRIPPA.
  — Rome, déjà lassée de son insolence, lui retirera sa bonne opinion.

AGRIPPA.
  Who, queasy with his insolence already,
  Will their good thoughts call from him.

CÉSAR.
  — Le peuple en est instruit, et cependant il vient de recevoir les accusations d'Antoine!

CAESAR.
  The people knows it and have now received
  His accusations.

AGRIPPA.
  — Qui donc accuse-t-il!

AGRIPPA.
  Who does he accuse?

CÉSAR.
  — César. Il se plaint de ce qu'ayant dépouillé Sextus Pompée de la Sicile, je l'ai frustré de sa part de cette île; et il dit ensuite m'avoir prêté quelques vaisseaux qui ne lui ont pas été rendus. Enfin, il se montre indigné de ce que Lépide a été déposé du triumvirat, et de ce qu'une fois déposé j'ai retenu tous ses revenus.

CAESAR.
  Caesar, and that, having in Sicily
  Sextus Pompeius spoiled, we had not rated him
  His part o’ th’ isle. Then does he say he lent me
  Some shipping, unrestored. Lastly, he frets
  That Lepidus of the triumvirate
  Should be deposed and, being, that we detain
  All his revenue.

AGRIPPA.
  — Seigneur, il faut lui répondre.

AGRIPPA.
  Sir, this should be answered.

CÉSAR.
  — C'est déjà fait, et le messager est parti. Je lui mande que Lépide était devenu trop cruel, qu'il abusait de son autorité, et qu'il a mérité d'être déposé. Quant à mes conquêtes, je lui en accorde une portion; mais, en retour, je lui demande ma part de l'Arménie et des autres royaumes qu'il a conquis.

CAESAR.
  ’Tis done already, and messenger gone.
  I have told him Lepidus was grown too cruel,
  That he his high authority abused,
  And did deserve his change. For what I have conquered
  I grant him part; but then in his Armenia
  And other of his conquered kingdoms, I
  Demand the like.

MÉCÈNE.
  — Jamais il ne vous la cédera.

MAECENAS.
  He’ll never yield to that.

CÉSAR.
  — Alors, je ne dois pas lui céder, moi, ce qu'il demande.

CAESAR.
  Nor must not then be yielded to in this.

    (Entre Octavie.)

    Enter Octavia with her train.

OCTAVIE.
  — Salut, César, monseigneur, salut, mon cher César.

OCTAVIA.
  Hail, Caesar, and my lord! Hail, most dear Caesar!

CÉSAR.
  — Que je sois obligé de t'appeler une femme répudiée!

CAESAR.
  That ever I should call thee castaway!

OCTAVIE.
  — Vous ne m'avez pas appelée ainsi, et vous n'en avez pas sujet.

OCTAVIA.
  You have not called me so, nor have you cause.

CÉSAR.
  — Pourquoi donc venez-vous me surprendre ainsi? Vous ne revenez point comme la soeur de César: l'épouse d'Antoine devrait être précédée d'une armée, son approche devait être annoncée par les hennissements des chevaux, longtemps avant qu'elle parût; les arbres de la route auraient dû être chargés de peuple, impatient et fatigué d'attendre votre passage désiré; il fallait que la poussière élevée sous les pas de votre nombreux cortège montât jusqu'à la voûte des cieux. Mais vous êtes venue à Rome comme une vendeuse de marché: vous avez prévenu les démonstrations de notre amitié, ce sentiment qui s'éteint souvent si on néglige de le témoigner. Nous aurions été à votre rencontre par mer et par terre, et à chaque pas nous aurions redoublé d'éclat.

CAESAR.
  Why have you stolen upon us thus? You come not
  Like Caesar’s sister. The wife of Antony
  Should have an army for an usher, and
  The neighs of horse to tell of her approach
  Long ere she did appear. The trees by th’ way
  Should have borne men, and expectation fainted,
  Longing for what it had not. Nay, the dust
  Should have ascended to the roof of heaven,
  Raised by your populous troops. But you are come
  A market-maid to Rome, and have prevented
  The ostentation of our love, which, left unshown,
  Is often left unloved. We should have met you
  By sea and land, supplying every stage
  With an augmented greeting.

OCTAVIE.
  — Mon bon frère, rien ne me forçait à revenir ainsi: je n'ai fait que suivre mon libre penchant. Mon époux, Marc-Antoine, ayant appris que vous vous prépariez à la guerre, a affligé mon oreille de cette fâcheuse nouvelle; et moi aussitôt je l'ai prié de m'accorder la liberté de revenir vers vous.

OCTAVIA.
  Good my lord,
  To come thus was I not constrained, but did it
  On my free will. My lord, Mark Antony,
  Hearing that you prepared for war, acquainted
  My grieved ear withal, whereon I begged
  His pardon for return.

CÉSAR.
  — Ce qu'il vous a accordé sans peine: vous étiez un obstacle à ses débauches.

CAESAR.
  Which soon he granted,
  Being an abstract ’tween his lust and him.

OCTAVIE.
  — N'en jugez pas ainsi, seigneur.

OCTAVIA.
  Do not say so, my lord.

CÉSAR.
  — J'ai les yeux sur lui, et les vents m'apportent des nouvelles de toutes ses démarches. Où est-il maintenant?

CAESAR.
  I have eyes upon him,
  And his affairs come to me on the wind.
  Where is he now?

OCTAVIE.
  — A Athènes, seigneur.

OCTAVIA.
  My lord, in Athens.

CÉSAR.
  — Non, ma soeur, trop indignement outragée, Cléopâtre, d'un coup d'oeil, l'a rappelé à ses pieds. Il a abandonné son empire à une prostituée, et maintenant ils s'occupent tous deux à soulever contre moi tous les rois de la terre. Il a rassemblé Bocchus, roi de Libye; Archélaüs, roi de Cappadoce; Philadelphe, roi de Paphlagonie; le roi de Thrace, Adellas; Malchus, roi d'Arabie; le roi de Pont; Hérode, de Judée; Mithridate, roi de Comagène; Polémon et Amintas, rois des Mèdes et de Lycaonie; et encore une foule d'autres sceptres!

CAESAR.
  No, my most wronged sister. Cleopatra
  Hath nodded him to her. He hath given his empire
  Up to a whore, who now are levying
  The kings o’ th’ earth for war. He hath assembled
  Bocchus, the king of Libya; Archelaus
  Of Cappadocia; Philadelphos, king
  Of Paphlagonia; the Thracian king, Adallas;
  King Manchus of Arabia; King of Pont;
  Herod of Jewry; Mithridates, king
  Of Comagene; Polemon and Amyntas,
  The kings of Mede and Lycaonia,
  With a more larger list of sceptres.

OCTAVIE.
  — Hélas! que je suis malheureuse d'avoir le cœur partagé entre deux hommes que j'aime et qui se haïssent!

OCTAVIA.
  Ay me, most wretched,
  That have my heart parted betwixt two friends
  That does afflict each other!

CÉSAR.
  — Soyez ici la bienvenue. Vos lettres ont retardé longtemps notre rupture: jusqu'à ce que je me sois aperçu à quel point vous étiez abusée, et combien une plus longue négligence devenait dangereuse pour moi. Consolez-vous; ne vous agitez pas des circonstances qui amènent sur votre bonheur ces terribles nécessités, et laissez les invariables décrets du destin suivre leur cours, sans vous répandre en gémissements. Rome vous reçoit avec joie: rien ne m'est plus cher que vous. Vous avez été trompée au delà de tout ce qu'on peut imaginer, et les puissants dieux, pour vous faire justice, ont choisi pour ministres de leur vengeance, votre frère et ceux qui vous aiment. Vous êtes la plus douce de nos consolations, et toujours la bienvenue auprès de nous.

CAESAR.
  Welcome hither.
  Your letters did withhold our breaking forth
  Till we perceived both how you were wrong led
  And we in negligent danger. Cheer your heart.
  Be you not troubled with the time, which drives
  O’er your content these strong necessities,
  But let determined things to destiny
  Hold unbewailed their way. Welcome to Rome,
  Nothing more dear to me. You are abused
  Beyond the mark of thought, and the high gods,
  To do you justice, make their ministers
  Of us and those that love you. Best of comfort,
  And ever welcome to us.

AGRIPPA.
  — Soyez la bienvenue, madame.

AGRIPPA.
  Welcome, lady.

MÉCÈNE.
  — Soyez la bienvenue, chère dame; tous les cœurs, dans Rome, vous aiment et vous plaignent. L'adultère Antoine, sans frein dans ses désordres, est le seul qui vous rejette pour livrer sa puissance à une prostituée qui la tourne avec bruit contre nous.

MAECENAS.
  Welcome, dear madam.
  Each heart in Rome does love and pity you.
  Only th’ adulterous Antony, most large
  In his abominations, turns you off
  And gives his potent regiment to a trull
  That noises it against us.

OCTAVIE.
  — Est-il bien vrai, seigneur?

OCTAVIA.
  Is it so, sir?

CÉSAR.
  — Rien n'est plus certain, vous êtes la bienvenue, ma soeur; je vous prie, ne perdez pas patience, ma chère soeur!

CAESAR.
  Most certain. Sister, welcome. Pray you
  Be ever known to patience. My dear’st sister!

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE VII

SCENE VII.

Le camp d'Antoine près du promontoire d'Actium.
Antony’s Camp near the Promontory of Actium.

    Entrent CLÉOPÂTRE, ÉNOBARBUS.

    Enter Cleopatra and Enobarbus.

CLÉOPÂTRE.
  — Je m'acquitterai envers toi, n'en doute pas.

CLEOPATRA.
  I will be even with thee, doubt it not.

ÉNOBARBUS.
  — Mais pourquoi? pourquoi? pourquoi?

ENOBARBUS.
  But why, why, why?

CLÉOPÂTRE.
  — Tu t'es opposé à ce que j'assistasse à cette guerre, en disant que ce n'était pas convenable.

CLEOPATRA.
  Thou hast forspoke my being in these wars
  And say’st it is not fit.

ÉNOBARBUS.
  — Eh bien! est-ce convenable, dites-moi?

ENOBARBUS.
  Well, is it, is it?

CLÉOPÂTRE.
  — Pourquoi pas? La guerre est déclarée contre moi, pourquoi n'y serais-je pas en personne?

CLEOPATRA.
  Is ’t not denounced against us? Why should not we
  Be there in person?

ÉNOBARBUS.
  — Je sais bien ce que je pourrais répondre: si nous nous servions en même temps de chevaux et de cavales, les chevaux seraient absolument superflus, car chaque cavale porterait un soldat et son cheval.

ENOBARBUS.
  Well, I could reply:
  If we should serve with horse and mares together,
  The horse were merely lost. The mares would bear
  A soldier and his horse.

CLÉOPÂTRE.
  — Que murmures-tu là?

CLEOPATRA.
  What is’t you say?

ÉNOBARBUS.
  — Votre présence doit nécessairement embarrasser Antoine: elle prendra de son cœur, de sa tête, de son temps, ce dont il n'a rien à perdre en cette circonstance. On le raille déjà sur sa légèreté, et l'on dit dans Rome que c'est l'eunuque Photin et vos femmes qui dirigent cette guerre.

ENOBARBUS.
  Your presence needs must puzzle Antony,
  Take from his heart, take from his brain, from ’s time,
  What should not then be spared. He is already
  Traduced for levity, and ’tis said in Rome
  That Photinus, an eunuch, and your maids
  Manage this war.

CLÉOPÂTRE.
  — Que Rome s'abîme! et périssent toutes les langues qui parlent contre nous! Je porte ma part du fardeau dans cette guerre, et, comme souveraine de mes États, je dois y remplir le rôle d'un homme. N'objecte plus rien, je ne resterai pas en arrière.

CLEOPATRA.
  Sink Rome, and their tongues rot
  That speak against us! A charge we bear i’ th’ war,
  And, as the president of my kingdom, will
  Appear there for a man. Speak not against it.
  I will not stay behind.

ÉNOBARBUS.
  — Je me tais, madame. — Voici l'empereur.

    (Entrent Antoine et Canidius.)

    Enter Antony and Canidius.

ENOBARBUS.
  Nay, I have done.
  Here comes the Emperor.

ANTOINE.
  — Ne te parait-il pas étrange, Canidius, que César ait pu, de Tarente et de Brindes, traverser si rapidement la mer d'Ionie et emporter Toryne? — Vous l'avez appris, mon cœur?

ANTONY.
  Is it not strange, Canidius,
  That from Tarentum and Brundusium
  He could so quickly cut the Ionian sea
  And take in Toryne?—You have heard on ’t, sweet?

CLÉOPÂTRE.
  — La diligence n'est jamais plus admirée que par les paresseux.

CLEOPATRA.
  Celerity is never more admired
  Than by the negligent.

ANTOINE.
  — Bonne satire de notre indolence, et qui ferait honneur au plus brave guerrier. — Canidius, nous le combattrons sur mer.

ANTONY.
  A good rebuke,
  Which might have well becomed the best of men
  To taunt at slackness.—Canidius, we
  Will fight with him by sea.

CLÉOPÂTRE.
  — Oui, sur mer, sans doute.

CLEOPATRA.
  By sea, what else?

CANIDIUS.
  — Pourquoi mon général a-t-il ce projet?

CANIDIUS.
  Why will my lord do so?

ANTOINE.
  — Parce qu'il nous en a défié.

ANTONY.
  For that he dares us to ’t.

ÉNOBARBUS.
  — Mon seigneur l'a aussi défié en combat singulier?

ENOBARBUS.
  So hath my lord dared him to single fight.

CANIDIUS.
  — Oui, et vous lui avez offert le combat à Pharsale, où César vainquit Pompée; mais toutes les propositions qui ne servent pas à son avantage, il les rejette. Vous devriez en faire autant.

CANIDIUS.
  Ay, and to wage this battle at Pharsalia,
  Where Caesar fought with Pompey. But these offers,
  Which serve not for his vantage, he shakes off,
  And so should you.

ÉNOBARBUS.
  — Vos vaisseaux sont mal équipés, vos matelots ne sont que des muletiers, des moissonneurs, des gens levés à la hâte et par contrainte. La flotte de César est montée par des marins qui ont souvent combattu Pompée: leurs vaisseaux sont légers, les vôtres sont pesants; il n'y a pour vous aucun déshonneur à refuser le combat sur mer, puisque vous êtes prêt à l'attaquer sur terre.

ENOBARBUS.
  Your ships are not well manned,
  Your mariners are muleteers, reapers, people
  Engrossed by swift impress. In Caesar’s fleet
  Are those that often have ’gainst Pompey fought.
  Their ships are yare, yours heavy. No disgrace
  Shall fall you for refusing him at sea,
  Being prepared for land.

ANTOINE.
  — Sur mer, sur mer.

ANTONY.
  By sea, by sea.

ÉNOBARBUS.
  — Mon digne seigneur, vous perdez par là toute la supériorité que vous avez sur terre: vous démembrez votre armée, qui, en grande partie, est composée d'une infanterie aguerrie; vous laissez sans emploi votre habileté si justement renommée; vous abandonnez le parti qui vous promet un succès assuré: vous vous exposez au simple caprice du hasard.

ENOBARBUS.
  Most worthy sir, you therein throw away
  The absolute soldiership you have by land;
  Distract your army, which doth most consist
  Of war-marked footmen; leave unexecuted
  Your own renowned knowledge; quite forgo
  The way which promises assurance; and
  Give up yourself merely to chance and hazard
  From firm security.

ANTOINE.
  — Je veux combattre sur mer.

ANTONY.
  I’ll fight at sea.

CLÉOPÂTRE.
  — J'ai soixante vaisseaux; César n'en a pas de meilleurs.

CLEOPATRA.
  I have sixty sails, Caesar none better.

ANTOINE.
  — Nous brûlerons le surplus de notre flotte; et avec les autres vaisseaux bien équipés, nous battrons César, s'il ose avancer vers le promontoire d'Actium. Si la fortune nous trahit, nous pourrons alors prendre notre revanche sur terre. (A un messager qui arrive.) Ton message?

ANTONY.
  Our overplus of shipping will we burn,
  And with the rest full-manned, from th’ head of Actium
  Beat th’ approaching Caesar. But if we fail,
  We then can do ’t at land.
 
    Enter a Messenger.
 
  Thy business?

LE MESSAGER.
  — Les nouvelles sont vraies, seigneur, César est signalé; il a pris Toryne.

MESSENGER.
  The news is true, my lord; he is descried.
  Caesar has taken Toryne.

ANTOINE.
  — Peut-il y être en personne? Cela est impossible; il est même étrange que son armée y soit arrivée. Canidius, tu commanderas sur terre nos dix-neuf légions et nos douze mille chevaux; nous, nous allons à notre flotte. Partons, ma Thétis. (Un soldat paraît.) Que veux-tu, brave soldat?

ANTONY.
  Can he be there in person? ’Tis impossible;
  Strange that his power should be. Canidius,
  Our nineteen legions thou shalt hold by land,
  And our twelve thousand horse. We’ll to our ship.
  Away, my Thetis!
 
    Enter a Soldier.
 
  How now, worthy soldier?

LE SOLDAT.
  — O noble empereur, ne combattez point sur mer; ne vous fiez pas à des planches pourries. Est-ce que vous vous défiez de cette épée et de ces blessures? Laissez aux Égyptiens et aux Phéniciens l'art de nager comme les oisons: nous, Romains, nous avons l'habitude de vaincre sur terre, et en combattant de pied ferme.

SOLDIER.
  O noble emperor, do not fight by sea.
  Trust not to rotten planks. Do you misdoubt
  This sword and these my wounds? Let th’ Egyptians
  And the Phoenicians go a-ducking. We
  Have used to conquer standing on the earth
  And fighting foot to foot.

ANTOINE.
  — Allons, allons, partons.

ANTONY.
  Well, well, away.

    (Antoine, Cléopâtre, Énobarbus sortent.)

    [Exeunt Antony, Cleopatra and Enobarbus.]

LE SOLDAT.
  — Par Hercule, je crois que j'ai raison.

SOLDIER.
  By Hercules, I think I am i’ th’ right.

CANIDIUS.
  — Oui, soldat; mais Antoine ne se repose plus sur ce qui fait sa force. C'est ainsi que notre chef se laisse mener, et nous sommes les soldats de ces femmes.

CANIDIUS.
  Soldier, thou art. But his whole action grows
  Not in the power on ’t. So our leader’s led,
  And we are women’s men.

LE SOLDAT.
  — Vous gardez à terre les légions et toute la cavalerie, n'est-ce pas?

SOLDIER.
  You keep by land
  The legions and the horse whole, do you not?

CANIDIUS.
  — Marcus Octavius, Marcus Justéius, Publicola et Caelius sont pour la mer; mais nous restons tranquilles à terre. — Cette diligence de César passe toute croyance.

CANIDIUS.
  Marcus Octavius, Marcus Justeius,
  Publicola, and Caelius are for sea,
  But we keep whole by land. This speed of Caesar’s
  Carries beyond belief.

LE SOLDAT.
  — Pendant qu'il était encore à Rome, son armée marchait par légers détachements, qui ont trompé tous les espions.

SOLDIER.
  While he was yet in Rome,
  His power went out in such distractions as
  Beguiled all spies.

CANIDIUS.
  — Quel est son lieutenant, le sais-tu?

CANIDIUS.
  Who’s his lieutenant, hear you?

LE SOLDAT.
  — On dit que c'est un certain Taurus.

SOLDIER.
  They say one Taurus.

CANIDIUS.
  — Oh! je connais l'homme!

CANIDIUS.
  Well I know the man.

    (Un messager arrive.)

    Enter a Messenger.

LE MESSAGER.
  — L'empereur demande Canidius.

MESSENGER.
  The Emperor calls Canidius.

CANIDIUS.
  — Le temps est gros d'évènements, et en enfante à chaque minute.

CANIDIUS.
  With news the time’s with labour, and throes forth
  Each minute some.

    (Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE VIII

SCENE VIII.

Une plaine près d'Actium.
A plain near Actium.

    Entrent CÉSAR, TAURUS, officiers et autres.

    Enter Caesar with his army and Taurus marching.

CÉSAR.
  — Taurus!

CAESAR.
  Taurus!

TAURUS.
  — Seigneur!

TAURUS.
  My lord?

CÉSAR.
  — N'agis point sur terre; reste tranquille, et ne provoque pas le combat que l'affaire ne soit décidée sur mer: ne dépasse pas les ordres de ce parchemin, notre fortune en dépend.

CAESAR.
  Strike not by land; keep whole; provoke not battle
  Till we have done at sea. Do not exceed
  The prescript of this scroll. Our fortune lies
  Upon this jump.

(Ils sortent.)

    [Exeunt.]

(Entrent Antoine et Énobarbus.)

SCENE IX.

Another part of the Plain.

 

    Enter Antony and Enobarbus.

ANTOINE.
  — Plaçons nos escadrons de ce côté de la montagne, en face de l'armée de César; de ce poste, nous pourrons découvrir le nombre de ses vaisseaux et agir en conséquence.

ANTONY.
  Set we our squadrons on yon side o’ th’ hill
  In eye of Caesar’s battle, from which place
  We may the number of the ships behold
  And so proceed accordingly.

(Ils sortent.)

    [Exeunt.]

SCENE X.

Another part of the Plain.

(Canidius traverse le théâtre d'un côté avec son armée de terre, et Taurus, lieutenant de César, passe de l'autre côté, dès qu'ils ont disparu on entend le bruit d'un combat naval.)

    Canidius marching with his land army one way over the stage, and Taurus, the Lieutenant of Caesar, with his Army, the other way. After their going in, is heard the noise of a sea fight.

 

    Alarum. Enter Enobarbus.

ÉNOBARBUS rentre.
  — Tout est perdu! tout est perdu! Je n'en puis voir davantage. L'Antoniade, le vaisseau amiral de la flotte égyptienne tourne son gouvernail et fuit avec les soixante autres vaisseaux. Ce spectacle a foudroyé mes yeux.

ENOBARBUS.
  Naught, naught, all naught! I can behold no longer.
  Th’ Antoniad, the Egyptian admiral,
  With all their sixty, fly and turn the rudder.
  To see ’t mine eyes are blasted.

(Entre Scarus.)

    Enter Scarus.

SCARUS.
  — Dieux et déesses, et tout ce qu'il y a de puissances dans l'Olympe!

SCARUS.
  Gods and goddesses,
  All the whole synod of them!

ÉNOBARBUS.
  — Quel est ce transport?

ENOBARBUS.
  What’s thy passion?

SCARUS.
  — La plus belle part de l'univers est perdue par pure ignorance. Nous avons perdu royaumes et provinces pour des baisers.

SCARUS.
  The greater cantle of the world is lost
  With very ignorance. We have kissed away
  Kingdoms and provinces.

ÉNOBARBUS.
  — Où en est le combat?

ENOBARBUS.
  How appears the fight?

SCARUS.
  — De notre côté, comme la peste lorsqu'on a vu les boutons et que la mort est certaine. Cette infâme prostituée d'Égypte, que la lèpre saisisse, au fort de l'action, lorsque les avantages semblaient jumeaux, tous deux semblables, et que nous semblions même être l'aîné, je ne sais quel taon la pique comme une génisse au mois de juin, mais elle fait hausser les voiles et fuit.

SCARUS.
  On our side like, the tokened pestilence,
  Where death is sure. Yon ribaudred nag of Egypt,
  Whom leprosy o’ertake, i’ th’ midst o’ th’ fight,
  When vantage like a pair of twins appeared,
  Both as the same—or, rather, ours the elder—
  The breeze upon her, like a cow in June,
  Hoists sails and flies.

ÉNOBARBUS.
  — J'en ai été témoin; mes yeux, rendus malades par ce spectacle, n'ont pu en soutenir plus longtemps la vue.

ENOBARBUS.
  That I beheld.
  Mine eyes did sicken at the sight and could not
  Endure a further view.

SCARUS.
  — À peine a-t-elle cinglé, en s'enfuyant, qu'Antoine, noble victime de ses enchantements, déploie les ailes de son vaisseau, et, comme un insensé, abandonne le combat au fort de la mêlée, et fuit sur ses traces. Je n'ai jamais vu d'action si honteuse. Jamais l'expérience, la bravoure et l'honneur ne se sont aussi indignement trahis.

SCARUS.
  She once being loofed,
  The noble ruin of her magic, Antony,
  Claps on his sea-wing and, like a doting mallard,
  Leaving the fight in height, flies after her.
  I never saw an action of such shame.
  Experience, manhood, honour, ne’er before
  Did violate so itself.

ÉNOBARBUS.
  — Hélas! hélas!

ENOBARBUS.
  Alack, alack!

