Roméo et Juliette

Shakespeare

Romeo and Juliet

by William Shakespeare

Traduit par Émile Montégut, 1872

Imprimé pour la première fois en 1597 ; date probable de la représentation, 1596.

Sommaire

PROLOGUE.

ACTE I
Scène I. Une place publique.
Scène II. Une rue.
Scène III. Un appartement dans la maison de Capulet.
Scène IV. Une rue.
Scène V. Une salle dans la maison de Capulet.

ACTE II
LE CHŒUR.
Scène I. Un espace ouvert adjoignant le jardin de Capulet.
Scène II. Le jardin de Capulet.
Scène III. La cellule du Frère Laurent.
Scène IV. Une rue.
Scène V. Le jardin de Capulet.
Scène VI. La cellule du Frère Laurent

ACTE III
Scène I. Une place publique.
Scène II. Un appartement dans la demeure de Capulet.
Scène III. La cellule du Frère Laurent.
Scène IV. Un appartement dans la maison de Capulet.
Scène V. La chambre de Juliette.

ACTE IV
Scène I. La cellule du Frère Laurent.
Scène II. Une salle dans la maison de Capulet.
Scène III. La chambre de Juliette.
Scène IV. Une salle dans la demeure de Capulet.
Scène V. La chambre de Juliette. Juliette est étendue sur son lit.

ACTE V
Scène I. Mantoue. — Une rue.
Scène II. La cellule du Frère Laurent
Scène III. Un cimetière. Le monument des Capulets.


Contents

THE PROLOGUE.

ACT I
Scene I. A public place.
Scene II. A Street.
Scene III. Room in Capulet’s House.
Scene IV. A Street.
Scene V. A Hall in Capulet’s House.

ACT II
CHORUS.
Scene I. An open place adjoining Capulet’s Garden.
Scene II. Capulet’s Garden.
Scene III. Friar Lawrence’s Cell.
Scene IV. A Street.
Scene V. Capulet’s Garden.
Scene VI. Friar Lawrence’s Cell.

ACT III
Scene I. A public Place.
Scene II. A Room in Capulet’s House.
Scene III. Friar Lawrence’s cell.
Scene IV. A Room in Capulet’s House.
Scene V. An open Gallery to Juliet’s Chamber, overlooking the Garden.

ACT IV
Scene I. Friar Lawrence’s Cell.
Scene II. Hall in Capulet’s House.
Scene III. Juliet’s Chamber.
Scene IV. Hall in Capulet’s House.
Scene V. Juliet’s Chamber; Juliet on the bed.

ACT V
Scene I. Mantua. A Street.
Scene II. Friar Lawrence’s Cell.
Scene III. A churchyard; in it a Monument belonging to the Capulets.


PERSONNAGES DU DRAME.

Dramatis Personæ

DELLA SCALA, prince de Vérone.

PARIS, jeune gentilhomme, parent du PRINCE.

MONTAIGU, CAPULET, chefs de deux maisons en guerre l’une contre l’autre.

Un vieillard, oncle de CAPULET.

ROMÉO, fils de MONTAIGU.

MERCUTIO, parent du PRINCE, et ami de ROMÉO.

BENVOLIO, neveu de MONTAIGU, et ami de ROMÉO.

TEBALDO, neveu de MADONNA CAPULET,

LE FRÈRE LAURENT, franciscain.

LE FRÈRE JEAN, franciscain.

BALTHAZAR, domestique de ROMÉO.

SAMSON, domestiques de CAPULET.

GRÉGOIRE, domestiques de CAPULET.

ABRAHAM, domestique de MONTAIGU.

Un apothicaire.

Trois musiciens.

Le chœur.

Le page de PARIS.

Le page de MERCUTIO.

PIERRE.

Un officier.

Madonna MONTAIGU, femme de MONTAIGU

Madonna CAPULET, femme de CAPULET.

JULIETTE, fille de CAPULET.

La NOURRICE de JULIETTE.

Citoyens de Vérone, hommes et femmes parents des deux maisons, masques, gardes, veilleurs de nuit et comparses.

ESCALUS, Prince of Verona.

MERCUTIO, kinsman to the Prince, and friend to Romeo.

PARIS, a young Nobleman, kinsman to the Prince.

Page to Paris.

MONTAGUE, head of a Veronese family at feud with the Capulets.

LADY MONTAGUE, wife to Montague.

ROMEO, son to Montague.

BENVOLIO, nephew to Montague, and friend to Romeo.

ABRAM, servant to Montague.

BALTHASAR, servant to Romeo.

CAPULET, head of a Veronese family at feud with the Montagues.

LADY CAPULET, wife to Capulet.

JULIET, daughter to Capulet.

TYBALT, nephew to Lady Capulet.

CAPULET’S COUSIN, an old man.

NURSE to Juliet.

PETER, servant to Juliet’s Nurse.

SAMPSON, servant to Capulet.

GREGORY, servant to Capulet.

Servants.

FRIAR LAWRENCE, a Franciscan.

FRIAR JOHN, of the same Order.

An Apothecary.

CHORUS.

Three Musicians.

An Officer.

Citizens of Verona; several Men and Women, relations to both houses; Maskers, Guards, Watchmen and Attendants.

SCÈNE. — A VÉRONE ; au cinquième acte, un instant à Mantoue.

SCENE. During the greater part of the Play in Verona; once, in the Fifth Act, at Mantua.

PROLOGUE.

THE PROLOGUE


LE CHŒUR.

Enter Chorus.


Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène, la vieille rivalité de deux familles, toutes deux égales en dignités, éclate en rixes nouvelles, et le sang des citoyens souille les mains des citoyens. Des reins funestes de ces deux ennemis, sortent deux amants à l’étoile contraire, dont les lamentables mésaventures enseveliront dans leurs tombeaux la lutte de leurs parents. Les terribles péripéties de leur amour marqué de mort, et la rage prolongée de leurs parents que rien ne pourra arrêter, si ce n’est la fin de leurs enfants, vont être sur notre théâtre le sujet qui remplira les deux prochaines heures : si vous voulez bien prêter à cette histoire une patiente attention, notre zèle s’efforcera de remédier à ce qui se trouvera insuffisant.

CHORUS.
Two households, both alike in dignity,
In fair Verona, where we lay our scene,
From ancient grudge break to new mutiny,
Where civil blood makes civil hands unclean.
From forth the fatal loins of these two foes
A pair of star-cross’d lovers take their life;
Whose misadventur’d piteous overthrows
Doth with their death bury their parents’ strife.
The fearful passage of their death-mark’d love,
And the continuance of their parents’ rage,
Which, but their children’s end, nought could remove,
Is now the two hours’ traffic of our stage;
The which, if you with patient ears attend,
What here shall miss, our toil shall strive to mend.

[Exit.]

ACTE I.

ACT I

SCÈNE PREMIÈRE.

SCENE I.

Une place publique.
A public place.
Entrent SAMSON et GRÉGOIRE, armés d’épées et de boucliers.

Enter Sampson and Gregory armed with swords and bucklers.

SAMSON.
— Grégoire, sur ma parole, ils ne nous monteront pas ainsi sur le dos.

SAMPSON.
Gregory, on my word, we’ll not carry coals.

GRÉGOIRE.
— Non, car autrement nous serions des portefaix.

GREGORY.
No, for then we should be colliers.

SAMSON.
— Je veux dire que s’ils nous échauffent la bile, nous saurons tenir bon.

SAMPSON.
I mean, if we be in choler, we’ll draw.

GRÉGOIRE.
— Oui, tant que tu vivras, fais en sorte que ta tête tienne bon sur tes épaules.

GREGORY.
Ay, while you live, draw your neck out o’ the collar.

SAMSON.
— Je frappe vivement une fois ému.

SAMPSON.
I strike quickly, being moved.

GRÉGOIRE.
— Oui, mais tu n’es pas aisément ému à frapper.

GREGORY.
But thou art not quickly moved to strike.

SAMSON.
— Un chien de la maison de Montaigu suffit pour m’émouvoir.

SAMPSON.
A dog of the house of Montague moves me.

GRÉGOIRE.
— Se mouvoir, c’est se remuer ; être vaillant, c’est tenir ferme sans bouger : par conséquent, si tu es ému, tu t’enfuis.

GREGORY.
To move is to stir; and to be valiant is to stand: therefore, if thou art moved, thou runn’st away.

SAMSON.
— Un chien de cette maison m’émeut à me faire tenir ferme : je garderai la muraille contre n’importe quel garçon ou quelle fille de la maison de Montaigu.

SAMPSON.
A dog of that house shall move me to stand.
I will take the wall of any man or maid of Montague’s.

GRÉGOIRE.
— Cela montre que tu es un faible esclave : car c’est le plus faible qui va du côté du mur.

GREGORY.
That shows thee a weak slave, for the weakest goes to the wall.

SAMSON.
— C’est juste, par conséquent les femmes étant les vases les plus faibles, sont toujours poussées contre le mur : par conséquent, je pousserai loin du mur les valets de Montaigu, et je pousserai ses servantes contre le mur.

SAMPSON.
True, and therefore women, being the weaker vessels, are ever thrust to the wall: therefore I will push Montague’s men from the wall, and thrust his maids to the wall.

GRÉGOIRE.
— La querelle est entre nos maîtres, et entre nous leurs serviteurs.

GREGORY.
The quarrel is between our masters and us their men.

SAMSON.
— C’est tout un ; je veux me montrer tyran : quand j’aurai combattu avec les hommes, je serai cruel avec les filles, je leur secouerai les puces.

SAMPSON.
’Tis all one, I will show myself a tyrant: when I have fought with the men I will be civil with the maids, I will cut off their heads.

GRÉGOIRE.
— Secouer les puces aux filles !

GREGORY.
The heads of the maids?

SAMSON.
— Oui, leur secouer leurs puces, ou bien leurs pucelages ; arrange cela dans le sens que tu voudras.

SAMPSON.
Ay, the heads of the maids, or their maidenheads; take it in what sense thou wilt.

GRÉGOIRE.
— Non, c’est à celles qui le sentiront à s’en arranger.

GREGORY.
They must take it in sense that feel it.

SAMSON.
— C’est moi qu’elles sentiront, tant qu’il me restera un atome de force, et l’on sait si je suis un morceau de chair à tenir bon.

SAMPSON.
Me they shall feel while I am able to stand: and ’tis known I am a pretty piece of flesh.

GRÉGOIRE.
— Cela est vrai, tu n’es pas un poisson ; si tu l’avais été, tu aurais été un maquereau de deux sous. Tire ton outil, en voici venir deux de la maison de Montaigu.

GREGORY.
’Tis well thou art not fish; if thou hadst, thou hadst been poor John. Draw thy tool; here comes of the house of Montagues.

Enter Abram and Balthasar.

SAMSON.
— Mon arme est tirée ; cherche-leur querelle, je viendrai par derrière toi.

SAMPSON.
My naked weapon is out: quarrel, I will back thee.

GRÉGOIRE.
— Comment, ça, en tournant ton derrière et en t’enfuyant ?

GREGORY.
How? Turn thy back and run?

SAMSON.
— N’aie pas peur de moi.

SAMPSON.
Fear me not.

GRÉGOIRE.
— Avoir peur de toi, non certes ; mais c’est de ta peur que j’ai peur.

GREGORY.
No, marry; I fear thee!

SAMSON.
— Faisons en sorte d’avoir la loi de notre côté ; laissons-les commencer.

SAMPSON.
Let us take the law of our sides; let them begin.

GRÉGOIRE.
— Je froncerai le sourcil en passant, près d’eux ; qu’ils le prennent comme ils l’entendront.

GREGORY.
I will frown as I pass by, and let them take it as they list.

SAMSON.
— Certes, et comme ils l’oseront, Je vais mordre mon pouce devant eux, ce qui est une honte, s’ils le supportent.

SAMPSON.
Nay, as they dare. I will bite my thumb at them, which is disgrace to them if they bear it.

Entrent ABRAHAM et BALTHAZAR.

ABRAHAM.
— Est-ce pour nous que vous mordez votre pouce, Monsieur ?

ABRAM.
Do you bite your thumb at us, sir?

SAMSON.
— Je mords mon pouce, Monsieur.

SAMPSON.
I do bite my thumb, sir.

ABRAHAM.
— Est-ce pour nous que vous mordez votre pouce, Monsieur ?

ABRAM.
Do you bite your thumb at us, sir?

SAMSON, à part à Grégoire.
— La loi serait-elle pour nous si je dis oui ?

SAMPSON.
Is the law of our side if I say ay?

GRÉGOIRE, à part, à Samson.
— Non.

GREGORY.
No.

SAMSON.
— Non, Monsieur ; je ne mords pas mon pouce pour vous, Monsieur, mais je mords mon pouce, Monsieur.

SAMPSON.
No sir, I do not bite my thumb at you, sir; but I bite my thumb, sir.

GRÉGOIRE.
— Est-ce une querelle que vous cherchez, Monsieur ?

GREGORY.
Do you quarrel, sir?

ABRAHAM.
— Une querelle, Monsieur ! non, Monsieur.

ABRAM.
Quarrel, sir? No, sir.

SAMSON.
— Si c’est là ce que vous cherchez, Monsieur, je suis votre homme: je sers un maître qui vaut le vôtre.

SAMPSON.
But if you do, sir, am for you. I serve as good a man as you.

ABRAHAM.
— Il ne vaut pas mieux.

ABRAM.
No better.

SAMSON.
— Bien, Monsieur.

SAMPSON.
Well, sir.

Entre BENVOLIO.

Enter Benvolio.

GRÉGOIRE, à part, à Samson.
— Dis qu’il vaut mieux ; voici venir un des parents de mon maître.

GREGORY.
Say better; here comes one of my master’s kinsmen.

SAMSON.
— Oui, Monsieur, qui vaut mieux.

SAMPSON.
Yes, better, sir.

ABRAHAM.
— Vous mentez.

ABRAM.
You lie.

SAMSON.
— Dégainez, si vous êtes des hommes. — Grégoire, rappelle-toi ton coup qui fait tapage. (Ils combattent.)

SAMPSON.
Draw, if you be men. Gregory, remember thy washing blow.

[They fight.]

BENVOLIO.
— Séparez-vous, insensés ; rengainez vos épées ; vous ne savez pas ce que vous faites. (Il les force à baisser leurs épées.)

BENVOLIO.
Part, fools! put up your swords, you know not what you do.

[Beats down their swords.]

Entre TEBALDO.

Enter Tybalt.

TEBALDO.
— Comment, tu as dégainé parmi ces valets sans courage ? retourne-toi, Benvolio, et regarde ta mort en face.

TYBALT.
What, art thou drawn among these heartless hinds?
Turn thee Benvolio, look upon thy death.

BENVOLIO.
— Je m’efforçais seulement de rétablir la paix ; rengaine ton épée, ou sers-t’en pour m’aider à séparer ces hommes.

BENVOLIO.
I do but keep the peace, put up thy sword,
Or manage it to part these men with me.

TEBALDO.
— Comment ! tu as dégainé, et tu parles de paix ! Je hais ce mot, comme je hais, l’enfer, tous les Montaigus, et toi : en garde, lâche ! (Ils se battent.)

TYBALT.
What, drawn, and talk of peace? I hate the word
As I hate hell, all Montagues, and thee:
Have at thee, coward.

[They fight.]

Entrent divers clients des deux maisons qui se joignent à la mêlée ; puis entrent des citoyens avec des bâtons et de pertuisanes.

Enter three or four Citizens with clubs.

LES CITOYENS.
— Des bâtons ! des cannes ! des pertuisanes ! Frappez ! Rossez-les ! A bas les Capulets ! A bas les Montaigus !

FIRST CITIZEN.
Clubs, bills and partisans! Strike! Beat them down!
Down with the Capulets! Down with the Montagues!

Entrent CAPULET dans sa robe de chambre et MADONNA CAPULET.

Enter Capulet in his gown, and Lady Capulet.

CAPULET.
— Qu’est-ce que ce tapage ? — Holà ! donnez-moi ma grande épée!

CAPULET.
What noise is this? Give me my long sword, ho!

MADONNA CAPULET.
— Une béquille ! Une béquille ! Pourquoi demandez-vous une épée ?

LADY CAPULET.
A crutch, a crutch! Why call you for a sword?

CAPULET.
— Mon épée, dis-je ! — Le vieux Montaigu est accouru, et brandit sa lame pour me défier.

CAPULET.
My sword, I say! Old Montague is come,
And flourishes his blade in spite of me.

Entrent MONTAIGU et MADONNA MONTAIGU.

Enter Montague and his Lady Montague.

MONTAIGU.
— Scélérat de Capulet ! — Ne me retiens pas, laisse-moi aller.

MONTAGUE.
Thou villain Capulet! Hold me not, let me go.

MADONNA MONTAIGU.
— Tu ne bougeras pas d’une semelle pour aller chercher un ennemi.

LADY MONTAGUE.
Thou shalt not stir one foot to seek a foe.

Entre LE PRINCE, avec sa suite.

Enter Prince Escalus, with Attendants.

LE PRINCE.
— Sujets rebelles, ennemis de la paix, qui abusez de cet acier souillé du sang de vos voisins.... Eh bien, est-ce qu’ils ne vont pas m’écouter ? — Holà, qu’est-ce à dire ? Hommes, bêtes, qui éteignez le feu de votre rage pernicieuse avec les fontaines de pourpre jaillissant de vos veines, sous peine de la torture, que vos mains sanglantes jettent à terre ces armes mal gouvernées, et écoutez la sentence de votre prince irrité : par ton fait, vieux Capulet, et par ton fait, Montaigu, trois rixes civiles, sorties d’un mot dit en l’air, ont trois fois troublé le repos de nos rues, et forcé les anciens citoyens de Vérone à dépouiller leurs graves et décents costumes, pour brandir dans des mains vieilles comme elles de vieilles pertuisanes rongées par la rouille de la paix, afin de séparer la haine qui vous ronge. Si jamais vous troublez encore nos rues, vos vies payeront le dommage fait à la paix. Pour le moment, que tout le monde s’en aille : vous, Capulet, vous, allez venir avec moi ; vous, Montaigu, vous viendrez cette après-midi, pour connaître sur cette affaire notre décision ultérieure, au vieil hôtel de ville, le lieu ordinaire de nos jugements. Une fois encore, sous peine de mort, que tout le monde parte. (Sortent le Prince et les gens de sa suite, Capulet, Madonna Capulet, Tebaldo, les citoyens et les serviteurs.)

PRINCE.
Rebellious subjects, enemies to peace,
Profaners of this neighbour-stained steel,—
Will they not hear? What, ho! You men, you beasts,
That quench the fire of your pernicious rage
With purple fountains issuing from your veins,
On pain of torture, from those bloody hands
Throw your mistemper’d weapons to the ground
And hear the sentence of your moved prince.
Three civil brawls, bred of an airy word,
By thee, old Capulet, and Montague,
Have thrice disturb’d the quiet of our streets,
And made Verona’s ancient citizens
Cast by their grave beseeming ornaments,
To wield old partisans, in hands as old,
Canker’d with peace, to part your canker’d hate.
If ever you disturb our streets again,
Your lives shall pay the forfeit of the peace.
For this time all the rest depart away:
You, Capulet, shall go along with me,
And Montague, come you this afternoon,
To know our farther pleasure in this case,
To old Free-town, our common judgement-place.
Once more, on pain of death, all men depart.

[Exeunt Prince and Attendants; Capulet, Lady Capulet, Tybalt, Citizens and Servants.]

MONTAIGU.
— Qui a déterminé cette nouvelle explosion d’une antique querelle ? Parlez, neveu, étiez-vous là quand elle a commencé ?

MONTAGUE.
Who set this ancient quarrel new abroach?
Speak, nephew, were you by when it began?

BENVOLIO.
— Les domestiques de votre ennemi, et les vôtres, s’étaient pris aux cheveux avant mon arrivée : j’ai dégainé pour les séparer ; à ce moment est venu le furieux Tebaldo, son épée toute prête, avec laquelle, pendant qu’il carillonnait des défis à mes oreilles, il exécutait des moulinets autour de sa tête, lui faisant couper le vent, qui, ne se sentant blessé en aucune façon, payait sa colère en sifflets de mépris : pendant que nous échangions bottes et coups, d’autres, puis d’autres sont venus, et ils se sont mis à se battre mutuellement, jusqu’au moment où le prince est arrivé et a séparé les deux partis.

BENVOLIO.
Here were the servants of your adversary
And yours, close fighting ere I did approach.
I drew to part them, in the instant came
The fiery Tybalt, with his sword prepar’d,
Which, as he breath’d defiance to my ears,
He swung about his head, and cut the winds,
Who nothing hurt withal, hiss’d him in scorn.
While we were interchanging thrusts and blows
Came more and more, and fought on part and part,
Till the Prince came, who parted either part.

MADONNA MONTAIGU.
— Ô où est Roméo ? L’avez-vous vu aujourd’hui ? Je suis bien joyeuse qu’il ne se soit pas trouvé dans cette rixe.

LADY MONTAGUE.
O where is Romeo, saw you him today?
Right glad I am he was not at this fray.

BENVOLIO.
— Madame, une heure avant que le bienaimé soleil eût montré sa tête à la fenêtre d’or de l’orient, une inquiétude d’esprit m’a poussé à sortir, et sous le bosquet de sycomores planté à l’ouest de ce côté-ci de la ville, j’ai vu votre fils, tout aussi matinal que moi, qui se promenait : je me suis dirigé vers lui, mais il m’avait aperçu, et il s’est esquivé sous le couvert du bois : moi, mesurant ses sentiments sur les miens, qui sont d’autant plus occupés qu’ils sont plus solitaires, j’ai poursuivi ma fantaisie, sans poursuivre la sienne, et j’ai évité avec plaisir celui qui avait plaisir à m’éviter.

BENVOLIO.
Madam, an hour before the worshipp’d sun
Peer’d forth the golden window of the east,
A troubled mind drave me to walk abroad,
Where underneath the grove of sycamore
That westward rooteth from this city side,
So early walking did I see your son.
Towards him I made, but he was ware of me,
And stole into the covert of the wood.
I, measuring his affections by my own,
Which then most sought where most might not be found,
Being one too many by my weary self,
Pursu’d my humour, not pursuing his,
And gladly shunn’d who gladly fled from me.

MONTAIGU.
— On l’a vu bien des matinées déjà en cet endroit, augmentant par ses larmes la fraîche rosée du matin, ajoutant par ses profonds soupirs des nuages aux nuages ; mais tout aussitôt que le soleil qui porte la joie à tout l’univers, commence au plus lointain de l’orient à ouvrir les rideaux d’ombres du lit de l’Aurore, mon fils mélancolique se sauve au logis pour éviter la lumière, et là s’enfermant tout seul dans sa chambre, clôt ses fenêtres, tire le verrou à la belle lumière du jour, et se compose une nuit artificielle pour son usage : cette humeur-là peut avoir et présage de mauvais résultats, à moins que de bons conseils ne parviennent à en écarter la cause.

MONTAGUE.
Many a morning hath he there been seen,
With tears augmenting the fresh morning’s dew,
Adding to clouds more clouds with his deep sighs;
But all so soon as the all-cheering sun
Should in the farthest east begin to draw
The shady curtains from Aurora’s bed,
Away from light steals home my heavy son,
And private in his chamber pens himself,
Shuts up his windows, locks fair daylight out
And makes himself an artificial night.
Black and portentous must this humour prove,
Unless good counsel may the cause remove.

BENVOLIO.
— Mon noble oncle, en connaissez-vous la cause ?

BENVOLIO.
My noble uncle, do you know the cause?

MONTAIGU.
— Je ne la connais pas, et je n’ai pu l’apprendre de lui.

MONTAGUE.
I neither know it nor can learn of him.

BENVOLIO.
— Avez-vous employé quelques moyens pour le presser de vous la dire ?

BENVOLIO.
Have you importun’d him by any means?

MONTAIGU.
— Je l’en ai pressé moi-même, et je l’en ai fait presser par de nombreux amis ; mais il reste l’unique conseiller de ses sentiments, et il est pour lui-même, — prudent jusqu’à quel point, je n’oserais le dire, — mais aussi discret, aussi caché, aussi difficile à sonder et à pénétrer que l’est le bouton piqué par un ver envieux, avant qu’il puisse étendre ses douces feuilles à l’air et exposer sa beauté au soleil. Si nous pouvions seulement apprendre d’où viennent ses chagrins, nous serions aussi heureux de les guérir que de les connaître.

MONTAGUE.
Both by myself and many other friends;
But he, his own affections’ counsellor,
Is to himself—I will not say how true—
But to himself so secret and so close,
So far from sounding and discovery,
As is the bud bit with an envious worm
Ere he can spread his sweet leaves to the air,
Or dedicate his beauty to the sun.
Could we but learn from whence his sorrows grow,
We would as willingly give cure as know.

Entre ROMÉO.

Enter Romeo.

BENVOLIO.
— Voyez, le voici qui vient ; retirez-vous, je vous prie ; je connaîtrai son chagrin, ou il faudra qu’il me refuse plus d’une fois.

BENVOLIO.
See, where he comes. So please you step aside;
I’ll know his grievance or be much denied.

MONTAIGU.
— Je désire, puisque tu consens à rester, que tu sois assez heureux pour lui arracher une confession sincère. — Venez, Madame, partons. (Sortent Montaigu et Madonna Montaigu.)

MONTAGUE.
I would thou wert so happy by thy stay
To hear true shrift. Come, madam, let’s away,

[Exeunt Montague and Lady Montague.]

BENVOLIO.
— Bonne matinée, cousin.

BENVOLIO.
Good morrow, cousin.

ROMÉO.
— Le jour est-il donc si jeune ?

ROMEO.
Is the day so young?

BENVOLIO.
— Il vient de sonner neuf heures.

BENVOLIO.
But new struck nine.

ROMÉO.
— Hélas pauvre moi ! les heures tristes semblent longues. N’est-ce pas mon père qui vient de s’éloigner à si grands pas ?

ROMEO.
Ay me, sad hours seem long.
Was that my father that went hence so fast?

BENVOLIO.
— Oui. — Quel est le chagrin qui allonge les heures de Roméo ?

BENVOLIO.
It was. What sadness lengthens Romeo’s hours?

ROMÉO.
— Le chagrin de ne pas posséder la chose dont la possession rendrait les heures courtes.

ROMEO.
Not having that which, having, makes them short.

BENVOLIO.
— Nous sommes en amour.

BENVOLIO.
In love?

ROMÉO.
— Hors....

ROMEO.
Out.

BENVOLIO.
— Hors d’amour ?

BENVOLIO.
Of love?

ROMÉO.
Hors de la faveur de celle pour qui je suis en amour,

ROMEO.
Out of her favour where I am in love.

BENVOLIO.
— Hélas ! pourquoi faut-il que l’amour, qui est si doux d’aspect, mis à l’épreuve, soit si tyrannique et si brutal ?

BENVOLIO.
Alas that love so gentle in his view,
Should be so tyrannous and rough in proof.

ROMÉO.
— Hélas ! pourquoi faut-il que l’amour, dont la vue est toujours couverte d’un bandeau, puisse sans yeux trouver le chemin qui mène à ses caprices ? — Où allons-nous dîner ? — Hélas de moi ! — Quelle querelle aviez-vous ici tout à l’heure ? mais non, ne me la racontez pas ; car j’ai tout appris. — On peut faire beaucoup avec la haine, mais encore plus avec l’amour. Ô amour querelleur ! Ô haine aimante ! Ô toute chose d’abord créée de rien ! Ô lourde légèreté ! sérieuse vanité\ chaos informe de formes harmonieuses au regard ! plume de plomb ! fumée brillante ! feu de glace ! santé malade ! sommeil toujours éveillé qui n’est pas ce qu’il est ! voilà l’amour que je ressens, et pourtant je n’y sens pas d’amour. Est-ce que tu ne ris pas ?

ROMEO.
Alas that love, whose view is muffled still,
Should, without eyes, see pathways to his will!
Where shall we dine? O me! What fray was here?
Yet tell me not, for I have heard it all.
Here’s much to do with hate, but more with love:
Why, then, O brawling love! O loving hate!
O anything, of nothing first create!
O heavy lightness! serious vanity!
Misshapen chaos of well-seeming forms!
Feather of lead, bright smoke, cold fire, sick health!
Still-waking sleep, that is not what it is!
This love feel I, that feel no love in this.
Dost thou not laugh?

BENVOLIO.
— Non, cousin, je pleure plutôt.

BENVOLIO.
No coz, I rather weep.

ROMÉO.
— Bon cœur ! et de quoi ?

ROMEO.
Good heart, at what?

BENVOLIO.
— De l’oppression de ton bon cœur.

BENVOLIO.
At thy good heart’s oppression.

ROMÉO.
— Hé c’est là le méfait de l’amour. — Mes lourds chagrins gonflent mon sein, tu les forces à déborder si tu verses en moi les tiens ; cette affection que tu m’as montrée ajoute encore à ma douleur déjà trop grande un surcroît de douleur. L’amour est une fumée faite de la vapeur des soupirs ; satisfait, c’est un feu qui brille dans les yeux de l’amant ; contrarié, c’est une mer nourrie des larmes de l’amant : qu’est-ce encore ? une folie très-discrète, une amertume qui étouffe, une douceur qui soutient. Adieu, mon cousin. (Il fait un mouvement pour partir.)

ROMEO.
Why such is love’s transgression.
Griefs of mine own lie heavy in my breast,
Which thou wilt propagate to have it prest
With more of thine. This love that thou hast shown
Doth add more grief to too much of mine own.
Love is a smoke made with the fume of sighs;
Being purg’d, a fire sparkling in lovers’ eyes;
Being vex’d, a sea nourish’d with lovers’ tears:
What is it else? A madness most discreet,
A choking gall, and a preserving sweet.
Farewell, my coz.

[Going.]

BENVOLIO.
— Doucement ! j’irai avec vous ; si vous me laissez ainsi, vous me faites injure.

BENVOLIO.
Soft! I will go along:
And if you leave me so, you do me wrong.

ROMÉO.
— Bah, je me suis perdu moi-même ; je ne suis pas ici ; cet homme-ci n’est pas Roméo, il est quelque autre part.

ROMEO.
Tut! I have lost myself; I am not here.
This is not Romeo, he’s some other where.

BENVOLIO.
— Dites-le-moi sérieusement, qui est-ce que vous aimez ?

BENVOLIO.
Tell me in sadness who is that you love?

ROMÉO.
— Quoi ! vais-je soupirer et le dire ?

ROMEO.
What, shall I groan and tell thee?

BENVOLIO.
— Soupirer ! oh non ; mais dites-moi sérieusement qui vous aimez.

BENVOLIO.
Groan! Why, no; but sadly tell me who.

ROMÉO.
— Ordonne à un homme malade de faire sérieusement son testament. Oh, qu’il est mal d’importuner de ce mot un homme qui est si malade ! Sérieusement, cousin, j’aime une femme.

ROMEO.
Bid a sick man in sadness make his will,
A word ill urg’d to one that is so ill.
In sadness, cousin, I do love a woman.

BENVOLIO.
— J’avais à peu près touché aussi juste, lorsque j’ai supposé que vous aimiez.

BENVOLIO.
I aim’d so near when I suppos’d you lov’d.

ROMÉO.
— Un très-bon tireur ! — Et celle que j’aime est belle.

ROMEO.
A right good markman, and she’s fair I love.

BENVOLIO.
— Une belle marque bien visible est la plus vite touchée, beau cousin.

BENVOLIO.
A right fair mark, fair coz, is soonest hit.

ROMÉO.
— Bon, pour cette marque-ci vous visez de travers : elle ne peut être touchée avec l’arc de Cupidon, elle a l’âme de Diane ; et bien armée de la ferme cuirasse de Chasteté, elle vit à l’abri des faibles et enfantines flèches de l’Amour. Elle ne veut ni soutenir le siège des paroles d’amour, ni accepter le défi des yeux assaillants, soi ouvrir son corsage, à l’or qui séduit les saints : oh ! elle est riche en beauté, et n’est pauvre qu’en ceci, que lorsqu’elle mourra, avec sa beauté mourra son trésor.

ROMEO.
Well, in that hit you miss: she’ll not be hit
With Cupid’s arrow, she hath Dian’s wit;
And in strong proof of chastity well arm’d,
From love’s weak childish bow she lives uncharm’d.
She will not stay the siege of loving terms
Nor bide th’encounter of assailing eyes,
Nor ope her lap to saint-seducing gold:
O she’s rich in beauty, only poor
That when she dies, with beauty dies her store.

BENVOLIO.
— Alors elle a juré qu’elle vivrait toujours chaste ?

BENVOLIO.
Then she hath sworn that she will still live chaste?

ROMÉO.
— Elle l’a juré, et par cette économie, elle fait, un grand gaspillage de biens, car la beauté, affamée par sa sévérité, ruine la beauté de toute postérité. Elle est trop belle, trop sage ; trop sagement belle pour mériter son salut en me désespérant : elle a juré de ne pas aimer, et grâce à ce vœu, je meurs au sein de la vie, moi qui vis pour le dire en ce moment.

ROMEO.
She hath, and in that sparing makes huge waste;
For beauty starv’d with her severity,
Cuts beauty off from all posterity.
She is too fair, too wise; wisely too fair,
To merit bliss by making me despair.
She hath forsworn to love, and in that vow
Do I live dead, that live to tell it now.

BENVOLIO.
— Suis mon conseil, oublie de penser à elle.

BENVOLIO.
Be rul’d by me, forget to think of her.

ROMÉO.
— Oh ! apprends-moi comment je pourrais oublier de penser.

ROMEO.
O teach me how I should forget to think.

BENVOLIO.
— En accordant la liberté à tes yeux ; regarde d’autres beautés.

BENVOLIO.
By giving liberty unto thine eyes;
Examine other beauties.

ROMÉO.
— C’est le moyen d’appeler la sienne exquise, que de passer l’examen des autres : les heureux masques qui baisent les joues des belles Dames, grâce à leur couleur noire, ne servent qu’à nous rappeler qu’ils cachent la beauté ; celui qui est frappé de cécité ne peut oublier pour cela le précieux trésor perdu de sa vue. Montrez-moi une maîtresse d’une beauté plus qu’ordinaire, que sera pour moi sa beauté ! rien qu’une note où je lirai un commentaire explicatif de cette autre beauté qui dépasse la beauté plus qu’ordinaire. Adieu : tu ne peux m’apprendre à oublier.

ROMEO.
’Tis the way
To call hers, exquisite, in question more.
These happy masks that kiss fair ladies’ brows,
Being black, puts us in mind they hide the fair;
He that is strucken blind cannot forget
The precious treasure of his eyesight lost.
Show me a mistress that is passing fair,
What doth her beauty serve but as a note
Where I may read who pass’d that passing fair?
Farewell, thou canst not teach me to forget.

BENVOLIO.
— Je te payerai cette science-là, ou je mourrai endetté. (Ils sortent.)

BENVOLIO.
I’ll pay that doctrine, or else die in debt.

[Exeunt.]

SCÈNE II

SCENE II.

Une rue.
A Street.
Entrent CAPULET, PARIS et un VALET.

Enter Capulet, Paris and Servant.

CAPULET.
— Mais Montaigu est condamné aussi bien que moi, et à la même peine ; et je ne pense pas qu'il soit bien dur à des hommes aussi vieux que nous le sommes de garder la paix.

CAPULET.
But Montague is bound as well as I,
In penalty alike; and ’tis not hard, I think,
For men so old as we to keep the peace.

PARIS.
— Vous êtes tous deux très-estimés, et c’est pitié que vous ayez vécu si longtemps en querelle. Mais, Monseigneur, dites-moi maintenant, que répondez-vous à mon ouverture ?

PARIS.
Of honourable reckoning are you both,
And pity ’tis you liv’d at odds so long.
But now my lord, what say you to my suit?

CAPULET.
— Je ne puis vous répondre qu’en vous répétant ce que je vous ai déjà dit : mon enfant est encore nouvelle venue dans le monde ; elle n’a pas accompli sa quatorzième année ; il faut encore que deux étés se flétrissent dans leur orgueil avant que nous la jugions mûre pour le mariage.

CAPULET.
But saying o’er what I have said before.
My child is yet a stranger in the world,
She hath not seen the change of fourteen years;
Let two more summers wither in their pride
Ere we may think her ripe to be a bride.

PARIS.
— De plus jeunes qu’elles sont d’heureuses mères.

PARIS.
Younger than she are happy mothers made.

CAPULET.
— Oui, mais celles qui sont mères si tôt sont trop vite abîmées. La terre a englouti toutes mes espérances ; il ne me reste qu’elle, et elle est la Dame qui espère ma terre, à moi 11. Mais faites-lui la cour, gentil Paris, gagnez son cœur ; ma volonté ne dépend que de son consentement ; si elle vous accepte, son choix dictera ma décision et je vous accorderai ma voix avec bonheur. Ce soir je donne la fête que j’ai depuis si longues années habitude de donner ; j’y ai invité beaucoup des personnes que j’aime ; soyez un des convives, et non le moins bien venu ; accroissez leur nombre. Venez contempler ce soir, à nia pauvre maison, ces étoiles marchant sur terre, qui font paraître noir le ciel brillant : ce même bien-être que ressentent les gaillards jeunes gens, lorsque Avril au joli costume arrive sur les talons du boiteux hiver, ce plaisir-là même vous le goûterez ce soir, chez moi, parmi toutes ces fraîches femmes en boutons. Écoutez-les, regardez-les toutes, et aimez celle dont le mérite vous paraîtra le plus grand : la mienne sera parmi celles que vous verrez en si grand nombre, et si elle ne. compte pas pour sa valeur, elle comptera toujours comme chiffre. Allons, venez avec moi. — (Au valet.) Allez, vous maraud ; arpentez-moi les rues de Vérone, allez trouver les personnes dont les noms sont inscrits là-dessus (il lui donne un papier), et dites-leur que ma maison et mon accueil attendent leur bon plaisir. (Sortent Capulet et Pâris.)

CAPULET.
And too soon marr’d are those so early made.
The earth hath swallowed all my hopes but she,
She is the hopeful lady of my earth:
But woo her, gentle Paris, get her heart,
My will to her consent is but a part;
And she agree, within her scope of choice
Lies my consent and fair according voice.
This night I hold an old accustom’d feast,
Whereto I have invited many a guest,
Such as I love, and you among the store,
One more, most welcome, makes my number more.
At my poor house look to behold this night
Earth-treading stars that make dark heaven light:
Such comfort as do lusty young men feel
When well apparell’d April on the heel
Of limping winter treads, even such delight
Among fresh female buds shall you this night
Inherit at my house. Hear all, all see,
And like her most whose merit most shall be:
Which, on more view of many, mine, being one,
May stand in number, though in reckoning none.
Come, go with me. Go, sirrah, trudge about
Through fair Verona; find those persons out
Whose names are written there, [gives a paper] and to them say,
My house and welcome on their pleasure stay.

[Exeunt Capulet and Paris.]

LE VALET.
— « Allez trouver les personnes dont les noms sont inscrits là-dessus ! » Il est écrit que le cordonnier, doit se servir de son a une, et le tailleur de son alêne ; le peintre de ses filets, et le pêcheur de son pinceau ; mais on m’envoie trouver les personnes dont les noms sont écrits ici, et je suis à tout jamais incapable de trouver quels noms la personne qui a écrit a écrits ici. Je vais m’adresser à des gens instruits : — ah ! en voici fort à propos.

SERVANT.
Find them out whose names are written here! It is written that the shoemaker should meddle with his yard and the tailor with his last, the fisher with his pencil, and the painter with his nets; but I am sent to find those persons whose names are here writ, and can never find what names the writing person hath here writ. I must to the learned. In good time!

Entrent BENVOLIO et ROMÉO.

Enter Benvolio and Romeo.

BENVOLIO.
— Bah, l’ami, un feu qui brûle en éteint un autre ; une douleur est amoindrie par la vivacité d’une autre douleur ; tournez à vous étourdir, vous vous remettez en tournant de l’autre côté ; un chagrin désespéré ? se guérit par les gémissements d’un autre chagrin : fais boire à ton œil un nouveau poison, et le poison invétéré de l’amour ancien perdra sa force.

BENVOLIO.
Tut, man, one fire burns out another’s burning,
One pain is lessen’d by another’s anguish;
Turn giddy, and be holp by backward turning;
One desperate grief cures with another’s languish:
Take thou some new infection to thy eye,
And the rank poison of the old will die.

ROMÉO.
— Votre feuille de plantain est excellente pour cela.

ROMEO.
Your plantain leaf is excellent for that.

BENVOLIO.
— Pour quelle chose, je te prie ?

BENVOLIO.
For what, I pray thee?

ROMÉO.
— Pour votre jambe brisée.

ROMEO.
For your broken shin.

BENVOLIO.
— Eh bien, Roméo, est-ce que tu es fou ?

BENVOLIO.
Why, Romeo, art thou mad?

ROMÉO.
— Non pas fou, mais plus enchaîné que ne l’est un fou ; enfermé dans une prison, tenu sans nourriture, fouetté et tourmenté, et... — Bonjour, mon bon garçon.

ROMEO.
Not mad, but bound more than a madman is:
Shut up in prison, kept without my food,
Whipp’d and tormented and—God-den, good fellow.

LE VALET.
— Dieu vous donne bien bon jour. Savez-vous lire, Messire, je vous prie ?

SERVANT.
God gi’ go-den. I pray, sir, can you read?

ROMÉO.
— Oui, ma propre fortune dans ma misère.

ROMEO.
Ay, mine own fortune in my misery.

LE VALET.
— Peut-être avez-vous appris cela sans livres : mais, je vous prie, pouvez-vous lire tout ce que Vous voyez écrit ?

SERVANT.
Perhaps you have learned it without book.
But I pray, can you read anything you see?

ROMÉO.
— Oui, si j’en connais les lettres et le langage.

ROMEO.
Ay, If I know the letters and the language.

LE VALET.
— Vous parlez honnêtement ; Dieu vous tienne en joie ! (Il fait un mouvement pour s’en aller.)

SERVANT.
Ye say honestly, rest you merry!

ROMÉO.
— Arrête, mon garçon, je sais lire. (Il lit.) « Le signior Martino, sa femme et sa fille ; le comte Anselme et ses gracieuses sœurs ; la veuve de Vitruvio ; le signior Placentio et ses aimables nièces ; Mercutio et son frère Valentin ; mon oncle Capulet, sa femme et ses filles ; ma belle nièce Rosaline ; Livra ; le signior Valentio et son cousin Tebaldo ; Lucie et la vive Héléna. » (Il lui remet le papier.) Une belle réunion. Où toutes ces personnes doivent-elles se rendre ?

ROMEO.
Stay, fellow; I can read.

[He reads the letter.]

Signior Martino and his wife and daughters;
County Anselmo and his beauteous sisters;
The lady widow of Utruvio;
Signior Placentio and his lovely nieces;
Mercutio and his brother Valentine;
Mine uncle Capulet, his wife, and daughters;
My fair niece Rosaline and Livia;
Signior Valentio and his cousin Tybalt;
Lucio and the lively Helena.

A fair assembly. [Gives back the paper] Whither should they come?

LE VALET.
— En haut.

SERVANT.
Up.

ROMÉO.
— Où ça, pour souper ?

ROMEO.
Whither to supper?

LE VALET.
— A notre maison.

SERVANT.
To our house.

ROMÉO.
— La maison de qui ?

ROMEO.
Whose house?

LE VALET.
— Celle de mon maître.

SERVANT.
My master’s.

ROMÉO.
— En effet, j’aurais dû commencer par te demander qui est ton maître.

ROMEO.
Indeed I should have ask’d you that before.

LE VALET.
— Maintenant, je vais vous le dire sans que vous me le demandiez : mon maître est le riche et puissant Capulet ; si vous n’êtes pas de la maison des Montaigu, venez., je vous prie, avaler un verre de vin. Dieu vous tienne en joie. (Il sort.)

SERVANT.
Now I’ll tell you without asking. My master is the great rich Capulet, and if you be not of the house of Montagues, I pray come and crush a cup of wine. Rest you merry.

[Exit.]

BENVOLIO.
— À cette même ancienne fête des Capulets, la belle Rosaline que tu aimes tant, soupe avec toutes les beautés admirées de Vérone : vas-y, et d’un œil sans préjugés compare son visage avec quelques-uns de ceux que je te montrerai, et : je te ferai convenir que ton cygne est un corbeau.

BENVOLIO.
At this same ancient feast of Capulet’s
Sups the fair Rosaline whom thou so lov’st;
With all the admired beauties of Verona.
Go thither and with unattainted eye,
Compare her face with some that I shall show,
And I will make thee think thy swan a crow.

