Une Nuit de Cléopâtre

One of Cleopatra's Nights

Théophile Gautier

Théophile Gautier

Édition Lemerre, 1897

Translator: Lafcadio Hearn (1900)

CHAPITRE PREMIER

CHAPTER I

Il y a, au moment où nous écrivons cette ligne, dix-neuf cents ans environ, qu’une cange magnifiquement dorée et peinte descendait le Nil avec toute la rapidité que pouvaient lui donner cinquante rames longues et plates rampant sur l’eau égratignée comme les pattes d’un scarabée gigantesque.

Nineteen hundred years ago from the date of this writing, a magnificently gilded and painted cangia was descending the Nile as rapidly as fifty long, flat oars, which seemed to crawl over the furrowed water like the legs of a gigantic scarabæus, could impel it.

Cette cange était étroite, de forme allongée, relevée par les deux bouts en forme de corne de lune naissante, svelte de proportions et merveilleusement taillée pour la marche ; une tête de bélier surmontée d’une boule d’or armait la pointe de la proue, et montrait que l’embarcation appartenait à une personne de race royale.

This cangia was narrow, long, elevated at both ends in the form of a new moon, elegantly proportioned, and admirably built for speed; the figure of a ram's head, surmounted by a golden globe, armed the point of the prow, showing that the vessel belonged to some personage of royal blood.

Au milieu de la barque s’élevait une cabine à toit plat, une espèce de naos ou tente d’honneur, coloriée et dorée, avec une moulure à palmettes et quatre petites fenêtres carrées.

In the centre of the vessel arose a flat-roofed cabin—a sort of naos, or tent of honor—colored and gilded, ornamented with palm-leaf mouldings, and lighted by four little square windows.

Deux chambres également couvertes d’hiéroglyphes occupaient les extrémités du croissant ; l’une d’elles, plus vaste que l’autre, avait un étage juxtaposé de moindre hauteur, comme les châteaux-gaillards de ces bizarres galères du xvi^e siècle dessinées par Della Bella ; la plus petite, qui servait de logement au pilote, se terminait en fronton triangulaire.

Two chambers, both decorated with hieroglyphic paintings, occupied the horns of the crescent. One of them, the larger, had a second story of lesser height built upon it, like the châteaux gaillards of those fantastic galleys of the sixteenth century drawn by Della-Bella; the other and smaller chamber, which also served as a pilot-house, was surmounted with a triangular pediment.

Le gouvernail était fait de deux immenses avirons ajustés sur des pieux bariolés, et s’allongeant dans l’eau derrière la barque comme les pieds palmés d’un cygne ; des têtes coiffées du pschent, et portant au menton la corne allégorique, étaient sculptées à la poignée de ces grandes rames que faisait manœuvrer le pilote debout sur le toit de la cabine.

In lieu of a rudder, two immense oars, adjusted upon stakes decorated with stripes of paint, which served in place of our modern row-locks, extended into the water in rear of the vessel like the webbed feet of a swan; heads crowned with pshents, and bearing the allegorical horn upon their chins, were sculptured upon the handles of these huge oars, which were manœuvred by the pilot as he stood upon the deck of the cabin above.

C’était un homme basané, fauve comme du bronze neuf, avec des luisants bleuâtres et miroitants, l’œil relevé par les coins, les cheveux très noirs et tressés en cordelettes, la bouche épanouie, les pommettes saillantes, l’oreille détachée du crâne, le type égyptien dans toute sa pureté. Un pagne étroit bridant sur les cuisses et cinq ou six tours de verroteries et d’amulettes composaient tout son costume.

He was a swarthy man, tawny as new bronze, with bluish surface gleams playing over his dark skin; long oblique eyes, hair deeply black and all plaited into little cords, full lips, high cheek-bones, ears standing out from the skull—the Egyptian type in all its purity. A narrow strip of cotton about his loins, together with five or six strings of glass beads and a few amulets, comprised his whole costume.

Il paraissait le seul habitant de la cange, car les rameurs, penchés sur leurs avirons et cachés par le plat-bord, ne se faisaient deviner que par le mouvement symétrique des rames ouvertes en côtes d’éventail à chaque flanc de la barque, et retombant dans le fleuve après un léger temps d’arrêt.

He appeared to be the only one on board the cangia; for the rowers bending over their oars, and concealed from view by the gunwales, made their presence known only through the symmetrical movements of the oars themselves, which spread open alternately on either side of the vessel, like the ribs of a fan, and fell regularly back into the water after a short pause.

Aucun souffle d’air ne faisait trembler l’atmosphère, et la grande voile triangulaire de la cange, assujettie et ficelée avec une corde de soie autour du mât abattu, montrait que l’on avait renoncé à tout espoir de voir le vent s’élever.

Not a breath of air was stirring; and the great triangular sail of the cangia, tied up and bound to the lowered mast with a silken cord, testified that all hope of the wind rising had been abandoned.

Le soleil du midi décochait ses flèches de plomb ; les vases cendrées des rives du fleuve lançaient de flamboyantes réverbérations ; une lumière crue, éclatante et poussiéreuse à force d’intensité, ruisselait en torrents de flamme, l’azur du ciel blanchissait de chaleur comme un métal à la fournaise ; une brume ardente et rousse fumait à l’horizon incendié. Pas un nuage ne tranchait sur ce ciel invariable et morne comme l’éternité.

The noonday sun shot his arrows perpendicularly from above; the ashen-hued slime of the river banks reflected the fiery glow; a raw light, glaring and blinding in its intensity, poured down in torrents of flame; the azure of the sky whitened in the heat as a metal whitens in the furnace; an ardent and lurid fog smoked in the horizon. Not a cloud appeared in the sky—a sky mournful and changeless as Eternity.

L’eau du Nil, terne, et mate, semblait s’endormir dans son cours et s’étaler en nappes d’étain fondu. Nulle haleine ne ridait sa surface et n’inclinait sur leurs tiges les calices de lotus, aussi roides que s’ils eussent été sculptés ; à peine si de loin en loin le saut d’un bechir ou d’un fahaka, gonflant son ventre, y faisait miroiter une écaille d’argent, et les avirons de la cange semblaient avoir peine à déchirer la pellicule fuligineuse de cette eau figée. Les rives étaient désertes ; une tristesse immense et solennelle pesait sur cette terre, qui ne fut jamais qu’un grand tombeau, et dont les vivants semblent ne pas avoir eu d’autre occupation que d’embaumer les morts. Tristesse aride, sèche comme la pierre ponce, sans mélancolie, sans rêverie, n’ayant point de nuage gris de perle à suivre à l’horizon, pas de source secrète où baigner ses pieds poudreux ; tristesse de sphinx ennuyé de regarder perpétuellement le désert, et qui ne peut se détacher du socle de granit où il aiguise ses griffes depuis vingt siècles.

The water of the Nile, sluggish and wan, seemed to slumber in its course, and slowly extend itself in sheets of molten tin. No breath of air wrinkled its surface, or bowed down upon their stalks the cups of the lotus-flowers, as rigidly motionless as though sculptured; at long intervals the leap of a bechir or fabaka expanding its belly scarcely caused a silvery gleam upon the current; and the oars of the cangia seemed with difficulty to tear their way through the fuliginous film of that curdled water. The banks were desolate, a solemn and mighty sadness weighed upon this land, which was never aught else than a vast tomb, and in which the living appeared to be solely occupied in the work of burying the dead. It was an arid sadness, dry as pumice stone, without melancholy, without reverie, without one pearly gray cloud to follow toward the horizon, one secret spring wherein to lave one's dusty feet; the sadness of a sphinx weary of eternally gazing upon the desert, and unable to detach herself from the granite socle upon which she has sharpened her claws for twenty centuries.

Le silence était si profond qu’on eût dit que le monde fût devenu muet, ou que l’air eût perdu la faculté de conduire le son. Le seul bruit qu’on entendît, c’était le chuchotement et les rires étouffés des crocodiles pâmés de chaleur qui se vautraient dans les joncs du fleuve, ou bien quelque ibis qui, fatigué de se tenir debout, une patte repliée sous le ventre et le cou entre les épaules, quittait sa pose immobile et, fouettant brusquement l’air bleu de ses ailes blanches, allait se percher sur un obélisque ou sur un palmier.

La cange filait comme la flèche sur l’eau du fleuve, laissant derrière elle un sillage argenté qui se refermait bientôt ; et quelques globules écumeux, venant crever à la surface, témoignaient seuls du passage de la barque, déjà hors de vue.

So profound was the silence that it seemed as though the world had become dumb, or that the air had lost all power of conveying sound. The only noises which could be heard at intervals were the whisperings and stifled "chuckling" of the crocodiles, which, enfeebled by the heat, were wallowing among the bullrushes by the river banks; or the sound made by some ibis, which, tired of standing with one leg doubled up against its stomach, and its head sunk between its shoulders, suddenly abandoned its motionless attitude, and, brusquely whipping the blue air with its white wings, flew off to perch upon an obelisk or a palm-tree. The cangia flew like, an arrow over the smooth river-water, leaving behind it a silvery wake which soon disappeared; and only a few foam-bubbles rising to break at the surface of the stream bore testimony to the passage of the vessel, then already out of sight.

Les berges du fleuve, couleur d’ocre et de saumon, se déroulaient rapidement comme des bandelettes de papyrus entre le double azur du ciel et de l’eau, si semblables de ton que la mince langue de terre qui les séparait semblait une chaussée jetée sur un immense lac, et qu’il eût été difficile de décider si le Nil réfléchissait le ciel, ou si le ciel réfléchissait le Nil.

The ochre-hued or salmon-colored banks unrolled themselves rapidly, like scrolls of papyrus, between the double azure of water and sky so similar in tint that the slender tongue of earth which separated them seemed like a causeway stretching over an immense lake, and that it would have been difficult to determine whether the Nile reflected the sky, or whether the sky reflected the Nile.

Le spectacle changeait à chaque instant : tantôt c’étaient de gigantesques propylées qui venaient mirer au fleuve leurs murailles en talus, plaquées de larges panneaux de figures bizarres ; des pylônes aux chapiteaux évasés, des rampes côtoyées de grands sphinx accroupis, coiffés du bonnet à barbe cannelée, et croisant sous leurs mamelles aiguës leurs pattes de basalte noir ; des palais démesurés faisant saillir sur l’horizon les lignes horizontales et sévères de leur entablement, où le globe emblématique ouvrait ses ailes mystérieuses comme un aigle à l’envergure démesurée ; des temples aux colonnes énormes, grosses comme des tours, où se détachaient sur un fond d’éclatante blancheur des processions de figures hiéroglyphiques ; toutes les prodigiosités de cette architecture de Titans : tantôt des paysages d’une aridité désolante ; des collines formées par de petits éclats de pierre provenant des fouilles et des constructions, miettes de cette gigantesque débauche de granit qui dura plus de trente siècles ; des montagnes exfoliées de chaleur, déchiquetées et zébrées de rayures noires, semblables aux cautérisations d’un incendie ; des tertres bossus et difformes, accroupis comme le criocéphale des tombeaux, et découpant au bord du ciel leur attitude contrefaite ; des marnes verdâtres, des ocres roux, des tufs d’un blanc farineux, et de temps à autre quelque escarpement de marbre couleur rose sèche, où bâillaient les bouches noires des carrières.

The scene continually changed. At one moment were visible gigantic propylæa, whose sloping walls, painted with large panels of fantastic figures, were mirrored in the river; pylons with broad-bulging capitals; stairways guarded by huge crouching sphinxes, wearing caps with lappets of many folds, and crossing their paws of black basalt below their sharply projecting breasts; palaces, immeasurably vast, projecting against the horizon the severe horizontal lines of their entablatures, where the emblematic globe unfolded its mysterious wings like an eagle's vast-extending pinions; temples with enormous columns thick as towers, on which were limned processions of hieroglyphic figures against a background of brilliant white—all the monstrosities of that Titanic architecture. Again the eye beheld only land-scapes of desolate aridity—hills formed of stony fragments from excavations and building works, crumbs of that gigantic debauch of granite which lasted for more than thirty centuries; mountains exfoliated by heat, and mangled and striped with black lines which seemed like the cauterizations of a conflagration; hillocks humped and deformed, squatting like the criocephalus of the tombs, and projecting the outlines of their misshapen attitude against the sky-line; expanses of greenish clay, reddle, flour-white tufa; and from time to time some steep cliff of dry, rose-colored granite, where yawned the black mouths of the stone quarries.

Cette aridité n’était tempérée par rien : aucune oasis de feuillage ne rafraîchissait le regard ; le vert semblait une couleur inconnue dans cette nature ; seulement de loin en loin un maigre palmier s’épanouissait à l’horizon, comme un crabe végétal ; un nopal épineux brandissait ses feuilles acérées comme des glaives de bronze ; un carthame, trouvant un peu d’humidité à l’ombre d’un tronçon de colonne, piquait d’un point rouge l’uniformité générale.

This aridity was wholly unrelieved; no oasis of foliage refreshed the eye; green seemed to be a color unknown to that nature; only some meagre palm-tree, like a vegetable crab, appeared from time to time in the horizon; or a thorny fig-tree brandished its tempered leaves like sword blades of bronze; or a carthamus-plant, which had found a little moisture to live upon in the shadow of some fragment of a broken column, relieved the general uniformity with a speck of crimson.

Après ce coup d’œil rapide sur l’aspect du paysage, revenons à la cange aux cinquante rameurs, et, sans nous faire annoncer, entrons de plain-pied dans la naos d’honneur.

After this rapid glance at the aspect of the landscape, let us return to the cangia with its fifty rowers, and, without announcing ourselves, enter boldly into the naos of honor.

L’intérieur était peint en blanc, avec des arabesques vertes, des filets de vermillon et des fleurs d’or de forme fantastique ; une natte de joncs d’une finesse extrême recouvrait le plancher ; au fond s’élevait un petit lit à pieds de griffon, avec un dossier garni comme un canapé ou une causeuse moderne, un escabeau à quatre marches pour y monter, et, recherche assez singulière dans nos idées confortables, une espèce d’hémicycle en bois de cèdre, monté sur un pied, destiné à embrasser le contour de la nuque et à soutenir la tête de la personne couchée.

The interior was painted white with green arabesques, bands of vermilion, and gilt flowers fantastically shaped; an exceedingly fine rush matting covered the floor; at the further end stood a little bed, supported upon griffin's feet, having a back resembling that of a modern lounge or sofa; a stool with four steps to enable one to climb into bed; and (rather an odd luxury according to our ideas of comfort) a sort of hemicycle of cedar wood, supported upon a single leg, and designed to fit the nape of the neck so as to support the head of the person reclining.