CANIDIUS arrive.
  — Notre fortune sur mer est aux abois et s'abîme de la manière la plus lamentable. Si notre général s'était souvenu de ce qu'il fut jadis, tout allait à merveille. Oh! il nous a donné bien lâchement l'exemple de la fuite!

    Enter Canidius. CANIDIUS.
  Our fortune on the sea is out of breath
  And sinks most lamentably. Had our general
  Been what he knew himself, it had gone well.
  O, he has given example for our flight
  Most grossly by his own!

ÉNOBARBUS, à part.
  — Oui. Ah! en êtes vous là? En ce cas, bonsoir; adieu.

ENOBARBUS.
  Ay, are you thereabouts?
  Why, then, good night indeed.

CANIDIUS.
  — Ils fuient vers le Péloponèse.

CANIDIUS.
  Toward Peloponnesus are they fled.

SCARUS.
  — Cela est aisé; et j'irai aussi attendre là l'événement.

SCARUS.
  ’Tis easy to’t, and there I will attend
  What further comes.

CANIDIUS.
  — Je vais me rendre à César avec mes légions et ma cavalerie; déjà six rois m'ont donné l'exemple de la soumission.

CANIDIUS.
  To Caesar will I render
  My legions and my horse. Six kings already
  Show me the way of yielding.

ÉNOBARBUS.
  — Je veux suivre encore la fortune chancelante d'Antoine, quoique la prudence me conseille le contraire.

ENOBARBUS.
  I’ll yet follow
  The wounded chance of Antony, though my reason
  Sits in the wind against me.

(Ils sortent par différents côtés.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE IX

SCENE XI.

Alexandrie. — Appartement du palais.
Alexandria. A Room in the Palace.

    ANTOINE et sa suite.

    Enter Antony with attendants.

ANTOINE.
  — Écoutez, la terre me défend de la fouler plus longtemps. Elle a honte de me porter! Approchez, mes amis; je me suis si fort attardé dans le monde que j'ai perdu ma route pour jamais. — Il me reste un vaisseau chargé d'or, prenez-le; partagez-le entre vous. Fuyez, et allez faire votre paix avec César.

ANTONY.
  Hark, the land bids me tread no more upon’t.
  It is ashamed to bear me. Friends, come hither.
  I am so lated in the world that I
  Have lost my way for ever. I have a ship
  Laden with gold. Take that, divide it. Fly,
  And make your peace with Caesar.

TOUS.
  — Fuir? Non, pas nous.

ALL.
  Fly? Not we.

ANTOINE.
  — J'ai bien fui moi-même, et j'ai appris aux lâches à se sauver et à montrer leur dos à l'ennemi. Amis, quittez-moi; je suis décidé à suivre une voie dans laquelle je n'ai aucun besoin de vous. Allez. Mon trésor est dans le port; prenez-le. — Oh! j'ai suivi celle que je rougis maintenant d'envisager! Mes cheveux eux-mêmes se révoltent, car mes cheveux blancs reprochent aux cheveux bruns leur imprudence, et ceux-ci reprochent aux autres leur lâcheté et leur folie. — Mes amis, quittez-moi; je vous donnerai des lettres pour quelques amis, qui vous faciliteront l'accès auprès de César. Je vous en conjure, ne vous affligez point: ne me parlez pas de votre répugnance, suivez le conseil que mon désespoir vous donne bien haut; abandonnez ceux qui s'abandonnent eux-mêmes. Descendez tout droit au rivage. Je vais dans un instant vous mettre en possession de ce trésor et de ce vaisseau. — Laissez-moi, je vous prie, un moment. — Je vous en conjure, laissez-moi; je vous en prie, car j'ai perdu le droit de vous commander. Je vous rejoindrai tout à l'heure.

ANTONY.
  I have fled myself, and have instructed cowards
  To run and show their shoulders. Friends, be gone.
  I have myself resolved upon a course
  Which has no need of you. Be gone.
  My treasure’s in the harbour. Take it. O,
  I followed that I blush to look upon.
  My very hairs do mutiny, for the white
  Reprove the brown for rashness, and they them
  For fear and doting. Friends, be gone. You shall
  Have letters from me to some friends that will
  Sweep your way for you. Pray you, look not sad,
  Nor make replies of loathness. Take the hint
  Which my despair proclaims. Let that be left
  Which leaves itself. To the sea-side straightway.
  I will possess you of that ship and treasure.
  Leave me, I pray, a little—pray you, now,
  Nay, do so; for indeed I have lost command.
  Therefore I pray you. I’ll see you by and by.

    (Il s'assied.)

    [Sits down.]

(Entrent Éros, et Cléopâtre soutenue par Charmiane et Iras.)

    Enter Cleopatra led by Charmian, Iras and Eros.

ÉROS.
  — Oui, madame, approchez-vous; venez, consolez-le.

EROS.
  Nay, gentle madam, to him! Comfort him.

IRAS.
  — Consolez-le, chère reine.

IRAS.
  Do, most dear queen.

CHAHMIANE.
  — Le consoler! Oui, sans doute.

CHARMIAN.
  Do! Why, what else?

CLÉOPÂTRE.
  — Laissez-moi m'asseoir. Ô Junon!

CLEOPATRA.
  Let me sit down. O Juno!

ANTOINE.
  — Non, non, non, non.

ANTONY.
  No, no, no, no, no.

ÉROS.
  — La voyez-vous, seigneur?

EROS.
  See you here, sir?

ANTOINE, détournant les yeux.
  — Oh! loin de moi, loin, loin!

ANTONY.
  O, fie, fie, fie!

CHARMIANE.
  — Madame....

CHARMIAN.
  Madam.

IRAS.
  — Madame, chère souveraine....

IRAS.
  Madam, O good empress!

ÉROS.
  — Seigneur, seigneur!

EROS.
  Sir, sir!

ANTOINE.
  — Oui, mon seigneur, oui, vraiment.—Il portait à Philippes son épée dans le fourreau, comme un danseur, tandis que je frappais le vieux et maigre Cassius, et ce fut moi qui donnai la mort au frénétique Brutus. Lui, il n'agissait que par des lieutenants et n'avait aucune expérience des grands exploits de la guerre; et aujourd'hui... — N'importe.

ANTONY.
  Yes, my lord, yes. He at Philippi kept
  His sword e’en like a dancer, while I struck
  The lean and wrinkled Cassius, and ’twas I
  That the mad Brutus ended. He alone
  Dealt on lieutenantry, and no practice had
  In the brave squares of war. Yet now—no matter.

CLÉOPÂTRE.
  — Ah! restez-là.

CLEOPATRA.
  Ah, stand by.

ÉROS.
  — La reine, seigneur, la reine!

EROS.
  The Queen, my lord, the Queen!

IRAS.
  — Avancez vers lui, madame. Parlez-lui. Il est hors de lui, il est accablé par la honte.

IRAS.
  Go to him, madam; speak to him.
  He is unqualitied with very shame.

CLÉOPÂTRE.
  — Allons, soutenez-moi donc.—Oh!

CLEOPATRA.
  Well then, sustain me. O!

ÉROS.
  — Noble seigneur, levez-vous: la reine s'approche; sa tête est penchée et la mort va la saisir; mais vous pouvez la consoler et la rappeler à la vie.

EROS.
  Most noble sir, arise. The Queen approaches.
  Her head’s declined, and death will seize her but
  Your comfort makes the rescue.

ANTOINE.
  — J'ai porté un coup mortel à ma réputation! le coup le plus lâche....

ANTONY.
  I have offended reputation,
  A most unnoble swerving.

ÉROS.
  — Seigneur, la reine...

EROS.
  Sir, the Queen.

ANTOINE.
  — O Égyptienne, où m'as-tu conduit? Vois, je cherche à dérober mon ignominie à tes yeux, en jetant mes regards en arrière, sur ce que j'ai laissé derrière moi, plongé dans le déshonneur.

ANTONY.
  O, whither hast thou led me, Egypt? See
  How I convey my shame out of thine eyes
  By looking back what I have left behind
  ’Stroyed in dishonour.

CLÉOPÂTRE.
  — Ah! seigneur, seigneur, pardonnez à mes timides vaisseaux; j'étais loin de prévoir que vous me suivriez.

CLEOPATRA.
  O my lord, my lord,
  Forgive my fearful sails! I little thought
  You would have followed.

ANTOINE.
  — Égyptienne, tu savais trop bien que mon cœur était attaché au gouvernail de ton vaisseau, et que tu me traînerais à la remorque. Tu connaissais ton empire absolu sur mon âme, et tu savais qu'un signe de toi m'eût fait désobéir aux ordres des dieux mêmes.

ANTONY.
  Egypt, thou knew’st too well
  My heart was to thy rudder tied by th’ strings,
  And thou shouldst tow me after. O’er my spirit
  Thy full supremacy thou knew’st, and that
  Thy beck might from the bidding of the gods
  Command me.

CLÉOPÂTRE.
  — Oh! pardonne-moi!

CLEOPATRA.
  O, my pardon!

ANTOINE.
  — Maintenant il faut que j'envoie d'humbles propositions à ce jeune homme. Il faut que je supplie, que je rampe dans tous les détours de l'humiliation; moi qui gouvernais, en me jouant, la moitié de l'univers, qui créais et anéantissais, à mon gré, les fortunes! Tu savais trop à quel point tu avais asservi mon âme, et que mon épée, affaiblie par ma passion, lui obéirait toujours.

ANTONY.
  Now I must
  To the young man send humble treaties, dodge
  And palter in the shifts of lowness, who
  With half the bulk o’ th’ world played as I pleased,
  Making and marring fortunes. You did know
  How much you were my conqueror, and that
  My sword, made weak by my affection, would
  Obey it on all cause.

CLÉOPÂTRE.
  — Oh! pardon.

CLEOPATRA.
  Pardon, pardon!

ANTOINE.
  — Ah! ne pleure pas; une seule de tes larmes vaut tout ce que j'ai jamais pu gagner ou perdre: donne-moi un baiser, il me paye de tout.—Nous avons envoyé notre maître d'école. — Est-il de retour? — Ma bien-airnée, je me sens abattu. Un peu de vin là-dedans et quelques aliments. — La fortune sait que plus elle me menace, et plus je la brave.

ANTONY.
  Fall not a tear, I say; one of them rates
  All that is won and lost. Give me a kiss.
  Even this repays me.
  We sent our schoolmaster. Is he come back?
  Love, I am full of lead. Some wine
  Within there, and our viands! Fortune knows
  We scorn her most when most she offers blows.

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE X

SCENE XII.

Le camp de César en Égypte.
Caesar’s camp in Egypt.

    CÉSAR, AGRIPPA, DOLABELLA, THYRÉUS, suite.

    Enter Caesar, Agrippa, Dolabella with others.

CÉSAR.
  — Qu'on fasse entrer l'envoyé d'Antoine. Le connaissez-vous?

CAESAR.
  Let him appear that’s come from Antony.
  Know you him?

DOLABELLA.
  — César, c'est son maître d'école; preuve qu'il est bien déplumé, puisqu'il envoie ici une si petite plume de son aile, lui qui avait tant de rois pour messagers, il n'y a que quelques mois.

DOLABELLA.
  Caesar, ’tis his schoolmaster—
  An argument that he is plucked, when hither
  He sends so poor a pinion of his wing,
  Which had superfluous kings for messengers
  Not many moons gone by.

(Entre Euphronius.)

    Enter Ambassador from Anthony.

CÉSAR.
  — Approche et parle.

CAESAR.
  Approach, and speak.

EUPHRONIUS.
  — Tel que je suis, je viens de la part d'Antoine; j'étais, il n'y a pas longtemps, aussi petit dans ses desseins que la goutte de rosée sur une feuille de myrte en comparaison de l'Océan.

AMBASSADOR.
  Such as I am, I come from Antony.
  I was of late as petty to his ends
  As is the morn-dew on the myrtle leaf
  To his grand sea.

CÉSAR.
  — Soit; remplis ta commission.

CAESAR.
  Be’t so. Declare thine office.

EUPHRONIUS.
  — Il salue en toi le maître de sa destinée et demande à vivre en Égypte. Si tu refuses, il abaisse ses prétentions et te prie de le laisser respirer entre la terre et le ciel, en simple citoyen, dans Athènes. Voilà pour ce qui le regarde. — Quant à Cléopâtre, elle rend hommage à ta grandeur; elle se soumet à ta puissance et te demande, pour ses enfants, le diadème des Ptolémées, qui maintenant est assujetti à ta volonté suprême.

AMBASSADOR.
  Lord of his fortunes he salutes thee, and
  Requires to live in Egypt, which not granted,
  He lessens his requests, and to thee sues
  To let him breathe between the heavens and earth,
  A private man in Athens. This for him.
  Next, Cleopatra does confess thy greatness,
  Submits her to thy might, and of thee craves
  The circle of the Ptolemies for her heirs,
  Now hazarded to thy grace.

CÉSAR.
  — Pour Antoine, je n'écoute point sa requête.—Quant à la reine, je ne lui refuse point ni de l'entendre, ni de la satisfaire; mais c'est à condition qu'elle chassera de l'Égypte son amant déshonoré ou qu'elle lui ôtera la vie. Si elle m'obéit en ce point, sa prière ne sera point rebutée. Annonce à tous deux ma réponse.

CAESAR.
  For Antony,
  I have no ears to his request. The queen
  Of audience nor desire shall fail, so she
  From Egypt drive her all-disgraced friend,
  Or take his life there. This if she perform,
  She shall not sue unheard. So to them both.

EUPHRONIUS.
  — Que la fortune continue de te suivre!

AMBASSADOR.
  Fortune pursue thee!

CÉSAR.
  — Faites-lui traverser le camp. (Euphronius sort — A Thyréus.) Voici le moment d'essayer ton éloquence, pars, détache Cléopâtre des intérêts d'Antoine; promets-lui, en mon nom, tout ce qu'elle te demandera; ajoute toi-même des offres de ton invention. Les femmes dans la meilleure fortune ne sont pas fortes; mais l'infortune rendrait parjure les vestales mêmes. Essaye ton adresse, Thyréus, fixe toi-même ta récompense, tes désirs seront obéis comme des lois.

CAESAR.
  Bring him through the bands.

    [Exit Ambassador, attended.]

[To Thidias.] To try thy eloquence now ’tis time. Dispatch.
  From Antony win Cleopatra. Promise,
  And in our name, what she requires; add more,
  From thine invention, offers. Women are not
  In their best fortunes strong, but want will perjure
  The ne’er-touch’d vestal. Try thy cunning, Thidias;
  Make thine own edict for thy pains, which we
  Will answer as a law.

THYRÉUS.
  — César, je pars.

THIDIAS.
  Caesar, I go.

CÉSAR.
  — Observe comment Antoine soutient son malheur; apprends-moi ce que tu conjectures de sa manière d'agir et de ses démarches.

CAESAR.
  Observe how Antony becomes his flaw,
  And what thou think’st his very action speaks
  In every power that moves.

THYRÉUS.
  — César, je le ferai.

THIDIAS.
  Caesar, I shall.

[Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE XI

SCENE XIII.

Alexandrie. — Appartement du palais.
Alexandria. A Room in the Palace.

    Entrent CLÉOPÂTRE, ÉNOBARBUS, CHARMIANE, IRAS.

    Enter Cleopatra, Enobarbus, Charmian and Iras.

CLÉOPÂTRE.
  — Que faut-il faire, Énobarbus?

CLEOPATRA.
  What shall we do, Enobarbus?

ÉNOBARBUS.
  — Penser et mourir.

ENOBARBUS.
  Think, and die.

CLÉOPÂTRE.
  — La faute est-elle à Antoine ou à moi?

CLEOPATRA.
  Is Antony or we in fault for this?

ÉNOBARBUS.
  — A Antoine seul: lui qui permet à sa volonté de maîtriser sa raison. Eh! qu'importe que vous ayez fui loin de ce grand spectacle de la guerre, où la terreur passait alternativement d'une flotte à l'autre! Pourquoi vous a-t-il suivie? L'ardeur de son affection n'aurait pas dû porter un coup fatal à sa réputation de grand capitaine, au moment où la moitié de l'univers combattait l'autre, lui, étant le seul sujet de la querelle. Ce fut une honte égale à sa perte d'aller suivre vos pavillons fuyants et d'abandonner sa flotte étonnée de sa fuite.

ENOBARBUS.
  Antony only, that would make his will
  Lord of his reason. What though you fled
  From that great face of war, whose several ranges
  Frighted each other? Why should he follow?
  The itch of his affection should not then
  Have nicked his captainship, at such a point,
  When half to half the world opposed, he being
  The mered question. ’Twas a shame no less
  Than was his loss, to course your flying flags
  And leave his navy gazing.

CLÉOPÂTRE.
  — Tais-toi, je t'en prie.

CLEOPATRA.
  Prithee, peace.

(Entrent Antoine et Euphronius)

Enter the Ambassador with Antony.

ANTOINE.
  — Et c'est là sa réponse?

ANTONY.
  Is that his answer?

EUPHRONIUS.
  — Oui, seigneur.

AMBASSADOR.
  Ay, my lord.

ANTOINE.
  — Ainsi, la reine sera bien accueillie si elle veut me sacrifier.

ANTONY.
  The Queen shall then have courtesy, so she
  Will yield us up.

EUPHRONIUS.
  — C'est ce qu'il a dit.

AMBASSADOR.
  He says so.

ANTOINE.
  — Qu'elle le sache. — Envoyez au jeune César cette tête grise, et il remplira de royaumes, jusqu'aux bords, la coupe de vos désirs.

ANTONY.
  Let her know’t.—
  To the boy Caesar send this grizzled head,
  And he will fill thy wishes to the brim
  With principalities.

CLÉOPÂTRE.
  — Votre tête, seigneur!

CLEOPATRA.
  That head, my lord?

ANTOINE.
  — Retourne vers lui. — Dis-lui qu'il porte sur son visage les roses de la jeunesse, que l'univers attend de lui plus que des actions ordinaires; dis-lui qu'il serait possible que son or, ses vaisseaux, ses légions, appartinssent à un lâche; que des généraux subalternes peuvent triompher au service d'un enfant aussi bien que sous les ordres de César: et que je le défie de venir, mettant de côté l'inégalité de nos fortunes, se mesurer avec moi, qui suis déjà sur le déclin de l'âge, fer contre fer et seul à seul. Je vais lui écrire. (Au député.) Suis-moi.

ANTONY.
  To him again. Tell him he wears the rose
  Of youth upon him, from which the world should note
  Something particular: his coin, ships, legions,
  May be a coward’s; whose ministers would prevail
  Under the service of a child as soon
  As i’ th’ command of Caesar. I dare him therefore
  To lay his gay comparisons apart,
  And answer me declined, sword against sword,
  Ourselves alone. I’ll write it. Follow me.

(Antoine sort avec Euphronius.)

    [Exeunt Antony and Ambassador.]

ÉNOBARBUS.
  — Oui, cela est bien vraisemblable que César, entouré d'une armée victorieuse, ira mettre en jeu son bonheur, et se donner en spectacle comme un spadassin!—Je vois bien que les jugements des hommes ressemblent à leur fortune, et que les objets extérieurs entraînent les qualités de l'âme et les font en même temps déchoir. Qu'il puisse rêver, lui qui connaît la valeur des choses, que César dans l'abondance répondra à son dénùment! César, tu as aussi vaincu sa raison.

ENOBARBUS.
  Yes, like enough high-battled Caesar will
  Unstate his happiness, and be staged to th’ show
  Against a sworder! I see men’s judgments are
  A parcel of their fortunes, and things outward
  Do draw the inward quality after them
  To suffer all alike. That he should dream,
  Knowing all measures, the full Caesar will
  Answer his emptiness! Caesar, thou hast subdued
  His judgment too.

(Un esclave entre.)

    Enter a Servant.

L'ESCLAVE.
  — Voici un envoyé de César.

SERVANT.
  A messenger from Caesar.

CLÉOPÂTRE.
  — Quoi! pas plus de cérémonies? — Voyez, mes femmes! — On se bouche le nez près de la rose épanouie dont on venait à genoux admirer les boutons!

CLEOPATRA.
  What, no more ceremony? See, my women,
  Against the blown rose may they stop their nose
  That kneeled unto the buds. Admit him, sir.

    [Exit Servant.]

ÉNOBARBUS, à part.
  — Mon honneur et moi nous commençons à nous quereller. La loyauté gardée à des fous change notre constance en vraie folie; cependant, celui qui persiste à suivre avec fidélité un maître déchu est le vainqueur du vainqueur de son maître, et acquiert une place dans l'histoire.

ENOBARBUS.
  [Aside.] Mine honesty and I begin to square.
  The loyalty well held to fools does make
  Our faith mere folly. Yet he that can endure
  To follow with allegiance a fallen lord
  Does conquer him that did his master conquer,
  And earns a place i’ th’ story.

(Entre Thyréus.)

    Enter Thidias.

CLÉOPÂTRE.
  — Que veut César?

CLEOPATRA.
  Caesar’s will?

THYRÉUS.
  — Venez l'entendre à l'écart.

THIDIAS.
  Hear it apart.

CLÉOPÂTRE.
  — Il n'y a ici que des amis; parle hardiment.

CLEOPATRA.
  None but friends. Say boldly.

THYRÉUS.
  — Mais peut-être sont-ils aussi les amis d'Antoine.

THIDIAS.
  So haply are they friends to Antony.

ÉNOBARBUS.
  — Il aurait besoin d'avoir autant d'amis que César, sans quoi nous lui sommes fort inutiles. S'il plaisait à César, Antoine volerait au-devant de son amitié: pour nous, vous le savez, nous sommes les amis de ses amis, j'entends de César.

ENOBARBUS.
  He needs as many, sir, as Caesar has,
  Or needs not us. If Caesar please, our master
  Will leap to be his friend. For us, you know
  Whose he is we are, and that is Caesar’s.

THYRÉUS.
  — Allons! Ainsi donc, illustre reine, César vous exhorte à ne pas tenir compte de votre situation, mais à vous souvenir seulement qu'il est César.

THIDIAS.
  So.—
  Thus then, thou most renowned: Caesar entreats
  Not to consider in what case thou stand’st
  Further than he is Caesar.

CLÉOPÂTRE.
  — Poursuis. — C'est agir loyalement.

CLEOPATRA.
  Go on; right royal.

THYRÉUS.
  — Il sait que vous restez attachée à Antoine moins par amour que par crainte.

THIDIAS.
  He knows that you embrace not Antony
  As you did love, but as you feared him.

CLÉOPÂTRE.
  — Oh!

CLEOPATRA.
  O!

THYRÉUS.
  — Il plaint donc les atteintes portées à votre honneur comme des taches forcées, mais non méritées.

THIDIAS.
  The scars upon your honour, therefore, he
  Does pity as constrained blemishes,
  Not as deserved.

CLÉOPÂTRE.
  — Il est un dieu qui sait démêler la vérité. Mon honneur n'a point cédé, il a été conquis par la force.

CLEOPATRA.
  He is a god and knows
  What is most right. Mine honour was not yielded,
  But conquered merely.

ÉNOBARBUS, à part.
  — Pour m'assurer de ce fait, je le demanderai à Antoine. — Seigneur, seigneur, tu es un vaisseau qui prend tellement l'eau qu'il faut te laisser couler à fond, car ce que tu as de plus cher t'abandonne.

ENOBARBUS.
  [Aside.] To be sure of that,
  I will ask Antony. Sir, sir, thou art so leaky
  That we must leave thee to thy sinking, for
  Thy dearest quit thee.

(Énobarbus sort.)

    [Exit Enobarbus.]

THYRÉUS.
  — Dirai-je à César ce que vous désirez de lui; car il souhaite surtout qu'on lui demande pour pouvoir accorder. Il serait enchanté que vous fissiez de sa fortune un bâton pour vous appuyer. Mais ce qui enflammerait encore plus son zèle pour vous, ce serait d'apprendre de moi que vous avez quitté Antoine, et que vous vous réfugiez sous l'abri de sa puissance, lui le maître de l'univers.

THIDIAS.
  Shall I say to Caesar
  What you require of him? For he partly begs
  To be desired to give. It much would please him
  That of his fortunes you should make a staff
  To lean upon. But it would warm his spirits
  To hear from me you had left Antony,
  And put yourself under his shroud,
  The universal landlord.

CLÉOPÂTRE.
  — Quel est ton nom?

CLEOPATRA.
  What’s your name?

THYRÉUS.
  — Mon nom est Thyréus.

THIDIAS.
  My name is Thidias.

