SCÈNE II
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SCENE II.
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Alexandrie
Un autre appartement du palais.
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Alexandria.
Another Room in Cleopatra’s palace.
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Entrent CHARMIANE, ALEXAS, IRAS ET UN DEVIN.
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Enter Enobarbus, a Soothsayer, Charmian, Iras, Mardian and Alexas.
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CHARMIANE.
— Seigneur Alexas, cher Alexas, incomparable, presque tout-puissant
Alexas, où est le devin que vous avez tant vanté à la reine? Oh! que je
voudrais connaître cet époux, qui, dites-vous, doit couronner ses cornes
de guirlandes!
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CHARMIAN.
Lord Alexas, sweet Alexas, most anything Alexas, almost most absolute
Alexas, where’s the soothsayer that you praised so to th’ queen?
O, that I knew this husband which you say must charge his horns with garlands!
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ALEXAS.
— Devin!
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ALEXAS.
Soothsayer!
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LE DEVIN.
— Que désirez-vous?
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SOOTHSAYER.
Your will?
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CHARMIANE.
— Est-ce cet homme?... Est-ce vous, monsieur, qui connaissez les choses?
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CHARMIAN.
Is this the man? Is’t you, sir, that know things?
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LE DEVIN.
— Je sais lire un peu dans le livre immense des secrets de la nature.
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SOOTHSAYER.
In nature’s infinite book of secrecy
A little I can read.
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ALEXAS.
— Montrez-lui votre main.
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ALEXAS.
Show him your hand.
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ÉNOBARBUS.
— Qu'on serve promptement le repas: et du vin en abondance,
pour boire à la santé de Cléopâtre.
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ENOBARBUS.
Bring in the banquet quickly; wine enough
Cleopatra’s health to drink.
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CHARMIANE.
— Mon bon monsieur, donnez-moi une bonne fortune.
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CHARMIAN.
Good, sir, give me good fortune.
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LE DEVIN.
— Je ne la fais pas, mais je la devine.
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SOOTHSAYER.
I make not, but foresee.
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CHARMIANE.
— Eh bien! je vous prie, devinez-m'en une bonne.
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CHARMIAN.
Pray, then, foresee me one.
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LE DEVIN.
— Vous serez encore plus belle que vous n'êtes.
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SOOTHSAYER.
You shall be yet far fairer than you are.
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CHARMIANE.
— Il veut dire en embonpoint.
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CHARMIAN.
He means in flesh.
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IRAS.
— Non; il veut dire que vous vous farderez quand vous serez vieille.
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IRAS.
No, you shall paint when you are old.
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CHARMIANE.
— Que les rides m'en préservent!
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CHARMIAN.
Wrinkles forbid!
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ALEXAS.
— Ne troublez point sa prescience, et soyez attentive.
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ALEXAS.
Vex not his prescience. Be attentive.
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CHARMIANE.
— Chut!
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CHARMIAN.
Hush!
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LE DEVIN.
— Vous aimerez plus que vous ne serez aimée.
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SOOTHSAYER.
You shall be more beloving than beloved.
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CHARMIANE.
— J'aimerais mieux m'échauffer le foie avec le vin.
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CHARMIAN.
I had rather heat my liver with drinking.
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ALEXAS.
— Allons, écoutez.
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ALEXAS.
Nay, hear him.
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CHARMIANE.
— Voyons, maintenant, quelque bonne aventure; que j'épouse trois rois
dans une matinée, que je devienne veuve de tous trois, que j'aie à cinquante ans
un fils auquel Hérode de Judée rende hommage. Trouve-moi un moyen
de me marier avec Octave César, et de marcher l'égale de ma maîtresse.
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CHARMIAN.
Good now, some excellent fortune! Let me be married to three kings
in a forenoon and widow them all. Let me have a child at fifty, to whom
Herod of Jewry may do homage. Find me to marry me with Octavius Caesar,
and companion me with my mistress.
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LE DEVIN.
— Vous survivrez à la reine que vous servez.
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SOOTHSAYER.
You shall outlive the lady whom you serve.
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CHARMIANE.
— Oh! merveilleux! J'aime bien mieux une longue vie que
des figues.
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CHARMIAN.
O, excellent! I love long life better than figs.
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LE DEVIN.
— Vous avez éprouvé dans le passé une meilleure fortune que
celle qui vous attend.
|
SOOTHSAYER.
You have seen and proved a fairer former fortune
Than that which is to approach.
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CHARMIANE.
— A ce compte, il y a toute apparence que mes enfants n'auront
pas de nom.
Je vous prie, combien dois-je avoir de garçons et de filles?
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CHARMIAN.
Then belike my children shall have no names.
Prithee, how many boys and wenches must I have?
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LE DEVIN.
— Si chacun de vos désirs avait un sein fécond,
vous auriez un million d'enfants.
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SOOTHSAYER.
If every of your wishes had a womb,
And fertile every wish, a million.
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CHARMIANE.
— Tais-toi, insensé! Je te pardonne, parce que tu es un sorcier.
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CHARMIAN.
Out, fool! I forgive thee for a witch.
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ALEXAS.
— Vous croyez que votre couche est la seule confidente de vos désirs.
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ALEXAS.
You think none but your sheets are privy to your wishes.
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CHARMIANE.
— Allons, viens. Dis aussi à Iras sa bonne aventure.
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CHARMIAN.
Nay, come, tell Iras hers.
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ALEXAS.
— Nous voulons tous savoir notre destinée.
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ALEXAS.
We’ll know all our fortunes.
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ÉNOBARBUS.
— Ma destinée, comme celle de la plupart de vous, sera d'aller
nous coucher ivres ce soir.
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ENOBARBUS.
Mine, and most of our fortunes tonight, shall be drunk to bed.
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LE DEVIN.
— Voilà une main qui présage la chasteté, si rien ne s'y oppose d'ailleurs.
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IRAS.
There’s a palm presages chastity, if nothing else.
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CHARMIANE.
— Oui, comme le Nil débordé présage la famine...
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CHARMIAN.
E’en as the o’erflowing Nilus presageth famine.
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IRAS.
— Allez, folâtre compagne de lit, vous ne savez pas prédire.
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IRAS.
Go, you wild bedfellow, you cannot soothsay.
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CHARMIANE.
— Oui, si une main humide n'est pas un pronostic de fécondité,
il n'est pas vrai que je puisse me gratter l'oreille.—Je t'en prie,
dis-lui seulement une destinée tout ordinaire.
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CHARMIAN.
Nay, if an oily palm be not a fruitful prognostication,
I cannot scratch mine ear. Prithee, tell her but workaday fortune.
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LE DEVIN.
— Vos destinées se ressemblent.
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SOOTHSAYER.
Your fortunes are alike.
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IRAS.
— Mais comment, comment? Citez quelques particularités.
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IRAS.
But how, but how? give me particulars.
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LE DEVIN.
— J'ai dit.
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SOOTHSAYER.
I have said.
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IRAS.
— Quoi! n'aurai-je pas seulement un pouce de bonne fortune
de plus qu'elle?
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IRAS.
Am I not an inch of fortune better than she?
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CHARMIANE.
— Et si vous aviez un pouce de bonne fortune de plus que moi,
où le choisiriez-vous?
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CHARMIAN.
Well, if you were but an inch of fortune better than I,
where would you choose it?
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IRAS.
— Ce ne serait pas au nez de mon mari.
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IRAS.
Not in my husband’s nose.
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CHARMIANE.
— Que le ciel corrige nos mauvaises pensées! — Alexas! allons,
sa bonne aventure, à lui, sa bonne aventure. Oh! qu'il épouse une femme
qui ne puisse pas marcher. Douce Isis, je t'en supplie, que
cette femme meure! et alors donne-lui-en une pire encore, et après celle-là
d'autres toujours plus méchantes, jusqu'à ce que la pire de toutes le conduise
en riant à sa tombe, cinquante fois déshonoré. Bonne Isis, exauce ma prière,
et, quand tu devrais me refuser dans des occasions plus importantes,
accorde-moi cette grâce; bonne Isis, je t'en conjure!
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CHARMIAN.
Our worser thoughts heavens mend! Alexas—come, his fortune! his fortune!
O, let him marry a woman that cannot go, sweet Isis, I beseech thee,
and let her die too, and give him a worse, and let worse follow worse,
till the worst of all follow him laughing to his grave, fiftyfold a cuckold!
Good Isis, hear me this prayer, though thou deny me a matter of more weight;
good Isis, I beseech thee!
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IRAS.
— Ainsi soit-il; chère déesse, entends la prière que nous
t'adressons toutes! car si c'est un crève-cœur de voir un bel homme
avec une mauvaise femme, c'est un chagrin mortel de voir un laid malotru
sans cornes: ainsi donc, chère Isis, par bienséance, donne-lui la destinée
qui lui convient.
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IRAS.
Amen. Dear goddess, hear that prayer of the people! For, as it is
a heartbreaking to see a handsome man loose-wived, so it is a deadly sorrow
to behold a foul knave uncuckolded. Therefore, dear Isis, keep decorum and
fortune him accordingly!
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CHARMIANE.
— Ainsi soit-il.
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CHARMIAN.
Amen.
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ALEXAS.
— Voyez-vous; s'il dépendait d'elles de me déshonorer,
elles se prostitueraient pour en venir à bout.
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ALEXAS.
Lo now, if it lay in their hands to make me a cuckold,
they would make themselves whores but they’d do’t!
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Enter Cleopatra.
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ÉNOBARBUS.
— Silence: voici Antoine.
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ENOBARBUS.
Hush, Here comes Antony.
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CHARMIANE.
— Ce n'est pas lui; c'est la reine.
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CHARMIAN.
Not he, the queen.
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(Entre Cléopâtre.)
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CLÉOPÂTRE.
— Avez-vous vu mon seigneur?
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CLEOPATRA.
Saw you my lord?
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ÉNOBARBUS.
— Non, madame.
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ENOBARBUS.
No, lady.
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CLÉOPÂTRE.
— Est-ce qu'il n'est pas venu ici?
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CLEOPATRA.
Was he not here?
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CHARMIANE.
— Non, madame.
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CHARMIAN.
No, madam.
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CLÉOPÂTRE.
— Il était d'une humeur gaie... Mais tout à coup un souvenir de Rome
a saisi son âme. — Énobarbus!
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CLEOPATRA.
He was disposed to mirth; but on the sudden
A Roman thought hath struck him. Enobarbus!
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ÉNOBARBUS.
— Madame?
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ENOBARBUS.
Madam?
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CLÉOPÂTRE.
— Cherchez-le, et l'amenez ici... — Où est Alexas?
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CLEOPATRA.
Seek him and bring him hither. Where’s Alexas?
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ALEXAS.
— Me voici, madame, à votre service. — Mon seigneur s'avance.
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ALEXAS.
Here, at your service. My lord approaches.
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(Antoine entre avec un messager et sa suite.)
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Enter Antony with a Messenger.
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CLÉOPÂTRE.
— Nous ne le regarderons pas. — Suivez-moi.
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CLEOPATRA.
We will not look upon him. Go with us.
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(Sortent Cléopâtre, Énobarbus, Alexas, Iras, Charmiane, le devin et la suite.)
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[Exeunt Cleopatra, Enobarbus, Charmian, Iras, Alexas and Soothsayer.]
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LE MESSAGER.
— Fulvie, votre épouse, s'est avancée sur le champ de bataille...
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MESSENGER.
Fulvia thy wife first came into the field.
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ANTOINE.
— Contre mon frère Lucius?
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ANTONY.
Against my brother Lucius.
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LE MESSAGER.
— Oui: mais cette guerre a bientôt été terminée.
Les circonstances les ont aussitôt réconciliés, et ils ont réuni leurs
forces contre César. Mais, dès le premier choc, la fortune de César
dans la guerre les a chassés tous deux de l'Italie.
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MESSENGER.
Ay.
But soon that war had end, and the time’s state
Made friends of them, jointing their force ’gainst Caesar,
Whose better issue in the war from Italy
Upon the first encounter drave them.
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ANTOINE.
— Bien: qu'as-tu de plus funeste encore à m'apprendre?
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ANTONY.
Well, what worst?
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LE MESSAGER.
— Les mauvaises nouvelles sont fatales à celui qui les apporte.
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MESSENGER.
The nature of bad news infects the teller.
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ANTOINE.
— Oui, quand elles s'adressent à un insensé, ou à un lâche; poursuis.
— Avec moi, ce qui est passé est passé, voilà mon principe.
Quiconque m'apprend une vérité, dût la mort être au bout de son récit,
je l'écoute comme s'il me flattait.
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ANTONY.
When it concerns the fool or coward. On.
Things that are past are done with me. ’Tis thus:
Who tells me true, though in his tale lie death,
I hear him as he flattered.
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LE MESSAGER.
— Labiénus, et c'est une sinistre nouvelle, a envahi l'Asie Mineure
depuis l'Euphrate avec son armée de Parthes; sa bannière triomphante a flotté
depuis la Syrie, jusqu'à la Lydie et l'Ionie; tandis que...
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MESSENGER.
Labienus—
This is stiff news—hath with his Parthian force
Extended Asia from Euphrates
His conquering banner shook from Syria
To Lydia and to Ionia,
Whilst—
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ANTOINE.
— Tandis qu'Antoine, voulais-tu dire...
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ANTONY.
“Antony”, thou wouldst say—
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LE MESSAGER.
— Oh! mon maître!
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MESSENGER.
O, my lord!
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ANTOINE.
— Parle-moi sans détour: ne déguise point les bruits populaires:
appelle Cléopâtre comme on l'appelle à Rome; prends le ton d'ironie avec
lequel Fulvie parle de moi; reproche-moi mes fautes avec toute la licence
de la malignité et de la vérité réunies. — Oh! nous ne portons que
des ronces quand les vents violents demeurent immobiles; et le récit de
nos torts est pour nous une culture. — Laisse-moi un moment.
|
ANTONY.
Speak to me home; mince not the general tongue.
Name Cleopatra as she is called in Rome;
Rail thou in Fulvia’s phrase, and taunt my faults
With such full licence as both truth and malice
Have power to utter. O, then we bring forth weeds
When our quick minds lie still, and our ills told us
Is as our earing. Fare thee well awhile.
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LE MESSAGER.
— Selon votre plaisir, seigneur.
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MESSENGER.
At your noble pleasure.
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(Il sort.)
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[Exit Messenger.]
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Enter another Messenger.
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ANTOINE.
— Quelles nouvelles de Sicyone? Appelle le messager de Sicyone.
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ANTONY.
From Sicyon, ho, the news? Speak there!
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PREMIER SERVITEUR.
— Le messager de Sicyone? y en a-t-il un?
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SECOND MESSENGER.
The man from Sicyon—
ANTONY.
Is there such a one?
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SECOND SERVITEUR.
— Seigneur, il attend vos ordres.
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SECOND MESSENGER.
He stays upon your will.
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ANTOINE.
— Qu'il vienne. — Il faut que je brise ces fortes chaînes égyptiennes,
ou je me perds dans ma folle passion. (Entre un autre messager.) Qui êtes-vous?
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ANTONY.
Let him appear.
[Exit second Messenger.]
These strong Egyptian fetters I must break,
Or lose myself in dotage.
Enter another Messenger with a letter.
What are you?
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LE SECOND MESSAGER.
— Votre épouse Fulvie est morte.
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THIRD MESSENGER.
Fulvia thy wife is dead.
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ANTOINE.
— Où est-elle morte?
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ANTONY.
Where died she?
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LE MESSAGER.
— A Sicyone: la longueur de sa maladie, et d'autres circonstances
plus graves encore, qu'il vous importe de connaître, sont détaillées dans cette lettre.
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THIRD MESSENGER.
In Sicyon:
Her length of sickness, with what else more serious
Importeth thee to know, this bears.
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(Il lui donne la lettre.)
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[Gives a letter.]
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ANTOINE.
— Laissez-moi seul. (Le messager sort.) Voilà une grande
âme partie! Je l'ai pourtant désiré. — L'objet que nous avons repoussé
avec dédain, nous voudrions le posséder encore! Le plaisir du jour diminue
par la révolution des temps et devient une peine. — Elle est bonne
parce qu'elle n'est plus. La main qui la repoussait voudrait la ramener!
— Il faut absolument que je m'affranchisse du joug de cette reine
enchanteresse. Mille maux plus grands que ceux que je connais déjà sont
près d'éclore de mon indolence. — Où es-tu, Énobarbus?
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ANTONY.
Forbear me.
[Exit third Messenger.]
There’s a great spirit gone! Thus did I desire it.
What our contempts doth often hurl from us,
We wish it ours again. The present pleasure,
By revolution lowering, does become
The opposite of itself. She’s good, being gone.
The hand could pluck her back that shoved her on.
I must from this enchanting queen break off.
Ten thousand harms, more than the ills I know,
My idleness doth hatch. How now, Enobarbus!
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(Énobarbus entre.)
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Enter Enobarbus.
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ÉNOBARBUS.
— Que voulez-vous, seigneur?
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ENOBARBUS.
What’s your pleasure, sir?
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ANTOINE.
— Il faut que je parte sans délai de ces lieux.
|
ANTONY.
I must with haste from hence.
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ÉNOBARBUS.
— En ce cas, nous tuons toutes nos femmes. Nous voyons combien une
dureté leur est mortelle: s'il leur faut subir notre départ, la mort est
là pour elles.
|
ENOBARBUS.
Why then we kill all our women. We see how mortal an unkindness is
to them. If they suffer our departure, death’s the word.
|
ANTOINE.
— Il faut que je parte.
|
ANTONY.
I must be gone.
|
ÉNOBARBUS.
— Dans une occasion pressante, que les femmes meurent!
— Mais ce serait pitié de les rejeter pour un rien, quoique
comparées à un grand intérêt elles doivent être comptées pour rien.
Au moindre bruit de ce dessein, Cléopâtre meurt, elle meurt aussitôt;
je l'ai vue mourir vingt fois pour des motifs bien plus légers.
Je crois qu'il y a de l'amour pour elle dans la mort, qui lui procure
quelque jouissance amoureuse, tant elle est prompte à mourir.
|
ENOBARBUS.
Under a compelling occasion, let women die. It were pity to cast
them away for nothing, though, between them and a great cause they should
be esteemed nothing. Cleopatra, catching but the least noise of this,
dies instantly. I have seen her die twenty times upon far poorer moment.
I do think there is mettle in death which commits some loving act upon her,
she hath such a celerity in dying.
|
ANTOINE.
— Elle est rusée à un point que l'homme ne peut imaginer.
|
ANTONY.
She is cunning past man’s thought.
|
ÉNOBARBUS.
— Hélas, non, seigneur! Ses passions ne sont formées que des
plus purs éléments de l'amour. Nous ne pouvons comparer ses soupirs
et ses larmes aux vents et aux flots. Ce sont de plus grandes tempêtes
que celles qu'annoncent les almanachs, ce ne peut être une ruse chez elle.
Si c'en est une, elle fait tomber la pluie aussi bien que Jupiter.
|
ENOBARBUS.
Alack, sir, no; her passions are made of nothing but the finest part
of pure love. We cannot call her winds and waters sighs and tears; they are
greater storms and tempests than almanacs can report. This cannot be cunning
in her; if it be, she makes a shower of rain as well as Jove.
|
ANTOINE.
— Que je voudrais ne l'avoir jamais vue!
|
ANTONY.
Would I had never seen her!
|
ÉNOBARBUS.
— Ah! seigneur, vous auriez manqué de voir une merveille;
et n'avoir pas été heureux par elle, c'eût été décréditer votre voyage.
|
ENOBARBUS.
O, sir, you had then left unseen a wonderful piece of work,
which not to have been blest withal would have discredited your travel.
|
ANTOINE.
— Fulvie est morte.
|
ANTONY.
Fulvia is dead.
|
ÉNOBARBUS.
— Seigneur?
|
ENOBARBUS.
Sir?
|
ANTOINE.
— Fulvie est morte.
|
ANTONY.
Fulvia is dead.
|
ÉNOBARBUS.
— Fulvie?
|
ENOBARBUS.
Fulvia?
|
ANTOINE.
— Morte!
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ANTONY.
Dead.
|
ÉNOBARBUS.
— Eh bien! seigneur, offrez aux dieux un sacrifice d'actions de grâces!
Quand il plaît à leur divinité d'enlever à un homme sa femme, ils lui montrent
les tailleurs de la terre, pour le consoler en lui faisant voir que lorsque les
vieilles robes sont usées, il reste des gens pour en faire de neuves. S'il n'y
avait pas d'autre femme que Fulvie, alors vous auriez une véritable blessure et
des motifs pour vous lamenter; mais votre chagrin porte avec lui sa consolation;
votre vieille chemise vous donne un jupon neuf. En vérité, pour verser des larmes
sur un tel chagrin, il faudrait les faire couler avec un oignon.
|
ENOBARBUS.
Why, sir, give the gods a thankful sacrifice. When it pleaseth their
deities to take the wife of a man from him, it shows to man the tailors of
the earth; comforting therein that when old robes are worn out, there are
members to make new. If there were no more women but Fulvia, then had you
indeed a cut, and the case to be lamented. This grief is crowned with consolation;
your old smock brings forth a new petticoat: and indeed the tears live in
an onion that should water this sorrow.
|
ANTOINE.
— Les affaires qu'elle a entamées dans l'État ne peuvent
supporter mon absence.
|
ANTONY.
The business she hath broached in the state
Cannot endure my absence.
|
ÉNOBARBUS.
— Et les affaires que vous avez entamées ici ne peuvent se passer
de vous, surtout celle de Cléopâtre, qui dépend absolument de votre présence.
|
ENOBARBUS.
And the business you have broached here cannot be without you,
especially that of Cleopatra’s, which wholly depends on your abode.
|
ANTOINE.
— Plus de frivoles réponses. — Que nos officiers soient
instruits de ma résolution. Je déclarerai à la reine la cause de notre
expédition, et j'obtiendrai de son amour la liberté de partir.
Car ce n'est pas seulement la mort de Fulvie, et d'autres motifs plus
pressants encore, qui parlent fortement à mon cœur: des lettres aussi
de plusieurs de nos amis qui travaillent pour nous dans Rome, pressent
mon retour dans ma patrie. Sextus Pompée a défié César, et il tient
l'empire de la mer. Notre peuple inconstant, dont l'amour ne s'attache
jamais à l'homme de mérite, que lorsque son mérite a disparu, commence
à faire passer toutes les dignités et la gloire du grand Pompée sur
son fils, qui, grand déjà en renommée et en puissance, plus grand encore
par sa naissance et son courage, passe pour un grand guerrier; si ses
avantages vont en croissant, l'univers pourrait être en danger.
Plus d'un germe se développe, qui, semblable au poil d'un coursier,
n'a pas encore le venin du serpent, mais est déjà doué de la vie.
Apprends à ceux dont l'emploi dépend de nous, que notre bon plaisir
est de nous éloigner promptement de ces lieux.
|
ANTONY.
No more light answers. Let our officers
Have notice what we purpose. I shall break
The cause of our expedience to the Queen,
And get her leave to part. For not alone
The death of Fulvia, with more urgent touches,
Do strongly speak to us, but the letters too
Of many our contriving friends in Rome
Petition us at home. Sextus Pompeius
Hath given the dare to Caesar, and commands
The empire of the sea. Our slippery people,
Whose love is never linked to the deserver
Till his deserts are past, begin to throw
Pompey the Great and all his dignities
Upon his son, who, high in name and power,
Higher than both in blood and life, stands up
For the main soldier; whose quality, going on,
The sides o’ th’ world may danger. Much is breeding
Which, like the courser’s hair, hath yet but life
And not a serpent’s poison. Say our pleasure
To such whose place is under us, requires
Our quick remove from hence.
|
ÉNOBARBUS.
— Je vais exécuter vos ordres.
|
ENOBARBUS.
I shall do’t.
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE III
|
SCENE III.
|
|
Alexandria.
A Room in Cleopatra’s palace.
|
CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, ALEXAS, IRAS.
|
Enter Cleopatra, Charmian, Alexas and Iras.
|
CLÉOPÂTRE.
— Où est-il?
|
CLEOPATRA.
Where is he?
|
CHARMIANE.
— Je ne l'ai pas vu depuis.
|
CHARMIAN.
I did not see him since.
|
CLÉOPÂTRE.
— Voyez où il est, qui est avec lui, et ce qu'il fait.
Je ne vous ai pas envoyée. — Si vous le trouvez triste,
dites que je suis à danser; s'il est gai, annoncez que
je viens de me trouver mal. Volez, et revenez.
|
CLEOPATRA.
See where he is, who’s with him, what he does.
I did not send you. If you find him sad,
Say I am dancing; if in mirth, report
That I am sudden sick. Quick, and return.
|
|
[Exit Alexas.]
|
CHARMIANE.
— Madame, il me semble que si vous l'aimez tendrement,
vous ne prenez pas les moyens d'obtenir de lui le même amour.
|
CHARMIAN.
Madam, methinks, if you did love him dearly,
You do not hold the method to enforce
The like from him.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que devrais-je faire,... que je ne fasse?
|
CLEOPATRA.
What should I do I do not?
|
CHARMIANE.
— Cédez-lui en tout; ne le contrariez en rien.
|
CHARMIAN.
In each thing give him way; cross him in nothing.
|
CLÉOPÂTRE.
— Tu parles comme une folle; c'est le moyen de le perdre.
|
CLEOPATRA.
Thou teachest like a fool: the way to lose him.
|
CHARMIANE.
— Ne le poussez pas ainsi à bout, je vous en prie, prenez garde:
nous finissons par haïr ce que nous craignons trop souvent.
(Antoine entre.) Mais voici Antoine.
|
CHARMIAN.
Tempt him not so too far; I wish, forbear.
In time we hate that which we often fear.
But here comes Antony.
Enter Antony.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je suis malade et triste.
|
CLEOPATRA.
I am sick and sullen.
|
ANTOINE.
— Il m'est pénible de lui déclarer mon dessein.
|
ANTONY.
I am sorry to give breathing to my purpose—
|
CLÉOPÂTRE.
— Aide-moi, chère Charmiane, à sortir de ce lieu. Je vais tomber.
Cela ne peut durer longtemps: la nature ne peut le supporter.
|
CLEOPATRA.
Help me away, dear Charmian! I shall fall.
It cannot be thus long; the sides of nature
Will not sustain it.
|
ANTOINE.
— Eh bien! ma chère reine...
|
ANTONY.
Now, my dearest queen—
|
CLÉOPÂTRE.
— Je vous prie, tenez-vous loin de moi.
|
CLEOPATRA.
Pray you, stand farther from me.
|
ANTOINE.
— Qu'y a-t-il donc?
|
ANTONY.
What’s the matter?
|
CLÉOPÂTRE.
— Je lis dans vos yeux que vous avez reçu de bonnes nouvelles.
Que vous dit votre épouse? — Vous pouvez partir. Plût aux dieux
qu'elle ne vous eût jamais permis de venir! — Qu'elle ne dise pas
surtout que c'est moi qui vous retiens: je n'ai aucun pouvoir sur vous.
Vous êtes tout à elle.
|
CLEOPATRA.
I know by that same eye there’s some good news.
What, says the married woman you may go?
Would she had never given you leave to come!
Let her not say ’tis I that keep you here.
I have no power upon you; hers you are.
|
ANTOINE.
— Les dieux savent bien...
|
ANTONY.
The gods best know—
|
CLÉOPÂTRE.
— Non, jamais reine ne fut si indignement trahie...
Cependant, dès l'abord, j'avais vu poindre ses trahisons.
|
CLEOPATRA.
O, never was there queen
So mightily betrayed! Yet at the first
I saw the treasons planted.
|
ANTOINE.
— Cléopâtre!
|
ANTONY.
Cleopatra—
|
CLÉOPÂTRE.
— Quand tu ébranlerais de tes serments le trône même des dieux,
comment pourrais-je croire que tu es à moi, que tu es sincère, toi, qui
as trahi Fulvie? Quelle passion extravagante a pu me laisser séduire par
ces serments des lèvres aussitôt violés que prononcés?
|
CLEOPATRA.
Why should I think you can be mine and true,
Though you in swearing shake the throned gods,
Who have been false to Fulvia? Riotous madness,
To be entangled with those mouth-made vows
Which break themselves in swearing!
|
ANTOINE.
— Ma tendre reine...
|
ANTONY.
Most sweet queen—
|
CLÉOPÂTRE.
— Ah! de grâce, ne cherche point de prétexte pour me quitter:
dis-moi adieu, et pars. Lorsque tu me conjurais pour rester, c'était
alors le temps des paroles: tu ne parlais pas alors de départ.
— L'éternité était dans nos yeux et sur nos lèvres. Le bonheur
était peint sur notre front; aucune partie de nous-mêmes qui ne nous fît
goûter la félicité du ciel. Il en est encore ainsi, ou bien toi, le plus
grand guerrier de l'univers, tu en es devenu le plus grand imposteur!
|
CLEOPATRA.
Nay, pray you seek no colour for your going,
But bid farewell and go. When you sued staying,
Then was the time for words. No going then,
Eternity was in our lips and eyes,
Bliss in our brows’ bent; none our parts so poor
But was a race of heaven. They are so still,
Or thou, the greatest soldier of the world,
Art turned the greatest liar.
|
ANTOINE.
— Que dites-vous, madame?
|
ANTONY.
How now, lady!
|
CLÉOPÂTRE.
— Que je voudrais avoir ta taille. — Tu apprendrais
qu'il y avait un cœur en Égypte.
|
CLEOPATRA.
I would I had thy inches, thou shouldst know
There were a heart in Egypt.
|
ANTOINE.
— Reine, écoutez-moi. L'impérieuse nécessité des circonstances
exige pour un temps notre service; mais mon cœur tout entier reste avec
vous. Partout, notre Italie étincelle des épées de la guerre civile.
Sextus Pompée s'avance jusqu'au port de Rome. L'égalité de deux pouvoirs
domestiques engendre les factions. Le parti odieux, devenu puissant,
redevient le parti chéri. Pompée proscrit, mais riche de la gloire de son
père, s'insinue insensiblement dans les cœurs de ceux qui n'ont point
gagné au gouvernement actuel: leur nombre s'accroît et devient redoutable,
et les esprits fatigués du repos aspirent à en sortir par quelque
résolution désespérée. — Un motif plus personnel pour moi, et qui
doit surtout vous rassurer sur mon départ, c'est la mort de Fulvie.
|
ANTONY.
Hear me, queen:
The strong necessity of time commands
Our services awhile, but my full heart
Remains in use with you. Our Italy
Shines o’er with civil swords; Sextus Pompeius
Makes his approaches to the port of Rome;
Equality of two domestic powers
Breed scrupulous faction; the hated, grown to strength,
Are newly grown to love; the condemned Pompey,
Rich in his father’s honour, creeps apace
Into the hearts of such as have not thrived
Upon the present state, whose numbers threaten;
And quietness, grown sick of rest, would purge
By any desperate change. My more particular,
And that which most with you should safe my going,
Is Fulvia’s death.
|
CLÉOPÂTRE.
— Si l'âge n'a pu affranchir mon cœur de la folie de l'amour,
il l'a guéri du moins de la crédulité de l'enfance! — Fulvie
peut-elle mourir?
|
CLEOPATRA.
Though age from folly could not give me freedom,
It does from childishness. Can Fulvia die?
|
ANTOINE.
— Elle est morte, ma reine. Jetez ici les yeux et lisez à votre
loisir tous les troubles qu'elle a suscités. La dernière nouvelle est
la meilleure; voyez en quel lieu, en quel temps elle est morte.
|
ANTONY.
She’s dead, my queen.
Look here, and at thy sovereign leisure read
The garboils she awaked; at the last, best,
See when and where she died.
|
CLÉOPÂTRE.
— O le plus faux des amants! Où sont les fioles
sacrées que tu as dû remplir des larmes de ta douleur?
Ah! je vois maintenant, je vois par la mort de Fulvie
comment la mienne sera reçue!
|
CLEOPATRA.
O most false love!
Where be the sacred vials thou shouldst fill
With sorrowful water? Now I see, I see,
In Fulvia’s death how mine received shall be.
|
ANTOINE.
— Cessez vos reproches, et préparez-vous à entendre les projets
que je porte en mon sein, qui s'accompliront ou seront abandonnés selon
vos conseils. Je jure par le feu qui féconde le limon du Nil, que je pars
de ces lieux votre guerrier, votre esclave, faisant la paix ou la guerre
au gré de vos désirs.
|
ANTONY.
Quarrel no more, but be prepared to know
The purposes I bear; which are, or cease,
As you shall give th’ advice. By the fire
That quickens Nilus’ slime, I go from hence
Thy soldier, servant, making peace or war
As thou affects.
|
CLÉOPÂTRE.