Sur cet étrange oreiller reposait une tête bien charmante, dont un regard fit perdre la moitié du monde, une tête adorée et divine, la femme la plus complète qui ait jamais existé, la plus femme et la plus reine, un type admirable, auquel les poètes n’ont pu rien ajouter, et que les songeurs trouvent toujours au bout de leurs rêves : il n’est pas besoin de nommer Cléopâtre.

Upon this strange pillow reposed a most charming head, one look of which once caused the loss of half a world; an adorable, a divine head; the head of the most perfect woman that ever lived; the most womanly and most queenly of all women; an admirable type of beauty which the imagination of poets could never invest with any new grace, and which dreamers will find forever in the depths of their dreams—it is not necessary to name Cleopatra.

Auprès d’elle Charmion, son esclave favorite, balançait un large éventail de plumes d’ibis ; une jeune fille arrosait d’une pluie d’eau de senteur les petites jalousies de roseaux qui garnissaient les fenêtres de la naos, pour que l’air n’y arrivât qu’imprégné de fraîcheur et de parfums.

Beside her stood her favorite slave Charmion, waving a large fan of ibis feathers; and a young girl was moistening with scented water the little reed blinds attached to the windows of the naos, so that the air might only enter impregnated with fresh odors.

Près du lit de repos, dans un vase d’albâtre rubané, au goulot grêle, à la tournure effilée et svelte, rappelant vaguement un profil de héron, trempait un bouquet de fleurs de lotus, les unes d’un bleu céleste, les autres d’un rose tendre, comme le bout des doigts d’Isis, la grande déesse.

Near the bed of repose, in a striped vase of alabaster with a slender neck and a peculiarly elegant, tapering shape, vaguely recalling the form of a heron, was placed a bouquet of lotus-flowers, some of a celestial blue, others of a tender rose-color, like the finger-tips of Isis the great goddess.

Cléopâtre, ce jour-là, par caprice ou par politique, n’était pas habillée à la grecque ; elle venait d’assister à une panégyrie, et elle retournait à son palais d’été dans la cange, avec le costume égyptien qu’elle portait à la fête.

Either from caprice or policy, Cleopatra did not wear the Greek dress that day. She had just attended a panegyris,[1] and was returning to her summer palace still clad in the Egyptian costume she had worn at the festival.

Nos lectrices seront peut-être curieuses de savoir comment la reine Cléopâtre était habillée en revenant de la Mammisi d’Hermonthis où l’on adore la triade du dieu Mandou, de la déesse Ritho et de leur fils Harphré ; c’est une satisfaction que nous pouvons leur donner.

Perhaps our fair readers will feel curious to know how Queen Cleopatra was attired on her return from the Mammisi of Hermonthis whereat were worshipped the holy triad of the god Mandou, the goddess Ritho, and their son, Harphra; luckily we are able to satisfy them in this regard.

La reine Cléopâtre avait pour coiffure une espèce de casque d’or très léger formé par le corps et les ailes de l’épervier sacré ; les ailes, rabattues en éventail de chaque côté de la tête, couvraient les tempes, s’allongeaient presque sur le cou, et dégageaient par une petite échancrure une oreille plus rose et plus délicatement enroulée que la coquille d’où sortit Vénus que les Égyptiens nomment Hâtor ; la queue de l’oiseau occupait la place où sont posés les chignons de nos femmes ; son corps, couvert de plumes imbriquées et peintes de différents émaux, enveloppait le sommet du crâne, et son cou, gracieusement replié vers le front, composait avec la tête une manière de corne étincelante de pierreries ; un cimier symbolique en forme de tour complétait cette coiffure élégante, quoique bizarre. Des cheveux noirs comme ceux d’une nuit sans étoiles s’échappaient de ce casque et filaient en longues tresses sur de blondes épaules, dont une collerette ou hausse-col, orné de plusieurs rangs de serpentine, d’azerodrach et de chrysobéril, ne laissait, hélas ! apercevoir que le commencement ; une robe de lin à côtes diagonales ― un brouillard d’étoffe, de l’air tramé, ventus textilis, comme dit Pétrone ― ondulait en blanche vapeur autour d’un beau corps dont elle estompait mollement les contours. Cette robe avait des demi-manches justes sur l’épaule, mais évasées vers le coude comme nos manches à sabot, et permettait de voir un bras admirable et une main parfaite, le bras serré par six cercles d’or et la main ornée d’une bague représentant un scarabée. Une ceinture, dont les bouts noués retombaient par devant, marquait la taille de cette tunique flottante et libre ; un mantelet garni de franges achevait la parure, et, si quelques mots barbares n’effarouchent point des oreilles parisiennes, nous ajouterons que cette robe se nommait schenti et le mantelet calasiris.

For headdress Queen Cleopatra wore a kind of very light helmet of beaten gold, fashioned in the form of the body and wings of the sacred partridge. The wings, opening downward like fans, covered the temples, and extending below, almost to the neck, left exposed on either side, through a small aperture, an ear rosier and more delicately curled than the shell whence arose that Venus whom the Egyptians named Athor; the tail of the bird occupied that place where our women wear their chignons; its body, covered with imbricated feathers, and painted in variegated enamel, concealed the upper part of the head; and its neck, gracefully curving forward over the forehead of the wearer, formed together with its little head a kind of horn-shaped ornament, all sparkling with precious stones; a symbolic crest, designed like a tower, completed this odd but elegant headdress. Hair dark as a starless night flowed from beneath this helmet, and streamed in long tresses over the fair shoulders whereof the commencement only, alas! was left exposed by a collarette, or gorget, adorned with many rows of serpentine stones, azodrachs, and chrysoberyls; a linen robe diagonally cut—a mist of material, of woven air, ventus textilis as Petronius says, undulated in vapory whiteness about a lovely body whose outlines it scarcely shaded with the softest shading. This robe had half-sleeves, tight at the shoulder, but widening toward the elbows like our manches-à-sabot, and permitting a glimpse of an adorable arm and a perfect hand, the arm being clasped by six golden bracelets, and the hand adorned with a ring representing the sacred scarabæus. A girdle, whose knotted ends hung down in front, confined this free-floating tunic at the waist; a short cloak adorned with fringing completed the costume; and, if a few barbarous words will not frighten Parisian ears, we might add that the robe was called schenti, and the short cloak, calisiris.

Pour dernier détail, disons que la reine Cléopâtre portait de légères sandales fort minces, recourbées en pointes et rattachées sur le cou-de-pied comme les souliers à la poulaine des châtelaines du moyen âge.

Finally, we may observe that Queen Cleopatra wore very thin, light sandals, turned up at the toes, and fastened over the instep, like the Souliers-à-la-poulaine of the mediæval chatelaines.

La reine Cléopâtre n’avait cependant pas l’air de satisfaction d’une femme sûre d’être parfaitement belle et parfaitement parée ; elle se retournait et s’agitait sur son petit lit, et ses mouvements assez brusques dérangeaient à chaque instant les plis de son conopeum de gaze, que Charmion rajustait avec une patience inépuisable, sans cesser de balancer son éventail.

But Queen Cleopatra did not wear that air of satisfaction which becomes a woman conscious of being perfectly beautiful and perfectly well dressed. She tossed and turned in her little bed, and her sudden movements momentarily disarranged the folds of her gauzy conopeum, which Charmion as often rearranged with inexhaustible patience, and without ceasing to wave her fan.

« L’on étouffe dans cette chambre, dit Cléopâtre ; quand même Phtha, dieu du feu, aurait établi ses forges ici, il ne ferait pas plus chaud ; l’air est comme une fournaise ». Et elle passa sur ses lèvres le bout de sa petite langue, puis étendit la main comme un malade qui cherche une coupe absente.

"This room is stifling," said Cleopatra; "even if Pthah the God of Fire established his forges in here, he could not make it hotter; the air is like the breath of a furnace!" And she moistened her lips with the tip of her little tongue, and stretched out her hand like a feverish patient seeking an absent cup.

Charmion, toujours attentive, frappa des mains ; un esclave noir, vêtu d’un tonnelet plissé comme la jupe des Albanais et d’une peau de panthère jetée sur l’épaule, entra avec la rapidité d’une apparition, tenant en équilibre sur la main gauche un plateau chargé de tasses et de tranches de pastèques, et dans la droite un vase long muni d’un goulot comme une théière.

Charmion, ever attentive, at once clapped her hands. A black slave clothed in a short tunic hanging in folds like an Albanian petticoat, and a panther-skin thrown over his shoulders, entered with the suddenness of an apparition; with his left hand balancing a tray laden with cups, and slices of watermelon, and carrying in his right a long vase with a spout like a modern teapot.

L’esclave remplit une des coupes en versant de haut avec une dextérité merveilleuse, et la plaça devant la reine. Cléopâtre toucha le breuvage du bout des lèvres, le reposa à côté d’elle, et, tournant vers Charmion ses beaux yeux noirs, onctueux et lustrés par une vive étincelle de lumière :

The slave filled one of these cups, pouring the liquor into it from a considerable height with marvellous dexterity, and placed it before the queen. Cleopatra merely touched the beverage with her lips, laid the cup down beside her, and turning upon Charmion her beautiful liquid black eyes, lustrous with living light, exclaimed:

« Ô Charmion ! dit-elle, je m’ennuie ».

"O Charmion, I am weary unto death!"

[1] Panegyris; pl., panegyreis,—from the Greek [], —signifies the meeting of a whole people to worship at a common sanctuary or participate in a national religious festival. The assemblies at the Olympic, Pythian, Nemean, or Isthmian games were in this sense panegyreis. See Smith's Dict. Antiq.—(Trans.)

CHAPITRE II

CHAPTER II

Charmion, pressentant une confidence, fit une mine d’assentiment douloureux et se rapprocha de sa maîtresse.

Charmion, at once anticipating a confidence, assumed a look of pained sympathy, and drew nearer to her mistress.

« Je m’ennuie horriblement, reprit Cléopâtre en laissant pendre ses bras comme découragée et vaincue ; cette Égypte m’anéantit et m’écrase ; ce ciel, avec son azur implacable, est plus triste que la nuit profonde de l’Erèbe : jamais un nuage ! jamais une ombre, et toujours ce soleil rouge, sanglant, qui vous regarde comme l’œil d’un cyclope ! Tiens ! Charmion, je donnerais une perle pour une goutte de pluie ! De la prunelle enflammée de ce ciel de bronze il n’est pas encore tombé une seule larme sur la désolation de cette terre ; c’est un grand couvercle de tombeau, un dôme de nécropole, un ciel mort et desséché comme les momies qu’il recouvre ; il pèse sur mes épaules comme un manteau trop lourd ; il me gêne et m’inquiète ; il me semble que je ne pourrais me lever toute droite sans m’y heurter le front ; et puis, ce pays est vraiment un pays effrayant ; tout y est sombre, énigmatique, incompréhensible ! L’imagination n’y produit que des chimères monstrueuses et des monuments démesurés ; cette architecture et cet art me font peur ; ces colosses, que leurs jambes engagées dans la pierre condamnent à rester éternellement assis les mains sur les genoux, me fatiguent de leur immobilité stupide ; ils obsèdent mes yeux et mon horizon. Quand viendra donc le géant qui doit les prendre par la main et les relever de leur faction de vingt siècles ? Le granit lui-même se lasse à la fin ! Quel maître attendent-ils donc pour quitter la montagne qui leur sert de siège et se lever en signe de respect ? de quel troupeau invisible ces grands sphinx accroupis comme des chiens qui guettent sont-ils les gardiens, pour ne fermer jamais la paupière et tenir toujours la griffe en arrêt ? qu’ont-ils donc à fixer si opiniâtrement leurs yeux de pierre sur l’éternité et l’infini ? quel secret étrange leurs lèvres serrées retiennent-elles dans leur poitrine ? À droite, à gauche, de quelque côté que l’on se tourne, ce ne sont que des monstres affreux à voir, des chiens à tête d’homme, des hommes à tête de chien, des chimères nées d’accouplements hideux dans la profondeur ténébreuse des syringes, des Anubis, des Typhons, des Osiris, des éperviers aux yeux jaunes qui semblent vous traverser de leurs regards inquisiteurs et voir au delà de vous des choses que l’on ne peut redire ; ― une famille d’animaux et de dieux horribles aux ailes écaillées, au bec crochu, aux griffes tranchantes, toujours prêts à vous dévorer et à vous saisir, si vous franchissez le seuil du temple et si vous levez le coin du voile !

"I am horribly weary!" continued Cleopatra, letting her arms fall like one utterly discouraged. "This Egypt crushes, annihilates me; this sky with its implacable azure is sadder than the deep night of Erebus; never a cloud, never a shadow, and always that red, sanguine sun, which glares down upon you like the eye of a Cyclops. Ah, Charmion, I would give a pearl for one drop of rain! From the inflamed pupil of that sky of bronze no tear has ever yet fallen upon the desolation of this land; it is only a vast covering for a tomb—the dome of a necropolis; a sky dead and dried up like the mummies it hangs over; it weighs upon my shoulders like an over-heavy mantle; it constrains and terrifies me; it seems to me that I could not stand up erect without striking my forehead against it. And, moreover, this land is truly an awful land; all things in it are gloomy, enigmatic, incomprehensible. Imagination has produced in it only monstrous chimeras and monuments immeasurable; this architecture and this art fill me with fear; those colossi, whose stone-entangled limbs compel them to remain eternally sitting with their hands upon their knees, weary me with their stupid immobility; they trouble my eyes and my horizon. When, indeed, shall the giant come who is to take them by the hand and relieve them from their long watch of twenty centuries? For even granite itself must grow weary at last! Of what master, then, do they await the coming, to leave their mountain-seats and rise in token of respect? Of what invisible flock are those huge sphinxes the guardians, crouching like dogs on the watch, that they never close their eyelids, and forever extend their claws in readiness to seize? Why are their stony eyes so obstinately fixed upon eternity and infinity? What weird secret do their firmly locked lips retain within their breasts? On the right hand, on the left, whithersoever one turns, only frightful monsters are visible—dogs with the heads of men; men with the heads of dogs; chimeras begotten of hideous couplings in the shadowy depths of the labyrinths; figures of Anubis, Typhon, Osiris; partridges with great yellow eyes that seem to pierce through you with their inquisitorial gaze, and see beyond and behind you things which one dare not speak of—a family of animals and horrible gods with scaly wings, hooked beaks, trenchant claws, ever ready to seize and devour you should you venture to cross the threshold of the temple, or lift a corner of the veil.