CLÉOPÂTRE.
  — Gracieux messager, dis au grand César que je baise sa main victorieuse en la personne de son député; dis-lui que je m'empresse de déposer ma couronne à ses pieds et de lui rendre hommage à genoux. Dis-lui que j'attends de sa voix souveraine la sentence de l'Égypte.

CLEOPATRA.
  Most kind messenger,
  Say to great Caesar this in deputation:
  I kiss his conqu’ring hand. Tell him I am prompt
  To lay my crown at’s feet, and there to kneel.
  Tell him, from his all-obeying breath I hear
  The doom of Egypt.

THYRÉUS.
  — C'est le parti le plus honorable pour vous. Quand la prudence et la fortune sont aux prises, si la première n'ose que ce qu'elle peut, nul hasard ne peut l'ébranler. — Accordez-moi la faveur de déposer mon hommage sur votre main.

THIDIAS.
  ’Tis your noblest course.
  Wisdom and fortune combating together,
  If that the former dare but what it can,
  No chance may shake it. Give me grace to lay
  My duty on your hand.

CLÉOPÂTRE.
  — Plus d'une fois le père de votre César, après avoir rêvé à la conquête des royaumes, posa ses lèvres sur cette main indigne de lui, et la couvrit d'une pluie de baisers.

CLEOPATRA.
  Your Caesar’s father oft,
  When he hath mused of taking kingdoms in,
  Bestowed his lips on that unworthy place
  As it rained kisses.

(Antoine entre avec Énobarbus.)

    Enter Antony and Enobarbus.

ANTOINE.
  — Des faveurs!... par Jupiter tonnant!—Qui es-tu?

ANTONY.
  Favours, by Jove that thunders!
  What art thou, fellow?

THYRÉUS.
  — Un homme qui exécute les ordres du plus puissant des hommes et du plus digne d'être obéi.

THIDIAS.
  One that but performs
  The bidding of the fullest man and worthiest
  To have command obeyed.

ÉNOBARBUS.
  — Tu seras fouetté!

ENOBARBUS.
  [Aside.] You will be whipped.

ANTOINE, à ses esclaves.
  — Approchez ici. — (A Cléopâtre.) — Et toi, milan! — Eh bien! dieux et diables! mon autorité s'évanouit! Naguère, quand je criais holà! des rois accouraient aussitôt, comme une troupe d'enfants dans une course, et me répondaient: Que me voulez-vous? — N'avez-vous point d'oreilles? Je suis encore Antoine. (Ses gens entrent.) Saisissez-moi cet insolent, et fouettez-le.

ANTONY.
  Approach there.—Ah, you kite!—Now, gods and devils,
  Authority melts from me. Of late when I cried “Ho!”
  Like boys unto a muss, kings would start forth
  And cry “Your will?” Have you no ears? I am
  Antony yet.

    Enter Servants.

  Take hence this jack and whip him.

ÉNOBARBUS.
  — Il vaut mieux se jouer à un jeune lionceau qu'à un vieux lion mourant.

ENOBARBUS.
  ’Tis better playing with a lion’s whelp
  Than with an old one dying.

ANTOINE.
  — Par la lune et les étoiles!—Qu'il soit fouetté! Fussent-ils vingt des plus puissants tributaires qui rendent hommage à César, si je les surprenais ayant l'insolence de baiser la main de cette... Comment s'appelle-t-elle? Jadis, c'était Cléopâtre! Fouettez-le jusqu'à ce que vous le voyiez vous regarder d'un air suppliant comme un écolier et vous demander miséricorde par ses gémissements. Qu'on m'emmène.

ANTONY.
  Moon and stars!
  Whip him. Were’t twenty of the greatest tributaries
  That do acknowledge Caesar, should I find them
  So saucy with the hand of she here—what’s her name
  Since she was Cleopatra? Whip him, fellows,
  Till like a boy you see him cringe his face
  And whine aloud for mercy. Take him hence.

THYRÉUS.
  — Marc-Antoine...

THIDIAS.
  Mark Antony—

ANTOINE.
  — Qu'on l'entraîne, et quand il sera fouetté, qu'on le ramène. Ce valet de César lui reportera un message. (On emmène Thyréus.—A Cléopâtre.) Vous étiez à moitié flétrie quand je vous ai connue. — Ai-je laissé dans Rome ma couche vierge encore? Ai-je renoncé à être le père d'une postérité légitime, et par la perle des femmes, pour être trompé par une femme qui regarde des valets?

ANTONY.
  Tug him away. Being whipp’d,
  Bring him again. This jack of Caesar’s shall
  Bear us an errand to him.

    [Exeunt Servants with Thidias.]

  You were half blasted ere I knew you. Ha!
  Have I my pillow left unpressed in Rome,
  Forborne the getting of a lawful race,
  And by a gem of women, to be abused
  By one that looks on feeders?

CLÉOPÂTRE.
  — Mon cher seigneur...

CLEOPATRA.
  Good my lord—

ANTOINE.
  — Vous avez toujours été perfide. Mais quand nous nous endurcissons dans nos penchants dépravés, ô malheur! les justes dieux ferment nos yeux, laissent perdre notre raison dans notre propre infamie, nous font adorer nos erreurs, et rient de nous voir marcher fièrement à notre perte.

ANTONY.
  You have been a boggler ever.
  But when we in our viciousness grow hard—
  O misery on’t!—the wise gods seal our eyes,
  In our own filth drop our clear judgments, make us
  Adore our errors, laugh at’s while we strut
  To our confusion.

CLÉOPÂTRE.
  — Oh! en sommes-nous là?

CLEOPATRA.
  O, is’t come to this?

ANTOINE.
  — Je vous ai trouvée comme un mets refroidi sur la table de Jules-César mort; de plus, vous étiez aussi un reste de Cnéius Pompée; sans compter toutes les heures souillées de vos débauches clandestines, et qui n'ont pas été enregistrées dans le livre de la Renommée; car je suis sûr, quoique vous puissiez deviner, que vous ne savez pas ce que c'est, ce que ce doit être que la vertu.

ANTONY.
  I found you as a morsel cold upon
  Dead Caesar’s trencher; nay, you were a fragment
  Of Gneius Pompey’s, besides what hotter hours,
  Unregistered in vulgar fame, you have
  Luxuriously pick’d out. For I am sure,
  Though you can guess what temperance should be,
  You know not what it is.

CLÉOPÂTRE.
  — Pourquoi tout cela?

CLEOPATRA.
  Wherefore is this?

ANTOINE.
  — Souffrir qu'un malheureux qui reçoit un salaire et dit: Dieu vous le rende, prenne des libertés familières avec cette main qui s'enchaîne à la mienne dans nos jeux, avec cette main, sceau royal et gage des grands cœurs! Oh! que ne suis-je sur la montagne de Bascan, pour couvrir de mes cris le mugissement des bêtes à cornes! car j'ai un motif terrible de fureur; et m'exprimer avec courtoisie, ce serait être comme un homme qui, se voyant la corde au cou, remercie le bourreau de l'adresse qu'il montre. (Thyréus rentre avec les gens d'Antoine.) Est-il fouetté?

ANTONY.
  To let a fellow that will take rewards
  And say “God quit you!” be familiar with
  My playfellow, your hand, this kingly seal
  And plighter of high hearts! O that I were
  Upon the hill of Basan, to outroar
  The horned herd! For I have savage cause,
  And to proclaim it civilly were like
  A haltered neck which does the hangman thank
  For being yare about him.

    Enter a Servant with Thidias.

  Is he whipped?

L'ESCLAVE.
  — Solidement, seigneur.

SERVANT.
  Soundly, my lord.

ANTOINE.
  — A-t-il jeté des cris? A-t-il demandé grâce?

ANTONY.
  Cried he? And begged he pardon?

L'ESCLAVE.
  — Oui, seigneur.

SERVANT.
  He did ask favour.

ANTOINE, à Thyréus.
  — Si ton père vit encore, qu'il regrette de n'avoir pas eu une fille au lieu de toi. Repens-toi d'avoir suivi César dans ses triomphes, puisque tu as été fouetté pour l'avoir suivi. Désormais, que la blanche main d'une dame te donne la fièvre, tremble à sa seule vue. — Retourne à César; apprends-lui ta réception. Vois et dis-lui à quel point il m'irrite contre lui; car il affecte l'orgueil et le dédain, et s'arrête à ce que je suis, sans se souvenir de ce que je fus. Il m'irrite, et, dans ce moment, cela est fort aisé, à présent que les astres favorables qui jadis étaient mes guides ont fui de leur orbite et ont précipité leur feu dans l'abîme de l'enfer. Si mon langage et ce que j'ai fait lui déplaisent, dis-lui qu'Hipparchus, mon affranchi, est en sa puissance et qu'il peut, à son plaisir, le fouetter, le pendre ou le torturer comme il voudra, pour s'acquitter avec moi. Presse-le de le faire; maintenant, toi et tes coups, allez-vous-en.

ANTONY.
  If that thy father live, let him repent
  Thou wast not made his daughter; and be thou sorry
  To follow Caesar in his triumph, since
  Thou hast been whipped for following him. Henceforth
  The white hand of a lady fever thee;
  Shake thou to look on’t. Get thee back to Caesar;
  Tell him thy entertainment. Look thou say
  He makes me angry with him; for he seems
  Proud and disdainful, harping on what I am,
  Not what he knew I was. He makes me angry,
  And at this time most easy ’tis to do’t,
  When my good stars that were my former guides
  Have empty left their orbs and shot their fires
  Into th’ abysm of hell. If he mislike
  My speech and what is done, tell him he has
  Hipparchus, my enfranched bondman, whom
  He may at pleasure whip, or hang, or torture,
  As he shall like, to quit me. Urge it thou.
  Hence with thy stripes, be gone.

(Thyréus sort.)

    [Exit Thidias.]

CLÉOPÂTRE.
  — Avez-vous fini?

CLEOPATRA.
  Have you done yet?

ANTOINE.
  — Hélas! notre lune terrestre est éclipsée; ce présage seul annonce la chute d'Antoine.

ANTONY.
  Alack, our terrene moon is now eclipsed,
  And it portends alone the fall of Antony.

CLÉOPÂTRE.
  — Il faut que j'attende qu'il puisse m'écouter.

CLEOPATRA.
  I must stay his time.

ANTOINE.
  — Pour flatter César, avez-vous pu échanger des regards avec un homme qui lui lace ses chaussures?

ANTONY.
  To flatter Caesar, would you mingle eyes
  With one that ties his points?

CLÉOPÂTRE.
  — Vous ne me connaissez pas encore?

CLEOPATRA.
  Not know me yet?

ANTOINE.
  — Je vous connais un cœur glacé pour moi.

ANTONY.
  Cold-hearted toward me?

CLÉOPÂTRE.
  — Ah! cher amant, si cela est, que le ciel change mon cœur glacé en grêle et l'empoisonne dans sa source! que le premier grêlon s'arrête dans mon gosier et s'y dissolve avec ma vie! que le second frappe Césarion jusqu'à ce que, l'un après l'autre, tous les fruits de mes entrailles, et mes braves Égyptiens écrasés sous cet orage de grêle, gisent tous sans tombeau et deviennent la proie des mouches et des moucherons du Nil!

CLEOPATRA.
  Ah, dear, if I be so,
  From my cold heart let heaven engender hail
  And poison it in the source, and the first stone
  Drop in my neck; as it determines, so
  Dissolve my life! The next Caesarion smite,
  Till, by degrees the memory of my womb,
  Together with my brave Egyptians all,
  By the discandying of this pelleted storm,
  Lie graveless, till the flies and gnats of Nile
  Have buried them for prey!

ANTOINE.
  — Je suis satisfait. César veut s'établir dans Alexandrie; c'est là que je lutterai contre sa fortune. Nos troupes de terre ont tenu ferme; notre flotte dispersée s'est ralliée et vogue encore sous un appareil menaçant. Où étais-tu, mon cœur? Entends-tu, reine, si je reviens encore une fois du champ de bataille pour baiser ces lèvres, je reviendrai tout couvert de sang. Mon épée et moi, nous allons gagner notre place dans l'histoire. J'espère encore.

ANTONY.
  I am satisfied.
  Caesar sits down in Alexandria, where
  I will oppose his fate. Our force by land
  Hath nobly held; our severed navy too
  Have knit again, and fleet, threat’ning most sea-like.
  Where hast thou been, my heart? Dost thou hear, lady?
  If from the field I shall return once more
  To kiss these lips, I will appear in blood.
  I and my sword will earn our chronicle.
  There’s hope in’t yet.

CLÉOPÂTRE.
  — Je reconnais mon héros.

CLEOPATRA.
  That’s my brave lord!

ANTOINE.
  — Je veux que mes muscles, que mon cœur, que mon haleine, déploient une triple force, et je combattrai à toute outrance. Quand mes heures coulaient dans la prospérité, les hommes rachetaient de moi leur vie pour un bon mot; mais maintenant je serrerai les dents et j'enverrai dans les ténèbres tout ce qui tentera de m'arrêter.—Viens, passons encore une nuit dans la joie. Qu'on appelle autour de moi tous mes sombres officiers; qu'on remplisse nos coupes; et pour la dernière fois, oublions en buvant la cloche de minuit.

ANTONY.
  I will be treble-sinewed, hearted, breathed,
  And fight maliciously. For when mine hours
  Were nice and lucky, men did ransom lives
  Of me for jests. But now I’ll set my teeth
  And send to darkness all that stop me. Come,
  Let’s have one other gaudy night. Call to me
  All my sad captains. Fill our bowls once more
  Let’s mock the midnight bell.

CLÉOPÂTRE.
  — C'est aujourd'hui le jour de ma naissance. Je m'attendais à le passer dans la tristesse. Mais puisque mon seigneur est encore Antoine, je veux être Cléopâtre.

CLEOPATRA.
  It is my birthday.
  I had thought t’have held it poor, but since my lord
  Is Antony again, I will be Cleopatra.

ANTOINE.
  — Nous goûterons encore le bonheur.

ANTONY.
  We will yet do well.

CLÉOPÂTRE.
  — Qu'on appelle auprès de mon Antoine tous ses braves officiers.

CLEOPATRA.
  Call all his noble captains to my lord.

ANTOINE.
  — Oui. Je leur parlerai; et ce soir je veux que le vin enlumine leurs cicatrices.—Venez, ma reine, il y a encore de la sève. Au premier combat que je livrerai, je forcerai la mort à me chérir, car je veux rivaliser avec sa faux homicide.

ANTONY.
  Do so; we’ll speak to them; and tonight I’ll force
  The wine peep through their scars. Come on, my queen,
  There’s sap in’t yet. The next time I do fight
  I’ll make Death love me, for I will contend
  Even with his pestilent scythe.

(Ils sortent tous les deux.)

    [Exeunt all but Enobarbus.]

ÉNOBARBUS.
  — Allons, le voilà qui veut surpasser la foudre. Être furieux, c'est être vaillant par excès de peur; et, dans cette disposition, la colombe attaquerait l'épervier. Je vois cependant que mon général ne regagne du cœur qu'aux dépens de sa tête. Quand le courage usurpe sur la raison du guerrier, il ronge l'épée avec laquelle il combat.—Je vais chercher les moyens de le quitter.

ENOBARBUS.
  Now he’ll outstare the lightning. To be furious
  Is to be frighted out of fear, and in that mood
  The dove will peck the estridge; and I see still
  A diminution in our captain’s brain
  Restores his heart. When valour preys on reason,
  It eats the sword it fights with. I will seek
  Some way to leave him.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

    [Exit.]

 
 
 

ACTE QUATRIÈME

ACT IV

SCÈNE I

SCENE I.

Le camp de César près d'Alexandrie.
Caesar’s Camp at Alexandria.

    CÉSAR entre, lisant une lettre avec AGRIPPA, MÉCÈNE et autres.

    Enter Caesar, Agrippa, and Maecenas, with his army.
Caesar reading a letter.

CÉSAR.
  — Il me traite d'enfant; il me menace, comme s'il avait le pouvoir de me chasser de l'Égypte. Il a fait battre de verges mon député; il me provoque à un combat singulier; César contre Antoine! — Que le vieux débauché sache que j'ai bien d'autres moyens de mourir. En attendant, je me ris de son défi.

CAESAR.
  He calls me boy, and chides as he had power
  To beat me out of Egypt. My messenger
  He hath whipped with rods; dares me to personal combat,
  Caesar to Antony. Let the old ruffian know
  I have many other ways to die; meantime
  Laugh at his challenge.

MÉCÈNE.
  — César doit penser que lorsqu'un aussi grand homme qu'Antoine entre en furie, c'est qu'il est aux abois. Ne lui donnez aucun relâche, profitez de son égarement; jamais la fureur n'a su se bien garder elle-même.

MAECENAS.
  Caesar must think,
  When one so great begins to rage, he’s hunted
  Even to falling. Give him no breath, but now
  Make boot of his distraction. Never anger
  Made good guard for itself.

CÉSAR.
  — Annoncez à nos braves officiers que demain nous livrerons la dernière de nos nombreuses batailles. Nous avons dans notre camp des gens qui servaient encore dernièrement Antoine pour l'envelopper et le prendre lui-même. — Voyez à ce que ce soit fait et qu'on régale l'armée. Nous regorgeons de provisions, et ils ont bien mérité qu'on les traite avec profusion. — Pauvre Antoine! (Ils sortent.)

CAESAR.
  Let our best heads
  Know that tomorrow the last of many battles
  We mean to fight. Within our files there are,
  Of those that served Mark Antony but late,
  Enough to fetch him in. See it done,
  And feast the army; we have store to do’t,
  And they have earned the waste. Poor Antony!

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE II

SCENE II.

Alexandrie. — Appartement du palais.
Alexandria. A Room in the Palace.

    ANTOINE, CLÉOPÂTRE, ÉNOBARBUS, CHARMIANE, IRAS, ALEXAS, et autres officiers.

    Enter Antony, Cleopatra, Enobarbus, Charmian, Iras, Alexas with others.

ANTOINE.
  — Il ne veut pas se battre avec moi, Domitius.

ANTONY.
  He will not fight with me, Domitius?

ÉNOBARBUS.
  — Non, seigneur.

ENOBARBUS.
  No.

ANTOINE.
  — Pourquoi ne se battrait-il pas?

ANTONY.
  Why should he not?

ÉNOBARBUS.
  — C'est qu'il pense qu'étant vingt fois plus fortuné que vous, ce serait vingt hommes contre un seul.

ENOBARBUS.
  He thinks, being twenty times of better fortune,
  He is twenty men to one.

ANTOINE.
  — Demain, guerrier, nous combattrons sur mer et sur terre. Ou je survivrai, ou je laverai mon affront en mourant dans tant de sang, que je ferai revivre ma gloire. Es-tu disposé à te bien battre?

ANTONY.
  Tomorrow, soldier,
  By sea and land I’ll fight. Or I will live,
  Or bathe my dying honour in the blood
  Shall make it live again. Woo’t thou fight well?

ÉNOBARBUS.
  — Je frapperai en criant: tout ou rien.

ENOBARBUS.
  I’ll strike, and cry “Take all.”

ANTOINE.
  — Bien dit. Allons, appelez mes serviteurs, et n'épargnons rien pour notre repas de ce soir. (Ses serviteurs entrent.) Donne-moi ta main, tu m'as toujours fidèlement servi; et toi aussi... et toi... et toi; vous m'avez tous bien servi, et vous avez eu des rois pour compagnons.

ANTONY.
  Well said. Come on.
  Call forth my household servants. Let’s tonight
  Be bounteous at our meal.—
 
    Enter Servants.
 
  Give me thy hand.
  Thou has been rightly honest; so hast thou,
  Thou, and thou, and thou. You have served me well,
  And kings have been your fellows.

CLÉOPÂTRE.
  — Que veut dire cela?

CLEOPATRA.
  [Aside to Enobarbus.] What means this?

ÉNOBARBUS, à part.
  — C'est une de ces bizarreries que le chagrin fait naître dans l'esprit.

ENOBARBUS.
  [Aside to Cleopatra.] ’Tis one of those odd tricks which sorrow
  shoots
  Out of the mind.

ANTOINE.
  — Et toi aussi, tu es honnête. — Je voudrais être multiplié en autant d'hommes que vous êtes, et que vous formassiez à vous tous un Antoine pour vous pouvoir servir comme vous m'avez servi.

ANTONY.
  And thou art honest too.
  I wish I could be made so many men,
  And all of you clapped up together in
  An Antony, that I might do you service
  So good as you have done.

TOUS.
  — Aux dieux ne plaise!

ALL THE SERVANTS.
  The gods forbid!

ANTOINE.
  — Allons, mes bons amis, servez-moi encore ce soir. Ne ménagez pas le vin dans ma coupe, et traitez-moi avec autant de respect que lorsque l'empire du monde, encore à moi, obéissait comme vous à mes lois.

ANTONY.
  Well, my good fellows, wait on me tonight.
  Scant not my cups, and make as much of me
  As when mine empire was your fellow too
  And suffered my command.

CLÉOPÂTRE.
  — Que prétend-il?

CLEOPATRA.
  [Aside to Enobarbus.] What does he mean?

ÉNOBARBUS.
  — Faire pleurer ses amis.

ENOBARBUS.
  [Aside to Cleopatra.] To make his followers weep.

ANTOINE.
  — Servez-moi ce soir. Peut-être est-ce la fin de votre service; peut-être ne me reverrez-vous plus, ou ne reverrez-vous plus qu'une ombre défigurée; peut-être demain vous servirez un autre maître. — Je vous regarde comme un homme qui prend congé. — Mes fidèles amis, je ne vous congédie pas; non, inséparablement attaché à vous, votre maître ne vous quittera qu'à la mort. Servez-moi ce soir deux heures encore; je ne vous en demande pas davantage, et que les dieux vous en récompensent!

ANTONY.
  Tend me tonight;
  May be it is the period of your duty.
  Haply you shall not see me more, or if,
  A mangled shadow. Perchance tomorrow
  You’ll serve another master. I look on you
  As one that takes his leave. Mine honest friends,
  I turn you not away, but, like a master
  Married to your good service, stay till death.
  Tend me tonight two hours, I ask no more,
  And the gods yield you for’t!

ÉNOBARBUS.
  — Seigneur, que voulez-vous dire? Pourquoi les affliger ainsi? Voyez, ils pleurent, et moi, imbécile, mes yeux se remplissent aussi de larmes, comme s'ils étaient frottés avec un oignon. Par grâce, ne nous transformez pas en femmes.

ENOBARBUS.
  What mean you, sir,
  To give them this discomfort? Look, they weep,
  And I, an ass, am onion-eyed. For shame,
  Transform us not to women.

ANTOINE.
  — Ah! arrêtez! arrêtez, que la sorcière m'enlève si telle est mon intention! Que le bonheur croisse sur le sol qu'arrosent ces larmes! Mes dignes amis, vous prêtez à mes paroles un sens trop sinistre; je ne vous parlais ainsi que pour vous consoler, et je vous priais de brûler cette nuit avec des torches. Sachez, mes amis, que j'ai bon espoir de la journée de demain, et je veux vous conduire où je crois trouver la victoire et la vie, plutôt que l'honneur et la mort. Allons souper; venez, et noyons dans le vin toutes les réflexions.

ANTONY.
  Ho, ho, ho!
  Now the witch take me if I meant it thus!
  Grace grow where those drops fall! My hearty friends,
  You take me in too dolorous a sense,
  For I spake to you for your comfort, did desire you
  To burn this night with torches. Know, my hearts,
  I hope well of tomorrow, and will lead you
  Where rather I’ll expect victorious life
  Than death and honour. Let’s to supper, come,
  And drown consideration.

(Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE III

SCENE III.

Alexandrie. — Devant le palais.
Alexandria. Before the Palace.

    Entrent deux soldats qui vont monter la garde.

    Enter a Company of Soldiers.

PREMIER SOLDAT.
  — Bonsoir, camarade; c'est demain, le grand jour.

FIRST SOLDIER.
  Brother, good night. Tomorrow is the day.

SECOND SOLDAT.
  — Il décidera tout. Bonsoir. N'as-tu rien entendu d'étrange dans les rues?

SECOND SOLDIER.
  It will determine one way. Fare you well.
  Heard you of nothing strange about the streets?

PREMIER SOLDAT.
  — Rien. Quelles nouvelles?

FIRST SOLDIER.
  Nothing. What news?

SECOND SOLDAT.
  — Il y a apparence que ce n'est qu'un bruit; bonne nuit.

SECOND SOLDIER.
  Belike ’tis but a rumour. Good night to you.

PREMIER SOLDAT.
  — Camarade, bonne nuit.

FIRST SOLDIER.
  Well, sir, good night.

(Entrent deux autres soldats.)