— Coupe mon lacet, Charmiane, viens; mais non....
laisse-moi: je me sens mal, et puis mieux dans un instant:
c'est ainsi qu'aime Antoine!
|
CLEOPATRA.
Cut my lace, Charmian, come!
But let it be; I am quickly ill and well,
So Antony loves.
|
ANTOINE.
— Reine bien-aimée, épargnez-moi: rendez justice à l'amour
d'Antoine, qui supportera aisément une juste procédure.
|
ANTONY.
My precious queen, forbear,
And give true evidence to his love, which stands
An honourable trial.
|
CLÉOPÂTRE.
— Fulvie doit me l'avoir appris. Ah! de grâce, détourne-toi,
et verse des pleurs pour elle; puis, fais-moi tes adieux, et
dis que ces pleurs coulent pour l'Égypte. Maintenant, joue devant moi
une scène de dissimulation profonde et qui imite l'honneur parfait.
|
CLEOPATRA.
So Fulvia told me.
I prithee, turn aside and weep for her,
Then bid adieu to me, and say the tears
Belong to Egypt. Good now, play one scene
Of excellent dissembling, and let it look
Like perfect honour.
|
ANTOINE.
— Vous m'échaufferez le sang. — Cessez.
|
ANTONY.
You’ll heat my blood. No more.
|
CLÉOPÂTRE.
— Tu pourrais faire mieux, mais ceci est bien déjà.
|
CLEOPATRA.
You can do better yet, but this is meetly.
|
ANTOINE.
— Je jure par mon épée!...
|
ANTONY.
Now, by my sword—
|
CLÉOPÂTRE.
— Jure aussi par ton bouclier... Son jeu s'améliore;
mais il n'est pas encore parfait. — Vois, Charmiane, vois,
je te prie, comme cet emportement sied bien à cet Hercule romain.
|
CLEOPATRA.
And target. Still he mends.
But this is not the best. Look, prithee, Charmian,
How this Herculean Roman does become
The carriage of his chafe.
|
ANTOINE.
— Je vous laisse, madame.
|
ANTONY.
I’ll leave you, lady.
|
CLÉOPÂTRE.
— Aimable seigneur, un seul mot... «Seigneur, il faut donc nous
séparer...» Non, ce n'est pas cela: «Seigneur, nous nous sommes aimés.»
Non, ce n'est pas cela; vous le savez assez!... C'est quelque chose que
je voudrais dire... Oh! ma mémoire est un autre Antoine; j'ai tout oublié!
|
CLEOPATRA.
Courteous lord, one word.
Sir, you and I must part, but that’s not it;
Sir, you and I have loved, but there’s not it;
That you know well. Something it is I would—
O, my oblivion is a very Antony,
And I am all forgotten.
|
ANTOINE.
— Si votre royauté ne comptait la nonchalance parmi ses sujets,
je vous prendrais vous-même pour la nonchalance.
|
ANTONY.
But that your royalty
Holds idleness your subject, I should take you
For idleness itself.
|
CLÉOPÂTRE.
— C'est un pénible travail que de porter cette nonchalance aussi
près du cœur que je la porte! Mais, seigneur, pardonnez, puisque le soin
de ma dignité me tue dès que ce soin vous déplaît. Votre honneur vous
rappelle loin de moi; soyez sourd à ma folie, qui ne mérite pas la pitié;
que tous les dieux soient avec vous! Que la victoire, couronnée de lauriers,
se repose sur votre épée, et que de faciles succès jonchent votre sentier!
|
CLEOPATRA.
’Tis sweating labour
To bear such idleness so near the heart
As Cleopatra this. But, sir, forgive me,
Since my becomings kill me when they do not
Eye well to you. Your honour calls you hence;
Therefore be deaf to my unpitied folly,
And all the gods go with you! Upon your sword
Sit laurel victory, and smooth success
Be strewed before your feet!
|
ANTOINE.
— Sortons, madame, venez. Telle est notre séparation,
qu'en demeurant ici vous me suivez pourtant, et que moi, en fuyant,
je reste avec vous. — Sortons.
|
ANTONY.
Let us go. Come.
Our separation so abides and flies
That thou, residing here, goes yet with me,
And I, hence fleeting, here remain with thee.
Away!
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE V
|
SCENE V.
|
Alexandrie.
Appartement du palais.
|
Alexandria.
A Room in the Palace.
|
Entrent CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, l'eunuque MARDIAN.
|
Enter Cleopatra, Charmian, Iras and Mardian.
|
CLÉOPÂTRE.
— Charmiane.
|
CLEOPATRA.
Charmian!
|
CHARMIANE.
— Madame?
|
CHARMIAN.
Madam?
|
CLÉOPÂTRE.
— Ah! ah! donne-moi une potion de mandragore.
|
CLEOPATRA.
Ha, ha!
Give me to drink mandragora.
|
CHARMIANE.
— Pourquoi donc, madame?
|
CHARMIAN.
Why, madam?
|
CLÉOPÂTRE.
— Afin que je puisse dormir pendant tout
le temps que mon Antoine sera absent.
|
CLEOPATRA.
That I might sleep out this great gap of time
My Antony is away.
|
CHARMIANE.
— Vous songez trop à lui.
|
CHARMIAN.
You think of him too much.
|
CLÉOPÂTRE.
— O trahison!...
|
CLEOPATRA.
O, ’tis treason!
|
CHARMIANE.
— Madame, j'espère qu'il n'en est point ainsi.
|
CHARMIAN.
Madam, I trust not so.
|
CLÉOPÂTRE.
— Eunuque! Mardian!
|
CLEOPATRA.
Thou, eunuch Mardian!
|
MARDIAN.
— Quel est le bon plaisir de Votre Majesté?
|
MARDIAN.
What’s your highness’ pleasure?
|
CLÉOPÂTRE.
— Je ne veux pas maintenant t'entendre
chanter. Je ne prends aucun plaisir à ce qui vient d'un
eunuque. — Il est heureux pour toi que ton impuissance
empêche tes pensées les plus libres d'aller errer hors de
l'Égypte. As-tu des inclinations?
|
CLEOPATRA.
Not now to hear thee sing. I take no pleasure
In aught an eunuch has. ’Tis well for thee
That, being unseminared, thy freer thoughts
May not fly forth of Egypt. Hast thou affections?
|
L'EUNUQUE.
— Oui, gracieuse reine.
|
MARDIAN.
Yes, gracious madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— En vérité?
|
CLEOPATRA.
Indeed?
|
MARDIAN.
— Pas en vérité, madame, car je ne puis rien
faire en vérité que ce qu'il est honnête de faire; mais
j'ai de violentes passions, et je pense à ce que Mars fit
avec Vénus.
|
MARDIAN.
Not in deed, madam, for I can do nothing
But what indeed is honest to be done.
Yet have I fierce affections, and think
What Venus did with Mars.
|
CLÉOPÂTRE.
— O Charmiane, où crois-tu qu'il soit à
présent? Est-il debout ou assis? Se promène-t-il à pied
ou est-il à cheval? Heureux coursier, qui porte Antoine,
conduis-toi bien, cheval; car sais-tu bien qui tu portes?
L'Atlas qui soutient la moitié de ce globe, le bras et
le casque de l'humanité. — Il dit maintenant ou murmure
tout bas: Où est mon serpent du vieux Nil?
car c'est le nom qu'il me donne. — Oh! maintenant, je
me nourris d'un poison délicieux. — Penses-tu à moi
qui suis brunie par les brûlants baisers du soleil, et
dont le temps a déjà sillonné le visage de rides profondes?
— O toi, César au large front, dans le temps que
tu étais ici à terre, j'étais un morceau de roi! et le grand
Pompée s'arrêtait, et fixait ses regards sur mon front; il
eût voulu y attacher à jamais sa vue, et mourir en me
contemplant!
|
CLEOPATRA.
O, Charmian,
Where think’st thou he is now? Stands he, or sits he?
Or does he walk? Or is he on his horse?
O happy horse, to bear the weight of Antony!
Do bravely, horse, for wot’st thou whom thou mov’st?
The demi-Atlas of this earth, the arm
And burgonet of men. He’s speaking now,
Or murmuring “Where’s my serpent of old Nile?”
For so he calls me. Now I feed myself
With most delicious poison. Think on me
That am with Phœbus’ amorous pinches black,
And wrinkled deep in time? Broad-fronted Caesar,
When thou wast here above the ground, I was
A morsel for a monarch. And great Pompey
Would stand and make his eyes grow in my brow;
There would he anchor his aspect, and die
With looking on his life.
|
|
Enter Alexas.
|
ALEXAS entre.
— Souveraine d'Égypte, salut!
|
ALEXAS.
Sovereign of Egypt, hail!
|
CLÉOPÂTRE.
— Que tu es loin de ressembler à Marc-Antoine!
Et cependant, venant de sa part, il me semble
que cette pierre philosophale t'a changé en or. Comment
se porte mon brave Marc-Antoine?
|
CLEOPATRA.
How much unlike art thou Mark Antony!
Yet, coming from him, that great medicine hath
With his tinct gilded thee.
How goes it with my brave Mark Antony?
|
ALEXAS.
— La dernière chose qu'il ait faite, chère reine,
a été de baiser cent fois cette perle orientale. — Ses
paroles sont encore gravées dans mon cœur.
|
ALEXAS.
Last thing he did, dear queen,
He kissed—the last of many doubled kisses—
This orient pearl. His speech sticks in my heart.
|
CLÉOPÂTRE.
— Mon oreille est impatiente de les faire
passer dans le mien.
|
CLEOPATRA.
Mine ear must pluck it thence.
|
ALEXAS.
— «Ami, m'a-t-il dit, va: dis que le fidèle
Romain envoie à la reine d'Égypte ce trésor de
l'huître, et que, pour rehausser la mince valeur du
présent, il ira bientôt à ses pieds décorer de royaumes
son trône superbe; dis-lui que bientôt tout l'Orient la
nommera sa souveraine.» Là-dessus, il me fit un signe
de tête, et monta d'un air grave sur son coursier fougueux,
qui alors a poussé de si grands hennissements,
que, lorsque j'ai voulu parler, il m'a réduit au silence.
|
ALEXAS.
“Good friend,” quoth he,
“Say, the firm Roman to great Egypt sends
This treasure of an oyster; at whose foot,
To mend the petty present, I will piece
Her opulent throne with kingdoms. All the east,
Say thou, shall call her mistress.” So he nodded
And soberly did mount an arm-gaunt steed,
Who neighed so high that what I would have spoke
Was beastly dumbed by him.
|
CLÉOPÂTRE.
— Dis-moi, était-il triste ou gai?
|
CLEOPATRA.
What, was he sad or merry?
|
ALEXAS.
— Comme la saison de l'année qui est placée
entre les extrêmes de la chaleur et du froid; il n'était ni
triste ni gai.
|
ALEXAS.
Like to the time o’ th’ year between the extremes
Of hot and cold, he was nor sad nor merry.
|
CLÉOPÂTRE.
— O caractère bien partagé! Observe-le
bien, observe-le bien, bonne Charmiane; c'est bien lui,
mais observe-le bien; il n'était pas triste, parce qu'il
voulait montrer un front serein à ceux qui composent
leur visage sur le sien; il n'était pas gai, ce qui semblait
leur dire qu'il avait laissé en Égypte son souvenir et sa
joie, mais il gardait un juste milieu. O céleste mélange!
Que tu sois triste ou gai, les transports de la tristesse et
de la joie te conviennent également, plus qu'à aucun
autre mortel! — As-tu rencontré mes courriers?
|
CLEOPATRA.
O well-divided disposition!—Note him,
Note him, good Charmian, ’tis the man; but note him:
He was not sad, for he would shine on those
That make their looks by his; he was not merry,
Which seemed to tell them his remembrance lay
In Egypt with his joy; but between both.
O heavenly mingle!—Be’st thou sad or merry,
The violence of either thee becomes,
So does it no man else.—Met’st thou my posts?
|
ALEXAS.
— Oui, madame, au moins vingt. Pourquoi les
dépêchez-vous si près l'un de l'autre?
|
ALEXAS.
Ay, madam, twenty several messengers.
Why do you send so thick?
|
CLÉOPÂTRE.
— Il périra misérable, l'enfant qui naîtra le
jour où j'oublierai d'envoyer vers Antoine. — Charmiane,
de l'encre et du papier. — Sois le bienvenu, cher Alexas.
— Charmiane, ai-je jamais autant aimé César?
|
CLEOPATRA.
Who’s born that day
When I forget to send to Antony
Shall die a beggar.—Ink and paper, Charmian.—
Welcome, my good Alexas.—Did I, Charmian,
Ever love Caesar so?
|
CHARMIANE.
— O ce brave César!
|
CHARMIAN.
O that brave Caesar!
|
CLÉOPÂTRE.
— Que ton exclamation t'étouffe! Dis, le
brave Antoine.
|
CLEOPATRA.
Be choked with such another emphasis!
Say “the brave Antony.”
|
CHARMIANE.
— Ce vaillant César!
|
CHARMIAN.
The valiant Caesar!
|
CLÉOPÂTRE.
— Par Isis, je vais ensanglanter ta joue, si
tu oses encore comparer César avec le plus grand des hommes.
|
CLEOPATRA.
By Isis, I will give thee bloody teeth
If thou with Caesar paragon again
My man of men.
|
CHARMIANE.
— Sauf votre bon plaisir, je ne fais que
répéter ce que vous disiez vous-même.
|
CHARMIAN.
By your most gracious pardon,
I sing but after you.
|
CLÉOPÂTRE.
— Temps de jeunesse quand mon jugement
n'était pas encore mûr. — Coeur glacé de répéter ce que
je disais alors. — Mais viens, sortons: donne-moi de
l'encre et du papier; il aura chaque jour plus d'un message,
dussé-je dépeupler l'Égypte.
|
CLEOPATRA.
My salad days,
When I was green in judgment, cold in blood,
To say as I said then. But come, away,
Get me ink and paper.
He shall have every day a several greeting,
Or I’ll unpeople Egypt.
|
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE II
|
SCENE II.
|
Rome.
Appartement dans la maison de Lépide.
|
Rome.
A Room in the House of Lepidus.
|
LÉPIDE, ÉNOBARBUS.
|
Enter Enobarbus and Lepidus.
|
LÉPIDE.
— Cher Énobarbus, tu feras une action louable
et qui te siéra bien en engageant ton général à s'expliquer
avec douceur et ménagement.
|
LEPIDUS.
Good Enobarbus, ’tis a worthy deed,
And shall become you well, to entreat your captain
To soft and gentle speech.
|
ÉNOBARBUS.
— Je l'engagerai à répondre comme lui-même.
Si César l'irrite, qu'Antoine regarde par-dessus
la tête de César, et parle aussi fièrement que Mars. Par
Jupiter, si je portais la barbe d'Antoine je ne me ferais
pas raser aujourd'hui.
|
ENOBARBUS.
I shall entreat him
To answer like himself. If Caesar move him,
Let Antony look over Caesar’s head
And speak as loud as Mars. By Jupiter,
Were I the wearer of Antonius’ beard,
I would not shave’t today.
|
LÉPIDE.
— Ce n'est pas ici le temps des ressentiments
particuliers.
|
LEPIDUS.
’Tis not a time
For private stomaching.
|
ÉNOBARBUS.
— Tout temps est bon pour les affaires
qu'il fait naître.
|
ENOBARBUS.
Every time
Serves for the matter that is then born in’t.
|
LÉPIDE.
— Les moins importantes doivent céder aux
plus graves.
|
LEPIDUS.
But small to greater matters must give way.
|
ÉNOBARBUS.
— Non, si les moins importantes viennent
les premières.
|
ENOBARBUS.
Not if the small come first.
|
LÉPIDE.
— Tu parles avec passion: mais de grâce ne
remue pas les tisons. — Voici le noble Antoine.
|
LEPIDUS.
Your speech is passion;
But pray you stir no embers up. Here comes
The noble Antony.
|
(Entrent Antoine et Ventidius.)
|
Enter Antony and Ventidius.
|
ÉNOBARBUS.
— Et voilà César là-bas.
|
ENOBARBUS.
And yonder Caesar.
|
(Entrent César, Mécène et Agrippa.)
|
Enter Caesar, Maecenas and Agrippa.
|
ANTOINE.
— Si nous pouvons nous entendre, marchons
contre les Parthes. — Ventidius, écoute.
|
ANTONY.
If we compose well here, to Parthia.
Hark, Ventidius.
|
CÉSAR.
— Je ne sais pas, Mécène; demande à Agrippa.
|
CAESAR.
I do not know, Maecenas. Ask Agrippa.
|
LÉPIDE.
— Nobles amis, il n'est point d'objet plus grand
que celui qui nous a réunis; que des causes plus légères
ne nous séparent pas. Les torts peuvent être rappelés
avec douceur; en discutant avec violence des différends
peu importants, nous rendons mortelles les blessures
que nous voulons guérir: ainsi donc, nobles collègues
(je vous en conjure avec instances), traitez les questions
les plus aigres dans les termes les plus doux, et que la
mauvaise humeur n'aggrave pas nos querelles.
|
LEPIDUS.
Noble friends,
That which combined us was most great, and let not
A leaner action rend us. What’s amiss,
May it be gently heard. When we debate
Our trivial difference loud, we do commit
Murder in healing wounds. Then, noble partners,
The rather for I earnestly beseech,
Touch you the sourest points with sweetest terms,
Nor curstness grow to th’ matter.
|
ANTOINE.
— C'est bien parlé; si nous étions à la tête de
nos armées et prêts à combattre, j'agirais ainsi.
|
ANTONY.
’Tis spoken well.
Were we before our armies, and to fight,
I should do thus.
|
CÉSAR.
— Soyez le bienvenu dans Rome.
|
CAESAR.
Welcome to Rome.
|
ANTOINE.
— Merci!
|
ANTONY.
Thank you.
|
CÉSAR.
— Asseyez-vous.
|
CAESAR.
Sit.
|
ANTOINE.
— Asseyez-vous, seigneur.
|
ANTONY.
Sit, sir.
|
CÉSAR.
— Ainsi donc...
|
CAESAR.
Nay, then.
|
ANTOINE.
— J'apprends que vous vous offensez de choses
qui ne sont point blâmables, ou qui, si elles le sont, ne
vous regardent pas.
|
ANTONY.
I learn you take things ill which are not so,
Or being, concern you not.
|
CÉSAR.
— Je serais ridicule, si je me prétendais offensé
pour rien ou pour peu de chose; mais avec vous surtout:
plus ridicule encore si je vous avais nommé avec
des reproches, lorsque je n'avais point affaire de prononcer
votre nom.
|
CAESAR.
I must be laughed at
If, or for nothing or a little, I
Should say myself offended, and with you
Chiefly i’ th’ world; more laughed at that I should
Once name you derogately when to sound your name
It not concerned me.
|
ANTOINE.
— Que vous importait donc, César, mon séjour
en Égypte?
|
ANTONY.
My being in Egypt, Caesar,
What was’t to you?
|
CÉSAR.
— Pas plus que mon séjour à Rome ne devait
vous inquiéter en Égypte: cependant, si de là vous cherchiez
à me nuire, votre séjour en Égypte pouvait m'occuper.
|
CAESAR.
No more than my residing here at Rome
Might be to you in Egypt. Yet if you there
Did practise on my state, your being in Egypt
Might be my question.
|
ANTOINE.
— Qu'entendez-vous par chercher à vous nuire?
|
ANTONY.
How intend you, practised?
|
CÉSAR.
— Vous pourriez bien saisir le sens de ce que je
veux dire par ce qui m'est arrivé ici; votre femme et
votre frère ont pris les armes contre moi, leur attaque
était pour vous un sujet de vous déclarer contre moi,
votre nom était leur mot d'ordre.
|
CAESAR.
You may be pleased to catch at mine intent
By what did here befall me. Your wife and brother
Made wars upon me, and their contestation
Was theme for you; you were the word of war.
|
ANTOINE.
— Vous vous méprenez. Jamais mon frère
ne m'a mis en avant dans cette guerre. Je m'en suis
instruit, et ma certitude est fondée sur les rapports
fidèles de ceux mêmes qui ont tiré l'épée pour vous!
N'attaquait-il pas plutôt mon autorité que la vôtre? ne
dirigeait-il pas également la guerre contre moi puisque
votre cause est la mienne? là-dessus mes lettres vous
ont déjà satisfait. Si vous voulez trouver un prétexte de
querelle, comme vous n'en avez pas de bonne raison, il
ne faut pas compter sur celui-ci.
|
ANTONY.
You do mistake your business. My brother never
Did urge me in his act. I did inquire it,
And have my learning from some true reports
That drew their swords with you. Did he not rather
Discredit my authority with yours,
And make the wars alike against my stomach,
Having alike your cause? Of this my letters
Before did satisfy you. If you’ll patch a quarrel,
As matter whole you have not to make it with,
It must not be with this.
|
CÉSAR.
— Vous faites-là votre éloge, en m'accusant de
défaut de jugement: mais vous déguisez mal vos torts.
|
CAESAR.
You praise yourself
By laying defects of judgment to me; but
You patched up your excuses.
|
ANTOINE.
— Non, non! Je sais, je suis certain que vous
ne pouviez pas manquer de faire cette réflexion naturelle,
que moi, votre associé dans la cause contre laquelle
mon frère s'armait, je ne pouvais voir d'un oeil satisfait
une guerre qui troublait ma paix. Quant à ma femme,
je voudrais que vous trouvassiez une autre femme douée
du même caractère.—Le tiers de l'univers est sous vos
lois; vous pouvez, avec le plus faible frein, le gouverner
à votre gré, mais non pas une pareille femme.
|
ANTONY.
Not so, not so.
I know you could not lack—I am certain on’t—
Very necessity of this thought, that I,
Your partner in the cause ’gainst which he fought,
Could not with graceful eyes attend those wars
Which fronted mine own peace. As for my wife,
I would you had her spirit in such another.
The third o’ th’ world is yours, which with a snaffle
You may pace easy, but not such a wife.
|
ÉNOBARBUS.
— Plût au ciel que nous eussions tous de
pareilles épouses! les hommes pourraient aller à la
guerre avec les femmes.
|
ENOBARBUS.
Would we had all such wives, that the men
Might go to wars with the women.
|
ANTOINE.
— Les embarras qu'a suscités son impatience
et son caractère intraitable qui ne manquait pas non
plus des ruses de la politique, vous ont trop inquiété,
César; je vous l'accorde avec douleur; mais vous êtes
forcé d'avouer qu'il n'était pas en mon pouvoir de
l'empêcher.
|
ANTONY.
So much uncurbable, her garboils, Caesar,
Made out of her impatience—which not wanted
Shrewdness of policy too—I grieving grant
Did you too much disquiet. For that you must
But say I could not help it.
|
CÉSAR.
— Je vous ai écrit pendant que vous étiez plongé
dans les débauches, à Alexandrie; vous avez mis mes
lettres dans votre poche, et vous avez renvoyé avec mépris
mon député de votre présence.
|
CAESAR.
I wrote to you
When rioting in Alexandria; you
Did pocket up my letters, and with taunts
Did gibe my missive out of audience.
|
ANTOINE.
— César, il est entré brusquement, avant qu'on
l'eût admis. Je venais de fêter trois rois, et je n'étais plus
tout à fait l'homme du matin: mais le lendemain, j'en
ai fait l'aveu moi-même à votre député; ce qui équivalait
à lui en demander pardon. Que cet homme n'entre pour
rien dans notre différend. S'il faut que nous contestions
ensemble, qu'il ne soit plus question de lui.
|
ANTONY.
Sir,
He fell upon me ere admitted, then.
Three kings I had newly feasted, and did want
Of what I was i’ th’ morning. But next day
I told him of myself, which was as much
As to have asked him pardon. Let this fellow
Be nothing of our strife; if we contend,
Out of our question wipe him.
|
CÉSAR.
— Vous avez violé un article de vos serments,
ce que vous n'aurez jamais à me reprocher.
|
CAESAR.
You have broken
The article of your oath, which you shall never
Have tongue to charge me with.
|
LÉPIDE.
— Doucement, César.
|
LEPIDUS.
Soft, Caesar!
|
ANTOINE.
— Non, Lépide, laissez-le parler, l'honneur
dont il parle maintenant est sacré, en supposant que
j'en ai manqué; voyons, César, l'article de mon serment....
|
ANTONY.
No, Lepidus, let him speak.
The honour is sacred which he talks on now,
Supposing that I lacked it. But on, Caesar:
The article of my oath?
|
CÉSAR.
— C'était de me prêter vos armes et votre secours
à ma première réquisition; vous m'avez refusé l'un et l'autre.
|
CAESAR.
To lend me arms and aid when I required them,
The which you both denied.
|
ANTOINE.
— Dites plutôt négligé, et cela pendant ces
heures empoisonnées qui m'avaient ôté la connaissance
de moi-même. Je vous en témoignerai mon repentir autant
que je le pourrai; mais ma franchise n'avilira point
ma grandeur, comme ma puissance ne fera rien sans ma
franchise. La vérité est que Fulvie, pour m'attirer hors
d'Égypte, vous a fait la guerre ici. Et moi, qui étais
sans le savoir le motif de cette guerre, je vous en fais
toutes les excuses où mon honneur peut descendre en
pareille occasion.
|
ANTONY.
Neglected, rather;
And then when poisoned hours had bound me up
From mine own knowledge. As nearly as I may
I’ll play the penitent to you. But mine honesty
Shall not make poor my greatness, nor my power
Work without it. Truth is that Fulvia,
To have me out of Egypt, made wars here,
For which myself, the ignorant motive, do
So far ask pardon as befits mine honour
To stoop in such a case.
|
LÉPIDE.
— C'est noblement parler.
|
LEPIDUS.
’Tis noble spoken.
|
MÉCÈNE.
— S'il pouvait vous plaire de ne pas pousser
plus loin vos griefs réciproques, de les oublier tout à fait,
pour vous souvenir que le besoin présent vous invite à
vous réconcilier?
|
MAECENAS.
If it might please you to enforce no further
The griefs between ye; to forget them quite
Were to remember that the present need
Speaks to atone you.
|
LÉPIDE.
— Sagement parlé, Mécène.
|
LEPIDUS.
Worthily spoken, Maecenas.
|
ÉNOBARBUS.
— Ou bien empruntez-vous l'un à l'autre,
pour le moment, votre affection; et quand vous n'entendrez
plus parler de Pompée, alors vous vous la rendrez:
vous aurez tout le loisir de vous disputer, quand vous
n'aurez pas autre chose à faire.
|
ENOBARBUS.
Or, if you borrow one another’s love for the instant, you may, when you
hear no more words of Pompey, return it again. You shall have time to
wrangle in when you have nothing else to do.
|
ANTOINE.
— Tu n'es qu'un soldat: tais-toi.
|
ANTONY.
Thou art a soldier only. Speak no more.
|
ÉNOBARBUS.
— J'avais presque oublié que la vérité devait
se taire.
|
ENOBARBUS.
That truth should be silent I had almost forgot.
|
ANTOINE.
— Tu manques de respect à cette assemblée;
ne dis plus rien.
|
ANTONY.
You wrong this presence; therefore speak no more.
|
ÉNOBARBUS.
— Allons, poursuivez. Je suis muet comme
une pierre.
|
ENOBARBUS.
Go to, then. Your considerate stone!
|
CÉSAR.
— Je ne désapprouve point le fond, mais bien, la
forme de son discours. — Il n'est pas possible que nous
restions amis, nos principes et nos actions différant si
fort. Cependant, si je connaissais un lien assez fort pour
nous tenir étroitement unis, je le chercherais dans le
monde entier.
|
CAESAR.
I do not much dislike the matter, but
The manner of his speech; for’t cannot be
We shall remain in friendship, our conditions
So differing in their acts. Yet if I knew
What hoop should hold us staunch, from edge to edge
O’ th’ world I would pursue it.
|
AGRIPPA.
— Permettez-moi, César...
|
AGRIPPA.
Give me leave, Caesar.
|
CÉSAR.
— Parle, Agrippa.
|
CAESAR.
Speak, Agrippa.
|
AGRIPPA.
— Vous avez du côté maternel une soeur, la
belle Octavie. Le grand Marc-Antoine est veuf maintenant.
|
AGRIPPA.
Thou hast a sister by the mother’s side,
Admired Octavia. Great Mark Antony
Is now a widower.
|
CÉSAR.
— Ne parle pas ainsi, Agrippa; si Cléopâtre t'entendait,
elle te reprocherait, avec raison, ta témérité....
|
CAESAR.
Say not so, Agrippa.
If Cleopatra heard you, your reproof
Were well deserved of rashness.
|
ANTOINE.
— Je ne suis pas marié, César; laissez-moi entendre
Agrippa.
|
ANTONY.
I am not married, Caesar. Let me hear
Agrippa further speak.
|
AGRIPPA.
— Pour entretenir entre vous une éternelle
amitié, pour faire de vous deux frères, et unir vos cœurs
par un noeud indissoluble, il faut qu'Antoine épouse
Octavie: sa beauté réclame pour époux le plus illustre
des mortels; ses vertus et ses grâces en tout genre disent
ce qu'elles peuvent seules exprimer. Cet hymen dissipera
toutes ces petites jalousies, qui maintenant vous paraissent
si grandes; et toutes les grandes craintes qui vous
offrent maintenant des dangers sérieux s'évanouiront.
Les vérités même ne vous paraîtront alors que des fables,
tandis que la moitié d'une fable passe maintenant pour
la vérité. Sa tendresse pour tous les deux vous enchaînerait
l'un à l'autre et vous attirerait à tous deux tous les
cœurs. Pardonnez ce que je viens de dire: ce n'est pas la
pensée du moment, mais une idée étudiée et méditée par
le devoir.
|
AGRIPPA.
To hold you in perpetual amity,
To make you brothers, and to knit your hearts
With an unslipping knot, take Antony
Octavia to his wife; whose beauty claims
No worse a husband than the best of men;
Whose virtue and whose general graces speak
That which none else can utter. By this marriage
All little jealousies, which now seem great,
And all great fears, which now import their dangers,
Would then be nothing. Truths would be tales,
Where now half-tales be truths. Her love to both
Would each to other, and all loves to both,
Draw after her. Pardon what I have spoke,
For ’tis a studied, not a present thought,
By duty ruminated.
|
ANTOINE.
— César veut-il parler?
|
ANTONY.
Will Caesar speak?
|
CÉSAR.
— Non, jusqu'à ce qu'il sache comment Antoine
reçoit cette proposition.
|
CAESAR.
Not till he hears how Antony is touched
With what is spoke already.
|
ANTOINE.
— Quels pouvoirs aurait Agrippa, pour accomplir
ce qu'il propose, si je disais: Agrippa, j'y consens?
|
ANTONY.
What power is in Agrippa,
If I would say “Agrippa, be it so,”
To make this good?
|
CÉSAR.
— Le pouvoir de César, et celui qu'a César sur
Octavie.
|
CAESAR.
The power of Caesar, and
His power unto Octavia.
|
ANTOINE.
— Loin de moi la pensée de mettre obstacle
à ce bon dessein, qui offre tant de belles espérances!
(A César.) Donnez-moi votre main, accomplissez cette
gracieuse ouverture, et qu'à compter de ce moment un
cœur fraternel inspire notre tendresse mutuelle et préside
à nos grands desseins.
|
ANTONY.
May I never
To this good purpose, that so fairly shows,
Dream of impediment! Let me have thy hand.
Further this act of grace; and from this hour
The heart of brothers govern in our loves
And sway our great designs!
|
CÉSAR.
— Voilà ma main. Je vous cède une soeur aimée
comme jamais soeur ne fut aimée de son frère. Qu'elle
vive pour unir nos empires et nos cœurs, et que notre
amitié ne s'évanouisse plus!
|
CAESAR.
There’s my hand.
A sister I bequeath you, whom no brother
Did ever love so dearly. Let her live
To join our kingdoms and our hearts; and never
Fly off our loves again!
|
LÉPIDE.
— Heureuse réconciliation! Ainsi soit-il.
|
LEPIDUS.
Happily, amen!
|
ANTOINE.
— Je ne songeais pas à tirer l'épée contre
Pompée: il m'a tout récemment accablé des égards les
plus grands et les plus rares; il faut qu'au moins je lui
en exprime ma reconnaissance, pour me dérober au reproche
d'ingratitude: immédiatement après, je lui envoie un défi.
|
ANTONY.
I did not think to draw my sword ’gainst Pompey,
For he hath laid strange courtesies and great
Of late upon me. I must thank him only,
Lest my remembrance suffer ill report;
At heel of that, defy him.
|
LÉPIDE.