ROMÉO.
— Si mes yeux oublient leur religion au point de soutenir une telle fausseté, que les larmes se changent en feu, et que dans leurs flammes ils soient brûlés comme menteurs, ces transparents hérétiques, qui ont été si souvent noyés sans mourir ! Quelqu’une de plus belle, que ma bien-aimée ! Le soleil qui voit tout ne vit jamais sa pareille depuis le commencement du monde.

ROMEO.
When the devout religion of mine eye
Maintains such falsehood, then turn tears to fire;
And these who, often drown’d, could never die,
Transparent heretics, be burnt for liars.
One fairer than my love? The all-seeing sun
Ne’er saw her match since first the world begun.

BENVOLIO.
— Bah ! vous l’avez vue belle parce, que personne n’était à côté d’elle ; c’est elle qui se pesait contre elle-même dans la balance de vos yeux : mais placez dans cette balancé de.cristal la beauté de votre Dame contre celle de quelque autre jeune fille que je vous montrerai brillant à cette fête, et celle qui vous paraît maintenant, si belle paraîtra presque médiocre.

BENVOLIO.
Tut, you saw her fair, none else being by,
Herself pois’d with herself in either eye:
But in that crystal scales let there be weigh’d
Your lady’s love against some other maid
That I will show you shining at this feast,
And she shall scant show well that now shows best.

ROMÉO.
— J’irai, non pour qu’on me montre une telle beauté, mais afin de jouir de la splendeur de celle que j’adore. (Ils sortent.)

ROMEO.
I’ll go along, no such sight to be shown,
But to rejoice in splendour of my own.

[Exeunt.]

SCÈNE III.

SCENE III.

Un appartement dans la maison de CAPULET.
Room in Capulet’s House.
Entrent MADONNA CAPULET et LA NOURRICE.

Enter Lady Capulet and Nurse.

MADONNA CAPULET.
— Nourrice, où est ma fille ? dis-lui de venir me trouver.

LADY CAPULET.
Nurse, where’s my daughter? Call her forth to me.

LA NOURRICE.
— Vraiment, sur mon pucelage, — quand j’avais douze ans, — je lui ai ordonné de venir — Hé, mon agneau ! Hé, mademoiselle papillon ! — Qu’est-ce que je dis là ? Dieu veuille qu’elle ne le soit pas, Demoiselle papillon ! Où est cette fillette ? — Hé ! Juliette.

NURSE.
Now, by my maidenhead, at twelve year old,
I bade her come. What, lamb! What ladybird!
God forbid! Where’s this girl? What, Juliet!

Entre JULIETTE.

Enter Juliet.

JULIETTE.
— Qu’y a-t-il ? Qui m’appelle ?

JULIET.
How now, who calls?

LA NOURRICE.
— Votre mère.

NURSE.
Your mother.

JULIETTE.
— Me voici, Madame. Quelle est votre volonté ?

JULIET.
Madam, I am here. What is your will?

MADONNA CAPULET.
— Voici l’affaire : — nourrice, laisse nous un instant ; nous avons besoin de parler en secret. — Nourrice, reviens ; je me ravise, tu prendras part à notre entretien. Tu sais que ma fille commence à être d’un âge raisonnable.

LADY CAPULET.
This is the matter. Nurse, give leave awhile,
We must talk in secret. Nurse, come back again,
I have remember’d me, thou’s hear our counsel.
Thou knowest my daughter’s of a pretty age.

LA NOURRICE.
— Ma foi, je puis dire son âge à uné heure près.

NURSE.
Faith, I can tell her age unto an hour.

MADONNA CAPULET.
— Elle n’a pas quatorze ans.

LADY CAPULET.
She’s not fourteen.

LA NOURRICE.
— J’engagerais quatorze de mes dents, — et cependant, pour le dire à mon regret, je n’en ai que quatre, — qu’elle n’a pas quatorze ans : combien y a-t-il de temps d’aujourd’hui à la Saint-Pierre-aux-Liens ?

NURSE.
I’ll lay fourteen of my teeth,
And yet, to my teen be it spoken, I have but four,
She is not fourteen. How long is it now
To Lammas-tide?

MADONNA CAPULET.
— Une quinzaine et quelques jours.

LADY CAPULET.
A fortnight and odd days.

LA NOURRICE.
— Soit plus, soit moins, vienne la Saint-Pierre-aux-Liens, le soir de ce jour elle aura juste quatorze ans. Suzanne et elle, — Dieu tienne en paix toutes les âmes chrétiennes !, — étaient du même âge : bien, Suzanne est avec Dieu ; elle était trop bonne pour moi : — mais comme je le disais, le soir de la Saint-Pierre-aux-Liens elle aura quatorze ans ; elle les aura ce jour-là, pardi, je me le rappelle bien. C’est depuis le tremblement de terre d’il y a maintenant onze ans, et elle fut sevrée, précisément ce jour-là ; je ne l’oublierai jamais : car j’avais alors mis de l’absinthe à mon teton, et je m’étais placée au soleil, adossée au mur, sous le pigeonnier. Monseigneur et vous, vous étiez alors, à Mantoue : oh ! j’ai-bonne mémoire : :— mais, comme je disais, quand elle eut goûté l’absinthe au bout de mon teton et qu’elle eut senti que c’était amer, la petite folle ! il fallait voir quelle, grimace elle fit, et comme elle quitta le teton. A ce moment voilà que le pigeonnier se met à trembler : ah ! on n’eut pas besoin de me dire de décamper, je vous en réponds. Depuis cette époque, il y a eu onze ans ; car alors elle pouvait marcher toute seule ; oui, parle crucifix, elle aurait pu courir et. trottiner de tous côtés. Et le jour d’auparavant même, elle s’était fait une bosse au front ; et alors mon mari, — Dieu ait son âme ! —c’était un homme qui aimait à rire —releva la petite : « Eh bien, dit-il, c’est comme cela que tu tombes sur ta face ? tu tomberas sur le dos quand tu auras plus d’esprit, n’est-ce pas, Julou ? Et par Notre Dame, la petite coquine s’arrêta de pleurer tout net, et dit, oui : voyez un peu, comme une plaisanterie peut amener de drôles de choses. Je vivrais mille ans que je ne l’oublierais jamais, j’en réponds : « N’est-ce pas, Julou ? » dit-il ; et la gentille petite folle s’arrêta court, et dit : Oui.

NURSE.
Even or odd, of all days in the year,
Come Lammas Eve at night shall she be fourteen.
Susan and she,—God rest all Christian souls!—
Were of an age. Well, Susan is with God;
She was too good for me. But as I said,
On Lammas Eve at night shall she be fourteen;
That shall she, marry; I remember it well.
’Tis since the earthquake now eleven years;
And she was wean’d,—I never shall forget it—,
Of all the days of the year, upon that day:
For I had then laid wormwood to my dug,
Sitting in the sun under the dovehouse wall;
My lord and you were then at Mantua:
Nay, I do bear a brain. But as I said,
When it did taste the wormwood on the nipple
Of my dug and felt it bitter, pretty fool,
To see it tetchy, and fall out with the dug!
Shake, quoth the dovehouse: ’twas no need, I trow,
To bid me trudge.
And since that time it is eleven years;
For then she could stand alone; nay, by th’rood
She could have run and waddled all about;
For even the day before she broke her brow,
And then my husband,—God be with his soul!
A was a merry man,—took up the child:
‘Yea,’ quoth he, ‘dost thou fall upon thy face?
Thou wilt fall backward when thou hast more wit;
Wilt thou not, Jule?’ and, by my holidame,
The pretty wretch left crying, and said ‘Ay’.
To see now how a jest shall come about.
I warrant, and I should live a thousand years,
I never should forget it. ‘Wilt thou not, Jule?’ quoth he;
And, pretty fool, it stinted, and said ‘Ay.’

MADONNA CAPULET.
— Assez de cela ; je t’en prie, garde la paix.

LADY CAPULET.
Enough of this; I pray thee hold thy peace.

LA NOURRICE.
— Oui, Madame ; cependant je ne puis m’empêcher de rire, en me rappelant comment elle s’arrêta de pleurer, et dit oui : et cependant, je vous le garantis, le petit être avait sur le front une bosse aussi grosse qu’un œuf de jeune poule : c’était un coup très-fort, et elle pleurait à chaudes larmes. « Oui-da, dit mon, mari, c’est comme cela que tu tombes sur ta face ? Tu tomberas sur le dos quand tu seras plus âgée ; n’est-ce pas, Julou ? s elle s’arrêta, et dit oui.

NURSE.
Yes, madam, yet I cannot choose but laugh,
To think it should leave crying, and say ‘Ay’;
And yet I warrant it had upon it brow
A bump as big as a young cockerel’s stone;
A perilous knock, and it cried bitterly.
‘Yea,’ quoth my husband, ‘fall’st upon thy face?
Thou wilt fall backward when thou comest to age;
Wilt thou not, Jule?’ it stinted, and said ‘Ay’.

JULIETTE.
— Et-arrête-toi aussi, je t’en prie, nourrice.

JULIET.
And stint thou too, I pray thee, Nurse, say I.

LA NOURRICE.
— Paix, j’ai fini. Dieu te marque pour son paradis ! Tu étais le plus joli bébé que j’aie jamais nourri : si je pouvais vivre assez pour te voir mariée, j’aurais tout ce que je souhaite.

NURSE.
Peace, I have done. God mark thee to his grace
Thou wast the prettiest babe that e’er I nurs’d:
And I might live to see thee married once, I have my wish.

MADONNA CAPULET.
— Pardi, le mariage est le sujet même dont j’allais parler ; dites-moi, ma fille Juliette, vous sentiriez-vous en disposition d’être mariée ?

LADY CAPULET.
Marry, that marry is the very theme
I came to talk of. Tell me, daughter Juliet,
How stands your disposition to be married?

JULIETTE.
— C’est un honneur auquel je n’ai jamais songé.

JULIET.
It is an honour that I dream not of.

LA NOURRICE.
— Un honneur ! si je n’étais pas ta seule nourrice, je dirais que tu as sucé la sagesse à la mamelle.

NURSE.
An honour! Were not I thine only nurse,
I would say thou hadst suck’d wisdom from thy teat.

MADONNA CAPULET.
— Bon, pensez au mariage maintenant : de plus jeunes que vous, ici dans Vérone, sont déjà Dames considérées et mères : si je fais bien mon compte, je vous mis au monde à cet âge même où vous êtes encore fille. Bref, voici ce qui en est : le vaillant Paris vous recherche pour sa femme.

LADY CAPULET.
Well, think of marriage now: younger than you,
Here in Verona, ladies of esteem,
Are made already mothers. By my count
I was your mother much upon these years
That you are now a maid. Thus, then, in brief;
The valiant Paris seeks you for his love.

LA NOURRICE.
— Voilà un homme, jeune Dame ! jeune Dame, un homme tel que le monde entier… un homme de cire, quoi!

NURSE.
A man, young lady! Lady, such a man
As all the world—why he’s a man of wax.

MADONNA CAPULET.
— L’été de Vérone ne possède pas une plus belle fleur.

LADY CAPULET.
Verona’s summer hath not such a flower.

LA NOURRICE.
— Certes, c’est une fleur ; oui, ma foi, une vraie fleur.

NURSE.
Nay, he’s a flower, in faith a very flower.

MADONNA CAPULET.
— Qu’en dites-vous ? pouvez-vous aimer le gentilhomme ? Ce soir vous le contemplerez à notre fête ; lisez et relisez le volume du visage du jeune Pâlis, et découvrez -y le bonheur écrit par la plume de la beauté ; examinez ses traits l’un après l’autre, et voyez comme ils se correspondent, et comme chacun se marié à l’autre avec accord ; quant à ce qui pourra vous paraître obscur dans ce beau volume, cherchez-en l’explication dans le commentaire de ses yeux. Ce précieux livre d’amour, cet amant non relié, n’attend qu’une couverture pour compléter sa beauté : le poisson vit dans la mer, et c’est un grand honneur pour la beauté extérieure de pouvoir envelopper la beauté intérieure. Aux yeux de beaucoup, le livre qui sous ses agrafes d’or renferme une légende dorée en partage la gloire, et c’est ainsi qu’en l’épousant vous partagerez tout ce qu’il possède sans être en rien diminuée vous-même.

LADY CAPULET.
What say you, can you love the gentleman?
This night you shall behold him at our feast;
Read o’er the volume of young Paris’ face,
And find delight writ there with beauty’s pen.
Examine every married lineament,
And see how one another lends content;
And what obscur’d in this fair volume lies,
Find written in the margent of his eyes.
This precious book of love, this unbound lover,
To beautify him, only lacks a cover:
The fish lives in the sea; and ’tis much pride
For fair without the fair within to hide.
That book in many’s eyes doth share the glory,
That in gold clasps locks in the golden story;
So shall you share all that he doth possess,
By having him, making yourself no less.

LA NOURRICE.
— Sans être diminuée ! dites plutôt en étant augmentée. Les femmes grossissent par le fait des hommes.

NURSE.
No less, nay bigger. Women grow by men.

MADONNA CAPULET.
— Parlez brièvement ; l’amour de Paris peut-il vous plaire ?

LADY CAPULET.
Speak briefly, can you like of Paris’ love?

JULIETTE.
— Je le regarderai à cette fin, si toutefois regarder suffit pour faire naître la sympathie ; mais mon œil ne s’enhardira que dans la mesure où votre volonté le lui permettra.

JULIET.
I’ll look to like, if looking liking move:
But no more deep will I endart mine eye
Than your consent gives strength to make it fly.

Entre UN VALET.

Enter a Servant.

LE VALET.
— Madame, les convives sont arrivés, le souper est servi, on vous appelle, on demande ma jeune Dame, on maudit la nourrice dans l’office, et tout est très-pressé. Il faut que je coure vite servir ; je vous en conjure, venez immédiatement.

SERVANT.
Madam, the guests are come, supper served up, you called, my young lady asked for, the Nurse cursed in the pantry, and everything in extremity. I must hence to wait, I beseech you follow straight.

MADONNA CAPULET.
— Nous te suivons. — Juliette, le comte attend.

LADY CAPULET.
We follow thee.

[Exit Servant.]

Juliet, the County stays.

LA NOURRICE.
— Allons, fillette, va chercher d’heureuses nuits pour les joindre à tes heureux jours. (Elles sortent.)

NURSE.
Go, girl, seek happy nights to happy days.

[Exeunt.]

SCÈNE IV.

SCENE IV.

Une rue.
A Street.
Entrent ROMÉO, MERCUTIO, BENVOLIO, avec cinq ou six masques et porteurs de torches.

Enter Romeo, Mercutio, Benvolio, with five or six Maskers; Torch-bearers and others.

ROMÉO.
— Eh bien, ferons-nous ce discours pour nous excuser, ou bien entrerons-nous sans plus de façons ?

ROMEO.
What, shall this speech be spoke for our excuse?
Or shall we on without apology?

BENVOLIO.
— La mode de ces cérémonies prolixes est passée. Nous n’enverrons devant eux aucun Cupidon, les yeux bandés d’une écharpe, portant un arc de Tartare en bois blanc peint, écartant les Dames devant lui commemn gamin chargé d’effaroucher les corneilles ; pas davantage de prologue récité sans copie, en ânonnant, avec l’aide du souffleur, pour faire notre entrée. Qu’ils nous jugent avec la mesure qu’il leur plaira, nous leur mesurerons une mesure de danse, et puis nous partirons.

BENVOLIO.
The date is out of such prolixity:
We’ll have no Cupid hoodwink’d with a scarf,
Bearing a Tartar’s painted bow of lath,
Scaring the ladies like a crow-keeper;
Nor no without-book prologue, faintly spoke
After the prompter, for our entrance:
But let them measure us by what they will,
We’ll measure them a measure, and be gone.

ROMÉO.
— Donnez-moi une torche, je ne suis pas d’humeur à danser comme je suis sombre, il me siéra de porter la lumière.

ROMEO.
Give me a torch, I am not for this ambling;
Being but heavy I will bear the light.

MERCUTIO.
— Non, gentil Roméo, nous voulons que vous dansiez.

MERCUTIO.
Nay, gentle Romeo, we must have you dance.

ROMÉO.
— Non, croyez-moi : vous avez, vous, des souliers de danse et des pieds légers ; moi j’ai une âme de plomb qui me cloue tellement à terre que je ne puis remuer.

ROMEO.
Not I, believe me, you have dancing shoes,
With nimble soles, I have a soul of lead
So stakes me to the ground I cannot move.

MERCUTIO.
— Vous êtes un amant ; empruntez les ailes de Cupidon, — et faites par leur moyen un grand saut au dessus, de ces chagrins.

MERCUTIO.
You are a lover, borrow Cupid’s wings,
And soar with them above a common bound.

ROMÉO.
— Je suis trop follement percé de sa flèche, pour voler avec ses ailes légères, et tellement lié que je ne puis sauter plus haut que la sombre douleur ; je succombe sous le pesant fardeau de l’amour.

ROMEO.
I am too sore enpierced with his shaft
To soar with his light feathers, and so bound,
I cannot bound a pitch above dull woe.
Under love’s heavy burden do I sink.

MERCUTIO.
— Mais en succombant, vous devriez étouffer l’amour ; vous êtes un poids trop lourd pour un être si tendre.

MERCUTIO.
And, to sink in it, should you burden love;
Too great oppression for a tender thing.

ROMÉO.
— Est-ce que l’amour est un être-tendre ? il n’est que trop brutal, trop, cruel, trop querelleur, et il pique comme l’épine.

ROMEO.
Is love a tender thing? It is too rough,
Too rude, too boisterous; and it pricks like thorn.

MERCUTIO.
— Si l’amour est brutal avec vous, soyez brutal avec l’amour ; rendez à l’amour piqûre pour piqûre, et vous vaincrez l’amour. — Donnez-moi un étui pour y serrer mon visage. (Il met un masque.) Un masque contre un masque ! Maintenant je n’ai plus souci qu’un œil trop curieux épie mes difformités ; voici le front aux sourcils épais qui rougira pour moi.

MERCUTIO.
If love be rough with you, be rough with love;
Prick love for pricking, and you beat love down.
Give me a case to put my visage in: [Putting on a mask.]
A visor for a visor. What care I
What curious eye doth quote deformities?
Here are the beetle-brows shall blush for me.

BENVOLIO.
— Allons, frappons et entrons ; et aussitôt que nous serons entrés, que chacun fasse mouvoir ses jambes.

BENVOLIO.
Come, knock and enter; and no sooner in
But every man betake him to his legs.

ROMÉO.
— Une torche pour moi : que les folâtres qui sont gais de cœur chatouillent de leurs talons les nattes insensibles ; quant à moi, je suis parfaitement défini par quelqu’un des adages de nos grands-pères : — « je tiendrai la chandelle et serai spectateur, » — « jamais le gibier n’a été plus beau et la chassé est finie pour moi. »

ROMEO.
A torch for me: let wantons, light of heart,
Tickle the senseless rushes with their heels;
For I am proverb’d with a grandsire phrase,
I’ll be a candle-holder and look on,
The game was ne’er so fair, and I am done.

MERCUTIO.
— Bah ! comme, dit le sergent de police, la souris est engluée ; et si tu es englué, nous te tirerons de ce bourbier, ou de cet amour (sauf votre respect), où tu t’enfonces jusqu’aux oreilles. Marchons, nous brûlons là nos flambeaux en plein jour, eh !

MERCUTIO.
Tut, dun’s the mouse, the constable’s own word:
If thou art dun, we’ll draw thee from the mire
Or save your reverence love, wherein thou stickest
Up to the ears. Come, we burn daylight, ho.

ROMÉO.
— Non, il n’en est pas ainsi.

ROMEO.
Nay, that’s not so.

MERCUTIO.
— Je veux dire, Messire, qu’en retardant, nous dépensons nos lumières en vain, comme des lampes pendant le jour. Prenez nos paroles dans le sens que leur donne notre bonne intention, car notre jugement est cinq fois dans l’intention plutôt qu’une fois dans nos cinq facultés raisonnables.

MERCUTIO.
I mean sir, in delay
We waste our lights in vain, light lights by day.
Take our good meaning, for our judgment sits
Five times in that ere once in our five wits.

ROMÉO.
— Et nous avons bonne intention en allant à cette mascarade ; cependant il n’est pas raisonnable d’y aller.

ROMEO.
And we mean well in going to this mask;
But ’tis no wit to go.

MERCUTIO.
— Pourquoi cela ? peut-on le demander ?

MERCUTIO.
Why, may one ask?

ROMÉO.
— J’ai fait un songe cette nuit.

ROMEO.
I dreamt a dream tonight.

MERCUTIO.
— Et moi aussi.

MERCUTIO.
And so did I.

ROMÉO.
— Bon, quel était le vôtre ?

ROMEO.
Well what was yours?

MERCUTIO.
— Que les rêveurs s’enfoncent souvent.

MERCUTIO.
That dreamers often lie.

ROMÉO.
— Au lit, quand ils dorment, et qu’ils rêvent des choses vraies.

ROMEO.
In bed asleep, while they do dream things true.

MERCUTIO.
— Oh ! en ce cas, je vois que la reine Mab vous a visité. C’est la sage femme des fées ; elle se présente sous une forme qui n’est pas plus grosse que l’agate placée à l’index d’un conseiller municipal, et traînée sur un char de légers atonies, elle passe sur les nez des gens endormis. Les rayons des roues de son carrosse sont faits de longues pattes de faucheux, la capote d’ailes de sauterelles, les rênes de la plus fine toile de l’araignée, les harnais des humides rayons du clair de lune : le manche de son fouet est un os de grillon ; la mèche est un fil tout menu ; son cocher, un petit moucheron en habit gris qui n’est pas de moitié aussi gros qu’un petit point rond enlevé au doigt indolent d’une jeune fille ; la coque de son char est une noisette vide, creusée par le menuisier écureuil, ou le vieux ver, de temps immémorial carrossiers des fées. C’est dans cet équipage que toutes les nuits elle galope à travers les cervelles des amants qui alors rêvent d’amour ; sur les genoux des courtisans qui rêvent soudain de révérences ; sur les doigts des hommes de loi qui rêvent soudain d’honoraires ; sur les lèvres des Dames qui soudain rêvent de baisers ; — mais ces lèvres, Mab courroucée les afflige souvent de gerçures, parce que leurs haleines sont imprégnées de l’odeur des friandises. Quelquefois, elle galope sur le nez d’un courtisan, et alors il rêve qu’il flaire une promotion : d’autres fois, elle chatouille avec une queue de cochon le nez d’un bénéficiaire, et alors il rêve d’un nouveau bénéfice : d’autres fois, elle se promène sur le cou d’un soldat, et alors il rêve de gorges étrangères coupées, de brèches, d’embuscades, de lames espagnoles, de toasts qui n’en finissent plus ; puis, tout à coup, elle tambourine à son oreille ; alors il tressaille, s’éveille, et dans son effroi, sacre une prière ou deux, puis se rendort. C’est cette même Mab qui tresse les crinières des chevaux dans la nuit, et entortille leurs crins crasseux en nœuds féeriques, qui, une fois dénoués, présagent de grands malheurs. C’est la sorcière qui, lorsque les filles sont couchées sur le dos, presse sur elles, et leur apprend pour la première fois comment il faut porter, et en fait des femmes de bon tirage. C’est elle…

MERCUTIO.
O, then, I see Queen Mab hath been with you.
She is the fairies’ midwife, and she comes
In shape no bigger than an agate-stone
On the fore-finger of an alderman,
Drawn with a team of little atomies
Over men’s noses as they lie asleep:
Her waggon-spokes made of long spinners’ legs;
The cover, of the wings of grasshoppers;
Her traces, of the smallest spider’s web;
The collars, of the moonshine’s watery beams;
Her whip of cricket’s bone; the lash, of film;
Her waggoner, a small grey-coated gnat,
Not half so big as a round little worm
Prick’d from the lazy finger of a maid:
Her chariot is an empty hazelnut,
Made by the joiner squirrel or old grub,
Time out o’ mind the fairies’ coachmakers.
And in this state she gallops night by night
Through lovers’ brains, and then they dream of love;
O’er courtiers’ knees, that dream on curtsies straight;
O’er lawyers’ fingers, who straight dream on fees;
O’er ladies’ lips, who straight on kisses dream,
Which oft the angry Mab with blisters plagues,
Because their breaths with sweetmeats tainted are:
Sometime she gallops o’er a courtier’s nose,
And then dreams he of smelling out a suit;
And sometime comes she with a tithe-pig’s tail,
Tickling a parson’s nose as a lies asleep,
Then dreams he of another benefice:
Sometime she driveth o’er a soldier’s neck,
And then dreams he of cutting foreign throats,
Of breaches, ambuscados, Spanish blades,
Of healths five fathom deep; and then anon
Drums in his ear, at which he starts and wakes;
And, being thus frighted, swears a prayer or two,
And sleeps again. This is that very Mab
That plats the manes of horses in the night;
And bakes the elf-locks in foul sluttish hairs,
Which, once untangled, much misfortune bodes:
This is the hag, when maids lie on their backs,
That presses them, and learns them first to bear,
Making them women of good carriage:
This is she,—

ROMÉO.
— Paix, paix, Mercutio, paix ; tu nous dis des riens.

ROMEO.
Peace, peace, Mercutio, peace,
Thou talk’st of nothing.

MERCUTIO.
— C’est-vrai, car je parle des rêves, -enfants d’un cerveau oisif, qui ne sont engendrés par rien que par une vaine fantaisie, d’une substance aussi mince que l’air, et d’une inconstance plus grande que celle du vent, qui tout à l’heurécaresse le sein glacé du Nord, puis soudainement courroucé, part en soufflant et tourne sa face vers le Sud qui distille la rosée.

MERCUTIO.
True, I talk of dreams,
Which are the children of an idle brain,
Begot of nothing but vain fantasy,
Which is as thin of substance as the air,
And more inconstant than the wind, who wooes
Even now the frozen bosom of the north,
And, being anger’d, puffs away from thence,
Turning his side to the dew-dropping south.

BENVOLIO.
— Le vent, dont vous parlez, nous souffle nous-mêmes hors de nous-mêmes. Le souper est fini, et nous arriverons trop tard.

BENVOLIO.
This wind you talk of blows us from ourselves:
Supper is done, and we shall come too late.

ROMÉO.
— Trop tôt, je le crains ; car. mon âme a le pressentiment que certain événement encore retenu dans les astres commencera -douloureusement ses redoutables péripéties avec les réjouissances de cette nuit, et marquera le terme de cette vie délestée enfermée dans mon sein, par quelque cruelle sentence de mort prématurée : mais que celui qui tient le gouvernail de ma vie dirige mes voiles ! — En avant, gais gentilshommes !

ROMEO.
I fear too early: for my mind misgives
Some consequence yet hanging in the stars,
Shall bitterly begin his fearful date
With this night’s revels; and expire the term
Of a despised life, clos’d in my breast
By some vile forfeit of untimely death.
But he that hath the steerage of my course
Direct my suit. On, lusty gentlemen!

BENVOLIO.
— Bats, tambour. (Ils sortent.)

BENVOLIO.
Strike, drum.

[Exeunt.]

SCÈNE V.

SCENE V.

Une salle dans la maison de CAPULET.
A Hall in Capulet’s House.
Des MUSICIENS sont installés. Entrent des VALETS.

Musicians waiting. Enter Servants.

PREMIER VALET.
— Où est donc Casserole, qu’il ne nous aide pas à desservir ? lui changer une assiette ! lui essuyer une table ! ah bien, oui !

FIRST SERVANT.
Where’s Potpan, that he helps not to take away?
He shift a trencher! He scrape a trencher!

DEUXIÈME VALET.
— Lorsque les bonnes manières seront toutes entre les mains d’un ou deux hommes seulement, et que ces mains ne seront pas lavées, ce sera une sale affaire.

SECOND SERVANT.
When good manners shall lie all in one or two men’s hands, and they unwash’d too, ’tis a foul thing.

PREMIER VALET.
— Enlève les tabourets ; recule le buffet, veille à l’argenterie : — dis-moi, mon brave, tache de me mettre de côté un morceau de frangipane, et si tu veux être bien aimable, dis au portier de laisser entrer Suzanne Lameule et Nella. — Antoine ! Casserole!

FIRST SERVANT.
Away with the join-stools, remove the court-cupboard, look to the plate. Good thou, save me a piece of marchpane; and as thou loves me, let the porter let in Susan Grindstone and Nell. Antony and Potpan!

TROISIÈME et QUATRIÈME VALETS.
— Voilà, l’ami, voila !

SECOND SERVANT.
Ay, boy, ready.

PREMIER VALET.
— On vous demande, on vous appelle, on vous réclame, et on vous cherche, dans la grande chambre.

FIRST SERVANT.
You are looked for and called for, asked for and sought for, in the great chamber.

TROISIÈME et QUATRIÈME VALETS.
— Nous ne pouvons pas être ici et là en même temps.

SECOND VALET.
— Allons, vivement, mes garçons, de l’entrain, et le dernier vivant héritera des autres. (Ils se retirent.)

SECOND SERVANT.
We cannot be here and there too. Cheerly, boys. Be brisk awhile, and the longer liver take all.

[Exeunt.]

Entrent CAPULET, SES CONVIVES et LES MASQUES.

Enter Capulet, &c. with the Guests and Gentlewomen to the Maskers.

CAPULET.
— Soyez les bienvenus, Messires ! les Dames dont les pieds ne sont pas affligés de cors veulent faire un tour de danse avec vous. Ali, ah, mes luronnes ! laquelle de vous toutes refusera de danser ? Celle qui fait la mijaurée, vais jurer qu’elle a des cors ; est-ce là vous attraper, eh ? Soyez les bienvenus, Messires I J’ai vu le temps où je savais porter un masque, et chuchoter à l’oreille d’une belle Dame une histoire qui pouvait lui plaire ; ce temps est passé, il est passé, il est passé : vous êtes les bienvenus, Messires ! — Allons, musiciens, jouez. — Place ! place ! laissez le plancher libre, et trémoussez-vous, jeunes Demoiselles. (La musique joue et les danses commencent.) Encore plus de lumières, faquins, et enlevez ces tables ; éteignez le feu, la salle est maintenant trop chaude. —Eh, maraud, ce divertissement improvisé marche bien. Allons, allons, asseyez-vous, asseyez-vous, mon bon cousin Capulet, car vous et moi, nous avons passé nos jours de danse : combien y a-t-il de temps que vous et moi n’avons pris part à une-mascarade ?

CAPULET.
Welcome, gentlemen, ladies that have their toes
Unplagu’d with corns will have a bout with you.
Ah my mistresses, which of you all
Will now deny to dance? She that makes dainty,
She I’ll swear hath corns. Am I come near ye now?
Welcome, gentlemen! I have seen the day
That I have worn a visor, and could tell
A whispering tale in a fair lady’s ear,
Such as would please; ’tis gone, ’tis gone, ’tis gone,
You are welcome, gentlemen! Come, musicians, play.
A hall, a hall, give room! And foot it, girls.
    [Music plays, and they dance.]
More light, you knaves; and turn the tables up,
And quench the fire, the room is grown too hot.
Ah sirrah, this unlook’d-for sport comes well.
Nay sit, nay sit, good cousin Capulet,
For you and I are past our dancing days;
How long is’t now since last yourself and I
Were in a mask?

SECOND CAPULET.
— Par notre Dame, il va trente ans.

CAPULET’S COUSIN.
By’r Lady, thirty years.

CAPULET.
— Comment ça, mon homme ! il n’y a pas autant, il n’y a pas autant : c’est depuis la noce de Lucentio, et il y aura vingt-cinq ans, vienne la Pentecôte aussi vite qu’elle voudra, et nous nous sommes masqués à cette occasion.

CAPULET.
What, man, ’tis not so much, ’tis not so much:
’Tis since the nuptial of Lucentio,
Come Pentecost as quickly as it will,
Some five and twenty years; and then we mask’d.

SECOND CAPULET.
— Il y a davantage, il y a davantage ; son fils est plus âgé, Messire : son fils a trente ans.

CAPULET’S COUSIN.
’Tis more, ’tis more, his son is elder, sir;
His son is thirty.

CAPULET.
— Pouvez-vous me dire cela ? son fils était encore en tutelle il y a deux ans.

CAPULET.
Will you tell me that?
His son was but a ward two years ago.

ROMÉO, à un valet.
— Quelle est cette Dame qui enrichit la-main de ce cavalier là-bas ?

ROMEO.
What lady is that, which doth enrich the hand
Of yonder knight?

LE VALET.
— Je ne sais pas, Messire.

SERVANT.
I know not, sir.

ROMÉO.
— Oh, elle apprend aux torches à briffer avec éclat ! À la voir ainsi posée sur la joue de la nuit, on dirait un riche joyau à l’oreille d’un Éthiopien : beauté trop riche pour qu’on en use, trop précieuse pour la terre ! Ce qu’est une colombe au plumage de neige parmi des corbeaux assemblés, cette Dame le paraît parmi ses compagnes. Lorsque la danse sera finie, je guetterai l’endroit où elle ira se reposer, et je donnerai à ma main grossière le bonheur de toucher la sienne. Mon cœur a-t-il aimé jusqu’à présent ? démentez pareille chose, mes yeux ! car je n’avais jamais vu la vraie beauté avant ce soir.

ROMEO.
O, she doth teach the torches to burn bright!
It seems she hangs upon the cheek of night
As a rich jewel in an Ethiop’s ear;
Beauty too rich for use, for earth too dear!
So shows a snowy dove trooping with crows
As yonder lady o’er her fellows shows.
The measure done, I’ll watch her place of stand,
And touching hers, make blessed my rude hand.
Did my heart love till now? Forswear it, sight!
For I ne’er saw true beauty till this night.

TEBALDO.
— Si je reconnais bien cette voix, ce doit être un Montaigu : — va me chercher ma rapière, petit : — comment ! ce manant ose venir ici sous un masque pour se railler, et se gausser de notre fête ! Vrai, par l’antiquité et l’honneur de ma race, je n’estime pas péché de l’étendre roide mort.

TYBALT.
This by his voice, should be a Montague.
Fetch me my rapier, boy. What, dares the slave
Come hither, cover’d with an antic face,
To fleer and scorn at our solemnity?
Now by the stock and honour of my kin,
To strike him dead I hold it not a sin.

CAPULET.
— Eh bien, qu’y a-t-il, mon neveu ? Pourquoi tempêtez-vous ainsi ?

CAPULET.
Why how now, kinsman!
Wherefore storm you so?

TEBALDO.
— Mon oncle, c’est un Montaigu, un de nos ennemis, un scélérat, qui est venu ici sans être invité, pour se moquer de notre fête de cette nuit.

TYBALT.
Uncle, this is a Montague, our foe;
A villain that is hither come in spite,
To scorn at our solemnity this night.

CAPULET.
— Est-ce le jeune Roméo ?

CAPULET.
Young Romeo, is it?

TEBALDO.
— C’est lui, c’est ce scélérat de Roméo.

TYBALT.
’Tis he, that villain Romeo.

CAPULET.
— Calme-toi, mon gentil neveu, et laisse-le tranquille ; il se comporte comme un gentilhomme bien élevé, et pour dire la vérité, Vérone se vante de lui comme d’un jeune homme vertueux et de bonne conduite : je ne voudrais pas lui faire affront, ici, dans ma maison, pour toute la richesse de cette ville : par conséquent prends patience, ne fais pas attention à lui, c’est ma volonté ; si tu la respectes, tu prendras une physionomie aimable, et tu donneras congé à ces mines farouches qui sont mal à leur place au milieu d’une fête.

CAPULET.
Content thee, gentle coz, let him alone,
A bears him like a portly gentleman;
And, to say truth, Verona brags of him
To be a virtuous and well-govern’d youth.
I would not for the wealth of all the town
Here in my house do him disparagement.
Therefore be patient, take no note of him,
It is my will; the which if thou respect,
Show a fair presence and put off these frowns,
An ill-beseeming semblance for a feast.

TEBALDO.
— Elles sont à leur-place, lorsqu’un tel scélérat est au nombre des convives je ne le souffrirai pas.

TYBALT.
It fits when such a villain is a guest:
I’ll not endure him.

CAPULET.
— Vous, le souffrirez. Eh-bien, mon petit bonhomme ! je dis qu’il sera toléré ici ; allez. Où est le maître ici ? est-ce moi, ou vous ? allez donc. Vous ne le souffrirez pas ! Dieu protège mon âme, vous voudriez faire un tumulte parmi mes convives ! Ah, vous voulez vous dresser sur vos ergots, : mon beau coq ! Ah, vous voulez faire le fier-à-bras !

CAPULET.
He shall be endur’d.
What, goodman boy! I say he shall, go to;
Am I the master here, or you? Go to.
You’ll not endure him! God shall mend my soul,
You’ll make a mutiny among my guests!
You will set cock-a-hoop, you’ll be the man!

TEBALDO.
— Vraiment, mon oncle, c’est une honte.

TYBALT.
Why, uncle, ’tis a shame.

CAPULET.
— Allons donc, allons donc, vous êtes un garçon impertinent. Eh vraiment, qu’est-ce à dire ? Cette incartade pourrait vous coûter cher, je vous le déclare. Vous voulez me contrarier ! parbleu, vous choisissez bien votre temps. — Bravo, mes enfants ! — Vous êtes un fanfaron ; allez : tenez-vous tranquille, ou bien.... — D’autres lumières ! d’autres lumières ! — Fi donc ! je m’en vais vous faire tenir tranquille ; en bien ! — Allons, mes, enfants, de l’entrain !

CAPULET.
Go to, go to!
You are a saucy boy. Is’t so, indeed?
This trick may chance to scathe you, I know what.
You must contrary me! Marry, ’tis time.
Well said, my hearts!—You are a princox; go:
Be quiet, or—More light, more light!—For shame!
I’ll make you quiet. What, cheerly, my hearts.

TEBALDO.
— Cette patience à laquelle on m’oblige.et cette : colère qui me met hors, de moi font trembler ma chair du choc de leur rencontre contraire : je vais me retirer ; mais, cette intrusion ci. qui paraît tout à l’heure un jeu plaisant aura des. conséquences amères. (Il sort.)

TYBALT.
Patience perforce with wilful choler meeting
Makes my flesh tremble in their different greeting.
I will withdraw: but this intrusion shall,
Now seeming sweet, convert to bitter gall.

[Exit.]

ROMÉO, à Juliette.
— Si ma main, indigne de cet honneur, profane cette sainte chasse, j’ai un moyen d’expiation charmante : mes lèvres, pèlerines rougissantes, sont prêtes à. effacer par-un tendre baiser son rude attouchement.

ROMEO.
[To Juliet.] If I profane with my unworthiest hand
This holy shrine, the gentle sin is this,
My lips, two blushing pilgrims, ready stand
To smooth that rough touch with a tender kiss.

JULIETTE.
— Bon pèlerin, vous faites, trop grande injustice à votre main qui n’a montré en cela qu’une dévotion conforme aux usages ; car les saints ont des mains que touchent les mains des pèlerins, et le serrement de mains est le baiser des pieux porteurs de palmes.

JULIET.
Good pilgrim, you do wrong your hand too much,
Which mannerly devotion shows in this;
For saints have hands that pilgrims’ hands do touch,
And palm to palm is holy palmers’ kiss.

ROMÉO.
— Les saints n’ont-ils pas des lèvres, et les pieux porteurs de palmes aussi ?

ROMEO.
Have not saints lips, and holy palmers too?

JULIETTE.
— Oui, pèlerin, des lèvres qu’ils doivent, employer pour la prière.

JULIET.
Ay, pilgrim, lips that they must use in prayer.

ROMÉO.
— Oh, en ce cas, chère sainte, laissez les lèvres faire ce que font les mains ; elles prient, exaucez leur prière, de crainte que la foi ne se tourne en désespoir.

ROMEO.
O, then, dear saint, let lips do what hands do:
They pray, grant thou, lest faith turn to despair.

JULIETTE.
— Les saints ne bougent pas, quoiqu’ils exaucent les prières qui leur sont faites.

JULIET.
Saints do not move, though grant for prayers’ sake.

ROMÉO.
— Alors ne bougez pas, tandis que je vais goûter le fruit de ma prière. C’est ainsi que tes lèvres purifient les miennes de leur péché. (Il l’embrasse.)

ROMEO.
Then move not while my prayer’s effect I take.
Thus from my lips, by thine my sin is purg’d.
[Kissing her.]

JULIETTE.
— En. ce cas, mes lèvres ont maintenant le péché qu’elles ont enlevé.

JULIET.
Then have my lips the sin that they have took.

ROMÉO.
— Le péché de mes lèvres ? Oh ! faute délicieusement reprochée ! Eh bien, rendez-moi mon péché.

ROMEO.
Sin from my lips? O trespass sweetly urg’d!
Give me my sin again.

JULIETTE.
— Vous embrassez selon les règles…

JULIET.
You kiss by the book.

LA NOURRICE.
— Madame, votre, mère désire vous dire un mot.

NURSE.
Madam, your mother craves a word with you.

ROMÉO.
— Qui est sa mère ?

ROMEO.
What is her mother?

LA NOURRICE.
— Pardi, jeune homme, sa mère est la Dame de la maison, une bonne Dame, et une Dame sage et vertueuse : j’ai nourri sa fille, avec laquelle vous parliez tout à l’heure ; et je vous le dis, celui qui parviendra à s’en emparer, aura du sonnant.

NURSE.
Marry, bachelor,
Her mother is the lady of the house,
And a good lady, and a wise and virtuous.
I nurs’d her daughter that you talk’d withal.
I tell you, he that can lay hold of her
Shall have the chinks.

ROMÉO.
— Est-ce une Capulet ! Ô chère créance ! ma vie est la dette de mon ennemie.

ROMEO.
Is she a Capulet?
O dear account! My life is my foe’s debt.

BENVOLIO.
— Allons, partons, nous avons vu le plus beau de la fête.

BENVOLIO.
Away, be gone; the sport is at the best.

ROMÉO.
— Oui, je le crains, nous en avons trop vu pour ma tranquillité.

ROMEO.
Ay, so I fear; the more is my unrest.

CAPULET.
— Eh bien, Messires, ne faites donc pas encore, vos préparatifs de départ : il y a là une petite collation de rien du tout qui nous attend. — Vous êtes décidés ? Allons, soit ; je vous remercie tous ; je vous remercie, honnêtes Messires : bonne nuit. — D’autres torches ici ! Rentrons alors, et allons nous coucher. (Au second Capulet.) Ah, camarade, sur ma foi, il se fait tard ; je vais me reposer. (Tous sortent, excepté Juliette et la nourrice.)

CAPULET.
Nay, gentlemen, prepare not to be gone,
We have a trifling foolish banquet towards.
Is it e’en so? Why then, I thank you all;
I thank you, honest gentlemen; good night.
More torches here! Come on then, let’s to bed.
Ah, sirrah, by my fay, it waxes late,
I’ll to my rest.

[Exeunt all but Juliet and Nurse.]

JULIETTE.
— Viens ici, nourrice : quel est ce gentilhomme là-bas ?

JULIET.
Come hither, Nurse. What is yond gentleman?

LA NOURRICE.
— Le fils et l’héritier du vieux Tiberio.

NURSE.
The son and heir of old Tiberio.

JULIETTE.
— Quel est celui qui passe la porte à présent ?

JULIET.
What’s he that now is going out of door?

LA NOURRICE.
— Pardi, c’est, je crois, le jeune Petruchio.

NURSE.
Marry, that I think be young Petruchio.

JULIETTE.
— Et quel est celui qui suit, et qui n’a pas voulu danser ?

JULIET.
What’s he that follows here, that would not dance?

LA NOURRICE.
— Je ne sais pas.

NURSE.
I know not.

JULIETTE.
— Va, demande son nom : — s’il est marié, mon tombeau risque fort de me servir de lit nuptial. (La nourrice sort et revient.)

JULIET.
Go ask his name. If he be married,
My grave is like to be my wedding bed.

LA NOURRICE.
— Son nom est Roméo, et c’est un Montaigu, le fils unique de votre grand ennemi.

NURSE.
His name is Romeo, and a Montague,
The only son of your great enemy.

JULIETTE.
— Le seul amour que je puisse ressentir, inspiré par le seul objet que je doive haïr ! toi que j’ai vu trop tôt sans te connaître, et que j’ai connu trop tard i Quel amour monstrueux vient de prendre naissance en moi ! il me faut aimer un ennemi abhorré.