    Enter two other Soldiers.

SECOND SOLDAT.
  — Soldats, faites bonne garde.

SECOND SOLDIER.
  Soldiers, have careful watch.

TROISIÈME SOLDAT.
  — Et vous aussi; bonsoir, bonsoir.

THIRD SOLDIER.
  And you. Good night, good night.

(Les deux premiers soldats se placent à leur poste.)

    [They place themselves in every corner of the stage.]

QUATRIÈME SOLDAT.
  — Nous, ici. (Ils prennent leur poste.) Et si demain notre flotte à l'avantage, je suis bien certain que nos troupes de terre ne lâcheront pas pied.

SECOND SOLDIER.
  Here we. And if tomorrow
  Our navy thrive, I have an absolute hope
  Our landmen will stand up.

TROISIÈME SOLDAT.
  — C'est une brave armée et pleine de résolution.

FIRST SOLDIER.
  ’Tis a brave army, and full of purpose.

(On entend une musique de hautbois sous le théâtre.)

    [Music of the hautboys under the stage.]

QUATRIÈME SOLDAT.
  — Silence! Quel est ce bruit?

SECOND SOLDIER.
  Peace, what noise?

PREMIER SOLDAT.
  — Chut, Chut!

FIRST SOLDIER.
  List, list!

SECOND SOLDAT.
  — Écoutez.

SECOND SOLDIER.
  Hark!

PREMIER SOLDAT.
  — Une musique aérienne.

FIRST SOLDIER.
  Music i’ th’ air.

TROISIÈME SOLDAT.
  — Souterraine.

THIRD SOLDIER.
  Under the earth.

QUATRIÈME SOLDAT.
  — C'est bon signe, n'est-ce pas?

FOURTH SOLDIER.
  It signs well, does it not?

TROISIÈME SOLDAT.
  — Non.

THIRD SOLDIER.
  No.

PREMIER SOLDAT.
  — Paix, vous dis-je. Que signifie ceci?

FIRST SOLDIER.
  Peace, I say! What should this mean?

SECOND SOLDAT.
  — C'est le dieu Hercule, qu'Antoine aimait, et qui l'abandonne aujourd'hui.

SECOND SOLDIER.
  ’Tis the god Hercules, whom Antony loved,
  Now leaves him.

PREMIER SOLDAT.
  — Avançons, voyons si les autres sentinelles entendent la même chose que nous.

FIRST SOLDIER.
  Walk. Let’s see if other watchmen
  Do hear what we do.

(Ils s'avancent à l'autre poste.)

    [They advance to another post.]

SECOND SOLDAT.
  — Eh bien! camarades!

SECOND SOLDIER.
  How now, masters!

PLUSIEURS, parlant à la fois.
  — Eh bien! eh bien! entendez-vous?

ALL.
  How now! How now! Do you hear this?

PREMIER SOLDAT.
  — Oui. N'est-ce pas étrange?

FIRST SOLDIER.
  Ay. Is’t not strange?

TROISIÈME SOLDAT.
  — Entendez-vous, camarades, entendez-vous?

THIRD SOLDIER.
  Do you hear, masters? Do you hear?

PREMIER SOLDAT.
  — Suivons ce bruit jusqu'aux limites de notre poste. Voyons ce que cela donnera.

FIRST SOLDIER.
  Follow the noise so far as we have quarter.
  Let’s see how it will give off.

PLUSIEURS à la fois.
  — Volontiers. C'est une chose étrange.

ALL.
  Content. ’Tis strange.

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE IV

SCENE IV.

Alexandrie. — Appartement du palais.
Alexandria. A Room in the Palace.

    ANTOINE, CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, suite.

    Enter Antony and Cleopatra with others.

ANTOINE.
  — Éros! Éros! mon armure.

ANTONY.
  Eros! Mine armour, Eros!

CLÉOPÂTRE.
  — Dormez un moment.

CLEOPATRA.
  Sleep a little.

ANTOINE.
  — Non, ma poule... Éros, allons, mon armure, Éros! (Éros paraît avec l'armure.) Viens, mon brave serviteur, ajuste-moi mon armure. — Si la fortune ne nous favorise pas aujourd'hui, c'est que je la brave. Allons.

ANTONY.
  No, my chuck.—Eros! Come, mine armour, Eros!
 
    Enter Eros with armour.
 
  Come, good fellow, put thine iron on.
  If fortune be not ours today, it is
  Because we brave her. Come.

CLÉOPÂTRE.
  — Attends, Éros, je veux t'aider. A quoi sert ceci?

CLEOPATRA.
  Nay, I’ll help too.
  What’s this for?

ANTOINE.
  — Allons, soit, soit, j'y consens. C'est toi qui armes mon cœur... A faux, à faux.—Bon, l'y voilà, l'y voilà.

ANTONY.
  Ah, let be, let be! Thou art
  The armourer of my heart. False, false. This, this!

CLÉOPÂTRE.
  — Doucement, je veux vous aider; voilà comme cela doit être.

CLEOPATRA.
  Sooth, la, I’ll help. Thus it must be.

ANTOINE.
  — Bien, bien, nous ne pouvons manquer de prospérer; vois-tu, mon brave camarade! Allons, va t'armer aussi.

ANTONY.
  Well, well,
  We shall thrive now. Seest thou, my good fellow?
  Go put on thy defences.

ÉROS.
  — A l'instant, seigneur.

EROS.
  Briefly, sir.

CLÉOPÂTRE.
  — Ces boucles ne sont-elles pas bien attachées?

CLEOPATRA.
  Is not this buckled well?

ANTOINE.
  — À merveille, à merveille. Celui qui voudra déranger cette armure avant qu'il nous plaise de nous en dépouiller nous-mêmes pour nous reposer, essuiera une terrible tempête.—Tu es un maladroit, Éros; et ma reine est un écuyer plus habile que toi. Hâte-toi.—O ma bien-aimée, que ne peux-tu me voir combattre aujourd'hui, et si tu connaissais cette tâche royale, tu verrais quel ouvrier est Antoine! (Entre un officier tout armé.) Bonjour, soldat, sois le bienvenu; tu te présentes en homme qui sait ce que c'est que la journée d'un guerrier. Nous nous levons avant l'aurore pour commencer les affaires que nous aimons, et nous allons à l'ouvrage avec joie.

ANTONY.
  Rarely, rarely.
  He that unbuckles this, till we do please
  To daff’t for our repose, shall hear a storm.
  Thou fumblest, Eros, and my queen’s a squire
  More tight at this than thou. Dispatch. O love,
  That thou couldst see my wars today, and knew’st
  The royal occupation, thou shouldst see
  A workman in’t.
 
    Enter an Officer, armed.
 
  Good morrow to thee. Welcome.
  Thou look’st like him that knows a warlike charge.
  To business that we love we rise betime
  And go to’t with delight.

L'OFFICIER.
  — Mille guerriers, seigneur, ont devancé le jour, et vous attendent au port couverts de leur armure.

OFFICER.
  A thousand, sir,
  Early though’t be, have on their riveted trim
  And at the port expect you.

(Cris de guerre, bruit de trompettes.
Entrent plusieurs capitaines suivis de leurs soldats.)

    [Shout. Trumpets flourish.]
    Enter other Captains and Soldiers.

UN CAPITAINE.
  — La matinée est belle. Salut, général!

CAPTAIN.
  The morn is fair. Good morrow, general.

TOUS.
  — Salut, général!

ALL.
  Good morrow, general.

ANTOINE.
  — Voilà une belle musique, mes enfants! Cette matinée, comme le génie d'un jeune homme qui promet un avenir brillant, commence de bonne heure; oui, oui.—Allons, donne-moi cela;—par ici;..... fort bien.—Adieu, reine, et soyez heureuse, quel que soit le sort qui m'attende. (Il l'embrasse.) Voilà le baiser d'un guerrier: je mériterais vos mépris et vos reproches si je perdais le temps à vous faire des adieux plus étudiés; je vous quitte maintenant comme un homme couvert d'acier. (Antoine, Éros, les officiers et les soldats sortent.) Vous, qui voulez vous battre, suivez-moi de près; je vais vous y conduire. Adieu.

ANTONY.
  ’Tis well blown, lads.
  This morning, like the spirit of a youth
  That means to be of note, begins betimes.
  So, so. Come, give me that. This way. Well said.
  Fare thee well, dame.
  Whate’er becomes of me,
  This is a soldier’s kiss. [Kisses her.] Rebukeable
  And worthy shameful check it were, to stand
  On more mechanic compliment. I’ll leave thee
  Now like a man of steel.—You that will fight,
  Follow me close, I’ll bring you to’t. Adieu.

    [Exeunt Antony, Eros, Captains and Soldiers.]

CHARMIANE.
  — Voulez-vous vous retirer dans votre appartement?

CHARMIAN.
  Please you, retire to your chamber.

CLÉOPÂTRE.
  — Oui, conduis-moi. — Il me quitte en brave. Plût aux dieux que César et lui pussent, dans un combat singulier, décider cette grande querelle! Alors, Antoine... Mais, hélas!... Allons, sortons.

CLEOPATRA.
  Lead me.
  He goes forth gallantly. That he and Caesar might
  Determine this great war in single fight!
  Then Antony—but now—. Well, on.

(Elles sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE V

SCENE V.

Le camp d'Antoine, près d'Alexandrie.
Antony’s camp near Alexandria.

    Les trompettes sonnent; entrent ANTOINE ET ÉROS;
un soldat vient à eux.

    Trumpets sound. Enter Antony and Eros,
a Soldier meeting them.

LE SOLDAT.
  — Plaise aux dieux que cette journée soit heureuse pour Antoine!

SOLDIER.
  The gods make this a happy day to Antony!

ANTOINE.
  — Je voudrais à présent en avoir cru tes conseils et tes blessures, et n'avoir combattu que sur terre.

ANTONY.
  Would thou and those thy scars had once prevailed
  To make me fight at land!

LE SOLDAT.
  — Si vous l'aviez fait, les rois qui se sont révoltés, et ce guerrier qui vous a quitté ce matin, suivraient encore aujourd'hui vos pas.

SOLDIER.
  Hadst thou done so,
  The kings that have revolted and the soldier
  That has this morning left thee would have still
  Followed thy heels.

ANTOINE.
  — Qui m'a quitté ce matin?

ANTONY.
  Who’s gone this morning?

ÉROS.
  — Qui? quelqu'un qui était toujours auprès de vous. Appelez maintenant Énobarbus, il ne vous entendra pas; ou du camp de César il vous criera: Je ne suis plus des tiens.

SOLDIER.
  Who?
  One ever near thee. Call for Enobarbus,
  He shall not hear thee, or from Caesar’s camp
  Say “I am none of thine.”

ANTOINE.
  — Que dis-tu?

ANTONY.
  What sayest thou?

LE SOLDAT.
  — Seigneur, il est avec César.

SOLDIER.
  Sir,
  He is with Caesar.

ÉROS.
  — Ses coffres, son argent, il a tout laissé, seigneur.

EROS.
  Sir, his chests and treasure
  He has not with him.

ANTOINE.
  — Est-il parti?

ANTONY.
  Is he gone?

LE SOLDAT.
  — Rien n'est plus certain.

SOLDIER.
  Most certain.

ANTOINE.
  — Éros, va; envoie-lui son trésor: n'en retiens pas une obole, je te le recommande. Écris-lui, je signerai la lettre; et fais-lui mes adieux dans les termes les plus honnêtes et les plus doux: dis-lui que je souhaite qu'il n'ait jamais de plus fortes raisons pour changer de maître. — Oh! ma fortune a corrompu les cœurs honnêtes. — Éros, hâte-toi.

ANTONY.
  Go, Eros, send his treasure after. Do it.
  Detain no jot, I charge thee. Write to him—
  I will subscribe—gentle adieus and greetings.
  Say that I wish he never find more cause
  To change a master. O, my fortunes have
  Corrupted honest men! Dispatch.—Enobarbus!

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE VI

SCENE VI.

Le camp de César devant Alexandrie.
Alexandria. Caesar’s camp.

    FANFARES. CÉSAR entre avec AGRIPPA, ÉNOBARBUS, et autres.

    Flourish. Enter Agrippa, Caesar with Enobarbus and Dolabella.

CÉSAR.
  — Agrippa, marche en avant, et engage le combat. Notre volonté est qu'Antoine soit pris vivant; instruis-en nos soldats.

CAESAR.
  Go forth, Agrippa, and begin the fight.
  Our will is Antony be took alive;
  Make it so known.

AGRIPPA.
  — J'y vais, César.

AGRIPPA.
  Caesar, I shall.

    [Exit.]

CÉSAR.
  — Enfin le jour de la paix universelle est proche. Si cette journée est heureuse, l'olivier va croître de lui-même dans les trois parties du monde.

CAESAR.
  The time of universal peace is near.
  Prove this a prosp’rous day, the three-nooked world
  Shall bear the olive freely.

(Entre un messager.)

    Enter a Messenger.

LE MESSAGER.
  — Antoine est arrivé sur le champ de bataille.

MESSENGER.
  Antony
  Is come into the field.

CÉSAR.
  — Va; recommande à Agrippa de placer à l'avant-garde de notre armée ceux qui ont déserté, afin qu'Antoine fasse tomber en quelque sorte sa fureur sur lui-même.

CAESAR.
  Go charge Agrippa
  Plant those that have revolted in the van
  That Antony may seem to spend his fury
  Upon himself.

(César et sa suite sortent.)

    [Exeunt Caesar and his Train.]

ÉNOBARBUS.
  — Alexas s'est révolté: il était allé en Judée pour les affaires d'Antoine; là il a persuadé au puissant Hérode d'abandonner son maître et de pencher du côté de César; et pour sa peine César l'a fait pendre.—Canidius et les autres officiers qui ont déserté ont obtenu de l'emploi, mais non une confiance honorable.—J'ai mal fait, et je me le reproche moi-même, avec un remords si douloureux qu'il n'est plus désormais de joie pour moi.

ENOBARBUS.
  Alexas did revolt and went to Jewry on
  Affairs of Antony; there did dissuade
  Great Herod to incline himself to Caesar
  And leave his master Antony. For this pains
  Casaer hath hanged him. Canidius and the rest
  That fell away have entertainment but
  No honourable trust. I have done ill,
  Of which I do accuse myself so sorely
  That I will joy no more.

(Entre un soldat d'Antoine.)

    Enter a Soldier of Caesar’s.

LE SOLDAT.
  — Énobarbus, Antoine vient d'envoyer sur tes pas tous tes trésors, et de plus des marques de sa générosité. Son messager m'a trouvé de garde, et il est maintenant dans ta tente, où il décharge ses mulets.

SOLDIER.
  Enobarbus, Antony
  Hath after thee sent all thy treasure, with
  His bounty overplus. The messenger
  Came on my guard, and at thy tent is now
  Unloading of his mules.

ÉNOBARBUS.
  — Je t'en fais don.

ENOBARBUS.
  I give it you.

LE SOLDAT.
  — Ne plaisante pas, Énobarbus, je te dis la vérité. Il serait à propos que tu vinsses escorter le messager jusqu'à la sortie du camp: je suis obligé de retourner à mon poste, sans quoi je l'aurais escorté moi-même... Votre général est toujours un autre Jupiter.

SOLDIER.
  Mock not, Enobarbus.
  I tell you true. Best you safed the bringer
  Out of the host. I must attend mine office,
  Or would have done’t myself. Your emperor
  Continues still a Jove.

(Le soldat sort.)

    [Exit.]

ÉNOBARBUS.
  — Je suis le seul lâche de l'univers; et je sens mon ignominie. O Antoine! mine de générosité, comment aurais-tu donc payé mes services et ma fidélité, toi qui couronnes d'or mon infamie! Ceci me fait gonfler le cœur; et si le remords ne le brise pas bientôt, un moyen plus prompt préviendra le remords... Mais le remords s'en chargera, je le sens. — Moi, combattre contre toi! Non: je veux aller chercher quelque fossé pour y mourir; le plus sale est celui qui convient le mieux à la dernière heure de ma vie.

ENOBARBUS.
  I am alone the villain of the earth,
  And feel I am so most. O Antony,
  Thou mine of bounty, how wouldst thou have paid
  My better service, when my turpitude
  Thou dost so crown with gold! This blows my heart.
  If swift thought break it not, a swifter mean
  Shall outstrike thought, but thought will do’t, I feel.
  I fight against thee! No, I will go seek
  Some ditch wherein to die; the foul’st best fits
  My latter part of life.

(Il sort au désespoir.)

    [Exit.]

 
 
 

SCÈNE VII

SCENE VII.

Champ de bataille entre les deux camps.
(On sonne la marche. Bruits de tambours et de trompettes.)
Field of battle between the Camps.

    Entrent AGRIPPA et antres.

    Alarum. Drums and Trumpets. Enter Agrippa and others.

AGRIPPA.
  — Battons en retraite: nous nous sommes engagés trop avant. César lui-même a payé de sa personne, et nous avons trouvé plus de résistance que nous n'en attendions.

AGRIPPA.
  Retire! We have engaged ourselves too far.
  Caesar himself has work, and our oppression
  Exceeds what we expected.

(Agrippa et les siens sortent.)
(Bruit d'alarme. Entrent Antoine et Scarus blessés.)

    [Exeunt.]
    Alarums. Enter Antony and Scarus wounded.

SCARUS.
  — O mon brave général! voilà ce qui s'appelle combattre. Si nous avions commencé par là, nous les aurions renvoyés chez eux avec des torchons autour de la tête.

SCARUS.
  O my brave emperor, this is fought indeed!
  Had we done so at first, we had droven them home
  With clouts about their heads.

ANTOINE.
  — Ton sang coule à grands flots.

ANTONY.
  Thou bleed’st apace.

SCARUS.
  — J'avais ici une blessure comme un T, maintenant c'est une H.

SCARUS.
  I had a wound here that was like a T,
  But now ’tis made an H.

    Sounds retreat far off.

ANTOINE.
  — Ils battent en retraite.

ANTONY.
  They do retire.

SCARUS.
  — Nous les repousserons jusque dans des trous. — J'ai encore de la place pour six blessures.

SCARUS.
  We’ll beat ’em into bench-holes. I have yet
  Room for six scotches more.

(Éros entre.)

    Enter Eros.

ÉROS.
  — Ils sont battus, seigneur; et notre avantage peut passer pour une victoire complète.

EROS.
  They are beaten, sir, and our advantage serves
  For a fair victory.

SCARUS.
  — Tirons-leur des lignes sur le dos, prenons-les par derrière comme des lièvres; c'est une chasse d'assommer un fuyard.

SCARUS.
  Let us score their backs
  And snatch ’em up as we take hares, behind.
  ’Tis sport to maul a runner.

ANTOINE.
  — Je veux te donner une récompense pour cette saillie, et dix pour ta bravoure... Suis-moi.

ANTONY.
  I will reward thee
  Once for thy sprightly comfort, and tenfold
  For thy good valour. Come thee on.

SCARUS.
  — Je vous suis en boitant.

SCARUS.
  I’ll halt after.

(Ils sortent.)

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE VIII

SCENE VIII.

Sous les murs d'Alexandrie.
Under the Walls of Alexandria.

    FANFARES. ANTOINE revient au son d'une marche guerrière, accompagné de Scarus et de l'armée.

    Alarum. Enter Antony again in a march; Scarus with others.

ANTOINE.
  — Nous l'avons chassé jusqu'à son camp.—Que quelqu'un coure en avant et annonce nos hôtes à la reine. Demain, avant que le soleil nous voie, nous achèverons de verser le sang qui nous échappe aujourd'hui. —Je vous rends grâces à tous; vous avez des bras de héros. Vous avez combattu, non pas en hommes qui servent les intérêts d'un autre, mais comme si chacun de vous eût défendu sa propre cause. Vous vous êtes tous montrés des Hectors. Rentrez dans la ville; allez serrer dans vos bras vos femmes, vos amis; racontez-leur vos exploits, tandis que, versant des larmes de joie, ils essuieront le sang figé dans vos plaies, et baiseront vos blessures. (A Scarus.) Donne-moi ta main. (Cléopâtre arrive avec sa suite.) C'est à cette puissante fée que je veux vanter tes exploits; je veux te faire goûter la douceur de ses louanges. O toi, astre de l'univers, enchaîne dans tes bras ce cou bardé de fer: franchis tout entière l'acier de cette armure à l'épreuve; viens sur mon sein pour y être soulevée par les élans de mon cœur triomphant.

ANTONY.
  We have beat him to his camp. Run one before
  And let the Queen know of our gests.
  Tomorrow,
  Before the sun shall see’s, we’ll spill the blood
  That has today escaped. I thank you all,
  For doughty-handed are you, and have fought
  Not as you served the cause, but as’t had been
  Each man’s like mine. You have shown all Hectors.
  Enter the city, clip your wives, your friends,
  Tell them your feats; whilst they with joyful tears
  Wash the congealment from your wounds and kiss
  The honoured gashes whole.
 
    Enter Cleopatra.
 
  [To Scarus.] Give me thy hand.
  To this great fairy I’ll commend thy acts,
  Make her thanks bless thee. O thou day o’ th’ world,
  Chain mine armed neck. Leap thou, attire and all,
  Through proof of harness to my heart, and there
  Ride on the pants triumphing.

CLÉOPÂTRE.
  — Seigneur des seigneurs, courage sans bornes, reviens-tu en souriant après avoir échappé au grand piège où le monde va se précipiter?

CLEOPATRA.
  Lord of lords!
  O infinite virtue, com’st thou smiling from
  The world’s great snare uncaught?

ANTOINE.
  — Mon rossignol, nous les avons repoussés jusque dans leurs lits. Eh bien! ma fille, malgré ces cheveux gris, qui viennent se mêler à ma brune chevelure, nous avons un cerveau qui nourrit nos nerfs, et peut arriver au but aussi bien que la jeunesse.—Regarde ce soldat, présente à ses lèvres ta gracieuse main; baise-la, mon guerrier. — Il a combattu aujourd'hui, comme si un dieu, ennemi de l'espèce humaine, avait emprunté sa forme pour la détruire.

ANTONY.
  Mine nightingale,
  We have beat them to their beds. What, girl! Though grey
  Do something mingle with our younger brown, yet ha’ we
  A brain that nourishes our nerves and can
  Get goal for goal of youth. Behold this man.
  Commend unto his lips thy favouring hand.—
  Kiss it, my warrior. He hath fought today
  As if a god, in hate of mankind, had
  Destroyed in such a shape.

CLÉOPÂTRE.
  — Ami, je veux te faire présent d'une armure d'or; c'était l'armure d'un roi.

CLEOPATRA.
  I’ll give thee, friend,
  An armour all of gold. It was a king’s.

ANTOINE.
  — Il l'a méritée, fût-elle tout étincelante de rubis comme le char sacré d'Apollon.—Donne-moi ta main; traversons Alexandrie dans une marche triomphante; portons devant nous nos boucliers, hachés comme leurs maîtres. Si notre grand palais était assez vaste pour contenir toute cette armée, nous souperions tous ensemble, et nous boirions à la ronde au succès de demain, qui nous promet des dangers dignes des rois. Trompettes, assourdissez la ville avec le bruit de vos instruments d'airain, mêlé aux roulements de nos tambourins; que le ciel et la terre confondent leurs sons pour applaudir à notre retour.

ANTONY.
  He has deserved it, were it carbuncled
  Like holy Phœbus’ car. Give me thy hand.
  Through Alexandria make a jolly march;
  Bear our hacked targets like the men that owe them.
  Had our great palace the capacity
  To camp this host, we all would sup together
  And drink carouses to the next day’s fate,
  Which promises royal peril.—Trumpeters,
  With brazen din blast you the city’s ear;
  Make mingle with our rattling tabourines,
  That heaven and earth may strike their sounds together,
  Applauding our approach.

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE IX

SCENE IX.

Le camp de César.
Caesar’s camp.

    Sentinelles à leur poste; entre ÉNOBARBUS.

    Enter a Sentry and his company. Enobarbus follows.

PREMIER SOLDAT.
  — Si dans une heure nous ne sommes pas relevés, il nous faut retourner au corps de garde. La nuit est étoilée; et l'on dit que nous serons rangés en bataille vers la seconde heure du matin.

SENTRY.
  If we be not relieved within this hour,
  We must return to th’ court of guard. The night
  Is shiny, and they say we shall embattle
  By th’ second hour i’ th’ morn.

SECOND SOLDAT.
  — Cette dernière journée a été cruelle pour nous.

FIRST WATCH.
  This last day was a shrewd one to’s.

ÉNOBARBUS.
  — Ô nuit! sois-moi témoin...