— Le temps presse; il nous faut chercher tout
de suite Pompée, ou il va nous prévenir.
|
LEPIDUS.
Time calls upon ’s.
Of us must Pompey presently be sought,
Or else he seeks out us.
|
ANTOINE.
— Et où est-il?
|
ANTONY.
Where lies he?
|
CÉSAR.
— Près du mont Misène.
|
CAESAR.
About the Mount Misena.
|
ANTOINE.
— Quelles sont ses forces sur terre?
|
ANTONY.
What is his strength by land?
|
CÉSAR.
— Elles sont grandes et augmentent tous les
jours: sur mer, il est maître absolu.
|
CAESAR.
Great and increasing; but by sea
He is an absolute master.
|
ANTOINE.
— C'est le bruit qui court. Je voudrais avoir eu
une conférence avec lui: hâtons-nous de nous la procurer;
mais avant de nous mettre en campagne, dépêchons
l'affaire dont nous avons parlé.
|
ANTONY.
So is the fame.
Would we had spoke together! Haste we for it.
Yet, ere we put ourselves in arms, dispatch we
The business we have talked of.
|
CÉSAR.
— Avec la plus grande joie, et je vous invite à venir
voir ma soeur; je vais de ce pas vous conduire chez elle.
|
CAESAR.
With most gladness,
And do invite you to my sister’s view,
Whither straight I’ll lead you.
|
ANTOINE.
— Lépide, ne nous privez pas de votre compagnie.
|
ANTONY.
Let us, Lepidus, not lack your company.
|
LÉPIDE.
— Noble Antoine, les infirmités mêmes ne me
retiendraient pas.
|
LEPIDUS.
Noble Antony, not sickness should detain me.
|
(Fanfares; Antoine, César, Lépide sortent.)
|
[Flourish. Exeunt all except Enobarbus, Agrippa and Maecenas.]
|
MÉCÈNE.
— Soyez le bienvenu d'Égypte, seigneur Énobarbus.
|
MAECENAS.
Welcome from Egypt, sir.
|
ÉNOBARBUS.
— Seconde moitié du cœur de César, digne
Mécène! — Mon honorable ami Agrippa!
|
ENOBARBUS.
Half the heart of Caesar, worthy Maecenas! My honourable friend,
Agrippa!
|
AGRIPPA.
— Bon Énobarbus!
|
AGRIPPA.
Good Enobarbus!
|
MÉCÈNE.
— Nous devons être joyeux, en voyant tout si
heureusement terminé. — Vous vous êtes bien trouvé en
Égypte?
|
MAECENAS.
We have cause to be glad that matters are so well digested. You stayed
well by ’t in Egypt.
|
ÉNOBARBUS.
— Oui, Mécène. Nous dormions tant que le
jour durait, et nous passions les nuits à boire jusqu'à la
pointe du jour.
|
ENOBARBUS.
Ay, sir, we did sleep day out of countenance and made the night light
with drinking.
|
MÉCÈNE.
— Huit sangliers rôtis pour un déjeuner! et
douze convives seulement! Le fait est-il vrai?
|
MAECENAS.
Eight wild boars roasted whole at a breakfast, and but twelve persons
there. Is this true?
|
ÉNOBARBUS.
— Ce n'était là qu'une mouche pour un
aigle; nous avions, dans nos festins, bien d'autres plats
monstrueux et dignes d'être remarqués.
|
ENOBARBUS.
This was but as a fly by an eagle. We had much more monstrous matter of
feast, which worthily deserved noting.
|
MÉCÈNE.
— C'est une reine bien magnifique, si la renommée
dit vrai.
|
MAECENAS.
She’s a most triumphant lady, if report be square to her.
|
ÉNOBARBUS.
— Dès sa première entrevue avec Marc-Antoine
sur le fleuve Cydnus, elle a pris son cœur dans ses
filets.
|
ENOBARBUS.
When she first met Mark Antony, she pursed up his heart upon the river
of Cydnus.
|
AGRIPPA.
— En effet, c'est sur ce fleuve qu'elle s'est
offerte à ses yeux, si celui qui m'en a fait le récit n'a pas
inventé.
|
AGRIPPA.
There she appeared indeed, or my reporter devised well for her.
|
ÉNOBARBUS.
— Je vais vous raconter cette entrevue:
La galère où elle était assise, ainsi qu'un trône éclatant,
semblait brûler sur les eaux. La poupe était d'or
massif, les voiles de pourpre, et si parfumées, que les
vents venaient s'y jouer avec amour. Les rames d'argent
frappaient l'onde en cadence au son des flûtes, et les flots
amoureux se pressaient à l'envie à la suite du vaisseau.
Pour Cléopâtre, il n'est point d'expression qui puisse la
peindre. Couchée sous un pavillon de tissu d'or, elle
effaçait cette Vénus fameuse où nous voyons l'imagination
surpasser la nature; à ses côtés étaient assis de
jeunes et beaux enfants, comme un groupe de riants
amours, qui agitaient des éventails de couleurs variées,
dont le vent semblait colorer les joues délicates qu'ils rafraîchissaient
comme s'ils eussent produit cette chaleur
qu'ils diminuaient.
|
ENOBARBUS.
I will tell you.
The barge she sat in, like a burnished throne,
Burned on the water. The poop was beaten gold;
Purple the sails, and so perfumed that
The winds were love-sick with them; the oars were silver,
Which to the tune of flutes kept stroke, and made
The water which they beat to follow faster,
As amorous of their strokes. For her own person,
It beggared all description: she did lie
In her pavilion, cloth-of-gold of tissue,
O’erpicturing that Venus where we see
The fancy outwork nature. On each side her
Stood pretty dimpled boys, like smiling Cupids,
With divers-coloured fans, whose wind did seem
To glow the delicate cheeks which they did cool,
And what they undid did.
|
AGRIPPA.
— O spectacle admirable pour Antoine!...
|
AGRIPPA.
O, rare for Antony!
|
ÉNOBARBUS.
— Ses femmes, comme autant de Néréides
et de Sirènes, cherchaient à deviner ses ordres dans ses
regards et s'inclinaient avec grâce. Une d'elles, telle
qu'une vraie sirène, assise au gouvernail, dirige le vaisseau:
les cordages de soie obéissent à ces mains douces
comme les fleurs, qui manoeuvrent avec dextérité. Du
sein de la galère s'exhalent d'invisibles parfums qui
frappent les sens, sur les quais adjacents. La ville envoie
tous ses habitants au-devant d'elle: Antoine, assis sur
un trône au milieu de la place publique, est resté seul,
haranguant l'air, qui, sans son horreur pour le vide, eût
aussi été contempler Cléopâtre et eût abandonné sa place
dans la nature.
|
ENOBARBUS.
Her gentlewomen, like the Nereides,
So many mermaids, tended her i’ th’ eyes,
And made their bends adornings. At the helm
A seeming mermaid steers. The silken tackle
Swell with the touches of those flower-soft hands
That yarely frame the office. From the barge
A strange invisible perfume hits the sense
Of the adjacent wharfs. The city cast
Her people out upon her, and Antony,
Enthroned i’ th’ market-place, did sit alone,
Whistling to th’ air, which, but for vacancy,
Had gone to gaze on Cleopatra too,
And made a gap in nature.
|
AGRIPPA.
— O merveille de l'Égypte!
|
AGRIPPA.
Rare Egyptian!
|
ÉNOBARBUS.
— Aussitôt qu'elle fut débarquée, Antoine
envoya vers elle et l'invita à souper. Elle répondit qu'il
vaudrait mieux qu'il devînt son hôte, et qu'elle l'en conjurait.
Notre galant Antoine, à qui jamais femme n'entendit
prononcer le mot non, va au festin après s'être fait
raser dix fois, et, selon sa coutume, il paye de son cœur
ce que ses yeux seuls ont dévoré.
|
ENOBARBUS.
Upon her landing, Antony sent to her,
Invited her to supper. She replied
It should be better he became her guest,
Which she entreated. Our courteous Antony,
Whom ne’er the word of “No” woman heard speak,
Being barbered ten times o’er, goes to the feast,
And, for his ordinary, pays his heart
For what his eyes eat only.
|
AGRIPPA.
— Prostituée royale! elle fit déposer au grand
César son épée sur son lit; il la cultiva, et elle porta un fruit.
|
AGRIPPA.
Royal wench!
She made great Caesar lay his sword to bed.
He ploughed her, and she cropped.
|
ÉNOBARBUS.
— Je l'ai vue une fois sauter à cloche-pied
pendant quarante pas, dans les rues d'Alexandrie; et
bientôt, perdant haleine, elle parla, tout essoufflée; elle
se fit une nouvelle perfection de ce manque de forces, et
de sa bouche sans haleine il s'exhalait un charme tout-puissant.
|
ENOBARBUS.
I saw her once
Hop forty paces through the public street
And, having lost her breath, she spoke and panted,
That she did make defect perfection,
And, breathless, pour breath forth.
|
MÉCÈNE.
— A présent, voilà Antoine obligé de la quitter
pour toujours.
|
MAECENAS.
Now Antony must leave her utterly.
|
ÉNOBARBUS.
— Jamais, il ne la quittera pas. L'âge ne peut
la flétrir, ni l'habitude épuiser l'infinie variété de ses appas.
Les autres femmes rassasient les désirs qu'elles satisfont;
mais elle, plus elle donne, plus elle affame; car
les choses les plus viles ont de la grâce chez elle: tellement,
que les prêtres sacrés la bénissent au milieu de ses
débauches.
|
ENOBARBUS.
Never. He will not.
Age cannot wither her, nor custom stale
Her infinite variety. Other women cloy
The appetites they feed, but she makes hungry
Where most she satisfies. For vilest things
Become themselves in her, that the holy priests
Bless her when she is riggish.
|
MÉCÈNE.
— Si la beauté, la sagesse et la modestie peuvent
fixer le cœur d'Antoine, Octavie est pour lui un heureux lot.
|
MAECENAS.
If beauty, wisdom, modesty can settle
The heart of Antony, Octavia is
A blessed lottery to him.
|
AGRIPPA.
— Allons-nous-en. Cher Énobarbus, deviens
mon hôte pendant ton séjour ici.
|
AGRIPPA.
Let us go.
Good Enobarbus, make yourself my guest
Whilst you abide here.
|
ÉNOBARBUS.
— Seigneur, je vous remercie humblement.
|
ENOBARBUS.
Humbly, sir, I thank you.
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE V
|
SCENE V.
|
Alexandrie.
Appartement du palais.
|
Alexandria.
A Room in the Palace.
|
CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, ALEXAS.
|
Enter Cleopatra, Charmian, Iras, Alexas.
|
CLÉOPÂTRE.
— Faites-moi de la musique. La musique est
l'aliment mélancolique de ceux qui ne vivent que d'amour.
|
CLEOPATRA.
Give me some music—music, moody food
Of us that trade in love.
|
LES SUIVANTES.
— La musique! Eh!
|
ALL.
The music, ho!
|
(Mardian entre.)
|
Enter Mardian, the eunuch.
|
CLÉOPÂTRE.
— Non, point de musique; allons plutôt jouer
au billard. Viens, Charmiane.
|
CLEOPATRA.
Let it alone. Let’s to billiards. Come, Charmian.
|
CHARMIANE.
— Mon bras me fait mal; vous ferez mieux
de jouer avec Mardian.
|
CHARMIAN.
My arm is sore. Best play with Mardian.
|
CLÉOPÂTRE.
— Autant jouer avec un eunuque qu'avec
une femme. Allons, Mardian, veux-tu faire ma partie?
|
CLEOPATRA.
As well a woman with an eunuch played
As with a woman. Come, you’ll play with me, sir?
|
MARDIAN.
— Aussi bien que je pourrai, madame.
|
MARDIAN.
As well as I can, madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— Dès que l'acteur montre de la bonne volonté,
quand il ne réussirait pas, il a droit à notre indulgence.
— Mais je ne jouerai pas à présent. — Donnez-moi
mes lignes; nous irons à la rivière, et là, tandis que
ma musique se fera entendre dans le lointain, je tendrai
des pièges aux poissons dorés: mon hameçon courbé
percera leurs molles ouïes.....et à chaque poisson que
je tirerai hors de l'eau, m'imaginant prendre un Antoine,
je m'écrierai: Ah! vous voilà pris.
|
CLEOPATRA.
And when good will is showed, though’t come too short,
The actor may plead pardon. I’ll none now.
Give me mine angle; we’ll to the river. There,
My music playing far off, I will betray
Tawny-finned fishes. My bended hook shall pierce
Their slimy jaws, and as I draw them up
I’ll think them every one an Antony,
And say “Ah, ha! You’re caught.”
|
CHARMIANE.
— C'était un tour bien plaisant, lorsque vous
fites une gageure avec Antoine sur votre pêche, et qu'il
tira de l'eau avec transport un poisson salé que votre
plongeur avait attaché à sa ligne.
|
CHARMIAN.
’Twas merry when
You wagered on your angling; when your diver
Did hang a salt fish on his hook, which he
With fervency drew up.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ce temps-là! O temps! Je le plaisantai
jusqu'à lui faire perdre patience; la nuit suivante, ma
gaieté lui rendit la patience, et le lendemain matin,
avant la neuvième heure, je l'enivrai au point qu'il alla
se mettre au lit: je le couvris de mes robes et de mes
manteaux, et moi je ceignis son épée Philippine....
(Entre un messager.) Oh! des nouvelles d'Italie! Introduis
tes fécondes nouvelles dans mes oreilles, qui ont été si
longtemps à sec.
|
CLEOPATRA.
That time?—O times!—
I laughed him out of patience; and that night
I laughed him into patience, and next morn,
Ere the ninth hour, I drunk him to his bed,
Then put my tires and mantles on him, whilst
I wore his sword Philippan.
Enter Messenger.
O! from Italy!
Ram thou thy fruitful tidings in mine ears,
That long time have been barren.
|
LE MESSAGER.
— Madame.... madame....
|
MESSENGER.
Madam, madam—
|
CLÉOPÂTRE.
— Antoine est mort? Si tu le dis, misérable,
tu assassines ta maîtresse. Mais s'il est libre et bien portant,
si c'est là ce que tu viens m'apprendre, voilà de l'or,
et baise les veines azurées de cette main, de cette
main que des rois ont pressée de leurs lèvres, et n'ont
baisée qu'en tremblant.
|
CLEOPATRA.
Antony’s dead! If thou say so, villain,
Thou kill’st thy mistress. But well and free,
If thou so yield him, there is gold, and here
My bluest veins to kiss, a hand that kings
Have lipped, and trembled kissing.
|
LE MESSAGER.
— D'abord, madame: il se porte bien.
|
MESSENGER.
First, madam, he’s well.
|
CLÉOPÂTRE.
— Tiens, voilà encore de l'or; mais prends
garde, coquin. Nous disons ordinairement que les morts
vont bien. Si c'est là ce que tu veux dire, cet or que je te
donne, je le ferai fondre et le verserai tout brûlant dans
la gorge qui annonce des malheurs.
|
CLEOPATRA.
Why, there’s more gold.
But sirrah, mark, we use
To say the dead are well. Bring it to that,
The gold I give thee will I melt and pour
Down thy ill-uttering throat.
|
LE MESSAGER.
— Grande reine, daignez m'écouter.
|
MESSENGER.
Good madam, hear me.
|
CLÉOPÂTRE.
— Allons, j'y consens; poursuis: mais il n'y
a rien de bon dans ta figure. Si Antoine est libre et plein
de santé, pourquoi cette physionomie si sombre, pour
annoncer des nouvelles si heureuses? S'il n'est pas bien,
tu devrais te présenter devant moi comme une furie couronnée
de serpents, et non sous la forme d'un homme.
|
CLEOPATRA.
Well, go to, I will.
But there’s no goodness in thy face if Antony
Be free and healthful. So tart a favour
To trumpet such good tidings! If not well,
Thou shouldst come like a Fury crowned with snakes,
Not like a formal man.
|
LE MESSAGER.
— Vous plaît-il de m'entendre?
|
MESSENGER.
Will’t please you hear me?
|
CLÉOPÂTRE.
— J'ai envie de te frapper avant que tu
parles. Cependant, si tu me dis qu'Antoine vit et se porte
bien, ou qu'il est ami de César, et non pas son esclave,
je verserai sur ta tête une pluie d'or et une grêle de
perles.
|
CLEOPATRA.
I have a mind to strike thee ere thou speak’st.
Yet if thou say Antony lives, is well,
Or friends with Caesar, or not captive to him,
I’ll set thee in a shower of gold and hail
Rich pearls upon thee.
|
LE MESSAGER.
— Madame, il se porte bien.
|
MESSENGER.
Madam, he’s well.
|
CLÉOPÂTRE.
— C'est bien parlé.
|
CLEOPATRA.
Well said.
|
LE MESSAGER.
— Et il est ami de César.
|
MESSENGER.
And friends with Caesar.
|
CLÉOPÂTRE.
— Tu es un brave homme.
|
CLEOPATRA.
Th’ art an honest man.
|
LE MESSAGER.
— César et lui sont plus amis que jamais.
|
MESSENGER.
Caesar and he are greater friends than ever.
|
CLÉOPÂTRE.
— Tu feras ta fortune avec moi.
|
CLEOPATRA.
Make thee a fortune from me.
|
LE MESSAGER.
— Mais cependant, madame...
|
MESSENGER.
But yet, madam—
|
CLÉOPÂTRE.
— Je n'aime point ce mais cependant, il gâte
les bonnes nouvelles; j'abhorre ce mais qui précède
cependant. Mais cependant est comme un geôlier qui va
traîner après lui quelque monstrueux malfaiteur. De
grâce, ami, verse tout ce que tu portes dans mon oreille,
le bien et le mal à la fois... Il est ami de César, il est en
pleine santé, dis-tu? il est libre, dis-tu encore?
|
CLEOPATRA.
I do not like “But yet”, it does allay
The good precedence. Fie upon “But yet”!
“But yet” is as a gaoler to bring forth
Some monstrous malefactor. Prithee, friend,
Pour out the pack of matter to mine ear,
The good and bad together: he’s friends with Caesar,
In state of health, thou say’st; and, thou say’st, free.
|
LE MESSAGER.
— Libre, madame, non; je ne vous ai rien
dit de semblable. Il est lié à Octavie.
|
MESSENGER.
Free, madam? No. I made no such report.
He’s bound unto Octavia.
|
CLÉOPÂTRE.
— Pour quel service?
|
CLEOPATRA.
For what good turn?
|
LE MESSAGER.
— Pour le meilleur service, celui du lit.
|
MESSENGER.
For the best turn i’ th’ bed.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je pâlis, Charmiane.
|
CLEOPATRA.
I am pale, Charmian.
|
LE MESSAGER.
— Madame, il est marié à Octavie.
|
MESSENGER.
Madam, he’s married to Octavia.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que la peste la plus contagieuse t'atteigne!
|
CLEOPATRA.
The most infectious pestilence upon thee!
|
|
[Strikes him down.]
|
LE MESSAGER.
— Madame, de la patience.
|
MESSENGER.
Good madam, patience.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que dis-tu? Sors d'ici, horrible scélérat!
(Elle le frappe) ou avec mon pied je repousserai tes yeux
comme des billes; j'arracherai tous les cheveux de ta tête.
(Elle le maltraite.) Tu seras fouetté avec des verges de
fer trempées dans de l'eau salée; tes plaies, imprégnées
de saumure, seront cuisantes.
|
CLEOPATRA.
What say you?
[Strikes him again.]
Hence, horrible villain, or I’ll spurn thine eyes
Like balls before me! I’ll unhair thy head!
[She hales him up and down.]
Thou shalt be whipped with wire and stewed in brine,
Smarting in ling’ring pickle.
|
LE MESSAGER.
— Gracieuse reine, je vous apporte ces
nouvelles, mais je n'ai pas fait le mariage.
|
MESSENGER.
Gracious madam,
I that do bring the news made not the match.
|
CLÉOPÂTRE.
— Dis que ce n'est pas vrai, et je te donnerai
une province; tu parviendras à la fortune la plus brillante.
Le coup que tu as reçu te fera pardonner de m'avoir
mise en fureur, et je t'accorderai, en outre, tout ce
que tu jugeras à propos de demander.
|
CLEOPATRA.
Say ’tis not so, a province I will give thee,
And make thy fortunes proud. The blow thou hadst
Shall make thy peace for moving me to rage,
And I will boot thee with what gift beside
Thy modesty can beg.
|
LE MESSAGER.
— Il est marié, madame.
|
MESSENGER.
He’s married, madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— Scélérat, tu as trop vécu.
|
CLEOPATRA.
Rogue, thou hast lived too long.
|
(Elle tire un poignard.)
|
[Draws a knife.]
|
LE MESSAGER.
— Ah! alors, je me sauve. Madame, que
prétendez-vous? Je ne suis coupable d'aucune faute.
|
MESSENGER.
Nay then I’ll run.
What mean you, madam? I have made no fault.
|
|
[Exit.]
|
CHARMIANE.
— Madame, contenez-vous; cet homme est
innocent.
|
CHARMIAN.
Good madam, keep yourself within yourself.
The man is innocent.
|
CLÉOPÂTRE.
— Il est des innocents qui n'échappent pas à
la foudre!... Que l'Égypte s'ensevelisse dans le Nil, et que
toutes les créatures bienfaisantes se transforment en serpents!...
Rappelez cet esclave: malgré ma rage, je ne le mordrai point;
rappelez-le.
|
CLEOPATRA.
Some innocents ’scape not the thunderbolt.
Melt Egypt into Nile, and kindly creatures
Turn all to serpents! Call the slave again.
Though I am mad, I will not bite him. Call!
|
CHARMIANE.
— Il a peur de revenir.
|
CHARMIAN.
He is afeard to come.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je ne le maltraiterai point: ces mains s'avilissent
en frappant un malheureux au-dessous de moi,
sans autre sujet que celui que je me suis donné moi-même.
Approche, mon ami. (Le messager revient.) Il n'y a
pas de crime; mais il y a toujours du danger à être porteur
de mauvaises nouvelles. Emprunte cent voix pour
un message agréable, mais laisse les nouvelles fâcheuses
s'annoncer elles-mêmes en se faisant sentir.
|
CLEOPATRA.
I will not hurt him.
[Exit Charmian.]
These hands do lack nobility that they strike
A meaner than myself, since I myself
Have given myself the cause.
Enter the Messenger again with Charmian.
Come hither, sir.
Though it be honest, it is never good
To bring bad news. Give to a gracious message
An host of tongues, but let ill tidings tell
Themselves when they be felt.
|
LE MESSAGER.
— J'ai rempli mon devoir.
|
MESSENGER.
I have done my duty.
|
CLÉOPÂTRE.
— Il est marié? Il ne m'est pas possible de te
haïr plus que je ne fais, si tu dis encore oui.
|
CLEOPATRA.
Is he married?
I cannot hate thee worser than I do
If thou again say “Yes.”
|
LE MESSAGER.
— Il est marié, madame.
|
MESSENGER.
He’s married, madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que les dieux te confondent! tu oses donc
persister?
|
CLEOPATRA.
The gods confound thee! Dost thou hold there still!
|
LE MESSAGER.
— Dois-je mentir, madame?
|
MESSENGER.
Should I lie, madam?
|
CLÉOPÂTRE.
— Oh! je voudrais que tu m'eusses menti;
dût la moitié de mon Égypte être submergée et changée
en citerne pour les serpents écailleux! Va, va-t'en.
Eusses-tu la beauté de Narcisse, tu me paraîtrais hideux...
Il est marié?...
|
CLEOPATRA.
O, I would thou didst,
So half my Egypt were submerged and made
A cistern for scaled snakes! Go, get thee hence.
Hadst thou Narcissus in thy face, to me
Thou wouldst appear most ugly. He is married?
|
LE MESSAGER.
— Je demande pardon à Votre Majesté.
|
MESSENGER.
I crave your highness’ pardon.
|
CLÉOPÂTRE.
— Il est marié?
|
CLEOPATRA.
He is married?
|
LE MESSAGER.
— Ne soyez point offensée de ce que je ne
voulais pas vous déplaire. Me punir, pour obéir à vos
ordres, ne me paraît pas juste. Il est marié à Octavie.
|
MESSENGER.
Take no offence that I would not offend you.
To punish me for what you make me do
Seems much unequal. He’s married to Octavia.
|
CLÉOPÂTRE.
— Oh! pourquoi son crime fait-il de toi, à
mes yeux, un scélérat que tu n'es pas! Quoi! es-tu bien
sûr de ce que tu dis?... Va-t'en, la marchandise que tu
as apportée de Rome est trop chère pour moi. Qu'elle repose
sur ta tête, et qu'elle cause ta perte.
|
CLEOPATRA.
O, that his fault should make a knave of thee
That art not what thou’rt sure of! Get thee hence!
The merchandise which thou hast brought from Rome
Are all too dear for me. Lie they upon thy hand,
And be undone by ’em!
|
(Le messager sort.)
|
[Exit Messenger.]
|
CHARMIANE.
— Noble reine, de la patience.
|
CHARMIAN.
Good your highness, patience.
|
CLÉOPÂTRE.
— En louant Antoine, j'ai déprécié César.
|
CLEOPATRA.
In praising Antony I have dispraised Caesar.
|
CHARMIANE.
— Bien, bien des fois, madame.
|
CHARMIAN.
Many times, madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— J'en suis punie aujourd'hui. Qu'on m'emmène
de ce lieu. Je succombe. Oh! Iras, Charmiane. — N'importe.
— Cher Alexas, va trouver cet homme, dis-lui
de te rendre compte des traits d'Octavie, de son âge, de
ses inclinations; qu'il n'oublie pas de dire la couleur de
ses cheveux. Reviens promptement m'en instruire.
(Alexas sort.)
Qu'il m'abandonne à jamais! — Mais non.
— Charmiane, quoique sous une face il m'offre les traits de
Gorgone, sous les autres il me parait un dieu Mars.
— Recommande à Alexas de me rapporter de quelle taille
elle est. — Aie pitié de moi, Charmiane; mais ne me parle
pas, conduis-moi à ma chambre.
|
CLEOPATRA.
I am paid for’t now.
Lead me from hence;
I faint. O Iras, Charmian! ’Tis no matter.
Go to the fellow, good Alexas, bid him
Report the feature of Octavia, her years,
Her inclination; let him not leave out
The colour of her hair. Bring me word quickly.
[Exit Alexas.]
Let him for ever go—let him not, Charmian.
Though he be painted one way like a Gorgon,
The other way ’s a Mars. [To Mardian] Bid you Alexas
Bring me word how tall she is. Pity me, Charmian,
But do not speak to me. Lead me to my chamber.
|
(Elles sortent.)
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE VI
|
SCENE VI.
|
Les côtes d'Italie, près de Misène.
|
Near Misenum.
|
POMPÉE ET MÉNAS entrent d'un côté au son du tambour et des
trompettes; de l'autre, CÉSAR, ANTOINE, LÉPIDE, ÉNOBARBUS,
MÉCÈNE ET AGRIPPA paraissent avec leurs
soldats.
|
Flourish. Enter Pompey and Menas at one door, with drum and trumpet;
at another, Caesar, Lepidus, Antony, Enobarbus, Maecenas, Agrippa,
with Soldiers marching.
|
POMPÉE.
— J'ai reçu vos otages, vous avez les miens,
et nous causerons avant de nous battre.
|
POMPEY.
Your hostages I have, so have you mine,
And we shall talk before we fight.
|
CÉSAR.
— Il convient que nous commencions par conférer
ensemble, et c'est pourquoi nous vous avons envoyé
nos propositions par écrit. Si vous les avez examinées,
faites-nous savoir si elles enchaîneront votre épée mécontente,
et renverront en Sicile une foule de belle jeunesse,
qui autrement doit périr ici.
|
CAESAR.
Most meet
That first we come to words, and therefore have we
Our written purposes before us sent,
Which if thou hast considered, let us know
If ’twill tie up thy discontented sword
And carry back to Sicily much tall youth
That else must perish here.
|
POMPÉE.
— C'est à vous trois que je parle, vous les seuls
sénateurs de ce vaste univers et les illustres agents des
dieux. — Je ne vois pas pourquoi mon père manquerait
de vengeurs, puisqu'il laisse un fils et des amis; tandis
que Jules César, dont le fantôme apparut à Philippes au
vertueux Brutus, vous vit alors travailler pour lui. Quel
motif engagea le pâle Cassius à conspirer? Et ce Romain
vénéré de tous les hommes, le vertueux Brutus, quel
motif le porta, avec les autres guerriers de son parti,
amants de la belle liberté, à ensanglanter le Capitole? Ils
ne voulaient voir qu'un homme dans un homme, et rien
de plus. C'est le même motif qui m'a porté à équiper ma
flotte, dont le poids fait écumer l'Océan indigné; avec
elle, je veux châtier l'ingratitude que l'injuste Rome a
montrée à mon illustre père.
|
POMPEY.
To you all three,
The senators alone of this great world,
Chief factors for the gods: I do not know
Wherefore my father should revengers want,
Having a son and friends, since Julius Caesar,
Who at Philippi the good Brutus ghosted,
There saw you labouring for him. What was’t
That moved pale Cassius to conspire? And what
Made the all-honoured, honest Roman, Brutus,
With the armed rest, courtiers of beauteous freedom,
To drench the Capitol, but that they would
Have one man but a man? And that is it
Hath made me rig my navy, at whose burden
The angered ocean foams, with which I meant
To scourge th’ ingratitude that despiteful Rome
Cast on my noble father.
|
CÉSAR.
— Prenez votre temps.
|
CAESAR.
Take your time.
|
ANTOINE.
— Pompée, tu ne peux nous intimider avec tes
vaisseaux. Nous te répondrons sur mer. Sur terre, tu sais
combien nos forces dépassent les tiennes.
|
ANTONY.
Thou canst not fear us, Pompey, with thy sails.
We’ll speak with thee at sea. At land thou know’st
How much we do o’ercount thee.
|
POMPÉE.
— Sur terre, en effet, tes biens dépassent les
miens, tu as la maison de mon père; mais puisque le
coucou prend le nid des autres oiseaux, reste-s-y tant que
tu pourras.
|
POMPEY.
At land indeed
Thou dost o’ercount me of my father’s house;
But since the cuckoo builds not for himself,
Remain in’t as thou mayst.
|
LÉPIDE.
— Ayez la bonté de nous dire, car tout ceci s'éloigne
de la question présente, ce que vous décidez sur les offres que
nous vous avons envoyées?
|
LEPIDUS.
Be pleased to tell us—
For this is from the present—how you take
The offers we have sent you.
|
CÉSAR.
— Oui, voilà le point.
|
CAESAR.
There’s the point.
|
ANTOINE.
— On ne te prie pas de consentir. C'est à toi
de peser les choses, et de voir quel parti tu dois embrasser.
|
ANTONY.
Which do not be entreated to, but weigh
What it is worth embraced.
|
CÉSAR.
— Et quelles suites peut avoir l'envie de tenter
une plus grande fortune.
|
CAESAR.
And what may follow
To try a larger fortune.
|
POMPÉE.
— Vous m'offrez la Sicile et la Sardaigne, sous
la condition que je purgerai la mer des pirates, et que
j'enverrai du froment à Rome; ceci convenu, nous nous
séparerons avec nos épées sans brèche et nos boucliers
sans traces de combat?
|
POMPEY.
You have made me offer
Of Sicily, Sardinia; and I must
Rid all the sea of pirates; then to send
Measures of wheat to Rome. This ’greed upon,
To part with unhacked edges and bear back
Our targes undinted.
|
CÉSAR, ANTOINE ET LÉPIDE.
— C'est ce que nous offrons.
|
CAESAR, ANTONY, and LEPIDUS.
That’s our offer.
|
POMPÉE.
— Sachez donc que je suis ici devant vous, en
homme disposé à accepter vos offres. Mais Marc-Antoine
m'a un peu impatienté. Quand je devrais perdre le prix
du bienfait en le rappelant, vous devez vous souvenir,
Antoine, que, lorsque César et votre frère étaient en
guerre, votre mère se réfugia en Sicile, et qu'elle y trouva
un accueil amical.
|
POMPEY.
Know, then,
I came before you here a man prepared
To take this offer. But Mark Antony
Put me to some impatience. Though I lose
The praise of it by telling, you must know
When Caesar and your brother were at blows,
Your mother came to Sicily and did find
Her welcome friendly.
|
ANTOINE.
— J'en suis instruit, Pompée, et je me préparais
à vous exprimer toute la reconnaissance que je vous dois.
|
ANTONY.
I have heard it, Pompey,
And am well studied for a liberal thanks
Which I do owe you.
|
POMPÉE.
— Donnez-moi votre main. — Je ne m'attendais
pas, seigneur, à vous rencontrer en ces lieux.
|
POMPEY.