« Sur les murs, sur les colonnes, sur les plafonds, sur les planchers, sur les palais et sur les temples, dans les couloirs et les puits les plus profonds des nécropoles, jusqu’aux entrailles de la terre, où la lumière n’arrive pas, où les flambeaux s’éteignent faute d’air, et partout, et toujours, d’interminables hiéroglyphes sculptés et peints racontant en langage inintelligible des choses que l’on ne sait plus et qui appartiennent sans doute à des créations disparues ; prodigieux travaux enfouis, où tout un peuple s’est usé à écrire l’épitaphe d’un roi ! Du mystère et du granit, voilà l’Égypte ; beau pays pour une jeune femme et une jeune reine !

"Upon the walls, upon the columns, on the ceilings, on the floors, upon palaces and temples, in the long passages and the deepest pits of the necropoli, even within the bowels of the earth where light never comes, and where the flames of the torches die for want of air, forever and everywhere are sculptured and painted interminable hieroglyphics, telling in language unintelligible of things which are no longer known, and which belong, doubtless, to the vanished creations of the past—prodigious buried works wherein a whole nation was sacrificed to write the epitaph of one king! Mystery and granite—this is Egypt! Truly a fair land for a young woman, and a young queen.

« L’on ne voit que symboles menaçants et funèbres, des pedum, des tau, des globes allégoriques, des serpents enroulés, des balances où l’on pèse les âmes, ― l’inconnu, la mort, le néant ! Pour toute végétation des stèles bariolées de caractères bizarres ; pour allées d’arbres, des avenues d’obélisques de granit ; pour sol, d’immenses pavés de granit dont chaque montagne ne peut fournir qu’une seule dalle ; pour ciel, des plafonds de granit ; ― l’éternité palpable, un amer et perpétuel sarcasme contre la fragilité et la brièveté de la vie ! ― des escaliers faits pour des enjambées de Titan, que le pied humain ne saurait franchir et qu’il faut monter avec des échelles ; des colonnes que cent bras ne pourraient entourer, des labyrinthes où l’on marcherait un an sans en trouver l’issue ! ― le vertige de l’énormité, l’ivresse du gigantesque, l’effort désordonné de l’orgueil qui veut graver à tout prix son nom sur la surface du monde !

"Menacing and funereal symbols alone meet the eye—the emblems of the pedum, the tau, allegorical globes, coiling serpents, and the scales in which souls are weighed—the Unknown, death, nothingness. In the place of any vegetation only stelæ limned with weird characters; instead of avenues of trees, avenues of granite obelisks; in lieu of soil, vast pavements of granite for which whole mountains could each furnish but one slab; in place of a sky, ceilings of granite—eternity made palpable, a bitter and everlasting sarcasm upon the frailty and brevity of life—stairways built only for the limbs of Titans, which the human foot cannot ascend save by the aid of ladders; columns that a hundred arms cannot encircle; labyrinths in which one might travel for years without discovering the termination—the vertigo of enormity, the drunkenness of the gigantic, the reckless efforts of that pride which would at any cost engrave its name deeply upon the face of the world.

« Et puis, Charmion, je te le dis, j’ai une pensée qui me fait peur ; dans les autres contrées de la terre on brûle les cadavres, et leur cendre bientôt se confond avec le sol. Ici l’on dirait que les vivants n’ont d’autre occupation que de conserver les morts ; des baumes puissants les arrachent à la destruction ; ils gardent tous leur forme et leur aspect ; l’âme évaporée, la dépouille reste ; sous ce peuple il y a vingt peuples ; chaque ville a les pieds sur vingt étages de nécropoles ; chaque génération qui s’en va fait une population de momies à une cité ténébreuse : sous le père vous trouvez le grand-père et l’aïeul dans leur boîte peinte et dorée, tels qu’ils étaient pendant la vie, et vous fouilleriez toujours que vous en trouveriez toujours !

"And, moreover, Charmion, I tell you a thought haunts me which terrifies me. In other lands of the earth, corpses are burned, and their ashes soon mingle with the soil. Here, it is said that the living have no other occupation than that of preserving the dead. Potent balms save them from destruction; the remains endure after the soul has evaporated. Beneath this people lie twenty peoples; each city stands upon twenty layers of necropoli; each generation which passes away leaves a population of mummies to a shadowy city. Beneath the father you find the grandfather and the great-grandfather in their gilded and painted boxes, even as they were during life; and should you dig down forever, forever you would still find the underlying dead.

« Quand je songe à ces multitudes emmaillottées de bandelettes, à ces myriades de spectres desséchés qui remplissent les puits funèbres et qui sont là depuis deux mille ans, face à face, dans leur silence que rien ne vient troubler, pas même le bruit que fait en rampant le ver du sépulcre, et qu’on trouvera intacts après deux autres mille ans, avec leurs chats, leurs crocodiles, leurs ibis, tout ce qui a vécu en même temps qu’eux, il me prend des terreurs, et je me sens courir des frissons sur la peau. Que se disent-ils, puisqu’ils ont encore des lèvres, et que leur âme, si la fantaisie lui prenait de revenir, trouverait leur corps dans l’état où elle l’a quitté ?

"When I think upon those bandage-swathed myriads—those multitudes of parched spectres who fill the sepulchral pits, and who have been there for two thousand years face to face in their own silence, which nothing ever breaks, not even the noise which the graveworms make in crawling, and who will be found intact after yet another two thousand years, with their crocodiles, their cats, their ibises, and all things that lived in their lifetime—then terrors seize me, and I feel my flesh creep. What do they mutter to each other? For they still have lips, and every ghost would find its body in the same state as when it quitted it, if they should all take the fancy to return.

« L’Égypte est vraiment un royaume sinistre, et bien peu fait pour moi, la rieuse et la folle ; tout y renferme une momie ; c’est le cœur et le noyau de toute chose. Après mille détours, c’est là que vous aboutissez ; les pyramides cachent un sarcophage. Néant et folie que tout cela. Éventrez le ciel avec de gigantesques triangles de pierre, vous n’allongerez pas votre cadavre d’un pouce. Comment se réjouir et vivre sur une terre pareille, où l’on ne respire pour parfum que l’odeur âcre du naphte et du bitume qui bout dans les chaudières des embaumeurs, où le plancher de votre chambre sonne le creux parce que les corridors des hypogées et des puits mortuaires s’étendent jusque sous votre alcôve ? Être la reine des momies, avoir pour causer ces statues à poses roides et contraintes, c’est gai ! Encore, si, pour tempérer cette tristesse, j’avais quelque passion au cœur, un intérêt à la vie, si j’aimais quelqu’un ou quelque chose, si j’étais aimée ! mais je ne le suis point.

"Ah, truly is Egypt a sinister kingdom and little suited to me, the laughter-loving and merry one. Everything in it encloses a mummy; that is the heart and the kernel of all things. After a thousand turns you must always end there; the Pyramids themselves hide sarcophagi. What nothingness and madness is this! Disembowel the sky with gigantic triangles of stone—you cannot thereby lengthen your corpse an inch. How can one rejoice and live in a land like this, where the only perfume you can respire is the acrid odor of the naphtha and bitumen which boil in the caldrons of the embalmers, where the very flooring of your chamber sounds hollow because the corridors of the hypogea and the mortuary pits extend even under your alcove? To be the queen of mummies, to have none to converse with but statues in constrained and rigid attitudes—this is, in truth, a cheerful lot. Again, if I only had some heartfelt passion to relieve this melancholy, some interest in life; if I could but love somebody or something; if I were even loved; but I am not.

« Voilà pourquoi je m’ennuie, Charmion ; avec l’amour, cette Égypte aride et renfrognée me paraîtrait plus charmante que la Grèce avec ses dieux d’ivoire, ses temples de marbre blanc, ses bois de lauriers-roses et ses fontaines d’eau vive. Je ne songerais pas à la physionomie baroque d’Anubis et aux épouvantements des villes souterraines. »

"This is why I am weary, Charmion. With love, this grim and arid Egypt would seem to me fairer than even Greece with her ivory gods, her temples of snowy marble, her groves of laurel, and fountains of living water. There I should never dream of the weird face of Anubis and the ghastly terrors of the cities underground."

Charmion sourit d’un air incrédule. « Ce ne doit pas être là un sujet de chagrin pour vous ; car chacun de vos regards perce les cœurs comme les flèches d’or d’Éros lui-même.

Charmion smiled incredulously. "That ought not, surely, to be a source of much grief to you, O queen; for every glance of your eyes transpierces hearts, like the golden arrows of Eros himself."

― Une reine, reprit Cléopâtre, peut-elle savoir si c’est le diadème ou le front que l’on aime en elle ? Les rayons de sa couronne sidérale éblouissent les yeux et le cœur, descendue des hauteurs du trône, aurais-je la célébrité et la vogue de Bacchide ou d’Archenassa, de la première courtisane venue d’Athènes ou de Milet ? Une reine, c’est quelque chose de si loin des hommes, de si élevé, de si séparé, de si impossible ! Quelle présomption peut se flatter de réussir dans une pareille entreprise ? Ce n’est plus une femme, c’est une figure auguste et sacrée qui n’a point de sexe, et que l’on adore à genoux sans l’aimer, comme la statue d’une déesse. — Qui a jamais été sérieusement épris d’Héré aux bras de neige, de Pallas aux yeux vert de mer ? qui a jamais essayé de baiser les pieds d’argent de Thétis et les doigts de rose de l’Aurore ? quel amant des beautés divines a pris des ailes pour voler vers les palais d’or du ciel ? Le respect et la terreur glacent les âmes en notre présence, et pour être aimée de nos pareils il faudrait descendre dans les nécropoles dont je parlais tout à l’heure. »

"Can a queen," answered Cleopatra, "ever know whether it is her face or her diadem that is loved? The rays of her starry crown dazzle the eyes and the heart. Were I to descend from the height of my throne, would I even have the celebrity or the popularity of Bacchis or Archianassa, of the first courtesan from Athens or Miletus? A queen is something so far removed from men, so elevated, so widely separated from them, so impossible for them to reach! What presumption dare flatter itself in such an enterprise? It is not simply a woman, it is an august and sacred being that has no sex, and that is worshipped kneeling without being loved. Who was ever really enamoured of Hera the snowy-armed or Pallas of the sea-green eyes? Who ever sought to kiss the silver feet of Thetis or the rosy fingers of Aurora? What lover of the divine beauties ever took unto himself wings that he might soar to the golden palaces of heaven? Respect and fear chill hearts in our presence, and in order to obtain the love of our equals, one must descend into those necropoli of which I have just been speaking."

Quoiqu’elle n’élevât aucune objection contre les raisonnements de sa maîtresse, un vague sourire errant sur les lèvres de l’esclave grecque faisait voir qu’elle ne croyait pas beaucoup à cette inviolabilité de la personne royale.

Although she offered no further objection to the arguments of her mistress, a vague smile which played about the lips of the handsome Greek slave showed that she had little faith in the inviolability of the royal person.

« Ah ! continua Cléopâtre, je voudrais qu’il m’arrivât quelque chose, une aventure étrange, inattendue ! Le chant des poètes, la danse des esclaves syriennes, les festins couronnés de roses et prolongés jusqu’au jour, les courses nocturnes, les chiens de Laconie, les lions privés, les nains bossus, les membres de la confrérie des inimitables, les combats du cirque, les parures nouvelles, les robes de byssus, les unions de perles, les parfums d’Asie, les recherches les plus exquises, les somptuosités les plus folles, rien ne m’amuse plus ; tout m’est indifférent, tout m’est insupportable !

"Ah," continued Cleopatra, "I wish that something would happen to me, some strange, unexpected adventure. The songs of the poets; the dances of the Syrian slaves; the banquets, rose garlanded, and prolonged into the dawn; the nocturnal races; the Laconian dogs; the tame lions; the hump-backed dwarfs; the brotherhood of the Inimitables; the combats of the arena; the new dresses; the byssus robes; the clusters of pearls; the perfumes from Asia; the most exquisite of luxuries; the wildest of splendors—nothing any longer gives me pleasure. Everything has become indifferent to me, everything is insupportable to me."

― On voit bien, dit tout bas Charmion, que la reine n’a pas eu d’amant et n’a fait tuer personne depuis un mois. »

"It is easily to be seen," muttered Charmion to herself, "that the queen has not had a lover nor had anyone killed for a whole month."

Fatiguée d’une aussi longue tirade, Cléopâtre prit encore une fois la coupe posée à côté d’elle, y trempa ses lèvres, et, mettant sa tête sous son bras avec un mouvement de colombe, s’arrangea de son mieux pour dormir. Charmion lui défit ses sandales et se mit à lui chatouiller doucement la plante des pieds avec la barbe d’une plume de paon ; le sommeil ne tarda pas à jeter sa poudre d’or sur les beaux yeux de la sœur de Ptolémée.

Fatigued with so lengthy a tirade, Cleopatra once more took the cup placed beside her, moistened her lips with it, and putting her head beneath her arm, like a dove putting its head under its wing, composed herself for slumber as best she could. Charmion unfastened her sandals and commenced to gently tickle the soles of her feet with a peacock's feather, and Sleep soon sprinkled his golden dust upon the beautiful eyes of Ptolemy's sister.

Maintenant que Cléopâtre dort, remontons sur le pont de la cange et jouissons de l’admirable spectacle du soleil couchant. Une large bande violette, fortement chauffée de tons roux vers l’occident, occupe toute la partie inférieure du ciel ; en rencontrant les zones d’azur, la teinte violette se fond en lilas clair et se noie dans le bleu par une demi-teinte rose ; du côté où le soleil, rouge comme un bouclier tombé des fournaises de Vulcain, jette ses ardents reflets, la nuance tourne au citron pâle et produit des teintes pareilles à celles des turquoises. L’eau frisée par un rayon oblique a l’éclat mat d’une glace vue du côté du tain, ou d’une lame damasquinée ; les sinuosités de la rive, les joncs, et tous les accidents du bord s’y découpent en traits fermes et noirs qui en font vivement ressortir la réverbération blanchâtre. À la faveur de cette clarté crépusculaire vous apercevrez là-bas, comme un grain de poussière tombé sur du vif-argent, un petit point brun qui tremble dans un réseau de filets lumineux. Est-ce une sarcelle qui plonge, une tortue qui se laisse aller à la dérive, un crocodile levant, pour respirer l’air moins brûlant du soir, le bout de son rostre squameux, le ventre d’un hippopotame qui s’épanouit à fleur d’eau ? ou bien encore quelque rocher laissé à découvert par la décroissance du fleuve ? car le vieil Hopi-Mou, père des eaux, a bien besoin de remplir son urne tarie aux pluies du solstice dans les montagnes de la Lune.