ENOBARBUS.
  O, bear me witness, night.—

SECOND SOLDAT.
  — Quel est cet homme?

SECOND WATCH.
  What man is this?

PREMIER SOLDAT.
  — Ne bougeons pas, et prêtons l'oreille.

FIRST WATCH.
  Stand close and list him.

ÉNOBARBUS.
  — Ô lune paisible! lorsque l'histoire dénoncera à la haine de la postérité les noms des traîtres, sois-moi témoin que le malheureux Énobarbus s'est repenti à ta face.

ENOBARBUS.
  Be witness to me, O thou blessed moon,
  When men revolted shall upon record
  Bear hateful memory, poor Enobarbus did
  Before thy face repent.

PREMIER SOLDAT.
  — Énobarbus!

SENTRY.
  Enobarbus?

TROISIÈME SOLDAT.
  — Silence! écoutons encore.

SECOND WATCH.
  Peace! Hark further.

ÉNOBARBUS.
  — Ô souveraine maîtresse de la véritable mélancolie, verse sur moi les humides poisons de la nuit; et que cette vie rebelle, qui résiste à mes voeux, ne pèse plus sur moi; brise mon cœur contre le dur rocher de mon crime: desséché par le chagrin, qu'il soit réduit en poudre, et termine toutes mes sombres pensées! Ô Antoine, mille fois pins généreux que ma désertion n'est infâme! ô toi, du moins, pardonne-moi, et qu'alors le monde m'inscrive dans le livre de mémoire sous le nom d'un fugitif, déserteur de son maître! Ô Antoine! Antoine!

ENOBARBUS.
  O sovereign mistress of true melancholy,
  The poisonous damp of night disponge upon me,
  That life, a very rebel to my will,
  May hang no longer on me. Throw my heart
  Against the flint and hardness of my fault,
  Which, being dried with grief, will break to powder
  And finish all foul thoughts. O Antony,
  Nobler than my revolt is infamous,
  Forgive me in thine own particular,
  But let the world rank me in register
  A master-leaver and a fugitive.
  O Antony! O Antony!

(Il meurt.)

    [Dies.]

SECOND SOLDAT.
  — Parlons lui.

FIRST WATCH.
  Let’s speak to him.

PREMIER SOLDAT.
  — Écoutons-le; ce qu'il dit pourrait intéresser César.

SENTRY.
  Let’s hear him, for the things he speaks may concern Caesar.

TROISIÈME SOLDAT.
  — Oui, écoutons; mais il dort.

SECOND WATCH.
  Let’s do so. But he sleeps.

PREMIER SOLDAT.
  — Je crois plutôt qu'il se meurt, car jamais on n'a fait une pareille prière pour dormir.

SENTRY.
  Swoons rather, for so bad a prayer as his
  Was never yet for sleep.

SECOND SOLDAT.
  — Allons à lui.

FIRST WATCH.
  Go we to him.

TROISIÈME SOLDAT.
  — Éveillez-vous, éveillez-vous, seigneur; parlez-nous.

SECOND WATCH.
  Awake, sir, awake! Speak to us.

SECOND SOLDAT.
  — Entendez-vous, seigneur?

FIRST WATCH.
  Hear you, sir?

PREMIER SOLDAT.
  — Le bras de la mort l'a atteint. (Roulement de tambour dans l'éloignement.) Écoutez, les tambours réveillent l'armée par leurs roulements solennels. Portons-le au corps-de-garde; c'est un guerrier de marque. Notre heure de faction est bien passée.

SENTRY.
  The hand of death hath raught him.
 
    [Drums afar off.]
 
  Hark! The drums
  Demurely wake the sleepers. Let us bear him
  To th’ court of guard; he is of note. Our hour
  Is fully out.

SECOND SOLDAT.
  — Allons, viens; peut-être reviendra-t-il à lui.

SECOND WATCH.
  Come on, then. He may recover yet.

    [Exeunt with the body.]

 
 
 

SCÈNE X

SCENE X.

La scène se passe entre les deux camps.
Ground between the two Camps.

    ANTOINE, SCARUS et l'armée.

    Enter Antony and Scarus with their army.

ANTOINE.
  — Leurs dispositions annoncent un combat sur mer; nous ne leur plaisons guère sur terre.

ANTONY.
  Their preparation is today by sea;
  We please them not by land.

SCARUS.
  — On combattra sur mer et sur terre, seigneur.

SCARUS.
  For both, my lord.

ANTOINE.
  — Je voudrais qu'ils pussent nous attaquer aussi dans l'air, dans le feu, nous y combattrions aussi. Mais voici ce qu'il faut faire. Notre infanterie restera avec nous sur les collines qui rejoignent la ville. Les ordres sont donnés sur mer. La flotte est sortie du port; avançons afln de pouvoir aisément reconnaître leur ordre de bataille et observer leurs mouvements.

ANTONY.
  I would they’d fight i’ th’ fire or i’ th’ air;
  We’d fight there too. But this it is: our foot
  Upon the hills adjoining to the city
  Shall stay with us—order for sea is given;
  They have put forth the haven—
  Where their appointment we may best discover
  And look on their endeavour.

(Ils sortent.)

    [Exeunt.]

SCENE XI.

Another part of the Ground.

   

    Enter Caesar and his army.

CÉSAR entre avec son armée.
  — À moins que nous ne soyons attaqués, nous ne ferons aucun mouvement sur terre; et, suivant mes conjectures, il n'en sera rien; car ses meilleures troupes sont embarquées sur ses galères. Gagnons les vallées, et prenons tous nos avantages.

CAESAR.
  But being charged, we will be still by land,
  Which, as I take’t, we shall, for his best force
  Is forth to man his galleys. To the vales,
  And hold our best advantage.

(Ils sortent.)
(Rentrent Antoine et Scarus.)

    [Exeunt.]

SCENE XII.

Another part of the Ground.

   

    Alarum afar off, as at a sea fight. Enter Antony and Scarus.

ANTOINE.
  — Il ne se sont pas rejoints encore. De l'en-droit où ces pins s'élèvent je pourrai tout voir, et dans un moment je reviens t'apprendre quelle est l'issue probable de la journée.

ANTONY.
  Yet they are not joined. Where yond pine does stand
  I shall discover all. I’ll bring thee word
  Straight how ’tis like to go.

(Il sort.)

    [Exit.]

SCARUS.
  — Les hirondelles ont bâti leurs nids dans les voiles de Cléopâtre. — Les augures disent qu'ils ne savent pas, qu'ils ne peuvent pas dire... Ils ont un air consterné, et ils n'osent révéler ce qu'ils pensent. Antoine est vaillant et découragé; par accès sa fortune inquiète lui donne l'espérance et la crainte de ce qu'il a et de ce qu'il n'a pas.

SCARUS.
  Swallows have built
  In Cleopatra’s sails their nests. The augurs
  Say they know not, they cannot tell; look grimly,
  And dare not speak their knowledge. Antony
  Is valiant and dejected, and by starts
  His fretted fortunes give him hope and fear
  Of what he has and has not.

(Bruit dans l'éloignement, comme celui d'un combat naval.)

    Enter Antony.

ANTOINE rentre.
  — Tout est perdu! l'infâme Égyptienne m'a trahi! ma flotte s'est rendue à l'ennemi; j'ai vu mes soldats jeter leurs casques en l'air, et boire avec ceux de César, comme des amis qui se retrouvent après une longue absence; ô femme trois fois prostituée, c'est toi qui m'as vendu à ce jeune novice!... Ce n'est plus qu'avec toi seul que mon cœur est en guerre. Dis-leur à tous de fuir; car dès que je me serai vengé de mon enchanteresse, tout sera fini pour moi. Va-t'en. Dis-leur à tous de fuir. (Scarus sort.) O soleil! je ne verrai plus ton lever. C'est ici que nous nous disons adieu. Antoine et la fortune se séparent ici.—C'est donc là que tout en est venu! Ces cœurs qui suivaient mes pas comme des chiens, dont je comblais tous les désirs, se sont évanouis, et prodiguent leurs faveurs à César, qui est dans toute sa fleur. Le pin qui les couvrait de son ombre est dépouillé de toute son écorce. Je suis trahi! Perfide cœur d'Égyptienne! Cette fatale enchanteresse, dont le regard m'envoyait au combat ou me rappelait auprès d'elle, dont le sein était mon diadème et le but de mes travaux; telle qu'une véritable Égyptienne, elle m'a entraîné dans le fond de l'abîme par un tour de gibecière. Éros! Éros!

ANTONY.
  All is lost!
  This foul Egyptian hath betrayed me.
  My fleet hath yielded to the foe, and yonder
  They cast their caps up and carouse together
  Like friends long lost. Triple-turned whore! ’Tis thou
  Hast sold me to this novice, and my heart
  Makes only wars on thee. Bid them all fly;
  For when I am revenged upon my charm,
  I have done all. Bid them all fly! Be gone!
 
    [Exit Scarus.]
 
  O sun, thy uprise shall I see no more.
  Fortune and Antony part here; even here
  Do we shake hands. All come to this! The hearts
  That spanieled me at heels, to whom I gave
  Their wishes, do discandy, melt their sweets
  On blossoming Caesar, and this pine is barked
  That overtopped them all. Betray’d I am:
  O this false soul of Egypt! This grave charm,
  Whose eye becked forth my wars and called them home,
  Whose bosom was my crownet, my chief end,
  Like a right gypsy hath at fast and loose
  Beguiled me to the very heart of loss.
  What, Eros, Eros!
 
    Enter Cleopatra.
 
  Ah, thou spell! Avaunt!

(Entre Cléopâtre.)

ANTOINE.
  — Ah! magicienne! va-t'en!

CLÉOPÂTRE.
  — D'où vient ce courroux de mon seigneur contre son amante?

CLEOPATRA.
  Why is my lord enraged against his love?

ANTOINE.
  — Disparais ou je vais te donner la récompense que tu mérites, et faire tort au triomphe de César. Qu'il s'empare de toi et te montre en spectacle à la populace de Rome; va suivre son char au milieu des huées, comme le plus grand opprobre de ton sexe. Tu seras exposée aux regards des rustres, comme un monstre étrange, pour quelque vile obole. Et puisse la patiente Octavie défigurer ton visage de ses ongles, qu'elle laisse croître pour sa vengeance! (Cléopâtre sort.) Tu as bien fait de fuir, s'il est bon de vivre. Mais tu aurais gagné à expirer sous ma rage; une mort eût pu éviter mille morts... — Éros, ici! — La chemise de Nessus m'enveloppe. Alcide, ô toi! mon illustre ancêtre, enseigne-moi tes fureurs, que je lance comme toi Lychas sur les cornes de la lune, et prête-moi ces mains robustes qui soulevaient ton énorme massue, que je m'anéantisse moi-même. La magicienne mourra. Elle m'a vendu à ce petit Romain, et je péris victime de ses complots. Elle mourra. — Éros, où es-tu?

ANTONY.
  Vanish, or I shall give thee thy deserving
  And blemish Caesar’s triumph. Let him take thee
  And hoist thee up to the shouting plebeians!
  Follow his chariot, like the greatest spot
  Of all thy sex; most monster-like be shown
  For poor’st diminutives, for dolts, and let
  Patient Octavia plough thy visage up
  With her prepared nails.
 
    [Exit Cleopatra.]
 
  ’Tis well thou’rt gone,
  If it be well to live; but better ’twere
  Thou fell’st into my fury, for one death
  Might have prevented many.—Eros, ho!—
  The shirt of Nessus is upon me. Teach me,
  Alcides, thou mine ancestor, thy rage.
  Let me lodge Lichas on the horns o’ th’ moon,
  And with those hands that grasped the heaviest club
  Subdue my worthiest self. The witch shall die.
  To the young Roman boy she hath sold me, and I fall
  Under this plot. She dies for’t.—Eros, ho!

(Il sort.)

    [Exit.]

 
 
 

SCÈNE XI

SCENE XIII.

Alexandrie.—Appartement du palais.
Alexandria. A Room in the Palace.

    CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, MARDIAN.

    Enter Cleopatra, Charmian, Iras and Mardian.

CLÉOPÂTRE.
  — Secourez-moi, mes femmes. Oh! il est plus furieux que ne le fut Télamon, frustré du bouclier d'Achille; et le sanglier de Thessalie ne se montra jamais plus menaçant.

CLEOPATRA.
  Help me, my women! O, he is more mad
  Than Telamon for his shield; the boar of Thessaly
  Was never so embossed.

CHARMIANE.
  — Venez au tombeau de Ptolémée. Enfermez-vous là, et envoyez lui annoncer que vous êtes morte. L'âme ne se sépare pas du corps avec plus de douleur que l'homme de sa grandeur.

CHARMIAN.
  To th’ monument!
  There lock yourself and send him word you are dead.
  The soul and body rive not more in parting
  Than greatness going off.

CLÉOPÂTRE.
  — Allons au tombeau... Mardian, va lui annoncer que je me suis tuée. Dis-lui que le dernier mot que j'ai prononcé était Antoine, et fais-lui, je t'en conjure, un récit attendrissant. Pars, Mardian, et reviens m'apprendre comment il prend ma mort.... Au monument...

CLEOPATRA.
  To th’ monument!
  Mardian, go tell him I have slain myself.
  Say that the last I spoke was “Antony”,
  And word it, prithee, piteously. Hence, Mardian,
  And bring me how he takes my death.—To th’ monument!

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE XII

SCENE XIV.

Alexandrie.—Un autre appartement du palais.
Alexandria. Another Room.

    ANTOINE, ÉROS.

    Enter Antony and Eros.

ANTOINE.
  — Éros, tu me vois encore!

ANTONY.
  Eros, thou yet behold’st me?

ÉROS.
  — Oui, mon noble maître.

EROS.
  Ay, noble lord.

ANTOINE.
  — Tu as vu quelquefois un nuage qui ressemble à un dragon, une vapeur qui nous représente un ours ou un lion, une citadelle avec des tours, un rocher pendant, un mont à double cime, ou un promontoire bleuâtre couronné de forêts qui se balancent sur nos têtes; tu as vu ces images qui sont les spectacles que nous offre le sombre crépuscule?

ANTONY.
  Sometime we see a cloud that’s dragonish,
  A vapour sometime like a bear or lion,
  A towered citadel, a pendant rock,
  A forked mountain, or blue promontory
  With trees upon’t, that nod unto the world
  And mock our eyes with air. Thou hast seen these signs.
  They are black vesper’s pageants.

ÉROS.
  — Oui, seigneur.

EROS.
  Ay, my lord.

ANTOINE.
  — Ce qui nous paraît un coursier est effacé en moins d'une pensée par la séparation des nuages, et se confond avec eux comme l'eau dans l'eau.

ANTONY.
  That which is now a horse, even with a thought
  The rack dislimns and makes it indistinct
  As water is in water.

ÉROS.
  — Oui, seigneur.

EROS.
  It does, my lord.

ANTOINE.
  — Eh bien! bon serviteur, cher Éros, ton général n'est plus qu'une de ces formes imaginaires. Je suis encore Antoine, mais je ne puis plus garder ce corps visible, mon serviteur.—C'est pour l'Égypte que j'ai entrepris cette guerre, et la reine, dont je croyais posséder le cœur, car elle possédait le mien, mon cœur qui, pendant qu'il était à moi, s'était attaché un million de cœurs, perdus maintenant; elle, qui a arrangé les cartes avec César, et, par un jeu perfide, a livré ma gloire au triomphe de mon ennemi.—Non, ne pleure pas, cher Éros; pour finir mes destins, je me reste à moi-même. (Entre Mardian.) Oh! ta vile maîtresse! elle m'a volé mon épée!

ANTONY.
  My good knave Eros, now thy captain is
  Even such a body. Here I am Antony,
  Yet cannot hold this visible shape, my knave.
  I made these wars for Egypt, and the Queen,
  Whose heart I thought I had, for she had mine,
  Which, whilst it was mine, had annexed unto’t
  A million more, now lost—she, Eros, has
  Packed cards with Caesar, and false-played my glory
  Unto an enemy’s triumph.
  Nay, weep not, gentle Eros. There is left us
  Ourselves to end ourselves.
 
      Enter Mardian.
 
  O, thy vile lady!
  She has robbed me of my sword.

MARDIAN.
  — Non, Antoine, ma maîtresse vous aimait, et elle a associé sans réserve sa fortune à la vôtre.

MARDIAN.
  No, Antony,
  My mistress loved thee and her fortunes mingled
  With thine entirely.

ANTOINE.
  — Loin de moi, eunuque insolent; tais-toi. Elle m'a trahi, il faut qu'elle meure.

ANTONY.
  Hence, saucy eunuch! Peace!
  She hath betrayed me and shall die the death.

MARDIAN.
  — La mort est une dette que chacun ne peut payer qu'une fois, et elle l'a déjà acquittée. Ce que vous vouliez faire est fait; elle a prévenu votre bras; et le dernier mot qu'elle a prononcé, c'est: Antoine, généreux Antoine! Elle a voulu encore prononcer votre nom, mais un dernier gémissement l'a laissé à moitié prononcé entre ses lèvres et son cœur; elle a expiré avec votre nom enseveli dans son sein.

MARDIAN.
  Death of one person can be paid but once,
  And that she has discharged. What thou wouldst do
  Is done unto thy hand. The last she spake
  Was “Antony! Most noble Antony!”
  Then in the midst a tearing groan did break
  The name of Antony; it was divided
  Between her heart and lips. She rendered life,
  Thy name so buried in her.

ANTOINE.
  — Elle est morte?

ANTONY.
  Dead, then?

MARDIAN.
  — Morte.

MARDIAN.
  Dead.

ANTOINE.
  — Éros, ôte-moi mon armure: la tâche de la longue journée est finie, et il est temps de dormir. Tiens-toi pour bien payé de ton message, puisque tu sors vivant de ces lieux. Va-t'en. (Mardian sort.) Ôte-moi cette armure, le septuple bouclier d'Ajax ne peut comprimer les battements de mon cœur. O mes flancs! brisez-vous; toi, mon cœur, sois une fois plus fort que la chair qui t'emprisonne.—Dépêche, Éros, dépêche. Je ne suis plus un guerrier.—Débris de mon armure, allez loin de moi, vous avez été portés avec honneur.—Laissez-moi seul un moment.—(Éros sort.) O Cléopâtre! je je vais te rejoindre, et implorer ton pardon par mes larmes. Allons, il faut finir, tout délai est un nouveau supplice. Puisque la torche est éteinte, couchons-nous et n'allons pas plus loin. Maintenant toute résistance serait inutile, et nuirait au lieu de servir. La force s'embarrasse de ses propres efforts; apposons notre sceau, et tout est fini.—Éros!—Je viens, ô ma reine!—Éros!—Attends-moi dans ces lieux, où les ombres reposent sur les fleurs. Là, les mains dans les mains, nous fixerons sur nous les regards des ombres attirées par l'héroïque majesté de nos mânes. Didon et son Énée verront leur cour déserte, et toute la foule nous suivra.—Éros! Viens donc!

ANTONY.
  Unarm, Eros. The long day’s task is done,
  And we must sleep.—That thou depart’st hence safe
  Does pay thy labour richly. Go.
 
        [Exit Mardian.]
 
  Off, pluck off!
  The sevenfold shield of Ajax cannot keep
  The battery from my heart. O, cleave, my sides!
  Heart, once be stronger than thy continent;
  Crack thy frail case! Apace, Eros, apace!
  No more a soldier. Bruised pieces, go;
  You have been nobly borne. From me awhile.
 
        [Exit Eros.]
 
  I will o’ertake thee, Cleopatra, and
  Weep for my pardon. So it must be, for now
  All length is torture. Since the torch is out,
  Lie down, and stray no farther. Now all labour
  Mars what it does; yea, very force entangles
  Itself with strength. Seal then, and all is done.
  Eros!—I come, my queen.—Eros!—Stay for me.
  Where souls do couch on flowers, we’ll hand in hand,
  And with our sprightly port make the ghosts gaze.
  Dido and her Aeneas shall want troops,
  And all the haunt be ours.—Come, Eros, Eros!

(Éros paraît.)

    Enter Eros.

ÉROS.
  — Que veut mon maître?

EROS.
  What would my lord?

ANTOINE.
  — Depuis que Cléopâtre n'est plus, j'ai vécu avec tant de déshonneur que les dieux abhorrent ma bassesse. Moi, qui avec mon épée partageais l'univers, moi qui construisit sur le dos verdâtre de Neptune des cités avec mes vaisseaux, je m'accuse de manquer du courage d'une femme. Mon âme est moins noble que la sienne, elle qui par sa mort dit à notre César: Je n'ai d'autre vainqueur que moi-même.—Éros, tu m'as juré que, si jamais les circonstances l'exigeaient (et elles l'exigent bien maintenant), quand je me verrais poursuivi par une suite de malheurs et d'horreurs inévitables, alors, sur mon ordre, tu me donnerais la mort. Fais-le, le temps est venu. Ce n'est pas moi que tu frapperas; c'est César que tu vas priver du fruit de la victoire. Rappelle la couleur sur tes joues.

ANTONY.
  Since Cleopatra died,
  I have lived in such dishonour that the gods
  Detest my baseness. I, that with my sword
  Quartered the world, and o’er green Neptune’s back
  With ships made cities, condemn myself to lack
  The courage of a woman; less noble mind
  Than she which, by her death, our Caesar tells
  “I am conqueror of myself.” Thou art sworn, Eros,
  That when the exigent should come, which now
  Is come indeed, when I should see behind me
  Th’ inevitable prosecution of
  Disgrace and horror, that on my command
  Thou then wouldst kill me. Do’t. The time is come.
  Thou strik’st not me; ’tis Caesar thou defeat’st.
  Put colour in thy cheek.

ÉROS.
  — Que les dieux m'en gardent! Ferais-je ce que n'ont pu faire tous les traits des Parthes ennemis, lancés vainement contre vous?

EROS.
  The gods withhold me!
  Shall I do that which all the Parthian darts,
  Though enemy, lost aim and could not?

ANTOINE.
  — Cher Éros, voudrais-tu donc, des fenêtres de la vaste Rome, voir ton maître les bras croisés, courbant son front humilié et le visage dompté par une honte pénétrante, tandis que l'heureux César, marchant devant lui dans son char, raillerait la bassesse de celui qui le suit?

ANTONY.
  Eros,
  Wouldst thou be windowed in great Rome and see
  Thy master thus with pleached arms, bending down
  His corrigible neck, his face subdued
  To penetrative shame, whilst the wheeled seat
  Of fortunate Caesar, drawn before him, branded
  His baseness that ensued?

ÉROS.
  — Non, je ne voudrais pas le voir.

EROS.
  I would not see’t.

ANTOINE.
  — Approche donc: car il n'y a qu'une blessure qui puisse me guérir. Allons, tire ton épée fidèle, qui dans tes mains fut tant de fois utile à ta patrie.

ANTONY.
  Come, then, for with a wound I must be cured.
  Draw that thy honest sword, which thou hast worn
  Most useful for thy country.

ÉROS.
  — Ah! seigneur, pardonnez!

EROS.
  O, sir, pardon me!

ANTOINE.
  — Quand je t'ai affranchi, ne juras-tu pas de faire ce que je te demande ici dès que je te l'ordonnerais? Obéis, ou je regarderai tous tes services passés comme des accidents involontaires; tire ton épée et approche.

ANTONY.
  When I did make thee free, swor’st thou not then
  To do this when I bade thee? Do it at once,
  Or thy precedent services are all
  But accidents unpurposed. Draw, and come.

ÉROS.
  — Détournez donc de moi ce noble visage, fait pour être adoré de l'univers entier.

EROS.
  Turn from me then that noble countenance
  Wherein the worship of the whole world lies.

ANTOINE, détournant son visage.
  — Allons.

ANTONY.
  Lo thee!

    [Turning from him.]

ÉROS.
  — Mon épée est tirée.

EROS.
  My sword is drawn.

ANTOINE.
  — Alors, fais tout de suite la chose pour laquelle tu l'as tirée.

ANTONY.
  Then let it do at once
  The thing why thou hast drawn it.

ÉROS.
  — Mon cher maître, mon général, mon souverain, permettez qu'avant de frapper ce coup sanglant je vous dise adieu.

EROS.
  My dear master,
  My captain and my emperor, let me say,
  Before I strike this bloody stroke, farewell.

ANTOINE.
  — Tu l'as dit, ami. Adieu.

ANTONY.
  ’Tis said, man, and farewell.

ÉROS.
  — Adieu, mon illustre chef. Frapperai-je?

EROS.
  Farewell, great chief. Shall I strike now?

ANTOINE.
  — A l'instant, Éros.

ANTONY.
  Now, Eros.