Let me have your hand.
I did not think, sir, to have met you here.
|
ANTOINE.
— Les lits d'Orient sont bien doux! et je vous
dois des remerciements, car c'est vous qui m'avez fait revenir
ici plus tôt que je ne comptais, et j'y ai beaucoup gagné.
|
ANTONY.
The beds i’ th’ East are soft; and thanks to you,
That called me timelier than my purpose hither,
For I have gained by ’t.
|
CÉSAR.
— Vous me paraissez changé depuis la dernière
fois que je vous ai vu.
|
CAESAR.
Since I saw you last,
There is a change upon you.
|
POMPÉE.
— Peut-être; je ne sais pas quelles marques la
fortune trace sur mon visage; mais elle ne pénétrera
jamais dans mon sein pour asservir mon cœur.
|
POMPEY.
Well, I know not
What counts harsh Fortune casts upon my face,
But in my bosom shall she never come
To make my heart her vassal.
|
LÉPIDE.
— Je suis bien satisfait de vous voir ici.
|
LEPIDUS.
Well met here.
|
POMPÉE.
— Je l'espère, Lépide. — Ainsi, nous voilà d'accord.
Je désire que notre traité soit mis par écrit et scellé
par nous.
|
POMPEY.
I hope so, Lepidus. Thus we are agreed.
I crave our composition may be written
And sealed between us.
|
CÉSAR.
— C'est ce qu'il faut faire tout de suite.
|
CAESAR.
That’s the next to do.
|
POMPÉE.
— Il faut nous fêter mutuellement avant de nous
séparer. Tirons au sort à qui commencera.
|
POMPEY.
We’ll feast each other ere we part, and let’s
Draw lots who shall begin.
|
ANTOINE.
— Moi, Pompée.
|
ANTONY.
That will I, Pompey.
|
POMPÉE.
— Non, Antoine, il faut que le sort en décide.
Mais, que vous soyez le premier ou le dernier, votre
fameuse cuisine égyptienne aura toujours la supériorité.
J'ai ouï dire que Jules César acquit de l'embonpoint dans
les banquets de cette contrée.
|
POMPEY.
No, Antony, take the lot.
But, first or last, your fine Egyptian cookery
Shall have the fame. I have heard that Julius Caesar
Grew fat with feasting there.
|
ANTOINE.
— Vous avez ouï dire bien des choses.
|
ANTONY.
You have heard much.
|
POMPÉE.
— Mon intention est innocente.
|
POMPEY.
I have fair meanings, sir.
|
ANTOINE.
— Et vos paroles aussi.
|
ANTONY.
And fair words to them.
|
POMPÉE.
— Voilà ce que j'ai ouï dire, et aussi qu'Appollodore
porta...
|
POMPEY.
Then so much have I heard.
And I have heard Apollodorus carried—
|
ÉNOBARBUS.
— N'en parlons plus. Le fait est vrai.
|
ENOBARBUS.
No more of that. He did so.
|
POMPÉE.
— Quoi, s'il vous plaît?
|
POMPEY.
What, I pray you?
|
ÉNOBARBUS.
— Une certaine reine à César dans un matelas.
|
ENOBARBUS.
A certain queen to Caesar in a mattress.
|
POMPÉE.
— Je te reconnais à présent. Comment te portes-tu,
guerrier?
|
POMPEY.
I know thee now. How far’st thou, soldier?
|
ÉNOBARBUS.
— Fort bien; et il y a apparence que je
continuerai, car j'aperçois à l'horizon quatre festins.
|
ENOBARBUS.
Well;
And well am like to do, for I perceive
Four feasts are toward.
|
POMPÉE.
— Donne-moi une poignée de main: je ne t'ai
jamais haï; je t'ai vu combattre, et tu m'as rendu jaloux
de ta valeur.
|
POMPEY.
Let me shake thy hand.
I never hated thee. I have seen thee fight
When I have envied thy behaviour.
|
ÉNOBARBUS.
— Moi, seigneur, je ne vous ai jamais beaucoup
aimé; mais j'ai fait votre éloge, quand vous méritiez
dix fois plus de louanges que je ne le disais.
|
ENOBARBUS.
Sir,
I never loved you much, but I ha’ praised ye
When you have well deserved ten times as much
As I have said you did.
|
POMPÉE.
— Conserve ta franchise, elle te sied bien.
— Je vous invite tous à bord de ma galère.
Voulez-vous me précéder, seigneurs?
|
POMPEY.
Enjoy thy plainness;
It nothing ill becomes thee.
Aboard my galley I invite you all.
Will you lead, lords?
|
TOUS.
— Montrez-nous le chemin.
|
CAESAR, ANTONY, and LEPIDUS.
Show’s the way, sir.
|
POMPÉE.
— Allons, venez.
|
POMPEY.
Come.
|
(Pompée, César, Antoine, Lépide, les soldats et la suite sortent.)
|
[Exeunt all but Enobarbus and Menas.]
|
MÉNAS, à part.
— Ton père, Pompée, n'eût jamais fait ce
traité. (À Énobarbus.)
Nous nous sommes connus, seigneur?
|
MENAS.
[Aside.] Thy father, Pompey, would ne’er have made this treaty.—
You and I have known, sir.
|
ÉNOBARBTUS.
— Sur mer, je crois.
|
ENOBARBUS.
At sea, I think.
|
MÉNAS.
— Oui, seigneur.
|
MENAS.
We have, sir.
|
ÉNOBARBUS.
— Vous avez fait des prouesses sur mer.
|
ENOBARBUS.
You have done well by water.
|
MÉNAS.
— Et vous sur terre.
|
MENAS.
And you by land.
|
ÉNOBARBUS.
— Je louerai toujours qui me louera. Mais
on ne peut nier mes exploits sur terre.
|
ENOBARBUS.
I will praise any man that will praise me, though it cannot be denied
what I have done by land.
|
MÉNAS.
— Ni mes exploits de mer non plus.
|
MENAS.
Nor what I have done by water.
|
ÉNOBARBUS.
— Oui, mais il y a quelque chose que vous
pouvez nier, pour votre sûreté.
— Vous avez été un grand voleur sur mer.
|
ENOBARBUS.
Yes, something you can deny for your own safety: you have been a great
thief by sea.
|
MÉNAS.
— Et vous sur terre.
|
MENAS.
And you by land.
|
ÉNOBARBUS.
— A ce titre, je nie mes services de terre.
— Mais
donnez-moi votre main, Ménas: si nos yeux avaient
quelque autorité, ils pourraient surprendre deux voleurs
qui s'embrassent.
|
ENOBARBUS.
There I deny my land service. But give me your hand, Menas. If our eyes
had authority, here they might take two thieves kissing.
|
MÉNAS.
— Le visage des hommes est sincère, quoi que
fassent leurs mains.
|
MENAS.
All men’s faces are true, whatsome’er their hands are.
|
ÉNOBARBUS.
— Mais il n'y eut jamais une belle femme
dont le visage fût sincère.
|
ENOBARBUS.
But there is never a fair woman has a true face.
|
MÉNAS.
— Ce n'est pas une calomnie: elles volent les
cœurs.
|
MENAS.
No slander. They steal hearts.
|
ÉNOBARBUS.
— Nous sommes venus ici pour vous combattre.
|
ENOBARBUS.
We came hither to fight with you.
|
MÉNAS.
— Quant à moi, je suis fâché que cela soit changé
en débauche. Pompée, aujourd'hui, perd sa fortune en riant.
|
MENAS.
For my part, I am sorry it is turned to a drinking. Pompey doth this
day laugh away his fortune.
|
ÉNOBARBUS.
— Si cela est, il est sûr que ses larmes ne la
rappelleront pas.
|
ENOBARBUS.
If he do, sure he cannot weep ’t back again.
|
MÉNAS.
— Vous l'avez dit, seigneur.
— Nous ne nous attendions
pas à trouver Marc-Antoine ici. Mais, je vous
prie, est-il marié à Cléopâtre?
|
MENAS.
You have said, sir. We looked not for Mark Antony here. Pray you, is he
married to Cleopatra?
|
ÉNOBARBUS.
— La soeur de César se nomme Octavie.
|
ENOBARBUS.
Caesar’s sister is called Octavia.
|
MÉNAS.
— Oui; elle était femme de Caïus Marcellus.
|
MENAS.
True, sir. She was the wife of Caius Marcellus.
|
ÉNOBARBUS.
— Mais elle est maintenant la femme de
Marc-Antoine.
|
ENOBARBUS.
But she is now the wife of Marcus Antonius.
|
MÉNAS.
— Plaît-il, seigneur?
|
MENAS.
Pray you, sir?
|
ÉNOBARBUS.
— Rien de plus vrai.
|
ENOBARBUS.
’Tis true.
|
MÉNAS.
— Les voilà donc, César et lui, liés ensemble
pour jamais.
|
MENAS.
Then is Caesar and he for ever knit together.
|
ÉNOBARBUS.
— Si j'étais obligé de deviner le sort de cette
union, je ne prédirais pas ainsi.
|
ENOBARBUS.
If I were bound to divine of this unity, I would not prophesy so.
|
MÉNAS.
— Je présume que la politique a eu plus de part
que l'amour à cette alliance?
|
MENAS.
I think the policy of that purpose made more in the marriage than the
love of the parties.
|
ÉNOBARBUS.
— Je le crois comme vous. Vous verrez que
le noeud qui semble aujourd'hui resserrer leur amitié
étranglera l'affection. Octavie est d'une humeur chaste,
froide et tranquille.
|
ENOBARBUS.
I think so too. But you shall find the band that seems to tie their
friendship together will be the very strangler of their amity. Octavia
is of a holy, cold, and still conversation.
|
MÉNAS.
— Qui ne voudrait que sa femme fût ainsi?
|
MENAS.
Who would not have his wife so?
|
ÉNOBARBUS.
— Celui qui n'a lui-même aucune de ces
qualités; c'est-à-dire Marc-Antoine. Il retournera à son
plat égyptien. Alors les soupirs d'Octavie enflammeront
la colère de César; et, comme je viens de le dire, ce qui
paraît faire la force de leur amitié, sera précisément la
cause de leur rupture. Antoine laissera toujours son
cœur où il l'a placé; il n'a épousé ici que les circonstances.
|
ENOBARBUS.
Not he that himself is not so; which is Mark Antony. He will to his
Egyptian dish again. Then shall the sighs of Octavia blow the fire up
in Caesar, and, as I said before, that which is the strength of their
amity shall prove the immediate author of their variance. Antony will
use his affection where it is. He married but his occasion here.
|
MÉNAS.
— Cela pourrait bien être. Allons, seigneur,
voulez-vous venir à bord? j'ai une santé à vous faire boire.
|
MENAS.
And thus it may be. Come, sir, will you aboard? I have a health for
you.
|
ÉNOBARBUS.
— Je l'accepterai. Nous avons utilisé nos gosiers
en Égypte.
|
ENOBARBUS.
I shall take it, sir. We have used our throats in Egypt.
|
MÉNAS.
— Allons, venez.
|
MENAS.
Come, let’s away.
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE VII
|
SCENE VII.
|
A bord de la galère de Pompée, près de Messine.
|
On board Pompey’s Galley, lying near Misenum.
|
SYMPHONIE. Entrent deux ou trois serviteurs avec un dessert.
|
Music. Enter two or three Servants with a banquet.
|
PREMIER SERVITEUR.
— C'est ici qu'ils se placeront, camarade.
La plante des pieds de quelques-uns ne tient
plus guère à la terre, le plus faible vent du monde les
renversera.
|
FIRST SERVANT.
Here they’ll be, man. Some o’ their plants are ill-rooted already;
the least wind i’ th’ world will blow them down.
|
SECOND SERVITEUR.
— Lépide est haut en couleur.
|
SECOND SERVANT.
Lepidus is high-coloured.
|
PREMIER SERVITEUR.
— Ils lui ont fait boire les coups de charité.
|
FIRST SERVANT.
They have made him drink alms-drink.
|
SECOND SERVITEUR.
— Quand ils se disent leurs vérités, il
leur crie: Allons, laissez cela, les réconcilie par ses prières,
et puis se réconcilie avec la liqueur.
|
SECOND SERVANT.
As they pinch one another by the disposition, he cries out “no more”,
reconciles them to his entreaty and himself to th’ drink.
|
PREMIER SERVITEUR.
— Ce qui élève une guerre violente
entre lui et sa tempérance.
|
FIRST SERVANT.
But it raises the greater war between him and his discretion.
|
SECOND SERVITEUR.
— Et voilà ce que c'est de mettre son
nom dans la compagnie des hommes supérieurs. J'aimerais
autant avoir dans mes mains un inutile roseau,
qu'une pertuisane que je ne pourrais soulever.
|
SECOND SERVANT.
Why, this it is to have a name in great men’s fellowship. I had as lief
have a reed that will do me no service as a partisan I could not heave.
|
PREMIER SERVITEUR.
— Être élevé dans une vaste sphère
pour s'y mouvoir sans y être vu, c'est n'avoir que les
cavités où les yeux devraient être; ce qui déforme cruellement
le visage.
|
FIRST SERVANT.
To be called into a huge sphere, and not to be seen to move in ’t, are
the holes where eyes should be, which pitifully disaster the cheeks.
|
(Les trompettes sonnent: arrivent Octave, Antoine,
Pompée, Lépide, Agrippa, Mécène, Énobarbus, Ménas
et autres capitaines.)
|
A sennet sounded. Enter Caesar, Antony, Pompey, Lepidus, Agrippa,
Maecenas, Enobarbus, Menas with other Captains.
|
ANTOINE, à César.
— Voilà comme ils font, seigneur; ils
mesurent la crue du Nil par certains degrés marqués sur
les pyramides: ils connaissent, par la hauteur plus ou
moins grande des eaux, si la disette ou l'abondance suivront.
Plus les eaux du Nil montent, plus il promet;
quand il se retire, le laboureur sème son grain sur le
limon et la vase, et bientôt les champs sont couverts
d'épis.
|
ANTONY.
[To Caesar.] Thus do they, sir: they take the flow o’ th’ Nile
By certain scales i’ th’ pyramid; they know
By th’ height, the lowness, or the mean, if dearth
Or foison follow. The higher Nilus swells,
The more it promises. As it ebbs, the seedsman
Upon the slime and ooze scatters his grain,
And shortly comes to harvest.
|
LÉPIDE.
— Vous avez là de prodigieux serpents.
|
LEPIDUS.
You’ve strange serpents there?
|
ANTOINE.
— Oui, Lépide.
|
ANTONY.
Ay, Lepidus.
|
LÉPIDE.
— Vos serpents d'Égypte naissent du limon par
l'opération de votre soleil: il en est de même de vos crocodiles?
|
LEPIDUS.
Your serpent of Egypt is bred now of your mud by the operation of your
sun; so is your crocodile.
|
ANTOINE.
— Tout comme vous le dites.
|
ANTONY.
They are so.
|
POMPÉE.
— Asseyons-nous, et qu'on apporte du vin. Une
santé à Lépide.
|
POMPEY.
Sit, and some wine! A health to Lepidus!
|
LÉPIDE.
— Je ne suis pas aussi bien que je devrais être,
mais jamais je ne reculerai.
|
LEPIDUS.
I am not so well as I should be, but I’ll ne’er out.
|
ÉNOBARBUS, à part.
— Non, jusqu'à ce que vous ayez dormi.
Jusque-là, je crains bien que vous n'avanciez.
|
ENOBARBUS.
Not till you have slept. I fear me you’ll be in till then.
|
LÉPIDE.
— Oui, j'ai entendu dire que les pyramides de
Ptolémée étaient bien belles. En vérité, je l'ai entendu dire.
|
LEPIDUS.
Nay, certainly, I have heard the Ptolemies’ pyramises are very goodly
things. Without contradiction I have heard that.
|
MÉNAS, à part, à Pompée.
— Pompée, un mot....
|
MENAS.
[Aside to Pompey.] Pompey, a word.
|
POMPÉE.
— Parle-moi à l'oreille. Que veux-tu?
|
POMPEY.
[Aside to Menas.] Say in mine ear what is ’t?
|
MÉNAS, à part, à Pompée.
— Levez-vous, mon général, je vous en conjure,
et daignez m'entendre.
|
MENAS.
[Whispers in ’s ear.] Forsake thy seat, I do beseech thee, captain,
And hear me speak a word.
|
POMPÉE.
— Laisse-moi; tout à l'heure... — Cette coupe
pour Lépide.
|
POMPEY.
[Aside to Menas.] Forbear me till anon.—
This wine for Lepidus!
|
LÉPIDE.
— Quelle espèce d'animal est-ce que votre crocodile?
|
LEPIDUS.
What manner o’ thing is your crocodile?
|
ANTOINE.
— Il a la forme d'un crocodile; il est large de
toute sa largeur et haut de toute sa hauteur. Il se meut
avec ses propres organes; il vit de ce qui le nourrit; et
quand ses éléments se décomposent, la transmigration s'opère.
|
ANTONY.
It is shaped, sir, like itself, and it is as broad as it hath breadth.
It is just so high as it is, and moves with it own organs. It lives by
that which nourisheth it, and the elements once out of it, it
transmigrates.
|
LÉPIDE.
— De quelle couleur est-il?
|
LEPIDUS.
What colour is it of?
|
ANTOINE.
— De sa couleur naturelle.
|
ANTONY.
Of its own colour too.
|
LÉPIDE.
— C'est un étrange serpent!
|
LEPIDUS.
’Tis a strange serpent.
|
ANTOINE.
— Oui! et les pleurs qu'il verse sont humides.
|
ANTONY.
’Tis so, and the tears of it are wet.
|
CÉSAR.
— Sera-t-il satisfait de cette description?
|
CAESAR.
Will this description satisfy him?
|
ANTOINE.
— Il le sera de la santé que Pompée lui propose,
ou sinon c'est un véritable Épicure.
|
ANTONY.
With the health that Pompey gives him, else he is a very epicure.
|
POMPÉE, à Menas.
— Allons, va te faire pendre. Tu viens me parler de cela?
Va-t'en; fais ce que je te dis.
— Où est la coupe que j'ai demandée?
|
POMPEY.
[Aside to Menas.] Go hang, sir, hang! Tell me of that? Away!
Do as I bid you.—Where’s this cup I called for?
|
MÉNAS, à part.
— Si, au nom de mes services, vous daignez m'entendre,
levez-vous de votre siége.
|
MENAS.
[Aside to Pompey.] If for the sake of merit thou wilt hear me,
Rise from thy stool.
|
POMPÉE. (Il se lève, et se retire à l'écart.)
— Je crois que tu es fou. Qu'y a-t-il?
|
POMPEY.
[Aside to Menas.] I think thou’rt mad.
[Rises and walks aside.]
The matter?
|
MÉNAS.
— Pompée, j'ai toujours servi, chapeau bas, ta
fortune.
|
MENAS.
I have ever held my cap off to thy fortunes.
|
POMPÉE.
— Tu m'as servi avec une grande fidélité. Qu'as-tu
encore à me dire ? — Allons, seigneurs, de la gaieté.
|
POMPEY.
Thou hast served me with much faith. What’s else to say?—
Be jolly, lords.
|
ANTOINE.
— Lépide, garde-toi de ces sables mouvants,
car tu t'enfonces.
|
ANTONY.
These quicksands, Lepidus,
Keep off them, for you sink.
|
MÉNAS, à Pompée.
Veux-tu être le seul maître de l'univers?
|
MENAS.
Wilt thou be lord of all the world?
|
POMPÉE.
— Que veux-tu dire?
|
POMPEY.
What sayst thou?
|
MÉNAS.
— Encore une fois, veux-tu être le seul maître de
l'univers?
|
MENAS.
Wilt thou be lord of the whole world?
That’s twice.
|
POMPÉE.
— Comment cela se pourrait-il?
|
POMPEY.
How should that be?
|
MÉNAS.
— Consens-y seulement; et, quelque faible que
tu puisses me croire, je suis l'homme qui te fera don de
l'univers.
|
MENAS.
But entertain it,
And though you think me poor, I am the man
Will give thee all the world.
|
POMPÉE.
— As-tu bien bu?
|
POMPEY.
Hast thou drunk well?
|
MÉNAS.
— Non, Pompée; je me suis abstenu de boire.
— Tu es, si tu oses l'être, le Jupiter de la terre:
tout ce que l'Océan embrasse, tout ce que la voûte du ciel enferme
est à toi, si tu veux le saisir.
|
MENAS.
No, Pompey, I have kept me from the cup.
Thou art, if thou dar’st be, the earthly Jove.
Whate’er the ocean pales or sky inclips
Is thine, if thou wilt have’t.
|
POMPÉE.
— Montre-moi par quel moyen?
|
POMPEY.
Show me which way.
|
MÉNAS.
— Ces trois maîtres du monde, ces rivaux sont
dans ton vaisseau: laisse-moi couper le câble, et, quand
nous serons en mer, leur trancher la tête, et tout est à
toi.
|
MENAS.
These three world-sharers, these competitors,
Are in thy vessel. Let me cut the cable,
And when we are put off, fall to their throats.
All then is thine.
|
POMPÉE.
— Ah! tu aurais dû le faire et non pas me le dire.
Ce serait en moi une trahison; de ta part, c'était un bon
service. Tu dois savoir que ce n'est pas mon intérêt qui
conduit mon honneur, mais mon honneur mon intérêt.
Repens-toi de ce que ta langue ait ainsi trahi ton projet.
Si tu l'avais exécuté à mon insu, j'aurais approuvé ensuite
l'action; mais à présent, je dois la condamner:
renonce à ton idée et va boire.
|
POMPEY.
Ah, this thou shouldst have done
And not have spoke on ’t! In me ’tis villainy;
In thee ’t had been good service. Thou must know
’Tis not my profit that does lead mine honour;
Mine honour it. Repent that e’er thy tongue
Hath so betray’d thine act. Being done unknown,
I should have found it afterwards well done,
But must condemn it now. Desist, and drink.
|
MÉNAS, à part.
— Eh bien! moi, je ne veux plus suivre ta
fortune sur son déclin. Quiconque cherche l'occasion et
ne la saisit pas, lorsqu'elle s'offre une fois, ne la retrouvera
jamais.
|
MENAS.
[Aside.] For this,
I’ll never follow thy palled fortunes more.
Who seeks, and will not take when once ’tis offered,
Shall never find it more.
|
POMPÉE.
— A la santé de Lépide!
|
POMPEY.
This health to Lepidus!
|
ANTOINE.
— Qu'on le porte sur le rivage; je vous ferai
raison pour lui, Pompée.
|
ANTONY.
Bear him ashore. I’ll pledge it for him, Pompey.
|
ÉNOBARBUS, tenant une coupe.
— A ta santé, Menas.
|
ENOBARBUS.
Here’s to thee, Menas!
|
MÉNAS.
— Bien volontiers, Énobarbus.
|
MENAS.
Enobarbus, welcome!
|
POMPÉE, à l'esclave.
— Remplis, jusqu'à cacher les bords.
|
POMPEY.
Fill till the cup be hid.
|
ÉNOBARBUS, montrant l'esclave qui emporte Lépide.
— Voilà un homme robuste, Ménas.
|
ENOBARBUS.
There’s a strong fellow, Menas.
[Pointing to the servant who carries off Lepidus.]
|
MÉNAS.
— Pourquoi ?
|
MENAS.
Why?
|
ÉNOBARBUS.
— Il porte la troisième partie du monde, ne
vois-tu pas?
|
ENOBARBUS.
’A bears the third part of the world, man. Seest not?
|
MÉNAS.
— En ce cas, la troisième partie du monde est
ivre: je voudrais qu'il le fût tout entier, pour qu'il pût
aller sur des roulettes.
|
MENAS.
The third part, then, is drunk. Would it were all,
That it might go on wheels!
|
ÉNOBARBUS.
— Allons, bois, et augmente les tours de
roues.
|
ENOBARBUS.
Drink thou. Increase the reels.
|
MÉNAS.
— Allons.
|
MENAS.
Come.
|
POMPÉE, à Antoine.
— Ce n'est pas encore là une fête d'Alexandrie.
|
POMPEY.
This is not yet an Alexandrian feast.
|
ANTOINE.
— Elle en approche bien.
— Heurtons les coupes,
holà! à la santé de César.
|
ANTONY.
It ripens towards it. Strike the vessels, ho!
Here is to Caesar!
|
CÉSAR.
— Je voudrais bien refuser. C'est un terrible travail
pour moi que de laver mon cerveau, et il n'en devient que plus
trouble.
|
CAESAR.
I could well forbear’t.
It’s monstrous labour when I wash my brain
And it grows fouler.
|
ANTOINE.
— Soyez l'enfant de la circonstance.
|
ANTONY.
Be a child o’ the time.
|
CÉSAR.
— Buvez, je vous en rendrai raison; mais j'aimerais
mieux jeûner de tout pendant quatre jours que de tant boire
en un seul.
|
CAESAR.
Possess it, I’ll make answer.
But I had rather fast from all, four days,
Than drink so much in one.
|
ÉNOBARBUS, à-Antoine.
— Eh bien! mon brave empereur,
danserons-nous à présent les bacchanales égyptiennes,
et célébrerons-nous notre orgie?
|
ENOBARBUS.
[To Antony.] Ha, my brave emperor,
Shall we dance now the Egyptian Bacchanals
And celebrate our drink?
|
POMPÉE.
— Volontiers, brave soldat.
|
POMPEY.
Let’s ha’t, good soldier.
|
ANTOINE.
— Allons, entrelaçons nos mains jusqu'à ce
que le vin victorieux plonge nos sens dans le doux et
voluptueux Léthé.
|
ANTONY.
Come, let’s all take hands
Till that the conquering wine hath steeped our sense
In soft and delicate Lethe.
|
ÉNOBARBUS.
— Prenons-nous tous par la main. Faites
retentir à nos oreilles la plus bruyante musique. Moi, je
vais vous placer: ce jeune homme va chanter, chacun
répétera le refrain de toute la force de ses poumons.
|
ENOBARBUS.
All take hands.
Make battery to our ears with the loud music,
The while I’ll place you; then the boy shall sing.
The holding every man shall beat as loud
As his strong sides can volley.
|
(Musique. Énobarbus place les convives.)
|
Music plays. Enobarbus places them hand in hand.
|
Viens, monarque du vin,
Joufflu Bacchus à l'oeil enflammé:
Noyons nos soucis dans tes cuves,
Couronnons nos cheveux de tes grappes.
Verse-nous, jusqu'à ce que le monde tourne autour de nous:
Verse-nous jusqu'à ce que le monde tourne autour de nous.
|
THE SONG.
Come, thou monarch of the vine,
Plumpy Bacchus with pink eyne!
In thy vats our cares be drowned,
With thy grapes our hairs be crowned.
Cup us till the world go round,
Cup us till the world go round!
|
CÉSAR.
— Que voulez-vous de plus? Bonsoir, Pompée.
Mon bon frère, laissez-moi vous prier de partir. Nos
affaires sérieuses s'indignent de cette légèreté. Aimables
seigneurs, séparons-nous. Vous voyez comme nos joues
sont enflammées. Le vin a triomphé du robuste Énobarbus,
et ma langue entrecoupe tout ce qu'elle dit. Cette
folle débauche nous a tous vieillis, en quelque sorte.
Qu'est-il besoin de plus de paroles? Bonne nuit. Cher
Antoine, ta main.
|
CAESAR.
What would you more? Pompey, good night. Good brother,
Let me request you off. Our graver business
Frowns at this levity.—Gentle lords, let’s part.
You see we have burnt our cheeks. Strong Enobarb
Is weaker than the wine, and mine own tongue
Splits what it speaks. The wild disguise hath almost
Anticked us all. What needs more words. Good night.
Good Antony, your hand.
|
POMPÉE.
— Je vous mettrai à l'épreuve sur le rivage.
|
POMPEY.
I’ll try you on the shore.
|
ANTOINE.
— Vous nous y verrez, seigneur. Donnez-moi
votre main.
|
ANTONY.
And shall, sir. Give’s your hand.
|
POMPÉE.
— Oh! Antoine, tu possèdes la maison de mon
père! — Mais, n'importe: nous sommes amis. Allons,
descendez dans la chaloupe.
|
POMPEY.
O Antony,
You have my father’s house.
But, what? We are friends. Come, down into the boat.
|
(Sortent Pompée, César, Antoine et leur suite.)
ÉNOBARBUS.
— Prenez garde de tomber.
— Ménas, je n'irai
point à terre.
|
ENOBARBUS.
Take heed you fall not.
[Exeunt Pompey, Caesar, Antony and Attendants.]
Menas, I’ll not on shore.
|
MÉNAS.
— Non, venez à ma cabine. — Ces tambours, ces
trompettes, ces flûtes! — comment donc! Que Neptune
entende le bruyant adieu que nous disons à ces grands
personnages; sonnez et soyez pendus, sonnez comme il faut.
|
MENAS.
No, to my cabin. These drums, these trumpets, flutes! What!
Let Neptune hear we bid a loud farewell
To these great fellows. Sound and be hanged, sound out!
|
(Fanfares et tambours. Lépide et Octave s'embarquent.)
|
[Sound a flourish with drums.]
|
ÉNOBARBUS. Holà! voilà mon chapeau.
|
ENOBARBUS.
Hoo, says ’a! There’s my cap!
|
MÉNAS.
— Ah! noble capitaine, venez.
|
MENAS.
Hoo! Noble captain, come.
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt.]
|
FIN DU DEUXIÈME ACTE.
|
|
SCÈNE II
|
SCENE II.
|
Rome. — Antichambre de la maison de César.
|
Rome. An Ante-chamber in Caesar’s house.
|
Entrent AGRIPPA ET ÉNOBARBUS qui se rencontrent.
|
Enter Agrippa at one door, Enobarbus at another.
|
AGRIPPA.
— Quoi! nos frères se sont-ils déjà séparés?
|
AGRIPPA.
What, are the brothers parted?
|
ÉNOBARBUS.
— Ils ont terminé avec Pompée, qui vient
de partir; et actuellement ils sont tous les trois à sceller
le traité. Octavie pleure de quitter Rome. César est triste
et Lépide, depuis le festin de Pompée, à ce que dit Ménas,
est attaqué de la maladie verte.
|
ENOBARBUS.
They have dispatched with Pompey; he is gone.
The other three are sealing. Octavia weeps
To part from Rome. Caesar is sad, and Lepidus,
Since Pompey’s feast, as Menas says, is troubled
With the greensickness.
|
AGRIPPA.
— C'est un noble Romain que Lépide!
|
AGRIPPA.
’Tis a noble Lepidus.
|
ÉNOBARBUS.
— Un excellent homme. Oh! comme il aime
César!
|
ENOBARBUS.
A very fine one. O, how he loves Caesar!
|
AGRIPPA.
— Oui, et avec quelle tendresse il adore Antoine!
|
AGRIPPA.
Nay, but how dearly he adores Mark Antony!
|
ÉNOBARBUS.
— César? mais c'est le Jupiter des hommes.
|
ENOBARBUS.
Caesar? Why he’s the Jupiter of men.
|
AGRIPPA.
— Et Antoine? Le dieu de ce Jupiter?
|
AGRIPPA.
What’s Antony? The god of Jupiter.
|
ÉNOBARBUS, contrefaisant Lépide.
— Vous parlez de César?
Comment, de ce sans pareil?
|
ENOBARBUS.
Spake you of Caesar? How, the nonpareil!
|
AGRIPPA.
— O Antoine! ô oiseau d'Arabie.
|
AGRIPPA.
O, Antony! O thou Arabian bird!
|
ÉNOBARBUS.
— Voulez-vous vanter César? dites César, et
restez-en là.
|
ENOBARBUS.
Would you praise Caesar, say “Caesar”. Go no further.
|
AGRIPPA.
— Vraiment, il leur a appliqué à tous deux
d'excellentes louanges.
|
AGRIPPA.
Indeed, he plied them both with excellent praises.
|
ÉNOBARBUS.
— Mais c'est César qu'il aime le mieux: cependant
il aime Antoine. Oh! le cœur, la langue, les chiffres,
les scribes, les bardes, les poètes ne peuvent penser,
exprimer, peindre, écrire, chanter, calculer son amour
pour Antoine. Mais pour César: à genoux, à genoux, et
admirez.
|
ENOBARBUS.
But he loves Caesar best, yet he loves Antony.
Hoo! Hearts, tongues, figures, scribes, bards, poets, cannot
Think, speak, cast, write, sing, number—hoo!—
His love to Antony. But as for Caesar,
Kneel down, kneel down, and wonder.
|
AGRIPPA.
— Il les aime tous deux.
|
AGRIPPA.
Both he loves.
|
ÉNOBARBUS.