JULIET.
My only love sprung from my only hate!
Too early seen unknown, and known too late!
Prodigious birth of love it is to me,
That I must love a loathed enemy.

LA NOURRICE.
— Que dites-vous ? que dites-vous ?

NURSE.
What’s this? What’s this?

JULIETTE.
— Des vers que je viens d’apprendre, il y a un instant, de quelqu’un qui dansait avec moi. (On appelle de l’intérieur : Juliette !)

JULIET.
A rhyme I learn’d even now
Of one I danc’d withal.

[One calls within, ‘Juliet’.]

LA NOURRICE.
— Voilà, voilà ! Allons, rentrons, tous les étrangers sont partis. (Elles sortent.)

NURSE.
Anon, anon!
Come let’s away, the strangers all are gone.

[Exeunt.]

ACTE II.

ACT II

Entre LE CHŒUR.

Enter Chorus.

LE CHŒUR.
— Maintenant l’ancien désir agonisé sur son lit de mort, et une jeune passion aspire à être son héritière ; cette beauté pour laquelle l’amant soupirait et voulait mourir, comparée à la tendre Juliette, n’est plus belle. Maintenant Roméo est aimé, et il change d’amour ; tous deux sont ensorcelés par la magie du regard. Mais il voudrait pouvoir faire entendre ses plaintes à son ennemie supposée ; et elle, voudrait dérober aux hameçons redoutables qui le retiennent le doux appât de l’amour. Tenu pour ennemi, il ne peut avoir l’accès libre pour soupirer les serments que les amants ont coutume de jurer ; et elle, tout aussi amoureuse, a moins de moyens encore de se procurer une entrevue avec son récent bien-aimé : mais la passion leur prêtant l’énergie, et le temps l’occasion de se rencontrer, leur permettent de corriger l’excessive rigueur de cette situation par d’excessives délices. (Sort le chœur.)

CHORUS.
Now old desire doth in his deathbed lie,
And young affection gapes to be his heir;
That fair for which love groan’d for and would die,
With tender Juliet match’d, is now not fair.
Now Romeo is belov’d, and loves again,
Alike bewitched by the charm of looks;
But to his foe suppos’d he must complain,
And she steal love’s sweet bait from fearful hooks:
Being held a foe, he may not have access
To breathe such vows as lovers use to swear;
And she as much in love, her means much less
To meet her new beloved anywhere.
But passion lends them power, time means, to meet,
Tempering extremities with extreme sweet.

[Exit.]

SCÈNE PREMIÈRE.

SCENE I.

Un espace ouvert adjoignant le jardin de CAPULET.
An open place adjoining Capulet’s Garden.
Entre ROMÉO.

Enter Romeo.

ROMÉO.
— Puis-je aller plus avant lorsque mon cœur est ici ? Allons, mon corps, allons, lourde argile, retourne en arrière, et vas retrouver ton centre. (Il escalade le mur et saute dans le jardin.)

ROMEO.
Can I go forward when my heart is here?
Turn back, dull earth, and find thy centre out.

[He climbs the wall and leaps down within it.]

Entrent BENVOLIO et MERCUTIO.

Enter Benvolio and Mercutio.

BENVOLIO.
— Roméo ! mon cousin Roméo ! Roméo !

BENVOLIO.
Romeo! My cousin Romeo! Romeo!

MERCUTIO.
— Il est sage, et sur ma vie, il se sera esquivé pour aller se mettre au lit.

MERCUTIO.
He is wise,
And on my life hath stol’n him home to bed.

BENVOLIO.
— Il a couru de ce côté, et il a sauté le mur de ce jardin : appelle-le, mon bon Mercutio.

BENVOLIO.
He ran this way, and leap’d this orchard wall:
Call, good Mercutio.

MERCUTIO.
— Certes, et je vais l’évoquer aussi. — Roméo ! caprice ! fou ! passion ! amant ! apparais sous la forme d’un soupir, prononce seulement un vers, et je suis, satisfait ; crie seulement, hélas ! fais rimer seulement elle avec tourterelle. ; dis seulement un mot aimable : à ma commère Vénus, trouve un petit nom gentil pour son fils et son aveugle héritier, le jeune ; Abraham Cupidon qui tira si joliment, lorsque le roi Cophetua s’éprit de la mendiante. — Il n’entend pas, ne remue pas, ne bouge pas ; le singe est mort, et il me faut absolument employer la conjuration. — Je te conjure par les yeux brillants de Rosaline, par son grand front, sa lèvre écarlate, son joli pied, sa jambe bien faite, sa cuisse aux doux frissons et tous les domaines y adjacents, de nous apparaître sous ta. forme véritable !

MERCUTIO.
Nay, I’ll conjure too.
Romeo! Humours! Madman! Passion! Lover!
Appear thou in the likeness of a sigh,
Speak but one rhyme, and I am satisfied;
Cry but ‘Ah me!’ Pronounce but Love and dove;
Speak to my gossip Venus one fair word,
One nickname for her purblind son and heir,
Young Abraham Cupid, he that shot so trim
When King Cophetua lov’d the beggar-maid.
He heareth not, he stirreth not, he moveth not;
The ape is dead, and I must conjure him.
I conjure thee by Rosaline’s bright eyes,
By her high forehead and her scarlet lip,
By her fine foot, straight leg, and quivering thigh,
And the demesnes that there adjacent lie,
That in thy likeness thou appear to us.

BENVOLIO.
— S’il t’entend, tu le mettras en colère.

BENVOLIO.
An if he hear thee, thou wilt anger him.

MERCUTIO.
— Cela ne peut le mettre en colère : ah ! si je faisais surgir dans le rond de sa maîtresse un esprit de nature étrange qui se tiendrait tout droit, jusqu’à ce qu’elle l’eût abaissé et qu’elle l’eût fait sortir dudit rond par ses conjurations à elle, cela pourrait le mettre en colère, car il y aurait là quelque raison de dépit : mon invocation est honnête et morale, et ma conjuration, faite, au nom de sa maîtresse, n’a pour but que de le faire surgir, lui.

MERCUTIO.
This cannot anger him. ’Twould anger him
To raise a spirit in his mistress’ circle,
Of some strange nature, letting it there stand
Till she had laid it, and conjur’d it down;
That were some spite. My invocation
Is fair and honest, and, in his mistress’ name,
I conjure only but to raise up him.

BENVOLIO.
— Viens, il se sera caché parmi ces arbres pour entretenir société avec la nuit à l’humeur maussade : son amour est : aveugle, et les ténèbres lui conviennent avant toute autre chose.

BENVOLIO.
Come, he hath hid himself among these trees
To be consorted with the humorous night.
Blind is his love, and best befits the dark.

MERCUTIO.
— Si l’amour est aveugle, l’amour ne peut toucher la-mouche. Il va s’asseoir maintenant sous un néflier, en désirant que sa maîtresse ressemble à ce fruit que les filles appellent fruit qui mollit, lorsqu’elles rient toutes seules. — Roméo, oh ! si elle était, oh ! si elle était un petit trou, et cætera, et toi une cheville ! Bonne nuit, Roméo, je vais retrouver mon lit bien clos ; ce lit à ciel ouvert est trop froid pour que j’y puisse dormir : allons, partons-nous ?

MERCUTIO.
If love be blind, love cannot hit the mark.
Now will he sit under a medlar tree,
And wish his mistress were that kind of fruit
As maids call medlars when they laugh alone.
O Romeo, that she were, O that she were
An open-arse and thou a poperin pear!
Romeo, good night. I’ll to my truckle-bed.
This field-bed is too cold for me to sleep.
Come, shall we go?

BENVOLIO.
— Partons, parbleu ; car il est inutile de chercher celui qui ne veut pas être trouvé. (Ils sortent.)

BENVOLIO.
Go then; for ’tis in vain
To seek him here that means not to be found.

[Exeunt.]

SCÈNE II.

SCENE II.

Le jardin de CAPULET.
Capulet’s Garden.
Entre ROMÉO.

Enter Romeo.

ROMÉO.
— Celui-là rit des cicatrices, qui n’a jamais, ressenti la douleur d’une blessure. (Juliette paraît à sa fenêtre) Mais, doucement ! quelle est cette lumière, qui perce là-bas, à travers cette fenêtre ? Cette fenêtre est l’orient, et Juliette est le soleil ! Lève-toi, bel astre, et tue la lune envieuse, qui est déjà malade et pâle, de chagrin, parce que toi, sa suivante, tu es bien plus belle qu’elle : ne sois pas sa suivante puisqu’elle, est envieuse : sa livrée de vestale est de couleur plombée et maladive, il n’y a que, les imbéciles qui la portent ; rejette-la. C’est ma Dame ! oh, c’est mon amour ! oh, si elle pouvait savoir qu’elle l’est ! Elle parle, cependant elle, ne : dit rien, ; qu’est-ce que cela signifie ! Son œil parle, je vais, lui répondre Je, suis trop hardi, ce n’est pas à moi qu’elle parle : deux des plus belles étoiles du firmament entier, ayant, quelque affaire, supplient ses yeux de briller à leur place dans leur sphère jusqu’à leur retour. Et si par hasard, ses yeux étaient à présent dans leurs sphères, et les étoiles dans, sa tête ? Mais non, l’éclat de son visage ferait honte à ces étoiles, coin me le plein jour fait honte à une lampe ; ses yeux, s’ils, étaient au ciel, perceraient les airs d’un, flot de lumière si brillant, que les oiseaux chanteraient et croiraient qu’il ne fait pas nuit Voyez, comme elle appuie sa joue sur sa main ! Oh ! que ne suis-je un gant à cette main, afin de pouvoir toucher cette joue !

ROMEO.
He jests at scars that never felt a wound.
 
    [Juliet appears above at a window.]
 
But soft, what light through yonder window breaks?
It is the east, and Juliet is the sun!
Arise fair sun and kill the envious moon,
Who is already sick and pale with grief,
That thou her maid art far more fair than she.
Be not her maid since she is envious;
Her vestal livery is but sick and green,
And none but fools do wear it; cast it off.
It is my lady, O it is my love!
O, that she knew she were!
She speaks, yet she says nothing. What of that?
Her eye discourses, I will answer it.
I am too bold, ’tis not to me she speaks.
Two of the fairest stars in all the heaven,
Having some business, do entreat her eyes
To twinkle in their spheres till they return.
What if her eyes were there, they in her head?
The brightness of her cheek would shame those stars,
As daylight doth a lamp; her eyes in heaven
Would through the airy region stream so bright
That birds would sing and think it were not night.
See how she leans her cheek upon her hand.
O that I were a glove upon that hand,
That I might touch that cheek.

JULIETTE.
— Hélas de moi !

JULIET.
Ay me.

ROMÉO.
— Elle parle : oh, parle encore, ange brillant ! car là où tu es, au-dessus de ma tête, tu me parais aussi splendide au sein de cette nuit que l’est un messager ailé du ciel aux-regards étonnés des mortels ; lorsque rejetant leurs têtes en arrière, on ne voit plus que le blanc de leurs yeux, tant leurs prunelles sont dirigées-en haut pour le contempler, pendant qu’il chevauche sur les nuages à la marche indolente et navigue sur le sein de l’air.

ROMEO.
She speaks.
O speak again bright angel, for thou art
As glorious to this night, being o’er my head,
As is a winged messenger of heaven
Unto the white-upturned wondering eyes
Of mortals that fall back to gaze on him
When he bestrides the lazy-puffing clouds
And sails upon the bosom of the air.

JULIETTE.
— Ô Roméo, Roméo ! pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père, ou rejette ton nom ; ou si tu ne veux pas, lie-toi seulement par serment à mon amour, et je ne serai pas plus longtemps une Capulet.

JULIET.
O Romeo, Romeo, wherefore art thou Romeo?
Deny thy father and refuse thy name.
Or if thou wilt not, be but sworn my love,
And I’ll no longer be a Capulet.

ROMÉO, à part.
— En entendrai-je davantage, ou répondrai-je à ce qu’elle rient de dire

ROMEO.
[Aside.] Shall I hear more, or shall I speak at this?

JULIETTE.
— C’est ton nom seul qui est mon ennemi. Après tout tu es toi-même, et non un Montaigu. Qu’est-ce qu’un Montaigu ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un, visage, ni toute autre partie du corps appartenant à un homme. Oh ! porte un autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? La fleur que nous nommons la rose, sentirait tout aussi bon sous un autre nom ; ainsi Roméo, quand bien même il ne serait pas appelé Roméo, n’en garderait pas moins la précieuse perfection : qu’il possède. Renonce à ton nom Roméo, et en place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi toute entière.

JULIET.
’Tis but thy name that is my enemy;
Thou art thyself, though not a Montague.
What’s Montague? It is nor hand nor foot,
Nor arm, nor face, nor any other part
Belonging to a man. O be some other name.
What’s in a name? That which we call a rose
By any other name would smell as sweet;
So Romeo would, were he not Romeo call’d,
Retain that dear perfection which he owes
Without that title. Romeo, doff thy name,
And for thy name, which is no part of thee,
Take all myself.

ROMÉO.
— Je te prends au mot : appelle-moi seulement : ton amour, et je serai rebaptisé, et désormais je ne voudrai plus être Roméo.

ROMEO.
I take thee at thy word.
Call me but love, and I’ll be new baptis’d;
Henceforth I never will be Romeo.

JULIETTE.
— Qui es-tu, toi qui, protégé par la nuit, viens ainsi surprendre les secrets de mon âme ?

JULIET.
What man art thou that, thus bescreen’d in night
So stumblest on my counsel?

ROMÉO.
— Je ne sais de quel nom me servir pour te dire qui je suis : mon nom, chère sainte, m’est odieux à moi-même, parce qu’il t’est ennemi ; s’il était écrit, je déchirerais le mot qu’il forme.

ROMEO.
By a name
I know not how to tell thee who I am:
My name, dear saint, is hateful to myself,
Because it is an enemy to thee.
Had I it written, I would tear the word.

JULIETTE.
— Mes oreilles n’ont pas encore bu cent paroles de cette voix, et cependant j’en reconnais le son n’es-tu pas Roméo, et un Montaigu ?

JULIET.
My ears have yet not drunk a hundred words
Of thy tongue’s utterance, yet I know the sound.
Art thou not Romeo, and a Montague?

ROMÉO.
— Ni l’un, ni l’autre, belle vierge, si l’un ou l’autre te déplaît.

ROMEO.
Neither, fair maid, if either thee dislike.

JULIETTE.
— Comment es-tu venu ici, dis-le-moi, et pour quoi ? Les murs du jardin sont élevés et difficiles à escalader, et considérant qui tu es, cette place est mortelle pour toi, si quelqu’un de mes parents t’y trouve.

JULIET.
How cam’st thou hither, tell me, and wherefore?
The orchard walls are high and hard to climb,
And the place death, considering who thou art,
If any of my kinsmen find thee here.

ROMÉO.
— J’ai franchi ces murailles avec les ailes légères de l’amour, car des limites de pierre ne peuvent arrêter l’essor de l’amour ; et quelle chose l’amour peut-il oser qu’il ne puisse aussi exécuter ? tes parents ne me, sont donc pas un obstacle.

ROMEO.
With love’s light wings did I o’erperch these walls,
For stony limits cannot hold love out,
And what love can do, that dares love attempt:
Therefore thy kinsmen are no stop to me.

JULIETTE.
— S’ils te voient, ils t’assassineront.

JULIET.
If they do see thee, they will murder thee.

ROMÉO.
— Hélas ! il y a plus de périls, dans tes yeux que dans vingt de leurs épées : veuille seulement abaisser un doux regard sûr moi, et je suis cuirassé contre leur inimitié.

ROMEO.
Alack, there lies more peril in thine eye
Than twenty of their swords. Look thou but sweet,
And I am proof against their enmity.

JULIETTE.
— Je ne voudrais pas, pour le monde entier, qu’ils te vissent ici.

JULIET.
I would not for the world they saw thee here.

ROMÉO.
— J’ai le manteau de la nuit pour me dérober à leur vue et d’ailleurs, à moins que tu ne m’aimes, ils peuvent me trouver, s’ils veulent : mieux vaudrait que leur haine mît fin à ma vie, que si ma mort était retardée, sans que j’eusse ton amour ;

ROMEO.
I have night’s cloak to hide me from their eyes,
And but thou love me, let them find me here.
My life were better ended by their hate
Than death prorogued, wanting of thy love.

JULIETTE.
— Quel est celui qui t’a enseigné la direction de cette place ?

JULIET.
By whose direction found’st thou out this place?

ROMÉO.
— C’est l’Amour, qui m’a excité à la découvrir ; il m’a prêté ses conseils, et je lui ai prêté mes yeux. Je ne suis pas pilote ; cependant fusses-tu aussi éloignée que le vaste rivage baigné par la plus lointaine nier, je m’aventurerais pour une marchandise telle que toi.

ROMEO.
By love, that first did prompt me to enquire;
He lent me counsel, and I lent him eyes.
I am no pilot; yet wert thou as far
As that vast shore wash’d with the farthest sea,
I should adventure for such merchandise.

JULIETTE.
— Le masque de la nuit est sur mon visage, tu le sais, sans cela une rougeur virginale colorerait mes joues pour les paroles que tu m’as entendue prononcer ce soir. Volontiers, je voudrais m’attacher aux convenances ; volontiers, volontiers, nier ce que j’ai dit : mais adieu, les cérémonies ! M’aimes-tu ? je sais que tu vas dire, oui, et je te prendrai au mot : cependant, si tu jures, tu peux te montrer menteur ; et l’on dit que Jupiter rit des parjures des amants. Ô gentil Roméo, si tu m’aimes, déclare le loyalement : cependant, si tu pensais que je suis trop aisément conquise, eh-bien ! je serai mutine, je froncerai le sourcil, je dirai non, pour te donner occasion de me supplier ; autrement, pour rien au monde, je ne le ferais La vérité, beau Montaigu, est que je suis trop passionnée, et par conséquent tu pourras trouver ma conduite légère ; mais crois-moi, gentilhomme je me montrerai plus sincère que celles qui ont plus d’artifice pour être réservées. J’aurais été plus réservée cependant je dois l’avouer, si, à mon insu, tu n’avais pas surpris l’expression passionnée de mon sincère amour : pardonne-moi donc, et n’impute bas cette promptitude à la légèreté dé mon amour que cette nuit, ténébreuse t’a révélé ainsi.

JULIET.
Thou knowest the mask of night is on my face,
Else would a maiden blush bepaint my cheek
For that which thou hast heard me speak tonight.
Fain would I dwell on form, fain, fain deny
What I have spoke; but farewell compliment.
Dost thou love me? I know thou wilt say Ay,
And I will take thy word. Yet, if thou swear’st,
Thou mayst prove false. At lovers’ perjuries,
They say Jove laughs. O gentle Romeo,
If thou dost love, pronounce it faithfully.
Or if thou thinkest I am too quickly won,
I’ll frown and be perverse, and say thee nay,
So thou wilt woo. But else, not for the world.
In truth, fair Montague, I am too fond;
And therefore thou mayst think my ’haviour light:
But trust me, gentleman, I’ll prove more true
Than those that have more cunning to be strange.
I should have been more strange, I must confess,
But that thou overheard’st, ere I was ’ware,
My true-love passion; therefore pardon me,
And not impute this yielding to light love,
Which the dark night hath so discovered.

ROMÉO.
— Dame, je juré par cette lune charmante qui va-bas pose une pointe d’argent sur les cimes de tous ces arbres à fruit....

ROMEO.
Lady, by yonder blessed moon I vow,
That tips with silver all these fruit-tree tops,—

JULIETTE.
— Oh ! ne jure pas par la lune, par la lune inconstante, qui change tous les mois dans l’orbe de sa sphère, de crainte que ton amour ne se montre à l’épreuve aussi variable qu’elle.

JULIET.
O swear not by the moon, th’inconstant moon,
That monthly changes in her circled orb,
Lest that thy love prove likewise variable.

ROMÉO.
— Par quoi jurerai-je ?

ROMEO.
What shall I swear by?

JULIETTE.
— Ne jure pas du tout, ou, si tu veux jurer, jure par ta gracieuse personne, divinité de mon cœur, idolâtre, et je te croirai.

JULIET.
Do not swear at all.
Or if thou wilt, swear by thy gracious self,
Which is the god of my idolatry,
And I’ll believe thee.

ROMÉO.
— Si le cher amour de mon cœur....

ROMEO.
If my heart’s dear love,—

JULIETTE.
— Bon, ne jure pas. Quoique ma joie vienne de toi, je ne puis en tire aucune de cet engagement de ce soir ; il est trop téméraire, trop précipité, trop soudain, trop pareil à l’éclair qui cessé d’être ayant qu’on puisse dire : il brille. La douce la bonne nuit ! Ce bourgeon d’amour, mûri par le souffle ardent de l’été, nous le retrouverons peut-être, fleur, splendide, à notre prochaine rencontre. Bonne nuit, bonne nuit ! qu’une paix et une félicité aussi douces que celles qui remplissent mon sein ; descendent dans ton cœur !

JULIET.
Well, do not swear. Although I joy in thee,
I have no joy of this contract tonight;
It is too rash, too unadvis’d, too sudden,
Too like the lightning, which doth cease to be
Ere one can say It lightens. Sweet, good night.
This bud of love, by summer’s ripening breath,
May prove a beauteous flower when next we meet.
Good night, good night. As sweet repose and rest
Come to thy heart as that within my breast.

ROMÉO.
— Oh ! vas-tu donc me laisser aussi peu satisfait ?

ROMEO.
O wilt thou leave me so unsatisfied?

JULIETTE.
— Quelle satisfaction pourrais-tu avoir cette nuit ?

JULIET.
What satisfaction canst thou have tonight?

ROMÉO.
— L’échange de ton vœu de fidèle amour contre le mien.

ROMEO.
Th’exchange of thy love’s faithful vow for mine.

JULIETTE.
— Je t’ai donné le mien avant que lu l’eusses demandé, et cependant je voudrais qu’il fût encore à donner.

JULIET.
I gave thee mine before thou didst request it;
And yet I would it were to give again.

ROMÉO.
— Voudrais-tu donc le retirer ? Pourquoi cela, mon amour ?

ROMEO.
Would’st thou withdraw it? For what purpose, love?

JULIETTE.
— Simplement pour être libérale et te le donner encore. Cependant, ce que je souhaite, c’est ce que je possède : ma générosité est aussi illimitée que la mer ; mon amour aussi profond ; plus je te donne, plus je possède, car tous deux sont infinis. (La nourrice appelle de l’intérieur.) J’entends du bruit là dedans ; adieu, mon cher amour ! — Tout à l’heure, ma bonne nourrice ! - Aimable Montaigu, sois fidèle. Attends seulement quelques minutes, je vais revenir. (Elle se retire de sa fenêtre.)

JULIET.
But to be frank and give it thee again.
And yet I wish but for the thing I have;
My bounty is as boundless as the sea,
My love as deep; the more I give to thee,
The more I have, for both are infinite.
I hear some noise within. Dear love, adieu.
[Nurse calls within.]
Anon, good Nurse!—Sweet Montague be true.
Stay but a little, I will come again.

[Exit.]

ROMÉO.
— Ô heureuse, heureuse nuit ! Je crains, puisqu’il fait nuit, que tout ceci ne soit qu’un rêve, car c’est trop délicieux pour être réel.

ROMEO.
O blessed, blessed night. I am afeard,
Being in night, all this is but a dream,
Too flattering sweet to be substantial.

JULIETTE reparaît à sa fenêtre.

Enter Juliet above.

JULIETTE.
— Trois mots, mon cher Roméo, et puis bonne nuit, cette fois. Si le caractère de ton amour est honorable, si ton but est le mariage, fais-moi porter dé-, main par une personne que je saurai renvoyer un mot qui m’apprenne où et quand tu veux que la cérémonie s’accomplisse, et je déposerai à tes pieds toute ma destinée, et je te suivrai à travers le monde entier comme mon Seigneur.

JULIET.
Three words, dear Romeo, and good night indeed.
If that thy bent of love be honourable,
Thy purpose marriage, send me word tomorrow,
By one that I’ll procure to come to thee,
Where and what time thou wilt perform the rite,
And all my fortunes at thy foot I’ll lay
And follow thee my lord throughout the world.

LA NOURRICE, de l’intérieur.
— Madame !

NURSE.
[Within.] Madam.

JULIETTE.
— J’y vais ; tout à l’heure. — Mais si tu n’as pas de bonnes intentions, je te conjure....

JULIET.
I come, anon.— But if thou meanest not well,
I do beseech thee,—

LA NOURRICE, de l’intérieur.
— Madame !

NURSE.
[Within.] Madam.

JULIETTE.
— À l’instant, j’y vais : — je te conjure, en ce cas, de cesser tes poursuites, et demie laisser à ma douleur. J’enverrai demain.

JULIET.
By and by I come—
To cease thy strife and leave me to my grief.
Tomorrow will I send.

ROMÉO.
— Comme j’espère le salut de mon âme....

ROMEO.
So thrive my soul,—

JULIETTE.
— Mille fois bonne nuit ! (Elle se relire de la fenêtre.)

JULIET.
A thousand times good night.

[Exit.]

ROMÉO.
— Mille fois mauvaise nuit, puisque ta lumière me manque. — L’amour accourt vers l’amour comme les écoliers quittent leurs livres ; mais l’amour quitte l’amour, au contraire, comme les écoliers vont à l’école, avec une mine affligée. (Il se retire lentement !)

ROMEO.
A thousand times the worse, to want thy light.
Love goes toward love as schoolboys from their books,
But love from love, towards school with heavy looks.

[Retiring slowly.]

JULIETTE reparaît à la fenêtre.

Re-enter Juliet, above.

JULIETTE.
— Psst, Roméo, psst ! Oh ! que n’ai-je la voix d’un fauconnier pour faire revenir à moi ce gentil tiercelet 3 ! L’esclavage a la voix enrouée, et ne peut.parler haut, sans cela je percerais la caverne où dort Echo, et je rendrais sa voix aérienne plus enrouée que la mienne, à force de lui faire répéter le nom de mon Roméo.

JULIET.
Hist! Romeo, hist! O for a falconer’s voice
To lure this tassel-gentle back again.
Bondage is hoarse and may not speak aloud,
Else would I tear the cave where Echo lies,
And make her airy tongue more hoarse than mine
With repetition of my Romeo’s name.

ROMÉO.
— C’est mon âme qui prononce mon nom : avec, quel doux timbré argentin résonnent les voix des amants pendant la nuit ! c’est comme la plus douce musique pour des oreilles attentives.

ROMEO.
It is my soul that calls upon my name.
How silver-sweet sound lovers’ tongues by night,
Like softest music to attending ears.

JULIETTE.
— Roméo !

JULIET.
Romeo.

ROMÉO.
— Ma chérie !

ROMEO.
My nyas?

JULIETTE.
— A quelle heure enverrai-je vers toi, demain ?

JULIET.
What o’clock tomorrow
Shall I send to thee?

ROMÉO.
— À neuf heures.

ROMEO.
By the hour of nine.

JULIETTE.
— Je n’y manquerai pas. D’ici à ce moment, il va s’écouler vingt ans. J’ai oublié pourquoi je t’avais rappelé.

JULIET.
I will not fail. ’Tis twenty years till then.
I have forgot why I did call thee back.

ROMÉO.— Permets-moi de rester ici jusqu’à ce que tu te le rappelles.

ROMEO.
Let me stand here till thou remember it.

JULIETTE.
— J’oublierai encore, afin de te faire rester, et ne me souviendrai que de l’amour que j’ai pour ta compagnie.

JULIET.
I shall forget, to have thee still stand there,
Remembering how I love thy company.

ROMÉO.
— Et moi je resterai, pour te faire oublier encore, oublieux moi-même que j’ai un autre logis que ce jardin

ROMEO.
And I’ll still stay, to have thee still forget,
Forgetting any other home but this.

JULIETTE.
— Il est presque matin ; je voudrais que tu fusses parti, et cependant pas plus loin que l’oiseau d’une jeune folle qui le laisse s’éloigner un peu de sa main, pareil à un pauvre prisonnier dans ses entraves, et qui le ramène avec un fil de soie, tant elle est amoureusement jalouse de sa liberté.

JULIET.
’Tis almost morning; I would have thee gone,
And yet no farther than a wanton’s bird,
That lets it hop a little from her hand,
Like a poor prisoner in his twisted gyves,
And with a silk thread plucks it back again,
So loving-jealous of his liberty.

ROMÉO.
— Je voudrais être ton oiseau.

ROMEO.
I would I were thy bird.

JULIETTE.
— Chéri, je le voudrais aussi : cependant, je te tuerais par trop de caresses. Ronne nuit ! bonne nuit ! la séparation est une si délicieuse douleur que je dirais bonne nuit jusqu’à demain. (Elle, se retire de la fenêtre.)

JULIET.
Sweet, so would I:
Yet I should kill thee with much cherishing.
Good night, good night. Parting is such sweet sorrow
That I shall say good night till it be morrow.

[Exit.]

ROMÉO.
— Que le sommeil descende sur tes yeux et la paix dans ton sein ! Que ne suis-je le sommeil et la paix pour goûter un si doux repos ! Je vais d’ici me rentre à la cellule de mon pieux confesseur, pour implorer son aide, et lui dire mon heureuse fortune. (Il sort.)

ROMEO.
Sleep dwell upon thine eyes, peace in thy breast.
Would I were sleep and peace, so sweet to rest.
The grey-ey’d morn smiles on the frowning night,
Chequering the eastern clouds with streaks of light;
And darkness fleckled like a drunkard reels
From forth day’s pathway, made by Titan’s wheels
Hence will I to my ghostly Sire’s cell,
His help to crave and my dear hap to tell.

[Exit.]

SCÈNE III.

SCENE III.

La cellule du FRÈRE LAURENT.
Friar Lawrence’s Cell.
Entre LE FRÈRE LAURENT avec un panier.

Enter Friar Lawrence with a basket.

LE FRÈRE LAURENT.
— Le matin aux yeux gris souriant à la nuit au front farouche raye de bandes de lumière les nuages d’orient, et les ténèbres bigarrées des couleurs de l’aurore, chancellent à reculons comme un ivrogne devant la marche du jour et les roues enflammées de Titan. Avant que le soleil ait avancé son œil brûlant pour souhaiter la bienvenue au jour et sécher l’humide rosée de la nuit, il me faut remplir cette corbeille d’osier d’herbes aux propriétés funestes et de fleurs aux sucs précieux. La terre, qui est la mère de la nature, est aussi sa tombe : ce qui est son sépulcre est aussi le ventre qui lui donne naissance ; et nous voyons, sortis de ce ventre, des enfants de genres divers sucer la vie à ses mamelles ; de ces enfants beaucoup sont renommés pour leurs vertus multiples, il n’en est aucun qui soit sans une vertu au moins, et cependant tous sont différents. Oh ! grande est la puissance qui réside dans les herbes, les plantes, les pierres, et dans leurs qualités intrinsèques ; car il n’existe, rien sur terre de si vil qui ne donne à la terre quelque bien particulier, et il n’est rien de si bon, qui, détourné de son légitime usage, ne se révolte contre son essence native et ne vienne butter contre un abus : la vertu elle-même devient vice, lorsqu’elle est mal appliquée, et le vice est quelquefois ennobli par l’action. Sous la tendre pellicule de cette petite fleur résident un poison et une vertu médicinale ; car flairée elle réjouit tout le corps de son "parfum, et goûtée, elle tue tous les sens en même temps que le cœur. Deux pareils rois ennemis campent dans l’homme aussi bien que dans les herbes, — la grâce et la brutale volonté ; et là où la pire de ces puissances prédomine, le ver de la mort dévore bientôt cette plante.

FRIAR LAWRENCE.
Now, ere the sun advance his burning eye,
The day to cheer, and night’s dank dew to dry,
I must upfill this osier cage of ours
With baleful weeds and precious-juiced flowers.
The earth that’s nature’s mother, is her tomb;
What is her burying grave, that is her womb:
And from her womb children of divers kind
We sucking on her natural bosom find.
Many for many virtues excellent,
None but for some, and yet all different.
O, mickle is the powerful grace that lies
In plants, herbs, stones, and their true qualities.
For naught so vile that on the earth doth live
But to the earth some special good doth give;
Nor aught so good but, strain’d from that fair use,
Revolts from true birth, stumbling on abuse.
Virtue itself turns vice being misapplied,
And vice sometime’s by action dignified.
 
    Enter Romeo.
 
Within the infant rind of this weak flower
Poison hath residence, and medicine power:
For this, being smelt, with that part cheers each part;
Being tasted, slays all senses with the heart.
Two such opposed kings encamp them still
In man as well as herbs,—grace and rude will;
And where the worser is predominant,
Full soon the canker death eats up that plant.

Entre ROMÉO

ROMÉO.
— Bonjour, père !

ROMEO.
Good morrow, father.

LE FRÈRE LAURENT.
Benedicite ! Quelle voix matinale m’envoie ce doux salut ?— Mon jeune fils, c’est la preuve d’un esprit en proie à l’inquiétude que de dire de si bonne heure bonjour à ton lit : le souci tient sa veille dans les yeux de tout vieillard, et là où loge le souci, le sommeil ne s’abat jamais : mais, au contraire, d’heureux sommeil règne là où la jeunesse aux forces intactes, au cerveau inhabité par l’expérience, étend ses membres pour les reposer : par conséquent, ta visite matinale me donne l’assurance que quelque agitation d’âme t’a fait lever ; si ce n’est pas cela, alors je suis bien sûr de toucher juste, — c’est que notre Roméo ne s’est pas couché cette nuit.

FRIAR LAWRENCE.
Benedicite!
What early tongue so sweet saluteth me?
Young son, it argues a distemper’d head
So soon to bid good morrow to thy bed.
Care keeps his watch in every old man’s eye,
And where care lodges sleep will never lie;
But where unbruised youth with unstuff’d brain
Doth couch his limbs, there golden sleep doth reign.
Therefore thy earliness doth me assure
Thou art uprous’d with some distemperature;
Or if not so, then here I hit it right,
Our Romeo hath not been in bed tonight.

ROMÉO.
— Cette dernière supposition est vraie, et mon repos n’en a été que plus doux.

ROMEO.
That last is true; the sweeter rest was mine.

LE FRÈRE LAURENT.
— Dieu pardonne au péché ! étais-tu avec Rosaline ?

FRIAR LAWRENCE.
God pardon sin. Wast thou with Rosaline?

ROMÉO.
— Avec Rosaline, mon révérend père ? non ; j’ai oublié ce nom et la douleur que me causait ce nom.

ROMEO.
With Rosaline, my ghostly father? No.
I have forgot that name, and that name’s woe.

LE FRÈRE LAURENT.
— Voilà bien mon bon fils : mais où es-tu allé alors ?

FRIAR LAWRENCE.
That’s my good son. But where hast thou been then?

ROMÉO.
— Je vais te le dire, sans te Je faire redemander. Je suis, allé à une fête, avec mon ennemi, jet là, soudainement, j’ai été blessé par quelqu’un qui a été blessé par moi ; notre guérison à l’un et à l’autre dépend de ton appui et de ta sainte médecine : je n’ai point de haine, saint homme ; car, vois, mon intercession s’étend aussi à mon ennemi.

ROMEO.
I’ll tell thee ere thou ask it me again.
I have been feasting with mine enemy,
Where on a sudden one hath wounded me
That’s by me wounded. Both our remedies
Within thy help and holy physic lies.
I bear no hatred, blessed man; for lo,
My intercession likewise steads my foe.

LE FRÈRE LAURENT.
— Expose ce que tu as à me dire en termes simples et ronds, mon bon fils ; une confession énigmatique ne reçoit qu’une absolution équivoque.

FRIAR LAWRENCE.
Be plain, good son, and homely in thy drift;
Riddling confession finds but riddling shrift.

ROMÉO.
— Alors sache sans délai que le plus cher amour de mon cœur s’est fixé sur la belle jeune fille du riche Capulet : comme le mien s’est fixé sur elle, ainsi le sien s’est fixé sur moi ; tout est conclu, sauf ce que tu peux conclure par le saint mariage : quand, où, comment, nous nous sommes rencontrés et avons échangé des paroles d’amour et des serments, je te le dirai, en, nous promenant ; mais je te prie tout de suite de consentir à nous marier aujourd’hui.

ROMEO.
Then plainly know my heart’s dear love is set
On the fair daughter of rich Capulet.
As mine on hers, so hers is set on mine;
And all combin’d, save what thou must combine
By holy marriage. When, and where, and how
We met, we woo’d, and made exchange of vow,
I’ll tell thee as we pass; but this I pray,
That thou consent to marry us today.

LE FRÈRE LAURENT.
— Bienheureux saint François, quel changement est-ce là ? Cette Rosaline que tu aimais si tendrement a-t-elle donc été oubliée si vite ? en ce cas l’amour des jeunes hommes n’a pas sa vraie résidence dans leur cœur, mais dans leurs yeux. Jésus Maria ! de quel déluge de larmes n’as-tu pas lavé tes joues creusées par le chagrin pour Rosaline ? Ah ! que d’eau salée dépensée en vain pour l’assaisonnement d’un amour dont tu ne goûtés pas ! Le soleil n’a pas encore dissipé le brouillard de tes soupirs ; tes anciens gémissements résonnent encore à mes vieilles oreilles ; là, sur ta joue, je vois la tache d’une ancienne larme qui n’a pas, encore été essuyée : si jamais tu fus toi-même, et si ces douleurs furent les tiennes, toi et ces douleurs vous apparteniez, entièrement à Rosaline ; et c’est ainsi que tu as, changé ! en ce cas, prononce cette sentence-ci les femmes peuvent bien tomber, quand les hommes ont si peu de force.

FRIAR LAWRENCE.
Holy Saint Francis! What a change is here!
Is Rosaline, that thou didst love so dear,
So soon forsaken? Young men’s love then lies
Not truly in their hearts, but in their eyes.
Jesu Maria, what a deal of brine
Hath wash’d thy sallow cheeks for Rosaline!
How much salt water thrown away in waste,
To season love, that of it doth not taste.
The sun not yet thy sighs from heaven clears,
Thy old groans yet ring in mine ancient ears.
Lo here upon thy cheek the stain doth sit
Of an old tear that is not wash’d off yet.
If ere thou wast thyself, and these woes thine,
Thou and these woes were all for Rosaline,
And art thou chang’d? Pronounce this sentence then,
Women may fall, when there’s no strength in men.

ROMÉO.
— Tu m’as grondé souvent parce que j’aimais Rosaline.

ROMEO.
Thou chidd’st me oft for loving Rosaline.

LE FRÈRE LAURENT.
— Parce que tu en raffolais, non parce que tu l’aimais, mon jeune pénitent.

FRIAR LAWRENCE.
For doting, not for loving, pupil mine.

ROMÉO.
— Et tu m’as ordonné d’ensevelir mon amour.

ROMEO.
And bad’st me bury love.

LE FRÈRE LAURENT.
— Mais non pas dans Une fosse, ou en enterrant un amour, tu en déterrasses un autre.

FRIAR LAWRENCE.
Not in a grave
To lay one in, another out to have.

ROMÉO.
— Je t’en prie, ne me gronde pas. celle que j’aime maintenant me rend grâce pour grâce, et amour pour amour ; ce n’était pas ce que faisait l’autre.

ROMEO.
I pray thee chide me not, her I love now
Doth grace for grace and love for love allow.
The other did not so.

LE FRÈRE LAURENT.
— Oh ! elle savait bien que ton amour récitait sa leçon de mémoire et ne savait pas épeler ses lettres. Mais allons, jeune inconstant, allons, viens avec moi, j’ai une raison de l’assister ; car ce mariage peut tourner assez heureusement pour changer en pur amour la rancune de vos deux maisons.

FRIAR LAWRENCE.
O, she knew well
Thy love did read by rote, that could not spell.
But come young waverer, come go with me,
In one respect I’ll thy assistant be;
For this alliance may so happy prove,
To turn your households’ rancour to pure love.

ROMÉO.
— Oh ! partons d’ici, il m’importe beaucoup de me dépêcher :

ROMEO.
O let us hence; I stand on sudden haste.

LE FRÈRE LAURENT.
— Prudemment et lentement ; ils trébuchent, ceux qui courent trop vite. (Ils sortent.)

FRIAR LAWRENCE.
Wisely and slow; they stumble that run fast.

[Exeunt.]

SCÈNE IV

SCENE IV.

Une rue.
A Street.
Entrent BENVOLIO et MERCUTIO.

Enter Benvolio and Mercutio.

MERCUTIO.
— OÙ diable ce Roméo peut-il être ? est-ce qu’il n’est pas retourné chez lut cette nuit ?

MERCUTIO.
Where the devil should this Romeo be? Came he not home tonight?

BENVOLIO.
— Il n’est pas revenu, chez son père ; j’ai parlé à son valet.

BENVOLIO.
Not to his father’s; I spoke with his man.

MERCUTIO.
— Ah ! cette pâle fille au cœur de pierre, cette Rosaline le tourmente tellement qu’à coup sûr il deviendra fou.

MERCUTIO.
Why, that same pale hard-hearted wench, that Rosaline, torments him so that he will sure run mad.

BENVOLIO.
— Tebaldo, le parent du vieux Capulet, a dépêché une lettre à la maison de son père.

BENVOLIO.
Tybalt, the kinsman to old Capulet, hath sent a letter to his father’s house.

MERCUTIO.
— Un cartel, sur ma vie !

MERCUTIO.
A challenge, on my life.

BENVOLIO.
— Roméo y répondra.

BENVOLIO.
Romeo will answer it.

MERCUTIO.
— Tout homme qui sait écrire peut répondre à une lettre.

MERCUTIO.
Any man that can write may answer a letter.

BENVOLIO.
— Certes, il répondra à l’auteur de la lettre dans son propre style ; étant défié, il défiera.

BENVOLIO.
Nay, he will answer the letter’s master, how he dares, being dared.

MERCUTIO.
— Hélas ! pauvre Roméo, il est déjà mort ! poignardé, par l’œil noir d’une fille blanche, fusille à travers l’oreille par un chant d’amour, percé au centre de son cœur parla flèche du petit archer aveugle, est-ce là un homme à affronter Tebaldo ?

MERCUTIO.
Alas poor Romeo, he is already dead, stabbed with a white wench’s black eye; run through the ear with a love song, the very pin of his heart cleft with the blind bow-boy’s butt-shaft. And is he a man to encounter Tybalt?

BENVOLIO.
— Bah ! qu’est-ce donc que Tebaldo ?

BENVOLIO.
Why, what is Tybalt?

MERCUTIO.
— Plus que le prince des chats, je vous le déclare. Oh ! c’est le courageux capitaine des lois du savoir-vivre : il se bât comme vous chantez la, musique,garde ses temps, ses distances, ses mesures ; vous.prend un repos d’un soupir, — une, deux, et la troisième en pleine poitrine : c’est le vrai boucher des boutons de soie, un duelliste, un duelliste ; un gentilhomme de la tout à fait première catégorie, un maître en première et seconde causes : ah ! l’immortelle passade ! ah le punto reverso ! ah ! le touché!

MERCUTIO.
More than Prince of cats. O, he’s the courageous captain of compliments. He fights as you sing prick-song, keeps time, distance, and proportion. He rests his minim rest, one, two, and the third in your bosom: the very butcher of a silk button, a duellist, a duellist; a gentleman of the very first house, of the first and second cause. Ah, the immortal passado, the punto reverso, the hay.

BENVOLIO.
— Le quoi ?

BENVOLIO.
The what?

MERCUTIO.
— La peste de, ces grotesques fantasques pleins de zézaiements et d’affectations, qui vous ont.de nouvelles manières de poser les accents ! « Par Jésus, une excellente lame ! un très-bel homme ! une exquise putain ! » Parbleu, grand-père, n’est-ce pas une chose lamentable que nous soyons affligés de la sorte par ces mouches étrangères, ces débitants de modes nouvelles, ces pardonnez-moi, qui se mettent des culottes de nouvelle forme si collantes qu’ils né peuvent plus s’asseoir à l’aise sur les vieux bancs ? Oh ! leurs bons, leurs bons !

MERCUTIO.
The pox of such antic lisping, affecting phantasies; these new tuners of accent. By Jesu, a very good blade, a very tall man, a very good whore. Why, is not this a lamentable thing, grandsire, that we should be thus afflicted with these strange flies, these fashion-mongers, these pardon-me’s, who stand so much on the new form that they cannot sit at ease on the old bench? O their bones, their bones!

Entre ROMÉO.

Enter Romeo.

BENVOLIO.
— Voici venir Roméo ; voici venir Roméo.