ÉROS.
  — Eh bien! ici alors... (Il se jette sur son épée.) C'est ainsi que j'échappe à la douleur d'immoler Antoine.

EROS.
  Why, there then! [kills himself]
  Thus do I escape the sorrow
  Of Antony’s death.

(Il expire.)

    [Dies.]

ANTOINE.
  — Ô toi! qui es trois fois plus noble que moi! brave Éros, tu m'apprends ce que je devrais et ce que tu n'as pu faire. Ma reine et le fidèle Éros ont, par leur courageux exemple, gagné sur moi de la gloire dans l'histoire. Mais je serai comme un nouvel époux pour la mort, et je vole dans ses bras comme au lit de mon amante. Allons, c'en est fait, Éros, ton maître meurt selon ton exemple. Voilà ce que tu m'as appris. (Il se précipite sur son épée.) Comment, pas mort encore? pas mort? Holà, gardes! Oh! achevez-moi!

ANTONY.
  Thrice nobler than myself!
  Thou teachest me, O valiant Eros, what
  I should and thou couldst not. My queen and Eros
  Have by their brave instruction got upon me
  A nobleness in record. But I will be
  A bridegroom in my death and run into’t
  As to a lover’s bed. Come then, and, Eros,
  Thy master dies thy scholar. To do thus
 
      [Falling on his sword.]
 
  I learned of thee. How? Not dead? Not dead?
  The guard, ho! O, dispatch me!

(Entrent Dercétas et la garde).

    Enter a company of the Guard, one of them Dercetus.

PREMIER GARDE.
  — D'où viennent ces cris?

FIRST GUARD.
  What’s the noise?

ANTOINE.
  — Amis, j'ai mal fait mon ouvrage... Oh! achevez ce que j'ai commencé.

ANTONY.
  I have done my work ill, friends. O, make an end
  Of what I have begun.

SECOND GARDE.
  — L'astre est tombé.

SECOND GUARD.
  The star is fallen.

PREMIER GARDE.
  — Sa période est achevée.

FIRST GUARD.
  And time is at his period.

TOUS.
  — Hélas! ô malheur!

ALL.
  Alas, and woe!

ANTOINE.
  — Que celui de vous qui m'aime achève ma mort.

ANTONY.
  Let him that loves me strike me dead.

PREMIER GARDE.
  — Pas moi.

FIRST GUARD.
  Not I.

SECOND GARDE.
  — Ni moi.

SECOND GUARD.
  Nor I.

TROISIÈME GARDE.
  — Ni personne.

THIRD GUARD.
  Nor anyone.

(Ils sortent.)

    [Exeunt guard.]

DERCÉTAS.
  — Ta fortune et ta mort font déserter tes amis. Que je montre seulement cette épée à César, et avec cette nouvelle je suis sûr d'être bien accueilli.

DERCETUS.
  Thy death and fortunes bid thy followers fly.
  This sword but shown to Caesar with this tidings,
  Shall enter me with him.

(Diomède entre.)

    Enter Diomedes.

DIOMÈDE.
  — Où est Antoine?

DIOMEDES.
  Where’s Antony?

DERCÉTAS.
  — Là, Diomède, là.

DERCETUS.
  There, Diomed, there.

DIOMÈDE.
  — Est-il en vie?—Veux-tu répondre?

DIOMEDES.
  Lives he? Wilt thou not answer, man?

(Dercétas sort.)

    [Exit Dercetus.]

ANTOINE.
  — Est-ce toi, Diomède? Tire ton épée et frappe; que j'achève de mourir.

ANTONY.
  Art thou there, Diomed? Draw thy sword and give me
  Sufficing strokes for death.

DIOMÈDE.
  — Illustre souverain, ma maîtresse Cléopâtre m'envoie vers toi.

DIOMEDES.
  Most absolute lord,
  My mistress Cleopatra sent me to thee.

ANTOINE.
  — Quand t'a-t-elle envoyé?

ANTONY.
  When did she send thee?

DERCÉTAS.
  — Dans le moment, seigneur.

DIOMEDES.
  Now, my lord.

ANTOINE.
  — Où est-elle?

ANTONY.
  Where is she?

DIOMÈDE.
  — Elle est enfermée dans son monument: elle avait un pressentiment de ce qui est arrivé. Lorsqu'elle a vu que vous la soupçonniez, soupçon dont on ne trouvera jamais la preuve, de s'être arrangée avec César, et que rien ne pouvait apaiser vos fureurs, elle vous a fait annoncer qu'elle était morte; mais ensuite, craignant l'effet de cette nouvelle, elle m'envoie vous déclarer la vérité, et je viens, je le crains bien, trop tard.

DIOMEDES.
  Locked in her monument. She had a prophesying fear
  Of what hath come to pass. For when she saw—
  Which never shall be found—you did suspect
  She had disposed with Caesar, and that your rage
  Would not be purged, she sent you word she was dead;
  But fearing since how it might work, hath sent
  Me to proclaim the truth, and I am come,
  I dread, too late.

ANTOINE.
  — Trop tard, bon Diomède. Appelle mes gardes, je te prie.

ANTONY.
  Too late, good Diomed. Call my guard, I prithee.

DIOMÈDE.
  — Holà! les gardes de l'empereur! Gardes, avancez, votre seigneur vous appelle.

DIOMEDES.
  What, ho! The emperor’s guard! The guard, what ho!
  Come, your lord calls!

(Les gardes entrent.)

    Enter four or five of the Guard of Antony.

ANTOINE.
  — Portez-moi, mes bons amis, aux lieux où est Cléopâtre; c'est le dernier service que je vous demanderai.

ANTONY.
  Bear me, good friends, where Cleopatra bides.
  ’Tis the last service that I shall command you.

UN GARDE.
  — Nous sommes désolés, seigneur, que vous ne puissiez pas survivre au dernier de tous vos fidèles serviteurs.

FIRST GUARD.
  Woe, woe are we, sir, you may not live to wear
  All your true followers out.

TOUS.
  — Ô jour de calamité!

ALL.
  Most heavy day!

ANTOINE.
  — Allons, mes chers camarades, ne faites pas au sort barbare l'honneur de vos larmes; souhaitez la bienvenue aux coups qui viennent nous frapper. C'est se venger de lui que de les recevoir avec insouciance. Soulevez-moi; je vous ai conduit souvent: portez-moi à votre tour, mes bons amis, et recevez tous mes remerciements. (Ils sortent, emportant Antoine.)

ANTONY.
  Nay, good my fellows, do not please sharp fate
  To grace it with your sorrows. Bid that welcome
  Which comes to punish us, and we punish it,
  Seeming to bear it lightly. Take me up.
  I have led you oft; carry me now, good friends,
  And have my thanks for all.

      [Exeunt, bearing Antony.]

 
 
 

SCÈNE XIII

SCENE XV.

Alexandrie. — Un mausolée.
Alexandria. A monument.

    On voit sur une galerie CLÉOPÂTRE, CHARMIANE ET IRAS.

    Enter Cleopatra and her maids aloft, with Charmian and Iras.

CLÉOPÂTRE.
  — Ô Charmiane! c'en est fait, je ne sors plus d'ici!

CLEOPATRA.
  O Charmian, I will never go from hence.

CHARMIANE.
  — Consolez-vous, madame.

CHARMIAN.
  Be comforted, dear madam.

CLÉOPÂTRE.
  — Non, je ne le veux pas... Les événements les plus étranges et les plus terribles seront les bienvenus; mais je dédaigne les consolations. L'étendue de ma douleur doit égaler la grandeur de sa cause. (A Diomède, qui revient.) Comment? est-il mort?

CLEOPATRA.
  No, I will not.
  All strange and terrible events are welcome,
  But comforts we despise. Our size of sorrow,
  Proportioned to our cause, must be as great
  As that which makes it.
 
      Enter, below Diomedes.
 
  How now! Is he dead?

DIOMÈDE.
  — Pas encore, madame, mais la mort est sur lui. Regardez de l'autre côté du monument, ses gardes l'ont apporté jusqu'ici.

DIOMEDES.
  His death’s upon him, but not dead.
  Look out o’ th’ other side your monument;
  His guard have brought him thither.

(Antoine paraît, porté par ses gardes.)

    Enter, below Antony borne by the Guard.

CLÉOPÂTRE.
  — Ô soleil! consume la sphère où tu te meus, et qu'une nuit éternelle couvre le visage changeant du monde! — O Antoine! Antoine! Antoine! — Aide-moi, Charmiane; aide-moi, Iras. Mes amis, secondez-nous; élevons-le jusqu'à moi.

CLEOPATRA.
  O sun,
  Burn the great sphere thou mov’st in! Darkling stand
  The varying shore o’ th’ world. O Antony,
  Antony, Antony! Help, Charmian! Help, Iras, help!
  Help, friends below! Let’s draw him hither.

ANTOINE.
  — Calmez-vous; ce n'est pas sous la valeur de César qu'Antoine succombe, Antoine seul a triomphé de lui-même.

ANTONY.
  Peace!
  Not Caesar’s valour hath o’erthrown Antony,
  But Antony’s hath triumphed on itself.

CLÉOPÂTRE.
  — Il en devait être ainsi: nul autre qu'Antoine ne devait triompher d'Antoine; mais malheur à moi qu'il en soit ainsi!

CLEOPATRA.
  So it should be, that none but Antony
  Should conquer Antony, but woe ’tis so!

ANTOINE.
  — Je meurs, reine d'Égypte, je meurs; cependant j'implore de la mort un moment pour que je puisse déposer sur tes lèvres encore un pauvre baiser, le dernier de tant de baisers.

ANTONY.
  I am dying, Egypt, dying. Only
  I here importune death awhile until
  Of many thousand kisses the poor last
  I lay upon thy lips.

CLÉOPÂTRE.
  — Je n'ose, cher amant; cher Antoine, pardonne; mais je n'ose descendre, je crains d'être surprise... Jamais ce César, que la fortune accable de ses dons, ne verra son orgueilleux triomphe décoré de ma personne... Si les poignards ont une pointe, les poisons de la force, les serpents un dard, je suis en sûreté. Jamais ta sage Octavie, avec son regard modeste et sa froide résolution, ne jouira du triomphe de me contempler; mais viens, viens, cher Antoine. Aidez-moi, mes femmes; il faut que nous le montions ici; bons amis, secondez-moi.

CLEOPATRA.
  I dare not, dear
  Dear my lord, pardon. I dare not,
  Lest I be taken. Not th’ imperious show
  Of the full-fortuned Caesar ever shall
  Be brooched with me; if knife, drugs, serpents, have
  Edge, sting, or operation, I am safe.
  Your wife Octavia, with her modest eyes
  And still conclusion, shall acquire no honour
  Demuring upon me. But come, come, Antony—
  Help me, my women—we must draw thee up.
  Assist, good friends.

ANTOINE.
  — Ô hâtez-vous, ou je m'en vais!

ANTONY.
  O, quick, or I am gone.

CLÉOPÂTRE.
  — Ceci est un jeu, en vérité. Comme mon seigneur est lourd! La douleur a épuisé nos forces, et ajoute un nouveau poids à son corps. Ah! si j'avais la puissance de l'immortelle Junon, Mercure t'enlèverait sur ses robustes ailes, et te placerait à côté de Jupiter... Mais viens, viens. Ceux qui font des souhaits sont toujours fous. Oh! viens, viens, viens. (Ils enlèvent et montent Antoine.) Et sois le bienvenu, le bienvenu auprès de moi... Meurs là où tu as vécu; que mes baisers te raniment. Ah! si mes lèvres avaient ce pouvoir, je les userais à force de baisers.

CLEOPATRA.
  Here’s sport indeed! How heavy weighs my lord!
  Our strength is all gone into heaviness;
  That makes the weight. Had I great Juno’s power,
  The strong-winged Mercury should fetch thee up
  And set thee by Jove’s side. Yet come a little;
  Wishers were ever fools. O come, come come,
 
      [They heave Antony aloft to Cleopatra.]
 
  And welcome, welcome! Die where thou hast lived;
  Quicken with kissing. Had my lips that power,
  Thus would I wear them out.

TOUS.
  — Ô douloureux spectacle!

ALL.
  A heavy sight!

ANTOINE.
  — Je meurs, Égyptienne, je meurs... Donnez-moi un peu de vin pour que je puisse prononcer encore quelques paroles.

ANTONY.
  I am dying, Egypt, dying.
  Give me some wine, and let me speak a little.

CLÉOPÂTRE.
  — Non, laisse-moi parler plutôt, laisse-moi accuser si hautement la fortune; que la fortune, perfide ouvrière, brise son rouet dans le dépit que lui causeront mes outrages.

CLEOPATRA.
  No, let me speak, and let me rail so high
  That the false huswife Fortune break her wheel,
  Provoked by my offence.

ANTOINE.
  — Un mot, chère reine; assurez auprès de César votre honneur et votre sûreté... Ah!

ANTONY.
  One word, sweet queen:
  Of Caesar seek your honour, with your safety. O!

CLÉOPÂTRE.
  — Ces deux choses ne vont pas ensemble.

CLEOPATRA.
  They do not go together.

ANTOINE.
  — Chère Cléopâtre, écoutez-moi: de tous ceux qui entourent César, ne vous fiez qu'à Proculéius.

ANTONY.
  Gentle, hear me.
  None about Caesar trust but Proculeius.

CLÉOPÂTRE.
  — Je me fierai à ma résolution et à mes mains, et non à aucun des amis de César.

CLEOPATRA.
  My resolution and my hands I’ll trust;
  None about Caesar.

ANTOINE.
  — N'allez point gémir, ni vous lamenter sur le déplorable changement qui m'arrive au terme de ma carrière; charmez plutôt vos pensées par le souvenir de ma fortune passée, lorsque j'étais le plus noble, le plus grand prince de l'univers; je ne meurs pas aujourd'hui honteusement ni lâchement, je ne cède pas mon casque à mon compatriote; je suis un Romain vaincu avec honneur par un Romain. Ah! mon âme s'envole. Je n'en puis plus.

ANTONY.
  The miserable change now at my end
  Lament nor sorrow at, but please your thoughts
  In feeding them with those my former fortunes
  Wherein I lived the greatest prince o’ th’ world,
  The noblest; and do now not basely die,
  Not cowardly put off my helmet to
  My countryman; a Roman by a Roman
  Valiantly vanquished. Now my spirit is going;
  I can no more.

(Antoine expire.)


CLÉOPÂTRE.
  — O le plus généreux des mortels, veux-tu donc mourir? Tu n'as donc plus souci de moi?... Resterai-je dans ce monde insipide, qui, sans toi, n'est plus qu'un bourbier fangeux.—O mes femmes, voyez! Le roi de la terre s'anéantit... Mon seigneur!... Oui, le laurier de la guerre est flétri; la colonne des guerriers est renversée. Désormais les enfants et les filles timides marcheront de pair avec les hommes. Les prodiges sont finis, et après Antoine il ne reste plus rien de remarquable sous la clarté de la lune.

CLEOPATRA.
  Noblest of men, woo’t die?
  Hast thou no care of me? Shall I abide
  In this dull world, which in thy absence is
  No better than a sty? O, see, my women,
 
      [Antony dies.]
 
  The crown o’ th’ earth doth melt.—My lord!
  O, withered is the garland of the war,
  The soldier’s pole is fallen; young boys and girls
  Are level now with men. The odds is gone,
  And there is nothing left remarkable
  Beneath the visiting moon.

(Elle s'évanouit.)

    [Faints.]

CHARMIANE.
  — Ah! calmez-Vous, madame.

CHARMIAN.
  O, quietness, lady!

IRAS.
  — Elle est morte aussi, notre maîtresse.

IRAS.
  She is dead too, our sovereign.

CHARMIANE.
  — Reine...

CHARMIAN.
  Lady!

IRAS.
  — Madame...

IRAS.
  Madam!

CHARMIANE.
  — O madame! madame! madame!

CHARMIAN.
  O madam, madam, madam!

IRAS.
  — Reine d'Égypte! souveraine...

IRAS.
  Royal Egypt, Empress!

CHARMIANE.
  — Tais-toi, tais-toi, Iras...

CHARMIAN.
  Peace, peace, Iras!

CLÉOPÂTRE.
  — Non, je ne suis plus qu'une femme, et assujettie aux mêmes passions que la servante qui trait les vaches et exécute les plus obscurs travaux. Il m'appartiendrait de jeter mon sceptre aux dieux barbares, et de leur dire que cet univers fut égal à leur Olympe jusqu'au jour où ils m'ont enlevé mon trésor.—Tout n'est plus que néant. La patience est une sotte et l'impatience est devenue un chien enragé... Est-ce donc un crime de se précipiter dans la secrète demeure de la mort, avant que la mort ose venir à nous? Comment êtes-vous, mes femmes? Allons, allons, bon courage! Allons, voyons, Charmiane! Mes chères filles!... Ah! femmes, femmes, voyez, notre flambeau est éteint. (Aux soldats d'Antoine.) — Bons amis, prenez courage, nous l'ensevelirons; ensuite, ce qui est brave, ce qui est noble, accomplissons-le en digne Romaine, et que la mort soit fière de nous prendre. Sortons: l'enveloppe qui renfermait cette grande âme est glacée. O mes femmes, mes femmes! suivez-moi, nous n'avons plus d'amis, que notre courage et la mort la plus courte.

CLEOPATRA.
  No more but e’en a woman, and commanded
  By such poor passion as the maid that milks
  And does the meanest chares. It were for me
  To throw my sceptre at the injurious gods,
  To tell them that this world did equal theirs
  Till they had stolen our jewel. All’s but naught;
  Patience is sottish, and impatience does
  Become a dog that’s mad. Then is it sin
  To rush into the secret house of death
  Ere death dare come to us? How do you, women?
  What, what! good cheer! Why, how now, Charmian?
  My noble girls! Ah, women, women! Look,
  Our lamp is spent, it’s out! Good sirs, take heart.
  We’ll bury him; and then, what’s brave, what’s noble,
  Let’s do it after the high Roman fashion
  And make death proud to take us. Come, away.
  This case of that huge spirit now is cold.
  Ah, women, women! Come, we have no friend
  But resolution and the briefest end.

(Elles sortent; on emporte le corps d'Antoine.)

    [Exeunt, bearing off Antony’s body.]

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

 
 
 

ACTE CINQUIÈME

ACT V

SCÈNE I

SCENE I.

Le théâtre représente le camp de César.

Caesar’s Camp before Alexandria.

CÉSAR, AGRIPPA, DOLABELLA, MÉCÈNE,
GALLUS, suite.

    Enter Caesar, Agrippa, Dolabella, Maecenas, Gallus, Proculeius with his council of war.

CÉSAR.
  — Va le trouver, Dolabella; dis-lui de se rendre, dis-lui que, dépouillé de tout comme il l'est, c'est se jouer de nous que de tant différer.

CAESAR.
  Go to him, Dolabella, bid him yield.
  Being so frustrate, tell him, he mocks
  The pauses that he makes.

DOLABELLA.
  — J'y vais, César.

DOLABELLA.
  Caesar, I shall.

(Il sort.)

    [Exit.]

(Dercétas entre, tenant l'épée d'Antoine.)

    Enter Dercetus with the sword of Antony.

CÉSAR.
  — Pourquoi cette épée, et qui es-tu pour oser paraître ainsi devant nous?

CAESAR.
  Wherefore is that? And what art thou that dar’st
  Appear thus to us?

DERCÉTAS.
  — Je m'appelle Dercétas. Je servais Marc Antoine, le meilleur des maîtres, et qui méritait les meilleurs serviteurs. Je ne l'ai point quitté, tant qu'il a été debout et qu'il a parlé, et je ne supportais la vie que pour la dépenser contre ses ennemis. S'il te plaît de me prendre à ton service; ce que je fus pour Antoine, je le serai pour César. Si tu ne le veux pas, je t'abandonne ma vie.

DERCETUS.
  I am called Dercetus.
  Mark Antony I served, who best was worthy
  Best to be served. Whilst he stood up and spoke,
  He was my master, and I wore my life
  To spend upon his haters. If thou please
  To take me to thee, as I was to him
  I’ll be to Caesar; if thou pleasest not,
  I yield thee up my life.

CÉSAR.
  — Qu'est-ce que tu dis?

CAESAR.
  What is’t thou say’st?

DERCÉTAS.
  — Je dis à César qu'Antoine est mort.

DERCETUS.
  I say, O Caesar, Antony is dead.

CÉSAR.
  — La chute d'un si grand homme aurait dû faire plus de bruit. La terre aurait dû lancer les lions dans les rues des cités, et les habitans des cités dans les antres des lions. — La mort d'Antoine n'est pas le trépas d'un seul. Il y avait dans son nom la moitié de l'univers.

CAESAR.
  The breaking of so great a thing should make
  A greater crack. The round world
  Should have shook lions into civil streets,
  And citizens to their dens. The death of Antony
  Is not a single doom; in the name lay
  A moiety of the world.

DERCÉTAS.
  — Il est mort, César, non par la main d'un ministre public de la justice, non par un fer emprunté. Mais ce même bras qui inscrivait son honneur sur toutes ses actions a déchiré le cœur qui lui prêtait ce courage invincible. Voilà son épée, je l'ai dérobée à sa blessure; tu la vois teinte encore de son noble sang.

DERCETUS.
  He is dead, Caesar,
  Not by a public minister of justice,
  Nor by a hired knife, but that self hand
  Which writ his honour in the acts it did
  Hath, with the courage which the heart did lend it,
  Splitted the heart. This is his sword.
  I robbed his wound of it. Behold it stained
  With his most noble blood.

CÉSAR.
  — Vous avez l'air triste, mes amis. — Que les dieux me retirent leur faveur, si ces nouvelles ne sont pas faites pour mouiller les yeux des rois.

CAESAR.
  Look you sad, friends?
  The gods rebuke me, but it is tidings
  To wash the eyes of kings.

AGRIPPA.
  — Et il est étrange que la nature nous force à gémir sur les actions que nous avons poursuivies avec le plus d'acharnement.

AGRIPPA.
  And strange it is
  That nature must compel us to lament
  Our most persisted deeds.

MÉCÈNE.
  — Ses vices et ses vertus se balançaient également.

MAECENAS.
  His taints and honours
  Waged equal with him.

AGRIPPA.
  — Jamais âme plus rare n'a gouverné l'humanité. Mais vous, dieux, vous voulez nous laisser toujours quelques faiblesses pour faire de nous des hommes. César s'attendrit.

AGRIPPA.
  A rarer spirit never
  Did steer humanity, but you gods will give us
  Some faults to make us men. Caesar is touched.

MÉCÈNE.
  — Quand un si grand miroir est offert à ses yeux, il faut bien qu'il se voie.

MAECENAS.
  When such a spacious mirror’s set before him,
  He needs must see himself.

CÉSAR.
  — Ô Antoine, je t'ai poursuivi jusque-là! — Mais nous sommes nous-mêmes les auteurs de nos maux. Il fallait ou que je fusse offert moi-même à tes regards dans cet état d'abaissement, ou que je fusse spectateur du tien. Nous ne pouvions habiter ensemble dans l'univers. Mais laisse-moi pleurer avec des larmes de sang sur toi, mon frère, mon collègue dans toutes mes entreprises, mon associé à l'empire, mon ami et mon compagnon au premier rang des batailles; le bras de mon propre corps, le cœur où le mien allumait son courage... Que nos inconciliables étoiles aient ainsi divisé nos égales fortunes, pour en venir là! Écoutez-moi, mes dignes amis... Mais non, je vous dirai mes pensées dans un moment plus convenable.

(Entre un messager.)

CÉSAR.
  — Le message de cet homme se devine dans son air; nous entendrons ce qu'il dira. — D'où viens-tu?

CAESAR.
  O Antony,
  I have followed thee to this, but we do lance
  Diseases in our bodies. I must perforce
  Have shown to thee such a declining day
  Or look on thine. We could not stall together
  In the whole world. But yet let me lament
  With tears as sovereign as the blood of hearts,
  That thou, my brother, my competitor
  In top of all design, my mate in empire,
  Friend and companion in the front of war,
  The arm of mine own body, and the heart
  Where mine his thoughts did kindle, that our stars,
  Unreconciliable, should divide
  Our equalness to this. Hear me, good friends—
 
      Enter an Egyptian.
 
  But I will tell you at some meeter season.
  The business of this man looks out of him;
  We’ll hear him what he says. Whence are you?

LE MESSAGER.
  — Je ne suis encore qu'un pauvre Égyptien: la reine, ma maîtresse, confinée dans le seul asile qui lui reste, dans son tombeau, désire être instruite de vos intentions pour pouvoir se préparer au parti que la nécessité la forcera d'embrasser.