— Ils sont les ailes et lui l'escarbot; ainsi...
(Fanfares.) Mais voici le signal pour monter à cheval...
Adieu, noble Agrippa.
|
ENOBARBUS.
They are his shards, and he their beetle.
[Trumpets within.]
So,
This is to horse. Adieu, noble Agrippa.
|
AGRIPPA.
— Bonne fortune, brave soldat; adieu.
|
AGRIPPA.
Good fortune, worthy soldier, and farewell.
|
(Entrent Antoine, César, Lépide, Octavie.)
|
Enter Caesar, Antony, Lepidus and Octavia.
|
ANTOINE.
— Seigneur, n'allez pas plus loin.
|
ANTONY.
No further, sir.
|
CÉSAR.
— Vous m'enlevez la plus chère portion de moi-même.
Songez à me bien traiter dans sa personne.—Ma
soeur, soyez une épouse telle que ma pensée vous peint
à mes yeux, et que votre conduite justifie tout ce que je
garantirais de vous.—Noble Antoine, que ce modèle de
vertu, qui est placé entre nous comme le ciment de notre
amitié pour la soutenir, ne devienne jamais le bélier qui
en renverse l'édifice; car il aurait été plus aisé de nous
aimer sans ce nouveau lien, si nous ne le soignons pas
chacun de notre côté.
|
CAESAR.
You take from me a great part of myself.
Use me well in’t. Sister, prove such a wife
As my thoughts make thee, and as my farthest bond
Shall pass on thy approof. Most noble Antony,
Let not the piece of virtue which is set
Betwixt us, as the cement of our love
To keep it builded, be the ram to batter
The fortress of it. For better might we
Have loved without this mean, if on both parts
This be not cherished.
|
ANTOINE.
— Ne m'offensez pas par votre défiance.
|
ANTONY.
Make me not offended
In your distrust.
|
CÉSAR.
— J'ai dit.
|
CAESAR.
I have said.
|
ANTOINE.
— Quelque scrupuleux que vous soyez sur ce
point, vous ne trouverez pas le moindre sujet aux craintes
qui paraissent vous alarmer. Que les dieux vous gardent
et fassent obéir le cœur des Romains à vos desseins;
nous allons nous séparer ici.
|
ANTONY.
You shall not find,
Though you be therein curious, the least cause
For what you seem to fear. So the gods keep you,
And make the hearts of Romans serve your ends.
We will here part.
|
CÉSAR.
— Adieu, ma chère soeur: sois heureuse. Que
tous les éléments te soient propices et ne donnent à ton
esprit que des jouissances! Adieu.
|
CAESAR.
Farewell, my dearest sister, fare thee well.
The elements be kind to thee, and make
Thy spirits all of comfort! Fare thee well.
|
OCTAVIE.
— O mon noble frère!
|
OCTAVIA.
My noble brother!
|
ANTOINE.
— Le mois d'avril est dans ses yeux; c'est le
printemps de l'amour, et ces larmes, la pluie qui favorise
son retour.—Consolez-vous.
|
ANTONY.
The April’s in her eyes. It is love’s spring,
And these the showers to bring it on.—Be cheerful.
|
OCTAVIE.
— Seigneur, veillez sur la maison de mon
époux, et...
|
OCTAVIA.
Sir, look well to my husband’s house, and—
|
CÉSAR.
— Quoi, ma soeur?
|
CAESAR.
What, Octavia?
|
OCTAVIE.
— Je vais vous le dire à l'oreille.
|
OCTAVIA.
I’ll tell you in your ear.
|
ANTOINE.
— Sa langue refuse d'obéir à son cœur, et son
cœur ne peut exprimer ce qu'il sent à sa langue, comme
le duvet du cygne qui flotte sur l'onde à la marée haute,
sans incliner ni d'un côté ni de l'autre.
|
ANTONY.
Her tongue will not obey her heart, nor can
Her heart inform her tongue—the swan’s-down feather,
That stands upon the swell at the full of tide,
And neither way inclines.
|
ÉNOBARBUS, à part, à Agrippa.
— César pleurera-t-il?
|
ENOBARBUS.
[Aside to Agrippa.] Will Caesar weep?
|
AGRIPPA.
— Il a un nuage sur le front.
|
AGRIPPA.
[Aside to Enobarbus.] He has a cloud in ’s face.
|
ÉNOBARBUS.
— Ce serait un mauvais signe s'il était un
cheval; à plus forte raison, étant un homme.
|
ENOBARBUS.
[Aside to Agrippa.] He were the worse for that were he a horse;
So is he, being a man.
|
AGRIPPA.
— Pourquoi, Énobarbus? Antoine rugit presque
de douleur lorsqu'il vit Jules César mort, et à Philippes,
il pleura sur le corps de Brutus.
|
AGRIPPA.
[Aside to Enobarbus.] Why, Enobarbus,
When Antony found Julius Caesar dead,
He cried almost to roaring, and he wept
When at Philippi he found Brutus slain.
|
ÉNOBARBUS.
— Cette année-là, il est vrai, il était incommodé
d'un rhume, il pleurait l'homme qu'il aurait de
bon cœur détruit lui-même. Crois à ses larmes jusqu'à ce
que tu m'aies vu pleurer aussi.
|
ENOBARBUS.
[Aside to Agrippa.] That year, indeed, he was troubled with a rheum;
What willingly he did confound he wailed,
Believe ’t, till I weep too.
|
CÉSAR.
— Non, chère Octavie, vous recevrez encore des
nouvelles de votre frère; jamais le temps ne vous fera
oublier de moi.
|
CAESAR.
No, sweet Octavia,
You shall hear from me still. The time shall not
Outgo my thinking on you.
|
ANTOINE.
— Allons, seigneur, allons; je disputerai avec
vous de tendresse pour elle. Je vous embrasse ici, et je
vous quitte en vous recommandant aux dieux.
|
ANTONY.
Come, sir, come,
I’ll wrestle with you in my strength of love.
Look, here I have you, thus I let you go,
And give you to the gods.
|
CÉSAR.
— Adieu, soyez heureux.
|
CAESAR.
Adieu, be happy!
|
LÉPIDE.
— Que tous les astres du firmament éclairent
votre route!
|
LEPIDUS.
Let all the number of the stars give light
To thy fair way!
|
CÉSAR embrasse sa soeur.
— Adieu, adieu!
|
CAESAR.
Farewell, farewell!
[Kisses Octavia.]
|
ANTOINE.
— Adieu!
|
ANTONY.
Farewell!
|
(Ils partent au son des trompettes.)
|
[Trumpets sound. Exeunt.]
|
SCÈNE VI
|
SCENE VI.
|
Rome. — Appartement de César.
|
Rome. A Room in Caesar’s House.
|
CÉSAR, AGRIPPA, MÉCÈNE.
|
Enter Agrippa, Maecenas and Caesar.
|
CÉSAR.
— Au mépris de Rome, il a fait tout ceci, et plus
encore dans Alexandrie; et voilà comment, dans la place
publique, Cléopâtre et lui se sont assis publiquement sur
des trônes d'or, dans une tribune d'argent; à leurs pieds
était placé le jeune Césarion, qu'ils appellent le fils de
mon père avec tous les enfants illégitimes issus depuis
lors de leurs débauches. Antoine a fait don de l'Égypte à
Cléopâtre, il l'a proclamée reine absolue de la basse Syrie,
de l'île de Chypre et de la Libye.
|
CAESAR.
Contemning Rome, he has done all this, and more
In Alexandria. Here’s the manner of ’t:
I’ th’ market-place, on a tribunal silvered,
Cleopatra and himself in chairs of gold
Were publicly enthroned. At the feet sat
Caesarion, whom they call my father’s son,
And all the unlawful issue that their lust
Since then hath made between them. Unto her
He gave the stablishment of Egypt; made her
Of lower Syria, Cyprus, Lydia,
Absolute queen.
|
MÉCÈNE.
— Quoi! aux yeux du public?
|
MAECENAS.
This in the public eye?
|
CÉSAR.
— Au milieu même de la grande place, où le
peuple fait tous ses exercices. C'est là qu'il a proclamé
ses fils rois des rois; il a donné à Alexandre la vaste Médie,
le pays des Parthes et l'Arménie; il a assigné à Ptolémée
la Syrie, la Cilicie et la Phénicie. Cléopâtre, ce
jour-là, a paru en public vêtue comme la déesse Isis, et
souvent auparavant elle avait, dit-on, donné ses audiences
dans cet appareil.
|
CAESAR.
I’ th’ common showplace where they exercise.
His sons he there proclaimed the kings of kings:
Great Media, Parthia, and Armenia
He gave to Alexander; to Ptolemy he assigned
Syria, Cilicia, and Phoenicia. She
In th’ habiliments of the goddess Isis
That day appeared, and oft before gave audience,
As ’tis reported, so.
|
MÉCÈNE.
— Il faut que Rome soit instruite de toutes ces
choses.
|
MAECENAS.
Let Rome be thus informed.
|
AGRIPPA.
— Rome, déjà lassée de son insolence, lui retirera
sa bonne opinion.
|
AGRIPPA.
Who, queasy with his insolence already,
Will their good thoughts call from him.
|
CÉSAR.
— Le peuple en est instruit, et cependant il vient
de recevoir les accusations d'Antoine!
|
CAESAR.
The people knows it and have now received
His accusations.
|
AGRIPPA.
— Qui donc accuse-t-il!
|
AGRIPPA.
Who does he accuse?
|
CÉSAR.
— César. Il se plaint de ce qu'ayant dépouillé
Sextus Pompée de la Sicile, je l'ai frustré de sa part de
cette île; et il dit ensuite m'avoir prêté quelques vaisseaux
qui ne lui ont pas été rendus. Enfin, il se montre
indigné de ce que Lépide a été déposé du triumvirat, et
de ce qu'une fois déposé j'ai retenu tous ses revenus.
|
CAESAR.
Caesar, and that, having in Sicily
Sextus Pompeius spoiled, we had not rated him
His part o’ th’ isle. Then does he say he lent me
Some shipping, unrestored. Lastly, he frets
That Lepidus of the triumvirate
Should be deposed and, being, that we detain
All his revenue.
|
AGRIPPA.
— Seigneur, il faut lui répondre.
|
AGRIPPA.
Sir, this should be answered.
|
CÉSAR.
— C'est déjà fait, et le messager est parti. Je lui
mande que Lépide était devenu trop cruel, qu'il abusait
de son autorité, et qu'il a mérité d'être déposé. Quant à
mes conquêtes, je lui en accorde une portion; mais, en
retour, je lui demande ma part de l'Arménie et des autres
royaumes qu'il a conquis.
|
CAESAR.
’Tis done already, and messenger gone.
I have told him Lepidus was grown too cruel,
That he his high authority abused,
And did deserve his change. For what I have conquered
I grant him part; but then in his Armenia
And other of his conquered kingdoms, I
Demand the like.
|
MÉCÈNE.
— Jamais il ne vous la cédera.
|
MAECENAS.
He’ll never yield to that.
|
CÉSAR.
— Alors, je ne dois pas lui céder, moi, ce qu'il
demande.
|
CAESAR.
Nor must not then be yielded to in this.
|
(Entre Octavie.)
|
Enter Octavia with her train.
|
OCTAVIE.
— Salut, César, monseigneur, salut, mon cher
César.
|
OCTAVIA.
Hail, Caesar, and my lord! Hail, most dear Caesar!
|
CÉSAR.
— Que je sois obligé de t'appeler une femme répudiée!
|
CAESAR.
That ever I should call thee castaway!
|
OCTAVIE.
— Vous ne m'avez pas appelée ainsi, et vous
n'en avez pas sujet.
|
OCTAVIA.
You have not called me so, nor have you cause.
|
CÉSAR.
— Pourquoi donc venez-vous me surprendre
ainsi? Vous ne revenez point comme la soeur de César:
l'épouse d'Antoine devrait être précédée d'une armée,
son approche devait être annoncée par les hennissements
des chevaux, longtemps avant qu'elle parût; les arbres
de la route auraient dû être chargés de peuple, impatient
et fatigué d'attendre votre passage désiré; il fallait que la
poussière élevée sous les pas de votre nombreux cortège
montât jusqu'à la voûte des cieux. Mais vous êtes venue
à Rome comme une vendeuse de marché: vous avez
prévenu les démonstrations de notre amitié, ce sentiment
qui s'éteint souvent si on néglige de le témoigner. Nous
aurions été à votre rencontre par mer et par terre, et
à chaque pas nous aurions redoublé d'éclat.
|
CAESAR.
Why have you stolen upon us thus? You come not
Like Caesar’s sister. The wife of Antony
Should have an army for an usher, and
The neighs of horse to tell of her approach
Long ere she did appear. The trees by th’ way
Should have borne men, and expectation fainted,
Longing for what it had not. Nay, the dust
Should have ascended to the roof of heaven,
Raised by your populous troops. But you are come
A market-maid to Rome, and have prevented
The ostentation of our love, which, left unshown,
Is often left unloved. We should have met you
By sea and land, supplying every stage
With an augmented greeting.
|
OCTAVIE.
— Mon bon frère, rien ne me forçait à revenir
ainsi: je n'ai fait que suivre mon libre penchant. Mon
époux, Marc-Antoine, ayant appris que vous vous prépariez
à la guerre, a affligé mon oreille de cette fâcheuse
nouvelle; et moi aussitôt je l'ai prié de m'accorder la liberté
de revenir vers vous.
|
OCTAVIA.
Good my lord,
To come thus was I not constrained, but did it
On my free will. My lord, Mark Antony,
Hearing that you prepared for war, acquainted
My grieved ear withal, whereon I begged
His pardon for return.
|
CÉSAR.
— Ce qu'il vous a accordé sans peine: vous étiez
un obstacle à ses débauches.
|
CAESAR.
Which soon he granted,
Being an abstract ’tween his lust and him.
|
OCTAVIE.
— N'en jugez pas ainsi, seigneur.
|
OCTAVIA.
Do not say so, my lord.
|
CÉSAR.
— J'ai les yeux sur lui, et les vents m'apportent
des nouvelles de toutes ses démarches. Où est-il maintenant?
|
CAESAR.
I have eyes upon him,
And his affairs come to me on the wind.
Where is he now?
|
OCTAVIE.
— A Athènes, seigneur.
|
OCTAVIA.
My lord, in Athens.
|
CÉSAR.
— Non, ma soeur, trop indignement outragée,
Cléopâtre, d'un coup d'oeil, l'a rappelé à ses pieds. Il a
abandonné son empire à une prostituée, et maintenant
ils s'occupent tous deux à soulever contre moi tous les
rois de la terre. Il a rassemblé Bocchus, roi de Libye;
Archélaüs, roi de Cappadoce; Philadelphe, roi de Paphlagonie;
le roi de Thrace, Adellas; Malchus, roi d'Arabie;
le roi de Pont; Hérode, de Judée; Mithridate, roi de
Comagène; Polémon et Amintas, rois des Mèdes et de
Lycaonie; et encore une foule d'autres sceptres!
|
CAESAR.
No, my most wronged sister. Cleopatra
Hath nodded him to her. He hath given his empire
Up to a whore, who now are levying
The kings o’ th’ earth for war. He hath assembled
Bocchus, the king of Libya; Archelaus
Of Cappadocia; Philadelphos, king
Of Paphlagonia; the Thracian king, Adallas;
King Manchus of Arabia; King of Pont;
Herod of Jewry; Mithridates, king
Of Comagene; Polemon and Amyntas,
The kings of Mede and Lycaonia,
With a more larger list of sceptres.
|
OCTAVIE.
— Hélas! que je suis malheureuse d'avoir le
cœur partagé entre deux hommes que j'aime et qui se
haïssent!
|
OCTAVIA.
Ay me, most wretched,
That have my heart parted betwixt two friends
That does afflict each other!
|
CÉSAR.
— Soyez ici la bienvenue. Vos lettres ont retardé
longtemps notre rupture: jusqu'à ce que je me sois
aperçu à quel point vous étiez abusée, et combien une
plus longue négligence devenait dangereuse pour moi.
Consolez-vous; ne vous agitez pas des circonstances qui
amènent sur votre bonheur ces terribles nécessités, et
laissez les invariables décrets du destin suivre leur cours,
sans vous répandre en gémissements. Rome vous reçoit
avec joie: rien ne m'est plus cher que vous. Vous avez
été trompée au delà de tout ce qu'on peut imaginer, et
les puissants dieux, pour vous faire justice, ont choisi
pour ministres de leur vengeance, votre frère et ceux
qui vous aiment. Vous êtes la plus douce de nos consolations,
et toujours la bienvenue auprès de nous.
|
CAESAR.
Welcome hither.
Your letters did withhold our breaking forth
Till we perceived both how you were wrong led
And we in negligent danger. Cheer your heart.
Be you not troubled with the time, which drives
O’er your content these strong necessities,
But let determined things to destiny
Hold unbewailed their way. Welcome to Rome,
Nothing more dear to me. You are abused
Beyond the mark of thought, and the high gods,
To do you justice, make their ministers
Of us and those that love you. Best of comfort,
And ever welcome to us.
|
AGRIPPA.
— Soyez la bienvenue, madame.
|
AGRIPPA.
Welcome, lady.
|
MÉCÈNE.
— Soyez la bienvenue, chère dame; tous les
cœurs, dans Rome, vous aiment et vous plaignent. L'adultère
Antoine, sans frein dans ses désordres, est le seul
qui vous rejette pour livrer sa puissance à une prostituée
qui la tourne avec bruit contre nous.
|
MAECENAS.
Welcome, dear madam.
Each heart in Rome does love and pity you.
Only th’ adulterous Antony, most large
In his abominations, turns you off
And gives his potent regiment to a trull
That noises it against us.
|
OCTAVIE.
— Est-il bien vrai, seigneur?
|
OCTAVIA.
Is it so, sir?
|
CÉSAR.
— Rien n'est plus certain, vous êtes la bienvenue,
ma soeur; je vous prie, ne perdez pas patience, ma chère soeur!
|
CAESAR.
Most certain. Sister, welcome. Pray you
Be ever known to patience. My dear’st sister!
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE VII
|
SCENE VII.
|
Le camp d'Antoine près du promontoire d'Actium.
|
Antony’s Camp near the Promontory of Actium.
|
Entrent CLÉOPÂTRE, ÉNOBARBUS.
|
Enter Cleopatra and Enobarbus.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je m'acquitterai envers toi, n'en doute pas.
|
CLEOPATRA.
I will be even with thee, doubt it not.
|
ÉNOBARBUS.
— Mais pourquoi? pourquoi? pourquoi?
|
ENOBARBUS.
But why, why, why?
|
CLÉOPÂTRE.
— Tu t'es opposé à ce que j'assistasse à cette
guerre, en disant que ce n'était pas convenable.
|
CLEOPATRA.
Thou hast forspoke my being in these wars
And say’st it is not fit.
|
ÉNOBARBUS.
— Eh bien! est-ce convenable, dites-moi?
|
ENOBARBUS.
Well, is it, is it?
|
CLÉOPÂTRE.
— Pourquoi pas? La guerre est déclarée
contre moi, pourquoi n'y serais-je pas en personne?
|
CLEOPATRA.
Is ’t not denounced against us? Why should not we
Be there in person?
|
ÉNOBARBUS.
— Je sais bien ce que je pourrais répondre:
si nous nous servions en même temps de chevaux et de
cavales, les chevaux seraient absolument superflus, car
chaque cavale porterait un soldat et son cheval.
|
ENOBARBUS.
Well, I could reply:
If we should serve with horse and mares together,
The horse were merely lost. The mares would bear
A soldier and his horse.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que murmures-tu là?
|
CLEOPATRA.
What is’t you say?
|
ÉNOBARBUS.
— Votre présence doit nécessairement embarrasser
Antoine: elle prendra de son cœur, de sa tête,
de son temps, ce dont il n'a rien à perdre en cette circonstance.
On le raille déjà sur sa légèreté, et l'on dit
dans Rome que c'est l'eunuque Photin et vos femmes qui
dirigent cette guerre.
|
ENOBARBUS.
Your presence needs must puzzle Antony,
Take from his heart, take from his brain, from ’s time,
What should not then be spared. He is already
Traduced for levity, and ’tis said in Rome
That Photinus, an eunuch, and your maids
Manage this war.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que Rome s'abîme! et périssent toutes
les langues qui parlent contre nous! Je porte ma part du
fardeau dans cette guerre, et, comme souveraine de mes
États, je dois y remplir le rôle d'un homme. N'objecte
plus rien, je ne resterai pas en arrière.
|
CLEOPATRA.
Sink Rome, and their tongues rot
That speak against us! A charge we bear i’ th’ war,
And, as the president of my kingdom, will
Appear there for a man. Speak not against it.
I will not stay behind.
|
ÉNOBARBUS.
— Je me tais, madame. — Voici l'empereur.
(Entrent Antoine et Canidius.)
|
Enter Antony and Canidius.
ENOBARBUS.
Nay, I have done.
Here comes the Emperor.
|
ANTOINE.
— Ne te parait-il pas étrange, Canidius, que
César ait pu, de Tarente et de Brindes, traverser si rapidement
la mer d'Ionie et emporter Toryne? — Vous l'avez
appris, mon cœur?
|
ANTONY.
Is it not strange, Canidius,
That from Tarentum and Brundusium
He could so quickly cut the Ionian sea
And take in Toryne?—You have heard on ’t, sweet?
|
CLÉOPÂTRE.
— La diligence n'est jamais plus admirée
que par les paresseux.
|
CLEOPATRA.
Celerity is never more admired
Than by the negligent.
|
ANTOINE.
— Bonne satire de notre indolence, et qui ferait
honneur au plus brave guerrier. — Canidius, nous
le combattrons sur mer.
|
ANTONY.
A good rebuke,
Which might have well becomed the best of men
To taunt at slackness.—Canidius, we
Will fight with him by sea.
|
CLÉOPÂTRE.
— Oui, sur mer, sans doute.
|
CLEOPATRA.
By sea, what else?
|
CANIDIUS.
— Pourquoi mon général a-t-il ce projet?
|
CANIDIUS.
Why will my lord do so?
|
ANTOINE.
— Parce qu'il nous en a défié.
|
ANTONY.
For that he dares us to ’t.
|
ÉNOBARBUS.
— Mon seigneur l'a aussi défié en combat
singulier?
|
ENOBARBUS.
So hath my lord dared him to single fight.
|
CANIDIUS.
— Oui, et vous lui avez offert le combat à
Pharsale, où César vainquit Pompée; mais toutes les propositions
qui ne servent pas à son avantage, il les rejette.
Vous devriez en faire autant.
|
CANIDIUS.
Ay, and to wage this battle at Pharsalia,
Where Caesar fought with Pompey. But these offers,
Which serve not for his vantage, he shakes off,
And so should you.
|
ÉNOBARBUS.
— Vos vaisseaux sont mal équipés, vos matelots
ne sont que des muletiers, des moissonneurs, des
gens levés à la hâte et par contrainte. La flotte de César
est montée par des marins qui ont souvent combattu
Pompée: leurs vaisseaux sont légers, les vôtres sont
pesants; il n'y a pour vous aucun déshonneur à refuser
le combat sur mer, puisque vous êtes prêt à l'attaquer
sur terre.
|
ENOBARBUS.
Your ships are not well manned,
Your mariners are muleteers, reapers, people
Engrossed by swift impress. In Caesar’s fleet
Are those that often have ’gainst Pompey fought.
Their ships are yare, yours heavy. No disgrace
Shall fall you for refusing him at sea,
Being prepared for land.
|
ANTOINE.
— Sur mer, sur mer.
|
ANTONY.
By sea, by sea.
|
ÉNOBARBUS.
— Mon digne seigneur, vous perdez par là
toute la supériorité que vous avez sur terre: vous démembrez
votre armée, qui, en grande partie, est composée
d'une infanterie aguerrie; vous laissez sans emploi
votre habileté si justement renommée; vous abandonnez
le parti qui vous promet un succès assuré: vous vous
exposez au simple caprice du hasard.
|
ENOBARBUS.
Most worthy sir, you therein throw away
The absolute soldiership you have by land;
Distract your army, which doth most consist
Of war-marked footmen; leave unexecuted
Your own renowned knowledge; quite forgo
The way which promises assurance; and
Give up yourself merely to chance and hazard
From firm security.
|
ANTOINE.
— Je veux combattre sur mer.
|
ANTONY.
I’ll fight at sea.
|
CLÉOPÂTRE.
— J'ai soixante vaisseaux; César n'en a pas
de meilleurs.
|
CLEOPATRA.
I have sixty sails, Caesar none better.
|
ANTOINE.
— Nous brûlerons le surplus de notre flotte;
et avec les autres vaisseaux bien équipés, nous battrons
César, s'il ose avancer vers le promontoire d'Actium. Si
la fortune nous trahit, nous pourrons alors prendre
notre revanche sur terre. (A un messager qui arrive.)
Ton message?
|
ANTONY.
Our overplus of shipping will we burn,
And with the rest full-manned, from th’ head of Actium
Beat th’ approaching Caesar. But if we fail,
We then can do ’t at land.
Enter a Messenger.
Thy business?
|
LE MESSAGER.
— Les nouvelles sont vraies, seigneur,
César est signalé; il a pris Toryne.
|
MESSENGER.
The news is true, my lord; he is descried.
Caesar has taken Toryne.
|
ANTOINE.
— Peut-il y être en personne? Cela est impossible;
il est même étrange que son armée y soit arrivée.
Canidius, tu commanderas sur terre nos dix-neuf légions
et nos douze mille chevaux; nous, nous allons à notre
flotte. Partons, ma Thétis. (Un soldat paraît.)
Que veux-tu, brave soldat?
|
ANTONY.
Can he be there in person? ’Tis impossible;
Strange that his power should be. Canidius,
Our nineteen legions thou shalt hold by land,
And our twelve thousand horse. We’ll to our ship.
Away, my Thetis!
Enter a Soldier.
How now, worthy soldier?
|
LE SOLDAT.
— O noble empereur, ne combattez point
sur mer; ne vous fiez pas à des planches pourries. Est-ce
que vous vous défiez de cette épée et de ces blessures?
Laissez aux Égyptiens et aux Phéniciens l'art de nager
comme les oisons: nous, Romains, nous avons l'habitude
de vaincre sur terre, et en combattant de pied
ferme.
|
SOLDIER.
O noble emperor, do not fight by sea.
Trust not to rotten planks. Do you misdoubt
This sword and these my wounds? Let th’ Egyptians
And the Phoenicians go a-ducking. We
Have used to conquer standing on the earth
And fighting foot to foot.
|
ANTOINE.
— Allons, allons, partons.
|
ANTONY.
Well, well, away.
|
(Antoine, Cléopâtre, Énobarbus sortent.)
|
[Exeunt Antony, Cleopatra and Enobarbus.]
|
LE SOLDAT.
— Par Hercule, je crois que j'ai raison.
|
SOLDIER.
By Hercules, I think I am i’ th’ right.
|
CANIDIUS.
— Oui, soldat; mais Antoine ne se repose plus
sur ce qui fait sa force. C'est ainsi que notre chef se
laisse mener, et nous sommes les soldats de ces femmes.
|
CANIDIUS.
Soldier, thou art. But his whole action grows
Not in the power on ’t. So our leader’s led,
And we are women’s men.
|
LE SOLDAT.
— Vous gardez à terre les légions et toute la
cavalerie, n'est-ce pas?
|
SOLDIER.
You keep by land
The legions and the horse whole, do you not?
|
CANIDIUS.
— Marcus Octavius, Marcus Justéius, Publicola
et Caelius sont pour la mer; mais nous restons tranquilles
à terre. — Cette diligence de César passe toute
croyance.
|
CANIDIUS.
Marcus Octavius, Marcus Justeius,
Publicola, and Caelius are for sea,
But we keep whole by land. This speed of Caesar’s
Carries beyond belief.
|
LE SOLDAT.
— Pendant qu'il était encore à Rome, son armée
marchait par légers détachements, qui ont trompé tous les
espions.
|
SOLDIER.
While he was yet in Rome,
His power went out in such distractions as
Beguiled all spies.
|
CANIDIUS.
— Quel est son lieutenant, le sais-tu?
|
CANIDIUS.
Who’s his lieutenant, hear you?
|
LE SOLDAT.
— On dit que c'est un certain Taurus.
|
SOLDIER.
They say one Taurus.
|
CANIDIUS.
— Oh! je connais l'homme!
|
CANIDIUS.
Well I know the man.
|
(Un messager arrive.)
|
Enter a Messenger.
|
LE MESSAGER.
— L'empereur demande Canidius.
|
MESSENGER.
The Emperor calls Canidius.
|
CANIDIUS.
— Le temps est gros d'évènements, et en enfante
à chaque minute.
|
CANIDIUS.
With news the time’s with labour, and throes forth
Each minute some.
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt.]
|
SCÈNE XI
|
SCENE XIII.
|
Alexandrie. — Appartement du palais.
|
Alexandria. A Room in the Palace.
|
Entrent CLÉOPÂTRE, ÉNOBARBUS, CHARMIANE, IRAS.
|
Enter Cleopatra, Enobarbus, Charmian and Iras.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que faut-il faire, Énobarbus?
|
CLEOPATRA.
What shall we do, Enobarbus?
|
ÉNOBARBUS.
— Penser et mourir.
|
ENOBARBUS.
Think, and die.
|
CLÉOPÂTRE.
— La faute est-elle à Antoine ou à moi?
|
CLEOPATRA.
Is Antony or we in fault for this?
|
ÉNOBARBUS.
— A Antoine seul: lui qui permet à sa volonté
de maîtriser sa raison. Eh! qu'importe que vous
ayez fui loin de ce grand spectacle de la guerre, où la
terreur passait alternativement d'une flotte à l'autre!
Pourquoi vous a-t-il suivie? L'ardeur de son affection
n'aurait pas dû porter un coup fatal à sa réputation de
grand capitaine, au moment où la moitié de l'univers
combattait l'autre, lui, étant le seul sujet de la querelle.
Ce fut une honte égale à sa perte d'aller suivre vos pavillons
fuyants et d'abandonner sa flotte étonnée de sa
fuite.
|
ENOBARBUS.
Antony only, that would make his will
Lord of his reason. What though you fled
From that great face of war, whose several ranges
Frighted each other? Why should he follow?
The itch of his affection should not then
Have nicked his captainship, at such a point,
When half to half the world opposed, he being
The mered question. ’Twas a shame no less
Than was his loss, to course your flying flags
And leave his navy gazing.
|
CLÉOPÂTRE.
— Tais-toi, je t'en prie.
|
CLEOPATRA.
Prithee, peace.
|
(Entrent Antoine et Euphronius)
|
Enter the Ambassador with Antony.
|
ANTOINE.
— Et c'est là sa réponse?
|
ANTONY.
Is that his answer?
|
EUPHRONIUS.
— Oui, seigneur.
|
AMBASSADOR.
Ay, my lord.
|
ANTOINE.
— Ainsi, la reine sera bien accueillie si elle
veut me sacrifier.
|
ANTONY.
The Queen shall then have courtesy, so she
Will yield us up.
|
EUPHRONIUS.
— C'est ce qu'il a dit.
|
AMBASSADOR.
He says so.
|
ANTOINE.
— Qu'elle le sache. — Envoyez au jeune
César cette tête grise, et il remplira de royaumes, jusqu'aux
bords, la coupe de vos désirs.
|
ANTONY.
Let her know’t.—
To the boy Caesar send this grizzled head,
And he will fill thy wishes to the brim
With principalities.
|
CLÉOPÂTRE.
— Votre tête, seigneur!
|
CLEOPATRA.
That head, my lord?
|
ANTOINE.
— Retourne vers lui. — Dis-lui qu'il porte
sur son visage les roses de la jeunesse, que l'univers attend
de lui plus que des actions ordinaires; dis-lui qu'il serait
possible que son or, ses vaisseaux, ses légions, appartinssent
à un lâche; que des généraux subalternes peuvent
triompher au service d'un enfant aussi bien que
sous les ordres de César: et que je le défie de venir,
mettant de côté l'inégalité de nos fortunes, se mesurer
avec moi, qui suis déjà sur le déclin de l'âge, fer contre
fer et seul à seul. Je vais lui écrire.
(Au député.) Suis-moi.
|
ANTONY.
To him again. Tell him he wears the rose
Of youth upon him, from which the world should note
Something particular: his coin, ships, legions,
May be a coward’s; whose ministers would prevail
Under the service of a child as soon
As i’ th’ command of Caesar. I dare him therefore
To lay his gay comparisons apart,
And answer me declined, sword against sword,
Ourselves alone. I’ll write it. Follow me.
|
(Antoine sort avec Euphronius.)
|
[Exeunt Antony and Ambassador.]
|
ÉNOBARBUS.