While Cleopatra sleeps, let us ascend upon deck and enjoy the glorious sunset view. A broad band of violet color, warmed deeply with ruddy tints toward the west, occupies all the lower portion of the sky; encountering the zone of azure above, the violet shade melts into a clear lilac, and fades off through half-rosy tints into the blue beyond; afar, where the sun, red as a buckler fallen from the furnace of Vulcan, casts his burning reflection, the deeper shades turn to pale citron hues, and glow with turquoise tints. The water, rippling under an oblique beam of light, shines with the dull gleam of the quicksilvered side of a mirror, or like a damascened blade. The sinuosities of the bank, the reeds, and all objects along the shore are brought out in sharp black relief against the bright glow. By the aid of this crepuscular light you may perceive afar off, like a grain of dust floating upon quicksilver, a little brown speck trembling in the network of luminous ripples. Is it a teal diving, a tortoise lazily drifting with the current, a crocodile raising the tip of his scaly snout above the water to breathe the cooler air of evening, the belly of a hippopotamus gleaming amidstream, or perhaps a rock left bare by the falling of the river? For the ancient Opi-Mou, Father of Waters, sadly needs to replenish his dry urn from the solstitial rains of the Mountains of the Moon.

Ce n’est rien de tout cela. Par les morceaux d’Osiris si heureusement recousus ! c’est un homme qui paraît marcher et patiner sur l’eau… l’on peut voir maintenant la nacelle qui le soutient, une vraie coquille de noix, un poisson creusé, trois bandes d’écorce ajustées, une pour le fond et deux pour les plats-bords, le tout solidement relié aux deux pointes avec une corde engluée de bitume. Un homme se tient debout, un pied sur chaque bord de cette frêle machine, qu’il dirige avec un seul aviron qui sert en même temps de gouvernail, et, quoique la cange royale file rapidement sous l’effort de cinquante rameurs, la petite barque noire gagne visiblement sur elle.

It is none of these. By the atoms of Osiris so deftly resewn together, it is a man, who seems to walk, to skate, upon the water! Now the frail bark which sustains him becomes visible, a very nutshell of a boat, a hollow fish; three strips of bark fitted together (one for the bottom and two for the sides), and strongly fastened at either end by cord well smeared with bitumen. The man stands erect, with one foot on either side of this fragile vessel, which he impels with a single oar that also serves the purpose of a rudder; and although the royal cangia moves rapidly under the efforts of the fifty rowers, the little black bark visibly gains upon it.

Cléopâtre désirait un incident étrange, quelque chose d’inattendu ; cette petite nacelle effilée, aux allures mystérieuses, nous a tout l’air de porter sinon une aventure, du moins un aventurier. Peut-être contient-elle le héros de notre histoire : la chose n’est pas impossible.

Cleopatra desired some strange adventure, something wholly unexpected. This little bark which moves so mysteriously seems to us to be conveying an adventure, or, at least, an adventurer. Perhaps it contains the hero of our story; the thing is not impossible.

C’était, en tout cas, un beau jeune homme de vingt ans, avec des cheveux si noirs qu’ils paraissaient bleus, une peau blonde comme de l’or, et de proportions si parfaites, qu’on eût dit un bronze de Lysippe ; bien qu’il ramât depuis longtemps, il ne trahissait aucune fatigue, et il n’avait pas sur le front une seule perle de sueur.

At any rate he was a handsome youth of twenty, with hair so black that it seemed to own a tinge of blue, a skin blonde as gold, and a form so perfectly proportioned that he might have been taken for a bronze statue by Lysippus. Although he had been rowing for a very long time he betrayed no sign of fatigue, and not a single drop of sweat bedewed his forehead.

Le soleil plongeait sous l’horizon, et sur son disque échancré se dessinait la silhouette brune d’une ville lointaine que l’œil n’aurait pu discerner sans cet accident de lumière ; il s’éteignit bientôt tout à fait, et les étoiles, belles de nuit du ciel, ouvrirent leur calice d’or dans l’azur du firmament. La cange royale, suivie de près par la petite nacelle, s’arrêta près d’un escalier de marbre noir, dont chaque marche supportait un de ces sphinx haïs de Cléopâtre. C’était le débarcadère du palais d’été.

The sun half sank below the horizon, and against his broken disk figured the dark silhouette of a far distant city, which the eye could not have distinguished but for this accidental effect of light. His radiance soon faded altogether away, and the stars, fair night-flowers of heaven, opened their chalices of gold in the azure of the firmament. The royal cangia, closely followed by the little bark, stopped before a huge marble stairway, whereof each step supported one of those sphinxes that Cleopatra so much detested. This was the landing-place of the summer palace.

Cléopâtre, appuyée sur Charmion, passa rapidement comme une vision étincelante entre une double haie d’esclaves portant des fanaux.

Cleopatra, leaning upon Charmion, passed swiftly, like a gleaming vision, between a double line of lantern-bearing slaves.

Le jeune homme prit au fond de la barque une grande peau de lion, la jeta sur ses épaules, sauta légèrement à terre, tira la nacelle sur la berge et se dirigea vers le palais.

The youth took from the bottom of his little boat a great lion-skin, threw it across his shoulders, drew the tiny shell upon the beach, and wended his way toward the palace.

CHAPITRE III

CHAPTER III

Qu’est-ce que ce jeune homme qui, debout sur un morceau d’écorce se permet de suivre la cange royale, et qui peut lutter de vitesse contre cinquante rameurs du pays de Kousch, nus jusqu’à la ceinture et frottés d’huile de palmier ? Quel intérêt le pousse et le fait agir ? Voilà ce que nous sommes obligé de savoir en notre qualité de poète doué du don d’intuition, et pour qui tous les hommes et même toutes les femmes, ce qui est plus difficile, doivent avoir au côté la fenêtre que réclamait Momus.

Who is this young man, balancing himself upon a fragment of bark, who dares follow the royal cangia, and is able to contend in a race of speed against fifty strong rowers from the land of Kush, all naked to to the waist, and anointed with palm-oil? What secret motive urges him to this swift pursuit? That, indeed, is one of the many things we are obliged to know in our character of the intuition-gifted poet, for whose benefit all men, and even all women (a much more difficult matter), must have in their breasts that little window which Momus of old demanded.

Il n’est peut-être pas très aisé de retrouver ce que pensait, il y a tantôt deux mille ans, un jeune homme de la terre de Khemé qui suivait la barque de Cléopâtre, reine et déesse Évergète, revenant de la Mammisi d’Hermonthis. Nous essayerons cependant.

It is not a very easy thing to find out precisely what a young man from the land of Kemi, who followed the barge of Cleopatra, queen and goddess Evergetes, on her return from the Mammisi of Hermonthis two thousand years ago, was then thinking of. But we shall make the effort notwithstanding.

Meïamoun, fils de Mandouschopsch, était un jeune homme d’un caractère étrange ; rien de ce qui touche le commun des mortels ne faisait impression sur lui ; il semblait d’une race plus haute, et l’on eût dit le produit de quelque adultère divin. Son regard avait l’éclat et la fixité d’un regard d’épervier, et la majesté sereine siégeait sur son front comme sur un piédestal de marbre ; un noble dédain arquait sa lèvre supérieure et gonflait ses narines comme celles d’un cheval fougueux ; quoiqu’il eût presque la grâce délicate d’une jeune fille, et que Dionysius, le dieu efféminé, n’eût pas une poitrine plus ronde et plus polie, il cachait sous cette molle apparence des nerfs d’acier et une force herculéenne ; singulier privilège de certaines natures antiques de réunir la beauté de la femme à la force de l’homme.

Meïamoun, son of Mandouschopsh, was a youth of strange character; nothing by which ordinary minds are affected made any impression upon him. He seemed to belong to some loftier race, and might well have been regarded as the offspring of some divine adultery. His glance had the steady brilliancy of a falcon's gaze, and a serene majesty sat on his brow as upon a pedestal of marble; a noble pride curled his upper lip, and expanded his nostrils like those of a fiery horse. Although owning a grace of form almost maidenly in its delicacy, and though the bosom of the fair and effeminate god Dionysos was not more softly rounded or smoother than his, yet beneath this soft exterior were hidden sinews of steel and the strength of Hercules—a strange privilege of certain antique natures to unite in themselves the beauty of woman with the strength of man.

Quant à son teint, nous sommes obligé d’avouer qu’il était fauve comme une orange, couleur contraire à l’idée blanche et rose que nous avons de la beauté ; ce qui ne l’empêchait pas d’être un fort charmant jeune homme, très recherché par toute sorte de femmes jaunes, rouges, cuivrées, bistrées, dorées, et même par plus d’une blanche Grecque.

As for his complexion, we must acknowledge that it was of a tawny orange color, a hue little in accordance with our white-and-rose ideas of beauty; but which did not prevent him from being a very charming young man, much sought after by all kinds of women—yellow, red, copper-colored, sooty-black, or golden skinned, and even by one fair, white Greek.

D’après ceci, n’allez pas croire que Meïamoun fût un homme à bonnes fortunes : les cendres du vieux Priam, les neiges d’Hippolyte lui-même n’étaient pas plus insensibles et plus froides ; le jeune néophyte en tunique blanche, qui se prépare à l’initiation des mystères d’Isis, ne mène pas une vie plus chaste ; la jeune fille qui transit à l’ombre glaciale de sa mère n’a pas cette pureté craintive.

Do not suppose from this that Meïamoun's lot was altogether enviable. The ashes of aged Priam, the very snows of Hippolytus, were not more insensible or more frigid; the young white-robed neophyte preparing for the initiation into the mysteries of Isis led no chaster life; the young maiden benumbed by the icy shadow of her mother was not more shyly pure.

Les plaisirs de Meïamoun, pour un jeune homme de si farouche approche, étaient cependant d’une singulière nature : il partait tranquillement le matin avec son petit bouclier de cuir d’hippopotame, son harpé ou sabre à lame courbe, son arc triangulaire et son carquois en peau de serpent, rempli de flèches barbelées ; puis il s’enfonçait dans le désert, et faisait galoper sa cavale aux jambes sèches, à la tête étroite, à la crinière échevelée, jusqu’à ce qu’il trouvât une trace de lionne : cela le divertissait beaucoup d’aller prendre les petits lionceaux sous le ventre de leur mère. En toutes choses il n’aimait que le périlleux ou l’impossible ; il se plaisait fort à marcher dans des sentiers impraticables, à nager dans une eau furieuse, et il eût choisi pour se baigner dans le Nil précisément l’endroit des cataractes : l’abîme l’appelait.

Nevertheless, for so coy a youth, the pleasures of Meïamoun were certainly of a singular nature. He would go forth quietly some morning with his little buckler of hippopotamus hide, his harpe or curved sword, a triangular bow, and a snake-skin quiver filled with barbed arrows; then he would ride at a gallop far into the desert, upon his slender-limbed, small-headed, wild-maned mare, until he could find some lion-tracks. He especially delighted in taking the little lion-cubs from underneath the belly of their mother. In all things he loved the perilous or the unachievable. He preferred to walk where it seemed impossible for any human being to obtain a foothold, or to swim in a raging torrent, and he had accordingly chosen the neighborhood of the cataracts for his bathing place in the Nile. The Abyss called him!

Tel était Meïamoun, fils de Mandouschopsch.

Such was Meïamoun, son of Mandouschopsh.

Depuis quelque temps son humeur était devenue encore plus sauvage ; il s’enfonçait des mois entiers dans l’océan de sables et ne reparaissait qu’à de rares intervalles. — Sa mère inquiète se penchait vainement du haut de sa terrasse et interrogeait le chemin d’un œil infatigable. Après une longue attente, un petit nuage de poussière tourbillonnait à l’horizon ; bientôt le nuage crevait et laissait voir Meïamoun couvert de poussière sur sa cavale maigre comme une louve, l’œil rouge et sanglant, la narine frémissante avec des cicatrices au flanc, cicatrices qui n’étaient pas des marques d’éperon.

For some time his humors had been growing more savage than ever. During whole months he buried himself in the Ocean of Sands, returning only at long intervals. Vainly would his uneasy mother lean from her terrace and gaze anxiously down the long road with tireless eyes. At last, after weary waiting, a little whirling cloud of dust would become visible in the horizon, and finally the cloud would open to allow a full view of Meïamoun, all covered with dust, riding upon a mare gaunt as a wolf, with red and bloodshot eyes, nostrils trembling, and huge scars along her flanks—scars which certainly were not made by spurs.

Après avoir pendu dans sa chambre quelque peau d’hyène ou de lion, il repartait.

After having hung up in his room some hyena or lion skin, he would start off again.

Et cependant personne n’eût pu être plus heureux que Meïamoun ; il était aimé de Nephté, la fille du prêtre Afomouthis, la plus belle personne du nome d’Arsinoïte. Il fallait être Meïamoun pour ne pas voir que Nephté avait des yeux charmants relevés par les coins avec une indéfinissable expression de volupté, une bouche où scintillait un rouge sourire, des dents blanches et limpides, des bras d’une rondeur exquise et des pieds plus parfaits que les pieds de jaspe de la statue d’Isis : assurément il n’y avait pas dans toute l’Égypte une main plus petite et des cheveux plus longs. Les charmes de Nephté n’eussent été effacés que par ceux de Cléopâtre. Mais qui pourrait songer à aimer Cléopâtre ? Ixion, qui fut amoureux de Junon, ne serra dans ses bras qu’une nuée, et il tourne éternellement sa roue aux enfers.

And yet no one might have been happier than Meïamoun. He was beloved by Nephthe, daughter of the priest Afomouthis, and the loveliest woman of the Nome Arsinoïtes. Only such a being as Meïamoun could have failed to see that Nephthe had the most charmingly oblique and indescribably voluptuous eyes, a mouth sweetly illuminated by ruddy smiles, little teeth of wondrous whiteness and transparency, arms exquisitely round, and feet more perfect than the jasper feet of the statue of Isis. Assuredly there was not a smaller hand nor longer hair than hers in all Egypt. The charms of Nephthe could have been eclipsed only by those of Cleopatra. But who could dare to dream of loving Cleopatra? Ixion, enamoured of Juno, strained only a cloud to his bosom, and must forever roll the wheel of his punishment in hell.