BENVOLIO.
Here comes Romeo, here comes Romeo!

MERCUTIO.
— Jaune et sec comme un hareng saur. Ô chair, ô chair, comme te voilà poissonnifiée ! Maintenant il est jusqu’au cou dans le genre de poésie que cultiva Pétrarque : Laure, comparée à sa Dame, était une marmitonne ; parbleu, elle avait un plus habile amant pour la chanter : Didon n’était qu’une dondon ; Cléopâtre, une gitana d’Égypte ; Hélène et Héro, des coureuses, et des catins ; Thisbé, un petit œil gris éveillé, ou quelque chose d’approchant, mais rien avec cela.

MERCUTIO.
— Signor Roméo, bonjour ! voilà un salut français pour votre culotte française, vous nous avez joliment payé en fausse monnaie la dernière nuit.

MERCUTIO.
Without his roe, like a dried herring. O flesh, flesh, how art thou fishified! Now is he for the numbers that Petrarch flowed in. Laura, to his lady, was but a kitchen wench,—marry, she had a better love to berhyme her: Dido a dowdy; Cleopatra a gypsy; Helen and Hero hildings and harlots; Thisbe a grey eye or so, but not to the purpose. Signior Romeo, bonjour! There’s a French salutation to your French slop. You gave us the counterfeit fairly last night.

ROMÉO.
— Bonjour à tous les deux. Comment vous ai-je payé en fausse monnaie ?

ROMEO.
Good morrow to you both. What counterfeit did I give you?

MERCUTIO.
— En nous faussant compagnie, Messire, en nous faussant compagnie ; ne pouvez-vous pas comprendre ?

MERCUTIO.
The slip sir, the slip; can you not conceive?

ROMÉO.
— Pardon, mon bon Mercutio, j’avais des affaires importantes, et un homme dans un cas comme le mien peut bien faire fléchir la politesse.

ROMEO.
Pardon, good Mercutio, my business was great, and in such a case as mine a man may strain courtesy.

MERCUTIO.
— C’est absolument comme si vous disiez, an cas comme le mien force un homme à fléchir les jarrets.

MERCUTIO.
That’s as much as to say, such a case as yours constrains a man to bow in the hams.

ROMÉO.
— Sans doute pour offrir ses politesses

ROMEO.
Meaning, to curtsy.

MERCUTIO.
— Tu as très-judicieusement deviné.

MERCUTIO.
Thou hast most kindly hit it.

ROMÉO.
— Voilà une interprétation très-polie.

ROMEO.
A most courteous exposition.

MERCUTIO.
— Parbleu, je suis la rosette même de la politesse.

MERCUTIO.
Nay, I am the very pink of courtesy.

ROMÉO.
— Rosette est ici pour fleur ?

ROMEO.
Pink for flower.

MERCUTIO.
— Parfaitement.

MERCUTIO.
Right.

ROMÉO.
— Ah bien, en ce cas, mes escarpins sont très-fleuris.

ROMEO.
Why, then is my pump well flowered.

MERCUTIO.
— Bien dit ; poursuis-moi maintenant, cette plaisanterie jusqu’à ce que tes escarpins soient usés, afin que lorsque les uniques semelles de cette paire là seront hors d’usage, cette plaisanterie reste encore, après l’user, unique et hors de pair.

MERCUTIO.
Sure wit, follow me this jest now, till thou hast worn out thy pump, that when the single sole of it is worn, the jest may remain after the wearing, solely singular.

ROMÉO.
— Ô la plaisanterie à mince semelle, unique et hors de pair seulement par sa mauvaise qualité !

ROMEO.
O single-soled jest, solely singular for the singleness!

MERCUTIO.
— Sépare-nous, mon bon Benvolio ; mon esprit est rendu.

MERCUTIO.
Come between us, good Benvolio; my wits faint.

ROMÉO.
— Donne de la cravache et de l’éperon, de la cravache et de l’éperon, sinon je crie : un autre rival, s’il vous plaît !

ROMEO.
Swits and spurs, swits and spurs; or I’ll cry a match.

MERCUTIO.
— Parbleu, si nos esprits veulent entreprendre la course de l’oie sauvage, je me récuse ; car il y a plus de l’oie sauvage dans un seul de tes sens, j’en suis sûr, que dans les miens cinq : m’avez-vous pris pour l’oie dans cette course d’esprit?

MERCUTIO.
Nay, if thy wits run the wild-goose chase, I am done. For thou hast more of the wild-goose in one of thy wits, than I am sure, I have in my whole five. Was I with you there for the goose?

ROMÉO.
— Quand par hasard je ne t’ai pas pris pour l’oie, je ne t’ai pris pour rien du tout.

ROMEO.
Thou wast never with me for anything, when thou wast not there for the goose.

MERCUTIO.
— Je vais te mordre l’oreille pour cette plaisanterie.

MERCUTIO.
I will bite thee by the ear for that jest.

ROMÉO.
— Voyons, bonne oie, ne mords pas.

ROMEO.
Nay, good goose, bite not.

MERCUTIO.
— Ton esprit est de saveur très-mordante ; il fait un très âpre assaisonnement.

MERCUTIO.
Thy wit is a very bitter sweeting, it is a most sharp sauce.

ROMÉO.
— Une marmelade de pommes acides, n’est-elle pas le, vrai assaisonnement, d’une oie fade ?

ROMEO.
And is it not then well served in to a sweet goose?

MERCUTIO.
— Ah, quel esprit en peau de chevreau ! d’abord étroit d’un pouce, il devient ensuite large d’une aune.

MERCUTIO.
O here’s a wit of cheveril, that stretches from an inch narrow to an ell broad.

ROMÉO.
— Je l’étends encore pour ce mot large, qui ajouté à oie, prouve qu’en long et en large tu es une grande oie.

ROMEO.
I stretch it out for that word broad, which added to the goose, proves thee far and wide a broad goose.

MERCUTIO.
— Eh bien, est-ce que cela ne vaut pas mieux que de gémir d’amour ? maintenant te. voilà sociable, te voilà redevenu Roméo ; maintenant tu es. ce que : ta es selon l’art aussi bien que selon la nature ; car ce, radoteur d’amour ressemble à un grand, dadais, qui se traîne d’ici de là, tirant la langue, en cherchant.un trou où-carcher son amusette.

MERCUTIO.
Why, is not this better now than groaning for love? Now art thou sociable, now art thou Romeo; not art thou what thou art, by art as well as by nature. For this drivelling love is like a great natural, that runs lolling up and down to hide his bauble in a hole.

BENVOLIO.
— Arrête ici, arrête ici.

BENVOLIO.
Stop there, stop there.

MERCUTIO.
— Tu veux que j’arrête ma. description à la partie la plus intéressante.

MERCUTIO.
Thou desirest me to stop in my tale against the hair.

BENVOLIO.
— Sans cela, tu l’aurais faite trop longue.

BENVOLIO.
Thou wouldst else have made thy tale large.

MERCUTIO.
— Oh ! tu te trompes, je l’aurais faite courte : car j’étais arrivé au fin fond de la chose, et je n’avais pas l’intention de tenir le dé plus longtemps.

MERCUTIO.
O, thou art deceived; I would have made it short, for I was come to the whole depth of my tale, and meant indeed to occupy the argument no longer.

Entrent LA NOURRICE et PIERRE.

Enter Nurse and Peter.

ROMÉO.
— Ah mais voilà un bel équipement ! (Apercevant la nourrice.)

MERCUTIO.
— Une voile, une voile, une voile!

ROMEO.
Here’s goodly gear!
A sail, a sail!

BENVOLIO.
— Deux, deux ; une chemise et un jupon.

MERCUTIO.
Two, two; a shirt and a smock.

LA NOURRICE.
— Pierre ?

NURSE.
Peter!

PIERRE.
— Voilà !

PETER.
Anon.

LA NOURRICE.
— Mon éventail, Pierre.

NURSE.
My fan, Peter.

MERCUTIO.
— Oui, mon bon Pierre, afin de cacher son visage ; car son éventail est plus joli que son visage.

MERCUTIO.
Good Peter, to hide her face; for her fan’s the fairer face.

LA NOURRICE.
— Bien le bonjour, Messires.

NURSE.
God ye good morrow, gentlemen.

MERCUTIO.
— Bien le bonsoir, belle Madame.

MERCUTIO.
God ye good-den, fair gentlewoman.

LA NOURRICE.
— Est-ce bonsoir, qu’il faut dire ?

NURSE.
Is it good-den?

MERCUTIO.
— Ni plus, ni moins, je vous le déclare, caria main de maquerelle de l’horloge dirige son.index vers midi.

MERCUTIO.
’Tis no less, I tell ye; for the bawdy hand of the dial is now upon the prick of noon.

LA NOURRICE.
— Fi ! quel homme êtes-vous donc ?

NURSE.
Out upon you! What a man are you?

ROMÉO.
— Un homme, Madame, que Dieu a fait pour qu’il se fit tort à lui-même.

ROMEO.
One, gentlewoman, that God hath made for himself to mar.

LA NOURRICE.
— Par ma foi, voilà qui est bien dit : « pour qu’il se fît toit à lui-même, » a-t-il dit ? Messires, quelqu’un de vous peut-il me dire où je trouverai le jeune Roméo ?

NURSE.
By my troth, it is well said; for himself to mar, quoth a? Gentlemen, can any of you tell me where I may find the young Romeo?

ROMÉO.
— Je puis vous, le dire ; mais le jeune Roméo sera plus vieux lorsque vous l’aurez trouvé, que lorsque vous l’aurez cherche : je suis le plus jeune de ce nom, faute d’un pire.

ROMEO.
I can tell you: but young Romeo will be older when you have found him than he was when you sought him. I am the youngest of that name, for fault of a worse.

LA NOURRICE.
— Vous dites bien.

NURSE.
You say well.

MERCUTIO.
— Oui-da, est-ce que le pire est bien ? Très bien riposté, ma foi ; spirituel, très-spirituel.

MERCUTIO.
Yea, is the worst well? Very well took, i’faith; wisely, wisely.

LA NOURRICE.
— Si c’est vous, Messire, je désire vous dire un mot en confidence.

NURSE.
If you be he, sir, I desire some confidence with you.

BENVOLIO.
— El !e va l’induire en quelque souper.

BENVOLIO.
She will endite him to some supper.

MERCUTIO.
— Une maquerelle, Une maquerelle, une maquerelle ! taiaut !

MERCUTIO.
A bawd, a bawd, a bawd! So ho!

ROMÉO.
— Qu’est-ce que lu as fait lever ?

ROMEO.
What hast thou found?

MERCUTIO.
— Ce n’est pas un lièvre, Messire, à moins que ce ne soit un lièvre en pâté de carême, qui a quelque peu pris la barbe avant qu’on ait eu le temps de le finir, Messire. (Il chante.)

 
        Un vieux lièvre à barbe,
        Un vieux lièvre à barbe,
        Est un bon mets en temps de carême ;
        Mais un lièvre à barba,
        Est trop pour la force de vingt personnes,
        S’il prend la barbe avant d’être mangé.

Roméo, venez-vous chez votre père ? nous y allons dîner.

MERCUTIO.
No hare, sir; unless a hare, sir, in a lenten pie, that is something stale and hoar ere it be spent.
[Sings.]
    An old hare hoar,
    And an old hare hoar,
  Is very good meat in Lent;
    But a hare that is hoar
    Is too much for a score
  When it hoars ere it be spent.
Romeo, will you come to your father’s? We’ll to dinner thither.

ROMÉO.
— vous suis.

ROMEO.
I will follow you.

MERCUTIO.
— Adieu, ancienne Dame, adieu. (Il chante.) Madame, Madame, Madame (Sortent Mercutio et Benvolio.)

MERCUTIO.
Farewell, ancient lady; farewell, lady, lady, lady.

[Exeunt Mercutio and Benvolio.]

LA NOURRICE.
— S’il vous plaît, Messire, quel est ce marchand impertinent qui tient boutique si bien montée en sottises ?

NURSE.
I pray you, sir, what saucy merchant was this that was so full of his ropery?

ROMÉO.
— Un gentilhomme qui aime à s’entendre parler, nourrice, et qui dit plus de paroles en une minute qu’il n’en écouté en un mois.

ROMEO.
A gentleman, Nurse, that loves to hear himself talk, and will speak more in a minute than he will stand to in a month.

LA NOURRICE.
— S’il s’avise de dire quelque chose contre moi, je l’arrangerai de la belle façon, quand il serait plus railleur qu’il ne l’est, lui et vingt Jacquots de son espèce ; et si je ne le puis pas par moi-même, je trouverai qui le pourra. Méchant drôle ! je ne suis pas une de ses coureuses, moi ; je ne suis pas une de ses associées, moi. — Et toi, tu es là à rester coi, et tu permets que le premier drôle venu en use avec moi à son plaisir ?

NURSE.
And a speak anything against me, I’ll take him down, and a were lustier than he is, and twenty such Jacks. And if I cannot, I’ll find those that shall. Scurvy knave! I am none of his flirt-gills; I am none of his skains-mates.—And thou must stand by too and suffer every knave to use me at his pleasure!

PIERRE.
— Je n’ai vu personne en user avec vous à son plaisir ; si je l’avais vu, mon arme aurait été bien vite dehors, je vous en réponds : je dégaine tout aussi vite qu’un autre, quand j’en vois l’occasion dans une querelle juste et que j’ai la loi de mon côté.

PETER.
I saw no man use you at his pleasure; if I had, my weapon should quickly have been out. I warrant you, I dare draw as soon as another man, if I see occasion in a good quarrel, and the law on my side.

LA NOURRICE.
— Vrai, j’en jure par Dieu, je suis tellement hors de moi que tout mon corps en tremble. Méchant drôle ! — Je vous en prie, Messire, un mot comme je vous le disais, ma jeune maîtresse m’a ordonné de vous chercher ; ce qu’elle m’a commandé de vous dire, je le garderai pour moi : mais d’abord, laissez-moi vous prévenir que si vous la conduisiez dans le paradis des fous, comme on dit, ce serait une très-méchante, conduite, comme on dit, car la Dame est jeune et par conséquent, si vous aviez double jeu avec elle, ce, serait une vilaine. chose que vous feriez envers une Dame et une façon d’agir qui ne serait pas bien du tout.

NURSE.
Now, afore God, I am so vexed that every part about me quivers. Scurvy knave. Pray you, sir, a word: and as I told you, my young lady bid me enquire you out; what she bade me say, I will keep to myself. But first let me tell ye, if ye should lead her in a fool’s paradise, as they say, it were a very gross kind of behaviour, as they say; for the gentlewoman is young. And therefore, if you should deal double with her, truly it were an ill thing to be offered to any gentlewoman, and very weak dealing.

ROMÉO.
— Nourrice, recommande- moi à ta Dame et maîtresse. Je le jure....

ROMEO.
Nurse, commend me to thy lady and mistress. I protest unto thee,—

LA NOURRICE.
— Bon cœur ! Oui, ma foi, je le lui dirai : Seigneur, Seigneur, qu’elle sera joyeuse.

NURSE.
Good heart, and i’faith I will tell her as much. Lord, Lord, she will be a joyful woman.

ROMÉO.
— Que lui diras-tu, nourrice ? tu ne m’écoutes pas.

ROMEO.
What wilt thou tell her, Nurse? Thou dost not mark me.

LA NOURRICE.
— Je lui dirai, Messire, que vous jurez ; ce qui si je comprends bien, est une promesse de gentilhomme ;

NURSE.
I will tell her, sir, that you do protest, which, as I take it, is a gentlemanlike offer.

ROMÉO.
— Dis-lui de trouver quelque moyen d’aller cette après-midi à confesse, et ellé sera confessée et mariée dans la cellule du frère Laurent. Voici pour tes peines.

ROMEO.
Bid her devise
Some means to come to shrift this afternoon,
And there she shall at Friar Lawrence’ cell
Be shriv’d and married. Here is for thy pains.

LA NOURRICE.
— Non vraiment, Messire, pas un sou.

NURSE.
No truly, sir; not a penny.

ROMÉO.
— Allons-donc, je te dis de prendre.

ROMEO.
Go to; I say you shall.

LA NOURRICE.
— Cette après-midi, Messire ? bon, elle y sera.

NURSE.
This afternoon, sir? Well, she shall be there.

ROMÉO.
— Et toi, bonne nourrice ; tiens-toi derrière, le mur de l’abbaye : mon valet t’y rejoindra à-cette : même heure, et t’apportera, urne échelle de corde qui me servira d’escalier pour monter, dans le secret de là nuit, au faite suprême de mon bonheur. Adieu ! — sois fidéle, et je récompenserai tes services : adieu! — recommande-moi à ta maîtresse.

ROMEO.
And stay, good Nurse, behind the abbey wall.
Within this hour my man shall be with thee,
And bring thee cords made like a tackled stair,
Which to the high topgallant of my joy
Must be my convoy in the secret night.
Farewell, be trusty, and I’ll quit thy pains;
Farewell; commend me to thy mistress.

LA NOURRICE.
— Allons, que le Dieu du ciel te bénisse ? — Écoutez un peu, Messire.

NURSE.
Now God in heaven bless thee. Hark you, sir.

ROMÉO.
— Qu’as-tu à me dire, ma bonne nourrice ?

ROMEO.
What say’st thou, my dear Nurse?

LA NOURRICE.
— Votre valet est-il discret ? N’avez-vous jamais entendu dire que deux hommes gardent bien leur secret quand-ils mettent un d’eux de côté ?

NURSE.
Is your man secret? Did you ne’er hear say,
Two may keep counsel, putting one away?

ROMÉO.
— Je te réponds de lui ; mon valet est fidèle comme l’acier.

ROMEO.
I warrant thee my man’s as true as steel.

LA NOURRICE.
— Bien, Messire ; ma maîtresse est la plus charmante Dame.... Seigneur ! Seigneur ! quand elle vous était un petit être babillard.... Oh, il y a dans la ville, un noble, un certain Paris, qui voudrait bien monter à l’abordage, armes en avant ; mais elle, la bonne âme, aimerait pétant voir un crapaud, un vrai crapaud, que le voir. Je la fais mettre quelquefois en colère, en lui disant que Paris est l’homme qui lui convient le mieux ; mais je vous le déclare, quand je lui dis cela, elle devient pâle comme le linge le plus blanc du monde entier. Est ce que Romarin et Roméo ne commencent pas ; tous deux par la même lettre?

NURSE.
Well, sir, my mistress is the sweetest lady. Lord, Lord! When ’twas a little prating thing,—O, there is a nobleman in town, one Paris, that would fain lay knife aboard; but she, good soul, had as lief see a toad, a very toad, as see him. I anger her sometimes, and tell her that Paris is the properer man, but I’ll warrant you, when I say so, she looks as pale as any clout in the versal world. Doth not rosemary and Romeo begin both with a letter?

ROMÉO.
— Oui, nourrice ; qu’est-ce que tu veux en conclure ? tous deux commencent par un R.

ROMEO.
Ay, Nurse; what of that? Both with an R.

LA NOURRICE.
— Ah, moqueur c’est le nom du chien ; R commence Roquet. Mais je sais bien moi que ça com, mence par une autre lettre, et elle tient de si jolis, propos sur vous et le : romarin que ça vous ferait du bien à entendre.

NURSE.
Ah, mocker! That’s the dog’s name. R is for the—no, I know it begins with some other letter, and she hath the prettiest sententious of it, of you and rosemary, that it would do you good to hear it.

ROMÉO.
— Recommande moi à ta Dame.

ROMEO.
Commend me to thy lady.

LA NOURRICE.
— Oui, mille fois. (Sort Roméo) : Pierre !

NURSE.
Ay, a thousand times. Peter!

[Exit Romeo.]

PIERRE.
— Voilà !

PETER.
Anon.

LA NOURRICE.
— Passe devant et marchons vite. (Ils sortent.)

NURSE.
Before and apace.

[Exeunt.]

SCÈNE V

SCENE V.

Le jardin de CAPULET.
Capulet’s Garden.
Entre JULIETTE.

Enter Juliet.

JULIETTE.
— L’horloge sonnait neuf heures lorsque j’ai fait partir la nourrice : elle m’avait promis d’être de retour dans une demi-heure. Peut-être ne peut-elle pas le trouver : — mais non, cela n’est pas. — Oh ! elle est boiteuse ! les hérauts de l’amour devraient être les pensées qui courent dix fois plus vite que les rayons du soleil repoussant les ombres sur les cimes des collines sombres : c’est pourquoi ce sont des colombes aux ailes agiles que traînent l’Amour, et c’est pourquoi Cupidon rapide comme le vent, porte des ailes. Le soleil a maintenant atteint le point culminant de son, voyage de ce jour : de neuf heures à midi il ya trois longues heures, et elle n’est, pas encore revenue. Si elle avait les affections et le sang chaud de la jeunesse, elle serait dans -ses mouvements aussi rapide qu’une balle ; mes paroles la lanceraient droit à mon doux amour, et ses paroles, à lui, la relanceraient vers moi. Mais ces vieilles gens, on dirait que pour la plupart ils sont morts ; le plomb n’est pas plus difficile à remuer, plus lourd, plus lent, plus pâle. Ô Dieu, la voici !

JULIET.
The clock struck nine when I did send the Nurse,
In half an hour she promised to return.
Perchance she cannot meet him. That’s not so.
O, she is lame. Love’s heralds should be thoughts,
Which ten times faster glides than the sun’s beams,
Driving back shadows over lowering hills:
Therefore do nimble-pinion’d doves draw love,
And therefore hath the wind-swift Cupid wings.
Now is the sun upon the highmost hill
Of this day’s journey, and from nine till twelve
Is three long hours, yet she is not come.
Had she affections and warm youthful blood,
She’d be as swift in motion as a ball;
My words would bandy her to my sweet love,
And his to me.
But old folks, many feign as they were dead;
Unwieldy, slow, heavy and pale as lead.

Entrent LA NOURRICE et PIERRE.

Enter Nurse and Peter.

JULIETTE.
— ma douce nourrice, quelles nouvelles ? l’as-tu rencontré ? renvoie ton valet.

O God, she comes. O honey Nurse, what news?
Hast thou met with him? Send thy man away.

LA NOURRICE.
— Pierre, attends à la porte. (Pierre sort.)

NURSE.
Peter, stay at the gate.

[Exit Peter.]

JULIETTE.
— E-h bien, ma bonne et aimable nourrice, voyons. Seigneur, pourquoi cet air triste ? sites nouvelles sont tristes, dis-les-moi rondement et avec entrain, malgré tout : mais si elles sont bonnes, tu fausses la musique des douces nouvelles, en.me la jouant avec une physionomie si aigre.

JULIET.
Now, good sweet Nurse,—O Lord, why look’st thou sad?
Though news be sad, yet tell them merrily;
If good, thou sham’st the music of sweet news
By playing it to me with so sour a face.

LA NOURRICE.
— Je n’en puis plus ; donnez-moi quelques minutes : — ah ! comme mes os sont moulus ! quelle course il m’a fallu faire !

NURSE.
I am aweary, give me leave awhile;
Fie, how my bones ache! What a jaunt have I had!

JULIETTE.
— Je voudrais, te donner mes os et que tu me donnasses tes nouvelles : allons, voyons, parle, je t’en prie ; — bonne, bonne nourrice, parle.

JULIET.
I would thou hadst my bones, and I thy news:
Nay come, I pray thee speak; good, good Nurse, speak.

LA NOURRICE.
— Jésus, quelle hâte ! ne pouvez-vous attendre un instant ? Ne voyez-vous pas que je suis hors d’haleine ?

NURSE.
Jesu, what haste? Can you not stay a while? Do you not see that I am out of breath?

JULIETTE.
— Comment es-tu hors d’haleine, lorsque tu as assez d’haleine pour me dire que tu es hors d’haleine ? l’excuse que tu me fais pour ce retard est plus longue que le rapport que tu t’excuses de ne pas faire. Tes nouvelles sont-elles bonnes ou mauvaises ? réponds à cela ; dis quelles elles sont d’un mot, j’attendrai les détails : voyons, fais-moi ce plaisir : sont-elles bonnes ou mauvaises ?

JULIET.
How art thou out of breath, when thou hast breath
To say to me that thou art out of breath?
The excuse that thou dost make in this delay
Is longer than the tale thou dost excuse.
Is thy news good or bad? Answer to that;
Say either, and I’ll stay the circumstance.
Let me be satisfied, is’t good or bad?

LA NOURRICE.
— Bon ! vous avez fait un choix ordinaire ; vous ne savez pas choisir un homme Roméo ! non, non, ce n’était pas là l’homme. Sa figure, il est vrai, est plus jolie que celle de n’importe qui, mais ses jambes l’emportent sur celles de tout le monde ; quant à la main, au pied, à la taille, quoiqu’il n’y ait pas à en parler, tout cela est au-dessus de toute comparaison : il n’est pas la fleur de la courtoisie ; mais je le garantis aussi doux qu’un agneau. Va ton chemin, fillette ; sers Dieu. — Eh bien, avez-vous déjà dîné, à la maison ?

NURSE.
Well, you have made a simple choice; you know not how to choose a man. Romeo? No, not he. Though his face be better than any man’s, yet his leg excels all men’s, and for a hand and a foot, and a body, though they be not to be talked on, yet they are past compare. He is not the flower of courtesy, but I’ll warrant him as gentle as a lamb. Go thy ways, wench, serve God. What, have you dined at home?

JULIETTE.
— Non, non : mais je savais déjà tout ce que tu me dis ; que dit— il le notre mariage ? qu’en dit-il ?

JULIET.
No, no. But all this did I know before.
What says he of our marriage? What of that?

LA NOURRICE.
— Seigneur, comme ma tête me fait mal ! quelle tête ai-je donc ? elle bat comme si elle allait se casser en vingt morceaux. Et mon dos, de l’autre côté : — oh mon dos, mon dos ! — Diable soit de vous pour m’avoir envoyée chercher ma mort, en me faisant courir par monts et par vaux !

NURSE.
Lord, how my head aches! What a head have I!
It beats as it would fall in twenty pieces.
My back o’ t’other side,—O my back, my back!
Beshrew your heart for sending me about
To catch my death with jauncing up and down.

JULIETTE.
— Sur ma foi, je suis désolée que tu ne sois pas bien : Douce, douce, douce nourrice ; que dit mon amour ? apprends-le-moi.

JULIET.
I’faith, I am sorry that thou art not well.
Sweet, sweet, sweet Nurse, tell me, what says my love?

LA NOURRICE.
— Votre amour dit, comme un honnête gentilhomme, comme un courtois, un tendre, un beau, et, je le garantis, un vertueux.... — Où est votre mère ?

NURSE.
Your love says like an honest gentleman,
And a courteous, and a kind, and a handsome,
And I warrant a virtuous,—Where is your mother?

JULIETTE.
— Où est ma mère ? — Parbleu, elle est dans., la maison ; où pourrait-elle être ? Quelle singulière réponse tu me fais : « Votre amour dit comme un honnête gentilhomme, — où est votre mère ? »

JULIET.
Where is my mother? Why, she is within.
Where should she be? How oddly thou repliest.
‘Your love says, like an honest gentleman,
‘Where is your mother?’

LA NOURRICE.
— Ah, sainte mère de Dieu ! êtes-vous aussi bouillante que cela ? parbleu, débordez, alors. Si c’est là le cataplasme que vous appliquez sur mes os malades, vous pourrez désormais faire vos messages vous-même.

NURSE.
O God’s lady dear,
Are you so hot? Marry, come up, I trow.
Is this the poultice for my aching bones?
Henceforward do your messages yourself.

JULIETTE.
— En voilà un galimatias ! Voyons que dit Roméo ?

JULIET.
Here’s such a coil. Come, what says Romeo?

LA NOURRICE.
— Avez-vous obtenu la permission d’aller à confesse aujourd’hui ?

NURSE.
Have you got leave to go to shrift today?

JULIETTE.
— Oui.

JULIET.
I have.

LA NOURRICE.
— Alors rendez-vous à la cellule du frère Laurent ; un époux vous y attend pour faire de vous une femme. Ah bien, voilà ce coquin de sang qui vous monteaux joues. ; elles vont bientôt devenir écarlates à la moindre nouvelle. Rendez-vous à l’église j’irai par un autre chemin chercher une échelle qui doit servir à votre amour pour grimper jusqu’à un nid d’oiseau aussitôt qu’il fera nuit : moi, je suis l’esclave, et je travaille pour vos plaisirs ; mais vous porterez bientôt le fardeau cette nuit. Allons, je vais aller dîner ; vite à la cellule.

NURSE.
Then hie you hence to Friar Lawrence’ cell;
There stays a husband to make you a wife.
Now comes the wanton blood up in your cheeks,
They’ll be in scarlet straight at any news.
Hie you to church. I must another way,
To fetch a ladder by the which your love
Must climb a bird’s nest soon when it is dark.
I am the drudge, and toil in your delight;
But you shall bear the burden soon at night.
Go. I’ll to dinner; hie you to the cell.

JULIETTE.
— Vite au bonheur suprême ! honnête nourrice, adieu. (Elles sortent.)

JULIET.
Hie to high fortune! Honest Nurse, farewell.

[Exeunt.]

SCÈNE VI

SCENE VI.

La cellule du FRÈRE LAURENT
Friar Lawrence’s Cell.
Entrent LE FRÈRE LAURENT et ROMÉO.

Enter Friar Lawrence and Romeo.

LE FRÈRE LAURENT.
— Puissent les cieux sourire, sur cet acte saint si favorablement, que l’avenir ne nous amène pas des chagrins pour nous en faire repentir.

FRIAR LAWRENCE.
So smile the heavens upon this holy act
That after-hours with sorrow chide us not.

ROMÉO.
— Amen ! amen ! mais vienne quelque chagrin que ce soit, il ne peut contre balancer l’échange de joies que sa vue me donne dans une seule courte.minute. Unis seulement nos mains par la formule sainte, et puisque la mort meurtrière de l’amour fasse ce qu’elle voudra ; c’est assez que je puisse l’appeler mienne.

ROMEO.
Amen, amen, but come what sorrow can,
It cannot countervail the exchange of joy
That one short minute gives me in her sight.
Do thou but close our hands with holy words,
Then love-devouring death do what he dare,
It is enough I may but call her mine.

LE FRÈRE LAURENT.
— Ces transports violents ont des fins violentes, et meurent dans leur triomphe, comme le feu et, la poudre qui se consument dès qu’ils se baisent. Le plus doux miel est fastidieux par sa douceur même, et coupe l’appétit par sa saveur : aimez-vous donc modérément ; c’est ainsi que font les longs amours, qui marche trop vite arrive aussi tard que qui marche trop lentement. — Voici venir.la Dame. Oh certes, ce.n’est pas.uii pied aussi léger qui usera jamais la durable pierre. Un amant pourrait marcher sur les toiles d’araignée qui se balancent mollement dans l’air gai de l’été, et cependant ne pas tomber, si légère est la vanité !

FRIAR LAWRENCE.
These violent delights have violent ends,
And in their triumph die; like fire and powder,
Which as they kiss consume. The sweetest honey
Is loathsome in his own deliciousness,
And in the taste confounds the appetite.
Therefore love moderately: long love doth so;
Too swift arrives as tardy as too slow.
 
    Enter Juliet.
 
Here comes the lady. O, so light a foot
Will ne’er wear out the everlasting flint.
A lover may bestride the gossamers
That idles in the wanton summer air
And yet not fall; so light is vanity.

Entre JULIETTE.

JULIETTE.
— Bonsoir à mon pieux confesseur.

JULIET.
Good even to my ghostly confessor.

LE FRÈRE LAURENT.
— Roméo te remerciera pour nous deux, ma fille.

FRIAR LAWRENCE.
Romeo shall thank thee, daughter, for us both.

JULIETTE.
— Et je le remercierai à son tour pour nous deux, sans quoi ses remercîments ne seraient pas payés.

JULIET.
As much to him, else is his thanks too much.

ROMÉO.
— Ah ! Juliette, si ta joie doit se mesurer sur la mienne, et si tu as plus de ressources que moi pour la peindre, alors parfume de ton haleine l’air qui nous entoure, et que la riche musique de ta voix décrive l’image du bonheur que nos deux âmes reçoivent l’une par l’autre de cette chère entrevue.

ROMEO.
Ah, Juliet, if the measure of thy joy
Be heap’d like mine, and that thy skill be more
To blazon it, then sweeten with thy breath
This neighbour air, and let rich music’s tongue
Unfold the imagin’d happiness that both
Receive in either by this dear encounter.

JULIETTE.
— L’âme plus riche, en sentiments qu’en paroles., tire orgueil, de sa nature, non de vains ornements : ceux qui peuvent compter leur fortune me sont que des mendiants ; mais, mon sincère amour a grandi avec un tel excès que je ne puis compter la moitié de la somme de mes richesses.

JULIET.
Conceit more rich in matter than in words,
Brags of his substance, not of ornament.
They are but beggars that can count their worth;
But my true love is grown to such excess,
I cannot sum up sum of half my wealth.

LE FRÈRE LAURENT.
— Venez, venez avec moi et nous allons rapidement achever cette affaire ; car avec votre permission, vous ne resterez pas seuls, avant que la sainte église ait fait de vous une seule personne. (Ils sortent.)

FRIAR LAWRENCE.
Come, come with me, and we will make short work,
For, by your leaves, you shall not stay alone
Till holy church incorporate two in one.

[Exeunt.]

ACTE III.

ACT III

SCÈNE : PREMIÈRE.

SCENE I.

Une place publique.
A public Place.
Entrent MERCUTIO, BENVOLIO, UN PAGE,
et DES VALETS.

Enter Mercutio, Benvolio, Page and Servants.

BENVOLIO.
— Je t’en prie, mon bon Mercutio, retirons nous : la journée est chaude, les capulets. sont sortis d’ans la ville, et si nous les rencontrons, nous n’éviterons pas une querelle car par ces jours de canicule, le sang affolé, se met vite en mouvement.

BENVOLIO.
I pray thee, good Mercutio, let’s retire:
The day is hot, the Capulets abroad,
And if we meet, we shall not scape a brawl,
For now these hot days, is the mad blood stirring.

MERCUTIO.
— Tu ressembles à un de ces camarades qui, lorsqu’ils entrent dans une taverne, commencent par dé poser leur épée sur la table, en disant : « Dieu veuille que je n’en aie pas besoin ! » et qui, dès que la seconde rasade opère, la tirent contre le garçon, lorsqu’en effet il n’en est aucun besoin.

MERCUTIO.
Thou art like one of these fellows that, when he enters the confines of a tavern, claps me his sword upon the table, and says ‘God send me no need of thee!’ and by the operation of the second cup draws him on the drawer, when indeed there is no need.

BENVOLIO.
— Est ce que je suis un de ces hommes là ?

BENVOLIO.
Am I like such a fellow?

MERCUTIO.
— Allons, allons, tu es dans ton genre un bonhomme aussi emporté qu’il en soit en Italie, et tu es aussi facilement excité à là mauvaise humeur, que tu es facilement de mauvaise humeur d’être excité.

MERCUTIO.
Come, come, thou art as hot a Jack in thy mood as any in Italy; and as soon moved to be moody, and as soon moody to be moved.

BENVOLIO.
— Et quoi encore ?

BENVOLIO.
And what to?

MERCUTIO.
— Parbleu ! s’il y avait deux personnes telles que toi, nous n’en aurions, bien tôt. plus aucune des deux, car-elles se tueraient mutuellement. Toi ! mais parbleu, lu vas te quereller avec un homme qui a dans sa barbe un poil de plus, où un poil de moins que toi. Tu vas te quereller avec un. homme qui casse des noix, sans autre raison sinon que tu as les yeux couleur de noisette : quel autre œil, qu’un œil comme celui-là, découvrirait là un sujet de querelle ? Ta tête est aussi pleine de querelles qu’un œuf est plein de nourriture ; et cependant, à force de querelles, ta tète a été cassée comme un œuf qu’on a vidé. Tu t’es querellé avec un homme qui toussait dans la rue, parce qu’il avait réveillé ton chien qui dormait étendu au soleil. N’es-tu pas tombé sur un tailleur, parce qu’il portait son pourpoint neuf avant Pâques ? sur un autre, parte qu’il attachait ses souliers neufs avec de vieux rubans ? Et tu viens me sermonner sur le chapitre des querelles !

MERCUTIO.
Nay, an there were two such, we should have none shortly, for one would kill the other. Thou? Why, thou wilt quarrel with a man that hath a hair more or a hair less in his beard than thou hast. Thou wilt quarrel with a man for cracking nuts, having no other reason but because thou hast hazel eyes. What eye but such an eye would spy out such a quarrel? Thy head is as full of quarrels as an egg is full of meat, and yet thy head hath been beaten as addle as an egg for quarrelling. Thou hast quarrelled with a man for coughing in the street, because he hath wakened thy dog that hath lain asleep in the sun. Didst thou not fall out with a tailor for wearing his new doublet before Easter? with another for tying his new shoes with an old riband? And yet thou wilt tutor me from quarrelling!

BENVOLIO.
— Si j’étais aussi prompt à me quereller que toi, je céderais au premier venu la propriété pure et simple de ma vie pour une heure et quart d’existence.

BENVOLIO.
And I were so apt to quarrel as thou art, any man should buy the fee simple of my life for an hour and a quarter.

MERCUTIO.
— La propriété pure et simple ? ô homme simple !

MERCUTIO.
The fee simple! O simple!

Entrent TEBALDO et autres.

Enter Tybalt and others.

BENVOLIO.
— Par ma tête, voici les Capulets.

BENVOLIO.
By my head, here comes the Capulets.

MERCUTIO.
— Par mes talons, je n’en ai souci.

MERCUTIO.
By my heel, I care not.

TEBALDO.
— Suivez-moi de près, car je vais leur par1er. — Bonjour, Messires j’ai un mol à dire à l’un de vous.

TYBALT.
Follow me close, for I will speak to them.
Gentlemen, good-den: a word with one of you.

MERCUTIO. Bien qu’un mot à dire, et à un seul, de nous encore ? Ne pourriez-vous accoupler ce mot à quelque autre chose, et faire de cela un mot et une botte ?

MERCUTIO.
And but one word with one of us? Couple it with something; make it a word and a blow.

TEBALDO.
— Vous m’y trouverez facilement disposé, Messire, si vous m’en donnez occasion.

TYBALT.
You shall find me apt enough to that, sir, and you will give me occasion.

MERCUTIO.
— Ne pourriez-vous pas prendre cette occasion, sans que je vous la donne ?

MERCUTIO.
Could you not take some occasion without giving?

TEBALDO.
— Mercutio, tu t’accordes avec Roméo....

TYBALT.
Mercutio, thou consortest with Romeo.

MERCUTIO.
— Je m’accorde ! qu’est-ce à dire ? Vas-tu nous prendre pour des ménétriers ? si tu nous prends pour des ménétriers, attends-toi à ne rien entendre que des discordances voici mon archet ; voici qui vous fera danser. Qu’est-ce à dire, je m’accorde !

MERCUTIO.
Consort? What, dost thou make us minstrels? And thou make minstrels of us, look to hear nothing but discords. Here’s my fiddlestick, here’s that shall make you dance. Zounds, consort!

BENVOLIO.
— Nous parlons ici dans un lieu public et fréquenté : retirons-nous dans quelque endroit particulier, ou bien expliquez-vous froidement sur vos griefs, ou bien séparons-nous ; ici tous les yeux nous regardent.

BENVOLIO.
We talk here in the public haunt of men.
Either withdraw unto some private place,
And reason coldly of your grievances,
Or else depart; here all eyes gaze on us.

MERCUTIO.
— Les yeux des gens furent faits pour regarder, qu’ils regardent donc ; je ne bougerai pas pour faire plaisir à qui que ce soit, moi.

MERCUTIO.
Men’s eyes were made to look, and let them gaze.
I will not budge for no man’s pleasure, I.

Entre ROMÉO.

Enter Romeo.

TEBALDO.
— Bien, la paix soit avec vous, Messire ! voici venir mon homme.

TYBALT.
Well, peace be with you, sir, here comes my man.

MERCUTIO.
— Mais je veux bien être pendu, Messire, s’il porte votre livrée : parbleu, précédez-le sur le terrain, il y, sera votre suivant ; dans ce sens-là, Votre Honneur peut l’appeler son homme.

MERCUTIO.
But I’ll be hanged, sir, if he wear your livery.
Marry, go before to field, he’ll be your follower;
Your worship in that sense may call him man.

TEBALDO.
— Roméo, je t’aime tant que je ne puis te l’exprimer avec plus de modération qu’en le disant : tu es un scélérat.

TYBALT.
Romeo, the love I bear thee can afford
No better term than this: Thou art a villain.

ROMÉO.
— Tebaldo, j’ai des raisons de t’aimer qui modèrent singulièrement la colère qu’un pareil salut devrait soulever : je ne suis pas un scélérat ; adieu donc, je vois que tu ne me connais pas.

ROMEO.
Tybalt, the reason that I have to love thee
Doth much excuse the appertaining rage
To such a greeting. Villain am I none;
Therefore farewell; I see thou know’st me not.

TEBALDO.
— Bambin, cela ne peut excuser les injures que tu m’as faites ; en conséquence, retourne-toi et dégaine.

TYBALT.
Boy, this shall not excuse the injuries
That thou hast done me, therefore turn and draw.

ROMÉO.
— Je déclare que je ne t’ai jamais fait injure, et je t’aime plus que tu ne peux l’imaginer ; plus tard, tu connaîtras la raison de mon amour : ainsi, mon bon Capulet, — et ce nom je le tiens pour aussi cher que le mien propre, — tiens-toi pour satisfait.

ROMEO.
I do protest I never injur’d thee,
But love thee better than thou canst devise
Till thou shalt know the reason of my love.
And so good Capulet, which name I tender
As dearly as mine own, be satisfied.

MERCUTIO.
— calme, déshonnête, vile soumission ! Messire de l’estocade reste maître du terrain ! (Il dégaine.) Tebaldo, tueur de. rats, voulez-vous faire un tour ?

MERCUTIO.
O calm, dishonourable, vile submission!
[Draws.] Alla stoccata carries it away.
Tybalt, you rat-catcher, will you walk?

TEBALDO.
— Que yeux-tu de moi ?

TYBALT.
What wouldst thou have with me?

MERCUTIO.
— Rien qu’une de vos neuf existences, mon bon roi des chats ; voilà ce dont je prétends m’emparer, et quant aux huit autres, je me réserve, de les rosser à plate couture, selon votre conduite future à mon égard. Voulez-vous tirer votre épée de son étui par les oreilles ? Dépêchez-vous, ou bien la mienne ira caresser vos oreilles, à vous, avant que la vôtre soit sortie.

MERCUTIO.
Good King of Cats, nothing but one of your nine lives; that I mean to make bold withal, and, as you shall use me hereafter, dry-beat the rest of the eight. Will you pluck your sword out of his pilcher by the ears? Make haste, lest mine be about your ears ere it be out.

TEBALDO.
— Je suis votre homme. (Il dégaine.)

TYBALT.
[Drawing.] I am for you.

ROMÉO.
— Cher Mercutio, remets la rapière au fourreau.

ROMEO.
Gentle Mercutio, put thy rapier up.

MERCUTIO.
— Allons, Messire, vôtre passade. (Ils se battent.)

MERCUTIO.
Come, sir, your passado.

[They fight.]

ROMÉO.
— Dégaine, Benvolio- ; force-les à baisser leurs épées. Par pudeur, gentilshommes, évitez ce scandale ! — Tebaldo, — Mercutio, — le prince a expressément, défendu les rixes dans les rues de Vérone. — Arrête, Tebaldo !mon bon Mercutio.... (Sortent Tebaldo et ses partisans.)

ROMEO.
Draw, Benvolio; beat down their weapons.
Gentlemen, for shame, forbear this outrage,
Tybalt, Mercutio, the Prince expressly hath
Forbid this bandying in Verona streets.
Hold, Tybalt! Good Mercutio!

[Exeunt Tybalt with his Partizans.]

MERCUTIO.
— Je suis blessé. La peste soit de vos deux maisons ! — J’ai mon compte : — et lui, est-ce qu’il est parti, et-sans la moindre blessure ?

MERCUTIO.
I am hurt.
A plague o’ both your houses. I am sped.
Is he gone, and hath nothing?

BENVOLIO.
— Comment ! est-ce que tu es blessé ?

BENVOLIO.
What, art thou hurt?

MERCUTIO.
— Oui, oui, une égratignure, une égratignure ; mais parbleu, elle est suffisante. — Où est ; mon page ? — Va, maraud, va me chercher un chirurgien. (Sort le page.)