— Oui, cela est bien vraisemblable que César,
entouré d'une armée victorieuse, ira mettre en jeu
son bonheur, et se donner en spectacle comme un spadassin!—Je
vois bien que les jugements des hommes
ressemblent à leur fortune, et que les objets extérieurs
entraînent les qualités de l'âme et les font en même
temps déchoir. Qu'il puisse rêver, lui qui connaît la
valeur des choses, que César dans l'abondance répondra
à son dénùment! César, tu as aussi vaincu sa raison.
|
ENOBARBUS.
Yes, like enough high-battled Caesar will
Unstate his happiness, and be staged to th’ show
Against a sworder! I see men’s judgments are
A parcel of their fortunes, and things outward
Do draw the inward quality after them
To suffer all alike. That he should dream,
Knowing all measures, the full Caesar will
Answer his emptiness! Caesar, thou hast subdued
His judgment too.
|
(Un esclave entre.)
|
Enter a Servant.
|
L'ESCLAVE.
— Voici un envoyé de César.
|
SERVANT.
A messenger from Caesar.
|
CLÉOPÂTRE.
— Quoi! pas plus de cérémonies? — Voyez,
mes femmes! — On se bouche le nez près de la rose épanouie
dont on venait à genoux admirer les boutons!
|
CLEOPATRA.
What, no more ceremony? See, my women,
Against the blown rose may they stop their nose
That kneeled unto the buds. Admit him, sir.
|
|
[Exit Servant.]
|
ÉNOBARBUS, à part.
— Mon honneur et moi nous commençons
à nous quereller. La loyauté gardée à des fous
change notre constance en vraie folie; cependant, celui
qui persiste à suivre avec fidélité un maître déchu est le
vainqueur du vainqueur de son maître, et acquiert une
place dans l'histoire.
|
ENOBARBUS.
[Aside.] Mine honesty and I begin to square.
The loyalty well held to fools does make
Our faith mere folly. Yet he that can endure
To follow with allegiance a fallen lord
Does conquer him that did his master conquer,
And earns a place i’ th’ story.
|
(Entre Thyréus.)
|
Enter Thidias.
|
CLÉOPÂTRE.
— Que veut César?
|
CLEOPATRA.
Caesar’s will?
|
THYRÉUS.
— Venez l'entendre à l'écart.
|
THIDIAS.
Hear it apart.
|
CLÉOPÂTRE.
— Il n'y a ici que des amis; parle hardiment.
|
CLEOPATRA.
None but friends. Say boldly.
|
THYRÉUS.
— Mais peut-être sont-ils aussi les amis d'Antoine.
|
THIDIAS.
So haply are they friends to Antony.
|
ÉNOBARBUS.
— Il aurait besoin d'avoir autant d'amis que
César, sans quoi nous lui sommes fort inutiles. S'il plaisait
à César, Antoine volerait au-devant de son amitié:
pour nous, vous le savez, nous sommes les amis de ses
amis, j'entends de César.
|
ENOBARBUS.
He needs as many, sir, as Caesar has,
Or needs not us. If Caesar please, our master
Will leap to be his friend. For us, you know
Whose he is we are, and that is Caesar’s.
|
THYRÉUS.
— Allons! Ainsi donc, illustre reine, César
vous exhorte à ne pas tenir compte de votre situation,
mais à vous souvenir seulement qu'il est César.
|
THIDIAS.
So.—
Thus then, thou most renowned: Caesar entreats
Not to consider in what case thou stand’st
Further than he is Caesar.
|
CLÉOPÂTRE.
— Poursuis. — C'est agir loyalement.
|
CLEOPATRA.
Go on; right royal.
|
THYRÉUS.
— Il sait que vous restez attachée à Antoine
moins par amour que par crainte.
|
THIDIAS.
He knows that you embrace not Antony
As you did love, but as you feared him.
|
CLÉOPÂTRE.
— Oh!
|
CLEOPATRA.
O!
|
THYRÉUS.
— Il plaint donc les atteintes portées à votre
honneur comme des taches forcées, mais non méritées.
|
THIDIAS.
The scars upon your honour, therefore, he
Does pity as constrained blemishes,
Not as deserved.
|
CLÉOPÂTRE.
— Il est un dieu qui sait démêler la vérité.
Mon honneur n'a point cédé, il a été conquis par la
force.
|
CLEOPATRA.
He is a god and knows
What is most right. Mine honour was not yielded,
But conquered merely.
|
ÉNOBARBUS, à part.
— Pour m'assurer de ce fait, je le
demanderai à Antoine. — Seigneur, seigneur, tu es un
vaisseau qui prend tellement l'eau qu'il faut te laisser
couler à fond, car ce que tu as de plus cher t'abandonne.
|
ENOBARBUS.
[Aside.] To be sure of that,
I will ask Antony. Sir, sir, thou art so leaky
That we must leave thee to thy sinking, for
Thy dearest quit thee.
|
(Énobarbus sort.)
|
[Exit Enobarbus.]
|
THYRÉUS.
— Dirai-je à César ce que vous désirez de lui;
car il souhaite surtout qu'on lui demande pour pouvoir
accorder. Il serait enchanté que vous fissiez de sa fortune
un bâton pour vous appuyer. Mais ce qui enflammerait
encore plus son zèle pour vous, ce serait d'apprendre de
moi que vous avez quitté Antoine, et que vous vous réfugiez
sous l'abri de sa puissance, lui le maître de l'univers.
|
THIDIAS.
Shall I say to Caesar
What you require of him? For he partly begs
To be desired to give. It much would please him
That of his fortunes you should make a staff
To lean upon. But it would warm his spirits
To hear from me you had left Antony,
And put yourself under his shroud,
The universal landlord.
|
CLÉOPÂTRE.
— Quel est ton nom?
|
CLEOPATRA.
What’s your name?
|
THYRÉUS.
— Mon nom est Thyréus.
|
THIDIAS.
My name is Thidias.
|
CLÉOPÂTRE.
— Gracieux messager, dis au grand César
que je baise sa main victorieuse en la personne de son
député; dis-lui que je m'empresse de déposer ma couronne
à ses pieds et de lui rendre hommage à genoux.
Dis-lui que j'attends de sa voix souveraine la sentence de
l'Égypte.
|
CLEOPATRA.
Most kind messenger,
Say to great Caesar this in deputation:
I kiss his conqu’ring hand. Tell him I am prompt
To lay my crown at’s feet, and there to kneel.
Tell him, from his all-obeying breath I hear
The doom of Egypt.
|
THYRÉUS.
— C'est le parti le plus honorable pour vous.
Quand la prudence et la fortune sont aux prises, si la
première n'ose que ce qu'elle peut, nul hasard ne peut
l'ébranler. — Accordez-moi la faveur de déposer mon
hommage sur votre main.
|
THIDIAS.
’Tis your noblest course.
Wisdom and fortune combating together,
If that the former dare but what it can,
No chance may shake it. Give me grace to lay
My duty on your hand.
|
CLÉOPÂTRE.
— Plus d'une fois le père de votre César,
après avoir rêvé à la conquête des royaumes, posa ses
lèvres sur cette main indigne de lui, et la couvrit d'une
pluie de baisers.
|
CLEOPATRA.
Your Caesar’s father oft,
When he hath mused of taking kingdoms in,
Bestowed his lips on that unworthy place
As it rained kisses.
|
(Antoine entre avec Énobarbus.)
|
Enter Antony and Enobarbus.
|
ANTOINE.
— Des faveurs!... par Jupiter tonnant!—Qui
es-tu?
|
ANTONY.
Favours, by Jove that thunders!
What art thou, fellow?
|
THYRÉUS.
— Un homme qui exécute les ordres du plus
puissant des hommes et du plus digne d'être obéi.
|
THIDIAS.
One that but performs
The bidding of the fullest man and worthiest
To have command obeyed.
|
ÉNOBARBUS.
— Tu seras fouetté!
|
ENOBARBUS.
[Aside.] You will be whipped.
|
ANTOINE, à ses esclaves.
— Approchez ici.
— (A Cléopâtre.)
— Et toi, milan! — Eh bien! dieux et diables!
mon autorité s'évanouit! Naguère, quand je criais holà! des rois
accouraient aussitôt, comme une troupe d'enfants dans
une course, et me répondaient: Que me voulez-vous?
— N'avez-vous point d'oreilles? Je suis encore Antoine.
(Ses gens entrent.)
Saisissez-moi cet insolent, et fouettez-le.
|
ANTONY.
Approach there.—Ah, you kite!—Now, gods and devils,
Authority melts from me. Of late when I cried “Ho!”
Like boys unto a muss, kings would start forth
And cry “Your will?” Have you no ears? I am
Antony yet.
Enter Servants.
Take hence this jack and whip him.
|
ÉNOBARBUS.
— Il vaut mieux se jouer à un jeune lionceau
qu'à un vieux lion mourant.
|
ENOBARBUS.
’Tis better playing with a lion’s whelp
Than with an old one dying.
|
ANTOINE.
— Par la lune et les étoiles!—Qu'il soit fouetté!
Fussent-ils vingt des plus puissants tributaires qui rendent
hommage à César, si je les surprenais ayant l'insolence
de baiser la main de cette... Comment s'appelle-t-elle?
Jadis, c'était Cléopâtre! Fouettez-le jusqu'à ce que
vous le voyiez vous regarder d'un air suppliant comme
un écolier et vous demander miséricorde par ses gémissements.
Qu'on m'emmène.
|
ANTONY.
Moon and stars!
Whip him. Were’t twenty of the greatest tributaries
That do acknowledge Caesar, should I find them
So saucy with the hand of she here—what’s her name
Since she was Cleopatra? Whip him, fellows,
Till like a boy you see him cringe his face
And whine aloud for mercy. Take him hence.
|
THYRÉUS.
— Marc-Antoine...
|
THIDIAS.
Mark Antony—
|
ANTOINE.
— Qu'on l'entraîne, et quand il sera fouetté,
qu'on le ramène. Ce valet de César lui reportera un message.
(On emmène Thyréus.—A Cléopâtre.)
Vous étiez à moitié flétrie quand je vous ai connue.
— Ai-je laissé dans Rome ma couche vierge encore?
Ai-je renoncé à être le père d'une postérité légitime,
et par la perle des femmes, pour être trompé par une femme
qui regarde des valets?
|
ANTONY.
Tug him away. Being whipp’d,
Bring him again. This jack of Caesar’s shall
Bear us an errand to him.
[Exeunt Servants with Thidias.]
You were half blasted ere I knew you. Ha!
Have I my pillow left unpressed in Rome,
Forborne the getting of a lawful race,
And by a gem of women, to be abused
By one that looks on feeders?
|
CLÉOPÂTRE.
— Mon cher seigneur...
|
CLEOPATRA.
Good my lord—
|
ANTOINE.
— Vous avez toujours été perfide. Mais quand
nous nous endurcissons dans nos penchants dépravés,
ô malheur! les justes dieux ferment nos yeux, laissent
perdre notre raison dans notre propre infamie, nous font
adorer nos erreurs, et rient de nous voir marcher fièrement
à notre perte.
|
ANTONY.
You have been a boggler ever.
But when we in our viciousness grow hard—
O misery on’t!—the wise gods seal our eyes,
In our own filth drop our clear judgments, make us
Adore our errors, laugh at’s while we strut
To our confusion.
|
CLÉOPÂTRE.
— Oh! en sommes-nous là?
|
CLEOPATRA.
O, is’t come to this?
|
ANTOINE.
— Je vous ai trouvée comme un mets refroidi
sur la table de Jules-César mort; de plus, vous étiez aussi
un reste de Cnéius Pompée; sans compter toutes les heures
souillées de vos débauches clandestines, et qui n'ont
pas été enregistrées dans le livre de la Renommée; car
je suis sûr, quoique vous puissiez deviner, que vous ne
savez pas ce que c'est, ce que ce doit être que la vertu.
|
ANTONY.
I found you as a morsel cold upon
Dead Caesar’s trencher; nay, you were a fragment
Of Gneius Pompey’s, besides what hotter hours,
Unregistered in vulgar fame, you have
Luxuriously pick’d out. For I am sure,
Though you can guess what temperance should be,
You know not what it is.
|
CLÉOPÂTRE.
— Pourquoi tout cela?
|
CLEOPATRA.
Wherefore is this?
|
ANTOINE.
— Souffrir qu'un malheureux qui reçoit un
salaire et dit: Dieu vous le rende, prenne des libertés familières
avec cette main qui s'enchaîne à la mienne dans
nos jeux, avec cette main, sceau royal et gage des grands
cœurs! Oh! que ne suis-je sur la montagne de Bascan,
pour couvrir de mes cris le mugissement des bêtes à
cornes! car j'ai un motif terrible de fureur; et m'exprimer
avec courtoisie, ce serait être comme un homme
qui, se voyant la corde au cou, remercie le bourreau de
l'adresse qu'il montre.
(Thyréus rentre avec les gens d'Antoine.)
Est-il fouetté?
|
ANTONY.
To let a fellow that will take rewards
And say “God quit you!” be familiar with
My playfellow, your hand, this kingly seal
And plighter of high hearts! O that I were
Upon the hill of Basan, to outroar
The horned herd! For I have savage cause,
And to proclaim it civilly were like
A haltered neck which does the hangman thank
For being yare about him.
Enter a Servant with Thidias.
Is he whipped?
|
L'ESCLAVE.
— Solidement, seigneur.
|
SERVANT.
Soundly, my lord.
|
ANTOINE.
— A-t-il jeté des cris? A-t-il demandé grâce?
|
ANTONY.
Cried he? And begged he pardon?
|
L'ESCLAVE.
— Oui, seigneur.
|
SERVANT.
He did ask favour.
|
ANTOINE, à Thyréus.
— Si ton père vit encore, qu'il regrette
de n'avoir pas eu une fille au lieu de toi. Repens-toi
d'avoir suivi César dans ses triomphes, puisque tu as
été fouetté pour l'avoir suivi. Désormais, que la blanche
main d'une dame te donne la fièvre, tremble à sa seule
vue. — Retourne à César; apprends-lui ta réception. Vois
et dis-lui à quel point il m'irrite contre lui; car il affecte
l'orgueil et le dédain, et s'arrête à ce que je suis, sans se
souvenir de ce que je fus. Il m'irrite, et, dans ce moment,
cela est fort aisé, à présent que les astres favorables
qui jadis étaient mes guides ont fui de leur orbite
et ont précipité leur feu dans l'abîme de l'enfer. Si mon
langage et ce que j'ai fait lui déplaisent, dis-lui qu'Hipparchus,
mon affranchi, est en sa puissance et qu'il
peut, à son plaisir, le fouetter, le pendre ou le torturer
comme il voudra, pour s'acquitter avec moi. Presse-le de
le faire; maintenant, toi et tes coups, allez-vous-en.
|
ANTONY.
If that thy father live, let him repent
Thou wast not made his daughter; and be thou sorry
To follow Caesar in his triumph, since
Thou hast been whipped for following him. Henceforth
The white hand of a lady fever thee;
Shake thou to look on’t. Get thee back to Caesar;
Tell him thy entertainment. Look thou say
He makes me angry with him; for he seems
Proud and disdainful, harping on what I am,
Not what he knew I was. He makes me angry,
And at this time most easy ’tis to do’t,
When my good stars that were my former guides
Have empty left their orbs and shot their fires
Into th’ abysm of hell. If he mislike
My speech and what is done, tell him he has
Hipparchus, my enfranched bondman, whom
He may at pleasure whip, or hang, or torture,
As he shall like, to quit me. Urge it thou.
Hence with thy stripes, be gone.
|
(Thyréus sort.)
|
[Exit Thidias.]
|
CLÉOPÂTRE.
— Avez-vous fini?
|
CLEOPATRA.
Have you done yet?
|
ANTOINE.
— Hélas! notre lune terrestre est éclipsée; ce
présage seul annonce la chute d'Antoine.
|
ANTONY.
Alack, our terrene moon is now eclipsed,
And it portends alone the fall of Antony.
|
CLÉOPÂTRE.
— Il faut que j'attende qu'il puisse m'écouter.
|
CLEOPATRA.
I must stay his time.
|
ANTOINE.
— Pour flatter César, avez-vous pu échanger
des regards avec un homme qui lui lace ses chaussures?
|
ANTONY.
To flatter Caesar, would you mingle eyes
With one that ties his points?
|
CLÉOPÂTRE.
— Vous ne me connaissez pas encore?
|
CLEOPATRA.
Not know me yet?
|
ANTOINE.
— Je vous connais un cœur glacé pour moi.
|
ANTONY.
Cold-hearted toward me?
|
CLÉOPÂTRE.
— Ah! cher amant, si cela est, que le ciel
change mon cœur glacé en grêle et l'empoisonne dans
sa source! que le premier grêlon s'arrête dans mon gosier
et s'y dissolve avec ma vie! que le second frappe
Césarion jusqu'à ce que, l'un après l'autre, tous les fruits
de mes entrailles, et mes braves Égyptiens écrasés sous
cet orage de grêle, gisent tous sans tombeau et deviennent
la proie des mouches et des moucherons du Nil!
|
CLEOPATRA.
Ah, dear, if I be so,
From my cold heart let heaven engender hail
And poison it in the source, and the first stone
Drop in my neck; as it determines, so
Dissolve my life! The next Caesarion smite,
Till, by degrees the memory of my womb,
Together with my brave Egyptians all,
By the discandying of this pelleted storm,
Lie graveless, till the flies and gnats of Nile
Have buried them for prey!
|
ANTOINE.
— Je suis satisfait. César veut s'établir dans
Alexandrie; c'est là que je lutterai contre sa fortune. Nos
troupes de terre ont tenu ferme; notre flotte dispersée
s'est ralliée et vogue encore sous un appareil menaçant.
Où étais-tu, mon cœur? Entends-tu, reine, si je reviens
encore une fois du champ de bataille pour baiser ces
lèvres, je reviendrai tout couvert de sang. Mon épée et
moi, nous allons gagner notre place dans l'histoire. J'espère
encore.
|
ANTONY.
I am satisfied.
Caesar sits down in Alexandria, where
I will oppose his fate. Our force by land
Hath nobly held; our severed navy too
Have knit again, and fleet, threat’ning most sea-like.
Where hast thou been, my heart? Dost thou hear, lady?
If from the field I shall return once more
To kiss these lips, I will appear in blood.
I and my sword will earn our chronicle.
There’s hope in’t yet.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je reconnais mon héros.
|
CLEOPATRA.
That’s my brave lord!
|
ANTOINE.
— Je veux que mes muscles, que mon cœur, que
mon haleine, déploient une triple force, et je combattrai à
toute outrance. Quand mes heures coulaient dans la prospérité,
les hommes rachetaient de moi leur vie pour un
bon mot; mais maintenant je serrerai les dents et j'enverrai
dans les ténèbres tout ce qui tentera de m'arrêter.—Viens,
passons encore une nuit dans la joie. Qu'on appelle autour
de moi tous mes sombres officiers; qu'on remplisse
nos coupes; et pour la dernière fois, oublions en buvant
la cloche de minuit.
|
ANTONY.
I will be treble-sinewed, hearted, breathed,
And fight maliciously. For when mine hours
Were nice and lucky, men did ransom lives
Of me for jests. But now I’ll set my teeth
And send to darkness all that stop me. Come,
Let’s have one other gaudy night. Call to me
All my sad captains. Fill our bowls once more
Let’s mock the midnight bell.
|
CLÉOPÂTRE.
— C'est aujourd'hui le jour de ma naissance.
Je m'attendais à le passer dans la tristesse. Mais puisque
mon seigneur est encore Antoine, je veux être Cléopâtre.
|
CLEOPATRA.
It is my birthday.
I had thought t’have held it poor, but since my lord
Is Antony again, I will be Cleopatra.
|
ANTOINE.
— Nous goûterons encore le bonheur.
|
ANTONY.
We will yet do well.
|
CLÉOPÂTRE.
— Qu'on appelle auprès de mon Antoine tous
ses braves officiers.
|
CLEOPATRA.
Call all his noble captains to my lord.
|
ANTOINE.
— Oui. Je leur parlerai; et ce soir je veux que
le vin enlumine leurs cicatrices.—Venez, ma reine, il y
a encore de la sève. Au premier combat que je livrerai,
je forcerai la mort à me chérir, car je veux rivaliser avec
sa faux homicide.
|
ANTONY.
Do so; we’ll speak to them; and tonight I’ll force
The wine peep through their scars. Come on, my queen,
There’s sap in’t yet. The next time I do fight
I’ll make Death love me, for I will contend
Even with his pestilent scythe.
|
(Ils sortent tous les deux.)
|
[Exeunt all but Enobarbus.]
|
ÉNOBARBUS.
— Allons, le voilà qui veut surpasser la
foudre. Être furieux, c'est être vaillant par excès de peur;
et, dans cette disposition, la colombe attaquerait l'épervier.
Je vois cependant que mon général ne regagne du
cœur qu'aux dépens de sa tête. Quand le courage usurpe
sur la raison du guerrier, il ronge l'épée avec laquelle il
combat.—Je vais chercher les moyens de le quitter.
|
ENOBARBUS.
Now he’ll outstare the lightning. To be furious
Is to be frighted out of fear, and in that mood
The dove will peck the estridge; and I see still
A diminution in our captain’s brain
Restores his heart. When valour preys on reason,
It eats the sword it fights with. I will seek
Some way to leave him.
|
FIN DU TROISIÈME ACTE.
|
[Exit.]
|
SCÈNE XII
|
SCENE XIV.
|
Alexandrie.—Un autre appartement du palais.
|
Alexandria. Another Room.
|
ANTOINE, ÉROS.
|
Enter Antony and Eros.
|
ANTOINE.
— Éros, tu me vois encore!
|
ANTONY.
Eros, thou yet behold’st me?
|
ÉROS.
— Oui, mon noble maître.
|
EROS.
Ay, noble lord.
|
ANTOINE.
— Tu as vu quelquefois un nuage qui ressemble
à un dragon, une vapeur qui nous représente un
ours ou un lion, une citadelle avec des tours, un rocher
pendant, un mont à double cime, ou un promontoire
bleuâtre couronné de forêts qui se balancent sur nos
têtes; tu as vu ces images qui sont les spectacles que
nous offre le sombre crépuscule?
|
ANTONY.
Sometime we see a cloud that’s dragonish,
A vapour sometime like a bear or lion,
A towered citadel, a pendant rock,
A forked mountain, or blue promontory
With trees upon’t, that nod unto the world
And mock our eyes with air. Thou hast seen these signs.
They are black vesper’s pageants.
|
ÉROS.
— Oui, seigneur.
|
EROS.
Ay, my lord.
|
ANTOINE.
— Ce qui nous paraît un coursier est effacé
en moins d'une pensée par la séparation des nuages, et
se confond avec eux comme l'eau dans l'eau.
|
ANTONY.
That which is now a horse, even with a thought
The rack dislimns and makes it indistinct
As water is in water.
|
ÉROS.
— Oui, seigneur.
|
EROS.
It does, my lord.
|
ANTOINE.
— Eh bien! bon serviteur, cher Éros, ton
général n'est plus qu'une de ces formes imaginaires. Je
suis encore Antoine, mais je ne puis plus garder ce corps
visible, mon serviteur.—C'est pour l'Égypte que j'ai
entrepris cette guerre, et la reine, dont je croyais posséder
le cœur, car elle possédait le mien, mon cœur qui,
pendant qu'il était à moi, s'était attaché un million de
cœurs, perdus maintenant; elle, qui a arrangé les cartes
avec César, et, par un jeu perfide, a livré ma gloire au
triomphe de mon ennemi.—Non, ne pleure pas, cher
Éros; pour finir mes destins, je me reste à moi-même.
(Entre Mardian.)
Oh! ta vile maîtresse! elle m'a volé mon épée!
|
ANTONY.
My good knave Eros, now thy captain is
Even such a body. Here I am Antony,
Yet cannot hold this visible shape, my knave.
I made these wars for Egypt, and the Queen,
Whose heart I thought I had, for she had mine,
Which, whilst it was mine, had annexed unto’t
A million more, now lost—she, Eros, has
Packed cards with Caesar, and false-played my glory
Unto an enemy’s triumph.
Nay, weep not, gentle Eros. There is left us
Ourselves to end ourselves.
Enter Mardian.
O, thy vile lady!
She has robbed me of my sword.
|
MARDIAN.
— Non, Antoine, ma maîtresse vous aimait,
et elle a associé sans réserve sa fortune à la vôtre.
|
MARDIAN.
No, Antony,
My mistress loved thee and her fortunes mingled
With thine entirely.
|
ANTOINE.
— Loin de moi, eunuque insolent; tais-toi.
Elle m'a trahi, il faut qu'elle meure.
|
ANTONY.
Hence, saucy eunuch! Peace!
She hath betrayed me and shall die the death.
|
MARDIAN.
— La mort est une dette que chacun ne peut
payer qu'une fois, et elle l'a déjà acquittée. Ce que vous
vouliez faire est fait; elle a prévenu votre bras; et le dernier
mot qu'elle a prononcé, c'est: Antoine, généreux
Antoine! Elle a voulu encore prononcer votre nom, mais
un dernier gémissement l'a laissé à moitié prononcé
entre ses lèvres et son cœur; elle a expiré avec votre
nom enseveli dans son sein.
|
MARDIAN.
Death of one person can be paid but once,
And that she has discharged. What thou wouldst do
Is done unto thy hand. The last she spake
Was “Antony! Most noble Antony!”
Then in the midst a tearing groan did break
The name of Antony; it was divided
Between her heart and lips. She rendered life,
Thy name so buried in her.
|
ANTOINE.
— Elle est morte?
|
ANTONY.
Dead, then?
|
MARDIAN.
— Morte.
|
MARDIAN.
Dead.
|
ANTOINE.
— Éros, ôte-moi mon armure: la tâche de la
longue journée est finie, et il est temps de dormir. Tiens-toi
pour bien payé de ton message, puisque tu sors vivant
de ces lieux. Va-t'en. (Mardian sort.)
Ôte-moi cette armure, le septuple bouclier d'Ajax ne peut
comprimer les battements de mon cœur. O mes flancs! brisez-vous;
toi, mon cœur, sois une fois plus fort que la chair
qui t'emprisonne.—Dépêche, Éros, dépêche. Je ne
suis plus un guerrier.—Débris de mon armure, allez
loin de moi, vous avez été portés avec honneur.—Laissez-moi
seul un moment.—(Éros sort.)
O Cléopâtre! je je vais te rejoindre, et implorer ton pardon par mes larmes.
Allons, il faut finir, tout délai est un nouveau supplice.
Puisque la torche est éteinte, couchons-nous et
n'allons pas plus loin. Maintenant toute résistance serait
inutile, et nuirait au lieu de servir. La force s'embarrasse
de ses propres efforts; apposons notre sceau, et tout est
fini.—Éros!—Je viens, ô ma reine!—Éros!—Attends-moi
dans ces lieux, où les ombres reposent sur les fleurs.
Là, les mains dans les mains, nous fixerons sur nous les
regards des ombres attirées par l'héroïque majesté de
nos mânes. Didon et son Énée verront leur cour déserte,
et toute la foule nous suivra.—Éros! Viens donc!
|
ANTONY.
Unarm, Eros. The long day’s task is done,
And we must sleep.—That thou depart’st hence safe
Does pay thy labour richly. Go.
[Exit Mardian.]
Off, pluck off!
The sevenfold shield of Ajax cannot keep
The battery from my heart. O, cleave, my sides!
Heart, once be stronger than thy continent;
Crack thy frail case! Apace, Eros, apace!
No more a soldier. Bruised pieces, go;
You have been nobly borne. From me awhile.
[Exit Eros.]
I will o’ertake thee, Cleopatra, and
Weep for my pardon. So it must be, for now
All length is torture. Since the torch is out,
Lie down, and stray no farther. Now all labour
Mars what it does; yea, very force entangles
Itself with strength. Seal then, and all is done.
Eros!—I come, my queen.—Eros!—Stay for me.
Where souls do couch on flowers, we’ll hand in hand,
And with our sprightly port make the ghosts gaze.
Dido and her Aeneas shall want troops,
And all the haunt be ours.—Come, Eros, Eros!
|
(Éros paraît.)
|
Enter Eros.
|
ÉROS.
— Que veut mon maître?
|
EROS.
What would my lord?
|
ANTOINE.
— Depuis que Cléopâtre n'est plus, j'ai vécu
avec tant de déshonneur que les dieux abhorrent ma
bassesse. Moi, qui avec mon épée partageais l'univers,
moi qui construisit sur le dos verdâtre de Neptune des
cités avec mes vaisseaux, je m'accuse de manquer du
courage d'une femme. Mon âme est moins noble que la
sienne, elle qui par sa mort dit à notre César: Je n'ai
d'autre vainqueur que moi-même.—Éros, tu m'as juré
que, si jamais les circonstances l'exigeaient (et elles
l'exigent bien maintenant), quand je me verrais poursuivi
par une suite de malheurs et d'horreurs inévitables,
alors, sur mon ordre, tu me donnerais la mort. Fais-le,
le temps est venu. Ce n'est pas moi que tu frapperas;
c'est César que tu vas priver du fruit de la victoire. Rappelle
la couleur sur tes joues.
|
ANTONY.
Since Cleopatra died,
I have lived in such dishonour that the gods
Detest my baseness. I, that with my sword
Quartered the world, and o’er green Neptune’s back
With ships made cities, condemn myself to lack
The courage of a woman; less noble mind
Than she which, by her death, our Caesar tells
“I am conqueror of myself.” Thou art sworn, Eros,
That when the exigent should come, which now
Is come indeed, when I should see behind me
Th’ inevitable prosecution of
Disgrace and horror, that on my command
Thou then wouldst kill me. Do’t. The time is come.
Thou strik’st not me; ’tis Caesar thou defeat’st.
Put colour in thy cheek.
|
ÉROS.
— Que les dieux m'en gardent! Ferais-je ce que
n'ont pu faire tous les traits des Parthes ennemis, lancés
vainement contre vous?
|
EROS.
The gods withhold me!
Shall I do that which all the Parthian darts,
Though enemy, lost aim and could not?
|
ANTOINE.
— Cher Éros, voudrais-tu donc, des fenêtres
de la vaste Rome, voir ton maître les bras croisés, courbant
son front humilié et le visage dompté par une
honte pénétrante, tandis que l'heureux César, marchant
devant lui dans son char, raillerait la bassesse de celui
qui le suit?
|
ANTONY.
Eros,
Wouldst thou be windowed in great Rome and see
Thy master thus with pleached arms, bending down
His corrigible neck, his face subdued
To penetrative shame, whilst the wheeled seat
Of fortunate Caesar, drawn before him, branded
His baseness that ensued?
|
ÉROS.
— Non, je ne voudrais pas le voir.
|
EROS.
I would not see’t.
|
ANTOINE.
— Approche donc: car il n'y a qu'une blessure
qui puisse me guérir. Allons, tire ton épée fidèle,
qui dans tes mains fut tant de fois utile à ta patrie.
|
ANTONY.
Come, then, for with a wound I must be cured.
Draw that thy honest sword, which thou hast worn
Most useful for thy country.
|
ÉROS.
— Ah! seigneur, pardonnez!
|
EROS.
O, sir, pardon me!
|
ANTOINE.
— Quand je t'ai affranchi, ne juras-tu pas de
faire ce que je te demande ici dès que je te l'ordonnerais?
Obéis, ou je regarderai tous tes services passés
comme des accidents involontaires; tire ton épée et approche.
|
ANTONY.
When I did make thee free, swor’st thou not then
To do this when I bade thee? Do it at once,
Or thy precedent services are all
But accidents unpurposed. Draw, and come.
|
ÉROS.
— Détournez donc de moi ce noble visage, fait
pour être adoré de l'univers entier.
|
EROS.
Turn from me then that noble countenance
Wherein the worship of the whole world lies.
|
ANTOINE, détournant son visage.
— Allons.
|
ANTONY.
Lo thee!
[Turning from him.]
|
ÉROS.
— Mon épée est tirée.
|
EROS.
My sword is drawn.
|
ANTOINE.
— Alors, fais tout de suite la chose pour laquelle
tu l'as tirée.
|
ANTONY.
Then let it do at once
The thing why thou hast drawn it.
|
ÉROS.
— Mon cher maître, mon général, mon souverain,
permettez qu'avant de frapper ce coup sanglant je
vous dise adieu.
|
EROS.
My dear master,
My captain and my emperor, let me say,
Before I strike this bloody stroke, farewell.
|
ANTOINE.
— Tu l'as dit, ami. Adieu.
|
ANTONY.
’Tis said, man, and farewell.
|
ÉROS.