C’était Cléopâtre qu’aimait Meïamoun !

It was Cleopatra whom Meïamoun loved.

Il avait d’abord essayé de dompter cette passion folle ; il avait lutté corps à corps avec elle ; mais on n’étouffe pas l’amour comme on étouffe un lion, et les plus vigoureux athlètes ne sauraient rien y faire. La flèche était restée dans la plaie et il la traînait partout avec lui ; l’image de Cléopâtre radieuse et splendide sous son diadème à pointe d’or, seule debout dans sa pourpre impériale au milieu d’un peuple agenouillé, rayonnait dans sa veille et dans son rêve ; comme l’imprudent qui a regardé le soleil et qui voit toujours une tache insaisissable voltiger devant lui, Meïamoun voyait toujours Cléopâtre. Les aigles peuvent contempler le soleil sans être éblouis, mais quelle prunelle de diamant pourrait se fixer impunément sur une belle femme, sur une belle reine ?

He had at first striven to tame this wild passion; he had wrestled fiercely with it; but love cannot be strangled even as a lion is strangled, and the strong skill of the mightiest athlete avails nothing in such a contest. The arrow had remained in the wound, and he carried it with him everywhere. The radiant and splendid image of Cleopatra, with her golden-pointed diadem and her imperial purple, standing above a nation on their knees, illumined his nightly dreams and his waking thoughts. Like some imprudent man who has dared to look at the sun and forever thereafter beholds an impalpable blot floating before his eyes, so Meïamoun ever beheld Cleopatra. Eagles may gaze undazzled at the sun, but what diamond eye can with impunity fix itself upon a beautiful woman, a beautiful queen?

Sa vie était d’errer autour des demeures royales pour respirer le même air que Cléopâtre, pour baiser sur le sable, bonheur, hélas ! bien rare, l’empreinte à demi effacée de son pied ; il suivait les fêtes sacrées et les panégyries, tâchant de saisir un rayon de ses yeux, de dérober au passage un des mille aspects de sa beauté. Quelquefois la honte le prenait de cette existence insensée ; il se livrait à la chasse avec un redoublement de furie, et tâchait de mater par la fatigue l’ardeur de son sang et la fougue de ses désirs.

He commenced at last to spend his life in wandering about the neighborhood of the royal dwelling, that he might at least breathe the same air as Cleopatra, that he might sometimes kiss the almost imperceptible print of her foot upon the sand (a happiness, alas! rare indeed). He attended the sacred festivals and panegyreis, striving to obtain one beaming glance of her eyes, to catch in passing one stealthy glimpse of her loveliness in some of its thousand varied aspects. At other moments, filled with sudden shame of this mad life, he gave himself up to the chase with redoubled ardor, and sought by fatigue to tame the ardor of his blood and the impetuosity of his desires.

Il était allé à la panégyrie d’Hermonthis, et, dans le vague espoir de revoir la reine un instant lorsqu’elle débarquerait au palais d’été, il avait suivi la cange dans sa nacelle, sans s’inquiéter des âcres morsures du soleil par une chaleur à faire fondre en sueur de lave les sphinx haletants sur leurs piédestaux rougis.

He had gone to the panegyris of Hermonthis, and, in the vague hope of beholding the queen again for an instant as she disembarked at the summer palace, had followed her cangia in his boat—little heeding the sharp stings of the sun—through a heat intense enough to make the panting sphinxes melt in lava-sweat upon their reddened pedestals.

Et puis, il comprenait qu’il touchait à un moment suprême, que sa vie allait se décider, et qu’il ne pouvait mourir avec son secret dans sa poitrine.

And then he felt that the supreme moment was nigh, that the decisive instant of his life was at hand, and that he could not die with his secret in his breast.

C’est une étrange situation que d’aimer une reine ; c’est comme si l’on aimait une étoile, encore l’étoile vient-elle chaque nuit briller à sa place dans le ciel ; c’est une espèce de rendez-vous mystérieux : vous la retrouvez, vous la voyez, elle ne s’offense pas de vos regards ! Ô misère ! être pauvre, inconnu, obscur, assis tout au bas de l’échelle, et se sentir le cœur plein d’amour pour quelque chose de solennel, d’étincelant et de splendide, pour une femme dont la dernière servante ne voudrait pas de vous ! avoir l’œil fatalement fixé sur quelqu’un qui ne vous voit point, qui ne vous verra jamais, pour qui vous n’êtes qu’un flot de la foule pareil aux autres et qui vous rencontrerait cent fois sans vous reconnaître ! n’avoir, si l’occasion de parler se présente, aucune raison à donner d’une si folle audace, ni talent de poète, ni grand génie, ni qualité surhumaine, rien que de l’amour ; et en échange de la beauté, de la noblesse, de la puissance, de toutes les splendeurs qu’on rêve, n’apporter que de la passion ou sa jeunesse, choses rares !

It is a strange situation truly to find one-self enamoured of a queen. It is as though one loved a star; yet she, the star, comes forth nightly to sparkle in her place in heaven. It is a kind of mysterious rendezvous. You may find her again, you may see her; she is not offended at your gaze. Oh, misery! to be poor, unknown, obscure, seated at the very foot of the ladder, and to feel one's heart breaking with love for something glittering, solemn, and magnificent—for a woman whose meanest female attendant would scorn you!—to gaze fixedly and fatefully upon one who never sees you, who never will see you; one to whom you are no more than a ripple on the sea of humanity, in nowise differing from the other ripples, and who might a hundred times encounter you without once recognizing you; to have no reason to offer should an opportunity for addressing her present itself in excuse for such mad audacity—neither poetical talent, nor great genius, nor any superhuman qualification—nothing but love; and to be able to offer in exchange for beauty, nobility, power, and all imaginable splendor only one's passion and one's youth—rare offerings, forsooth!

Ces idées accablaient Meïamoun ; couché à plat ventre sur le sable, le menton dans ses mains, il se laissait emporter et soulever par le flot d’une intarissable rêverie ; il ébauchait mille projets plus insensés les uns que les autres. Il sentait bien qu’il tendait à un but impossible, mais il n’avait pas le courage d’y renoncer franchement, et la perfide espérance venait chuchoter à son oreille quelque menteuse promesse.

Such were the thoughts which overwhelmed Meïamoun. Lying upon the sand, supporting his chin on his palms, he permitted himself to be lifted and borne away by the inexhaustible current of reverie; he sketched out a thousand projects, each madder than the last. He felt convinced that he was seeking after the unattainable, but he lacked the courage to frankly renounce his undertaking, and a perfidious hope came to whisper some lying promises in his ear.

« Hâthor, puissante déesse, disait-il à voix basse, que t’ai-je fait pour me rendre si malheureux ? te venges-tu du dédain que j’ai eu pour Nephté, la fille du prêtre Afomouthis ? m’en veux-tu d’avoir repoussé Lamia, l’hétaire d’Athènes, ou Flora, la courtisane romaine ? Est-ce ma faute, à moi, si mon cœur n’est sensible qu’à la seule beauté de Cléopâtre, ta rivale ? Pourquoi as-tu enfoncé dans mon âme la flèche empoisonnée de l’amour impossible ? Quel sacrifice et quelles offrandes demandes-tu ? Faut-il t’élever une chapelle de marbre rose de Syène avec des colonnes à chapiteaux dorés, un plafond d’une seule pièce et des hiéroglyphes sculptés en creux par les meilleurs ouvriers de Memphis ou de Thèbes ? Réponds-moi. »

"Athor, mighty goddess," he murmured in a deep voice, "what evil have I done against thee that I should be made thus miserable? Art thou avenging thyself for my disdain of Nephthe, daughter of the priest Afomouthis? Hast thou afflicted me thus for having rejected the love of Lamia, the Athenian hetaira, or of Flora, the Roman courtesan? Is it my fault that my heart should be sensible only to the matchless beauty of thy rival, Cleopatra? Why hast thou wounded my soul with the envenomed arrow of unattainable love? What sacrifice, what offerings dost thou desire? Must I erect to thee a chapel of the rosy marble of Syene with columns crowned by gilded capitals, a ceiling all of one block, and hieroglyphics deeply sculptured by the best workmen of Memphis and of Thebes? Answer me."

Comme tous les dieux et les déesses que l’on invoque, Hâthor ne répondit rien. Meïamoun prit un parti désespéré.

Like all gods or goddesses thus invoked, Athor answered not a word, and Meïamoun resolved upon a desperate expedient.

Cléopâtre, de son côté, invoquait aussi la déesse Hâthor ; elle lui demandait un plaisir nouveau, une sensation inconnue ; languissamment couchée sur son lit, elle songeait que le nombre des sens est bien borné, que les plus exquis raffinements laissent bien vite venir le dégoût, et qu’une reine a réellement bien de la peine à occuper sa journée. Essayer des poisons sur des esclaves, faire battre des hommes avec des tigres, ou des gladiateurs entre eux, boire des perles fondues, manger une province, tout cela est fade et commun !

Cleopatra, on her part, likewise invoked the goddess Athor. She prayed for a new pleasure, for some fresh sensation. As she languidly reclined upon her couch she thought to herself that the number of the senses was sadly limited, that the most exquisite refinements of delight soon yielded to satiety, and that it was really no small task for a queen to find means of occupying her time. To test new poisons upon slaves; to make men fight with tigers, or gladiators with each other; to drink pearls dissolved; to swallow the wealth of a whole province all these things had become commonplace! and insipid.

Charmion était aux expédients et ne savait plus que faire de sa maîtresse.

Charmion was fairly at her wit's end, and knew not what to do for her mistress.

Tout à coup un sifflement se fit entendre, une flèche vint se planter en tremblant dans le revêtement de cèdre de la muraille.

Suddenly a whistling sound was heard, and an arrow buried itself, quivering, in the cedar wainscoting of the wall.

Cléopâtre faillit s’évanouir de frayeur. Charmion se pencha à la fenêtre et n’aperçut qu’un flocon d’écume sur le fleuve. Un rouleau de papyrus entourait le bois de la flèche ; il contenait ces mots écrits en caractères phonétiques : « Je vous aime ! »

Cleopatra well-nigh fainted with terror. Charmion ran to the window, leaned out, and beheld only a flake of foam on the surface of the river. A scroll of papyrus encircled the wood of the arrow. It bore only these words, written in Phœnician characters, "I love you!"

CHAPITRE IV

CHAPTER IV

« Je vous aime, répéta Cléopâtre en faisant tourner entre ses doigts frêles et blancs le morceau de papyrus roulé à la façon des scytales, voilà le mot que je demandais : quelle âme intelligente, quel génie caché a donc si bien compris mon désir ? »

"I love you," repeated Cleopatra, making the serpent-coiling strip of papyrus writhe between her delicate white fingers. "Those, are the words I longed for. What intelligent spirit, what invisible genius has thus so fully comprehended my desire?"

Et, tout à fait réveillée de sa langoureuse torpeur, elle sauta à bas de son lit avec l’agilité d’une chatte qui flaire une souris, mit ses petits pieds d’ivoire dans ses tatbebs brodés, jeta une tunique de byssus sur ses épaules, et courut à la fenêtre par laquelle Charmion regardait toujours.

And thoroughly aroused from her languid torpor, she sprang out of bed with the agility of a cat which has scented a mouse, placed her little ivory feet in her embroidered tatbebs, threw a byssus tunic over her shoulders, and ran to the window from which Charmion was still gazing.

La nuit était claire et sereine ; la lune déjà levée dessinait avec de grands angles d’ombre et de lumière les masses architecturales du palais, détachées en vigueur sur un fond de bleuâtre transparence, et glaçait de moires d’argent l’eau du fleuve où son reflet s’allongeait en colonne étincelante ; un léger souffle de brise, qu’on eût pris pour la respiration des sphinx endormis, faisait palpiter les roseaux et frissonner les clochettes d’azur des lotus ; les câbles des embarcations amarrées au bord du Nil gémissaient faiblement, et le flot se plaignait sur son rivage comme une colombe sans ramier. Un vague parfum de végétation, plus doux que celui des aromates qui brûlent dans l’amschir des prêtres d’Anubis, arrivait jusque dans la chambre. C’était une de ces nuits enchantées de l’Orient, plus splendides que nos plus beaux jours, car notre soleil ne vaut pas cette lune.

The night was clear and calm. The risen moon outlined with huge angles of light and shadow the architectural masses of the palace, which stood out in strong relief against a background of bluish transparency; and the waters of the river, wherein her reflection lengthened into a shining column, were frosted with silvery ripples. A gentle breeze, such as might have been mistaken for the respiration of the slumbering sphinxes, quivered among the reeds and shook the azure bells of the lotus flowers; the cables of the vessels moored to the Nile's banks groaned feebly, and the rippling tide moaned upon the shore like a dove lamenting for its mate. A vague perfume of vegetation, sweeter than that of the aromatics burned in the anschir of the priests of Anubis, floated into the chamber. It was one of those enchanted nights of the Orient, which are more splendid than our fairest days; for our sun can ill compare with that Oriental moon.

« Ne vois-tu pas là-bas, vers le milieu du fleuve, une tête d’homme qui nage ? Tiens ! il traverse maintenant la traînée de lumière et va se perdre dans l’ombre on ne peut plus le distinguer. » Et, s’appuyant sur l’épaule de Charmion, elle sortait à demi son beau corps de la fenêtre pour tâcher de retrouver la trace du mystérieux nageur. Mais un bois d’acacias du Nil, de doums et de sayals, jetait à cet endroit son ombre sur la rivière et protégeait la fuite de l’audacieux. Si Meïamoun eût eu le bon esprit de se retourner, il aurait aperçu Cléopâtre, la reine sidérale, le cherchant avidement des yeux à travers la nuit, lui pauvre Égyptien obscur, misérable chasseur de lions.

"Do you not see far over there, almost in the middle of the river, the head of a man swimming? See, he crosses that track of light, and passes into the shadow beyond! He is already out of sight!" And, supporting herself upon Charmion's shoulder, she leaned out, with half of her fair body beyond the sill of the window, in the effort to catch another glimpse of the mysterious swimmer; but a grove of Nile acacias, dhoum-palms, and sayals flung its deep shadow upon the river in that direction, and protected the flight of the daring fugitive. If Meïamoun had but had the courtesy to look back, he might have beheld Cleopatra, the sidereal queen, eagerly seeking him through the night gloom—he, the poor obscure Egyptian, the miserable lion-hunter.