MERCUTIO.
Ay, ay, a scratch, a scratch. Marry, ’tis enough.
Where is my page? Go villain, fetch a surgeon.

[Exit Page.]

ROMÉO.
— Courage, ami ; la blessure ne peut être dangereuse.

ROMEO.
Courage, man; the hurt cannot be much.

MERCUTIO.
— Non, elle n’est pas aussi profonde qu’un puits, ni aussi large qu’un portail d’église ; mais c’est égal, elle suffira. Venez me demander demain, et vous trouverez en moi un homme sérieux comme un cimetière. Je, suis poivré pour ce monde-ci, je vous le déclare : — la peste soit de vos deux maisons — Mordieu, un chien, un rat, une souris, un chat, pourfendre ainsi un homme à mort ! Un fanfaron, un coquin, un drôle qui se bat avec la précision de l’arithmétique! Pourquoi diable vous êtes-vous mis entre nous deux ? j’ai été blessé sous votre bras.

MERCUTIO.
No, ’tis not so deep as a well, nor so wide as a church door, but ’tis enough, ’twill serve. Ask for me tomorrow, and you shall find me a grave man. I am peppered, I warrant, for this world. A plague o’ both your houses. Zounds, a dog, a rat, a mouse, a cat, to scratch a man to death. A braggart, a rogue, a villain, that fights by the book of arithmetic!—Why the devil came you between us? I was hurt under your arm.

ROMÉO.
— Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le mieux.

ROMEO.
I thought all for the best.

MERCUTIO.
— Aide-moi à me traîner vers quelque maison, Benvolio, ou je vais m’évanouir : la peste soit de vos deux maisons ! filles ont fait de moi pâture pour les vers : j’en tiens, et solidement encore. — Ah ! vos maisons ! (Sortent Mercutio et Benvolio.)

MERCUTIO.
Help me into some house, Benvolio,
Or I shall faint. A plague o’ both your houses.
They have made worms’ meat of me.
I have it, and soundly too. Your houses!

[Exeunt Mercutio and Benvolio.]

ROMÉO.
— Ce gentilhomme, le proche parent du prince, mon ami le plus cher, c’est pour moi qu’il a reçu cette, blessure mortelle ; ma réputation est atteinte par l’outrage de Tebaldo, Tebaldo qui depuis une heure, est mon cousin. — Ô douce Juliette, ta beauté m’a efféminé, et a émoussé en mon âme le tranchant du courage !

ROMEO.
This gentleman, the Prince’s near ally,
My very friend, hath got his mortal hurt
In my behalf; my reputation stain’d
With Tybalt’s slander,—Tybalt, that an hour
Hath been my cousin. O sweet Juliet,
Thy beauty hath made me effeminate
And in my temper soften’d valour’s steel.

Entre BENVOLIO.

Re-enter Benvolio.

BENVOLIO.
— Roméo, Roméo, le brave Mercutio est mort ! Cette âme vaillante qui tout à l’heure méprisait trop prématurément la terre, vient de s’élancer vers les. nuages.

BENVOLIO.
O Romeo, Romeo, brave Mercutio’s dead,
That gallant spirit hath aspir’d the clouds,
Which too untimely here did scorn the earth.

ROMÉO.
— La noire fatalité de cette journée s’étendra sur bien d’autres qui sont à venir : ce jour commence seulement le malheur, d’autres l’achèveront.

ROMEO.
This day’s black fate on mo days doth depend;
This but begins the woe others must end.

Rentre TEBALDO,

Re-enter Tybalt.

BENVOLIO.
— Voici le furieux Tebaldo qui revient.

BENVOLIO.
Here comes the furious Tybalt back again.

ROMÉO.
— Vivant et triomphant ! et Mercutio tué ! Remonte au ciel, prudente mansuétude ; et toi, fureur à l’œil enflammé, sois maintenant mon guide !

ROMÉO.
— À cette heure, Tebaldo, reprends le scélérat que lu m’as donné il y a un instant ; car l’âme de Mercutio est à peu de distance au-dessus de nos têtes., et attend que la tienne aille lui tenir compagnie : toi, ou moi, ou tous les deux : nous devons le rejoindre.

ROMEO.
Again in triumph, and Mercutio slain?
Away to heaven respective lenity,
And fire-ey’d fury be my conduct now!
Now, Tybalt, take the ‘villain’ back again
That late thou gav’st me, for Mercutio’s soul
Is but a little way above our heads,
Staying for thine to keep him company.
Either thou or I, or both, must go with him.

TEBALDO.
— Misérable bambin, qui étais ici-bas son camarade, c’est toi qui vas aller le rejoindre.

TYBALT.
Thou wretched boy, that didst consort him here,
Shalt with him hence.

ROMÉO.
— Voici qui en décidera. (Ils se battent ; Tebaldo tombe.)

ROMEO.
This shall determine that.

[They fight; Tybalt falls.]

BENVOLIO.
— Vite, Roméo, décampe ! les citoyens accourent, et Tebaldo est tué : — ne reste donc pas ainsi anéanti : — le prince va te condamner à mort, si lu es pris : — hors d’ici ! — fuis ! — vite, vite !

BENVOLIO.
Romeo, away, be gone!
The citizens are up, and Tybalt slain.
Stand not amaz’d. The Prince will doom thee death
If thou art taken. Hence, be gone, away!

ROMÉO.
— Oh ! je suis le plastron de la fortune !

ROMEO.
O, I am fortune’s fool!

BENVOLIO.
— Pourquoi restes-tu ? (Sort Roméo.)

BENVOLIO.
Why dost thou stay?

[Exit Romeo.]

Entrent DES CITOYENS.

Enter Citizens.

PREMIER CITOYEN.
— De quel côté s’est-il enfui, celui qui a tué Mercutio ? Tebaldo, ce meurtrier, de quel côté s’est-il enfui ?

FIRST CITIZEN.
Which way ran he that kill’d Mercutio?
Tybalt, that murderer, which way ran he?

BENVOLIO.
— Le voici là couché, ce Tebaldo.

BENVOLIO.
There lies that Tybalt.

PREMIER CITOYEN.
— Debout, Messire, venez avec moi ; je vous l’ordonne au nom du prince, obéissez.

FIRST CITIZEN.
Up, sir, go with me.
I charge thee in the Prince’s name obey.

Entrent LE PRINCE avec sa suite, MONTAIGU, CAPULET, LEURS FEMMES, et autres personnes.

Enter Prince, attended; Montague, Capulet, their Wives and others.

LE PRINCE.
— Où sont les scélérats qui ont commencé cette querelle ?

PRINCE.
Where are the vile beginners of this fray?

BENVOLIO.
— Ô noble prince, je puis exposer toutes les phases malheureuses de cette fatale querelle : voici couché, tué par le jeune Roméo, l’homme qui avait tué ton parent, le brave Mercutio.

BENVOLIO.
O noble Prince, I can discover all
The unlucky manage of this fatal brawl.
There lies the man, slain by young Romeo,
That slew thy kinsman, brave Mercutio.

MADONNA CAPULET.
— Tebaldo, mon neveu !— fils de mon frère ! prince ! neveu ! mari ! le sang de mon cher neveu a été répandu ! — Prince, si tu es juste, paye notre sang versé, en faisant couler celui de Montaigu. — Oh, neveu, neveu !

LADY CAPULET.
Tybalt, my cousin! O my brother’s child!
O Prince! O husband! O, the blood is spill’d
Of my dear kinsman! Prince, as thou art true,
For blood of ours shed blood of Montague.
O cousin, cousin.

LE PRINCE.
— Benvolio, qui a commencé cette sanglante querelle ?

PRINCE.
Benvolio, who began this bloody fray?

BENVOLIO.
— Tebaldo, ici étendu, tué par la main de Roméo. Roméo lui a parlé en bons termes, l’a supplié de réfléchir à l’insignifiance de la querelle, et lui a représenté quel serait votre haut déplaisir : tout cela exprimé d’une voix douce, avec de calmes regards, et en fléchissant humblement le genou, n’a pu amener à composition l’humeur querelleuse de Tebaldo, qui, souid à la paix, n’a eu de cesse qu’il n’eût dirigé la pointe de son épée contre la poitrine du hardi Mercutio ; celui-ci ; tout aussi chaud que lui, dirige pointe contre pointe meurtrière, et avec un courageux mépris s’efforce d’une main de repousser la froide mort, et de l’autre de la diriger contre Tebaldo dont la dextérité l’évite : Roméo crie à haute voix : « Arrêtez, amis ! séparez-vous, amis ! » et plus rapide que sa langue, son bras agile fait baisser leurs pointes, fatales, en s’interposant entre eux ; par-dessous son bras, un mauvais coup de Tebaldo va toucher la vie de l’intrépide Mercutio : Tebaldo s’est alors enfui ; mais un instant après il est revenu trouver Roméo, chez qui la soif de la vengeance venait seulement de s’éveiller, et ils ont tiré leurs épées avec la promptitude de l’éclair ; car avant que je pusse dégainer pour les séparer, le bouillant Tebaldo était déjà tué ; dès qu’il fut tombé, Roméo tourna le dos et prit la fuite : si ce n’est pas là toute la vérité, que Benvolio meure tout de suite.

BENVOLIO.
Tybalt, here slain, whom Romeo’s hand did slay;
Romeo, that spoke him fair, bid him bethink
How nice the quarrel was, and urg’d withal
Your high displeasure. All this uttered
With gentle breath, calm look, knees humbly bow’d
Could not take truce with the unruly spleen
Of Tybalt, deaf to peace, but that he tilts
With piercing steel at bold Mercutio’s breast,
Who, all as hot, turns deadly point to point,
And, with a martial scorn, with one hand beats
Cold death aside, and with the other sends
It back to Tybalt, whose dexterity
Retorts it. Romeo he cries aloud,
‘Hold, friends! Friends, part!’ and swifter than his tongue,
His agile arm beats down their fatal points,
And ’twixt them rushes; underneath whose arm
An envious thrust from Tybalt hit the life
Of stout Mercutio, and then Tybalt fled.
But by and by comes back to Romeo,
Who had but newly entertain’d revenge,
And to’t they go like lightning; for, ere I
Could draw to part them was stout Tybalt slain;
And as he fell did Romeo turn and fly.
This is the truth, or let Benvolio die.

MADONNA CAPULET.
— C’est un parent de Montaigu ; l’affection le pousse à mentir, il ne dit pas la vérité ; il y a eu vingt d’entre eux engagés dans ce sinistre combat, et il a fallu ces vingt individus pour mettre fin à une seule existence. Je demande la justice que tu dois accorder, prince ; Roméo a tué Tebaldo, il ne doit, pas être permis à Roméo de vivre,

LADY CAPULET.
He is a kinsman to the Montague.
Affection makes him false, he speaks not true.
Some twenty of them fought in this black strife,
And all those twenty could but kill one life.
I beg for justice, which thou, Prince, must give;
Romeo slew Tybalt, Romeo must not live.

LE PRINCE.
— Roméo l’a tué, et lui il avait tué Mercutio ; qui doit maintenant payer le prix de son sang précieux ?

PRINCE.
Romeo slew him, he slew Mercutio.
Who now the price of his dear blood doth owe?

MONTAIGU.
— Ce n’est pas Roméo, prince, il était l’ami de Mercutio ; sa faute consiste simplement à avoir exécuté ce que la loi aurait décidé, la mort de Tebaldo.

MONTAGUE.
Not Romeo, Prince, he was Mercutio’s friend;
His fault concludes but what the law should end,
The life of Tybalt.

LE PRINCE.
— Et pour cette offense, nous l’exilons immédiatement de cette ville, je me trouve intéressé dans les faits et : gestes de vos haines, mon sang a coulé pour vos féroces querelles ; mais je vous condamnerai à une telle amende que vous vous, repentirez tous de la perte que j’ai faite : je resterai sourd aux plaidoyers et aux excuses ; ni larmes, ni prières ne rachèteront les violations de là loi ; par conséquent, n’usez d’aucun de ces moyens que Roméo parte d’ici en toute hâte, sinon l’heure où il sera découvert sera la dernière de sa vie. Emportez ce corps d’ici, et que notre volonté soit exécutée : la clémence qui pardonne aux assassins n’est qu’une meurtrière. (Ils sortent.)

PRINCE.
And for that offence
Immediately we do exile him hence.
I have an interest in your hate’s proceeding,
My blood for your rude brawls doth lie a-bleeding.
But I’ll amerce you with so strong a fine
That you shall all repent the loss of mine.
I will be deaf to pleading and excuses;
Nor tears nor prayers shall purchase out abuses.
Therefore use none. Let Romeo hence in haste,
Else, when he is found, that hour is his last.
Bear hence this body, and attend our will.
Mercy but murders, pardoning those that kill.

[Exeunt.]

SCÈNE II.

SCENE II.

Un appartement dans la demeure de CAPULET
A Room in Capulet’s House.
Entre JULIETTE.

Enter Juliet.

JULIETTE.
— Galopez à pleine course vers le palais de Phoebus, coursiers aux pieds de flamme ; un cocher comme Phaéton vous aurait bien vite poussé, vers l’occident., et nous ramènerait immédiatement la nuit sombre. Étends tes épais rideaux, nuit, prêtresse de l’amour, afin que tout regard errant soit aveugle, et que Roméo puisse sauter dans ces bras, sans qu’on le voie et qu’on en parle. Les amants y voient assez pour accomplir leurs rites amoureux à la lumière de leur propre beauté d’ailleurs, si l’amour est aveugle, il.s’accorde d’autant mieux avec la nuit. Viens, nuit complaisante, matrone aux vêtements sévères, habillée tout de noir, et apprendsmoi comment on s’y prend pour perdre une partie engagée sur une paire de virginités immaculées : caché de ton noir manteau mon sang vierge qui s’effarouche sur mes joues, jusqu’à ce que le timide amour se soit assez enhardi pour regarder l’accomplissement du sincère amour comme un acte de simple pudeur. Viens, nuit ! viens, Roméo ! viens, toi qui seras le jour au sein de la nuit, car tu reposeras sur les ailes de la nuit plus blanc que la neige sur le dos d’un corbeau. Viens, nuit charmante ; viens., aimable nuit au front sombre, donnemoi mon. Roméo : et lorsqu’il mourra, prends-le, et coupe-le en petites étoiles, et il rendra la face du ciel si brillante, que le monde entier s’éprendra de la nuit, et ne rendra plus aucun culte au gai soleil. Oh, ! j’ai, acheté le palais d’un amour, mais je n’en ai pas encore pris possession ; et moi, bien que je sois vendue, je ne suis pas encore possédée : ce jour est pour moi aussi ennuyeusement long, qu’est longue la nuit qui précède une fête pour une impatiente enfant qui a de nouvelles robes et ne peut encore les porter. — Oh ! voici ma nourrice, elle m’apporte des nouvelles ; toute voix qui prononce seulement le. nom de Roméo parle avec une céleste éloquence.

JULIET.
Gallop apace, you fiery-footed steeds,
Towards Phoebus’ lodging. Such a waggoner
As Phaeton would whip you to the west
And bring in cloudy night immediately.
Spread thy close curtain, love-performing night,
That runaway’s eyes may wink, and Romeo
Leap to these arms, untalk’d of and unseen.
Lovers can see to do their amorous rites
By their own beauties: or, if love be blind,
It best agrees with night. Come, civil night,
Thou sober-suited matron, all in black,
And learn me how to lose a winning match,
Play’d for a pair of stainless maidenhoods.
Hood my unmann’d blood, bating in my cheeks,
With thy black mantle, till strange love, grow bold,
Think true love acted simple modesty.
Come, night, come Romeo; come, thou day in night;
For thou wilt lie upon the wings of night
Whiter than new snow upon a raven’s back.
Come gentle night, come loving black-brow’d night,
Give me my Romeo, and when I shall die,
Take him and cut him out in little stars,
And he will make the face of heaven so fine
That all the world will be in love with night,
And pay no worship to the garish sun.
O, I have bought the mansion of a love,
But not possess’d it; and though I am sold,
Not yet enjoy’d. So tedious is this day
As is the night before some festival
To an impatient child that hath new robes
And may not wear them. O, here comes my Nurse,
And she brings news, and every tongue that speaks
But Romeo’s name speaks heavenly eloquence.

Entre LA NOURRICE avec une échelle de cordes.

Enter Nurse, with cords.

JULIETTE.
— Eh bien, nourrice, quelles nouvelles ? Qu’est-ce que tu as là ? les cordes que Roméo t’avait ordonné d’aller chercher ?

Now, Nurse, what news? What hast thou there?
The cords that Romeo bid thee fetch?

LA NOURRICE.
— Oui, oui, les cordes. (Elle les jette à terre.)

NURSE.
Ay, ay, the cords.

[Throws them down.]

JULIETTE.
— Hélas de moi ! quelles nouvelles m’apportes-tu ? Qu’est-ce qui te fait tordre ainsi les mains ?

JULIET.
Ay me, what news? Why dost thou wring thy hands?

LA NOURRICE.
— Ah, malheureux jour ! il est mort, il est mort, il est mort ! Nous sommes perdues, Madame, nous sommes perdues ! — Ah, malheureux jour ! — Il est parti, il est mort, il est tué !

NURSE.
Ah, well-a-day, he’s dead, he’s dead, he’s dead!
We are undone, lady, we are undone.
Alack the day, he’s gone, he’s kill’d, he’s dead.

JULIETTE.
— Le ciel peut-il être si envieux ?

JULIET.
Can heaven be so envious?

LA NOURRICE.
— Roméo le peut, si le ciel ne le peut pas — Roméo, Roméo ! qui jamais aurait pensé pareille chose ? — Roméo !

NURSE.
Romeo can,
Though heaven cannot. O Romeo, Romeo.
Who ever would have thought it? Romeo!

JULIETTE.
— Quel diable es-tu pour me tourmenter ainsi ? La torture que tu m’infliges suffirait pour faire rugir dans l’horrible enfer lui-même ? Est-ce que Roméo s’est tué lui-même ? dis seulement, oui, et cotte simple syllabe m’empoisonnera mieux que l’œil meurtrier du basilic : je n’existe plus, si un tel oui a lieu d’exister, et s’ils sont fermés au jour ces yeux dont la nuit te fera me répondre oui. S’il est mort, dis-moi, oui ; s’il ne l’est pas, dis-moi, non : que de courtes paroles décident de mon bonheur ou dé mon malheur.

JULIET.
What devil art thou, that dost torment me thus?
This torture should be roar’d in dismal hell.
Hath Romeo slain himself? Say thou but Ay,
And that bare vowel I shall poison more
Than the death-darting eye of cockatrice.
I am not I if there be such an I;
Or those eyes shut that make thee answer Ay.
If he be slain, say Ay; or if not, No.
Brief sounds determine of my weal or woe.

LA NOURRICE.
— J’ai vu la blessure, je l’ai vue de mes yeux, — ah ! Dieu nous protége ! — là, sur sa robuste poitrine. Un cadavre à faire pitié, fin cadavre sanglant à faire pitié ; pâle, pâle comme les cendres, tout taché de sang, tout souillé de caillots de sang : — je me suis évanouie à sa vue.

NURSE.
I saw the wound, I saw it with mine eyes,
God save the mark!—here on his manly breast.
A piteous corse, a bloody piteous corse;
Pale, pale as ashes, all bedaub’d in blood,
All in gore-blood. I swounded at the sight.

JULIETTE.
— Oh, brise-toi, mon cœur ! pauvre cœur à qui la vie fait banqueroute, brise-toi ! Emprisonnez-vous, mes yeux, et ne regardez plus en liberté ! Vile terre, retourne à la terre ; cesse aujourd’hui d’être animée, et qu’une même lourde bière vous enferme, toi et Roméo !

JULIET.
O, break, my heart. Poor bankrout, break at once.
To prison, eyes; ne’er look on liberty.
Vile earth to earth resign; end motion here,
And thou and Romeo press one heavy bier.

LA NOURRICE.
— Ô Tebaldo ! Tebaldo ! le meilleur ami que j’eusse ! Ô courtois Tebaldo ! honnête gentilhomme ! faut-il que j’aie assez vécu pour te voir mort !

NURSE.
O Tybalt, Tybalt, the best friend I had.
O courteous Tybalt, honest gentleman!
That ever I should live to see thee dead.

JULIETTE.
— Quelle est cette tempête qui souffle en directions si contraires ? Roméo est-il égorgé ? Tebaldo est-il mort ? mon bien-aimé cousin, et mon Seigneur plus aimé’ encore ? En ce cas, redoutable trompette, sonne le jugement dernier ! car qui donc existe, si ces deux-là ne sont plus ?

JULIET.
What storm is this that blows so contrary?
Is Romeo slaughter’d and is Tybalt dead?
My dearest cousin, and my dearer lord?
Then dreadful trumpet sound the general doom,
For who is living, if those two are gone?

LA NOURRICE.
— Tebaldo est mort, et Roméo est banni ; Roméo qui l’a tué est banni.

NURSE.
Tybalt is gone, and Romeo banished,
Romeo that kill’d him, he is banished.

JULIETTE.
— Ô Dieu ! — est-ce que la main de Roméo a répandu le sang de Tebaldo ?

JULIET.
O God! Did Romeo’s hand shed Tybalt’s blood?

LA NOURRICE.
— Oui, oui : hélas, malheureux jour ! elle l’a répandu.

NURSE.
It did, it did; alas the day, it did.

JULIETTE.
— Ô cœur de serpent caché sous une face en fleurs ! jamais dragon habita-t-il une si belle caverne ? Beau tyran ! angélique démon ! corbeau aux plumes de colombe ! agneau à la rage de loup ! exécrable réalité sous la plus divine apparence ! exact contraire de ce que tu paraissais exactement ! saint damné ! honorable scélérat ! Ô nature, qu’avais-tu donc à démêler avec l’enfer, lorsque tu as installé une âme de démon dans le paradis mortel d’une chair si charmante ? Jamais livre contenant un texte si vil eut-il une si magnifique reliure ? Oh ! pourquoi faut-il que la fourberie habite dans un tel somptueux palais !

JULIET.
O serpent heart, hid with a flowering face!
Did ever dragon keep so fair a cave?
Beautiful tyrant, fiend angelical,
Dove-feather’d raven, wolvish-ravening lamb!
Despised substance of divinest show!
Just opposite to what thou justly seem’st,
A damned saint, an honourable villain!
O nature, what hadst thou to do in hell
When thou didst bower the spirit of a fiend
In mortal paradise of such sweet flesh?
Was ever book containing such vile matter
So fairly bound? O, that deceit should dwell
In such a gorgeous palace.

LA NOURRICE.
— Il n’y a pas de loyauté, de foi, d’honnêteté chez les hommes : tous des parjures, tous des menteurs, tous des rien du tout, tous des hypocrites. — Ah ! où est mon valet ? Donnez-moi un peu d’eau-de-vie : — ces chagrins, ces douleurs, ces malheurs me vieillissent. Que la honte tombe sur Roméo !

NURSE.
There’s no trust,
No faith, no honesty in men. All perjur’d,
All forsworn, all naught, all dissemblers.
Ah, where’s my man? Give me some aqua vitae.
These griefs, these woes, these sorrows make me old.
Shame come to Romeo.

JULIETTE.
— Puisse ta langue se couvrir d’ampoules pour le souhait que tu formes ! Il ne naquit pas pour la honte la honte serait honteuse de s’asseoir sur soit front ; car c’est un trône où l’honneur peut être couronné monarque unique de la terre entière. Ah ! quelle.bête j’étais de gronder contre lui !

JULIET.
Blister’d be thy tongue
For such a wish! He was not born to shame.
Upon his brow shame is asham’d to sit;
For ’tis a throne where honour may be crown’d
Sole monarch of the universal earth.
O, what a beast was I to chide at him!

LA NOURRICE.
— Allez-vous bien parler de celui qui a tué votre cousin ?

NURSE.
Will you speak well of him that kill’d your cousin?

JULIETTE.
— Parlerai-je mal de celui qui est mon époux ? Ah linon pauvre Seigneur, quelle langue.caressera ton nom, puisque moi, ton épouse depuis trois heures, j’ai pu le blesser ? Mais pourquoi, vilain, as-tu tué mon cousin ? Ce vilain cousin, il est vrai, aurait voulu tuer mon époux : retournez, folles larmes, retournez à la source d’où vous êtes sorties ; c’est à la douleur que vous devez offrir votre tribut liquide, et par méprise, vous l’offrez à la joie. Il vit mon époux que Tebaldo aurait voulu tuer ; il est mort, Tebaldo qui aurait voulu tuer mon époux : tout cela est heureux ; pourquoi donc est-ce-que je pleure alors ? Il y a eu un mot, pire que la mort de Tebaldo, qui m’a poignardé : oh, que je voudrais l’oublier ! Mais, hélas ! il pèse sur ma mémoire d’un poids aussi lourd qu’un crime damnable sur.la conscience d’un pécheur : « Tebaldo est mort, et Roméo est banni ;» ce mot banni, ce seul mot, banni, équivaut à la mort de dix mille Tebaldos. La mort, de Tebaldo était un assez grand malheur, la fatalité pouvait s’arrêter là : ou bien, si l’âpre malheur aime à marcher en compagnie, et veut absolument être associé à d’autres chagrins, pourquoi, lorsqu’elle a eu dit : Tebaldo est mort, n’a-t-elle pas fait suivre cette nouvelle de celle autre : ton père est mort, ou ta mère est morte, ou tous les deux sont.morts ? cela m’eût arraché les gémissements ordinaires. Mais cette nouvelle qui est venue à l’arrière garde de la mort de Tebaldo : Romeo est banni ! Oh ! dans ce seul mot, père, mère, Tebaldo, Roméo, Juliette, tous disparaissent ; par ce seul mot, tous sont égorgés ! Roméo est banni ! il n’y a pas de fin, de limites, de mesure, de bornes dans la puissance de mort de ce mot : il n’y a pas de mots capables de rendre le son de ce malheur. — Où sont mon père et ma mère, nourrice ?

JULIET.
Shall I speak ill of him that is my husband?
Ah, poor my lord, what tongue shall smooth thy name,
When I thy three-hours’ wife have mangled it?
But wherefore, villain, didst thou kill my cousin?
That villain cousin would have kill’d my husband.
Back, foolish tears, back to your native spring,
Your tributary drops belong to woe,
Which you mistaking offer up to joy.
My husband lives, that Tybalt would have slain,
And Tybalt’s dead, that would have slain my husband.
All this is comfort; wherefore weep I then?
Some word there was, worser than Tybalt’s death,
That murder’d me. I would forget it fain,
But O, it presses to my memory
Like damned guilty deeds to sinners’ minds.
Tybalt is dead, and Romeo banished.
That ‘banished,’ that one word ‘banished,’
Hath slain ten thousand Tybalts. Tybalt’s death
Was woe enough, if it had ended there.
Or if sour woe delights in fellowship,
And needly will be rank’d with other griefs,
Why follow’d not, when she said Tybalt’s dead,
Thy father or thy mother, nay or both,
Which modern lamentation might have mov’d?
But with a rear-ward following Tybalt’s death,
‘Romeo is banished’—to speak that word
Is father, mother, Tybalt, Romeo, Juliet,
All slain, all dead. Romeo is banished,
There is no end, no limit, measure, bound,
In that word’s death, no words can that woe sound.
Where is my father and my mother, Nurse?

LA NOURRICE.
— Pleurant et sanglotant sur le cadavre de Tebaldo : voulez-vous venir les trouver ? je vais vous conduire près d'eux.

NURSE.
Weeping and wailing over Tybalt’s corse.
Will you go to them? I will bring you thither.

JULIETTE.
— Qu’ils lavent ses blessures de leurs larmes ; quand leurs yeux seront secs, mes larmes seront aussi épuisées, mais c’est pour le bannissement de Roméo que je les aurai versées. Enlevé ces cordes : — pauvres cordés, vous êtes trempées ; nous sommes trompées, vous et moi, car Roméo est exilé : il vous avait prises comme une route pour monter à mon lit ; mais moi, vierge, je meurs vierge veuve. Venez, cordes ; viens, nourrice ; je vais à mon lit nuptial ; que la mort, et non Roméo, prenne ma virginité !

JULIET.
Wash they his wounds with tears. Mine shall be spent,
When theirs are dry, for Romeo’s banishment.
Take up those cords. Poor ropes, you are beguil’d,
Both you and I; for Romeo is exil’d.
He made you for a highway to my bed,
But I, a maid, die maiden-widowed.
Come cords, come Nurse, I’ll to my wedding bed,
And death, not Romeo, take my maidenhead.

LA NOURRICE.
— Allez dans votre chambre : je vais aller chercher Roméo pour quai vous console ; je sais parfaitement où il est. Écoutez-moi, votre Roméo sera ici cette nuit : je vais aller le trouver ; il est caché dans la cellule de frère Laurent.

NURSE.
Hie to your chamber. I’ll find Romeo
To comfort you. I wot well where he is.
Hark ye, your Romeo will be here at night.
I’ll to him, he is hid at Lawrence’ cell.

JULIETTE.
— Oh, trouve-le ! donne cet anneau à mon fidèle chevalier, et recommande-lui de venir prendre son dernier adieu. (Elles sortent.)

JULIET.
O find him, give this ring to my true knight,
And bid him come to take his last farewell.

[Exeunt.]

SCÈNE III.

SCENE III.

La cellule du FRÈRE LAURENT
Friar Lawrence’s cell.
Entre LE FRÈRE LAURENT.

Enter Friar Lawrence.

LE FRÈRE LAURENT.
— Sors, Roméo viens ici, malheureux la douleur s’est éprise, de tes perfections, et tu es marié à la calamité.

FRIAR LAWRENCE.
Romeo, come forth; come forth, thou fearful man.
Affliction is enanmour’d of thy parts
And thou art wedded to calamity.

Entre ROMÉO.

Enter Romeo.

ROMÉO.
— Père, quelles nouvelles ? quelle est la sentence du prince ? quelle douleur qui m’est encore inconnue demande à faire ma connaissance ?

ROMEO.
Father, what news? What is the Prince’s doom?
What sorrow craves acquaintance at my hand,
That I yet know not?

LE FRÈRE LAURENT.
— Ces tristes visites-là ne sont que trop familières à mon cher fils. Je t’apporte les nouvelles de la sentence du prince.

FRIAR LAWRENCE.
Too familiar
Is my dear son with such sour company.
I bring thee tidings of the Prince’s doom.

ROMÉO.
— La sentence du prince équivaut à la sentence de mort, n’est-ce pas ?

ROMEO.
What less than doomsday is the Prince’s doom?

LE FRÈRE LAURENT.
— Ses lèvres ont laissé tomber une plus douce sentence ; ce n’est pas la mort, du corps, mais le bannissement du corps.

FRIAR LAWRENCE.
A gentler judgment vanish’d from his lips,
Not body’s death, but body’s banishment.

ROMÉO.
— Ah ! le bannissement ? Sois clément, dis la mort ; car l’exil est pour moi bien plus terrible à contempler que la mort : ne dis pas le bannissement.

ROMEO.
Ha, banishment? Be merciful, say death;
For exile hath more terror in his look,
Much more than death. Do not say banishment.

LE FRÈRE LAURENT.
— Tu es banni d’ici, de Vérone : prends patience, le monde est vaste et grand.

FRIAR LAWRENCE.
Hence from Verona art thou banished.
Be patient, for the world is broad and wide.

ROMÉO.
— En dehors des murs de Vérone, le monde n’existe pas ; il n’existe que le purgatoire, la torture, l’enfer lui-même. Être exilé d’ici, c’est être exilé du monde, et l’exil du monde s’appellera mort : le bannissement est donc la mort mal nommée : en appelant la mort bannissement, tu coupes nia tête avec une. hache d’or, et tu souris au coup qui m’assassine.

ROMEO.
There is no world without Verona walls,
But purgatory, torture, hell itself.
Hence banished is banish’d from the world,
And world’s exile is death. Then banished
Is death misterm’d. Calling death banished,
Thou cutt’st my head off with a golden axe,
And smilest upon the stroke that murders me.

LE FRÈRE LAURENT.
— Ô péché mortel ! Ô grossière ingratitude ! nos lois appellent la mort sur ta faute ; mais le bon prince, prenant ton parti, a fait rebrousser chemin à la loi, et changé en exil la mort au nom sinistre : c’est clémence affectueuse, et tu ne le vois pas,

FRIAR LAWRENCE.
O deadly sin, O rude unthankfulness!
Thy fault our law calls death, but the kind Prince,
Taking thy part, hath brush’d aside the law,
And turn’d that black word death to banishment.
This is dear mercy, and thou see’st it not.

ROMÉO.
— C’est torture, et non clémence : le ciel est ici où vit Juliette : le moindre chat, le moindre chien, la plus petite souris, l’être le plus insignifiant, vivent ici dans le ciel, puisqu’ils peuvent la contempler ; mais Roméo ne le peut pas. — Les mouches immondes jouissent de ; plus de biens réels, d’un, sort plus heureux, de plus de privilèges, que Roméo ; elles peuvent se poser sur ce miracle de blancheur, la main de ma chère Juliette, elles peuvent dérober un immortel bonheur à ses lèvres qui, dans leur pudeur virginale et pure, conservent une perpétuelle rougeur, comme si elles croyaient que leurs propres baisers sont péché : voilà les trésors vers lesquels peuvent voler les mouches, et dont il faut que je m'envole (a) ; ce qu’elles font, Roméo ne peut le faire ; il est banni. Et tu me dis encore que l’exil n’est pas la mort ? N’avais-tu pour me tuer aucune potion empoisonnée, aucun couteau bien affilé, aucun genre de mort soudaine, aussi bas fût-il, au lieu de ce mot banni ! Banni ? frère, les damnés se servent de ce mot en enfer, les hurlements l’accompagnent : comment as-tu le cœur, étant un prêtre. Un pieux confesseur, un, homme qui absout les péchés, et mon ami déclaré, de m’égorger avec ce mot banni ?

ROMEO.
’Tis torture, and not mercy. Heaven is here
Where Juliet lives, and every cat and dog,
And little mouse, every unworthy thing,
Live here in heaven and may look on her,
But Romeo may not. More validity,
More honourable state, more courtship lives
In carrion flies than Romeo. They may seize
On the white wonder of dear Juliet’s hand,
And steal immortal blessing from her lips,
Who, even in pure and vestal modesty
Still blush, as thinking their own kisses sin.
But Romeo may not, he is banished.
This may flies do, when I from this must fly.
They are free men but I am banished.
And say’st thou yet that exile is not death?
Hadst thou no poison mix’d, no sharp-ground knife,
No sudden mean of death, though ne’er so mean,
But banished to kill me? Banished?
O Friar, the damned use that word in hell.
Howlings attends it. How hast thou the heart,
Being a divine, a ghostly confessor,
A sin-absolver, and my friend profess’d,
To mangle me with that word banished?

LE FRÈRE LAURENT.
— Jeune fou passionné, écoute-moi un instant.

FRIAR LAWRENCE.
Thou fond mad man, hear me speak a little,

ROMÉO.
— Oh ! tu vas me parler encore de bannissement.

ROMEO.
O, thou wilt speak again of banishment.

LE FRÈRE LAURENT.
— Je te donnerai une armure pour te garder contre ce mot ; la philosophie, doux lait de l’adversité, te consolera, quoique banni.

FRIAR LAWRENCE.
I’ll give thee armour to keep off that word,
Adversity’s sweet milk, philosophy,
To comfort thee, though thou art banished.

ROMÉO.
— Encore ce banni ! — Arrière la philosophie ! A moins que la philosophie ne puisse faire une Juliette, changer de place une ville, casser le jugement d’un prince, elle ne m’est d’aucun secours, d’aucune, utilité ; ne m’enparle pas davantage.

ROMEO.
Yet banished? Hang up philosophy.
Unless philosophy can make a Juliet,
Displant a town, reverse a Prince’s doom,
It helps not, it prevails not, talk no more.

LE FRÈRE LAURENT.
— Oh ! je vois bien maintenant que les fous n’ont pas d’oreilles.

FRIAR LAWRENCE.
O, then I see that mad men have no ears.

ROMÉO.
— Comment en auraient-ils, lorsque les sages n’ont pas d’yeux ?

ROMEO.
How should they, when that wise men have no eyes?

LE FRÈRE LAURENT.
— Laissé-moi discuter avec toi ta situation.

FRIAR LAWRENCE.
Let me dispute with thee of thy estate.

ROMÉO.
— Tu ne peux parler de ce que tu ne sens pas : si tu étais jeune comme moi, si Juliette était ta bienaimée, si tu n’étais marié que depuis une heure, si Tebaldo avait été tué par toi, si tu étais éperdu, d’amour. comme moi, et si tu étais : banni comme moi, alors tu pourrais parler, alors tu pourrais arracher tes cheveux, et tomber à terre, comme je le fais en ce moment, pour y prendre la mesure d’une fosse non encore, creusée. (On frappe a là porte.)

ROMEO.
Thou canst not speak of that thou dost not feel.
Wert thou as young as I, Juliet thy love,
An hour but married, Tybalt murdered,
Doting like me, and like me banished,
Then mightst thou speak, then mightst thou tear thy hair,
And fall upon the ground as I do now,
Taking the measure of an unmade grave.

[Knocking within.]

LE FRÈRE LAURENT.
— Leve-toi, on frappe ; mon bon Roméo, cache-toi.

FRIAR LAWRENCE.
Arise; one knocks. Good Romeo, hide thyself.

ROMÉO.
— Moi, non, à moins que la vapeur des sanglots de mon cœur malade, m’enveloppant comme un nuage, ne me dérobe à la recherche des yeux. (On frappe de nouveau.)

ROMEO.
Not I, unless the breath of heartsick groans
Mist-like infold me from the search of eyes.

[Knocking.]


LE FRÈRE LAURENT.
— Écoute comme on frappe !-Qui est là ? — Lève-toi, Roméo ; tu vas te faire prendre. — Attendez un instant ! — Relève-toi (on frappe encore) ; cours à mon cabinet d’étude. — Tout à l’heure. — Volonté de Dieu ! quel entêtement est-ce là ! — J’y vais, j’y vais ! (On frappe encore.) Qui donc frappe si fort ? d’où venez-vous ? que voulez-vous ?

FRIAR LAWRENCE.
Hark, how they knock!—Who’s there?—Romeo, arise,
Thou wilt be taken.—Stay awhile.—Stand up.

[Knocking.]

Run to my study.—By-and-by.—God’s will,
What simpleness is this.—I come, I come.

[Knocking.]

Who knocks so hard? Whence come you, what’s your will?

LA NOURRICE, du dehors.
— Laissez-moi entrer, et vous connaîtrez l’objet de mon message ; je viens de la part de Madame Juliette.

NURSE.
[Within.] Let me come in, and you shall know my errand.
I come from Lady Juliet.

LE FRÈRE LAURENT.
— En ce cas, soyez la bienvenue.

FRIAR LAWRENCE.
Welcome then.

Entre LA NOURRICE.

Enter Nurse.

LA NOURRICE.
— révérend frère, oh ! dites moi, révérend frère, où est le Seigneur de Madame, où est Roméo ?

NURSE.
O holy Friar, O, tell me, holy Friar,
Where is my lady’s lord, where’s Romeo?

LE FRÈRE LAURENT.
— Ici à terre, ivrede ses propres larmes.

FRIAR LAWRENCE.
There on the ground, with his own tears made drunk.

LA NOURRICE.
— C’est juste le cas de ma maîtresse, juste son cas !

LE FRÈRE LAURENT.
— Ô lamentable, sympathie ! douloureuse conformité de situation !

LA NOURRICE.
— C’est justement comme ça qu’elle est couchée, sanglotant et pleurant, pleurant et sanglotant. Relevez-vous, relevez-vous ; relevez-vous, si vous êtes un homme : au nom de Juliette, par amour pour elle, relevez-vous, et tenez-vous droit ; pourquoi vous laisser tomber dans un si grand désespoir?

NURSE.
O, he is even in my mistress’ case.
Just in her case! O woeful sympathy!
Piteous predicament. Even so lies she,
Blubbering and weeping, weeping and blubbering.
Stand up, stand up; stand, and you be a man.
For Juliet’s sake, for her sake, rise and stand.
Why should you fall into so deep an O?

ROMÉO.
— Nourrice !

ROMEO.
Nurse.

LA NOURRICE.
— Ah, Messire ! ah, Messire ! — Bon, la mort est la fin de tout.

NURSE.
Ah sir, ah sir, death’s the end of all.

ROMÉO.
— Parlais-tu de Juliette ? Comment prend-elle les choses ? Ne me regarde-t-elle pas comme un vieux meurtrier, maintenant que j’ai souillé l’enfance de notre amour d’un sang si proche du sien ? Où est-elle ? que faitelle ? que dit celle qui est mon épouse secrète en face de notre amour brisé ?

ROMEO.
Spakest thou of Juliet? How is it with her?
Doth not she think me an old murderer,
Now I have stain’d the childhood of our joy
With blood remov’d but little from her own?
Where is she? And how doth she? And what says
My conceal’d lady to our cancell’d love?

LA NOURRICE.
— Ô Messire, elle ne dit lien, mais elle pleure et pleure ; puis elle tombe sur son lit, .puis elle se relève en sur saut, et appelle Tebaldo ; puis elle crie après Roméo, et elle retombe encore.

NURSE.
O, she says nothing, sir, but weeps and weeps;
And now falls on her bed, and then starts up,
And Tybalt calls, and then on Romeo cries,
And then down falls again.

ROMÉO.
— Tout comme si ce nom pareil à une balle lancée, par le canon mortel d’un fusil l’assassinait, de même que la main maudite de celui.qui porte ce nom assassiné son parent.—Oh ! dis-moi, frère, dis-moi, dans quelle vile partie de cette charpente corporelle mon nom loge-t-il ? dis-le-moi, afin que je puisse saccager cet odieux palais de mon être. (Il tire son épée.)

ROMEO.
As if that name,
Shot from the deadly level of a gun,
Did murder her, as that name’s cursed hand
Murder’d her kinsman. O, tell me, Friar, tell me,
In what vile part of this anatomy
Doth my name lodge? Tell me, that I may sack
The hateful mansion.

[Drawing his sword.]

LE FRÈRE LAURENT.
— Retiens ta main désespérée : es-tu un homme ? Ton aspect crie que tu en es un ; mais tes larmes sont d’une femme, et tes actes insensés dénotent la déraisonnable fureur d’une bête. Ô femme déguisée sous l’apparence d’un homme ! ou, pour mieux dire, bête féroce sous l’apparence humaine ! Tu m’as épouvanté : par mon saint ordre, j’aurais cru que. ton âme était mieux équilibrée. Après avoir tué Tebaldo, vas-tu te tuer toi même ? vas-tu tuer, aussi cette Dame qui vit de ta vie, en commettant contre toi-même un acte damné de haine ? Pourquoi maudis-tu ta naissance, le ciel, et la terre ? naissance, terre, et ciel, se rencontrent en toi tous les trois, et tu voudrais les perdre tous trois à la fois. Fi, fi ! tu outrages ta beauté, ton amour, ton esprit ; ces biens abondent en toi, et, semblable à un usurier, tu détournes chacun d’eux du légitime usage qui pourrait le mieux orner ta beauté, ton amour, ton esprit. Ta noble forme n’est qu’une image de cire puisqu’elle fait divorce d’avec la force morale de l’homme : ton cher amour que tu as juré n’est qu’un creux parjure, puisqu’il veut tuer cette bien-aimée que tu as fait vœu de chérir : ton esprit, cet ornement de la beauté et de l’amour, dénaturé par la conduite des deux autres, pareil à la poudre contenue dans la giberne d’un soldat inexpérimenté, est enflammé par ta propre ignorance, et tu te mutiles avec tes propres moyens de défense. Allons, relève-toi, jeune homme ! elle vit, cette Juliette, pour l’amour de laquelle tu étais comme mort il y a peu de temps ; en bien, tu es heureux de ce côté-là. Tebaldo voulait te tuer, c’est toi qui as tué Tebaldo ; tu es encore heureux par là. La loi qui te menaçait de mort, s’est montrée ton amie, et a changé la mort en exil ; tu es encore heureux en cela. Il té pleut sur la tête une averse de bénédictions ; le bonheur té fait la cour dans son plus bel accoutrement ; mais, pareil à une fillette malapprise et boudeuse, tu fais la moue à ta fortune et à ton amour. Prends garde, prends garde, car les hommes qui agissent ainsi meurent misérables. Va, rends-toi auprès de ta bien-aimée, comme cela avait été décidé, monte dans sa. chambre, va la consoler ; mais fais attention à ne pas rester jusqu’à l’heure où l’on apposte la garde, car alors lu ne pourrais pas sortir pour aller à Mantoue, où tu dois vivre, jusqu’à ce que nous trouvions une occasion de révéler votre mariage, de réconcilier vos parents, d’implorer le pardon du prince, et de te rappeler deux millions de fois plus heureux que tu ne seras parti malheureux. — Marche devant, nourrice : porte mes saluts à ta maîtresse, et recommande-lui d’envoyer de. bonne heure tout son monde au lit, chose à laquelle le lourd chagrin ne les dispose que trop : Roméo va se rendre à votre logis.