— Adieu, mon illustre chef. Frapperai-je?
|
EROS.
Farewell, great chief. Shall I strike now?
|
ANTOINE.
— A l'instant, Éros.
|
ANTONY.
Now, Eros.
|
ÉROS.
— Eh bien! ici alors...
(Il se jette sur son épée.)
C'est ainsi que j'échappe à la douleur d'immoler Antoine.
|
EROS.
Why, there then! [kills himself]
Thus do I escape the sorrow
Of Antony’s death.
|
(Il expire.)
|
[Dies.]
|
ANTOINE.
— Ô toi! qui es trois fois plus noble que moi!
brave Éros, tu m'apprends ce que je devrais et ce que
tu n'as pu faire. Ma reine et le fidèle Éros ont, par leur
courageux exemple, gagné sur moi de la gloire dans
l'histoire. Mais je serai comme un nouvel époux pour la
mort, et je vole dans ses bras comme au lit de mon
amante. Allons, c'en est fait, Éros, ton maître meurt
selon ton exemple. Voilà ce que tu m'as appris. (Il se précipite
sur son épée.) Comment, pas mort encore? pas mort?
Holà, gardes! Oh! achevez-moi!
|
ANTONY.
Thrice nobler than myself!
Thou teachest me, O valiant Eros, what
I should and thou couldst not. My queen and Eros
Have by their brave instruction got upon me
A nobleness in record. But I will be
A bridegroom in my death and run into’t
As to a lover’s bed. Come then, and, Eros,
Thy master dies thy scholar. To do thus
[Falling on his sword.]
I learned of thee. How? Not dead? Not dead?
The guard, ho! O, dispatch me!
|
(Entrent Dercétas et la garde).
|
Enter a company of the Guard, one of them Dercetus.
|
PREMIER GARDE.
— D'où viennent ces cris?
|
FIRST GUARD.
What’s the noise?
|
ANTOINE.
— Amis, j'ai mal fait mon ouvrage... Oh!
achevez ce que j'ai commencé.
|
ANTONY.
I have done my work ill, friends. O, make an end
Of what I have begun.
|
SECOND GARDE.
— L'astre est tombé.
|
SECOND GUARD.
The star is fallen.
|
PREMIER GARDE.
— Sa période est achevée.
|
FIRST GUARD.
And time is at his period.
|
TOUS.
— Hélas! ô malheur!
|
ALL.
Alas, and woe!
|
ANTOINE.
— Que celui de vous qui m'aime achève ma mort.
|
ANTONY.
Let him that loves me strike me dead.
|
PREMIER GARDE.
— Pas moi.
|
FIRST GUARD.
Not I.
|
SECOND GARDE.
— Ni moi.
|
SECOND GUARD.
Nor I.
|
TROISIÈME GARDE.
— Ni personne.
|
THIRD GUARD.
Nor anyone.
|
(Ils sortent.)
|
[Exeunt guard.]
|
DERCÉTAS.
— Ta fortune et ta mort font déserter tes
amis. Que je montre seulement cette épée à César, et
avec cette nouvelle je suis sûr d'être bien accueilli.
|
DERCETUS.
Thy death and fortunes bid thy followers fly.
This sword but shown to Caesar with this tidings,
Shall enter me with him.
|
(Diomède entre.)
|
Enter Diomedes.
|
DIOMÈDE.
— Où est Antoine?
|
DIOMEDES.
Where’s Antony?
|
DERCÉTAS.
— Là, Diomède, là.
|
DERCETUS.
There, Diomed, there.
|
DIOMÈDE.
— Est-il en vie?—Veux-tu répondre?
|
DIOMEDES.
Lives he? Wilt thou not answer, man?
|
(Dercétas sort.)
|
[Exit Dercetus.]
|
ANTOINE.
— Est-ce toi, Diomède? Tire ton épée et
frappe; que j'achève de mourir.
|
ANTONY.
Art thou there, Diomed? Draw thy sword and give me
Sufficing strokes for death.
|
DIOMÈDE.
— Illustre souverain, ma maîtresse Cléopâtre
m'envoie vers toi.
|
DIOMEDES.
Most absolute lord,
My mistress Cleopatra sent me to thee.
|
ANTOINE.
— Quand t'a-t-elle envoyé?
|
ANTONY.
When did she send thee?
|
DERCÉTAS.
— Dans le moment, seigneur.
|
DIOMEDES.
Now, my lord.
|
ANTOINE.
— Où est-elle?
|
ANTONY.
Where is she?
|
DIOMÈDE.
— Elle est enfermée dans son monument:
elle avait un pressentiment de ce qui est arrivé. Lorsqu'elle
a vu que vous la soupçonniez, soupçon dont on
ne trouvera jamais la preuve, de s'être arrangée avec
César, et que rien ne pouvait apaiser vos fureurs, elle
vous a fait annoncer qu'elle était morte; mais ensuite,
craignant l'effet de cette nouvelle, elle m'envoie vous
déclarer la vérité, et je viens, je le crains bien, trop
tard.
|
DIOMEDES.
Locked in her monument. She had a prophesying fear
Of what hath come to pass. For when she saw—
Which never shall be found—you did suspect
She had disposed with Caesar, and that your rage
Would not be purged, she sent you word she was dead;
But fearing since how it might work, hath sent
Me to proclaim the truth, and I am come,
I dread, too late.
|
ANTOINE.
— Trop tard, bon Diomède. Appelle mes
gardes, je te prie.
|
ANTONY.
Too late, good Diomed. Call my guard, I prithee.
|
DIOMÈDE.
— Holà! les gardes de l'empereur! Gardes,
avancez, votre seigneur vous appelle.
|
DIOMEDES.
What, ho! The emperor’s guard! The guard, what ho!
Come, your lord calls!
|
(Les gardes entrent.)
|
Enter four or five of the Guard of Antony.
|
ANTOINE.
— Portez-moi, mes bons amis, aux lieux où
est Cléopâtre; c'est le dernier service que je vous demanderai.
|
ANTONY.
Bear me, good friends, where Cleopatra bides.
’Tis the last service that I shall command you.
|
UN GARDE.
— Nous sommes désolés, seigneur, que
vous ne puissiez pas survivre au dernier de tous vos fidèles
serviteurs.
|
FIRST GUARD.
Woe, woe are we, sir, you may not live to wear
All your true followers out.
|
TOUS.
— Ô jour de calamité!
|
ALL.
Most heavy day!
|
ANTOINE.
— Allons, mes chers camarades, ne faites pas
au sort barbare l'honneur de vos larmes; souhaitez la
bienvenue aux coups qui viennent nous frapper. C'est
se venger de lui que de les recevoir avec insouciance.
Soulevez-moi; je vous ai conduit souvent: portez-moi à
votre tour, mes bons amis, et recevez tous mes remerciements.
(Ils sortent, emportant Antoine.)
|
ANTONY.
Nay, good my fellows, do not please sharp fate
To grace it with your sorrows. Bid that welcome
Which comes to punish us, and we punish it,
Seeming to bear it lightly. Take me up.
I have led you oft; carry me now, good friends,
And have my thanks for all.
[Exeunt, bearing Antony.]
|
SCÈNE XIII
|
SCENE XV.
|
Alexandrie. — Un mausolée.
|
Alexandria. A monument.
|
On voit sur une galerie CLÉOPÂTRE, CHARMIANE ET IRAS.
|
Enter Cleopatra and her maids aloft, with Charmian and Iras.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ô Charmiane! c'en est fait, je ne sors
plus d'ici!
|
CLEOPATRA.
O Charmian, I will never go from hence.
|
CHARMIANE.
— Consolez-vous, madame.
|
CHARMIAN.
Be comforted, dear madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— Non, je ne le veux pas... Les événements
les plus étranges et les plus terribles seront les bienvenus;
mais je dédaigne les consolations. L'étendue de
ma douleur doit égaler la grandeur de sa cause.
(A Diomède, qui revient.)
Comment? est-il mort?
|
CLEOPATRA.
No, I will not.
All strange and terrible events are welcome,
But comforts we despise. Our size of sorrow,
Proportioned to our cause, must be as great
As that which makes it.
Enter, below Diomedes.
How now! Is he dead?
|
DIOMÈDE.
— Pas encore, madame, mais la mort est sur
lui. Regardez de l'autre côté du monument, ses gardes
l'ont apporté jusqu'ici.
|
DIOMEDES.
His death’s upon him, but not dead.
Look out o’ th’ other side your monument;
His guard have brought him thither.
|
(Antoine paraît, porté par ses gardes.)
|
Enter, below Antony borne by the Guard.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ô soleil! consume la sphère où tu te
meus, et qu'une nuit éternelle couvre le visage changeant
du monde! — O Antoine! Antoine! Antoine! — Aide-moi,
Charmiane; aide-moi, Iras. Mes amis, secondez-nous;
élevons-le jusqu'à moi.
|
CLEOPATRA.
O sun,
Burn the great sphere thou mov’st in! Darkling stand
The varying shore o’ th’ world. O Antony,
Antony, Antony! Help, Charmian! Help, Iras, help!
Help, friends below! Let’s draw him hither.
|
ANTOINE.
— Calmez-vous; ce n'est pas sous la valeur
de César qu'Antoine succombe, Antoine seul a triomphé
de lui-même.
|
ANTONY.
Peace!
Not Caesar’s valour hath o’erthrown Antony,
But Antony’s hath triumphed on itself.
|
CLÉOPÂTRE.
— Il en devait être ainsi: nul autre qu'Antoine
ne devait triompher d'Antoine; mais malheur à
moi qu'il en soit ainsi!
|
CLEOPATRA.
So it should be, that none but Antony
Should conquer Antony, but woe ’tis so!
|
ANTOINE.
— Je meurs, reine d'Égypte, je meurs; cependant
j'implore de la mort un moment pour que je
puisse déposer sur tes lèvres encore un pauvre baiser, le
dernier de tant de baisers.
|
ANTONY.
I am dying, Egypt, dying. Only
I here importune death awhile until
Of many thousand kisses the poor last
I lay upon thy lips.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je n'ose, cher amant; cher Antoine, pardonne;
mais je n'ose descendre, je crains d'être surprise...
Jamais ce César, que la fortune accable de ses
dons, ne verra son orgueilleux triomphe décoré de ma
personne... Si les poignards ont une pointe, les poisons
de la force, les serpents un dard, je suis en sûreté. Jamais
ta sage Octavie, avec son regard modeste et sa froide
résolution, ne jouira du triomphe de me contempler;
mais viens, viens, cher Antoine. Aidez-moi, mes femmes;
il faut que nous le montions ici; bons amis, secondez-moi.
|
CLEOPATRA.
I dare not, dear
Dear my lord, pardon. I dare not,
Lest I be taken. Not th’ imperious show
Of the full-fortuned Caesar ever shall
Be brooched with me; if knife, drugs, serpents, have
Edge, sting, or operation, I am safe.
Your wife Octavia, with her modest eyes
And still conclusion, shall acquire no honour
Demuring upon me. But come, come, Antony—
Help me, my women—we must draw thee up.
Assist, good friends.
|
ANTOINE.
— Ô hâtez-vous, ou je m'en vais!
|
ANTONY.
O, quick, or I am gone.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ceci est un jeu, en vérité. Comme mon
seigneur est lourd! La douleur a épuisé nos forces, et
ajoute un nouveau poids à son corps. Ah! si j'avais la
puissance de l'immortelle Junon, Mercure t'enlèverait
sur ses robustes ailes, et te placerait à côté de Jupiter...
Mais viens, viens. Ceux qui font des souhaits sont toujours
fous. Oh! viens, viens, viens. (Ils enlèvent et montent
Antoine.) Et sois le bienvenu, le bienvenu auprès de
moi... Meurs là où tu as vécu; que mes baisers te raniment.
Ah! si mes lèvres avaient ce pouvoir, je les userais
à force de baisers.
|
CLEOPATRA.
Here’s sport indeed! How heavy weighs my lord!
Our strength is all gone into heaviness;
That makes the weight. Had I great Juno’s power,
The strong-winged Mercury should fetch thee up
And set thee by Jove’s side. Yet come a little;
Wishers were ever fools. O come, come come,
[They heave Antony aloft to Cleopatra.]
And welcome, welcome! Die where thou hast lived;
Quicken with kissing. Had my lips that power,
Thus would I wear them out.
|
TOUS.
— Ô douloureux spectacle!
|
ALL.
A heavy sight!
|
ANTOINE.
— Je meurs, Égyptienne, je meurs... Donnez-moi
un peu de vin pour que je puisse prononcer encore
quelques paroles.
|
ANTONY.
I am dying, Egypt, dying.
Give me some wine, and let me speak a little.
|
CLÉOPÂTRE.
— Non, laisse-moi parler plutôt, laisse-moi
accuser si hautement la fortune; que la fortune, perfide
ouvrière, brise son rouet
dans le dépit que lui causeront mes outrages.
|
CLEOPATRA.
No, let me speak, and let me rail so high
That the false huswife Fortune break her wheel,
Provoked by my offence.
|
ANTOINE.
— Un mot, chère reine; assurez auprès de
César votre honneur et votre sûreté... Ah!
|
ANTONY.
One word, sweet queen:
Of Caesar seek your honour, with your safety. O!
|
CLÉOPÂTRE.
— Ces deux choses ne vont pas ensemble.
|
CLEOPATRA.
They do not go together.
|
ANTOINE.
— Chère Cléopâtre, écoutez-moi: de tous
ceux qui entourent César, ne vous fiez qu'à Proculéius.
|
ANTONY.
Gentle, hear me.
None about Caesar trust but Proculeius.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je me fierai à ma résolution et à mes
mains, et non à aucun des amis de César.
|
CLEOPATRA.
My resolution and my hands I’ll trust;
None about Caesar.
|
ANTOINE.
— N'allez point gémir, ni vous lamenter sur
le déplorable changement qui m'arrive au terme de ma
carrière; charmez plutôt vos pensées par le souvenir de
ma fortune passée, lorsque j'étais le plus noble, le plus
grand prince de l'univers; je ne meurs pas aujourd'hui
honteusement ni lâchement, je ne cède pas mon casque
à mon compatriote; je suis un Romain vaincu avec
honneur par un Romain. Ah! mon âme s'envole. Je n'en
puis plus.
|
ANTONY.
The miserable change now at my end
Lament nor sorrow at, but please your thoughts
In feeding them with those my former fortunes
Wherein I lived the greatest prince o’ th’ world,
The noblest; and do now not basely die,
Not cowardly put off my helmet to
My countryman; a Roman by a Roman
Valiantly vanquished. Now my spirit is going;
I can no more.
|
(Antoine expire.)
|
|
CLÉOPÂTRE.
— O le plus généreux des mortels, veux-tu
donc mourir? Tu n'as donc plus souci de moi?... Resterai-je
dans ce monde insipide, qui, sans toi, n'est plus
qu'un bourbier fangeux.—O mes femmes, voyez! Le roi
de la terre s'anéantit... Mon seigneur!... Oui, le laurier
de la guerre est flétri; la colonne des guerriers est renversée.
Désormais les enfants et les filles timides marcheront
de pair avec les hommes. Les prodiges sont finis,
et après Antoine il ne reste plus rien de remarquable sous
la clarté de la lune.
|
CLEOPATRA.
Noblest of men, woo’t die?
Hast thou no care of me? Shall I abide
In this dull world, which in thy absence is
No better than a sty? O, see, my women,
[Antony dies.]
The crown o’ th’ earth doth melt.—My lord!
O, withered is the garland of the war,
The soldier’s pole is fallen; young boys and girls
Are level now with men. The odds is gone,
And there is nothing left remarkable
Beneath the visiting moon.
|
(Elle s'évanouit.)
|
[Faints.]
|
CHARMIANE.
— Ah! calmez-Vous, madame.
|
CHARMIAN.
O, quietness, lady!
|
IRAS.
— Elle est morte aussi, notre maîtresse.
|
IRAS.
She is dead too, our sovereign.
|
CHARMIANE.
— Reine...
|
CHARMIAN.
Lady!
|
IRAS.
— Madame...
|
IRAS.
Madam!
|
CHARMIANE.
— O madame! madame! madame!
|
CHARMIAN.
O madam, madam, madam!
|
IRAS.
— Reine d'Égypte! souveraine...
|
IRAS.
Royal Egypt, Empress!
|
CHARMIANE.
— Tais-toi, tais-toi, Iras...
|
CHARMIAN.
Peace, peace, Iras!
|
CLÉOPÂTRE.
— Non, je ne suis plus qu'une femme, et
assujettie aux mêmes passions que la servante qui trait
les vaches et exécute les plus obscurs travaux. Il m'appartiendrait
de jeter mon sceptre aux dieux barbares, et
de leur dire que cet univers fut égal à leur Olympe jusqu'au
jour où ils m'ont enlevé mon trésor.—Tout n'est
plus que néant. La patience est une sotte et l'impatience
est devenue un chien enragé... Est-ce donc un crime de
se précipiter dans la secrète demeure de la mort, avant
que la mort ose venir à nous? Comment êtes-vous, mes
femmes? Allons, allons, bon courage! Allons, voyons,
Charmiane! Mes chères filles!... Ah! femmes, femmes,
voyez, notre flambeau est éteint.
(Aux soldats d'Antoine.)
— Bons amis, prenez courage, nous l'ensevelirons;
ensuite, ce qui est brave, ce qui est noble, accomplissons-le
en digne Romaine, et que la mort soit fière de nous
prendre. Sortons: l'enveloppe qui renfermait cette
grande âme est glacée. O mes femmes, mes femmes!
suivez-moi, nous n'avons plus d'amis, que notre courage
et la mort la plus courte.
|
CLEOPATRA.
No more but e’en a woman, and commanded
By such poor passion as the maid that milks
And does the meanest chares. It were for me
To throw my sceptre at the injurious gods,
To tell them that this world did equal theirs
Till they had stolen our jewel. All’s but naught;
Patience is sottish, and impatience does
Become a dog that’s mad. Then is it sin
To rush into the secret house of death
Ere death dare come to us? How do you, women?
What, what! good cheer! Why, how now, Charmian?
My noble girls! Ah, women, women! Look,
Our lamp is spent, it’s out! Good sirs, take heart.
We’ll bury him; and then, what’s brave, what’s noble,
Let’s do it after the high Roman fashion
And make death proud to take us. Come, away.
This case of that huge spirit now is cold.
Ah, women, women! Come, we have no friend
But resolution and the briefest end.
|
(Elles sortent; on emporte le corps d'Antoine.)
|
[Exeunt, bearing off Antony’s body.]
|
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
|
|
SCÈNE II
|
SCENE II.
|
Alexandrie. — Intérieur du mausolée.
|
Alexandria. A Room in the Monument.
|
Entrent CLÉOPÂTRE, CHARMIANE ET IRAS.
|
Enter Cleopatra, Charmian and Iras.
|
CLÉOPÂTRE.
— Mon désespoir commence à se calmer.
C'est un pauvre honneur que d'être César; il n'est pas la
fortune, mais seulement son esclave et un agent de ses
volontés. Il est grand de faire ce qui met un terme à
toutes les autres actions, ce qui enchaîne les accidents,
emprisonne toutes les vicissitudes, ce qui endort et empêche
désormais de sentir cette boue qui nourrit le mendiant
et César.
|
CLEOPATRA.
My desolation does begin to make
A better life. ’Tis paltry to be Caesar;
Not being Fortune, he’s but Fortune’s knave,
A minister of her will. And it is great
To do that thing that ends all other deeds,
Which shackles accidents and bolts up change,
Which sleeps and never palates more the dung,
The beggar’s nurse and Caesar’s.
|
(Proculéius, Gallus et des soldats viennent à la porte du
mausolée.)
|
Enter Proculeius.
|
PROCULÉIUS.
— César m'envoie saluer la reine d'Égypte,
et vous demander de sa part quels désirs raisonnables
vous voulez qu'il vous accorde.
|
PROCULEIUS.
Caesar sends greetings to the queen of Egypt,
And bids thee study on what fair demands
Thou mean’st to have him grant thee.
|
CLÉOPÂTRE.
— Quel est ton nom?
|
CLEOPATRA.
What’s thy name?
|
PROCULÉIUS.
— Mon nom est Proculéius.
|
PROCULEIUS.
My name is Proculeius.
|
CLÉOPÂTRE, de l'intérieur du mausolée.
— Antoine m'a parlé de toi, il m'a recommandé de te
donner ma confiance; mais je ne m'embarrasse guère qu'on me trompe,
je n'ai aucun usage à faire de la confiance. Si ton maître
est jaloux de voir une reine à ses pieds, tu lui déclareras
qu'une reine ne peut, sans avilir sa majesté, demander
moins qu'un royaume. S'il lui plait de me donner, pour
mon fils, l'Égypte conquise, il me rendra ce qui m'appartient,
et je fléchirai le genou devant lui avec reconnaissance.
|
CLEOPATRA.
Antony
Did tell me of you, bade me trust you, but
I do not greatly care to be deceived
That have no use for trusting. If your master
Would have a queen his beggar, you must tell him
That majesty, to keep decorum, must
No less beg than a kingdom. If he please
To give me conquered Egypt for my son,
He gives me so much of mine own as I
Will kneel to him with thanks.
|
PROCULÉIUS.
— Ayez bon courage; vous êtes tombée
dans des mains royales; ne craignez rien. Livrez votre
sort à mon maître avec une pleine confiance, il est une
source de bienfaits, si abondante qu'elle se répand sur
tous ceux qui en ont besoin. Laissez-moi lui annoncer
votre douce soumission, et vous trouverez un conquérant
dont la générosité plaidera pour vous quand il se verra
implorer à genoux.
|
PROCULEIUS.
Be of good cheer.
You are fallen into a princely hand; fear nothing.
Make your full reference freely to my lord,
Who is so full of grace that it flows over
On all that need. Let me report to him
Your sweet dependency, and you shall find
A conqueror that will pray in aid for kindness
Where he for grace is kneeled to.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je te prie, dis-lui que je suis la vassale de
sa fortune, et que je lui envoie le diadème qu'il a conquis.
Je prends à toute heure des leçons d'obéissance, et
j'aurai du plaisir à voir son visage.
|
CLEOPATRA.
Pray you tell him
I am his fortune’s vassal and I send him
The greatness he has got. I hourly learn
A doctrine of obedience, and would gladly
Look him i’ th’ face.
|
PROCULÉIUS.
— Je lui dirai ceci, noble reine. Prenez courage,
car je sais que votre sort touche celui qui l'a causé.
GALLUS.
— Vous voyez combien il est aisé de la surprendre
(à Proculéius et aux soldats):
gardez-la jusqu'à l'arrivée de César.
(Gallus sort. — Ici Proculéius et deux
gardes escaladent le monument par une échelle, entrent par
une fenêtre et surprennent Cléopâtre; quelques-uns des gardes
forcent les portes.)
|
PROCULEIUS.
This I’ll report, dear lady.
Have comfort, for I know your plight is pitied
Of him that caused it.
Enter Gallus and Roman Soldiers.
You see how easily she may be surprised.
Guard her till Caesar come.
|
IRAS.
— Ô grande reine!
|
IRAS.
Royal queen!
|
CHARMIANE.
— Ô Cléopâtre! tu es prise, reine.
|
CHARMIAN.
O Cleopatra, thou art taken, queen!
|
CLÉOPÂTRE.
— Vite, vite, ô ma main!
|
CLEOPATRA.
Quick, quick, good hands.
|
(Elle tire un poignard.)
|
[Drawing a dagger.]
|
PROCULÉIUS.
— Arrêtez, grande reine, arrêtez, n'exercez
pas sur vous cette fureur; je ne veux que vous secourir,
et non vous trahir.
|
PROCULEIUS.
Hold, worthy lady, hold!
[Seizes and disarms her.]
Do not yourself such wrong, who are in this
Relieved, but not betrayed.
|
CLÉOPÂTRE.
— Quoi! on veut me priver même de la
mort qui empêche les chiens de languir?
|
CLEOPATRA.
What, of death too,
That rids our dogs of languish?
|
PROCULÉIUS.
— Cléopâtre, ne trompez pas la générosité
de mon maître, en vous détruisant vous-même; que
l'univers voie éclater sa grandeur d'âme; votre mort
l'empêcherait à jamais.
|
PROCULEIUS.
Cleopatra,
Do not abuse my master’s bounty by
Th’ undoing of yourself. Let the world see
His nobleness well acted, which your death
Will never let come forth.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ô mort, où es-tu? Viens à moi, viens;
oh! viens, et frappe une reine qui vaut bien des enfants
et des mendiants.
|
CLEOPATRA.
Where art thou, Death?
Come hither, come! Come, come, and take a queen
Worth many babes and beggars!
|
PROCULÉIUS.
— Calmez-vous, madame.
|
PROCULEIUS.
O, temperance, lady!
|
CLÉOPÂTRE.
— Seigneur, je ne prendrai aucune nourriture,
je ne boirai pas, seigneur; et s'il faut perdre ici le
temps à déclarer mes résolutions, je ne dormirai pas
non plus. César a beau faire, je saurai détruire cette prison
mortelle. Sachez, seigneur, qu'on ne me verra jamais
traînant des fers à la cour de votre maître, ni insultée
par les calmes regards de la fade Octavie.... Me paradera-t-on
pour me donner en spectacle à la valetaille de Rome,
et pour essuyer ses sarcasmes et ses anathèmes? Plutôt
chercher un paisible tombeau dans quelque fossé de
l'Égypte! plutôt mourir toute nue sur la fange du Nil!
plutôt devenir la proie des insectes et un objet d'horreur!
plutôt prendre pour gibet les hautes Pyramides de
mon pays et m'y faire suspendre par des chaînes!
|
CLEOPATRA.
Sir, I will eat no meat; I’ll not drink, sir;
If idle talk will once be necessary,
I’ll not sleep neither. This mortal house I’ll ruin,
Do Caesar what he can. Know, sir, that I
Will not wait pinioned at your master’s court,
Nor once be chastised with the sober eye
Of dull Octavia. Shall they hoist me up
And show me to the shouting varletry
Of censuring Rome? Rather a ditch in Egypt
Be gentle grave unto me! Rather on Nilus’ mud
Lay me stark-naked, and let the water-flies
Blow me into abhorring! Rather make
My country’s high pyramides my gibbet
And hang me up in chains!
|
PROCULÉIUS.
— Vous portez ces pensées d'horreur plus
loin que César ne vous en donnera de raisons.
|
PROCULEIUS.
You do extend
These thoughts of horror further than you shall
Find cause in Caesar.
|
(Entre Dolabella.)
|
Enter Dolabella.
|
DOLABELLA.
— Proculéius, César, ton maître, sait ce que
tu as fait, et il t'envoie chercher. Je prends la reine sous
ma garde.
|
DOLABELLA.
Proculeius,
What thou hast done thy master Caesar knows,
And he hath sent for thee. For the queen,
I’ll take her to my guard.
|
PROCULÉIUS.
— Volontiers, Dolabella, j'en suis bien aise,
traitez-la avec douceur.—Madame, si vous daignez vous
servir de moi, je dirai à César tout ce dont vous me
chargerez.
|
PROCULEIUS.
So, Dolabella,
It shall content me best. Be gentle to her.
[To Cleopatra.] To Caesar I will speak what you shall please,
If you’ll employ me to him.
|
CLÉOPÂTRE.
— Dis que je veux mourir.
|
CLEOPATRA.
Say I would die.
|
(Proculéius et les soldats sortent.)
|
[Exeunt Proculeius and Soldiers.]
|
DOLABELLA.
— Illustre reine, vous avez entendu parler
de moi.
|
DOLABELLA.
Most noble empress, you have heard of me?
|
CLÉOPÂTRE.
— Je n'en sais rien....
|
CLEOPATRA.
I cannot tell.
|
DOLABELLA.
— Sûrement, vous me connaissez.
|
DOLABELLA.
Assuredly you know me.
|
CLÉOPÂTRE.
— Peu importe, seigneur, ce que j'ai connu
ou entendu.—Vous souriez quand un enfant ou une
femme vous racontent leurs songes, n'est-ce pas votre
habitude?
|
CLEOPATRA.
No matter, sir, what I have heard or known.
You laugh when boys or women tell their dreams;
Is’t not your trick?
|
DOLABELLA.
— Je ne vous comprends pas, madame.
|
DOLABELLA.
I understand not, madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— J'ai rêvé qu'il était un empereur nommé
Antoine: Oh! que le ciel m'accorde encore un pareil
sommeil, où je puisse revoir encore un pareil mortel!
|
CLEOPATRA.
I dreamt there was an Emperor Antony.
O, such another sleep, that I might see
But such another man!
|
DOLABELLA.
— S'il vous plaisait....
|
DOLABELLA.
If it might please you—
|
CLÉOPÂTRE.
— Son visage était comme les cieux; on y
voyait un soleil et une lune, qui, dans leur cours, éclairaient
le petit O qu'on appelle la terre.
|
CLEOPATRA.
His face was as the heavens, and therein stuck
A sun and moon, which kept their course, and lighted
The little O, the earth.
|
DOLABELLA.
— Parfaite créature....
|
DOLABELLA.
Most sovereign creature—
|
CLÉOPÂTRE.
— Ses jambes écartées touchaient les deux
rives de l'océan; son bras étendu servait de cimier au
monde. Sa voix, quand il parlait à ses amis, avait la
sublime harmonie des sphères; mais quand il voulait
menacer et ébranler le globe, elle ressemblait au roulement
du tonnerre. Sa générosité ne connaissait point
d'hiver; c'était un automne qui devenait plus riche à
chaque récolte. Ses plaisirs étaient comme le dauphin,
dont le dos se montre toujours au-dessus de l'élément
dans lequel il vit. Les couronnes et les diadèmes portaient
sa livrée; des royaumes et des îles tombaient de
sa poche comme des pièces d'argent.
|
CLEOPATRA.
His legs bestrid the ocean; his reared arm
Crested the world; his voice was propertied
As all the tuned spheres, and that to friends;
But when he meant to quail and shake the orb,
He was as rattling thunder. For his bounty,
There was no winter in’t; an autumn ’twas
That grew the more by reaping. His delights
Were dolphin-like; they showed his back above
The element they lived in. In his livery
Walked crowns and crownets; realms and islands were
As plates dropped from his pocket.
|
DOLABELLA.
— Cléopâtre...
|
DOLABELLA.
Cleopatra—
|
CLÉOPÂTRE.
— Croyez-vous qu'il ait existé, ou qu'il puisse
exister jamais, un homme comme celui que j'ai vu en
songe?
|
CLEOPATRA.
Think you there was or might be such a man
As this I dreamt of?
|
DOLABELLA.
— Non, aimable reine.
|
DOLABELLA.
Gentle madam, no.
|
CLÉOPÂTRE.
— Vous mentez, et les dieux vous entendent.
Mais s'il existe, ou s'il a jamais existé, un homme semblable,
c'est un prodige qui passe la puissance des songes.
La nature manque ordinairement de pouvoir pour égaler
les étranges créations de l'imagination; et cependant,
lorsqu'elle forma un Antoine, la nature remporta le prix,
et rejeta bien loin tous les fantômes.
|
CLEOPATRA.
You lie up to the hearing of the gods!
But if there be nor ever were one such,
It’s past the size of dreaming. Nature wants stuff
To vie strange forms with fancy; yet t’ imagine
An Antony were nature’s piece ’gainst fancy,
Condemning shadows quite.
|
DOLABELLA.
— Écoutez-moi, madame, votre perte est,
comme vous, inestimable, et vos regrets en égalent la
grandeur. Puissé-je ne jamais atteindre au succès que je
poursuis, si le contre-coup de votre douleur ne me fait
pas éprouver un chagrin qui pénètre jusqu'au fond de
mon cœur!
|
DOLABELLA.
Hear me, good madam.
Your loss is, as yourself, great; and you bear it
As answering to the weight. Would I might never
O’ertake pursued success, but I do feel,
By the rebound of yours, a grief that smites
My very heart at root.
|
CLÉOPÂTRE.
— Je vous remercie, seigneur.... Savez-vous
ce que César veut faire de moi?
|
CLEOPATRA.
I thank you, sir.
Know you what Caesar means to do with me?
|
DOLABELLA.
— J'hésite à vous dire ce que je voudrais
que vous sussiez.
|
DOLABELLA.
I am loath to tell you what I would you knew.
|
CLÉOPÂTRE.
— Parlez, seigneur, je vous prie.
|
CLEOPATRA.
Nay, pray you, sir.
|
DOLABELLA.
— Quoique César soit généreux....
|
DOLABELLA.
Though he be honourable—
|
CLÉOPÂTRE.
— Il veut me traîner en triomphe?
|
CLEOPATRA.
He’ll lead me, then, in triumph.
|
DOLABELLA.