« Charmion, Charmion, fais venir Phrehipephbour, le chef des rameurs, et qu’on lance sans retard deux barques à la poursuite de cet homme, » dit Cléopâtre, dont la curiosité était excitée au plus haut degré.

"Charmion, Charmion, send hither Phrehipephbour, the chief of the rowers, and have two boats despatched in pursuit of that man!" cried Cleopatra, whose curiosity was excited to the highest pitch.

Phrehipephbour parut : c’était un homme de la race Nahasi, aux mains larges, aux bras musculeux, coiffé d’un bonnet de couleur rouge, assez semblable au casque phrygien, et vêtu d’un caleçon étroit, rayé diagonalement de blanc et de bleu. Son buste, entièrement nu, reluisait à la clarté de la lampe, noir et poli comme un globe de jais. Il prit les ordres de la reine et se retira sur-le-champ pour les exécuter.

Phrehipephbour appeared, a man of the race of Nahasi, with large hands and muscular arms, wearing a red cap not unlike a Phrygian helmet in form, and clad only in a pair of narrow drawers diagonally striped with white and blue. His huge torso, entirely nude, black and polished like a globe of jet, shone under the lamplight. He received the commands of the queen and instantly retired to execute them.

Deux barques longues, étroites, si légères que le moindre oubli d’équilibre les eût fait chavirer, fendirent bientôt l’eau du Nil en sifflant sous l’effort de vingt rameurs vigoureux ; mais la recherche fut inutile. Après avoir battu la rivière en tous sens, après avoir fouillé la moindre touffe de roseaux, Phrehipephbour revint au palais sans autre résultat que d’avoir fait envoler quelque héron endormi debout sur une patte ou troublé quelque crocodile dans sa digestion.

Two long, narrow boats, so light that the least inattention to equilibrium would capsize them, were soon cleaving the waters of the Nile with hissing rapidity under the efforts of the twenty vigorous rowers, but the pursuit was all in vain. After searching the river banks in every direction, and carefully exploring every patch of reeds, Phrehipephbour returned to the palace, having only succeeded in putting to flight some solitary heron which had been sleeping on one leg, or in troubling the digestion of some terrified crocodile.

Cléopâtre éprouva un dépit si vif de cette contrariété, qu’elle eut une forte envie de condamner Phrehipephbour à la meule ou aux bêtes. Heureusement Charmion intercéda pour le malheureux tout tremblant, qui pâlissait de frayeur sous sa peau noire. C’était la seule fois de sa vie qu’un de ses désirs n’avait pas été aussitôt accompli que formé ; aussi éprouvait-elle une surprise inquiète, comme un premier doute sur sa toute-puissance.

So intense was the vexation of Cleopatra at being thus foiled, that she felt a strong inclination to condemn Phrehipephbour either to the wild beasts or to the hardest labor at the grindstone. Happily, Charmion interceded for the trembling unfortunate, who turned pale with fear, despite his black skin. It was the first time in Cleopatra's life that one of her desires had not been gratified as soon as expressed, and she experienced, in consequence, a kind of uneasy surprise; a first doubt, as it were, of her own omnipotence.

Elle, Cléopâtre, femme et sœur de Ptolémée, proclamée déesse Évergète, reine vivante des régions d’en bas et d’en haut, œil de lumière, préférée du soleil, comme on peut le voir dans les cartouches sculptés sur les murailles des temples, rencontrer un obstacle, vouloir une chose qui ne s’est pas faite, avoir parlé et n’avoir pas été obéie ! Autant vaudrait être la femme de quelque pauvre paraschiste inciseur de cadavres et faire fondre du natron dans une chaudière ! C’est monstrueux, c’est exorbitant, et il faut être, en vérité, une reine très douce et très clémente pour ne pas faire mettre en croix ce misérable Phrehipephbour.

She, Cleopatra, wife and sister of Ptolemy—she who had been proclaimed goddess Evergetes, living queen of the regions Above and Below, Eye of Light, Chosen of the Sun (as may still be read within the cartouches sculptured on the walls of the temples)—she to find an obstacle in her path, to have wished aught that failed of accomplishment, to have spoken and not been obeyed! As well be the wife of some wretched Paraschistes, some corpse-cutter, and melt natron in a caldron! It was monstrous, preposterous! and none but the most gentle and clement of queens could have refrained from crucifying that miserable Phrehipephbour.

Vous vouliez une aventure, quelque chose d’étrange et d’inattendu : vous êtes servie à souhait. Vous voyez que votre royaume n’est pas si mort que vous le prétendiez. Ce n’est pas le bras de pierre d’une statue qui a lancé cette flèche, ce n’est pas du cœur d’une momie que viennent ces trois mots qui vous ont émue, vous qui voyez avec un sourire sur les lèvres vos esclaves empoisonnés battre du talon et de la tête, dans les convulsions de l’agonie, vos beaux pavés de mosaïque et de porphyre, vous qui applaudissez le tigre lorsqu’il a bravement enfoncé son mufle dans le flanc du gladiateur vaincu !

You wished for some adventure, something strange and unexpected. Your wish has been gratified. You find that your kingdom is not so dead as you deemed it. It was not the stony arm of a statue which shot that arrow; it was not from a mummy's heart that came those three words which have moved even you—you who smilingly watched your poisoned slaves dashing their heads and beating their feet upon your beautiful mosaic and porphyry pavements in the convulsions of death-agony; you who even applauded the tiger which boldly buried its muzzle in the flank of some vanquished gladiator.

Vous aurez tout ce que vous voudrez, des chars d’argent étoilés d’émeraudes, des quadriges de griffons, des tuniques de pourpre teintes trois fois, des miroirs d’acier fondu entourés de pierres précieuses, si clairs que vous vous y verrez aussi belle que vous l’êtes ; des robes venues du pays de Sérique, si fines, si déliées qu’elles passeraient par l’anneau de votre petit doigt ; des perles d’un orient parfait, des coupes de Lysippe ou de Myron, des perroquets de l’Inde qui parlent comme des poètes ; vous obtiendrez tout, quand même vous demanderiez le ceste de Vénus ou le pschent d’Isis ; mais en vérité, vous n’aurez pas ce soir l’homme qui a lancé cette flèche qui tremble encore dans le bois de cèdre de votre lit.

You could obtain all else you might wish for—chariots of silver, starred with emeralds; griffin-quadrigeræ; tunics of purple thrice-dyed; mirrors of molten steel, so clear that you might find the charms of your loveliness faithfully copied in them; robes from the land of Serica, so fine and subtly light that they could be drawn through the ring worn upon your little finger; Orient pearls of wondrous color; cups wrought by Myron or Lysippus; Indian paroquets that speak like poets—all things else you could obtain, even should you ask for the Cestus of Venus or the pshent of Isis, but most certainly you cannot this night capture the man who shot the arrow which still quivers in the cedar wood of your couch.

Les esclaves qui vous habilleront demain n’auront pas beau jeu ; elles ne risquent rien d’avoir la main légère ; les épingles d’or de la toilette pourraient bien avoir pour pelote la gorge de la friseuse maladroite, et l’épileuse risque fort de se faire pendre au plafond par les pieds.

The task of the slaves who must dress you to-morrow will not be a grateful one. They will hardly escape with blows. The bosom of the unskilful waiting-maid will be apt to prove a cushion for the golden pins of the toilette, and the poor hairdresser will run great risk of being suspended by her feet from the ceiling.

« Qui peut avoir eu l’audace de lancer cette déclaration emmanchée dans une flèche ? Est-ce le nomarque Amoun-Ra qui se croit plus beau que l’Apollon des Grecs ? qu’en penses-tu, Charmion ? ou bien Chéapsiro, le commandant de l’Hermothybie, si fier de ses combats au pays de Kousch ? Ne serait-ce pas plutôt le jeune Sextus, ce débauché romain, qui met du rouge, grasseye en parlant et porte des manches à la persique ?

"Who could have had the audacity to send me this avowal upon the shaft of an arrow? Could it have been the Nomarch Amoun-Ra who fancies himself handsomer than the Apollo of the Greeks? What think you, Charmion? Or perhaps Cheâpsiro, commander of Hermothybia, who is so boastful of his conquests in the land of Kush? Or is it not more likely to have been young Sextus, that Roman debauchee who paints his face, lisps in speaking, and wears sleeves in the fashion of the Persians?"

— Reine, ce n’est aucun de ceux-là ; quoique vous soyez la plus belle du monde, ces gens-là vous flattent et ne vous aiment pas. Le nomarque Amoun-Ra s’est choisi une idole à qui il sera toujours fidèle, et c’est sa propre personne ; le guerrier Chéapsiro ne pense qu’à raconter ses batailles ; quant à Sextus, il est si sérieusement occupé de la composition d’un nouveau cosmétique, qu’il ne peut songer à rien autre chose. D’ailleurs, il a reçu des surtouts de Laconie, des tuniques jaunes brochées d’or et des enfants asiatiques qui l’absorbent tout entier. Aucun de ces beaux seigneurs ne risquerait son cou dans une entreprise si hardie et si périlleuse ; ils ne vous aiment pas assez pour cela.

"Queen, it was none of those. Though you are indeed the fairest of women, those men only natter you; they do not love you. The Nomarch Amoun-Ra has chosen himself an idol to which he will be forever faithful, and that is his own person. The warrior Cheâpsiro thinks of nothing save the pleasure of recounting his victories. As for Sextus, he is so seriously occupied with the preparation of a new cosmetic that he cannot dream of anything else. Besides, he had just purchased some Laconian dresses, a number of yellow tunics embroidered with gold, and some Asiatic children which absorb all his time. Not one of those fine lords would risk his head in so daring and dangerous an undertaking; they do not love you well enough for that.

« Vous disiez hier dans votre cange que les yeux éblouis n’osaient s’élever jusqu’à vous, que l’on ne savait que pâlir et tomber à vos pieds en demandant grâce, et qu’il ne vous restait d’autre ressource que d’aller réveiller dans son cercueil doré quelque vieux pharaon parfumé de bitume. Il y a maintenant un cœur ardent et jeune qui vous aime : qu’en ferez-vous ? »

"Yesterday, in your cangia, you said that men dared not fix their dazzled eyes upon you; that they knew only how to turn pale in your presence, to fall at your feet and supplicate your mercy; and that your sole remaining resource would be to awake some ancient, bitumen-perfumed Pharaoh from his gilded coffin. Now here is an ardent and youthful heart that loves you. What will you do with it?"

Cette nuit-là, Cléopâtre eut de la peine à s’endormir, elle se retourna dans son lit, elle appela longtemps en vain Morphée, frère de la Mort ; elle répéta plusieurs fois qu’elle était la plus malheureuse des reines, que l’on prenait à tâche de la contrarier, et que la vie lui était insupportable ; grandes doléances qui touchaient assez peu Charmion, quoiqu’elle fît mine d’y compatir.

Cleopatra that night sought slumber in vain. She tossed feverishly upon her couch, and long and vainly invoked Morpheus, the brother of Death. She incessantly repeated that she was the most unhappy of queens, that every one sought to persecute her, and that her life had become insupportable; woeful lamentations which had little effect upon Charmion, although she pretended to sympathize with them.

Laissons un peu Cléopâtre chercher le sommeil qui la fuit et promener ses conjectures sur tous les grands de la cour ; revenons à Meïamoun : plus adroit que Phrehipephbour, le chef des rameurs, nous parviendrons bien à le trouver.

Let us for a while leave Cleopatra to seek fugitive sleep, and direct her suspicions successively upon each noble of the court. Let us return to Meïamoun, and as we are much more sagacious than Phrehipephbour, chief of the rowers, we shall have no difficulty in finding him.

Effrayé de sa propre hardiesse, Meïamoun s’était jeté dans le Nil, et avait gagné à la nage le petit bois de palmiers-doums avant que Phrehipephbour eût lancé les deux barques à sa poursuite.

Terrified at his own hardihood, Meïamoun had thrown himself into the Nile, and had succeeded in swimming the current and gaining the little grove of dhoum-palms before Phrehipephbour had even launched the two boats in pursuit of him.

Lorsqu’il eut repris haleine et repoussé derrière ses oreilles ses longs cheveux noirs trempés de l’écume du fleuve, il se sentit plus à l’aise et plus calme. Cléopâtre avait quelque chose qui venait de lui. Un rapport existait entre eux maintenant ; Cléopâtre pensait à lui, Meïamoun. Peut-être était-ce une pensée de courroux, mais au moins il était parvenu à faire naître en elle un mouvement quelconque, frayeur, colère ou pitié ; il lui avait fait sentir son existence. Il est vrai qu’il avait oublié de mettre son nom sur la bande de papyrus ; mais qu’eût appris de plus à la reine Meïamoun, fils de Mandouschopsch ? Un monarque ou un esclave sont égaux devant elle. Une déesse ne s’abaisse pas plus en prenant pour amoureux un homme du peuple qu’un patricien ou un roi ; de si haut l’on ne voit dans un homme que l’amour.

When he had recovered breath, and brushed back his long black locks, all damp with river foam, behind his ears, he began to feel more at ease, more inwardly calm. Cleopatra possessed something which had come from him; some sort of communication was now established between them. Cleopatra was thinking of him, Meïamoun. Perhaps that thought might be one of wrath; but then he had at least been able to awake some feeling within her, whether of fear, anger, or pity. He had forced her to the consciousness of his existence. It was true that he had forgotten to inscribe his name upon the papyrus scroll, but what more of him could the queen have learned from the inscription, Meïamoun, Son of Mandouschopsh? In her eyes the slave and the monarch were equal. A goddess in choosing a peasant for her lover stoops no lower than in choosing a patrician or a king. The Immortals from a height so lofty can behold only love in the man of their choice.

Le mot qui lui pesait sur la poitrine comme le genou d’un colosse en bronze en était enfin sorti ; il avait traversé les airs, il était parvenu jusqu’à la reine, pointe du triangle, sommet inaccessible ! Dans ce cœur blasé il avait mis une curiosité, — progrès immense !

The thought which had weighed upon his breast like the knee of a colossus of brass had at last departed. It had traversed the air; it had even reached the queen herself, the apex of the triangle, the inaccessible summit. It had aroused curiosity in that impassive heart; a prodigious advance, truly, toward success.