FRIAR LAWRENCE.
Hold thy desperate hand.
Art thou a man? Thy form cries out thou art.
Thy tears are womanish, thy wild acts denote
The unreasonable fury of a beast.
Unseemly woman in a seeming man,
And ill-beseeming beast in seeming both!
Thou hast amaz’d me. By my holy order,
I thought thy disposition better temper’d.
Hast thou slain Tybalt? Wilt thou slay thyself?
And slay thy lady, that in thy life lives,
By doing damned hate upon thyself?
Why rail’st thou on thy birth, the heaven and earth?
Since birth, and heaven and earth, all three do meet
In thee at once; which thou at once wouldst lose.
Fie, fie, thou sham’st thy shape, thy love, thy wit,
Which, like a usurer, abound’st in all,
And usest none in that true use indeed
Which should bedeck thy shape, thy love, thy wit.
Thy noble shape is but a form of wax,
Digressing from the valour of a man;
Thy dear love sworn but hollow perjury,
Killing that love which thou hast vow’d to cherish;
Thy wit, that ornament to shape and love,
Misshapen in the conduct of them both,
Like powder in a skilless soldier’s flask,
Is set afire by thine own ignorance,
And thou dismember’d with thine own defence.
What, rouse thee, man. Thy Juliet is alive,
For whose dear sake thou wast but lately dead.
There art thou happy. Tybalt would kill thee,
But thou slew’st Tybalt; there art thou happy.
The law that threaten’d death becomes thy friend,
And turns it to exile; there art thou happy.
A pack of blessings light upon thy back;
Happiness courts thee in her best array;
But like a misshaped and sullen wench,
Thou putt’st up thy Fortune and thy love.
Take heed, take heed, for such die miserable.
Go, get thee to thy love as was decreed,
Ascend her chamber, hence and comfort her.
But look thou stay not till the watch be set,
For then thou canst not pass to Mantua;
Where thou shalt live till we can find a time
To blaze your marriage, reconcile your friends,
Beg pardon of the Prince, and call thee back
With twenty hundred thousand times more joy
Than thou went’st forth in lamentation.
Go before, Nurse. Commend me to thy lady,
And bid her hasten all the house to bed,
Which heavy sorrow makes them apt unto.
Romeo is coming.

LA NOURRICE.
— Ô Seigneur, j’aurais pu passer toute la nuit à écouter ces bons conseils : oh, quelle chose c’est que l’instruction ! — Monseigneur, je vais dire à Madame que vous viendrez.

NURSE.
O Lord, I could have stay’d here all the night
To hear good counsel. O, what learning is!
My lord, I’ll tell my lady you will come.

ROMÉO.
— Fais, et recommande à ma chérie de se préparer à me gronder.

ROMEO.
Do so, and bid my sweet prepare to chide.

LA NOURRICE.
— Voici, Messire, un anneau qu’elle m’a recommandé de vous donner, Messire. Dépêchez-vous, faites hâte, car il commence à se faire vraiment tard. (Sort la nourrice.)

NURSE.
Here sir, a ring she bid me give you, sir.
Hie you, make haste, for it grows very late.

[Exit.]

ROMÉO.
— Comme mon courage vient d’être ranimé par ce don !

ROMEO.
How well my comfort is reviv’d by this.

LE FRÈRE LAURENT.
— Pars, bonne nuit, et songe aux conditions d’où dépend tout votre bonheur ; — ou bien sauve-toi avant que la garde prenne ses postes, ou bien pars d’ici déguisé avec le point du jour : réside à Mantoue ; je saurai dénicher ton domestique ; et, de temps à autre, il te portera avis de chaque incident heureux qui vous adviendra ici. Donne-moi ta main, il se fait tard : adieu ; lionne nuit.

FRIAR LAWRENCE.
Go hence, good night, and here stands all your state:
Either be gone before the watch be set,
Or by the break of day disguis’d from hence.
Sojourn in Mantua. I’ll find out your man,
And he shall signify from time to time
Every good hap to you that chances here.
Give me thy hand; ’tis late; farewell; good night.

ROMÉO.
— Si une joie sans égale ne m’appelait pas, ce me serait une douleur de me séparer si brusquement de toi. Adieu. (Ils sortent.)

ROMEO.
But that a joy past joy calls out on me,
It were a grief so brief to part with thee.
Farewell.

[Exeunt.]

SCÈNE IV.

SCENE IV.

Un appartement dans la maison de CAPULET.
A Room in Capulet’s House.
Entrent CAPULET, MADONNA CAPULET et PARIS.

Enter Capulet, Lady Capulet and Paris.

CAPULET.
— Les choses ont tourné si malheureusement, Messire, que nous n’avons pas eu un instant pour presser notre fille. Voyez-vous, elle aimait tendrement son cousin Tebaldo, et ainsi faisais-je ; — bon, nous sommes nés pour mourir. — Il est très-tard, elle ne descendra pas ce soir. Je vous promets que sans votre compagnie, il y a une heure que je serais au lit.

CAPULET.
Things have fallen out, sir, so unluckily
That we have had no time to move our daughter.
Look you, she lov’d her kinsman Tybalt dearly,
And so did I. Well, we were born to die.
’Tis very late; she’ll not come down tonight.
I promise you, but for your company,
I would have been abed an hour ago.

PARIS.
— Les jours où le malheur nous visite ne sont pas ceux des visites d’amour. Bonne nuit, Madame, recommandez-moi à votre fille.

PARIS.
These times of woe afford no tune to woo.
Madam, good night. Commend me to your daughter.

MADONNA CAPULET.
— Je le ferai et demain, de bonne heure, je connaîtrai ses dispositions ; ce soir elle est enfermée avec son chagrin.

LADY CAPULET.
I will, and know her mind early tomorrow;
Tonight she’s mew’d up to her heaviness.

CAPULET.
— Messire Paris je vous réponds, hardiment de l’amour de ma fille. Je crois qu’elle se laissera-à tous égards diriger-par moi ; bien mieux, je n’en doute pas. Femme, allez la voir avant de vous mettre au lit. Informez-la de l’amour de mon fils Paris, et avertissez-la, vous me comprenez bien, que mercredi prochain.... mais doucement ! quel jour sommes-nous ?

CAPULET.
Sir Paris, I will make a desperate tender
Of my child’s love. I think she will be rul’d
In all respects by me; nay more, I doubt it not.
Wife, go you to her ere you go to bed,
Acquaint her here of my son Paris’ love,
And bid her, mark you me, on Wednesday next,
But, soft, what day is this?

PARIS.
— Lundi, Monseigneur.

PARIS.
Monday, my lord.

CAPULET.
— Lundi ! Ah, ah ! bon, mercredi est trop proche, ce sera pour jeudi ; jeudi donc, dites-lui qu’elle sera mariée à ce noble comte. Serez-vous prêt ? cette promptitude vous convient-elle ? Nous ne ferons pas grande fêle ; un ami ou deux : — car, voyez-vous, Tebaldo ayant été tué si récemment, on penserait que nous tenions peu à lui, tout notre parent qu’il était, si nous faisions trop d’étalage : par conséquent, nous aurons une demidouzaine d’amis, et voilà tout. Mais que dites-vous de jeudi ?

CAPULET.
Monday! Ha, ha! Well, Wednesday is too soon,
A Thursday let it be; a Thursday, tell her,
She shall be married to this noble earl.
Will you be ready? Do you like this haste?
We’ll keep no great ado,—a friend or two,
For, hark you, Tybalt being slain so late,
It may be thought we held him carelessly,
Being our kinsman, if we revel much.
Therefore we’ll have some half a dozen friends,
And there an end. But what say you to Thursday?

PARIS.
— Monseigneur, je voudrais que jeudi fût demain.

PARIS.
My lord, I would that Thursday were tomorrow.

CAPULET.
— Bon, je vous congédie : — ce sera pour jeudi alors. — Vous, allez trouver Juliette avant de vous mettre au lit ; préparez-la à ce jour de mariage, femme. Adieu, Monseigneur. De la lumière dans ma’ chambre, holà ! Par ma foi, il est tellement lard que nous pouvons dire qu’il est de bon matin : — bonne nuit. (Ils sortent.)

CAPULET.
Well, get you gone. A Thursday be it then.
Go you to Juliet ere you go to bed,
Prepare her, wife, against this wedding day.
Farewell, my lord.—Light to my chamber, ho!
Afore me, it is so very very late that we
May call it early by and by. Good night.

[Exeunt.]

SCÈNE V.

SCENE V.

La chambre de JULIETTE.
An open Gallery to Juliet’s Chamber, overlooking the Garden.
Entrent ROMÉO et JULIETTE.

Enter Romeo and Juliet.

JULIETTE.
— Veux-tu donc partir ? le jour est loin encore : c’était le rossignol, et non l’alouette, dont le chant a percé ton oreille craintive ; il chante la nuit sur ce grenadier là-bas : crois-moi, mon amour, c’était le rossignol.

JULIET.
Wilt thou be gone? It is not yet near day.
It was the nightingale, and not the lark,
That pierc’d the fearful hollow of thine ear;
Nightly she sings on yond pomegranate tree.
Believe me, love, it was the nightingale.

ROMÉO.
— C’était l’alouette, le héraut du matin, et non le rossignol : regarde, bien-aimée, ces jalouses bandes de lumière qui dans le ciel d’orient enlacent les nuages qui voudraient se séparer : les flambeaux de la nuit sont consumés, et le jour joyeux pose la pointe de-son pied sur la crête des montagnes-brumeuses. Il me faut partir et vivre, ou rester et mourir.

ROMEO.
It was the lark, the herald of the morn,
No nightingale. Look, love, what envious streaks
Do lace the severing clouds in yonder east.
Night’s candles are burnt out, and jocund day
Stands tiptoe on the misty mountain tops.
I must be gone and live, or stay and die.

JULIETTE.
— Cette lumière là-bas n’est pas la lumière du jour, je le sais bien, moi : c’est quelque météore que le soleil exhale pour te servir cette nuit de torche, et t’éclairer pendant ta route vers Mantoue : reste donc encore, tu n’as pas besoin de partir.

JULIET.
Yond light is not daylight, I know it, I.
It is some meteor that the sun exhales
To be to thee this night a torchbearer
And light thee on thy way to Mantua.
Therefore stay yet, thou need’st not to be gone.

ROMÉO.
— Que je sois pris, que je sois mis à mori, j’en suis heureux, si tu le yeux ainsi. Je dirai volontiers que cette lueur grise là-bas n’est pas l’œil du matin, mais’ lé pâle reflet du front de Cynthia ; je dirai que ce n’est pas l’alouette dont, les notes élevées frappent la voûte du ciel, si haut au-dessus de nos têtes : j’ai plus désir, de rester que je n’ai envie de partir. Viens, mort, et sois la bienvenue ! Juliette le veut ainsi. — Qu’en dis-tu, mon âme ? causons, il n’est pas encore jour.

ROMEO.
Let me be ta’en, let me be put to death,
I am content, so thou wilt have it so.
I’ll say yon grey is not the morning’s eye,
’Tis but the pale reflex of Cynthia’s brow.
Nor that is not the lark whose notes do beat
The vaulty heaven so high above our heads.
I have more care to stay than will to go.
Come, death, and welcome. Juliet wills it so.
How is’t, my soul? Let’s talk. It is not day.

JULIETTE.
— C’est le jour, c’est le jour ; pars, fuis d’ici., vile, vite ! C’est l’alouette qui chante ainsi hors de ton des mélodies âprement discordantes et des notes suraiguës. Il y a des gens qui disent que l’alouette fait de beaux accords ; cela n’est pas, puisqu’elle nous sépare : d’autres disent que l’alouette et l’odieux crapaud échangent leurs yeux; oh ! que je voudrais qu’ils eussent aussi échangé leurs voix, puisque cette voix nous arrache avec frayeur aux bras l’un de l’autre, et te chasse d’ici par ses fanfares en l’honneur du jour. Oh ! pars maintenant, la lumière croît de plus en plus.

JULIET.
It is, it is! Hie hence, be gone, away.
It is the lark that sings so out of tune,
Straining harsh discords and unpleasing sharps.
Some say the lark makes sweet division;
This doth not so, for she divideth us.
Some say the lark and loathed toad change eyes.
O, now I would they had chang’d voices too,
Since arm from arm that voice doth us affray,
Hunting thee hence with hunt’s-up to the day.
O now be gone, more light and light it grows.

ROMÉO.
— Plus grandit la lumière, plus s’augmentent les ténèbres de nos malheurs !

ROMEO.
More light and light, more dark and dark our woes.

Entre LA NOURRICE.

Enter Nurse.

LA NOURRICE.
— Madame !

NURSE.
Madam.

JULIETTE.
— Nourrice ?

JULIET.
Nurse?

LA NOURRICE.
— Madame votre mère se rend à votre chambre : le jour s’est levé ; soyez prudente, faites attention. (Elle sort.)

NURSE.
Your lady mother is coming to your chamber.
The day is broke, be wary, look about.

[Exit.]

JULIETTE.
— Alors, fenêtre, laisse entrer, le jour, et laisse sortir ma vie.

JULIET.
Then, window, let day in, and let life out.

ROMÉO.
— Adieu, adieu ! Un baiser, et je descends. (Il descend.)

ROMEO.
Farewell, farewell, one kiss, and I’ll descend.

[Descends.]

JULIETTE.
— Es-tu donc parti ainsi ? mon Seigneur ! mon amour ! mon époux ! mon ami ! Il faut que tu me fasses savoir de tes nouvelles, chaque jour, à toutes les heures, car dans une minute il y a bien des jours : oh ! à ce compte, comme je serai vieille avant de revoir mon Roméo !

JULIET.
Art thou gone so? Love, lord, ay husband, friend,
I must hear from thee every day in the hour,
For in a minute there are many days.
O, by this count I shall be much in years
Ere I again behold my Romeo.

ROMÉO.
— Adieu ! je ne laisserai échapper aucune occasion qui pourra te porter mes saluts, ma bien-aimée

ROMEO.
Farewell!
I will omit no opportunity
That may convey my greetings, love, to thee.

JULIETTE.
— Oh ! penses-tu que nous nous revoyons jamais ?

JULIET.
O thinkest thou we shall ever meet again?

ROMÉO.
— Je n’en doute pas, et tous ces malheurs serviront de thèmes à de douces conversations dans nos jours à venir.

ROMEO.
I doubt it not, and all these woes shall serve
For sweet discourses in our time to come.

JULIETTE.
— Ô Dieu ! mon âme est pleine de pressentiments de malheur ! Il me semble, maintenant que tu es si bas, que je te vois comme un mort dans le fond d’une tombé : ou mes yeux me trompent, ou tu parais pâle.

JULIET.
O God! I have an ill-divining soul!
Methinks I see thee, now thou art so low,
As one dead in the bottom of a tomb.
Either my eyesight fails, or thou look’st pale.

ROMÉO.
— Et crois-moi, mon amour, c’est ainsi que tu parais à, mes yeux : le chagrin altéré boit notre sang. Adieu, adieu ! (Il sort.)

ROMEO.
And trust me, love, in my eye so do you.
Dry sorrow drinks our blood. Adieu, adieu.

[Exit below.]

JULIETTE.
— Ô fortune, fortune ! tous les hommes.t’appellent inconstante : si tu es inconstante, que fais-tu. donc avec lui, qui est renommé pour sa fidélité ? Sois inconstante, fortune ; car alors j’espère que tu ne le garderas pas longtemps, mais que tu me le renverras bien vite.

JULIET.
O Fortune, Fortune! All men call thee fickle,
If thou art fickle, what dost thou with him
That is renown’d for faith? Be fickle, Fortune;
For then, I hope thou wilt not keep him long
But send him back.

MADONNA CAPULET, de l’intérieur.
— Eh, fillette, êtes-vous levée ?

LADY CAPULET.
[Within.] Ho, daughter, are you up?

JULIETTE.
— Qui appelle ? Est - ce Madame ma mère ? Comment n’est-elle pas encore couchée si tard, ou comment est-elle levée si matin ? Quelle cause exceptionnelle l’amène ici ?

JULIET.
Who is’t that calls? Is it my lady mother?
Is she not down so late, or up so early?
What unaccustom’d cause procures her hither?

Entre MADONNA CAPULET.

Enter Lady Capulet.

MADONNA CAPULET.
— Eh bien, comment allez-vous, Juliette ?

LADY CAPULET.
Why, how now, Juliet?

JULIETTE.
— Madame, je ne suis pas bien.

JULIET.
Madam, I am not well.

MADONNA CAPULET.
— Toujours pleurant pour la mort de votre cousin ? Crois-tu donc que le flot de tes larmes va l’emporter hors de son tombeau ? et si cela t’était possible, tu ne pourrais pas néanmoins le faire revivre ; ainsi console-toi : le chagrin à certaine dose prouve beaucoup d’affection ; mais à trop forte, dose, il prouve toujours quelque faiblesse d’esprit.

LADY CAPULET.
Evermore weeping for your cousin’s death?
What, wilt thou wash him from his grave with tears?
And if thou couldst, thou couldst not make him live.
Therefore have done: some grief shows much of love,
But much of grief shows still some want of wit.

JULIETTE.
— Laissez-moi cependant pleurer une perte si sensible.

JULIET.
Yet let me weep for such a feeling loss.

MADONNA CAPULET.
— Cela vous fera sentir la perté, mais ne vous rendra pas l’ami que vous pleurez.

LADY CAPULET.
So shall you feel the loss, but not the friend
Which you weep for.

JULIETTE.
— Sentant aussi vivement la perte, je ne puis point ne pas pleurer éternellement l’ami.

JULIET.
Feeling so the loss,
I cannot choose but ever weep the friend.

MADONNA CAPULET.
— Bon, ma fille, ce qui cause tes larmes, c’est moins de le savoir mort, que de savoir vivant le scélérat qui l’a tué.

LADY CAPULET.
Well, girl, thou weep’st not so much for his death
As that the villain lives which slaughter’d him.

JULIETTE.
— Quel scélérat, Madame ?

JULIET.
What villain, madam?

MADONNA CAPULET.
— Ce scélérat de Roméo.

LADY CAPULET.
That same villain Romeo.

JULIETTE.
— Scélérat et lui sont à bien des lieues de distance. Dieu lui pardonne ! Je lui pardonne de tout mon cœur, et cependant il n’est pas sur terre un homme qui afflige plus mon cœur.

JULIET.
Villain and he be many miles asunder.
God pardon him. I do, with all my heart.
And yet no man like he doth grieve my heart.

MADONNA CAPULET.
— C’est parce que ce traître meurtrier vit toujours.

LADY CAPULET.
That is because the traitor murderer lives.

JULIETTE.
— Oui, Madame, hors de l’atteinte de ces mains-ci. Oh ! que je voudrais être seule chargée de venger la mort de mon cousin !

JULIET.
Ay madam, from the reach of these my hands.
Would none but I might venge my cousin’s death.

MADONNA CAPULET.
— Nous en tirerons vengeance, ne crains rien : par conséquent, ne pleure plus. J’enverrai à Mantoue, où réside ce proscrit vagabond, quelqu’un qui lui administrera une potion extraordinaire par le moyen de laquelle il ira bientôt tenir compagnie à Tebaldo ; j’espère que tu seras contente alors.

LADY CAPULET.
We will have vengeance for it, fear thou not.
Then weep no more. I’ll send to one in Mantua,
Where that same banish’d runagate doth live,
Shall give him such an unaccustom’d dram
That he shall soon keep Tybalt company:
And then I hope thou wilt be satisfied.

JULIETTE.
— En vérité, je ne serai jamais contente au sujet de Roméo, avant de le contempler... mort ; — mon pauvre cœur est-il assez torturé pour un parent? Madame, si vous pouviez trouver un homme pour porter un poison, je le préparerais ; si bien que Roméo après l’avoir pris, sommeillerait bientôt en paix. Oh ! comme mon cœur abhorre de l’entendre nommer, — et comme j’ai peine de ne pouvoir m’approcher de lui — pour satisfaire l’amour que je portais, à mon cousin Tebaldo sur la personne de son meurtrier !

JULIET.
Indeed I never shall be satisfied
With Romeo till I behold him—dead—
Is my poor heart so for a kinsman vex’d.
Madam, if you could find out but a man
To bear a poison, I would temper it,
That Romeo should upon receipt thereof,
Soon sleep in quiet. O, how my heart abhors
To hear him nam’d, and cannot come to him,
To wreak the love I bore my cousin
Upon his body that hath slaughter’d him.

MADONNA CAPULET.
— Trouve les moyens, et moi je trouverai l’homme. Mais j’ai à l’apprendre de joyeuses nouvelles, ma fille.

LADY CAPULET.
Find thou the means, and I’ll find such a man.
But now I’ll tell thee joyful tidings, girl.

JULIETTE.
— La joie vient bien à propos, car nous en avons grand besoin. Quelles sont ces nouvelles ? Je vous prie de me les dire, Madame.

JULIET.
And joy comes well in such a needy time.
What are they, I beseech your ladyship?

MADONNA CAPULET.
— Va, va, tu as un père qui t’aime bien, enfant ; un père qui pour te tirer de ta tristesse, vient de te ménager soudainement un jour de joie, que tu n’attendais pas et que je ne prévoyais point.

LADY CAPULET.
Well, well, thou hast a careful father, child;
One who to put thee from thy heaviness,
Hath sorted out a sudden day of joy,
That thou expects not, nor I look’d not for.

JULIETTE.
— Cela tombe bien, Madame ; et qu’est-ce que ce jour-là ?

JULIET.
Madam, in happy time, what day is that?

MADONNA CAPULET.
— Pardi, mon enfant, jeudi prochain dans la matinée, ce jeune, brave et noble gentilhomme, le comte Paris, aura le bonheur de faire de toi, à l’église de Saint-Pierre, une joyeuse épouse.

LADY CAPULET.
Marry, my child, early next Thursday morn
The gallant, young, and noble gentleman,
The County Paris, at Saint Peter’s Church,
Shall happily make thee there a joyful bride.

JULIETTE.
— Eh bien, par l’église de Saint-Pierre et par saint Pierre lui-même, il n’y fera nullement de moi une joyeuse épouse. Je m’étonne de cette précipitation, et qu’il me faille nie marier, avant que celui qui doit être mon mari m’ait fait la cour. Je vous en prie, Madame, dites à mon Seigneur et père que je ne veux pas me marier encore ; et quand je me marierai, ce sera à Roméo, que vous savez que je hais, plutôt qu’à Paris, je vous le jure : — voilà en effet des nouvelles !

JULIET.
Now by Saint Peter’s Church, and Peter too,
He shall not make me there a joyful bride.
I wonder at this haste, that I must wed
Ere he that should be husband comes to woo.
I pray you tell my lord and father, madam,
I will not marry yet; and when I do, I swear
It shall be Romeo, whom you know I hate,
Rather than Paris. These are news indeed.

MADONNA CAPULET.
— Voici venir votre père ; dites-lui cela vous-même, et vous allez voir comment il va le prendre.

LADY CAPULET.
Here comes your father, tell him so yourself,
And see how he will take it at your hands.

Entrent CAPULET et LA NOURRICE

Enter Capulet and Nurse.

CAPULET.
— Lorsque le soleil se couche, la terre distille de la rosée ; mais pour le coucher de soleil du fils de mon frère, il pleut à pleins seaux. — Eh bien, qu’est-ce ? nous voilà changée en fontaine, fillette ? Comment, toujours, en larmes ? toujours pleurant par ondées ? Ma foi, dans ta petite personne, tu représentes à la fois, la barque, la mer et le Vent ; car dans tes yeux, que je puis, appeler une hier, monte et descend sans cesse une marée ; de larmes ; la barque qui navigué au milieu de ce flot salé est ton, corps, ; les vents sont tes soupirs ; et soupirs et larmes luttant ensemble de violence, sans un seul moment de calme, finiront par faire naufrager ton corps, battu de la tempête Eh bien, femme, lui ayez-vous annoncé ce que nous ayons décidé !

CAPULET.
When the sun sets, the air doth drizzle dew;
But for the sunset of my brother’s son
It rains downright.
How now? A conduit, girl? What, still in tears?
Evermore showering? In one little body
Thou counterfeits a bark, a sea, a wind.
For still thy eyes, which I may call the sea,
Do ebb and flow with tears; the bark thy body is,
Sailing in this salt flood, the winds, thy sighs,
Who raging with thy tears and they with them,
Without a sudden calm will overset
Thy tempest-tossed body. How now, wife?
Have you deliver’d to her our decree?

MADONNA CAPULET.
— Oui, Messire ; mais elle ne veut pas de mari, elle, vous remercie. Je voudrais que la sotte fût mariée à son tombeau !

LADY CAPULET.
Ay, sir; but she will none, she gives you thanks.
I would the fool were married to her grave.

CAPULET.
— Doucement ! donnez -moi Je temps, donnez-moi Je temps de bien vous comprendre, femme, Comment est-ce qu’elle dit qu’elle ne veut-pas de mari ? est-ce ; qu’elle nous remercie ? est-ce qu’elle est fière a ce point ? est-ce qu’elle : ne s’estime pas heureuse, tout indigne qu’elle en est, que nous lui ayons trouvé, pour fiance un. si digne gentilhomme ?

CAPULET.
Soft. Take me with you, take me with you, wife.
How, will she none? Doth she not give us thanks?
Is she not proud? Doth she not count her blest,
Unworthy as she is, that we have wrought
So worthy a gentleman to be her bridegroom?

JULIETTE.
— Je ne suis pas fière, en effet, que Vous ayez trouvé ce mari, mais je vousen suis reconnaissante : je ne pourrai jamais être fière de ce que je déteste ; mais je serai toujours reconnaissante d’une chose odieuse faite avec intention d’amour.

JULIET.
Not proud you have, but thankful that you have.
Proud can I never be of what I hate;
But thankful even for hate that is meant love.

CAPULET.
— Eh bien, qu’est-ce à dire, qu’est-ce à dire, Mademoiselle la logicienne? qu’est-ce que-cela signifie ? Qu’est-ce que ces fière et non fière, et ces je vous remercie et je ne vous remercie pas ? Mignonne, Mademoiselle, veuillez ne me donner ni de vos remerciments, ni de vos ; fiertés, mais préparez vos jolies jambes à se rendre jeudi prochain, à l’église de Saint-Pierre, avec Paris, ou je t’y traînerai sur une claie, moi. Qu’est-ce à dire, carogne chlorotique ! coquine ! figure de suif!

CAPULET.
How now, how now, chopp’d logic? What is this?
Proud, and, I thank you, and I thank you not;
And yet not proud. Mistress minion you,
Thank me no thankings, nor proud me no prouds,
But fettle your fine joints ’gainst Thursday next
To go with Paris to Saint Peter’s Church,
Or I will drag thee on a hurdle thither.
Out, you green-sickness carrion! Out, you baggage!
You tallow-face!

MADONNA CAPULET.
— Fi, fi ! Comment donc ! êtes-vous fou ?

LADY CAPULET.
Fie, fie! What, are you mad?

JULIETTE.
— Mon bon père, je vous en conjure à genoux, ayez la patience de m’entendre vous dire un seul mot.

JULIET.
Good father, I beseech you on my knees,
Hear me with patience but to speak a word.

CAPULET.
— Va te faire pendre, jeune coquine ! désobéissante drôlesse ! Je t’en avertis, aie soin d’aller à l’église jeudi, ou ne me regarde jamais plus en face : ne. parle pas, ne réplique pas, ne me réponds pas ; les doigts me démangent. Femme, nous nous regardions comme peu en grâce auprès de Dieu, parce qu’il ne nous avait envoyé que ce seul enfant ; mais maintenant je vois que c’était encore un de trop, et qu’en la recevant, nous avons reçu une malédiction. Qu’elle aille au diable, la misérable !

CAPULET.
Hang thee young baggage, disobedient wretch!
I tell thee what,—get thee to church a Thursday,
Or never after look me in the face.
Speak not, reply not, do not answer me.
My fingers itch. Wife, we scarce thought us blest
That God had lent us but this only child;
But now I see this one is one too much,
And that we have a curse in having her.
Out on her, hilding.

LA NOURRICE.
— Le Dieu du ciel la bénisse ! Vous avez tort, Monseigneur, de la traiter ainsi.

NURSE.
God in heaven bless her.
You are to blame, my lord, to rate her so.

CAPULET.
— Et pourquoi cela, Madame la Sagesse ? Tenez votre langue en bride, ma bonne Madame Prudence ; allez bredouiller avec vos commères, allez.

CAPULET.
And why, my lady wisdom? Hold your tongue,
Good prudence; smatter with your gossips, go.

LA NOURRICE.
— Je ne dis rien de mal.

NURSE.
I speak no treason.

CAPULET.
— Ah parbleu, je vous demande bien pardon !

CAPULET.
O God ye good-en!

LA NOURRICE.
— Est-ce qu’on ne peut pas dire un mot ?

NURSE.
May not one speak?

CAPULET.
— Paix, sotte marmotteuse ! allez faire vos graves réflexions en buvant avec vos commères, nous n’en avons pas besoin ici.

CAPULET.
Peace, you mumbling fool!
Utter your gravity o’er a gossip’s bowl,
For here we need it not.

MADONNA CAPULET.
— Vous êtes trop vif.

LADY CAPULET.
You are too hot.

CAPULET.
— Hé, sainte hostie ! cela me rend fou. Comment de jour et de nuit, à toute heure, en tout temps, en toute circonstance, pendant le travail, pendant le plaisir, seul, en compagnie, je n’aurai eu qu’une seule pensée, son mariage ; et maintenant que je lui ai trouvé un gentilhomme de noble famille, de belle fortune, jeune, de noble éducation, étoffé comme on dit de toutes sortes d’honorables qualités, fait comme on désirerait qu’un homme fût fait, il ire faut entendre : une misérable sotte pleurnicheuse, une poupée geignante qui fait la petite bouche devant sa fortune, me répondre « je ne veux pas me marier à je ne puis aimer » — « je suis trop jeune » — « je vous en prie, pardonnez-moi ! » — Certes, si vous ne voulez pas vous marier, je vous pardonnerai : vous irez chercher pâture où vous voudrez, vous n’habiterez pas avec moi. Réfléchissez-y, et soyez avertie, je, n’ai pas l’habitude de plaisanter. Jeudi est proche ; consultez votre cœur et prenez un parti : si vous êtes mienne, je vous donnerai à mon ami ; si vous ne.voulez pas être mienne, allez vous faire pendre, mendiez, crevez de faim, mourez dans les rues-, car sur mon âme, je ne te reconnaîtrai jamais plus, et je te réponds que rien de ce qui m’appartient ne te fera du bien. Compte là-dessus, et fais tes réflexions en conséquence ; je ne me rétracterai pas. (Il sort.)

CAPULET.
God’s bread, it makes me mad!
Day, night, hour, ride, time, work, play,
Alone, in company, still my care hath been
To have her match’d, and having now provided
A gentleman of noble parentage,
Of fair demesnes, youthful, and nobly allied,
Stuff’d, as they say, with honourable parts,
Proportion’d as one’s thought would wish a man,
And then to have a wretched puling fool,
A whining mammet, in her fortune’s tender,
To answer, ‘I’ll not wed, I cannot love,
I am too young, I pray you pardon me.’
But, and you will not wed, I’ll pardon you.
Graze where you will, you shall not house with me.
Look to’t, think on’t, I do not use to jest.
Thursday is near; lay hand on heart, advise.
And you be mine, I’ll give you to my friend;
And you be not, hang, beg, starve, die in the streets,
For by my soul, I’ll ne’er acknowledge thee,
Nor what is mine shall never do thee good.
Trust to’t, bethink you, I’ll not be forsworn.

[Exit.]

JULIETTE.
— Oh ! n’est-il pas un Dieu compatissant siégeant sur les nuages pour voir jusqu’au fond de ma douleur ? Ô ma douce mère, ne me repoussez pas ! Retardez ce mariage d’un mois, d’une semaine, ou sinon faites mon lit nuptial dans ce sombre monument où dort Tebaldo.

JULIET.
Is there no pity sitting in the clouds,
That sees into the bottom of my grief?
O sweet my mother, cast me not away,
Delay this marriage for a month, a week,
Or, if you do not, make the bridal bed
In that dim monument where Tybalt lies.

MADONNA CAPULET.
— Ne me parle pas, car je ne dirai pas un mot : fais ce que tu voudras, car j’en ai fini avec toi. (Elle sort.)

LADY CAPULET.
Talk not to me, for I’ll not speak a word.
Do as thou wilt, for I have done with thee.

[Exit.]

JULIETTE.
— Ô Dieu ! — Ô nourrice ! comment peut-on empêcher cela ? Mon époux est sur terre, mon serment est au ciel ; comment ce serment pourrait-il revenir-sur la terre, à moins que mon époux ne me l’envoie du ciel en quittant la terre ? — Aide-moi, conseille-moi. — Hélas ! hélas ! faut-il que le ciel soumette à ses épreuves un être aussi faible que moi ! — Que dis-tu ? n’as-tu pas une parole de joie ? Donne-moi quelque moyen de sortir d’embarras, nourrice.

JULIET.
O God! O Nurse, how shall this be prevented?
My husband is on earth, my faith in heaven.
How shall that faith return again to earth,
Unless that husband send it me from heaven
By leaving earth? Comfort me, counsel me.
Alack, alack, that heaven should practise stratagems
Upon so soft a subject as myself.
What say’st thou? Hast thou not a word of joy?
Some comfort, Nurse.

LA NOURRICE.
— Ma foi, voici ce qu’il faut faire. Roméo est banni, et il y a l’univers à parier contre rien, qu’il n’osera jamais venir vous réclamer ou, s’il le fait, il faudra, que ce soit en se cachant. Puisque les choses sont dans, l’état où nous les voyons maintenant, je crois que ce qu’il a de mieux à faire est de vous marier avec le comte. Oh ! c’est un aimable gentilhomme ! Roméo est un torchon de vaisselle à côté de lui ; un aigle, Madame, n’a pas Un œil aussi vert, aussi vif, aussi beau, que celui de Paris. Malepeste, je vous juge fort. heureuse dans ce second mariage, car il est fort supérieur au premier ; d’ailleurs, quand il ne le serait pas, votre premier mari est mort, où il vaudrait autant qu’il fût mort, puisqu’il ne vous sert à rien, vous vivant ici.

NURSE.
Faith, here it is.
Romeo is banished; and all the world to nothing
That he dares ne’er come back to challenge you.
Or if he do, it needs must be by stealth.
Then, since the case so stands as now it doth,
I think it best you married with the County.
O, he’s a lovely gentleman.
Romeo’s a dishclout to him. An eagle, madam,
Hath not so green, so quick, so fair an eye
As Paris hath. Beshrew my very heart,
I think you are happy in this second match,
For it excels your first: or if it did not,
Your first is dead, or ’twere as good he were,
As living here and you no use of him.

JULIETTE.
— Parles-tu du fond de ton cœur ?

JULIET.
Speakest thou from thy heart?

LA NOURRICE.
— Et du fond de mon âme-aussi, ou qu’ils soient tous les deux maudits.

NURSE.
And from my soul too,
Or else beshrew them both.

JULIETTE.
Amen !

JULIET.
Amen.

LA NOURRICE.
— Quoi ?

NURSE.
What?

JULIETTE.
— Bon, tu m’as merveilleusement consolée. Rentre, et dis à Madame ma mère, qu’ayant eu le malheur de déplaire à mon père, je suis sortie pour aller à la cellule de frère Laurent me confesser et chercher l’absolution.

JULIET.
Well, thou hast comforted me marvellous much.
Go in, and tell my lady I am gone,
Having displeas’d my father, to Lawrence’ cell,
To make confession and to be absolv’d.

LA NOURRICE.
— Pardi, c’est ce que je vais faire, et c’est sagement agir. (Elle sort.)

NURSE.
Marry, I will; and this is wisely done.

[Exit.]

JULIETTE.
— Ô vieille damnée ! démon très-pervers ! y a-t-il un péché plus grand à me conseiller le parjure, qu’à déprécier mon Seigneur avec cette même langue qui l’a tant de fois déclaré au-dessus de toute comparaison ? Va, donneuse de conseils, toi et mon cœur feront deux désormais. Je vais aller trouver le frère pour savoir quel remède il peut, nie donner ; et après cela, si tout me manque, j’ai moi-même le pouvoir de mourir. (Elle sort.)

JULIET.
Ancient damnation! O most wicked fiend!
Is it more sin to wish me thus forsworn,
Or to dispraise my lord with that same tongue
Which she hath prais’d him with above compare
So many thousand times? Go, counsellor.
Thou and my bosom henceforth shall be twain.
I’ll to the Friar to know his remedy.
If all else fail, myself have power to die.

[Exit.]

ACTE IV.

ACT IV

SCÈNE PREMIÈRE.

SCENE I.

La cellule du FRÈRE LAURENT.
Friar Lawrence’s Cell.
Entrent LE FRÈRE LAURENT et PARIS.

Enter Friar Lawrence and Paris.

LE FRÈRE LAURENT.
— Jeudi, Messire ? le temps est bien court.

FRIAR LAWRENCE.
On Thursday, sir? The time is very short.

PARIS.
— Mon père Capulet le veut ainsi, et je n’ai aucune envie de modérer son empressement.

PARIS.
My father Capulet will have it so;
And I am nothing slow to slack his haste.

LE FRÈRE LAURENT.
— Vous dites que vous ne connaissez pas les sentiments de la Dame ; cette conduite est contre l’usage, je ne la goûte pas

FRIAR LAWRENCE.
You say you do not know the lady’s mind.
Uneven is the course; I like it not.

PARIS.
— Elle pleure immodérément la mort de Tebaldo, et par conséquent j’ai peu parlé d’amour, car Vénus ne sourit pas dans une maison en larmes. Mais, Messire, son père regarde comme dangereux qu’elle laisse prendre à son chagrin un si grand empire ; et dans sa sagesse, il hâte notre mariage afin d’arrêter le déluge de ses larmes : cette douleur, qui a beaucoup trop grandi dans sa solitude, pourra se dissiper, quand elle sera en compagnie. Vous connaissez maintenant les raisons de cette promptitude.

PARIS.
Immoderately she weeps for Tybalt’s death,
And therefore have I little talk’d of love;
For Venus smiles not in a house of tears.
Now, sir, her father counts it dangerous
That she do give her sorrow so much sway;
And in his wisdom, hastes our marriage,
To stop the inundation of her tears,
Which, too much minded by herself alone,
May be put from her by society.
Now do you know the reason of this haste.

LE FRÈRE LAURENT, à part.
— Je voudrais ne pas connaître les raisons qui exigeraient qu’elle se ralentît. Voyez, Messire, voici la Dame qui se dirige vers ma cellule.

FRIAR LAWRENCE.
[Aside.] I would I knew not why it should be slow’d.—
Look, sir, here comes the lady toward my cell.

Entre JULIETTE.

Enter Juliet.

PARIS.
— Heureuse rencontre, Madame et mon épouse !

PARIS.
Happily met, my lady and my wife!

JULIETTE.
— Ce souhait pourra être bon, Messire, lorsque je serai mariée.

JULIET.
That may be, sir, when I may be a wife.

PARIS.
— Et il pourra être bon, et il sera bon, jeudi prochain, ma bien-aimée.

PARIS.
That may be, must be, love, on Thursday next.

JULIETTE.
— Ce qui doit être sera.

JULIET.
What must be shall be.

LE FRÈRE LAURENT.
— C’est un texte certain.

FRIAR LAWRENCE.
That’s a certain text.

PARIS.
— Êtes-vous venue pour vous confesser à ce père ?

PARIS.
Come you to make confession to this father?

JULIETTE.
— Répondre à votre question serait me confesser à vous ?

JULIET.
To answer that, I should confess to you.

PARIS.
— Ne lui niez pas que vous m’aimez.

PARIS.
Do not deny to him that you love me.

JULIETTE.
— Je vous confesserai à vous que je l’aime.

JULIET.
I will confess to you that I love him.

PARIS.
— Et vous confesserez aussi que vous m’aimez, j’en suis sûr.

PARIS.
So will ye, I am sure, that you love me.

JULIETTE.
— Si je fais cela, cette confession aura plus grand prix faite derrière vous qu’en face.

JULIET.
If I do so, it will be of more price,
Being spoke behind your back than to your face.

PARIS.
— Pauvre âme, tes larmes ont fort outragé ton visage.

PARIS.
Poor soul, thy face is much abus’d with tears.

JULIETTE.
— Les larmes ont’gagné par là une petite victoire, car il était assez laid déjà avant leur malice.

JULIET.
The tears have got small victory by that;
For it was bad enough before their spite.

PARIS.
— Tu l’outrages plus encore que ne font les larmes par ce jugement.

PARIS.
Thou wrong’st it more than tears with that report.

JULIETTE.
— Ce qui est la vérité n’est pas une calomnie, Messire ; et ce que j’ai dit, je l’ai dit à ma face.

JULIET.
That is no slander, sir, which is a truth,
And what I spake, I spake it to my face.

PARIS.
— Ta face est à moi, et tu l’as calomniée.

PARIS.
Thy face is mine, and thou hast slander’d it.

JULIETTE.
— Cela peut bien être, car en effet elle ne m’appartient pas. — Êtes-Vous de loisir maintenant, mon révérend père, ou reviendrai-je vous trouver à l’office du soir?

JULIET.
It may be so, for it is not mine own.
Are you at leisure, holy father, now,
Or shall I come to you at evening mass?

LE FRÈRE LAURENT.
— Je suis de loisir en ce moment, ma mélancolique fille. — Monseigneur, nous aurions besoin d’être seuls.

FRIAR LAWRENCE.
My leisure serves me, pensive daughter, now.—
My lord, we must entreat the time alone.

PARIS.
— Dieu défende que je trouble la dévotion ! — Juliette, jeudi, de bon matin, j’irai vous réveiller. Jusqu’à ce moment, adieu, et gardez ce respectueux baiser. (Il sort.)

PARIS.
God shield I should disturb devotion!—
Juliet, on Thursday early will I rouse ye,
Till then, adieu; and keep this holy kiss.

[Exit.]

JULIETTE.
— Oh ! ferme, la porte, et quand tu l’auras fermée, viens pleurer avec moi : pas, d’espérance, pas de remède, pas de secours !

JULIET.
O shut the door, and when thou hast done so,
Come weep with me, past hope, past cure, past help!

LE FRÈRE LAURENT.
— Ah ! Juliette, je connais déjà ton chagrin, et il me tourmente à nie faire perdre la tête : j’apprends que tu dois et rien ne peut retarder Cet événement — être mariée jeudi prochain à ce comte.

FRIAR LAWRENCE.
O Juliet, I already know thy grief;
It strains me past the compass of my wits.
I hear thou must, and nothing may prorogue it,
On Thursday next be married to this County.

JULIETTE.
— Ne me dis pas, frère, que tuas appris ce malheur, si tu ne peux me dire, comment je puis le prévenir : si, dans ta sagesse, tu ne peux me donner de secours, en bien, dis-moi seulement que ma résolution est sagesse, et je vais immédiatement me donner secours avec ce couteau. Dieu a joint mon cœur à celui de Roméo ; toi tu as joint nos mains ; et avant que cette main par toi scellée à Roméo signe un autre contrat, ou que mon cœur, traîtreusement révolté, se tourne vers un autre, cette arme-là réduira main et cœur à l’impuissance, de la mort. Que ta vieille et longue expérience me donne donc quelque conseil immédiat, ou sinon, vois, ce couteau meurtrier va décider entre ma situation désespérée et moi ; il me servira d’arbitre, puisque l’autorité de tes années et de ta science n’aura pas su m’ouvrir une issue, véritablement honorable. Ne sois pas si long à parler ; je brûle de mourir, si ce que tu as à me dire ne me parle pas de remède.