EGYPTIAN.
  A poor Egyptian yet. The queen, my mistress,
  Confined in all she has, her monument,
  Of thy intents desires instruction,
  That she preparedly may frame herself
  To the way she’s forced to.

CÉSAR.
  — Dis-lui d'avoir bon courage; elle apprendra bientôt, par quelqu'un des nôtres, quel traitement honorable et doux nous lui réservons. César ne peut vivre que pour être généreux.

CAESAR.
  Bid her have good heart.
  She soon shall know of us, by some of ours,
  How honourable and how kindly we
  Determine for her. For Caesar cannot lean
  To be ungentle.

LE MESSAGER.
  — Que les dieux te gardent donc!

EGYPTIAN.
  So the gods preserve thee!

(Le messager sort.)

    [Exit.]

CÉSAR.
  — Approche, Proculéius; pars, et dis à la reine qu'elle ne craigne de nous aucune humiliation; donne-lui les consolations qu'exigera la nature de ses chagrins, de peur que dans le sentiment de sa grandeur elle ne déjoue nos intentions par quelque coup mortel. Cléopâtre, conduite vivante à Rome, éterniserait notre triomphe.—Va, et reviens en diligence m'apprendre ce qu'elle t'aura dit, et comment tu l'auras trouvée.

CAESAR.
  Come hither, Proculeius. Go and say
  We purpose her no shame. Give her what comforts
  The quality of her passion shall require,
  Lest, in her greatness, by some mortal stroke
  She do defeat us, for her life in Rome
  Would be eternal in our triumph. Go,
  And with your speediest bring us what she says
  And how you find of her.

PROCULÉIUS.
  — J'obéis, César.

PROCULEIUS.
  Caesar, I shall.

    [Exit Proculeius.]

CÉSAR.
  — Gallus, accompagne-le. — Où est Dolabella, pour seconder Proculéius?

(Gallus sort.)

CAESAR.
  Gallus, go you along.
 
      [Exit Gallus.]
 
  Where’s Dolabella, to second Proculeius?

AGRIPPA et MÉCÈNE.
  — Dolabella!

ALL.
  Dolabella!

CÉSAR.
  — Laissez-le; je me rappelle maintenant de quel emploi je l'ai chargé... Il sera prêt à temps. — Suivez-moi dans ma tente; vous allez voir avec quelle répugnance j'ai été engagé dans cette guerre, quelle douceur et quelle modération j'ai toujours mises dans mes lettres. Venez vous en convaincre par toutes les preuves que je puis vous montrer.

CAESAR.
  Let him alone, for I remember now
  How he’s employed. He shall in time be ready.
  Go with me to my tent, where you shall see
  How hardly I was drawn into this war,
  How calm and gentle I proceeded still
  In all my writings. Go with me and see
  What I can show in this.

    [Exeunt.]

 
 
 

SCÈNE II

SCENE II.

Alexandrie. — Intérieur du mausolée.

Alexandria. A Room in the Monument.

Entrent CLÉOPÂTRE, CHARMIANE ET IRAS.

    Enter Cleopatra, Charmian and Iras.

CLÉOPÂTRE.
  — Mon désespoir commence à se calmer. C'est un pauvre honneur que d'être César; il n'est pas la fortune, mais seulement son esclave et un agent de ses volontés. Il est grand de faire ce qui met un terme à toutes les autres actions, ce qui enchaîne les accidents, emprisonne toutes les vicissitudes, ce qui endort et empêche désormais de sentir cette boue qui nourrit le mendiant et César.

CLEOPATRA.
  My desolation does begin to make
  A better life. ’Tis paltry to be Caesar;
  Not being Fortune, he’s but Fortune’s knave,
  A minister of her will. And it is great
  To do that thing that ends all other deeds,
  Which shackles accidents and bolts up change,
  Which sleeps and never palates more the dung,
  The beggar’s nurse and Caesar’s.

(Proculéius, Gallus et des soldats viennent à la porte du
mausolée.)

    Enter Proculeius.

PROCULÉIUS.
  — César m'envoie saluer la reine d'Égypte, et vous demander de sa part quels désirs raisonnables vous voulez qu'il vous accorde.

PROCULEIUS.
  Caesar sends greetings to the queen of Egypt,
  And bids thee study on what fair demands
  Thou mean’st to have him grant thee.

CLÉOPÂTRE.
  — Quel est ton nom?

CLEOPATRA.
  What’s thy name?

PROCULÉIUS.
  — Mon nom est Proculéius.

PROCULEIUS.
  My name is Proculeius.

CLÉOPÂTRE, de l'intérieur du mausolée.
  — Antoine m'a parlé de toi, il m'a recommandé de te donner ma confiance; mais je ne m'embarrasse guère qu'on me trompe, je n'ai aucun usage à faire de la confiance. Si ton maître est jaloux de voir une reine à ses pieds, tu lui déclareras qu'une reine ne peut, sans avilir sa majesté, demander moins qu'un royaume. S'il lui plait de me donner, pour mon fils, l'Égypte conquise, il me rendra ce qui m'appartient, et je fléchirai le genou devant lui avec reconnaissance.

CLEOPATRA.
  Antony
  Did tell me of you, bade me trust you, but
  I do not greatly care to be deceived
  That have no use for trusting. If your master
  Would have a queen his beggar, you must tell him
  That majesty, to keep decorum, must
  No less beg than a kingdom. If he please
  To give me conquered Egypt for my son,
  He gives me so much of mine own as I
  Will kneel to him with thanks.

PROCULÉIUS.
  — Ayez bon courage; vous êtes tombée dans des mains royales; ne craignez rien. Livrez votre sort à mon maître avec une pleine confiance, il est une source de bienfaits, si abondante qu'elle se répand sur tous ceux qui en ont besoin. Laissez-moi lui annoncer votre douce soumission, et vous trouverez un conquérant dont la générosité plaidera pour vous quand il se verra implorer à genoux.

PROCULEIUS.
  Be of good cheer.
  You are fallen into a princely hand; fear nothing.
  Make your full reference freely to my lord,
  Who is so full of grace that it flows over
  On all that need. Let me report to him
  Your sweet dependency, and you shall find
  A conqueror that will pray in aid for kindness
  Where he for grace is kneeled to.

CLÉOPÂTRE.
  — Je te prie, dis-lui que je suis la vassale de sa fortune, et que je lui envoie le diadème qu'il a conquis. Je prends à toute heure des leçons d'obéissance, et j'aurai du plaisir à voir son visage.

CLEOPATRA.
  Pray you tell him
  I am his fortune’s vassal and I send him
  The greatness he has got. I hourly learn
  A doctrine of obedience, and would gladly
  Look him i’ th’ face.

PROCULÉIUS.
  — Je lui dirai ceci, noble reine. Prenez courage, car je sais que votre sort touche celui qui l'a causé.

GALLUS.
  — Vous voyez combien il est aisé de la surprendre (à Proculéius et aux soldats): gardez-la jusqu'à l'arrivée de César. (Gallus sort. — Ici Proculéius et deux gardes escaladent le monument par une échelle, entrent par une fenêtre et surprennent Cléopâtre; quelques-uns des gardes forcent les portes.)

PROCULEIUS.
  This I’ll report, dear lady.
  Have comfort, for I know your plight is pitied
  Of him that caused it.
 
      Enter Gallus and Roman Soldiers.
 
  You see how easily she may be surprised.
  Guard her till Caesar come.

IRAS.
  — Ô grande reine!

IRAS.
  Royal queen!

CHARMIANE.
  — Ô Cléopâtre! tu es prise, reine.

CHARMIAN.
  O Cleopatra, thou art taken, queen!

CLÉOPÂTRE.
  — Vite, vite, ô ma main!

CLEOPATRA.
  Quick, quick, good hands.

(Elle tire un poignard.)

    [Drawing a dagger.]

PROCULÉIUS.
  — Arrêtez, grande reine, arrêtez, n'exercez pas sur vous cette fureur; je ne veux que vous secourir, et non vous trahir.

PROCULEIUS.
  Hold, worthy lady, hold!
 
      [Seizes and disarms her.]
 
  Do not yourself such wrong, who are in this
  Relieved, but not betrayed.

CLÉOPÂTRE.
  — Quoi! on veut me priver même de la mort qui empêche les chiens de languir?

CLEOPATRA.
  What, of death too,
  That rids our dogs of languish?

PROCULÉIUS.
  — Cléopâtre, ne trompez pas la générosité de mon maître, en vous détruisant vous-même; que l'univers voie éclater sa grandeur d'âme; votre mort l'empêcherait à jamais.

PROCULEIUS.
  Cleopatra,
  Do not abuse my master’s bounty by
  Th’ undoing of yourself. Let the world see
  His nobleness well acted, which your death
  Will never let come forth.

CLÉOPÂTRE.
  — Ô mort, où es-tu? Viens à moi, viens; oh! viens, et frappe une reine qui vaut bien des enfants et des mendiants.

CLEOPATRA.
  Where art thou, Death?
  Come hither, come! Come, come, and take a queen
  Worth many babes and beggars!

PROCULÉIUS.
  — Calmez-vous, madame.

PROCULEIUS.
  O, temperance, lady!

CLÉOPÂTRE.
  — Seigneur, je ne prendrai aucune nourriture, je ne boirai pas, seigneur; et s'il faut perdre ici le temps à déclarer mes résolutions, je ne dormirai pas non plus. César a beau faire, je saurai détruire cette prison mortelle. Sachez, seigneur, qu'on ne me verra jamais traînant des fers à la cour de votre maître, ni insultée par les calmes regards de la fade Octavie.... Me paradera-t-on pour me donner en spectacle à la valetaille de Rome, et pour essuyer ses sarcasmes et ses anathèmes? Plutôt chercher un paisible tombeau dans quelque fossé de l'Égypte! plutôt mourir toute nue sur la fange du Nil! plutôt devenir la proie des insectes et un objet d'horreur! plutôt prendre pour gibet les hautes Pyramides de mon pays et m'y faire suspendre par des chaînes!

CLEOPATRA.
  Sir, I will eat no meat; I’ll not drink, sir;
  If idle talk will once be necessary,
  I’ll not sleep neither. This mortal house I’ll ruin,
  Do Caesar what he can. Know, sir, that I
  Will not wait pinioned at your master’s court,
  Nor once be chastised with the sober eye
  Of dull Octavia. Shall they hoist me up
  And show me to the shouting varletry
  Of censuring Rome? Rather a ditch in Egypt
  Be gentle grave unto me! Rather on Nilus’ mud
  Lay me stark-naked, and let the water-flies
  Blow me into abhorring! Rather make
  My country’s high pyramides my gibbet
  And hang me up in chains!

PROCULÉIUS.
  — Vous portez ces pensées d'horreur plus loin que César ne vous en donnera de raisons.

PROCULEIUS.
  You do extend
  These thoughts of horror further than you shall
  Find cause in Caesar.

(Entre Dolabella.)

    Enter Dolabella.

DOLABELLA.
  — Proculéius, César, ton maître, sait ce que tu as fait, et il t'envoie chercher. Je prends la reine sous ma garde.

DOLABELLA.
  Proculeius,
  What thou hast done thy master Caesar knows,
  And he hath sent for thee. For the queen,
  I’ll take her to my guard.

PROCULÉIUS.
  — Volontiers, Dolabella, j'en suis bien aise, traitez-la avec douceur.—Madame, si vous daignez vous servir de moi, je dirai à César tout ce dont vous me chargerez.

PROCULEIUS.
  So, Dolabella,
  It shall content me best. Be gentle to her.
  [To Cleopatra.] To Caesar I will speak what you shall please,
  If you’ll employ me to him.

CLÉOPÂTRE.
  — Dis que je veux mourir.

CLEOPATRA.
  Say I would die.

(Proculéius et les soldats sortent.)

    [Exeunt Proculeius and Soldiers.]

DOLABELLA.
  — Illustre reine, vous avez entendu parler de moi.

DOLABELLA.
  Most noble empress, you have heard of me?

CLÉOPÂTRE.
  — Je n'en sais rien....

CLEOPATRA.
  I cannot tell.

DOLABELLA.
  — Sûrement, vous me connaissez.

DOLABELLA.
  Assuredly you know me.

CLÉOPÂTRE.
  — Peu importe, seigneur, ce que j'ai connu ou entendu.—Vous souriez quand un enfant ou une femme vous racontent leurs songes, n'est-ce pas votre habitude?

CLEOPATRA.
  No matter, sir, what I have heard or known.
  You laugh when boys or women tell their dreams;
  Is’t not your trick?

DOLABELLA.
  — Je ne vous comprends pas, madame.

DOLABELLA.
  I understand not, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — J'ai rêvé qu'il était un empereur nommé Antoine: Oh! que le ciel m'accorde encore un pareil sommeil, où je puisse revoir encore un pareil mortel!

CLEOPATRA.
  I dreamt there was an Emperor Antony.
  O, such another sleep, that I might see
  But such another man!

DOLABELLA.
  — S'il vous plaisait....

DOLABELLA.
  If it might please you—

CLÉOPÂTRE.
  — Son visage était comme les cieux; on y voyait un soleil et une lune, qui, dans leur cours, éclairaient le petit O qu'on appelle la terre.

CLEOPATRA.
  His face was as the heavens, and therein stuck
  A sun and moon, which kept their course, and lighted
  The little O, the earth.

DOLABELLA.
  — Parfaite créature....

DOLABELLA.
  Most sovereign creature—

CLÉOPÂTRE.
  — Ses jambes écartées touchaient les deux rives de l'océan; son bras étendu servait de cimier au monde. Sa voix, quand il parlait à ses amis, avait la sublime harmonie des sphères; mais quand il voulait menacer et ébranler le globe, elle ressemblait au roulement du tonnerre. Sa générosité ne connaissait point d'hiver; c'était un automne qui devenait plus riche à chaque récolte. Ses plaisirs étaient comme le dauphin, dont le dos se montre toujours au-dessus de l'élément dans lequel il vit. Les couronnes et les diadèmes portaient sa livrée; des royaumes et des îles tombaient de sa poche comme des pièces d'argent.

CLEOPATRA.
  His legs bestrid the ocean; his reared arm
  Crested the world; his voice was propertied
  As all the tuned spheres, and that to friends;
  But when he meant to quail and shake the orb,
  He was as rattling thunder. For his bounty,
  There was no winter in’t; an autumn ’twas
  That grew the more by reaping. His delights
  Were dolphin-like; they showed his back above
  The element they lived in. In his livery
  Walked crowns and crownets; realms and islands were
  As plates dropped from his pocket.

DOLABELLA.
  — Cléopâtre...

DOLABELLA.
  Cleopatra—

CLÉOPÂTRE.
  — Croyez-vous qu'il ait existé, ou qu'il puisse exister jamais, un homme comme celui que j'ai vu en songe?

CLEOPATRA.
  Think you there was or might be such a man
  As this I dreamt of?

DOLABELLA.
  — Non, aimable reine.

DOLABELLA.
  Gentle madam, no.

CLÉOPÂTRE.
  — Vous mentez, et les dieux vous entendent. Mais s'il existe, ou s'il a jamais existé, un homme semblable, c'est un prodige qui passe la puissance des songes. La nature manque ordinairement de pouvoir pour égaler les étranges créations de l'imagination; et cependant, lorsqu'elle forma un Antoine, la nature remporta le prix, et rejeta bien loin tous les fantômes.

CLEOPATRA.
  You lie up to the hearing of the gods!
  But if there be nor ever were one such,
  It’s past the size of dreaming. Nature wants stuff
  To vie strange forms with fancy; yet t’ imagine
  An Antony were nature’s piece ’gainst fancy,
  Condemning shadows quite.

DOLABELLA.
  — Écoutez-moi, madame, votre perte est, comme vous, inestimable, et vos regrets en égalent la grandeur. Puissé-je ne jamais atteindre au succès que je poursuis, si le contre-coup de votre douleur ne me fait pas éprouver un chagrin qui pénètre jusqu'au fond de mon cœur!

DOLABELLA.
  Hear me, good madam.
  Your loss is, as yourself, great; and you bear it
  As answering to the weight. Would I might never
  O’ertake pursued success, but I do feel,
  By the rebound of yours, a grief that smites
  My very heart at root.

CLÉOPÂTRE.
  — Je vous remercie, seigneur.... Savez-vous ce que César veut faire de moi?

CLEOPATRA.
  I thank you, sir.
  Know you what Caesar means to do with me?

DOLABELLA.
  — J'hésite à vous dire ce que je voudrais que vous sussiez.

DOLABELLA.
  I am loath to tell you what I would you knew.

CLÉOPÂTRE.
  — Parlez, seigneur, je vous prie.

CLEOPATRA.
  Nay, pray you, sir.

DOLABELLA.
  — Quoique César soit généreux....

DOLABELLA.
  Though he be honourable—

CLÉOPÂTRE.
  — Il veut me traîner en triomphe?

CLEOPATRA.
  He’ll lead me, then, in triumph.

DOLABELLA.
  — Il le veut, madame, je le sais.

DOLABELLA.
  Madam, he will. I know it.

(On entend crier dans l'intérieur du théâtre.)

    Flourish. Enter Caesar, Proculeius, Gallus, Maecenas and others of his train.

Faites place. — César!

(Entrent César, Gallus, Mécène, Proculéius, Séleucus et suite.)

ALL.
  Make way there! Caesar!

CÉSAR.
  — Où est la reine d'Égypte?

CAESAR.
  Which is the Queen of Egypt?

DOLABELLA.
  — C'est l'empereur, madame.

DOLABELLA.
  It is the Emperor, madam.

(Cléopâtre se prosterne à genoux.)

    [Cleopatra kneels.]

CÉSAR.
  — Levez-vous, vous ne devez point fléchir les genoux; je vous en prie, levez-vous, reine d'Égypte.

CAESAR.
  Arise, you shall not kneel.
  I pray you, rise. Rise, Egypt.

CLÉOPÂTRE.
  — Seigneur, les dieux le veulent ainsi; il faut que j'obéisse à mon maître, à mon souverain.

CLEOPATRA.
  Sir, the gods
  Will have it thus. My master and my lord
  I must obey.

CÉSAR.
  — N'ayez point de si sombres idées: le souvenir de tous les outrages que nous avons reçus de vous, quoique marqués de notre sang, est effacé, ou nous n'y voyons que des événements dont le hasard seul est coupable.

CAESAR.
  Take to you no hard thoughts.
  The record of what injuries you did us,
  Though written in our flesh, we shall remember
  As things but done by chance.

CLÉOPÂTRE.
  — Seul arbitre du monde, je ne puis défendre assez bien ma cause pour me justifier; mais j'avoue que j'ai été gouvernée par ces faiblesses qui ont souvent avant moi déshonoré mon sexe.

CLEOPATRA.
  Sole sir o’ th’ world,
  I cannot project mine own cause so well
  To make it clear, but do confess I have
  Been laden with like frailties which before
  Have often shamed our sex.

CÉSAR.
  — Sachez, Cléopâtre, que nous sommes plus disposés à les excuser qu'à les aggraver. Si vous répondez à nos vues, qui sont pour vous pleines de bonté, vous trouverez de l'avantage dans ce changement; mais si vous cherchez à imprimer sur mon nom le reproche de cruauté en suivant les traces d'Antoine, vous vous priverez de mes bienfaits, vous précipiterez vous-même vos enfants dans une ruine, dont je suis prêt à les sauver, si vous voulez vous reposer, sur moi. Je prends congé de vous.

CAESAR.
  Cleopatra, know
  We will extenuate rather than enforce.
  If you apply yourself to our intents,
  Which towards you are most gentle, you shall find
  A benefit in this change; but if you seek
  To lay on me a cruelty by taking
  Antony’s course, you shall bereave yourself
  Of my good purposes, and put your children
  To that destruction which I’ll guard them from
  If thereon you rely. I’ll take my leave.

CLÉOPÂTRE.
  — L'univers est ouvert devant vos pas: il est à vous; et nous, qui sommes vos écussons et vos trophées, nous serons attachés au lieu où il vous plaira... Seigneur, voici...

CLEOPATRA.
  And may, through all the world. ’Tis yours, and we,
  Your scutcheons and your signs of conquest, shall
  Hang in what place you please. Here, my good lord.

CÉSAR.
  — C'est de Cléopâtre même que je veux prendre conseil sur tout ce qui l'intéresse.

CAESAR.
  You shall advise me in all for Cleopatra.

CLÉOPÂTRE.
  — Voilà l'état de mes richesses, de l'argenterie et des bijoux que je possède. Il est exact; et jusqu'aux moindres effets, rien n'y est omis. Où est Séleucus?

CLEOPATRA.
  This is the brief of money, plate, and jewels
  I am possessed of. ’Tis exactly valued,
  Not petty things admitted. Where’s Seleucus?

    Enter Seleucus.

SÉLEUCUS.
  — Me voici, madame.

SELEUCUS.
  Here, madam.

CLÉOPÂTRE.
  — Voilà mon trésorier, seigneur; qu'il dise, au péril de sa tête, si j'ai rien réservé pour moi; dis la vérité, Séleucus.

CLEOPATRA.
  This is my treasurer. Let him speak, my lord,
  Upon his peril, that I have reserved
  To myself nothing. Speak the truth, Seleucus.

SÉLEUCUS.
  — Madame, j'aimerais mieux me coudre les lèvres que d'affirmer, au péril de ma tête, ce qui n'est pas.

SELEUCUS.
  Madam, I had rather seal my lips
  Than to my peril speak that which is not.

CLÉOPÂTRE.
  — Qu'ai-je donc gardé?

CLEOPATRA.
  What have I kept back?

SÉLEUCUS.
  — Assez pour racheter tout ce que vous déclarez.

SELEUCUS.
  Enough to purchase what you have made known.

CÉSAR.
  — Ne rougissez pas, Cléopâtre, j'approuve votre prudence.

CAESAR.
  Nay, blush not, Cleopatra. I approve
  Your wisdom in the deed.

CLÉOPÂTRE.
  — Ô vois, César, considère comme la fortune est suivie! Mes serviteurs vont devenir les tiens; et si nous changions de sort, les tiens deviendraient les miens. — L'ingratitude de Séleucus me rend furieuse. — Ô lâche esclave, plus perfide que l'amour mercenaire! — Quoi! tu t'en vas?... Oh! tu t'en iras, je te le garantis! mais eusses-tu des ailes pour fuir ma vengeance, elle saura t'atteindre, vil esclave, scélérat sans âme, chien, ô le plus lâche des hommes!

CLEOPATRA.
  See, Caesar! O, behold,
  How pomp is followed! Mine will now be yours
  And should we shift estates, yours would be mine.
  The ingratitude of this Seleucus does
  Even make me wild. O slave, of no more trust
  Than love that’s hired! What, goest thou back? Thou shalt
  Go back, I warrant thee! But I’ll catch thine eyes
  Though they had wings. Slave, soulless villain, dog!
  O rarely base!

CÉSAR.
  — Aimable reine, souffrez que je vous prie....

CAESAR.
  Good queen, let us entreat you.

CLÉOPÂTRE.
  — Ô César, quel sanglant affront pour moi!... Lorsque vous, dans l'éclat de votre grandeur, vous daignez honorer de votre visite une infortunée, mon propre serviteur viendra augmenter le poids de mes disgrâces par sa lâche perfidie! Eh quoi! généreux César, quand je me serais réservé quelques frivoles parures de femme, quelques bagatelles sans valeur, de ces légers cadeaux qu'on offre à ses amis intimes; et encore quand j'aurais mis à part quelque objet d'une plus grande valeur pour Livie, pour Octavie, afin d'obtenir leur intercession, devrais-je être dévoilée par un homme que j'ai nourri? O dieux, cette noirceur me précipite encore plus bas que l'abîme où j'étais tombée! (A Séleucus) De grâce, va-t'en, ou je ferai voir que ma vivacité passée vit encore sous les cendres de mon infortune. Si tu étais un homme tu aurais pitié de moi!

CLEOPATRA.
  O Caesar, what a wounding shame is this,
  That thou vouchsafing here to visit me,
  Doing the honour of thy lordliness
  To one so meek, that mine own servant should
  Parcel the sum of my disgraces by
  Addition of his envy! Say, good Caesar,
  That I some lady trifles have reserved,
  Immoment toys, things of such dignity
  As we greet modern friends withal; and say
  Some nobler token I have kept apart
  For Livia and Octavia, to induce
  Their mediation, must I be unfolded
  With one that I have bred? The gods! It smites me
  Beneath the fall I have.
  [To Seleucus.] Prithee go hence,
  Or I shall show the cinders of my spirits
  Through th’ ashes of my chance. Wert thou a man,
  Thou wouldst have mercy on me.