Meïamoun ne se doutait pas d’avoir si bien réussi, mais il était plus tranquille, car il s’était juré à lui-même, par la Bari mystique qui conduit les âmes dans l’Amenti, par les oiseaux sacrés, Bennou et Gheughen ; par Typhon et par Osiris, par tout ce que la mythologie égyptienne peut offrir de formidable, qu’il serait l’amant de Cléopâtre, ne fût-ce qu’un jour, ne fût-ce qu’une nuit, ne fût-ce qu’une heure, dût-il lui en coûter son corps et son âme.

Meïamoun, indeed, never suspected that he had so thoroughly succeeded in this wise, but he felt more tranquil; for he had sworn unto himself by that mystic Bari who guides the souls of the dead to Amenthi, by the sacred birds Bermou and Ghenghen, by Typhon and by Osiris, and by all things awful in Egyptian mythology, that he should be the accepted lover of Cleopatra, though it were but for a single night, though for only a single hour, though it should cost him his life and even his very soul.

Expliquer comment lui était venu cet amour pour une femme qu’il n’avait vue que de loin et sur laquelle il osait à peine lever ses yeux, lui qui ne les baissait pas devant les jaunes prunelles des lions, et comment cette petite graine tombée par hasard dans son âme y avait poussé si vite et jeté de si profondes racines, c’est un mystère que nous n’expliquerons pas ; — nous avons dit là-haut : L’abîme l’appelait.

If we must explain how he had fallen so deeply in love with a woman whom he had beheld only from afar off, and to whom he had hardly dared to raise his eyes—even he who was wont to gaze fearlessly into the yellow eyes of the lion—or how the tiny seed of love, chance-fallen upon his heart, had grown there so rapidly and extended its roots so deeply, we can answer only that it is a mystery which we are unable to explain. We have already said of Meïamoun,—The Abyss called him.

Quand il fut bien sûr que Phrehipephbour était rentré avec les rameurs, il se jeta une seconde fois dans le Nil et se dirigea de nouveau vers le palais de Cléopâtre, dont la lampe brillait à travers un rideau de pourpre et semblait une étoile fardée. Léandre ne nageait pas vers la tour de Sestos avec plus de courage et de vigueur, et cependant Meïamoun n’était pas attendu par une Héro prête à lui verser sur la tête des fioles de parfums pour chasser l’odeur de la mer et des âcres baisers de la tempête.

Once assured that Phrehipephbour had returned with his rowers, he again threw himself into the current and once more swam toward the palace of Cleopatra, whose lamp still shone through the window curtains like a painted star. Never did Leander swim with more courage and vigor toward the tower of Sestos; yet for Meïamoun no Hero was waiting, ready to pour vials of perfume upon his head to dissipate the briny odors of the sea and banish the sharp kisses of the storm.

Quelque bon coup de lance ou de harpé était tout ce qui pouvait lui arriver de mieux, et, à vrai dire, ce n’était guère de cela qu’il avait peur.

A strong blow from some keen lance or harpe was certainly the worst he had to fear, and in truth he had but little fear of such things.

Il longea quelque temps la muraille du palais dont les pieds de marbre baignaient dans le fleuve, et s’arrêta devant une ouverture submergée, par où l’eau s’engouffrait en tourbillonnant. Il plongea deux ou trois fois sans succès ; enfin il fut plus heureux, rencontra le passage et disparut.

He swam close under the walls of the palace, which bathed its marble feet in the river's depths, and paused an instant before a submerged archway into which the water rushed downward in eddying whirls. Twice, thrice he plunged into the vortex unsuccessfully. At last, with better luck, he found the opening and disappeared.

Cette arcade était un canal voûté qui conduisait l’eau du Nil aux bains de Cléopâtre.

This archway was the opening to a vaulted canal which conducted the waters of the Nile into the baths of Cleopatra.

CHAPITRE V

CHAPTER V

Cléopâtre ne s’endormit que le matin, à l’heure où rentrent les songes envolés par la porte d’ivoire. L’illusion du sommeil lui fit voir toute sorte d’amants se jetant à la nage, escaladant les murs pour arriver jusqu’à elle, et, souvenir de la veille, ses rêves étaient criblés de flèches chargées de déclarations amoureuses. Ses petits talons agités de tressaillements nerveux frappaient la poitrine de Charmion, couchée en travers du lit pour lui servir de coussin.

Cleopatra found no rest until morning, at the hour when wandering dreams reenter the Ivory Gate. Amid the illusions of sleep she beheld all kinds of lovers swimming rivers and scaling walls in order to come to her, and, through the vague souvenirs of the night before, her dreams appeared fairly riddled with arrows bearing declarations of love. Starting nervously from time to time in her troubled slumbers, she struck her little feet unconsciously against the bosom of Charmion, who lay across the foot of the bed to serve her as a cushion.

Lorsqu’elle s’éveilla, un gai rayon jouait dans le rideau de la fenêtre dont il trouait la trame de mille points lumineux, et venait familièrement jusque sur le lit voltiger comme un papillon d’or autour de ses belles épaules qu’il effleurait en passant d’un baiser lumineux. Heureux rayon que les dieux eussent envié !

When she awoke, a merry sunbeam was playing through the window curtain, whose woof it penetrated with a thousand tiny points of light, and thence came familiarly to the bed, flitting like a golden butterfly over her lovely shoulders, which it lightly touched in passing by with a luminous kiss. Happy sunbeam, which the gods might well have envied.

Cléopâtre demanda à se lever d’une voix mourante comme un enfant malade ; deux de ses femmes l’enlevèrent dans leurs bras et la posèrent précieusement à terre, sur une grande peau de tigre dont les ongles étaient d’or et les yeux d’escarboucles. — Charmion l’enveloppa d’une calasiris de lin plus blanche que le lait, lui entoura les cheveux d’une résille de fils d’argent, et lui plaça les pieds dans des tatbebs de liège sur la semelle desquels, en signe de mépris, l’on avait dessiné deux figures grotesques représentant deux hommes des races Nahasi et Nahmou, les mains et les pieds liés, en sorte que Cléopâtre méritait littéralement l’épithète de conculcatrice des peuples, que lui donnent les cartouches royaux.

In a faint voice, like that of a sick child, Cleopatra asked to be lifted out of bed. Two of her women raised her in their arms and gently laid her on a tiger-skin stretched upon the floor, of which the eyes were formed of carbuncles and the claws of gold. Charmion wrapped her in calasiris of linen whiter than milk, confined her hair in a net of woven silver threads, tied to her little feet cork tatbebs upon the soles of which were painted, in token of contempt, two grotesque figures, representing two men of the races of Nahasi and Nahmou, bound hand and foot, so that Cleopatra literally deserved the epithet, "Conculcatrix of Nations,"[1] which the royal cartouche inscriptions bestow upon her.

C’était l’heure du bain ; Cléopâtre s’y rendit avec ses femmes.

It was the hour for the bath. Cleopatra went to bathe, accompanied by her women.

Les bains de Cléopâtre étaient bâtis dans de vastes jardins remplis de mimosas, de caroubiers, d’aloès, de citronniers, de pommiers persiques, dont la fraîcheur luxuriante faisait un délicieux contraste avec l’aridité des environs ; d’immenses terrasses soutenaient des massifs de verdure et faisaient monter les fleurs jusqu’au ciel par de gigantesques escaliers de granit rose ; des vases de marbre pentélique s’épanouissaient comme de grands lis au bord de chaque rampe, et les plantes qu’ils contenaient ne semblaient que leurs pistils ; des chimères caressées par le ciseau des plus habiles sculpteurs grecs, et d’une physionomie moins rébarbative que les sphinx égyptiens avec leur mine renfrognée et leur attitude morose, étaient couchées mollement sur le gazon tout piqué de fleurs, comme de sveltes levrettes blanches sur un tapis de salon : c’étaient de charmantes figures de femme, le nez droit, le front uni, la bouche petite, les bras délicatement potelés, la gorge ronde et pure, avec des boucles d’oreilles, des colliers et des ajustements d’un caprice adorable, se bifurquant en queue de poisson comme la femme dont parle Horace, se déployant en aile d’oiseau, s’arrondissant en croupe de lionne, se contournant en volute de feuillage, selon la fantaisie de l’artiste ou les convenances de la position architecturale : — une double rangée de ces délicieux monstres bordait l’allée qui conduisait du palais à la salle.

The baths of Cleopatra were built in the midst of immense gardens filled with mimosas, aloes, carob-trees, citron-trees, and Persian apple-trees, whose luxuriant freshness afforded a delicious contrast to the arid appearance of the neighboring vegetation. There, too, vast terraces uplifted masses of verdant foliage, and enabled flowers to climb almost to the very sky upon gigantic stairways of rose-colored granite; vases of Pentelic marble bloomed at the end of each step like huge lily-flowers, and the plants they contained seemed only their pistils; chimeras caressed into form by the chisels of the most skilful Greek sculptors, and less stern of aspect than the Egyptian sphinxes, with their grim mien and moody attitudes, softly extended their limbs upon the flower-strewn turf, like shapely white leverettes upon a drawing-room carpet. These were charming feminine figures, with finely chiselled nostrils, smooth brows, small mouths, delicately dimpled arms, breasts fair-rounded and daintily formed; wearing earrings, necklaces, and all the trinkets suggested by adorable caprice; whose bodies terminated in bifurcated fishes' tails, like the women described by Horace, or extended into birds' wings, or rounded into lions' haunches, or blended into volutes of foliage, according to the fancies of the artist or in conformity to the architectural position chosen. A double row of these delightful monsters lined the alley which led from the palace to the bathing halls.

Au bout de cette allée, on trouvait un large bassin avec quatre escaliers de porphyre ; à travers la transparence de l’eau diamantée on voyait les marches descendre jusqu’au fond sablé de poudre d’or ; des femmes terminées en gaine comme des cariatides faisaient jaillir de leurs mamelles un filet d’eau parfumée qui retombait dans le bassin en rosée d’argent, et picotait le clair miroir de ses gouttelettes grésillantes. Outre cet emploi, ces cariatides avaient encore celui de porter sur leur tête un entablement orné de néréides et de tritons en bas-relief et muni d’un anneau de bronze pour attacher les cordes de soie du velarium. Au delà du portique l’on apercevait des verdures humides et bleuâtres, des fraîcheurs ombreuses, un morceau de la vallée de Tempé transporté en Égypte. Les fameux jardins de Sémiramis n’étaient rien auprès de cela.

At the end of this alley was a huge fountain-basin, approached by four porphyry stairways. Through the transparent depths of the diamond-clear water the steps could be seen descending to the bottom of the basin, which was strewn with gold-dust in lieu of sand. Here figures of women terminating in pedestals like Caryatides[2] spurted from their breasts slender jets of perfumed water, which fell into the basin in silvery dew, pitting the clear watery mirror with wrinkle-creating drops. In addition to this task these Caryatides had likewise that of supporting upon their heads an entablature decorated with Nereids and Tritons in bas-relief, and furnished with rings of bronze to which the silken cords of a velarium might be attached. From the portico was visible an extending expanse of freshly humid, bluish-green verdure and cool shade, a fragment of the Vale of Tempe transported to Egypt. The famous gardens of Semiramis would not have borne comparison with these.

Nous ne parlerons pas de sept ou huit autres salles de différentes températures, avec leur vapeur chaude ou froide, leurs boîtes de parfums, leurs cosmétiques, leurs huiles, leurs pierres ponces, leurs gantelets de crin, et tous les raffinements de l’art balnéatoire antique poussé à un si haut degré de volupté et de raffinement.

We will not pause to describe the seven or eight other halls of various temperature, with their hot and cold vapors, perfume boxes, cosmetics, oils, pumice stone, gloves of woven horsehair, and all the refinements of the antique balneatory art brought to the highest pitch of voluptuous perfection.

Cléopâtre arriva, la main sur l’épaule de Charmion ; elle avait fait au moins trente pas toute seule ! grand effort ! fatigue énorme ! Un léger nuage rose, se répandant sous la peau transparente de ses joues, en rafraîchissait la pâleur passionnée ; ses tempes blondes comme l’ambre laissaient voir un réseau de veines bleues ; son front uni, peu élevé comme les fronts antiques, mais d’une rondeur et d’une forme parfaites, s’unissait par une ligne irréprochable à un nez sévère et droit, en façon de camée, coupé de narines roses et palpitantes à la moindre émotion, comme les naseaux d’une tigresse amoureuse ; la bouche, petite, ronde, très rapprochée du nez, avait la lèvre dédaigneusement arquée, mais une volupté effrénée, une ardeur de vie incroyable rayonnait dans le rouge éclat et dans le lustre humide de la lèvre inférieure. Ses yeux avaient des paupières étroites, des sourcils minces et presque sans inflexion. Nous n’essayerons pas d’en donner une idée : c’était un feu, une langueur, une limpidité étincelante à faire tourner la tête de chien d’Anubis lui-même ; chaque regard de ses yeux était un poème supérieur à ceux d’Homère ou de Mimnerme ; un menton impérial, plein de force et de domination, terminait dignement ce charmant profil.

Hither came Cleopatra, leaning with one hand upon the shoulder of Charmion. She had taken at least thirty steps all by herself. Mighty effort, enormous fatigue! A tender tint of rose commenced to suffuse the transparent skin of her cheeks, refreshing their passionate pallor; a blue network of veins relieved the amber blondness of her temples; her marble forehead, low like the antique foreheads, but full and perfect in form, united by one faultless line with a straight nose, finely chiselled as a cameo, with rosy nostrils which the least emotion made palpitate like the nostrils of an amorous tigress; the lips of her small, rounded mouth, slightly separated from the nose, wore a disdainful curve; but an unbridled voluptuousness, an indescribable vital warmth, glowed in the brilliant crimson and humid lustre of the under lip. Her eyes were shaded by level eyelids, and eyebrows slightly arched and delicately outlined. We cannot attempt by description to convey an idea of their brilliancy. It was a fire, a languor, a sparkling limpidity which might have made even the dog-headed Anubis giddy. Every glance of her eyes was in itself a poem richer than aught of Homer or Mimnermus. An imperial chin, replete with force and power to command, worthily completed this charming profile.