JULIET.
Tell me not, Friar, that thou hear’st of this,
Unless thou tell me how I may prevent it.
If in thy wisdom, thou canst give no help,
Do thou but call my resolution wise,
And with this knife I’ll help it presently.
God join’d my heart and Romeo’s, thou our hands;
And ere this hand, by thee to Romeo’s seal’d,
Shall be the label to another deed,
Or my true heart with treacherous revolt
Turn to another, this shall slay them both.
Therefore, out of thy long-experienc’d time,
Give me some present counsel, or behold
’Twixt my extremes and me this bloody knife
Shall play the empire, arbitrating that
Which the commission of thy years and art
Could to no issue of true honour bring.
Be not so long to speak. I long to die,
If what thou speak’st speak not of remedy.

LE FRÈRE LAURENT.
— Arrête, ma fille : j’aperçois une sorte d’espérance qui, pour se réaliser, demande une exécution aussi désespérée qu’est désespérée l’action que ; nous voudrions prévenir. Si, plutôt que de te marier au comte Pâlis, tu as la force de volonté de te tuer loi-même, il est probable que tu auras le courage d’entreprendre, pour repousser loin de toi cette honte, une chose qui ressemble à la mort, toi qui ne crains pas d’affronter la mort pour échapper à ce que tu redoutes ; si tu as ce courage, je te donnerai un remède.

FRIAR LAWRENCE.
Hold, daughter. I do spy a kind of hope,
Which craves as desperate an execution
As that is desperate which we would prevent.
If, rather than to marry County Paris
Thou hast the strength of will to slay thyself,
Then is it likely thou wilt undertake
A thing like death to chide away this shame,
That cop’st with death himself to scape from it.
And if thou dar’st, I’ll give thee remedy.

JULIETTE.
— Oh ! plutôt que d’épouser Paris, ordonne-moi de sauter du haut des remparts dé la tour là-bas, ou de marcher dans les sentiers où rôdent les voleurs ; ordonne-moi de me glisser là où se tiennent les serpents ; enchaîne-moi avec des ours rugissants ; ou enferme-moi de nuit dans un charnier comble jusqu’au faîte d’os de morts au cliquetis sec, de membres en putréfaction, et de crânes jaunes et chauves ; ordonne-moi de descendre dans une fosse nouvellement creusée, et de m’ensevelir avec un homme mort sous le même linceul, toutes choses qui, en les entendant raconter, m’ont souvent fait trembler, et je les entreprendrai sans trouble et sans hésitation pour rester l’épouse sans tache de mon doux bien-aimé.

JULIET.
O, bid me leap, rather than marry Paris,
From off the battlements of yonder tower,
Or walk in thievish ways, or bid me lurk
Where serpents are. Chain me with roaring bears;
Or hide me nightly in a charnel-house,
O’er-cover’d quite with dead men’s rattling bones,
With reeky shanks and yellow chapless skulls.
Or bid me go into a new-made grave,
And hide me with a dead man in his shroud;
Things that, to hear them told, have made me tremble,
And I will do it without fear or doubt,
To live an unstain’d wife to my sweet love.

LE FRÈRE LAURENT.
— Tiens bon, alors ; retourne au logis, sois gaie, consens à épouser Paris. Demain est mercredi ; demain soir, fais en sorte de coucher seule, ne laisse pas ta nourrice coucher avec loi dans ta chambre : prends cette fiole, une fois que tu seras au lit, et bois la liqueur distillée qu’elle contient : aussitôt à travers toutes tes veines courra une froide et assoupissante humeur ; ton pouls ne gardera plus ses mouvements réguliers, mais il s’arrêtera ; nul souffle, nulle chaleur n’attesteront que tu. vis ; les roses de tes joues et de tes lèvres se changeront en couleurs de cendres pâles. ; les rideaux de tes yeux tomberont, comme ils tombent lorsque la mort éteint la lumière de la vie ; chacun de tes membres, privé de souplesse et de liberté, froid, roide, immobile, paraîtra comme mort : tu resteras quarante-deux heures sous cette apparence trompeuse d’une mort figée, et ensuite tu te réveilleras comme d’un agréable sommeil Maintenant, lorsque le fiancé viendra au matin pour te faire lever de ton lit, on t’y trouvera morte ; et alors, comme c’est la coutume de notre pays, vêtue de ta plus belle toilette, le corps à-découvert sur ta bière, on te portera à cet ancien caveau, où est ensevelie toute, la race des Capulets. En même temps, et avant que tu te réveilles, Roméo recevra avis par mes lettres de notre stratagème ; il viendra ici : tous deux ensemble nous épierons ton réveil, et cette même nuit Roméo t’emmènera à Mantoue. Ce moyen te délivrera de cette honte présente, si aucune inconstance puérile, ni aucune frayeur de femmelette, ne font broncher ton courage au moment de l’exécution.

FRIAR LAWRENCE.
Hold then. Go home, be merry, give consent
To marry Paris. Wednesday is tomorrow;
Tomorrow night look that thou lie alone,
Let not thy Nurse lie with thee in thy chamber.
Take thou this vial, being then in bed,
And this distilled liquor drink thou off,
When presently through all thy veins shall run
A cold and drowsy humour; for no pulse
Shall keep his native progress, but surcease.
No warmth, no breath shall testify thou livest,
The roses in thy lips and cheeks shall fade
To paly ashes; thy eyes’ windows fall,
Like death when he shuts up the day of life.
Each part depriv’d of supple government,
Shall stiff and stark and cold appear like death.
And in this borrow’d likeness of shrunk death
Thou shalt continue two and forty hours,
And then awake as from a pleasant sleep.
Now when the bridegroom in the morning comes
To rouse thee from thy bed, there art thou dead.
Then as the manner of our country is,
In thy best robes, uncover’d, on the bier,
Thou shalt be borne to that same ancient vault
Where all the kindred of the Capulets lie.
In the meantime, against thou shalt awake,
Shall Romeo by my letters know our drift,
And hither shall he come, and he and I
Will watch thy waking, and that very night
Shall Romeo bear thee hence to Mantua.
And this shall free thee from this present shame,
If no inconstant toy nor womanish fear
Abate thy valour in the acting it.

JULIETTE.
— Donne, donne ! Ô ne me parle pas de crainte !

JULIET.
Give me, give me! O tell not me of fear!

LE FRÈRE LAURENT.
— Tiens ; pars, sois forte dans cette résolution, et heureuse d’ans ses conséquences : j’enverrai à Mantoue, avec mes lettres pour ton Seigneur, un frère qui fera toute diligence.

FRIAR LAWRENCE.
Hold; get you gone, be strong and prosperous
In this resolve. I’ll send a friar with speed
To Mantua, with my letters to thy lord.

JULIETTE.
— Amour, donne-moi courage ! et le courage m’apportera secours. Adieu, cher père ! (Ils sortent.)

JULIET.
Love give me strength, and strength shall help afford.
Farewell, dear father.

[Exeunt.]

SCÈNE II

SCENE II.

Une salle dans la maison de CAPULET.
Hall in Capulet’s House.
Entrent CAPULET, MADONNA CAPULET, LA NOURRICE, et DES VALETS.

Enter Capulet, Lady Capulet, Nurse and Servants.

CAPULET.
— Invite autant de convives qu’il y en a là d’inscrits. (Sort un premier valet.) Maraud, va me retenir vingt cuisiniers habiles.

CAPULET.
So many guests invite as here are writ.

    [Exit first Servant.]

Sirrah, go hire me twenty cunning cooks.

SECOND VALET.
— Vous n’en aurez aucun de mauvais, Messire, car je les mettrai à l’épreuve pour savoir s’ils peuvent lécher leurs doigts.

SECOND SERVANT.
You shall have none ill, sir; for I’ll try if they can lick their fingers.

CAPULET.
— Comment cela peut-il les mettre à l’épreuve ?

CAPULET.
How canst thou try them so?

SECOND VALET.
— Parbleu, Messire, c’est un mauvais cuisinier celui qui ne peut pas lécher ses doigts ; par conséquent celui qui ne peut pas lécher ses doigts, ne viendra pas en ma compagnie.

SECOND SERVANT.
Marry, sir, ’tis an ill cook that cannot lick his own fingers; therefore he that cannot lick his fingers goes not with me.

CAPULET.
— Allons, va-t’en. (Sort le second valet.) Nous serons vraiment bien au dépourvu pour cette circonstance. — Eh bien, est-ce que ma fille est allée trouver frère Laurent ?

CAPULET.
Go, begone.

    [Exit second Servant.]

We shall be much unfurnish’d for this time.
What, is my daughter gone to Friar Lawrence?

LA NOURRICE.
— Oui, ma foi.

NURSE.
Ay, forsooth.

CAPULET.
— Bon, peut-être aura-t-il la chance de lui faire quelque bien ; la coquine, elle est maussade et têtue.

CAPULET.
Well, he may chance to do some good on her.
A peevish self-will’d harlotry it is.

Entre JULIETTE.

Enter Juliet.

LA NOURRICE.
— Voyez, la voici qui revient toute gaie du confessionnal.

NURSE.
See where she comes from shrift with merry look.

CAPULET.
— Eh bien, Mademoiselle l’entêtée, où est-ce que vous êtes allée courir ?

CAPULET.
How now, my headstrong. Where have you been gadding?

JULIETTE.
— En un lieu où j’ai appris à me repentir du péché d’opposition désobéissante à votre personne et à vos projets. Il m’a été enjoint par le pieux Laurent de tomber à vos pieds, et d’implorer votre pardon : — pardonnez-moi, je vous en conjure ! désormais je me laisserai toujours diriger par vous.

JULIET.
Where I have learnt me to repent the sin
Of disobedient opposition
To you and your behests; and am enjoin’d
By holy Lawrence to fall prostrate here,
To beg your pardon. Pardon, I beseech you.
Henceforward I am ever rul’d by you.

CAPULET.
— Envoyez chercher le comte ; apprenez-lui ce qui vient de se passer : je veux que le nœud de cette alliance soit noué demain matin.

CAPULET.
Send for the County, go tell him of this.
I’ll have this knot knit up tomorrow morning.

JULIETTE.
— J’ai rencontré le jeune Seigneur à la cellule de Laurent, et je lui ai donné toutes les marques d’affection décente que je pouvais lui montrer sans sortir des bornes de la réserve.

JULIET.
I met the youthful lord at Lawrence’ cell,
And gave him what becomed love I might,
Not stepping o’er the bounds of modesty.

CAPULET.
— Bon, je suis heureux de cela ; c’est bien, levez-vous ; les choses, sont comme elles-devaient être. Faites-moi venir le comte ; en oui, dis-je, allez parbleu, et amenez-le ici. Vraiment, je le déclare devant Dieu, toute notre ville a de grandes obligations à ce pieux et révérend frère.

CAPULET.
Why, I am glad on’t. This is well. Stand up.
This is as’t should be. Let me see the County.
Ay, marry. Go, I say, and fetch him hither.
Now afore God, this reverend holy Friar,
All our whole city is much bound to him.

JULIETTE.
— Nourrice, voulez-vous venir avec moi dans mon cabinet, m’aider à choisir les ornements nécessaires que vous jugerez de mise pour ma toilette de demain ?

JULIET.
Nurse, will you go with me into my closet,
To help me sort such needful ornaments
As you think fit to furnish me tomorrow?

MADONNA CAPULET.
— Non pas avant jeudi ; nous avons. le temps d’ici là.

LADY CAPULET.
No, not till Thursday. There is time enough.

CAPULET.
— Accompagne-la, nourrice : — nous irons à l’église demain. (Sortent Juliette et la Nourrice.)

CAPULET.
Go, Nurse, go with her. We’ll to church tomorrow.

[Exeunt Juliet and Nurse.]

MADONNA CAPULET.
— Nous serons bien à court pour nos provisions ; il est maintenant presque nuit.

LADY CAPULET.
We shall be short in our provision,
’Tis now near night.

CAPULET.
— Bah ! je vais mettre mes gens en train, et tout marchera bien, je te le garantis, femme : va trouver Juliette, aide-la à préparer sa toilette ; je ne me coucherai pas cette nuit : laisse-moi seul ; je veux pour cette fois jouer le, personnage de ménagère. Holà, hé ! Ils sont tous dehors bon, je vais sortir moi-même-pour aller trouver le comte Paris, et le préparer à la journée, de demain : j’ai le cœur étonnamment léger maintenant que cette fillette égarée est rentrée dans le droit sentier. (Ils sortent.)

CAPULET.
Tush, I will stir about,
And all things shall be well, I warrant thee, wife.
Go thou to Juliet, help to deck up her.
I’ll not to bed tonight, let me alone.
I’ll play the housewife for this once.—What, ho!—
They are all forth: well, I will walk myself
To County Paris, to prepare him up
Against tomorrow. My heart is wondrous light
Since this same wayward girl is so reclaim’d.

[Exeunt.]

SCÈNE III

SCENE III.

La chambre de JULIETTE.
Juliet’s Chamber.
Entrent JULIETTE et LA NOURRICE.

Enter Juliet and Nurse.

JULIETTE.
— Oui, cette toiletté est celle qui convient, le mieux : — mais, gentille nourrice, je t’en prie, laisse-moi seule avec moi-même cette nuit ; car j’ai besoin d’adresser, au ciel bien des oraisons pour l’engager à sourire à ma situation, qui, comme tu le sais, est pénible ; et pleine de péchés.

JULIET.
Ay, those attires are best. But, gentle Nurse,
I pray thee leave me to myself tonight;
For I have need of many orisons
To move the heavens to smile upon my state,
Which, well thou know’st, is cross and full of sin.

Entre MADONNA, CAPULET.

Enter Lady Capulet.

MADONNA CAPULET.
— Eh bien, êtes-vous encore occupées, eh ? avez-vous besoin de mon aide ?

LADY CAPULET.
What, are you busy, ho? Need you my help?

JULIETTE.
— Non, Madame nous avons choisi les objets essentiels qui seront convenables pour notre toilette de demain : s’il vous plaît, veuillez maintenant me laisser seule, et emmenez-la nourrice coucher dans votre chambre cette nuit ; car, j’en suis sûre, vous avez plein les mains de choses à faire, dans ce ; si soudain événement.

JULIET.
No, madam; we have cull’d such necessaries
As are behoveful for our state tomorrow.
So please you, let me now be left alone,
And let the nurse this night sit up with you,
For I am sure you have your hands full all
In this so sudden business.

MADONNA CAPULET.
— Bonne nuit ! mets-toi au lit, et repose-toi, car m en as besoin. (Sortent Madonna Capalet et la Nourrice.)

LADY CAPULET.
Good night.
Get thee to bed and rest, for thou hast need.

[Exeunt Lady Capulet and Nurse.]

JULIETTE.
— Adieu ! — Dieu sait quand nous nous reverrons. Il court dans mes veines un petit frisson de Crainte, qui glace presque en moi la chaleur de la vie : je vais les rappeler afin de me rassurer. — Nourrice !mais que ferait-elle ici ? il faut absolument que je joue seule ma scène lugubre. — Viens, fiole. — Mais quoi, si ce breuvage n’agissait pas du tout ? serai-je donc mariée demain matin ? Non, non, voici qui s’y opposerait : repose ici, toi. (Elle pose un poignard à côté d’elle.) Mais si c’était un poison que le frère m’a subtilement remis pour me faire mourir, dans la crainte de -se déshonorer par ce mariage, puisqu’il m’a déjà mariée à Roméo ? Je crains que ce ne soit du poison et cependant, j’en suis sûre, cela ne se peut pas, car il a de tout temps été reconnu pour un saint homme. Je ne veux pas accueillir une aussi mauvaise pensée. Et qu’arrivera-t-il si, lorsque je serai dans la tombe, je me réveille avant l’heure ail Roméo viendra me délivrer ? voilà une possibilité terrible ! Ne serai-je pas alors suffoquée dans le caveau dont la bouche infecte ne livre passage à aucun air salubre, et n’y mourrai-je pas étouffée avant que mon Roméo vienne ? Ou si je vis, n’est-il pas très probable que l’horrible sensation de la mort et de la nuit associée à la terreur dû lieu — ce caveau cet ancien sépulcre, où depuis tant de centaines d’années se sont entassés les os de tous mes ancêtres ensevelis, où le sanglant Tebaldo, encore fraîchement en terre, se putréfie dans son linceul, où, dit-on, les esprits retiennent à certaines heures de la nuit.... hélas, hélas, n’est-il pas probable que me réveillant avant l'heure, au milieu d’odeurs infectes et de cris pareils à ceux de la mandragore arrachée de terre qui font devenir fous les vivants qui les entendent.... oh ! si je me réveille alors, est-ce que je ne perdrai pas la raison, environnée comme je le serai de toutes ces terreurs hideuses ? Et, alors en proie à la folie, ne serai-je pas capable de jouer avec les ossements de mes pères, d’arracher de son cercueil le sanglant Tebaldo, et au milieu de cette frénésie, me servant de l’os de quelque arrière ancêtre, comme d’une massue, de briser ma tête en délire ? Oh ! est-ce que je rêve ? il me semble que je vois le spectre de mon cousin cherchant Roméo qui lui traversa le corps de sa rapière : — arrête, Tebaldo, arrête ! — Je viens, Roméo ! c’est pour toi que je bois ceci. (Elle se jette sur son lit.)

JULIET.
Farewell. God knows when we shall meet again.
I have a faint cold fear thrills through my veins
That almost freezes up the heat of life.
I’ll call them back again to comfort me.
Nurse!—What should she do here?
My dismal scene I needs must act alone.
Come, vial.
What if this mixture do not work at all?
Shall I be married then tomorrow morning?
No, No! This shall forbid it. Lie thou there.

[Laying down her dagger.]

What if it be a poison, which the Friar
Subtly hath minister’d to have me dead,
Lest in this marriage he should be dishonour’d,
Because he married me before to Romeo?
I fear it is. And yet methinks it should not,
For he hath still been tried a holy man.
How if, when I am laid into the tomb,
I wake before the time that Romeo
Come to redeem me? There’s a fearful point!
Shall I not then be stifled in the vault,
To whose foul mouth no healthsome air breathes in,
And there die strangled ere my Romeo comes?
Or, if I live, is it not very like,
The horrible conceit of death and night,
Together with the terror of the place,
As in a vault, an ancient receptacle,
Where for this many hundred years the bones
Of all my buried ancestors are pack’d,
Where bloody Tybalt, yet but green in earth,
Lies festering in his shroud; where, as they say,
At some hours in the night spirits resort—
Alack, alack, is it not like that I,
So early waking, what with loathsome smells,
And shrieks like mandrakes torn out of the earth,
That living mortals, hearing them, run mad.
O, if I wake, shall I not be distraught,
Environed with all these hideous fears,
And madly play with my forefathers’ joints?
And pluck the mangled Tybalt from his shroud?
And, in this rage, with some great kinsman’s bone,
As with a club, dash out my desperate brains?
O look, methinks I see my cousin’s ghost
Seeking out Romeo that did spit his body
Upon a rapier’s point. Stay, Tybalt, stay!
Romeo, Romeo, Romeo, here’s drink! I drink to thee.

[Throws herself on the bed.]

SCÈNE IV.

SCENE IV.

Une salle dans la demeure de CAPULET.
Hall in Capulet’s House.
Entrent MADONNA CAPULET et LA NOURRICE.

Enter Lady Capulet and Nurse.

MADONNA CAPULET.
— Tiens, prends ces clefs, et va me chercher d’autres épices, nourrice.

LADY CAPULET.
Hold, take these keys and fetch more spices, Nurse.

LA NOURRICE.
— Ils demandent des dattes et des coings dans l’office des pâtissiers.

NURSE.
They call for dates and quinces in the pastry.

Entre CAPULET.

Enter Capulet.

CAPULET.— Allons, remuons-nous, remuons-nous, remuons-nous ! le coq a chanté pour la deuxième fois ; la cloché du beffroi a sonné, il est trois heures. — Veille aux pâtés, ma bonne Angelica : n’épargne pas la dépense.

CAPULET.
Come, stir, stir, stir! The second cock hath crow’d,
The curfew bell hath rung, ’tis three o’clock.
Look to the bak’d meats, good Angelica;
Spare not for cost.

LA NOURRICE.
— Allez donc, tatillon, allez vous mettre au lit, voyons ; sur ma foi, vous serez malade demain pour avoir veillé cette nuit.

NURSE.
Go, you cot-quean, go,
Get you to bed; faith, you’ll be sick tomorrow
For this night’s watching.

CAPULET.
— Non, pas un brin ; parbleu, j’ai veillé bien d’autres fois des nuits entières pour de moindres causes, et je n’ai jamais été malade.

CAPULET.
No, not a whit. What! I have watch’d ere now
All night for lesser cause, and ne’er been sick.

MADONNA CAPULET.
— Oui, vous avez été un chasseur, de souris dans votre temps ; mais je TOUS garderai contre de semblables veilles maintenant. (Sortent Madonna Capulet et la Nourrice.)

LADY CAPULET.
Ay, you have been a mouse-hunt in your time;
But I will watch you from such watching now.

[Exeunt Lady Capulet and Nurse.]

CAPULET.
— Oh la jalouse ! oh la jalouse !

Entrent des VALETS, avec des broches, des bûches et des paniers.

CAPULET.
— Eh bien, mon garçon, qu’est-ce là ?

CAPULET.
A jealous-hood, a jealous-hood!

Enter Servants, with spits, logs and baskets.

Now, fellow, what’s there?

PREMIER VALET.
— Des choses pour le cuisinier, Messire ; mais je ne sais ce que c’est.

FIRST SERVANT.
Things for the cook, sir; but I know not what.

CAPULET.
— Faites hâte, faites hâte. — (Sort le premier valet.) Maraud, va chercher des bûches plus sèches ; appelle Pierre, il te montrera où elles sont.

CAPULET.
Make haste, make haste.

    [Exit First Servant.]

—Sirrah, fetch drier logs.
Call Peter, he will show thee where they are.

SECOND VALET.
— J’ai un chef, Messire, capable de trouver des bûches sans avoir besoin d’importuner Pierre pour cela. (Il sort.)

SECOND SERVANT.
I have a head, sir, that will find out logs
And never trouble Peter for the matter.

[Exit.]

CAPULET.
— Par la messe, voilà qui est bien, dit ! Un joyeux coquin, ma foi ! nous t’installerons chef des bûches. — Sur ma foi, il est jour : le comte sera ici sous peu avec des musiciens, car Il m’a dit qu’il en amènerait. (On entend de la musique.) Je l’entends : il est tout près. — Nourrice ! — Femme ! — Holà ! — Eh, Nourrice, dis-je !

 

Rentre LA NOURRICE.

 

CAPULET.
— Va réveiller Juliette, va. et aide-la à fairesa toilette ; moi je vais aller causer avec Paris : — dépêche-toi, fais hâte, fais hâte ! le fiancé est arrivé déjà : fais hâte, dis-je ! (Ils sortent.)

CAPULET.
Mass and well said; a merry whoreson, ha.
Thou shalt be loggerhead.—Good faith, ’tis day.
The County will be here with music straight,
For so he said he would. I hear him near.

[Play music.]

Nurse! Wife! What, ho! What, Nurse, I say!

Re-enter Nurse.

Go waken Juliet, go and trim her up.
I’ll go and chat with Paris. Hie, make haste,
Make haste; the bridegroom he is come already.
Make haste I say.

[Exeunt.]

SCÈNE V.

SCENE V.

La chambre de JULIETTE. JULIETTE est étendue sur son lit.
Juliet’s Chamber; Juliet on the bed.
Entre LA NOURRICE.

Enter Nurse.

LA NOURRICE.
— Maîtresse ! — Eh, maîtresse ! — Juliette ! — Elle dort solidement, je lui en réponds. — Hé, agneau !— hé, Madame ! — fi, petite dormeuse ! — Hé, dis-je, ma chérie ! — Madame ! —mon cher cœur ! — Hé, fiancée ! — Quoi, pas un mot ? — Vous prenez vos avances de sommeil maintenant ; dormez pour une semaine, car la nuit prochaine, le comte Paris est bien décidé à jouer avec vous une partie qui vous laissera peu dormir. Dieu me pardonne, bons saints du paradis, comme elle dort ! Il faut absolument que je l’éveille : — Madame, Madame, Madame ! Oui, laissez le comte vous surprendre dans votre lit ; il va vous éveiller en sur saut, ma foi : c’est ce qui va arriver, ma foi ! — Comment, habillée ! et avec vos parures vous vous êtes donc levée et recouchée ! Il faut absolument que je vous éveille. Madame ! Madame ! Madame ! — Hélas ! hélas ! — Au secours ! au secours ! Madame est morte ! — Oh ! quel malheur ! pourquoi suis-je née — Un peu d’eau-de-vie, holà ! — Monseigneur ! Madame !

NURSE.
Mistress! What, mistress! Juliet! Fast, I warrant her, she.
Why, lamb, why, lady, fie, you slug-abed!
Why, love, I say! Madam! Sweetheart! Why, bride!
What, not a word? You take your pennyworths now.
Sleep for a week; for the next night, I warrant,
The County Paris hath set up his rest
That you shall rest but little. God forgive me!
Marry and amen. How sound is she asleep!
I needs must wake her. Madam, madam, madam!
Ay, let the County take you in your bed,
He’ll fright you up, i’faith. Will it not be?
What, dress’d, and in your clothes, and down again?
I must needs wake you. Lady! Lady! Lady!
Alas, alas! Help, help! My lady’s dead!
O, well-a-day that ever I was born.
Some aqua vitae, ho! My lord! My lady!

Entre MADONNA CAPULET

Enter Lady Capulet.

MADONNA CAPULET.
— Quel est ce bruit ?

LADY CAPULET.
What noise is here?

LA NOURRICE.
— Ô lamentable jour !

NURSE.
O lamentable day!

MADONNA CAPULET.
— Qu’y a-t-il ?

LADY CAPULET.
What is the matter?

LA NOURRICE.
— Regardez, regardez ! Ô malheureux jour !

NURSE.
Look, look! O heavy day!

MADONNA CAPULET.
— Hélas ! hélas ! — Mon enfant, m’a vie unique, ranime-toi, rouvre les yeux, ou je vais mourir avec toi ! — Au secours, au secours ! — appelle du secours.

LADY CAPULET.
O me, O me! My child, my only life.
Revive, look up, or I will die with thee.
Help, help! Call help.

Entre CAPULET.

Enter Capulet.

CAPULET.
— Morbleu, faites donc descendre Juliette ; son époux est venu.

CAPULET.
For shame, bring Juliet forth, her lord is come.

LA NOURRICE.
— Elle est morte, trépassée, elle est morte ; hélas, malheureux jour !

NURSE.
She’s dead, deceas’d, she’s dead; alack the day!

MADONNA CAPULET.
— Hélas, malheureux jour ! elle est morte, elle est morte, elle est morte !

LADY CAPULET.
Alack the day, she’s dead, she’s dead, she’s dead!

CAPULET.
— Ah ! laissez-moi la voir : — hélas ! elle est froide ; son sang s’est arrêté ; ses articulations sont roides : la vie a depuis longtemps quitté ses lèvres : la mort est étendue sur elle, comme une gelée hors de saison sur la plus douce fleur de toute la campagne.

CAPULET.
Ha! Let me see her. Out alas! She’s cold,
Her blood is settled and her joints are stiff.
Life and these lips have long been separated.
Death lies on her like an untimely frost
Upon the sweetest flower of all the field.

LA NOURRICE.
— Ô lamentable jour !

NURSE.
O lamentable day!

MADONNA CAPULET.
— Ô heure malheureuse !

LADY CAPULET.
O woful time!

CAPULET.
— La mort, qui l’a enlevée d’ici pour me faire gémir, noue ma langue et ne me permet pas de parler.

CAPULET.
Death, that hath ta’en her hence to make me wail,
Ties up my tongue and will not let me speak.

Entrent LE FRÈRE LAURENT et PARIS avec
des MUSICIENS.

Enter Friar Lawrence and Paris with Musicians.

LE FRÈRE LAURENT.
— Allons, la fiancée est-elle prête à aller à l’église ?

FRIAR LAWRENCE.
Come, is the bride ready to go to church?

CAPULET.
— Prête à y aller, mais à en revenir, jamais plus : ô mon fils, la nuit qui précédait ton mariage, le trépas a couché avec ta fiancée : vois, la voici étendue, fleur comme elle était, déflorée par lui. Le trépas est mon gendre, le trépas est mon héritier ; il a épousé ma fille ! je vais mourir, et lui tout laisser ; vie et biens, tout cela appartient au trépas.

CAPULET.
Ready to go, but never to return.
O son, the night before thy wedding day
Hath death lain with thy bride. There she lies,
Flower as she was, deflowered by him.
Death is my son-in-law, death is my heir;
My daughter he hath wedded. I will die.
And leave him all; life, living, all is death’s.

PARIS.
— Ai-je donc tant aspiré à voir se lever ce jour pour qu’il me donnât un pareil spectacle ?

PARIS.
Have I thought long to see this morning’s face,
And doth it give me such a sight as this?

MADONNA CAPULET.
— Ô jour maudit, malheureux, odieux, lamentable ! Ô heure la plus misérable qu’ait jamais vue le temps dans le cours de, son éternel pèlerinage ! N’avoir qu’une enfant, une pauvre enfant, une pauvre enfant chérie, n’avoir qu’elle pour joie, et consolation, et la cruelle mort vient l’enlever à mes yeux !

LADY CAPULET.
Accurs’d, unhappy, wretched, hateful day.
Most miserable hour that e’er time saw
In lasting labour of his pilgrimage.
But one, poor one, one poor and loving child,
But one thing to rejoice and solace in,
And cruel death hath catch’d it from my sight.

LA NOURRICE.
— Ô malheur ! Ô malheureux, malheureux, malheureux jour ! Ô jour lamentable ! le plus déplorable jour que j’aie jamais, jamais contemplé encore ! Ô jour ! ô jour ! ô jour ! ô jour odieux ! Fut-il jamais un jour si noir que celui-là ! Ô malheureux jour ! ô malheureux jour

NURSE.
O woe! O woeful, woeful, woeful day.
Most lamentable day, most woeful day
That ever, ever, I did yet behold!
O day, O day, O day, O hateful day.
Never was seen so black a day as this.
O woeful day, O woeful day.

PARIS.
— Trompé, divorcé, outragé, méprisé, assassiné ! Ô très détestable mort, tu m’as trompé et ruiné, cruelle, cruelle que tu es ! Ô amour ! ô vie ! vie, non, mais amour au sein de la mort !

PARIS.
Beguil’d, divorced, wronged, spited, slain.
Most detestable death, by thee beguil’d,
By cruel, cruel thee quite overthrown.
O love! O life! Not life, but love in death!

CAPULET.
— Méprisé, dépouillé, haï, martyrisé, tué ! Ô temps implacable, pourquoi es-tu venu à cette heure assassiner, assassiner ; notre fête ? — Ô mon enfant ! ô mon enfant ! mon âme, et non mon enfant ! es-tu donc morte ? Hélas ! mon enfant, est morte, et avec mon enfant mes joies ; sont ensevelies !

CAPULET.
Despis’d, distressed, hated, martyr’d, kill’d.
Uncomfortable time, why cam’st thou now
To murder, murder our solemnity?
O child! O child! My soul, and not my child,
Dead art thou. Alack, my child is dead,
And with my child my joys are buried.

LE FRÈRE LAURENT.
— Paix, de grâce, paix ! Le remède aux choses lamentables n’est pis dans ces lamentations. Le ciel et vous possédiez en commun cette belle vierge ; maintenant le ciel l’a tout entière, et son sort n’en est que plus heureux. Vous ne pouviez pas protéger. la part que vous aviez d’elle contre la mort ; mais le ciel conserve la part qu’il avait d’elle dans la vie éternelle. Le but que vous poursuiviez avant tout était son élévation ; son élévation était votre ciel à vous : et mainténant, est-ce que vous allez pleurer parce qu’elle est élevée au-dessus des nuages, aussi haut que le ciel lui-même ? Oh ! votre amour aime si mal votre enfant, que son bonheur suprême vous rend fous : celle qui est bien mariée, n’est pas celle qui vil mariée longtemps ; mais elle est la mieux mariée, celle qui meurt jeune mariée. Séchez vos larmes, semez le romarin sur ce beau corps, et selon la coutume, portez-la à l’église, dans ses plus beaux atours. Quoique, la folle nature nous invite tous à pleurer, les larmes de la nature sont cependant un objet de pitié pour la raison.

FRIAR LAWRENCE.
Peace, ho, for shame. Confusion’s cure lives not
In these confusions. Heaven and yourself
Had part in this fair maid, now heaven hath all,
And all the better is it for the maid.
Your part in her you could not keep from death,
But heaven keeps his part in eternal life.
The most you sought was her promotion,
For ’twas your heaven she should be advanc’d,
And weep ye now, seeing she is advanc’d
Above the clouds, as high as heaven itself?
O, in this love, you love your child so ill
That you run mad, seeing that she is well.
She’s not well married that lives married long,
But she’s best married that dies married young.
Dry up your tears, and stick your rosemary
On this fair corse, and, as the custom is,
And in her best array bear her to church;
For though fond nature bids us all lament,
Yet nature’s tears are reason’s merriment.

CAPULET.
— Toutes les choses que nous avions ordonnées pour la joie, changeant d’office, prendront un caractère funèbre ; nos instruments sont changés en cloches mélancoliques, notre fêté nuptiale devient une triste fête des funérailles ; nos hymnes solennels sont changés en sombres glas de mort, nos fleurs de fiançailles vont servir pour un ensevelissement, et toutes choses sont transformées en leurs contraires.

CAPULET.
All things that we ordained festival
Turn from their office to black funeral:
Our instruments to melancholy bells,
Our wedding cheer to a sad burial feast;
Our solemn hymns to sullen dirges change;
Our bridal flowers serve for a buried corse,
And all things change them to the contrary.

LE FRÈRE LAURENT.
— Rentrez, Messire, — et vous, Madame, rentrez avec lui ; — allez, vous aussi, Messire Paris ; — que chacun se prépare à suivre ce beau corps, à son tombeau : les cieux vous regardent avec courroux pour quelque péché ; ne les irritez pas davantage en contrariant leur-souveraine volonté. (Sortent Capulet, Madonna Capulet, Paris et le Frère.)

FRIAR LAWRENCE.
Sir, go you in, and, madam, go with him,
And go, Sir Paris, everyone prepare
To follow this fair corse unto her grave.
The heavens do lower upon you for some ill;
Move them no more by crossing their high will.

[Exeunt Capulet, Lady Capulet, Paris and Friar.]

PREMIER MUSICIEN.
— Sur ma foi, nous pouvons fermer nos flûtes dans leurs étuis, et partir.

FIRST MUSICIAN.
Faith, we may put up our pipes and be gone.

LA NOURRICE.
— Mes honnêtes braves garçons, oui fermez-les, fermez-les ; car vous le voyez, les choses sont dans un triste état. (Elle sort.)

NURSE.
Honest good fellows, ah, put up, put up,
For well you know this is a pitiful case.

PREMIER MUSICIEN.
— Oui, sur ma foi, les choses auraient fort besoin d’être raccommodées.

FIRST MUSICIAN.
Ay, by my troth, the case may be amended.

[Exit Nurse.]

Entre PIERRE.

Enter Peter.

PIERRE.
— Musiciens, holà, musiciens : l’air de gaieté du cœur, s’il vous plaît, gaieté du cœur ; si vous voulez que je revive, jouez-moi gaieté du cœur.

PETER.
Musicians, O, musicians, ‘Heart’s ease,’ ‘Heart’s ease’, O, and you will have me live, play ‘Heart’s ease.’

PREMIER MUSICIEN.
— Pourquoi gaieté du cœur ?

FIRST MUSICIAN.
Why ‘Heart’s ease’?

PIERRE.
— Ô musiciens, parce que mon cœur joue de lui-même, « mon cœur est plein de douleur : » oh, jouez-moi quelque joyeuse complainte pour me consoler.

PETER.
O musicians, because my heart itself plays ‘My heart is full’. O play me some merry dump to comfort me.

PREMIER MUSICIEN.
— Nous ne jouerons pas de complainte ; ce n’est pas l’heure de jouer maintenant.

FIRST MUSICIAN.
Not a dump we, ’tis no time to play now.

PIERRE.
— Vous ne voulez donc pas ?

PETER.
You will not then?

PREMIER MUSICIEN.
— Non.

FIRST MUSICIAN.
No.

PIERRE.
— Alors, je m’en vais vous en donner solidement.

PETER.
I will then give it you soundly.

PREMIER MUSICIEN.
— Que vas-tu nous donner ?

FIRST MUSICIAN.
What will you give us?

PIERRE.
— Pas de l’argent, sur ma foi, mais du violonneux ; je vous donnerai du ménétrier.

PETER.
No money, on my faith, but the gleek! I will give you the minstrel.

PREMIER MUSICIEN.
— En ce cas, moi, je vous donnerai du domestique.

FIRST MUSICIAN.
Then will I give you the serving-creature.

PIERRE.
— En ce cas, je vous appliquerai la rapière du domestique sur votre caboche. Je ne veux pas de ces anicroches : je vous donnerai du , je vous donnerai du fa ; notez-vous bien qui je suis ?

PETER.
Then will I lay the serving-creature’s dagger on your pate. I will carry no crotchets. I’ll re you, I’ll fa you. Do you note me?

PREMIER MUSICIEN.
— Si vous nous donnez du , et si vous nous donnez du fa, c’est vous qui nous notez.

FIRST MUSICIAN.
And you re us and fa us, you note us.

SECOND MUSICIEN.
— Je vous en prie, rengainez votre rapière et dégainez votre esprit.

SECOND MUSICIAN.
Pray you put up your dagger, and put out your wit.

PIERRE.
— Allons, en garde, c’est mon esprit qui va vous attaquer ! Je vais rengainer la lame de mon poignard, et vous battre comme il faut avec la lame de mon esprit. — Répondez-moi comme des hommes :

        Lorsque le chagrin peignant torture le cœur,
        Et que les plaintes douloureuses oppressent l’âme ,
        Alors la musique avec ses sons d’argent....

Pourquoi sons d’argent ? pourquoi la musique avec ses sons d’argent ? Que répondez-vous, Simon Chanterelle ?

PETER.
Then have at you with my wit. I will dry-beat you with an iron wit, and put up my iron dagger. Answer me like men.
    ‘When griping griefs the heart doth wound,
      And doleful dumps the mind oppress,
    Then music with her silver sound’—
Why ‘silver sound’? Why ‘music with her silver sound’? What say you, Simon Catling?

PREMIER MUSICIEN.
— Pardi, Monsieur, parce que l’argent a un doux son.

FIRST MUSICIAN.
Marry, sir, because silver hath a sweet sound.

PIERRE.
— Joli ! et que dites-vous, vous, Hugues Rebec ?

PETER.
Prates. What say you, Hugh Rebeck?

SECOND MUSICIEN.
— Je dis que la musique a un son d’argent, parce que les musiciens jouent pour de l’argent.

SECOND MUSICIAN.
I say ‘silver sound’ because musicians sound for silver.

PIERRE.
— Joli aussi ! et vous, que dites-vous, Jacques du Son ?

PETER.
Prates too! What say you, James Soundpost?

TROISIÈME MUSICIEN.
— Ma foi, je ne sais quoi dire.

THIRD MUSICIAN.
Faith, I know not what to say.

PIERRE.
— Oh, je vous demande pardon ; vous êtes le chanteur : je parlerai pour vous. Voici : — la musique a un son d’argent, parce que des gaillards tels que vous ont rarement de l’or pour jouer :

Alors la musique avec ses sons d’argent
Nous relève avec un prompt secours.
(Il sort en chantant.)

PETER.
O, I cry you mercy, you are the singer. I will say for you. It is ‘music with her silver sound’ because musicians have no gold for sounding.
      ‘Then music with her silver sound
      With speedy help doth lend redress.’

[Exit.]

PREMIER MUSICIEN.
— Quel drôle infect cela fait !

FIRST MUSICIAN.
What a pestilent knave is this same!

DEUXIÈME MUSICIEN.
— Pendu soit-il, le Pierrot ! Venez, nous allons rentrer : attendons les pleureurs, et restons pour le dîner. (Ils sortent.)

SECOND MUSICIAN.
Hang him, Jack. Come, we’ll in here, tarry for the mourners, and stay dinner.

[Exeunt.]

ACTE V.

ACT V

SCÈNE PREMIÈRE.

SCENE I.

MANTOUE. — Une rue.
Mantua. A Street.
Entre ROMÉO.

Enter Romeo.

ROMÉO.
— Si je puis croire que les yeux du sommeil voient juste, mes rêves me présagent que quelque joyeux événement est proche. Le maître de mon cœur est gaiement assis sur son trône, et, tout aujourd’hui, un entrain inaccoutumé n’a cessé, de me soulever de terre avec des pensées riantes. J’ai rêvé que ma Dame venait et me trouvait mort (étrange rêve que celui qui permet à un. homme mort de penser !), et qu’elle a insufflé par ses baisers une telle vie à travers mes lèvres que je revivais et que j’étais un empereur. Hélas ! quelle n’est pas-la douceur de L’amour possédé. lorsque les ombres seules de l’amour sont si riches en joies !

ROMEO.
If I may trust the flattering eye of sleep,
My dreams presage some joyful news at hand.
My bosom’s lord sits lightly in his throne;
And all this day an unaccustom’d spirit
Lifts me above the ground with cheerful thoughts.
I dreamt my lady came and found me dead,—
Strange dream, that gives a dead man leave to think!—
And breath’d such life with kisses in my lips,
That I reviv’d, and was an emperor.
Ah me, how sweet is love itself possess’d,
When but love’s shadows are so rich in joy.

Entre BALTHAZAR.

Enter Balthasar.

ROMÉO.
— Des-nouvelles de Vérone ! — Eh bien, qu’y a-t-il, Balthazar ? Est-ce que tu ne m’as pas apporté des lettres du frère ? Comment va ma Dame ? mon père va-t-il bien ? Comment va Madame Juliette ? je te le demande encore ; car si elle va bien, rien ne va mal.

ROMEO.
News from Verona! How now, Balthasar?
Dost thou not bring me letters from the Friar?
How doth my lady? Is my father well?
How fares my Juliet? That I ask again;
For nothing can be ill if she be well.

BALTHAZAR.
— En ce cas, rien ne va mai, car elle est bien ; son corps sommeille dans le monument des Capulets, et la partie immortelle d’elle-même vit avec les anges. Je l’ai vu déposer dans le caveau de ses ancêtres, et j’ai fait immédiatement toute, diligence pour venir vous le dire : oh ! pardonnez-moi de vous apporter ces mauvaises nouvelles, puisque vous m’avez chargé vous-même de cet office, Messire.

BALTHASAR.
Then she is well, and nothing can be ill.
Her body sleeps in Capel’s monument,
And her immortal part with angels lives.
I saw her laid low in her kindred’s vault,
And presently took post to tell it you.
O pardon me for bringing these ill news,
Since you did leave it for my office, sir.

ROMÉO.
— En est-il ainsi ? alors, je vous défie, étoiles ! —Tu connais mon logement : procure-moi de l’encre et du papier, et loue-moi des chevaux de poste ; je partirai d’ici ce soir.

ROMEO.
Is it even so? Then I defy you, stars!
Thou know’st my lodging. Get me ink and paper,
And hire post-horses. I will hence tonight.

BALTHAZAR.
— Je vous en conjure, Messire, prenez patience ; votre aspect est pâle et égaré, et me fait craindre quelque malheur.

BALTHASAR.
I do beseech you sir, have patience.
Your looks are pale and wild, and do import
Some misadventure.

ROMÉO.
— Bah, tu te trompes : laisse-moi, et fais ce que je t’ordonne de faire. N’as-tu pas de lettres pour moi de la part du frère ?

ROMEO.
Tush, thou art deceiv’d.
Leave me, and do the thing I bid thee do.
Hast thou no letters to me from the Friar?

BALTHAZAR.
— Non, mon bon Seigneur.

BALTHASAR.
No, my good lord.

ROMÉO.
— Peu importe : pars, et va me louer ces chevaux ; je te rejoins.immédiatement. (Sort Balthazar.) Bien, Juliette, je coucherai à tes côtés cette nuit. Voyons les moyens. — Ô mal ! comme tu es prompt à entrer dans les pensées dés hommes désespérés ! Je me rappelle un apothicaire, — il habite dans ces environs, — que j’ai remarqué dernièrement triant des simples, en vêtements déchirés et d’une mine sombre : il avait l’air affamé, l’âpre misère l’avait rongé jusqu’aux os : au plafond de sa pauvre boutique pendaient une tortue, un alligator empaillé, et autres peaux de poissons monstrueux ; sur les rayons étaient placés quelques misérables boites vides, des pots de terre verts, des vessies, des graines moisies, des restes de ficelle, de vieux gâteaux de rose, tout cela maigrement épars, pour faire montre. En remarquant cette pénurie, je me dis en moi-même, — si un homme avait besoin d’un poison dont la vente est punie de mort à Mantoue, ici demeure un misérable manant qui le lui vendrait. Oh ! cette pensée-là n’a fait que devancer mon besoin présent, et cet homme besoigneux me vendra le poison. Si j’ai bonne mémoire, voici là sa maison : comme c’est jour de fête, la boutique du mendiant est fermée. — Holà, ho ! apothicaire !