CÉSAR.
  — Ne réplique pas, Séleucus.

CAESAR.
  Forbear, Seleucus.

    [Exit Seleucus.]

CLÉOPÂTRE.
  — Que l'on sache que nous autres, grands de la terre, sommes accusés des fautes des autres; et que, lorsque nous tombons, nous répondons des crimes d'autrui. Nous sommes bien à plaindre!

CLEOPATRA.
  Be it known that we, the greatest, are misthought
  For things that others do; and when we fall,
  We answer others’ merits in our name,
  Are therefore to be pitied.

CÉSAR.
  — Cléopâtre, rien de ce que vous avez mis en réserve, ni de ce que vous avez déclaré, n'entrera dans le registre de mes conquêtes. Que tout cela reste à vous, disposez-en à votre gré, et croyez que César n'est point un marchand, pour débattre avec vous le prix d'objets vendus par des marchands. Ainsi rassurez-vous; cessez de vous voir captive de vos pensées. Non, chère reine, notre intention est de régler votre sort sur les avis que vous nous donnerez vous-même. Mangez et dormez, l'intérêt et la pitié que vous m'inspirez vous donnent un ami dans César; ainsi, adieu.

CAESAR.
  Cleopatra,
  Not what you have reserved nor what acknowledged
  Put we i’ th’ roll of conquest. Still be’t yours;
  Bestow it at your pleasure, and believe
  Caesar’s no merchant to make prize with you
  Of things that merchants sold. Therefore be cheered;
  Make not your thoughts your prisons. No, dear queen;
  For we intend so to dispose you as
  Yourself shall give us counsel. Feed and sleep.
  Our care and pity is so much upon you
  That we remain your friend; and so, adieu.

CLÉOPÂTRE.
  — Ô mon maître et mon souverain!

CLEOPATRA.
  My master and my lord!

CÉSAR.
  — Non, non, madame. — Adieu.

CAESAR.
  Not so. Adieu.

(César sort avec sa suite.)

    [Flourish. Exeunt Caesar and his train.]

CLÉOPÂTRE.
  — Il me flatte, mes filles, il me flatte de belles paroles pour me faire oublier ce que je dois à ma gloire. Mais écoute, Charmiane....

CLEOPATRA.
  He words me, girls, he words me, that I should not
  Be noble to myself. But hark thee, Charmian!

(Elle parle bas à Charmiane.)

    [Whispers to Charmian.]

IRAS.
  — Finissez, madame, le jour brillant est passé, et nous entrons dans les ténèbres.

IRAS.
  Finish, good lady. The bright day is done,
  And we are for the dark.

CLÉOPÂTRE.
  — Va au plus vite. — J'ai déjà donné les ordres, tout est arrangé. Va, et dépêche-toi.

CLEOPATRA.
  Hie thee again.
  I have spoke already, and it is provided.
  Go put it to the haste.

CHARMIANE.
  — J'y vais, madame.

CHARMIAN.
  Madam, I will.

(Dolabella revient.)

    Enter Dolabella.

DOLABELLA.
  — Où est la reine?

DOLABELLA.
  Where’s the Queen?

CHARMIANE.
  — La voici, seigneur.

CHARMIAN.
  Behold, sir.

(Charmiane sort.)

    [Exit.]

CLÉOPÂTRE.
  — Dolabella?

CLEOPATRA.
  Dolabella!

DOLABELLA.
  — Madame, comme je vous l'ai juré sur vos ordres, auxquels mon attachement me fait un devoir religieux d'obéir, je viens vous annoncer que César a résolu de partir, en passant par la Syrie, et que dans trois jours il vous envoie devant lui, vous et vos enfants. Profitez de votre mieux de cet avis. J'ai rempli vos désirs et ma promesse.

DOLABELLA.
  Madam, as thereto sworn by your command,
  Which my love makes religion to obey,
  I tell you this: Caesar through Syria
  Intends his journey, and within three days
  You with your children will he send before.
  Make your best use of this. I have performed
  Your pleasure and my promise.

CLÉOPÂTRE.
  — Dolabella, je ne pourrai jamais m'acquitter envers vous.

CLEOPATRA.
  Dolabella,
  I shall remain your debtor.

DOLABELLA.
  — Je vous suis dévoué. Adieu, grande reine; il faut que je me rende auprès de César.

DOLABELLA.
  I your servant.
  Adieu, good queen. I must attend on Caesar.

CLÉOPÂTRE.
  — Adieu, et merci. (Dolabella sort.) Iras, qu'en penses-tu? Tu seras donc promenée dans les rues de Rome comme une marionnette d'Égypte, ainsi que moi? Les esclaves artisans, avec leurs tabliers crasseux, leurs équerres et leurs marteaux, nous soulèveront dans leurs bras pour nous montrer: nous serons au milieu du nuage de leurs haleines épaisses, empestées par des mets grossiers, et nous serons obligées d'en respirer la vapeur fétide.

CLEOPATRA.
  Farewell, and thanks.
 
      [Exit Dolabella.]
 
  Now, Iras, what think’st thou?
  Thou an Egyptian puppet shall be shown
  In Rome as well as I. Mechanic slaves
  With greasy aprons, rules, and hammers shall
  Uplift us to the view. In their thick breaths,
  Rank of gross diet, shall we be enclouded,
  And forced to drink their vapour.

IRAS.
  — Que les dieux nous en préservent!

IRAS.
  The gods forbid!

CLÉOPÂTRE.
  — Oui, voilà le sort qui nous attend, Iras. D'insolents licteurs nous montreront au doigt comme des courtisanes publiques; de misérables rimeurs nous chansonneront sur des airs discordants; les histrions, en improvisant, nous traduiront sur le théâtre, et étaleront aux yeux du peuple nos fêtes nocturnes d'Alexandrie: Antoine, ivre, sera amené sur la scène, et moi je verrai quelque écolier à la voix glapissante, représenter Cléopâtre, et avilir ma grandeur sous le rôle d'une prostituée.

CLEOPATRA.
  Nay, ’tis most certain, Iras. Saucy lictors
  Will catch at us like strumpets, and scald rhymers
  Ballad us out o’ tune. The quick comedians
  Extemporally will stage us and present
  Our Alexandrian revels; Antony
  Shall be brought drunken forth, and I shall see
  Some squeaking Cleopatra boy my greatness
  I’ th’ posture of a whore.

IRAS.
  — Ô grands dieux!...

IRAS.
  O the good gods!

CLÉOPÂTRE.
  — Oui, cela est certain.

CLEOPATRA.
  Nay, that’s certain.

IRAS.
  — Jamais je ne verrai ces horreurs, car je suis bien sûre que mes ongles sont plus forts que mes yeux.

IRAS.
  I’ll never see’t, for I am sure mine nails
  Are stronger than mine eyes.

CLÉOPÂTRE.
  — C'est là, c'est là le moyen de déjouer tous ces préparatifs, et de déjouer leurs absurdes projets. (Charmiane revient.) C'est toi, Charmiane! — Allons, mes femmes, parez-moi en reine: allez, rapportez mes plus brillants atours; je vais encore sur les bords du Cydnus, au-devant de Marc-Antoine. Allons, Iras, obéis. — Oui, courageuse Charmiane, nous en finirons; et quand tu auras rempli cette dernière tâche, je te donnerai la permission de te reposer jusqu'au jour du jugement. Apporte ma couronne; n'oublie rien. Mais, pourquoi ce bruit?

CLEOPATRA.
  Why, that’s the way
  To fool their preparation and to conquer
  Their most absurd intents.
 
        Enter Charmian.
 
  Now, Charmian!
  Show me, my women, like a queen. Go fetch
  My best attires. I am again for Cydnus
  To meet Mark Antony. Sirrah, Iras, go.
  Now, noble Charmian, we’ll dispatch indeed,
  And when thou hast done this chare, I’ll give thee leave
  To play till doomsday. Bring our crown and all.
 
    [Exit Iras. A noise within.]
 
  Wherefore’s this noise?

(Iras sort. — On entend un bruit dans l'intérieur.)

    Enter a Guardsman.

UN GARDE.
  — Il y a un paysan qui veut absolument être introduit devant Votre Majesté; il vous apporte des figues.

GUARDSMAN.
  Here is a rural fellow
  That will not be denied your highness’ presence.
  He brings you figs.

CLÉOPÂTRE.
  — Qu'on le fasse entrer. (Le garde sort.) Quel faible instrument suffit pour exécuter une grande action! Il m'apporte la liberté. Ma résolution est prise, et je ne sens plus rien en moi d'une femme. Des pieds à la tête je suis changée en marbre inflexible; maintenant la lune inconstante n'est plus ma planète.

CLEOPATRA.
  Let him come in.
 
    [Exit Guardsman.]
 
  What poor an instrument
  May do a noble deed! He brings me liberty.
  My resolution’s placed, and I have nothing
  Of woman in me. Now from head to foot
  I am marble-constant. Now the fleeting moon
  No planet is of mine.

(Le garde revient avec un paysan portant une corbeille.)

    Enter Guardsman and Clown with a basket.

LE GARDE.
  — Voilà cet homme.

GUARDSMAN.
  This is the man.

CLÉOPÂTRE.
  — Éloigne-toi, et laisse-nous seuls. (Le garde sort.)   (Au paysan.) As-tu là ce joli reptile du Nil qui tue sans douleur?

CLEOPATRA.
  Avoid, and leave him.
 
      [Exit Guardsman.]
 
  Hast thou the pretty worm of Nilus there
  That kills and pains not?

LE PAYSAN.
  — Oui, vraiment, je l'ai: mais je ne voudrais pas être la cause que vous eussiez envie de le toucher; car sa morsure est immortelle: ceux qui en meurent n'en reviennent jamais, ou bien rarement.

CLOWN.
  Truly, I have him, but I would not be the party that should desire you to touch him, for his biting is immortal. Those that do die of it do seldom or never recover.

CLÉOPÂTRE.
  — Te rappelles-tu quelques personnes qui en soient mortes?

CLEOPATRA.
  Remember’st thou any that have died on’t?

LE PAYSAN.
  — Plusieurs; des hommes, et des femmes aussi; pas plus tard qu'hier, j'ouïs parler d'une femme, une fort honnête femme, mais un peu sujette à mentir; ce qui ne convient pas à une femme, à moins que ce ne soit en tout honneur. On disait comment elle était morte de cette morsure, quelle douleur elle avait ressentie. Vraiment, elle rend un fort bon témoignage à cette bête; mais qui croira la moitié de ce qu'on dit ne sera pas sauvé par la moitié de ce qu'on fait. Mais le plus dangereux, c'est que ce reptile est un étrange reptile.

CLOWN.
  Very many, men and women too. I heard of one of them no longer than yesterday—a very honest woman, but something given to lie; as a woman should not do but in the way of honesty—how she died of the biting of it, what pain she felt. Truly she makes a very good report o’ th’ worm; but he that will believe all that they say shall never be saved by half that they do. But this is most falliable, the worm’s an odd worm.

CLÉOPÂTRE.
  — Va-t'en, adieu.

CLEOPATRA.
  Get thee hence. Farewell.

LE PAYSAN.
  — Je vous souhaite beaucoup de plaisir avec cette bête.

CLOWN.
  I wish you all joy of the worm.

    [Sets down the basket.]

CLÉOPÂTRE.
  — Adieu.

CLEOPATRA.
  Farewell.

LE PAYSAN.
  — N'oubliez pas, voyez-vous, que le ver fera son devoir de ver.

CLOWN.
  You must think this, look you, that the worm will do his kind.

CLÉOPÂTRE.
  — Oui, oui, adieu.

CLEOPATRA.
  Ay, ay, farewell.

LE PAYSAN.
  — Songez bien, madame, qu'il ne faut donner le ver à garder qu'à des personnes prudentes, car il n'y a, ma foi, rien de bon à attendre du ver.

CLOWN.
  Look you, the worm is not to be trusted but in the keeping of wise people; for indeed there is no goodness in the worm.

CLÉOPÂTRE.
  — Ne t'inquiète pas; on y prendra garde.

CLEOPATRA.
  Take thou no care; it shall be heeded.

LE PAYSAN.
  — Très-bien, ne lui donnez rien, je vous en prie; car il ne vaut pas la nourriture.

CLOWN.
  Very good. Give it nothing, I pray you, for it is not worth the feeding.

CLÉOPÂTRE.
  — Et moi, me mangerait-il?

CLEOPATRA.
  Will it eat me?

LE PAYSAN.
  — Vous ne devez pas croire que je sois assez simple pour ne pas savoir que le diable lui-même ne voudrait pas manger une femme: je sais bien aussi que la femme est un mets digne des dieux, quand le diable ne l'assaisonne pas. Mais, en vérité, ces paillards de diables font un grand tort aux dieux dans les femmes; car sur dix femmes que font les dieux, les diables en corrompent cinq.

CLOWN.
  You must not think I am so simple but I know the devil himself will not   eat a woman. I know that a woman is a dish for the gods if the devil   dress her not. But truly, these same whoreson devils do the gods great   harm in their women, for in every ten that they make, the devils mar   five.

CLÉOPÂTRE.
  — Allons, laisse-moi; adieu.

CLEOPATRA.
  Well, get thee gone. Farewell.

LE PAYSAN.
  — Oui, en vérité, je vous souhaite beaucoup de plaisir avec ce ver.

CLOWN.
  Yes, forsooth. I wish you joy o’ th’ worm.

(Le paysan sort.)

    [Exit.]

(Iras rentre avec une robe, une couronne, etc., etc.)

    Enter Iras with a robe, crown, &c.

CLÉOPÂTRE.
  — Donne-moi ma robe, mets-moi ma couronne. Je sens en moi des désirs impatients d'immortalité: c'en est fait; le jus de la grappe d'Égypte n'humectera plus ces lèvres. Vite, vite, bonne Iras, vite; il me semble que j'entends Antoine qui m'appelle: je le vois se lever pour louer mon acte de courage, je l'entends se moquer de la fortune de César, Les dieux commencent par donner le bonheur aux hommes, pour excuser le courroux à venir. — Mon époux, je viens! — Que mon courage prouve mes droits à ce titre. Je suis d'air et de feu, et je rends à la terre grossière mes autres éléments. — Bon, avez-vous fini? — Venez donc, et recueillez la dernière chaleur de mes lèvres. Adieu, tendre Charmiane. Iras, adieu pour jamais. (Elle les embrasse. Iras tombe et meurt.) Mes lèvres ont-elles donc le venin de l'aspic? Quoi, tu tombes? As-tu pu quitter la vie aussi doucement, le trait de la mort n'est donc pas plus redoutable que le pinçon d'un amant, qui blesse et qu'on désire encore. Es-tu tranquille! En disparaissant aussi rapidement du monde, tu lui dis qu'il ne vaut pas la peine de lui faire nos adieux.

CLEOPATRA.
  Give me my robe. Put on my crown. I have
  Immortal longings in me. Now no more
  The juice of Egypt’s grape shall moist this lip.
  Yare, yare, good Iras; quick. Methinks I hear
  Antony call. I see him rouse himself
  To praise my noble act. I hear him mock
  The luck of Caesar, which the gods give men
  To excuse their after wrath. Husband, I come!
  Now to that name my courage prove my title!
  I am fire and air; my other elements
  I give to baser life.—So, have you done?
  Come then, and take the last warmth of my lips.
  Farewell, kind Charmian. Iras, long farewell.
 
        [Kisses them. Iras falls and dies.]
 
  Have I the aspic in my lips? Dost fall?
  If thou and nature can so gently part,
  The stroke of death is as a lover’s pinch,
  Which hurts and is desired. Dost thou lie still?
  If thus thou vanishest, thou tell’st the world
  It is not worth leave-taking.

CHARMIANE.
  — Dissous-toi, épais nuage, et change-toi en pluie; que je puisse dire que les dieux eux-mêmes pleurent.

CHARMIAN.
  Dissolve, thick cloud, and rain, that I may say
  The gods themselves do weep!

CLÉOPÂTRE.
  — Cet exemple m'accuse de lâcheté.—Si elle rencontre avant moi mon Antoine à la belle chevelure, il l'interrogera sur mon sort, et lui donnera ce baiser qui est le ciel pour moi. (A l'aspic qu'elle applique sur son sein.) Viens, mortel aspic, que ta dent aiguë tranche d'un seul coup ce noeud compliqué de la vie. Allons, pauvre animal venimeux, courrouce-toi et achève. Oh! que ne peux-tu parler pour que je puisse t'entendre appeler le grand César un âne impolitique!

CLEOPATRA.
  This proves me base.
  If she first meet the curled Antony,
  He’ll make demand of her, and spend that kiss
  Which is my heaven to have.—Come, thou mortal wretch,
 
    [To an asp, which she applies to her breast.]
 
W  ith thy sharp teeth this knot intrinsicate
  Of life at once untie. Poor venomous fool,
  Be angry and dispatch. O couldst thou speak,
  That I might hear thee call great Caesar ass
  Unpolicied!

CHARMIANE.
  — Ô astre de l'Orient!

CHARMIAN.
  O eastern star!

CLÉOPÂTRE.
  — Cesse, cesse tes plaintes. Ne vois-tu pas mon enfant sur mon sein, qui endort sa nourrice en tétant?

CLEOPATRA.
  Peace, peace!
  Dost thou not see my baby at my breast
  That sucks the nurse asleep?

CHARMIANE.
  — Oh! brise-toi, brise-toi, mon cœur!

CHARMIAN.
  O, break! O, break!

CLÉOPÂTRE.
  — Ô toi! suave comme un baume, doux comme l'air, tendre... Ô Antoine! — (Elle applique un autre aspic sur son bras.) Allons, viens, toi aussi. — Pourquoi rester plus longtemps?...

CLEOPATRA.
  As sweet as balm, as soft as air, as gentle—
  O Antony!—Nay, I will take thee too.
 
    [Applying another asp to her arm.]
 
  What should I stay—

(Elle meurt.)

    [Dies.]

CHARMIANE.
  — Dans ce monde odieux?... — Allons! adieu donc. — Maintenant, vante-toi, mort! tu as en ta possession une beauté sans égale. Beaux yeux, astres de lumière (en lui fermant les yeux), fermez-vous, et que jamais deux yeux si pleins de majesté n'envisagent le char doré de Phébus!... — Votre couronne est dérangée; je veux la redresser, et après jouer aussi mon rôle.

CHARMIAN.
  In this vile world? So, fare thee well.
  Now boast thee, Death, in thy possession lies
  A lass unparalleled. Downy windows, close,
  And golden Phœbus never be beheld
  Of eyes again so royal! Your crown’s awry;
  I’ll mend it and then play.

(Surviennent des gardes qui entrent brusquement.)

    Enter the Guard rustling in.

PREMIER GARDE.
  — Où est la reine?

FIRST GUARD.
  Where’s the queen?

CHARMIANE.
  — Parlez bas, ne l'éveillez point.

CHARMIAN.
  Speak softly. Wake her not.

PREMIER GARDE.
  — César a envoyé...

FIRST GUARD.
  Caesar hath sent—

CHARMIANE.
  — Un messager trop lent... (Elle s'applique un aspic.) Oh! viens, allons vite, hâte-toi; je commence à te sentir.

CHARMIAN.
  Too slow a messenger.
 
      [Applies an asp.]
 
  O, come apace, dispatch! I partly feel thee.

PREMIER GARDE.
  — Approchons. Oh! tout n'est pas en ordre; César est trompé.

FIRST GUARD.
  Approach, ho! All’s not well. Caesar’s beguiled.

SECOND GARDE.
  — Voilà Dolabella que César avait envoyé; appelez-le.

SECOND GUARD.
  There’s Dolabella sent from Caesar. Call him.

PREMIER GARDE.
  — Qu'est-ce que tout ceci? Est-ce bien fait, Charmiane?

FIRST GUARD.
  What work is here, Charmian? Is this well done?

CHARMIANE.
  — C'est bien fait, et c'est digne d'une princesse issue de tant de rois illustres... Ah! soldat!...

CHARMIAN.
  It is well done, and fitting for a princess
  Descended of so many royal kings.
  Ah, soldier!

(Elle expire.)

    [Charmian dies.]

    Enter Dolabella.

DOLABELLA entre.
  — Comment cela va-t-il ici?

DOLABELLA.
  How goes it here?

SECOND GARDE.
  — Tout est mort.

SECOND GUARD.
  All dead.

DOLABELLA.
  — César, tes conjectures ont rencontré juste: tu viens voir de tes yeux l'acte funeste que tu as tant cherché à prévenir.

DOLABELLA.
  Caesar, thy thoughts
  Touch their effects in this. Thyself art coming
  To see performed the dreaded act which thou
  So sought’st to hinder.

(On entend crier derrière le théâtre.)

 

Place; faites place à César.

    Enter Caesar and all his train, marching.

(Entrent César et sa suite.)

ALL.
  A way there, a way for Caesar!

DOLABELLA.
  — Ah! seigneur, vous êtes un devin trop habile: ce que vous craigniez est arrivé.

DOLABELLA.
  O sir, you are too sure an augurer:
  That you did fear is done.

CÉSAR.
  — Brave jusqu'à la fin, elle a pénétré notre dessein, et en souveraine elle a suivi sa volonté.—Le genre de leur mort? Je ne vois sur elle aucune trace de sang.

CAESAR.
  Bravest at the last,
  She levelled at our purposes and, being royal,
  Took her own way. The manner of their deaths?
  I do not see them bleed.

DOLABELLA.
  — Qui les a quittées le dernier?

DOLABELLA.
  Who was last with them?

PREMIER GARDE.
  — Un pauvre paysan qui leur a apporté des figues. Voilà encore sa corbeille.

FIRST GUARD.
  A simple countryman that brought her figs.
  This was his basket.

CÉSAR.
  — Empoisonnées alors?

CAESAR.
  Poisoned then.

PREMIER GARDE.
  — César, Charmiane, que vous voyez là, vivait encore il n'y a qu'un moment. Elle était debout et parlait. Je l'ai trouvée arrangeant le diadème sur le front de sa maîtresse morte; elle tremblait en se tenant debout, et tout à coup elle est tombée.

FIRST GUARD.
  O Caesar,
  This Charmian lived but now; she stood and spake.
  I found her trimming up the diadem
  On her dead mistress; tremblingly she stood,
  And on the sudden dropped.

CÉSAR.
  — Ô noble faiblesse!... Si elles avaient avalé du poison, on le reconnaîtrait à quelque enflure extérieure. Mais elle semble s'être endormie comme si elle voulait attirer encore un autre Antoine dans les filets de ses grâces.

CAESAR.
  O noble weakness!
  If they had swallowed poison ’twould appear
  By external swelling; but she looks like sleep,
  As she would catch another Antony
  In her strong toil of grace.

DOLABELLA.
  — Là, sur son sein, paraît une trace de sang et un peu d'enflure; la même marque paraît sur son bras.

DOLABELLA.
  Here on her breast
  There is a vent of blood, and something blown.
  The like is on her arm.

PREMIER GARDE.
  — C'est la trace d'un aspic; et ces feuilles de figuier ont sur elles une viscosité comme celle que les aspics laissent après eux dans les cavernes du Nil.

FIRST GUARD.
  This is an aspic’s trail, and these fig leaves
  Have slime upon them, such as th’ aspic leaves
  Upon the caves of Nile.

CÉSAR.
  — Il est probable que c'est ainsi qu'elle est morte, car son médecin m'a dit qu'elle avait fait des expériences sans fin sur les genres de mort les plus-faciles. (Aux gardes.) Enlevez-la dans son lit, et emportez ses femmes de ce tombeau. Elle sera ensevelie auprès de son Antoine, et nulle tombe sur la terre n'aura renfermé un couple aussi fameux. D'aussi grandes catastrophes frappent ceux qui en sont les auteurs; et la pitié qu'inspire leur histoire rendra leur nom aussi célèbre que celui du vainqueur qui les a réduits à cette extrémité. — Notre armée, dans une pompe solennelle, suivra leur convoi funèbre, et après cela, à Rome! Dolabella, ayez soin que le plus grand ordre préside à cette solennité.

CAESAR.
  Most probable
  That so she died, for her physician tells me
  She hath pursued conclusions infinite
  Of easy ways to die. Take up her bed,
  And bear her women from the monument.
  She shall be buried by her Antony.
  No grave upon the earth shall clip in it
  A pair so famous. High events as these
  Strike those that make them; and their story is
  No less in pity than his glory which
  Brought them to be lamented. Our army shall
  In solemn show attend this funeral,
  And then to Rome. Come, Dolabella, see
  High order in this great solemnity.

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.

    [Exeunt omnes.]