— Il le veut, madame, je le sais.
|
DOLABELLA.
Madam, he will. I know it.
|
(On entend crier dans l'intérieur du théâtre.)
|
Flourish. Enter Caesar, Proculeius, Gallus, Maecenas
and others of his train.
|
Faites place. — César!
(Entrent César, Gallus, Mécène, Proculéius, Séleucus et suite.)
|
ALL.
Make way there! Caesar!
|
CÉSAR.
— Où est la reine d'Égypte?
|
CAESAR.
Which is the Queen of Egypt?
|
DOLABELLA.
— C'est l'empereur, madame.
|
DOLABELLA.
It is the Emperor, madam.
|
(Cléopâtre se prosterne à genoux.)
|
[Cleopatra kneels.]
|
CÉSAR.
— Levez-vous, vous ne devez point fléchir les
genoux; je vous en prie, levez-vous, reine d'Égypte.
|
CAESAR.
Arise, you shall not kneel.
I pray you, rise. Rise, Egypt.
|
CLÉOPÂTRE.
— Seigneur, les dieux le veulent ainsi; il
faut que j'obéisse à mon maître, à mon souverain.
|
CLEOPATRA.
Sir, the gods
Will have it thus. My master and my lord
I must obey.
|
CÉSAR.
— N'ayez point de si sombres idées: le souvenir
de tous les outrages que nous avons reçus de vous,
quoique marqués de notre sang, est effacé, ou nous n'y
voyons que des événements dont le hasard seul est coupable.
|
CAESAR.
Take to you no hard thoughts.
The record of what injuries you did us,
Though written in our flesh, we shall remember
As things but done by chance.
|
CLÉOPÂTRE.
— Seul arbitre du monde, je ne puis défendre
assez bien ma cause pour me justifier; mais j'avoue que
j'ai été gouvernée par ces faiblesses qui ont souvent
avant moi déshonoré mon sexe.
|
CLEOPATRA.
Sole sir o’ th’ world,
I cannot project mine own cause so well
To make it clear, but do confess I have
Been laden with like frailties which before
Have often shamed our sex.
|
CÉSAR.
— Sachez, Cléopâtre, que nous sommes plus disposés
à les excuser qu'à les aggraver. Si vous répondez à
nos vues, qui sont pour vous pleines de bonté, vous
trouverez de l'avantage dans ce changement; mais si
vous cherchez à imprimer sur mon nom le reproche de
cruauté en suivant les traces d'Antoine, vous vous priverez
de mes bienfaits, vous précipiterez vous-même vos
enfants dans une ruine, dont je suis prêt à les sauver, si
vous voulez vous reposer, sur moi. Je prends congé de
vous.
|
CAESAR.
Cleopatra, know
We will extenuate rather than enforce.
If you apply yourself to our intents,
Which towards you are most gentle, you shall find
A benefit in this change; but if you seek
To lay on me a cruelty by taking
Antony’s course, you shall bereave yourself
Of my good purposes, and put your children
To that destruction which I’ll guard them from
If thereon you rely. I’ll take my leave.
|
CLÉOPÂTRE.
— L'univers est ouvert devant vos pas: il
est à vous; et nous, qui sommes vos écussons et vos trophées,
nous serons attachés au lieu où il vous plaira...
Seigneur, voici...
|
CLEOPATRA.
And may, through all the world. ’Tis yours, and we,
Your scutcheons and your signs of conquest, shall
Hang in what place you please. Here, my good lord.
|
CÉSAR.
— C'est de Cléopâtre même que je veux prendre
conseil sur tout ce qui l'intéresse.
|
CAESAR.
You shall advise me in all for Cleopatra.
|
CLÉOPÂTRE.
— Voilà l'état
de mes richesses, de l'argenterie
et des bijoux que je possède. Il est exact; et
jusqu'aux moindres effets, rien n'y est omis. Où est
Séleucus?
|
CLEOPATRA.
This is the brief of money, plate, and jewels
I am possessed of. ’Tis exactly valued,
Not petty things admitted. Where’s Seleucus?
|
|
Enter Seleucus.
|
SÉLEUCUS.
— Me voici, madame.
|
SELEUCUS.
Here, madam.
|
CLÉOPÂTRE.
— Voilà mon trésorier, seigneur; qu'il dise,
au péril de sa tête, si j'ai rien réservé pour moi; dis la
vérité, Séleucus.
|
CLEOPATRA.
This is my treasurer. Let him speak, my lord,
Upon his peril, that I have reserved
To myself nothing. Speak the truth, Seleucus.
|
SÉLEUCUS.
— Madame, j'aimerais mieux me coudre les
lèvres que d'affirmer, au péril de ma tête, ce qui
n'est pas.
|
SELEUCUS.
Madam, I had rather seal my lips
Than to my peril speak that which is not.
|
CLÉOPÂTRE.
— Qu'ai-je donc gardé?
|
CLEOPATRA.
What have I kept back?
|
SÉLEUCUS.
— Assez pour racheter tout ce que vous déclarez.
|
SELEUCUS.
Enough to purchase what you have made known.
|
CÉSAR.
— Ne rougissez pas, Cléopâtre, j'approuve votre
prudence.
|
CAESAR.
Nay, blush not, Cleopatra. I approve
Your wisdom in the deed.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ô vois, César, considère comme la fortune
est suivie! Mes serviteurs vont devenir les tiens; et si
nous changions de sort, les tiens deviendraient les miens.
— L'ingratitude de Séleucus me rend furieuse.
— Ô lâche esclave, plus perfide que l'amour mercenaire!
— Quoi! tu t'en vas?... Oh! tu t'en iras, je te le garantis!
mais eusses-tu des ailes pour fuir ma vengeance, elle saura
t'atteindre, vil esclave, scélérat sans âme, chien, ô le
plus lâche des hommes!
|
CLEOPATRA.
See, Caesar! O, behold,
How pomp is followed! Mine will now be yours
And should we shift estates, yours would be mine.
The ingratitude of this Seleucus does
Even make me wild. O slave, of no more trust
Than love that’s hired! What, goest thou back? Thou shalt
Go back, I warrant thee! But I’ll catch thine eyes
Though they had wings. Slave, soulless villain, dog!
O rarely base!
|
CÉSAR.
— Aimable reine, souffrez que je vous prie....
|
CAESAR.
Good queen, let us entreat you.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ô César, quel sanglant affront pour moi!...
Lorsque vous, dans l'éclat de votre grandeur, vous daignez
honorer de votre visite une infortunée, mon propre
serviteur viendra augmenter le poids de mes disgrâces
par sa lâche perfidie! Eh quoi! généreux César, quand je
me serais réservé quelques frivoles parures de femme,
quelques bagatelles sans valeur, de ces légers cadeaux
qu'on offre à ses amis intimes; et encore quand j'aurais
mis à part quelque objet d'une plus grande valeur pour
Livie, pour Octavie, afin d'obtenir leur intercession,
devrais-je être dévoilée par un homme que j'ai nourri?
O dieux, cette noirceur me précipite encore plus bas que
l'abîme où j'étais tombée!
(A Séleucus) De grâce, va-t'en, ou je ferai voir
que ma vivacité passée vit encore sous les cendres de mon
infortune. Si tu étais un homme tu aurais pitié de moi!
|
CLEOPATRA.
O Caesar, what a wounding shame is this,
That thou vouchsafing here to visit me,
Doing the honour of thy lordliness
To one so meek, that mine own servant should
Parcel the sum of my disgraces by
Addition of his envy! Say, good Caesar,
That I some lady trifles have reserved,
Immoment toys, things of such dignity
As we greet modern friends withal; and say
Some nobler token I have kept apart
For Livia and Octavia, to induce
Their mediation, must I be unfolded
With one that I have bred? The gods! It smites me
Beneath the fall I have.
[To Seleucus.] Prithee go hence,
Or I shall show the cinders of my spirits
Through th’ ashes of my chance. Wert thou a man,
Thou wouldst have mercy on me.
|
CÉSAR.
— Ne réplique pas, Séleucus.
|
CAESAR.
Forbear, Seleucus.
|
|
[Exit Seleucus.]
|
CLÉOPÂTRE.
— Que l'on sache que nous autres, grands
de la terre, sommes accusés des fautes des autres; et que,
lorsque nous tombons, nous répondons des crimes d'autrui.
Nous sommes bien à plaindre!
|
CLEOPATRA.
Be it known that we, the greatest, are misthought
For things that others do; and when we fall,
We answer others’ merits in our name,
Are therefore to be pitied.
|
CÉSAR.
— Cléopâtre, rien de ce que vous avez mis en
réserve, ni de ce que vous avez déclaré, n'entrera dans
le registre de mes conquêtes. Que tout cela reste à vous,
disposez-en à votre gré, et croyez que César n'est point
un marchand, pour débattre avec vous le prix d'objets
vendus par des marchands. Ainsi rassurez-vous; cessez
de vous voir captive de vos pensées. Non, chère reine,
notre intention est de régler votre sort sur les avis que
vous nous donnerez vous-même. Mangez et dormez,
l'intérêt et la pitié que vous m'inspirez vous donnent un
ami dans César; ainsi, adieu.
|
CAESAR.
Cleopatra,
Not what you have reserved nor what acknowledged
Put we i’ th’ roll of conquest. Still be’t yours;
Bestow it at your pleasure, and believe
Caesar’s no merchant to make prize with you
Of things that merchants sold. Therefore be cheered;
Make not your thoughts your prisons. No, dear queen;
For we intend so to dispose you as
Yourself shall give us counsel. Feed and sleep.
Our care and pity is so much upon you
That we remain your friend; and so, adieu.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ô mon maître et mon souverain!
|
CLEOPATRA.
My master and my lord!
|
CÉSAR.
— Non, non, madame. — Adieu.
|
CAESAR.
Not so. Adieu.
|
(César sort avec sa suite.)
|
[Flourish. Exeunt Caesar and his train.]
|
CLÉOPÂTRE.
— Il me flatte, mes filles, il me flatte de
belles paroles pour me faire oublier ce que je dois à ma
gloire. Mais écoute, Charmiane....
|
CLEOPATRA.
He words me, girls, he words me, that I should not
Be noble to myself. But hark thee, Charmian!
|
(Elle parle bas à Charmiane.)
|
[Whispers to Charmian.]
|
IRAS.
— Finissez, madame, le jour brillant est passé,
et nous entrons dans les ténèbres.
|
IRAS.
Finish, good lady. The bright day is done,
And we are for the dark.
|
CLÉOPÂTRE.
— Va au plus vite. — J'ai déjà donné les
ordres, tout est arrangé. Va, et dépêche-toi.
|
CLEOPATRA.
Hie thee again.
I have spoke already, and it is provided.
Go put it to the haste.
|
CHARMIANE.
— J'y vais, madame.
|
CHARMIAN.
Madam, I will.
|
(Dolabella revient.)
|
Enter Dolabella.
|
DOLABELLA.
— Où est la reine?
|
DOLABELLA.
Where’s the Queen?
|
CHARMIANE.
— La voici, seigneur.
|
CHARMIAN.
Behold, sir.
|
(Charmiane sort.)
|
[Exit.]
|
CLÉOPÂTRE.
— Dolabella?
|
CLEOPATRA.
Dolabella!
|
DOLABELLA.
— Madame, comme je vous l'ai juré sur vos
ordres, auxquels mon attachement me fait un devoir
religieux d'obéir, je viens vous annoncer que César a
résolu de partir, en passant par la Syrie, et que dans
trois jours il vous envoie devant lui, vous et vos enfants.
Profitez de votre mieux de cet avis. J'ai rempli vos désirs
et ma promesse.
|
DOLABELLA.
Madam, as thereto sworn by your command,
Which my love makes religion to obey,
I tell you this: Caesar through Syria
Intends his journey, and within three days
You with your children will he send before.
Make your best use of this. I have performed
Your pleasure and my promise.
|
CLÉOPÂTRE.
— Dolabella, je ne pourrai jamais m'acquitter
envers vous.
|
CLEOPATRA.
Dolabella,
I shall remain your debtor.
|
DOLABELLA.
— Je vous suis dévoué. Adieu, grande reine;
il faut que je me rende auprès de César.
|
DOLABELLA.
I your servant.
Adieu, good queen. I must attend on Caesar.
|
CLÉOPÂTRE.
— Adieu, et merci. (Dolabella sort.) Iras,
qu'en penses-tu? Tu seras donc promenée dans les rues
de Rome comme une marionnette d'Égypte, ainsi que
moi? Les esclaves artisans, avec leurs tabliers crasseux,
leurs équerres et leurs marteaux, nous soulèveront dans
leurs bras pour nous montrer: nous serons au milieu du
nuage de leurs haleines épaisses, empestées par des mets
grossiers, et nous serons obligées d'en respirer la vapeur
fétide.
|
CLEOPATRA.
Farewell, and thanks.
[Exit Dolabella.]
Now, Iras, what think’st thou?
Thou an Egyptian puppet shall be shown
In Rome as well as I. Mechanic slaves
With greasy aprons, rules, and hammers shall
Uplift us to the view. In their thick breaths,
Rank of gross diet, shall we be enclouded,
And forced to drink their vapour.
|
IRAS.
— Que les dieux nous en préservent!
|
IRAS.
The gods forbid!
|
CLÉOPÂTRE.
— Oui, voilà le sort qui nous attend, Iras.
D'insolents licteurs nous montreront au doigt comme
des courtisanes publiques; de misérables rimeurs nous
chansonneront sur des airs discordants; les histrions, en
improvisant, nous traduiront sur le théâtre, et étaleront
aux yeux du peuple nos fêtes nocturnes d'Alexandrie:
Antoine, ivre, sera amené sur la scène, et moi je verrai
quelque écolier à la voix glapissante, représenter Cléopâtre,
et avilir ma grandeur sous le rôle d'une prostituée.
|
CLEOPATRA.
Nay, ’tis most certain, Iras. Saucy lictors
Will catch at us like strumpets, and scald rhymers
Ballad us out o’ tune. The quick comedians
Extemporally will stage us and present
Our Alexandrian revels; Antony
Shall be brought drunken forth, and I shall see
Some squeaking Cleopatra boy my greatness
I’ th’ posture of a whore.
|
IRAS.
— Ô grands dieux!...
|
IRAS.
O the good gods!
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CLÉOPÂTRE.
— Oui, cela est certain.
|
CLEOPATRA.
Nay, that’s certain.
|
IRAS.
— Jamais je ne verrai ces horreurs, car je suis
bien sûre que mes ongles sont plus forts que mes yeux.
|
IRAS.
I’ll never see’t, for I am sure mine nails
Are stronger than mine eyes.
|
CLÉOPÂTRE.
— C'est là, c'est là le moyen de déjouer tous
ces préparatifs, et de déjouer leurs absurdes projets.
(Charmiane revient.)
C'est toi, Charmiane! — Allons, mes
femmes, parez-moi en reine: allez, rapportez mes plus
brillants atours; je vais encore sur les bords du Cydnus,
au-devant de Marc-Antoine. Allons, Iras, obéis.
— Oui, courageuse Charmiane, nous en finirons; et quand
tu auras rempli cette dernière tâche, je te donnerai la permission
de te reposer jusqu'au jour du jugement. Apporte
ma couronne; n'oublie rien. Mais, pourquoi ce
bruit?
|
CLEOPATRA.
Why, that’s the way
To fool their preparation and to conquer
Their most absurd intents.
Enter Charmian.
Now, Charmian!
Show me, my women, like a queen. Go fetch
My best attires. I am again for Cydnus
To meet Mark Antony. Sirrah, Iras, go.
Now, noble Charmian, we’ll dispatch indeed,
And when thou hast done this chare, I’ll give thee leave
To play till doomsday. Bring our crown and all.
[Exit Iras. A noise within.]
Wherefore’s this noise?
|
(Iras sort. — On entend un bruit dans l'intérieur.)
|
Enter a Guardsman.
|
UN GARDE.
— Il y a un paysan qui veut absolument être
introduit devant Votre Majesté; il vous apporte des figues.
|
GUARDSMAN.
Here is a rural fellow
That will not be denied your highness’ presence.
He brings you figs.
|
CLÉOPÂTRE.
— Qu'on le fasse entrer. (Le garde sort.)
Quel faible instrument suffit pour exécuter une grande action!
Il m'apporte la liberté. Ma résolution est prise, et je ne
sens plus rien en moi d'une femme. Des pieds à la tête je
suis changée en marbre inflexible; maintenant la lune
inconstante n'est plus ma planète.
|
CLEOPATRA.
Let him come in.
[Exit Guardsman.]
What poor an instrument
May do a noble deed! He brings me liberty.
My resolution’s placed, and I have nothing
Of woman in me. Now from head to foot
I am marble-constant. Now the fleeting moon
No planet is of mine.
|
(Le garde revient avec un paysan portant une corbeille.)
|
Enter Guardsman and Clown with a basket.
|
LE GARDE.
— Voilà cet homme.
|
GUARDSMAN.
This is the man.
|
CLÉOPÂTRE.
— Éloigne-toi, et laisse-nous seuls.
(Le garde sort.) (Au paysan.)
As-tu là ce joli reptile du Nil qui tue sans douleur?
|
CLEOPATRA.
Avoid, and leave him.
[Exit Guardsman.]
Hast thou the pretty worm of Nilus there
That kills and pains not?
|
LE PAYSAN.
— Oui, vraiment, je l'ai: mais je ne voudrais
pas être la cause que vous eussiez envie de le toucher;
car sa morsure est immortelle: ceux qui en meurent
n'en reviennent jamais, ou bien rarement.
|
CLOWN.
Truly, I have him, but I would not be the party that should desire you
to touch him, for his biting is immortal. Those that do die of it do
seldom or never recover.
|
CLÉOPÂTRE.
— Te rappelles-tu quelques personnes qui
en soient mortes?
|
CLEOPATRA.
Remember’st thou any that have died on’t?
|
LE PAYSAN.
— Plusieurs; des hommes, et des femmes
aussi; pas plus tard qu'hier, j'ouïs parler d'une femme,
une fort honnête femme, mais un peu sujette à mentir;
ce qui ne convient pas à une femme, à moins que
ce ne soit en tout honneur. On disait comment elle était
morte de cette morsure, quelle douleur elle avait ressentie.
Vraiment, elle rend un fort bon témoignage à
cette bête; mais qui croira la moitié de ce qu'on dit ne
sera pas sauvé par la moitié de ce qu'on fait. Mais le plus
dangereux, c'est que ce reptile est un étrange reptile.
|
CLOWN.
Very many, men and women too. I heard of one of them no longer than
yesterday—a very honest woman, but something given to lie; as a woman
should not do but in the way of honesty—how she died of the biting of
it, what pain she felt. Truly she makes a very good report o’ th’ worm;
but he that will believe all that they say shall never be saved by half
that they do. But this is most falliable, the worm’s an odd worm.
|
CLÉOPÂTRE.
— Va-t'en, adieu.
|
CLEOPATRA.
Get thee hence. Farewell.
|
LE PAYSAN.
— Je vous souhaite beaucoup de plaisir avec
cette bête.
|
CLOWN.
I wish you all joy of the worm.
|
|
[Sets down the basket.]
|
CLÉOPÂTRE.
— Adieu.
|
CLEOPATRA.
Farewell.
|
LE PAYSAN.
— N'oubliez pas, voyez-vous, que le ver fera
son devoir de ver.
|
CLOWN.
You must think this, look you, that the worm will do his kind.
|
CLÉOPÂTRE.
— Oui, oui, adieu.
|
CLEOPATRA.
Ay, ay, farewell.
|
LE PAYSAN.
— Songez bien, madame, qu'il ne faut donner
le ver à garder qu'à des personnes prudentes, car il
n'y a, ma foi, rien de bon à attendre du ver.
|
CLOWN.
Look you, the worm is not to be trusted but in the keeping of wise
people; for indeed there is no goodness in the worm.
|
CLÉOPÂTRE.
— Ne t'inquiète pas; on y prendra garde.
|
CLEOPATRA.
Take thou no care; it shall be heeded.
|
LE PAYSAN.
— Très-bien, ne lui donnez rien, je vous en
prie; car il ne vaut pas la nourriture.
|
CLOWN.
Very good. Give it nothing, I pray you, for it is not worth the
feeding.
|
CLÉOPÂTRE.
— Et moi, me mangerait-il?
|
CLEOPATRA.
Will it eat me?
|
LE PAYSAN.
— Vous ne devez pas croire que je sois assez
simple pour ne pas savoir que le diable lui-même ne
voudrait pas manger une femme: je sais bien aussi que
la femme est un mets digne des dieux, quand le diable
ne l'assaisonne pas. Mais, en vérité, ces paillards de
diables font un grand tort aux dieux dans les femmes;
car sur dix femmes que font les dieux, les diables en
corrompent cinq.
|
CLOWN.
You must not think I am so simple but I know the devil himself will not
eat a woman. I know that a woman is a dish for the gods if the devil
dress her not. But truly, these same whoreson devils do the gods great
harm in their women, for in every ten that they make, the devils mar
five.
|
CLÉOPÂTRE.
— Allons, laisse-moi; adieu.
|
CLEOPATRA.
Well, get thee gone. Farewell.
|
LE PAYSAN.
— Oui, en vérité, je vous souhaite beaucoup
de plaisir avec ce ver.
|
CLOWN.
Yes, forsooth. I wish you joy o’ th’ worm.
|
(Le paysan sort.)
|
[Exit.]
|
(Iras rentre avec une robe, une couronne, etc., etc.)
|
Enter Iras with a robe, crown, &c.
|
CLÉOPÂTRE.
— Donne-moi ma robe, mets-moi ma couronne.
Je sens en moi des désirs impatients d'immortalité:
c'en est fait; le jus de la grappe d'Égypte n'humectera
plus ces lèvres. Vite, vite, bonne Iras, vite; il
me semble que j'entends Antoine qui m'appelle: je le
vois se lever pour louer mon acte de courage, je l'entends
se moquer de la fortune de César, Les dieux commencent
par donner le bonheur aux hommes, pour excuser
le courroux à venir. — Mon époux, je viens!
— Que mon courage prouve mes droits à ce titre.
Je suis d'air et de feu, et je rends à la terre grossière mes
autres éléments. — Bon, avez-vous fini?
— Venez donc, et recueillez la dernière
chaleur de mes lèvres. Adieu, tendre Charmiane.
Iras, adieu pour jamais. (Elle les embrasse. Iras tombe et
meurt.) Mes lèvres ont-elles donc le venin de l'aspic?
Quoi, tu tombes? As-tu pu quitter la vie aussi doucement,
le trait de la mort n'est donc pas plus redoutable
que le pinçon d'un amant, qui blesse et qu'on désire
encore. Es-tu tranquille! En disparaissant aussi rapidement
du monde, tu lui dis qu'il ne vaut pas la peine de
lui faire nos adieux.
|
CLEOPATRA.
Give me my robe. Put on my crown. I have
Immortal longings in me. Now no more
The juice of Egypt’s grape shall moist this lip.
Yare, yare, good Iras; quick. Methinks I hear
Antony call. I see him rouse himself
To praise my noble act. I hear him mock
The luck of Caesar, which the gods give men
To excuse their after wrath. Husband, I come!
Now to that name my courage prove my title!
I am fire and air; my other elements
I give to baser life.—So, have you done?
Come then, and take the last warmth of my lips.
Farewell, kind Charmian. Iras, long farewell.
[Kisses them. Iras falls and dies.]
Have I the aspic in my lips? Dost fall?
If thou and nature can so gently part,
The stroke of death is as a lover’s pinch,
Which hurts and is desired. Dost thou lie still?
If thus thou vanishest, thou tell’st the world
It is not worth leave-taking.
|
CHARMIANE.
— Dissous-toi, épais nuage, et change-toi
en pluie; que je puisse dire que les dieux eux-mêmes
pleurent.
|
CHARMIAN.
Dissolve, thick cloud, and rain, that I may say
The gods themselves do weep!
|
CLÉOPÂTRE.
— Cet exemple m'accuse de lâcheté.—Si
elle rencontre avant moi mon Antoine à la belle chevelure,
il l'interrogera sur mon sort, et lui donnera ce baiser
qui est le ciel pour moi. (A l'aspic qu'elle applique
sur son sein.) Viens, mortel aspic, que ta dent aiguë
tranche d'un seul coup ce noeud compliqué de la vie.
Allons, pauvre animal venimeux, courrouce-toi et
achève. Oh! que ne peux-tu parler pour que je puisse
t'entendre appeler le grand César un âne impolitique!
|
CLEOPATRA.
This proves me base.
If she first meet the curled Antony,
He’ll make demand of her, and spend that kiss
Which is my heaven to have.—Come, thou mortal wretch,
[To an asp, which she applies to her breast.]
W ith thy sharp teeth this knot intrinsicate
Of life at once untie. Poor venomous fool,
Be angry and dispatch. O couldst thou speak,
That I might hear thee call great Caesar ass
Unpolicied!
|
CHARMIANE.
— Ô astre de l'Orient!
|
CHARMIAN.
O eastern star!
|
CLÉOPÂTRE.
— Cesse, cesse tes plaintes. Ne vois-tu pas
mon enfant sur mon sein, qui endort sa nourrice en
tétant?
|
CLEOPATRA.
Peace, peace!
Dost thou not see my baby at my breast
That sucks the nurse asleep?
|
CHARMIANE.
— Oh! brise-toi, brise-toi, mon cœur!
|
CHARMIAN.
O, break! O, break!
|
CLÉOPÂTRE.
— Ô toi! suave comme un baume, doux
comme l'air, tendre... Ô Antoine! — (Elle applique un
autre aspic sur son bras.) Allons, viens, toi aussi.
— Pourquoi rester plus longtemps?...
|
CLEOPATRA.
As sweet as balm, as soft as air, as gentle—
O Antony!—Nay, I will take thee too.
[Applying another asp to her arm.]
What should I stay—
|
(Elle meurt.)
|
[Dies.]
|
CHARMIANE.
— Dans ce monde odieux?... — Allons!
adieu donc. — Maintenant, vante-toi, mort! tu as en ta
possession une beauté sans égale. Beaux yeux, astres de
lumière (en lui fermant les yeux), fermez-vous, et que jamais
deux yeux si pleins de majesté n'envisagent le char
doré de Phébus!... — Votre couronne est dérangée; je
veux la redresser, et après jouer aussi mon rôle.
|
CHARMIAN.
In this vile world? So, fare thee well.
Now boast thee, Death, in thy possession lies
A lass unparalleled. Downy windows, close,
And golden Phœbus never be beheld
Of eyes again so royal! Your crown’s awry;
I’ll mend it and then play.
|
(Surviennent des gardes qui entrent brusquement.)
|
Enter the Guard rustling in.
|
PREMIER GARDE.
— Où est la reine?
|
FIRST GUARD.
Where’s the queen?
|
CHARMIANE.
— Parlez bas, ne l'éveillez point.
|
CHARMIAN.
Speak softly. Wake her not.
|
PREMIER GARDE.
— César a envoyé...
|
FIRST GUARD.
Caesar hath sent—
|
CHARMIANE.
— Un messager trop lent... (Elle s'applique
un aspic.) Oh! viens, allons vite, hâte-toi; je commence à
te sentir.
|
CHARMIAN.
Too slow a messenger.
[Applies an asp.]
O, come apace, dispatch! I partly feel thee.
|
PREMIER GARDE.
— Approchons. Oh! tout n'est pas en
ordre; César est trompé.
|
FIRST GUARD.
Approach, ho! All’s not well. Caesar’s beguiled.
|
SECOND GARDE.
— Voilà Dolabella que César avait envoyé;
appelez-le.
|
SECOND GUARD.
There’s Dolabella sent from Caesar. Call him.
|
PREMIER GARDE.
— Qu'est-ce que tout ceci? Est-ce bien
fait, Charmiane?
|
FIRST GUARD.
What work is here, Charmian? Is this well done?
|
CHARMIANE.
— C'est bien fait, et c'est digne d'une princesse
issue de tant de rois illustres... Ah! soldat!...
|
CHARMIAN.
It is well done, and fitting for a princess
Descended of so many royal kings.
Ah, soldier!
|
(Elle expire.)
|
[Charmian dies.]
|
|
Enter Dolabella.
|
DOLABELLA entre.
— Comment cela va-t-il ici?
|
DOLABELLA.
How goes it here?
|
SECOND GARDE.
— Tout est mort.
|
SECOND GUARD.
All dead.
|
DOLABELLA.
— César, tes conjectures ont rencontré
juste: tu viens voir de tes yeux l'acte funeste que tu as
tant cherché à prévenir.
|
DOLABELLA.
Caesar, thy thoughts
Touch their effects in this. Thyself art coming
To see performed the dreaded act which thou
So sought’st to hinder.
|
(On entend crier derrière le théâtre.)
|
|
Place; faites place à César.
|
Enter Caesar and all his train, marching.
|
(Entrent César et sa suite.)
|
ALL.
A way there, a way for Caesar!
|
DOLABELLA.
— Ah! seigneur, vous êtes un devin trop
habile: ce que vous craigniez est arrivé.
|
DOLABELLA.
O sir, you are too sure an augurer:
That you did fear is done.
|
CÉSAR.
— Brave jusqu'à la fin, elle a pénétré notre dessein,
et en souveraine elle a suivi sa volonté.—Le genre
de leur mort? Je ne vois sur elle aucune trace de sang.
|
CAESAR.
Bravest at the last,
She levelled at our purposes and, being royal,
Took her own way. The manner of their deaths?
I do not see them bleed.
|
DOLABELLA.
— Qui les a quittées le dernier?
|
DOLABELLA.
Who was last with them?
|
PREMIER GARDE.
— Un pauvre paysan qui leur a apporté
des figues. Voilà encore sa corbeille.
|
FIRST GUARD.
A simple countryman that brought her figs.
This was his basket.
|
CÉSAR.
— Empoisonnées alors?
|
CAESAR.
Poisoned then.
|
PREMIER GARDE.
— César, Charmiane, que vous voyez
là, vivait encore il n'y a qu'un moment. Elle était debout
et parlait. Je l'ai trouvée arrangeant le diadème sur le
front de sa maîtresse morte; elle tremblait en se tenant
debout, et tout à coup elle est tombée.
|
FIRST GUARD.
O Caesar,
This Charmian lived but now; she stood and spake.
I found her trimming up the diadem
On her dead mistress; tremblingly she stood,
And on the sudden dropped.
|
CÉSAR.
— Ô noble faiblesse!... Si elles avaient avalé du
poison, on le reconnaîtrait à quelque enflure extérieure.
Mais elle semble s'être endormie comme si elle voulait
attirer encore un autre Antoine dans les filets de ses grâces.
|
CAESAR.
O noble weakness!
If they had swallowed poison ’twould appear
By external swelling; but she looks like sleep,
As she would catch another Antony
In her strong toil of grace.
|
DOLABELLA.
— Là, sur son sein, paraît une trace de
sang et un peu d'enflure; la même marque paraît sur
son bras.
|
DOLABELLA.
Here on her breast
There is a vent of blood, and something blown.
The like is on her arm.
|
PREMIER GARDE.
— C'est la trace d'un aspic; et ces
feuilles de figuier ont sur elles une viscosité comme celle
que les aspics laissent après eux dans les cavernes du
Nil.
|
FIRST GUARD.
This is an aspic’s trail, and these fig leaves
Have slime upon them, such as th’ aspic leaves
Upon the caves of Nile.
|
CÉSAR.
— Il est probable que c'est ainsi qu'elle est
morte, car son médecin m'a dit qu'elle avait fait des
expériences sans fin sur les genres de mort les plus-faciles.
(Aux gardes.) Enlevez-la
dans son lit, et emportez ses femmes de ce tombeau. Elle sera
ensevelie auprès de son Antoine, et nulle tombe sur la terre
n'aura renfermé un couple aussi fameux. D'aussi grandes
catastrophes frappent ceux qui en sont les auteurs; et la
pitié qu'inspire leur histoire rendra leur nom aussi célèbre
que celui du vainqueur qui les a réduits à cette extrémité.
— Notre armée, dans une pompe solennelle, suivra
leur convoi funèbre, et après cela, à Rome! Dolabella,
ayez soin que le plus grand ordre préside à cette
solennité.
|
CAESAR.
Most probable
That so she died, for her physician tells me
She hath pursued conclusions infinite
Of easy ways to die. Take up her bed,
And bear her women from the monument.
She shall be buried by her Antony.
No grave upon the earth shall clip in it
A pair so famous. High events as these
Strike those that make them; and their story is
No less in pity than his glory which
Brought them to be lamented. Our army shall
In solemn show attend this funeral,
And then to Rome. Come, Dolabella, see
High order in this great solemnity.
|
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
|
[Exeunt omnes.]
|