ROMEO.
No matter. Get thee gone,
And hire those horses. I’ll be with thee straight.

[Exit Balthasar.]

Well, Juliet, I will lie with thee tonight.
Let’s see for means. O mischief thou art swift
To enter in the thoughts of desperate men.
I do remember an apothecary,—
And hereabouts he dwells,—which late I noted
In tatter’d weeds, with overwhelming brows,
Culling of simples, meagre were his looks,
Sharp misery had worn him to the bones;
And in his needy shop a tortoise hung,
An alligator stuff’d, and other skins
Of ill-shaped fishes; and about his shelves
A beggarly account of empty boxes,
Green earthen pots, bladders, and musty seeds,
Remnants of packthread, and old cakes of roses
Were thinly scatter’d, to make up a show.
Noting this penury, to myself I said,
And if a man did need a poison now,
Whose sale is present death in Mantua,
Here lives a caitiff wretch would sell it him.
O, this same thought did but forerun my need,
And this same needy man must sell it me.
As I remember, this should be the house.
Being holiday, the beggar’s shop is shut.
What, ho! Apothecary!

Entre L’APOTHICAIRE.

Enter Apothecary.

L’APOTHICAIRE.
— Qui appelle si haut ?

APOTHECARY.
Who calls so loud?

ROMÉO.
— Viens ici, l’ami. — Je vois que tu es pauvre ; tiens, voilà quarante ducats : procure moi une dose de poison, un poison si rapide, que dès qu’il se sera répandu à travers ses veines, le malheureux fatigué de la vie qui l’aura pris, tombe mort, et que son âme soit renvoyée de son corps aussi violemment que la poudre rapide, une fois enflammée, se précipite hors des entrailles du fatal canon.

ROMEO.
Come hither, man. I see that thou art poor.
Hold, there is forty ducats. Let me have
A dram of poison, such soon-speeding gear
As will disperse itself through all the veins,
That the life-weary taker may fall dead,
And that the trunk may be discharg’d of breath
As violently as hasty powder fir’d
Doth hurry from the fatal cannon’s womb.

L’APOTHICAIRE.
— J’ai de telles, mortelles drogues, mais il y a peine de mort à Mantoue pour celui qui découvre qu’il en a.

APOTHECARY.
Such mortal drugs I have, but Mantua’s law
Is death to any he that utters them.

ROMÉO.
— Quoi ! tu es si nu et si misérable, et tu as peur de mourir ! La famine loge dans tes joues, le besoin et le malheur jeûnent dans tes yeux, le mépris et la mendicité pendent sur ton dos, ni le monde, ni les lois du monde ne te sont amis : le monde ne promulgue pas de lois qui puissent te faire riche ; par conséquent, cesse d’être pauvre, viole la loi, et prends cet or.

ROMEO.
Art thou so bare and full of wretchedness,
And fear’st to die? Famine is in thy cheeks,
Need and oppression starveth in thine eyes,
Contempt and beggary hangs upon thy back.
The world is not thy friend, nor the world’s law;
The world affords no law to make thee rich;
Then be not poor, but break it and take this.

L’APOTHICAIRE.
— C’est ma pauvreté qui consent, non ma volonté.

APOTHECARY.
My poverty, but not my will consents.

ROMÉO.
— Je paye ta pauvreté, et non ta volonté.

ROMEO.
I pay thy poverty, and not thy will.

L’APOTHICAIRE.
— Placez ceci dans n’importe quel liquide que vous voudrez, et buvez le ; eussiez-vous la force de vingt hommes, cela vous dépêcherait immédiatement.

APOTHECARY.
Put this in any liquid thing you will
And drink it off; and, if you had the strength
Of twenty men, it would despatch you straight.

ROMÉO.
— Voici ton or ; l’or est pour les âmes des hommes un pire poison, et qui accomplit plus, de meurtres dans ce-monde exécrable, que ces pauvres drogues-ci que tu n’as pas permission de vendre. C’est moi qui te vends du poison, tu ne m’en as vendu aucun. Adieu : achète de la nourriture, et tâche de te faire de la chair. — Viens, cordial, et non poison, viens avec moi au tombeau de Juliette ; car c’est là que je ferai usage de toi. (Ils sortent.)

ROMEO.
There is thy gold, worse poison to men’s souls,
Doing more murder in this loathsome world
Than these poor compounds that thou mayst not sell.
I sell thee poison, thou hast sold me none.
Farewell, buy food, and get thyself in flesh.
Come, cordial and not poison, go with me
To Juliet’s grave, for there must I use thee.

[Exeunt.]

SCÈNE II

SCENE II.

La cellule du FRÈRE LAURENT
Friar Lawrence’s Cell.
Entre LE FRÈRE JEAN.

Enter Friar John.

LE FRÈRE JEAN.
— Révérend frère en saint François ! frère, holà !

FRIAR JOHN.
Holy Franciscan Friar! Brother, ho!

Entre LE FRÈRE LAURENT.

Enter Friar Lawrence.

LE FRÈRE LAURENT.
— Cette voix doit être celle du frère Jean. — Sois le bienvenu à ton retour de Mantoue : que dit Roméo ? ou bien, s’il a préféré m’écrire ses intentions, donne-moi sa lettre.

FRIAR LAWRENCE.
This same should be the voice of Friar John.
Welcome from Mantua. What says Romeo?
Or, if his mind be writ, give me his letter.

LE FRÈRE JEAN.
— J’étais allé à la recherche d’un frère déchaussé appartenant à notre ordre, qui était à visiter les malades dans la ville, pour qu’il me servît de compagnon de route, et au moment où je le rencontrais, les agents de salubrité de la ville, soupçonnant que nous nous trouvions dans une ’maison où régnait une peste contagieuse, ont fermé les portes, et n’ont pas voulu nous laisser sortir en sorte que mon voyage pour Mantoue a. été empêché.

FRIAR JOHN.
Going to find a barefoot brother out,
One of our order, to associate me,
Here in this city visiting the sick,
And finding him, the searchers of the town,
Suspecting that we both were in a house
Where the infectious pestilence did reign,
Seal’d up the doors, and would not let us forth,
So that my speed to Mantua there was stay’d.

LE FRÈRE LAURENT.
— En ce cas, qui a porté ma lettre à Roméo ?

FRIAR LAWRENCE.
Who bare my letter then to Romeo?

LE FRÈRE JEAN.
— Je n’ai pu l’envoyer, — la voici, — ni me procurer un messager pour la porter, tant, ils avaient peur de l’infection.

FRIAR JOHN.
I could not send it,—here it is again,—
Nor get a messenger to bring it thee,
So fearful were they of infection.

LE FRÈRE LAURENT.
— Malheureux contre-temps ! Par mon saint ordre, cette lettre n’était pas insignifiante, mais contenait des choses de grande et précieuse importance ; il peut arriver de graves accidents de ce qu’elle n’a pas été remise. Frère Jean, sors, va me chercher un levier de fer, et porte-le immédiatement dans ma cellule.

FRIAR LAWRENCE.
Unhappy fortune! By my brotherhood,
The letter was not nice, but full of charge,
Of dear import, and the neglecting it
May do much danger. Friar John, go hence,
Get me an iron crow and bring it straight
Unto my cell.

LE FRÈRE JEAN.
— Frère, je vais aller le chercher et te l’apporter. (il sort.)

FRIAR JOHN.
Brother, I’ll go and bring it thee.

[Exit.]

LE FRÈRE LAURENT.
— Il faut donc que j’aille seul au monument ; d’ici à trois- heures la belle Juliette se réveillera ; elle me grondera beaucoup de ce que Roméo n’a pas eu avis de ces événements : mais j’écrirai derechef à Mantoue, et je la garderai dans ma cellule jusqu’à l’arrivée de Roméo. Pauvre corps vivant, enfermé dans la tombe d’un mort ! (Il sort.)

FRIAR LAWRENCE.
Now must I to the monument alone.
Within this three hours will fair Juliet wake.
She will beshrew me much that Romeo
Hath had no notice of these accidents;
But I will write again to Mantua,
And keep her at my cell till Romeo come.
Poor living corse, clos’d in a dead man’s tomb.

[Exit.]

SCÈNE III.

SCENE III.

Un cimetière. Le monument des CAPULETS.
A churchyard; in it a Monument belonging to the Capulets.
Entrent PARIS et son PAGE portant des fleurs et une torche.

Enter Paris, and his Page bearing flowers and a torch.

PARIS.
— Donne-moi ta torche enfant : pars d’ici, et tiens-toi à distance ; — cependant, non, éteins-la, car je ne voudrais pas être vu. Couche-foi tout de ton long sous ces ifs qui sont là-bas, et pose ton oreille contre la terre sonore ; le terrain de ce cimetière est tellement ébranlé et peu solide, tant on, y a creusé de fosses, qu’il ne se peut qu’on y fasse un pas sans que le bruit t’en arrive : dans ce cas-là, donne un coup de sifflet, pour me prévenir que tu entends, quelqu’un qui approche. Donne-moi ces fleurs fais ce que je te-dis, va.

PARIS.
Give me thy torch, boy. Hence and stand aloof.
Yet put it out, for I would not be seen.
Under yond yew tree lay thee all along,
Holding thy ear close to the hollow ground;
So shall no foot upon the churchyard tread,
Being loose, unfirm, with digging up of graves,
But thou shalt hear it. Whistle then to me,
As signal that thou hear’st something approach.
Give me those flowers. Do as I bid thee, go.

LE PAGE, à part.
— J’ai presque peur de rester seul dans ce cimetière ; cependant je. vais essayer de faire bonne contenance. (Il se retire.)

PAGE.
[Aside.] I am almost afraid to stand alone
Here in the churchyard; yet I will adventure.

[Retires.]

PARIS.
— Douce fleur, je sème de fleurs ton lit nuptial, dont le dais, ô malheur est poussière et pierres ; chaque nuit, je viendrai l’arroser d’une eau parfumée, ou à son défaut, des larmes distillées par mes sanglots. Les obsèques que je veux célébrer pour toi, seront de venir chaque huit semer ta tombe de fleurs et pleurer. (Le page siffle.) L’enfant me donne le signal que quelqu’un approche. Quel est le pied maudit qui foule ce soir ce sentier, et qui vient ainsi contrarier, mes cérémonies et mes : rites de, fidèle amour Comment ! avec une torche ! Couvre-moi de ta cape quelques instants, ô nuit. (Il se retire.)

PARIS.
Sweet flower, with flowers thy bridal bed I strew.
O woe, thy canopy is dust and stones,
Which with sweet water nightly I will dew,
Or wanting that, with tears distill’d by moans.
The obsequies that I for thee will keep,
Nightly shall be to strew thy grave and weep.

[The Page whistles.]

The boy gives warning something doth approach.
What cursed foot wanders this way tonight,
To cross my obsequies and true love’s rite?
What, with a torch! Muffle me, night, awhile.

[Retires.]

Entrent ROMÉO et BALTHAZAR avec une torche, une pioche, etc.

Enter Romeo and Balthasar with a torch, mattock, &c.

ROMÉO.
— Donne-moi cette pioche et la barre de fier pour soulever. Tiens prends cette lettre demain, matin de bonne heure, aie soin de la remettre, à mon Seigneur et père. Donne-moi là-lumière quelque chose, que tu entendes ou que tu voies, je t’ordonne sur ta vie de rester à l’écart et de ne pas m’interrompre dans mes actions. Si je descends dans ce lit de là mort c’est d’abord, pour contempler le visage de ma Dame ; mais surtout pour enlever de sa main morte un précieux anneau, un anneau auquel je veux donner fin cher emploi ainsi donc pars, va-t’en : — mais si soupçonneux, tu reviens pour épier ce que je serai en train de faire, par le ciel, je te couperai en morceaux, et je sèmerai de tes membres ce cimetière, affamé d’existences : la situation et les pensées de mon âme sont frénétiques plus féroces, et bien autrement inexorables, que les tigres à jeun ou la mer mugissante.

ROMEO.
Give me that mattock and the wrenching iron.
Hold, take this letter; early in the morning
See thou deliver it to my lord and father.
Give me the light; upon thy life I charge thee,
Whate’er thou hear’st or seest, stand all aloof
And do not interrupt me in my course.
Why I descend into this bed of death
Is partly to behold my lady’s face,
But chiefly to take thence from her dead finger
A precious ring, a ring that I must use
In dear employment. Therefore hence, be gone.
But if thou jealous dost return to pry
In what I further shall intend to do,
By heaven I will tear thee joint by joint,
And strew this hungry churchyard with thy limbs.
The time and my intents are savage-wild;
More fierce and more inexorable far
Than empty tigers or the roaring sea.

BALTHAZAR.
— Je vais partir, Messire, et je ne vous troublerai pas.

BALTHASAR.
I will be gone, sir, and not trouble you.

ROMÉO.
— En cela, lu me montreras ton amitié : prends ce que voici : vis, et sois heureux ; adieu, mon bon garçon.

ROMEO.
So shalt thou show me friendship. Take thou that.
Live, and be prosperous, and farewell, good fellow.

BALTHAZAR.
— Malgré sa recommandation, je Vais me cacher aux alentours ; ses regards me font peur, et je me méfie de ses intentions. (Il se retire.)

BALTHASAR.
For all this same, I’ll hide me hereabout.
His looks I fear, and his intents I doubt.

[Retires]

ROMÉO.
— Détestable bouche, gouffre de mort, qui t’es gorgé du mets le plus précieux de la terre, voici comment je force à s’ouvrir tes mâchoires pourries. (Il ouvre le sépulcre.) En dépit de toi, je veux t’assouvir encore d’autre nourriture !

ROMEO.
Thou detestable maw, thou womb of death,
Gorg’d with the dearest morsel of the earth,
Thus I enforce thy rotten jaws to open,

[Breaking open the door of the monument.]

And in despite, I’ll cram thee with more food.

PARIS.
— C’est le hautain proscrit Montaigu, celui qui tua le cousin de ma bien-aimée, laquelle en ressentit un tel chagrin qu’on suppose que la belle créature en est. morte ; il est venu ici pour faire subir quelque odieux outrage aux cadavres. Je m’en vais le saisir. (Il s’avance.) Arrête ton travail impie, vil Montaigu ! La vengeance doit-elle donc être poursuivie plus loin que la mort ? Scélérat condamné, je t’arrête : obéis, et viens avec moi, car tu dois mourir.

PARIS.
This is that banish’d haughty Montague
That murder’d my love’s cousin,—with which grief,
It is supposed, the fair creature died,—
And here is come to do some villanous shame
To the dead bodies. I will apprehend him.

[Advances.]

Stop thy unhallow’d toil, vile Montague.
Can vengeance be pursu’d further than death?
Condemned villain, I do apprehend thee.
Obey, and go with me, for thou must die.

ROMÉO.
— Oui, je dois mourir en effet, c’est pour cela que je suis venu ici. — Mon bon et gentil jeune homme, ne tente pas un homme désespéré : fuis d’ici, et laisse-moi : pense à ceux qui dorment ici, et que leur pensée te fasse fuir d’effroi. — Je t’en conjure, jeune homme, né fais pas tomber un autre péché sur ma tête en me poussant à la fureur : oh, va-t’en ! Par le ciel, je t’aime plus que moi-même, car je suis venu ici armé contre moi-même : ne reste pas, pars ; — vis, et dis plus tard que la clémence d’un fou frénétique te recommanda de t’enfuir.

ROMEO.
I must indeed; and therefore came I hither.
Good gentle youth, tempt not a desperate man.
Fly hence and leave me. Think upon these gone;
Let them affright thee. I beseech thee, youth,
Put not another sin upon my head
By urging me to fury. O be gone.
By heaven I love thee better than myself;
For I come hither arm’d against myself.
Stay not, be gone, live, and hereafter say,
A madman’s mercy bid thee run away.

PARIS.
— Je brave tes conjurations, et je t’arrête ici comme un félon.

PARIS.
I do defy thy conjuration,
And apprehend thee for a felon here.

ROMÉO.
— Veux-tu donc me provoquer ? Alors, en garde, bambin ! (Ils combattent.)

ROMEO.
Wilt thou provoke me? Then have at thee, boy!

[They fight.]

LE PAGE.
— Seigneur ! ils se battent ! je vais aller appeler la garde. (Il sort. Paris tombe.)

PAGE.
O lord, they fight! I will go call the watch.

[Exit.]

PARIS.
— Oh, je suis tué ! Si tu es charitable, ouvre la tombe, dépose-moi à-côté de Juliette. (Il meurt.)

PARIS.
O, I am slain! [Falls.] If thou be merciful,
Open the tomb, lay me with Juliet.

[Dies.]

ROMÉO.
— Sur ma foi, je le ferai. Tâchons de reconnaître son visage. — C’est le parent de Mercutio, le noble comte Paris ! — Que me disait mon valet, en route, pendant que mon âme bouleversée dé tempêtes l’écoutait sans l’entendre ? Je crois qu’il m’a dit que Paris devait être marié à Juliette ? me l’a-t-il dit ou non ? ou bien ai-je rêvé la chose ? où bien, suis-je assez fou pour avoir imaginé la chose tout seul en l’entendant parler de Juliette ? — Oh ! donne-moi ta main, toi qui fus inscrit avec moi sur le livre de l’âpre malheur ! Je vais t’ensevelir dans un glorieux tombeau ; un tombeau ? — on ! non, jeune homme égorgé, mais un phare ; car Juliette y est couchée, et sa beauté fait de ce caveau une salle de fêtes pleine de lumière. Mort, couche-toi ici, enterré par un homme mort. (Il dépose Paris dans le monument.) Que de fois les hommes, lorsqu’ils sont sur le point de mourir, se montrent gais ! C’est ce que leurs gardiens appellent un éclair avant la mort : oh ! comment puis-je appeler cela un éclair (a) ? — Ô ma chérie ! ma femme ! la mort qui a sucé le miel de ton haleine n’a pas eu encore de pouvoir sur ta beauté : tu n’as pas été conquise ; l’étendard de la beauté est encore rouge sur tes lèvres et sur tes joues, et le pâle drapeau de la mort n’y a pas encore été planté. — Tebaldo, est-ce toi qui es couché dans ton linceul sanglant ? Oh ! quelle plus grande réparation puis-je te faire, que de séparer de ce monde celui qui fut ton ennemi, au moyen de cette même main qui a tranché ta jeunesse dans sa fleur ? Pardonne-moi, cousin ! — Ô chère Juliette, pourquoi es-tu encore si belle ? Croirai-je que l’immatériel trépas est amoureux, et que le monstre-maigre et abhorré le garde dans les ténèbres, pour être sa maîtresse ? Dans cette crainte, je vais aller habiter avec toi, et jamais plus je ne quitterai ce palais de sombre nuit. Là, là, je resterai avec les vers qui sont tes filles de chambre ; là j’établirai mon lieu éternel de repos, en débarrassant cette chair fatiguée du monde de la tyrannie des étoiles funestes. — Regardez-la pour la dernière fois, mes yeux ! Prenez votre dernière étreinte, mes bras ! El vous, mes lèvres, vous qui êtes les portes de la respiration scellez d’un baiser loyal un marché éternel conclu avec la mort rapace ! Viens, cruel conducteur ; viens, guide repoussant ! Pilote désespéré, allons, précipite contre les rochers’ qui vont la briser la barque fatiguée et malade de la tempête ! Je bois à mon amour ! (Il boit le poison.) Oh, tu es un honnête apothicaire ! tes drogues sont rapides. Je meurs ainsi avec un baiser. (Il meurt.)

ROMEO.
In faith, I will. Let me peruse this face.
Mercutio’s kinsman, noble County Paris!
What said my man, when my betossed soul
Did not attend him as we rode? I think
He told me Paris should have married Juliet.
Said he not so? Or did I dream it so?
Or am I mad, hearing him talk of Juliet,
To think it was so? O, give me thy hand,
One writ with me in sour misfortune’s book.
I’ll bury thee in a triumphant grave.
A grave? O no, a lantern, slaught’red youth,
For here lies Juliet, and her beauty makes
This vault a feasting presence full of light.
Death, lie thou there, by a dead man interr’d.

[Laying Paris in the monument.]

How oft when men are at the point of death
Have they been merry! Which their keepers call
A lightning before death. O, how may I
Call this a lightning? O my love, my wife,
Death that hath suck’d the honey of thy breath,
Hath had no power yet upon thy beauty.
Thou art not conquer’d. Beauty’s ensign yet
Is crimson in thy lips and in thy cheeks,
And death’s pale flag is not advanced there.
Tybalt, liest thou there in thy bloody sheet?
O, what more favour can I do to thee
Than with that hand that cut thy youth in twain
To sunder his that was thine enemy?
Forgive me, cousin. Ah, dear Juliet,
Why art thou yet so fair? Shall I believe
That unsubstantial death is amorous;
And that the lean abhorred monster keeps
Thee here in dark to be his paramour?
For fear of that I still will stay with thee,
And never from this palace of dim night
Depart again. Here, here will I remain
With worms that are thy chambermaids. O, here
Will I set up my everlasting rest;
And shake the yoke of inauspicious stars
From this world-wearied flesh. Eyes, look your last.
Arms, take your last embrace! And, lips, O you
The doors of breath, seal with a righteous kiss
A dateless bargain to engrossing death.
Come, bitter conduct, come, unsavoury guide.
Thou desperate pilot, now at once run on
The dashing rocks thy sea-sick weary bark.
Here’s to my love! [Drinks.] O true apothecary!
Thy drugs are quick. Thus with a kiss I die.

[Dies.]

Entre, de l’autre côté du cimetière, LE FRÈRE LAURENT avec une lanterne, un levier et une pioche.

Enter, at the other end of the Churchyard, Friar Lawrence, with a lantern, crow, and spade.

LE FRÈRE LAURENT.
— Saint François me donne diligence ! Que de fois, cette nuit, mes vieux pieds ont trébuché aux tombes ! Qui est là ?

FRIAR LAWRENCE.
Saint Francis be my speed. How oft tonight
Have my old feet stumbled at graves? Who’s there?
Who is it that consorts, so late, the dead?

BALTHAZAR, s’avançant.
— Un homme qui.est un ami et qui vous connaît bien.

BALTHASAR.
Here’s one, a friend, and one that knows you well.

LE FRÈRE LAURENT.
— La bénédiction de Dieu soit avec loi ! Dis-moi, mon bon ami, quelle est cette torche là-bas qui prête inutilement sa lumière aux vers et aux crânes sans yeux ? Autant que je puis le distinguer, elle brûle dans le monument des Capulets.

FRIAR LAWRENCE.
Bliss be upon you. Tell me, good my friend,
What torch is yond that vainly lends his light
To grubs and eyeless skulls? As I discern,
It burneth in the Capels’ monument.

BALTHAZAR.
— Elle y brûle, pieux Messire, et il y a là mon maître, un homme que vous aimez.

BALTHASAR.
It doth so, holy sir, and there’s my master,
One that you love.

LE FRÈRE LAURENT.
— Qui ça ?

FRIAR LAWRENCE.
Who is it?

BALTHAZAR.
— Roméo.

BALTHASAR.
Romeo.

LE FRÈRE LAURENT.
— Depuis combien de temps est-il là ?

FRIAR LAWRENCE.
How long hath he been there?

BALTHAZAR.
— Depuis une grande demi-heure.

BALTHASAR.
Full half an hour.

LEFRÈRE LAURENT.
— Viens avec moi au caveau.

FRIAR LAWRENCE.
Go with me to the vault.

BALTHAZAR.
— Je n’ose pas, Messire ; mon maître croit que je suis parti d’ici, et il m’a fait les menaces de mort les plus formidables, si je restais pour surveiller ses actions.

BALTHASAR.
I dare not, sir;
My master knows not but I am gone hence,
And fearfully did menace me with death
If I did stay to look on his intents.

LE FRÈRE LAURENT.
— Reste alors, j’irai seul : la crainte s’empare de moi ; oh ! je redoute beaucoup qu’il ne soit arrivé quelque malheur.

FRIAR LAWRENCE.
Stay then, I’ll go alone. Fear comes upon me.
O, much I fear some ill unlucky thing.

BALTHAZAR.
— Comme je m’étais endormi sous cet if, ici, j’ai rêvé que mon maître et un autre homme se battaient, et que mon maître avait tué son adversaire.

BALTHASAR.
As I did sleep under this yew tree here,
I dreamt my master and another fought,
And that my master slew him.

LE FRÈRE LAURENT, s'approchant du monument.
— Roméo ! — Hélas ! hélas ! quel est ce sang qui tache l’entrée de pierre de ce sépulcre ? Que signifient ces épées sanglantes et sans maîtres qui sont là, par terre, souillées, près de ce lieu de paix ! (Il entre dans le monument.) Roméo ! Oh, pâle ! — Qui encore ? quoi ! Paris aussi ? et baigné dans son sang ? Ah ! quelle heure implacable que celle qui a été coupable de ce hasard lamentable ! — La Dame s’agite. (Juliette se réveille.)

FRIAR LAWRENCE.
Romeo! [Advances.]
Alack, alack, what blood is this which stains
The stony entrance of this sepulchre?
What mean these masterless and gory swords
To lie discolour’d by this place of peace?

[Enters the monument.]

Romeo! O, pale! Who else? What, Paris too?
And steep’d in blood? Ah what an unkind hour
Is guilty of this lamentable chance?
The lady stirs.

[Juliet wakes and stirs.]

JULIETTE.
— Ô secourable frère ! où est mon Seigneur ? je me rappelle bien où je devais me trouver, et m’y voilà : où est mon Roméo ? (On entend du bruit.)

JULIET.
O comfortable Friar, where is my lord?
I do remember well where I should be,
And there I am. Where is my Romeo?

[Noise within.]

LE FRÈRE LAURENT.
— J’entends du bruit. — Dame, sors de cet autre de mort, de contagion, de sommeil contre nature : un pouvoir trop grand pour que nous puissions lui résister a traversé nos desseins. Partons, partons d’ici : ton époux est là couché mort sur ton sein, et Paris aussi : viens, je te placerai dans-un couvent de pieuses nonnes : ne perds pas de temps à m’interroger, car la garde arrive : allons, viens, ma bonne Juliette ; (nouveau bruit) je n’ose pas rester plus longtemps.

FRIAR LAWRENCE.
I hear some noise. Lady, come from that nest
Of death, contagion, and unnatural sleep.
A greater power than we can contradict
Hath thwarted our intents. Come, come away.
Thy husband in thy bosom there lies dead;
And Paris too. Come, I’ll dispose of thee
Among a sisterhood of holy nuns.
Stay not to question, for the watch is coming.
Come, go, good Juliet. I dare no longer stay.

JULIETTE.
— Va, pars d’ici toi, car moi je ne m’en irai pas. (Sort le frère Laurent.) Qu’y a-t-il là ? une coupe, serrée par la main de mon fidèle bien-aimé ? C’est le poison, je le vois, qui a mis prématurément fin à ses jours. méchant ! il a tout bu, et ne m’en a pas laissé par amitié une seule goutte pour, me venir en aide après lui ! Je vais baiser tes lèvres ; peut-être y a-t-il encore assez de poison pour me faire mourir en y goûtant le cordial du baiser. (Elle l’embrasse.) Tes lèvres sont chaudes !

JULIET.
Go, get thee hence, for I will not away.

[Exit Friar Lawrence.]

What’s here? A cup clos’d in my true love’s hand?
Poison, I see, hath been his timeless end.
O churl. Drink all, and left no friendly drop
To help me after? I will kiss thy lips.
Haply some poison yet doth hang on them,
To make me die with a restorative.

[Kisses him.]

Thy lips are warm!

PREMIER GARDE, de l’intérieur.
— Conduis-nous, petit ? de quel côté c’est-il ?

FIRST WATCH.
[Within.] Lead, boy. Which way?

JULIETTE.
— Oui-da, du bruit ? en ce cas, je vais me dépêcher. Ô poignard qui es là bien à point ! (Elle enlève le poignard de Roméo.) Voici ton fourreau (elle se poignarde) ; rouille-toi là, et permets-moi de mourir. (Elle tombe sur le corps de Roméo, et meurt.)

JULIET.
Yea, noise? Then I’ll be brief. O happy dagger.

[Snatching Romeo’s dagger.]

This is thy sheath. [stabs herself] There rest, and let me die.

[Falls on Romeo’s body and dies.]

Entre LA GARDE avec LE PAGE DE PARIS.

Enter Watch with the Page of Paris.

LE PAGE.
— Voici la place ; là, où la torche brûle.

PAGE.
This is the place. There, where the torch doth burn.

PREMIER GARDE.
— La place est sanglante ; cherchez dans tout le cimetière ; allez, quelques-uns d’entre vous, et arrêtez tous ceux que vous trouverez. (Sortent quelques hommes de la garde.) Quel spectacle lamentable ! là gît le comte assassiné ; et Juliette qui saigne ; Juliette qui depuis deux jours était enterrée, elle est chaude et nouvellement morte. Allez, avertisses, le prince, courez chez les Capulets, réveillez les Montaigus, que d’autres fassent les recherches. (Sortent quelques hommes de la garde.) Nous voyons, bien le terrain où les victimes de ces malheurs sont étendues ; mais quant au terrain moral d’où sont sortis tous ces lamentables malheurs, nous ne pouvons le découvrir sans témoignages.

FIRST WATCH.
The ground is bloody. Search about the churchyard.
Go, some of you, whoe’er you find attach.

[Exeunt some of the Watch.]

Pitiful sight! Here lies the County slain,
And Juliet bleeding, warm, and newly dead,
Who here hath lain this two days buried.
Go tell the Prince; run to the Capulets.
Raise up the Montagues, some others search.

[Exeunt others of the Watch.]

We see the ground whereon these woes do lie,
But the true ground of all these piteous woes
We cannot without circumstance descry.

Rentrent quelques hommes de la garde avec BALTHAZAR.

Re-enter some of the Watch with Balthasar.

SECOND GARDE.
— Voici le valet de Roméo ; nous l’avons trouvé dans le cimetière.

SECOND WATCH.
Here’s Romeo’s man. We found him in the churchyard.

PREMIER GARDE.
— Tenez-le en sûreté jusqu’à ce que le prince soit arrivé.

FIRST WATCH.
Hold him in safety till the Prince come hither.

Rentrent d’autres hommes de la garde avec LE FRÈRE LAURENT.

Re-enter others of the Watch with Friar Lawrence.

TROISIÈME GARDE.
— Voici un frère qui tremblé, soupire, et pleuré : nous lui avons pris cette pioche et ce levier qu’il portait avec lui, comme il sortait de ce côté du cimetière.

THIRD WATCH.
Here is a Friar that trembles, sighs, and weeps.
We took this mattock and this spade from him
As he was coming from this churchyard side.

PREMIER GARDE.
— Grave incrimination : gardez aussi le frère.

FIRST WATCH.
A great suspicion. Stay the Friar too.

Entrent LE PRINCE et les gens de sa suite.

Enter the Prince and Attendants.

LE PRINCE.
— Quel est le malheur levé de si bonne heure qui tire notre personne de notre repos du matin ?

PRINCE.
What misadventure is so early up,
That calls our person from our morning’s rest?

Entrent CAPULET, MADONNA CAPULET, et autres.

Enter Capulet, Lady Capulet and others.

CAPULET.
— Quel peut être le motif qui leur fait pousser de tels cris à travers la ville ?

CAPULET.
What should it be that they so shriek abroad?

MADONNA CAPULET.
— Le peuple crie dans les rues, les uns Roméo, d’autres Juliette, et d’autres Paris, et tous courent en poussant des clameurs vers notre monument.

LADY CAPULET.
O the people in the street cry Romeo,
Some Juliet, and some Paris, and all run
With open outcry toward our monument.

LE PRINCE.
— Quel est donc le sujet de cette alarme qui perce nos oreilles ?

PRINCE.
What fear is this which startles in our ears?

PREMIER GARDE.
— Mon Souverain, ici gît assassiné le comte Paris ; Roméo est mort, et Juliette, qui était déjà morte, a été tuée tout récemment, car elle est encore chaude.

FIRST WATCH.
Sovereign, here lies the County Paris slain,
And Romeo dead, and Juliet, dead before,
Warm and new kill’d.

LE PRINCE.
— Faites des perquisitions, interrogez, et sachez comment cet odieux massacre s’est produit.

PRINCE.
Search, seek, and know how this foul murder comes.

PREMIER GARDE.
— Il y a ici un moine ainsi que le valet de Roméo assassiné ; nous les avons trouvés avec les instruments nécessaires pour ouvrir les tombés de ces morts.

FIRST WATCH.
Here is a Friar, and slaughter’d Romeo’s man,
With instruments upon them fit to open
These dead men’s tombs.

CAPULET.
— Ô ciel ! femme ! vois.comme notre fille saigne ! ce poignard s’est trompé de place, car sa gaine est vide à la ceinture de Montaigu, et il s’est choisi par erreur un fourreau dans le sein de ma fille !

CAPULET.
O heaven! O wife, look how our daughter bleeds!
This dagger hath mista’en, for lo, his house
Is empty on the back of Montague,
And it mis-sheathed in my daughter’s bosom.

MADONNA CAPULET.
— Hélas ! ce spectacle de mort est comme une cloche qui’ sonne à ma vieillesse le départ pour la tombe.

LADY CAPULET.
O me! This sight of death is as a bell
That warns my old age to a sepulchre.

Entrent MONTAIGU et autres.

Enter Montague and others.

LE PRINCE.
— Viens, Montaigu ; car tu t’es levé de bonne heure, pour voir ton fils et ton héritier qui s’est couché de meilleure heure encore.

PRINCE.
Come, Montague, for thou art early up,
To see thy son and heir more early down.

MONTAIGU.
— Hélas ! mon Suzerain, ma femme est morte cette nuit ; la douleur que lui a causée l’exil de mon fils a éteint son souffle : quel nouveau malheur conspire contre ma vieillesse ?

MONTAGUE.
Alas, my liege, my wife is dead tonight.
Grief of my son’s exile hath stopp’d her breath.
What further woe conspires against mine age?

LE PRINCE.
— Regarde, et tu verras.

PRINCE.
Look, and thou shalt see.

MONTAIGU.
— Ô enfant impoli ! que signifient ces manières qui t’ont fait prendre le pas sur ton père pour aller au tombeau ?

MONTAGUE.
O thou untaught! What manners is in this,
To press before thy father to a grave?

LE PRINCE.
— Imposez un instant silence à vos douleurs, jusqu’à ce que nous ayons éclairci. ces faits obscurs, et découvert leur source, leur origine, leur véritable principe ; puis ensuite je consentirai à être le capitaine de vos douleurs, et à marcher à votre tête même jusqu’au trépas mais pour le moment, suspendez vos plaintes, et que le malheur se fasse l’esclave de la patience. Faites avancer les personnes soupçonnées.

PRINCE.
Seal up the mouth of outrage for a while,
Till we can clear these ambiguities,
And know their spring, their head, their true descent,
And then will I be general of your woes,
And lead you even to death. Meantime forbear,
And let mischance be slave to patience.
Bring forth the parties of suspicion.

LE FRÈRE LAURENT.
— Je suis le plus important des deux, celui qui a le moins de forces pour commettre un tel effroyable massacre, et cependant le plus soupçonné de l’avoir commis, tant les circonstances de temps et de lieu déposent- contre moi ; me voici devant, vous prêt à accuser et à disculper ma personne condamnée et excusée.

FRIAR LAWRENCE.
I am the greatest, able to do least,
Yet most suspected, as the time and place
Doth make against me, of this direful murder.
And here I stand, both to impeach and purge
Myself condemned and myself excus’d.

LE PRINCE.
— Eh bien, dis-nous sans l’arrêter ce que tu sais de cette catastrophe.

PRINCE.
Then say at once what thou dost know in this.

LE FRÈRE LAURENT.
— Je serai bref, car le peu de souffle qui me reste n’est pas suffisant pour me permettre d’être ennuyeux. Roméo, que voici mort, était le mari de cette Juliette ; elle, que voici morte, était l’épouse fidèle de ce Roméo : je les avais mariés, et le jour de leur mariage secret fut le jour même où périt Tebaldo, dont la mort intempestive bannit de cette ville le nouvel époux ; c’était pour lui, et non pour Tebaldo, que Juliette se consumait. Vous, pour repousser d’elle ces assauts de la douleur, vous la fiançâtes, et vous vouliez la marier par force au comte Paris : alors, elle vint me trouver, et avec une physionomie égarée m’ordonna de lui trouver un moyen de la débarrasser de ce second mariage, sans quoi elle me menaça de se tuer dans ma cellule. Alors je lui donnai une potion narcotique dont mon art m’avait fait reconnaître la puissance, potion qui eut l’effet que j’en attendais, car elle lui créa l’apparence de la mort : en même temps j’écrivis à Roméo qu’il eût à se rendre ici pendant cette fatale nuit pour m’aider à la retirer de sa tombe empruntée, car cette nuit était l’époque où la force de la potion devait cesser d’opérer. Mais celui qui portait ma lettre, le frère Jean, fut arrêté par accident, et hier soir il est revenu en me la rapportant : alors, moi seul, je suis venu en ce lieu, à l’heure précise de son réveil, pour la retirer du caveau de ses ancêtres, avec l’intention de la garder secrètement dans ma cellule, jusqu’à ce que je pusse l’envoyer sans inconvénients à Roméo : mais lorsque je suis arrivé, — quelques minutes avant l’instant de son réveil, — j’ai trouvé gisants sous le coup d’une mort fatale, le noble Paris et le fidèle Roméo. Elle s’est éveillée ; je l’ai suppliée de s’enfuir et de supporter avec patience cette oeuvre du ciel : mais à ce moment un bruit m’a fait m’éloigner de la tombe ; elle, en proie à un excessif désespoir, n’a pas voulu venir avec moi, et elle s’est fait semble-t-il, violence à elle-même. Voilà tout ce que je sais ; sa nourrice a connaissance du mariage : et si quelque chose en tout cela doit retomber à ma charge, que la rigueur de la plus sévère de nos lois sacrifie ma vieille existence, et l’enlève ainsi quelques heures avant son terme naturel.

FRIAR LAWRENCE.
I will be brief, for my short date of breath
Is not so long as is a tedious tale.
Romeo, there dead, was husband to that Juliet,
And she, there dead, that Romeo’s faithful wife.
I married them; and their stol’n marriage day
Was Tybalt’s doomsday, whose untimely death
Banish’d the new-made bridegroom from this city;
For whom, and not for Tybalt, Juliet pin’d.
You, to remove that siege of grief from her,
Betroth’d, and would have married her perforce
To County Paris. Then comes she to me,
And with wild looks, bid me devise some means
To rid her from this second marriage,
Or in my cell there would she kill herself.
Then gave I her, so tutored by my art,
A sleeping potion, which so took effect
As I intended, for it wrought on her
The form of death. Meantime I writ to Romeo
That he should hither come as this dire night
To help to take her from her borrow’d grave,
Being the time the potion’s force should cease.
But he which bore my letter, Friar John,
Was stay’d by accident; and yesternight
Return’d my letter back. Then all alone
At the prefixed hour of her waking
Came I to take her from her kindred’s vault,
Meaning to keep her closely at my cell
Till I conveniently could send to Romeo.
But when I came, some minute ere the time
Of her awaking, here untimely lay
The noble Paris and true Romeo dead.
She wakes; and I entreated her come forth
And bear this work of heaven with patience.
But then a noise did scare me from the tomb;
And she, too desperate, would not go with me,
But, as it seems, did violence on herself.
All this I know; and to the marriage
Her Nurse is privy. And if ought in this
Miscarried by my fault, let my old life
Be sacrific’d, some hour before his time,
Unto the rigour of severest law.

LE PRINCE.
— Nous t’avons toujours connu pour un saint homme. — Où est le valet de Roméo ? Qu’a-t-il à dire en cette affaire ?

PRINCE.
We still have known thee for a holy man.
Where’s Romeo’s man? What can he say to this?

BALTHAZAR.
— J'apportai à mon maître la nouvelle de la mort de Juliette, et alors il est venu en poste de Mantoue, à ce lieu-ci, à ce monument. Il m’ordonna de donner de bon matin cette lettre à son père, et il entra dans le caveau en me menaçant de mort, si je ne m’éloignais pas en l’y laissant seul.

BALTHASAR.
I brought my master news of Juliet’s death,
And then in post he came from Mantua
To this same place, to this same monument.
This letter he early bid me give his father,
And threaten’d me with death, going in the vault,
If I departed not, and left him there.

LE PRINCE.
— Donne-moi la lettre, je vais la lire. — Où est le page du comte qui est allé chercher la garde ? — Maraud, que faisait voire maître en ce lieu ?

PRINCE.
Give me the letter, I will look on it.
Where is the County’s Page that rais’d the watch?
Sirrah, what made your master in this place?

LE PAGE.
— Il était venu pour semer de fleurs le tombeau de sa Dame ; il m’ordonna de me tenir à l’écart, ce que je fis ; puis, un instant après, est venu quelqu’un avec une lumière pour ouvrir la tombe ; mon maître, de propos en propos, a fini par tirer l’épée contre lui, et alors je me suis enfui pour aller chercher la gardé.

PAGE.
He came with flowers to strew his lady’s grave,
And bid me stand aloof, and so I did.
Anon comes one with light to ope the tomb,
And by and by my master drew on him,
And then I ran away to call the watch.

LE PRINCE.
— Cette lettre témoigne pleinement de la vérité du récit du moine ; elle raconte les péripéties de leur amour, et parle de la nouvelle de la mort de Juliette : il écrit qu’il a acheté du poison d’un pauvre apothicaire, et qu’ainsi muni, il s’est rendu à ce caveau pour mourir, et se coucher auprès de Juliette. — Où sont ces ennemis ? — Capulet ! Montaigu ! voyez quelle malédiction pèse sur votre haine, puisque le ciel a trouvé le moyen de tuer votre bonheur par l’amour même ! Et moi, pour avoir trop fermé les yeux sur vos discordes, j’ai perdu deux de mes parents : tous sont punis.

PRINCE.
This letter doth make good the Friar’s words,
Their course of love, the tidings of her death.
And here he writes that he did buy a poison
Of a poor ’pothecary, and therewithal
Came to this vault to die, and lie with Juliet.
Where be these enemies? Capulet, Montague,
See what a scourge is laid upon your hate,
That heaven finds means to kill your joys with love!
And I, for winking at your discords too,
Have lost a brace of kinsmen. All are punish’d.

CAPULET.
— Ô frère Montaigu ! donne-moi ta main ; cette étreinte est le douaire de ma fille, car je ne puis demander plus.

CAPULET.
O brother Montague, give me thy hand.
This is my daughter’s jointure, for no more
Can I demand.

MONTAIGU.
— Mais je puis te donner davantage : car je ferai dresser à ta fille une statue en or pur, afin que tant que Vérone sera connue sous ce nom, nulle imagé n’y soit tenue en aussi haute admiration que celle de la loyale et fidèle Juliette.

MONTAGUE.
But I can give thee more,
For I will raise her statue in pure gold,
That whiles Verona by that name is known,
There shall no figure at such rate be set
As that of true and faithful Juliet.

CAPULET.
— Roméo sera couché près de sa Dame sous une forme aussi riche que la sienne : pauvres holocaustes de notre inimitié !

CAPULET.
As rich shall Romeo’s by his lady’s lie,
Poor sacrifices of our enmity.

LE PRINCE.
— Cette matinée apporte avec elle une paix lugubre ; le soleil, par chagrin, n’ose pas montrer sa tête. Partons d’ici pour nous entretenir plus longuement de ces tristes événements ; quelques-uns seront pardonnés et quelques autres punis ; car jamais il n’y eut histoire plus lamentable que celle de Juliette et de son Roméo. (Ils sortent.)

PRINCE.
A glooming peace this morning with it brings;
The sun for sorrow will not show his head.
Go hence, to have more talk of these sad things.
Some shall be pardon’d, and some punished,
For never was a story of more woe
Than this of Juliet and her Romeo.

[Exeunt.]