Elle se tenait debout sur la première marche du bassin, dans une attitude pleine de grâce et de fierté ; légèrement cambrée en arrière, le pied suspendu comme une déesse qui va quitter son piédestal et dont le regard est encore au ciel ; deux plis superbes partaient des pointes de sa gorge et filaient d’un seul jet jusqu’à terre. Cléomène, s’il eût été son contemporain et s’il eût pu la voir, aurait brisé sa Vénus de dépit.

She stood erect upon the upper step of the basin, in an attitude full of proud grace; her figure slightly thrown back, and one foot in suspense, like a goddess about to leave her pedestal, whose eyes still linger on heaven. Her robe fell in two superb folds from the peaks of her bosom to her feet in unbroken lines. Had Cleomenes been her contemporary and enjoyed the happiness of beholding her thus, he would have broken his Venus in despair.

Avant d’entrer dans l’eau, par un nouveau caprice elle dit à Charmion de lui changer sa coiffure à résilles d’argent ; elle aimait mieux une couronne de fleurs de lotus avec des joncs, comme une divinité marine. Charmion obéit ; — ses cheveux délivrés coulèrent en cascades noires sur ses épaules, et pendirent en grappes comme des raisins mûrs au long de ses belles joues.

Before entering the water she bade Charmion, for a new caprice, to change her silver hair-net; she preferred to be crowned with reeds and lotos-flowers, like a water divinity. Charmion obeyed, and her liberated hair fell in black cascades over her shoulders, and shadowed her beautiful cheeks in rich bunches, like ripening grapes.

Puis la tunique de lin, retenue seulement par une agrafe d’or, se détacha, glissa au long de son corps de marbre, et s’abattit en blanc nuage à ses pieds comme le cygne aux pieds de Léda…

Then the linen tunic, which had been confined only by one golden clasp, glided down over her marble body, and fell in a white cloud at her feet, like the swan at the feet of Leda....

Et Meïamoun, où était-il ?

And Meïamoun, where was he?

Ô cruauté du sort ! tant d’objets insensibles jouissent de faveurs qui raviraient un amant de joie. Le vent qui joue avec une chevelure parfumée ou qui donne à de belles lèvres des baisers qu’il ne peut apprécier, l’eau à qui cette volupté est bien indifférente et qui enveloppe d’une seule caresse un beau corps adoré, le miroir qui réfléchit tant d’images charmantes, le cothurne ou le tatbeb qui enferme un divin petit pied : oh ! que de bonheurs perdus !

Oh cruel lot, that so many insensible objects should enjoy the favors which would ravish a lover with delight! The wind which toys with a wealth of perfumed hair, or kisses beautiful lips with kisses which it is unable to appreciate; the water which envelops an adorably beautiful body in one universal kiss, and is yet, notwithstanding, indifferent to that exquisite pleasure; the mirror which reflects so many charming images; the buskin or tatbeb which clasps a divine little foot—oh, what happiness lost!

Cléopâtre trempa dans l’eau son talon vermeil et descendit quelques marches ; l’onde frissonnante lui faisait une ceinture et des bracelets d’argent, et roulait en perles sur sa poitrine et ses épaules comme un collier défait ; ses grands cheveux, soulevés par l’eau, s’étendaient derrière elle comme un manteau royal ; elle était reine même au bain. Elle allait et venait, plongeait et rapportait du fond dans ses mains des poignées de poudre d’or qu’elle lançait en riant à quelqu’une de ses femmes ; d’autres fois elle se suspendait à la balustrade du bassin, cachant et découvrant ses trésors, tantôt ne laissant voir que son dos poli et lustré, tantôt se montrant entière comme la Vénus Anadyomène, et variant sans cesse les aspects de sa beauté.

Cleopatra dipped her pink heel in the water and descended a few steps. The quivering flood made a silver belt about her waist, and silver bracelets about her arms, and rolled in pearls like a broken necklace over her bosom and shoulders; her wealth of hair, lifted by the water, extended behind her like a royal mantle; even in the bath she was a queen. She swam to and fro, dived, and brought up handfuls of gold-dust with which she laughingly pelted some of her women. Again, she clung suspended to the balustrade of the basin, concealing or exposing her treasures of loveliness—now permitting only her lustrous and polished back to be seen, now showing her whole figure, like Venus Anadyomene, and incessantly varying the aspects of her beauty.

Tout à coup elle poussa un cri plus aigu que Diane surprise par Actéon ; elle avait vu à travers le feuillage luire une prunelle ardente, jaune et phosphorique comme un œil de crocodile ou de lion.

Suddenly she uttered a cry as shrill as that of Diana surprised by Actæon. She had seen gleaming through the neighboring foliage a burning eye, yellow and phosphoric as the eye of a crocodile or lion.

C’était Meïamoun qui, tapi contre terre, derrière une touffe de feuilles, plus palpitant qu’un faon dans les blés, s’enivrait du dangereux bonheur de regarder la reine dans son bain. Quoiqu’il fût courageux jusqu’à la témérité, le cri de Cléopâtre lui entra dans le cœur plus froid qu’une lame d’épée ; une sueur mortelle lui couvrit tout le corps ; ses artères sifflaient dans ses tempes avec un bruit strident, la main de fer de l’anxiété lui serrait la gorge et l’étouffait.

It was Meïamoun, who, crouching behind a tuft of leaves, and trembling like a fawn in a field of wheat, was intoxicating himself with the dangerous pleasure of beholding the queen in her bath. Though brave even to temerity, the cry of Cleopatra passed through his heart, coldly piercing as the blade of a sword. A death-like sweat covered his whole body; his arteries hissed through his temples with a sharp sound; the iron hand of anxious fear had seized him by the throat and was strangling him.

Les eunuques accoururent la lance au poing ; Cléopâtre leur désigna le groupe d’arbres, où ils trouvèrent Meïamoun blotti et pelotonné. La défense n’était pas possible, il ne l’essaya pas et se laissa prendre. Ils s’apprêtaient à le tuer avec l’impassibilité cruelle et stupide qui caractérise les eunuques ; mais Cléopâtre, qui avait eu le temps de s’envelopper de sa calasiris, leur fit signe de la main de s’arrêter et de lui amener le prisonnier.

The eunuchs rushed forward, lance in hand. Cleopatra pointed out to them the group of trees, where they found Meïamoun crouching in concealment. Defence was out of the question. He attempted none, and suffered himself to be captured. They prepared to kill him with that cruel and stupid impassibility characteristic of eunuchs; but Cleopatra, who, in the interim, had covered herself with her calasiris, made signs to them to stop, and bring the prisoner before her.

Meïamoun ne put que tomber à ses genoux en tendant vers elle des mains suppliantes comme vers l’autel des dieux.

Meïamoun could only fall upon his knees and stretch forth suppliant hands to her, as to the altars of the gods.

« Es-tu quelque assassin gagé par Rome ? et que venais-tu faire dans ces lieux sacrés d’où les hommes sont bannis ? dit Cléopâtre avec un geste d’interrogation impérieuse.

"Are you some assassin bribed by Rome, or for what purpose have you entered these sacred precincts from which all men are excluded?" demanded Cleopatra with an imperious gesture of interrogation.

— Que mon âme soit trouvée légère dans la balance de l’Amenti, et que Tmeï, fille du soleil et déesse de la vérité, me punisse si jamais j’eus contre vous, ô reine ! une intention mauvaise ! » répondit Meïamoun toujours à genoux.

"May my soul be found light in the balance of Amenti, and may Tmeï, daughter of the Sun and goddess of Truth, punish me if I have ever entertained a thought of evil against you, O queen!" answered Meïamoun, still upon his knees.

La sincérité et la loyauté brillaient sur sa figure en caractères si transparents, que Cléopâtre abandonna sur-le-champ cette pensée, et fixa sur le jeune Égyptien des regards moins sévères et moins irrités ; elle le trouvait beau.

Sincerity and loyalty were written upon his countenance in characters so transparent that Cleopatra immediately banished her suspicions, and looked upon the young Egyptian with a look less stern and wrathful. She saw that he was beautiful.

« Alors, quelle raison te poussait dans un lieu où tu ne pouvais rencontrer que la mort ?

"Then what motive could have prompted you to enter a place where you could only expect to meet death?"

— Je vous aime, dit Meïamoun d’une voix basse, mais distincte ; car son courage était revenu comme dans toutes les situations extrêmes et que rien ne peut empirer.

"I love you!" murmured Meïamoun in a low, but distinct voice; for his courage had returned, as in every desperate situation when the odds against him could be no worse.

— Ah ! fit Cléopâtre en se penchant vers lui et en lui saisissant le bras avec un mouvement brusque et soudain, c’est toi qui as lancé la flèche avec le rouleau de papyrus ; par Oms, chien des enfers, tu es un misérable bien hardi !… Je te reconnais maintenant ; il y a longtemps que je te vois errer comme une ombre plaintive autour des lieux que j’habite… Tu étais à la procession d’Isis, à la panégyrie d’Hermonthis ; tu as suivi la cange royale. Ah ! il te faut une reine !… Tu n’as point des ambitions médiocres ; tu t’attendais sans doute à être payé de retour… Assurément je vais t’aimer… Pourquoi pas ?

"Ah!" cried Cleopatra, bending toward him, and seizing his arm with a sudden brusque movement, "so, then, it was you who shot that arrow with the papyrus scroll! By Oms, the Dog of Hell, you are a very foolhardy wretch!... I now recognize you. I long observed you wandering like a complaining Shade about the places where I dwell.... You were at the Procession of Isis, at the Panegyris of Hermonthis. You followed the royal cangia. Ah! you must have a queen?... You have no mean ambitions. You expect, without doubt, to be well paid in return.... Assuredly I am going to love you.... Why not?"

— Reine, répondit Meïamoun avec un air de grave mélancolie, ne raillez pas. Je suis insensé, c’est vrai ; j’ai mérité la mort, c’est vrai encore ; soyez humaine, faites-moi tuer.

"Queen," returned Meïamoun with a look of deep melancholy, "do not rail. I am mad, it is true. I have deserved death; that is also true. Be humane; bid them kill me."

— Non, j’ai le caprice d’être clémente aujourd’hui ; je t’accorde la vie.

"No; I have taken the whim to be clement to-day. I will give you your life."

— Que voulez-vous que je fasse de la vie ? Je vous aime.

"What would you that I should do with life? I love you!"

— Eh bien ! tu seras satisfait, tu mourras, répondit Cléopâtre ; tu as fait un rêve étrange, extravagant ; tes désirs ont dépassé en imagination un seuil infranchissable, — tu pensais que tu étais César ou Marc-Antoine, tu aimais la reine ! À certaines heures de délire, tu as pu croire qu’à la suite de circonstances qui n’arrivent qu’une fois tous les mille ans, Cléopâtre un jour t’aimerait. Eh bien ! ce que tu croyais impossible va s’accomplir, je vais faire une réalité de ton rêve ; cela me plaît, une fois, de combler une espérance folle. Je veux t’inonder de splendeurs, de rayons et d’éclairs ; je veux que ta fortune ait des éblouissements. Tu étais en bas de la roue, je vais te mettre en haut, brusquement, subitement, sans transition. Je te prends dans le néant, je fais de toi l’égal d’un dieu, et je te replonge dans le néant : c’est tout ; mais ne viens pas m’appeler cruelle, implorer ma pitié, ne va pas faiblir quand l’heure arrivera. Je suis bonne, je me prête à ta folie ; j’aurais le droit de te faire tuer sur-le-champ ; mais tu me dis que tu m’aimes, je te ferai tuer demain ; ta vie pour une nuit. Je suis généreuse, je te l’achète, je pourrais la prendre. Mais que fais-tu à mes pieds ? relève-toi, et donne-moi la main pour rentrer au palais. »

"Well, then, you shall be satisfied; you shall die," answered Cleopatra. "You have indulged yourself in wild and extravagant dreams; in fancy your desires have crossed an impassable threshold. You imagined yourself to be Cæsar or Mark Antony. You loved the queen. In some moment of delirium you have been able to believe that, under some condition of things which takes place but once in a thousand years, Cleopatra might some day love you. Well, what you thought impossible is actually about to happen. I will transform your dream into a reality. It pleases me, for once, to secure the accomplishment of a mad hope. I am willing to inundate you with glories and splendors and lightnings. I intend that your good fortune shall be dazzling in its brilliancy. You were at the bottom of the ladder. I am about to lift you to the summit, abruptly, suddenly, without a transition. I take you out of nothingness, I make you the equal of a god, and I plunge you back again into nothingness; that is all. But do not presume to call me cruel or to invoke my pity; do not weaken when the hour comes. I am good to you. I lend myself to your folly. I have the right to order you to be killed at once; but since you tell me that you love me, I will have you killed to-morrow instead. Your life belongs to me for one night. I am generous. I will buy it from you; I could take it from you. But what are you doing on your knees at my feet? Rise, and give me your arm, that we may return to the palace."

[1] Conculcatrice des peuples. From the Latin conculcare, to trample under foot: therefore, the epithet literally signifies the "Trampler of nations." (Trans.)

[2] The Greeks and Romans usually termed such figures Hermæ or Termini. Caryatides were, strictly, entire figures of women.—(Trans.)

CHAPITRE VI

CHAPTER VI

Notre monde est bien petit à côté du monde antique ; nos fêtes sont mesquines auprès des effrayantes somptuosités des patriciens romains et des princes asiatiques ; leurs repas ordinaires passeraient aujourd’hui pour des orgies effrénées, et toute une ville moderne vivrait pendant huit jours de la desserte de Lucullus soupant avec quelques amis intimes. Nous avons peine à concevoir, avec nos habitudes misérables, ces existences énormes, réalisant tout ce que l’imagination peut inventer de hardi, d’étrange et de plus monstrueusement en dehors du possible. Nos palais sont des écuries où Caligula n’eût pas voulu mettre son cheval ; le plus riche des rois constitutionnels ne mène pas le train d’un petit satrape ou d’un proconsul romain. Les soleils radieux qui brillaient sur la terre sont à tout jamais éteints dans le néant de l’uniformité ; il ne se lève plus sur la noire fourmilière des hommes de ces colosses à formes de Titan, qui parcouraient le monde en trois pas, comme les chevaux d’Homère ; — plus de tour de Lylacq, plus de Babel géante escaladant le ciel de ses spirales infinies, plus de temples démesurés faits avec des quartiers de montagne, plus de terrasses royales que chaque siècle et chaque peuple n’ont pu élever que d’une assise, et d’où le prince accoudé et rêveur peut regarder la figure du monde comme une carte déployée ; plus de ces villes désordonnées faites d’un inextricable entassement d’édifices cyclopéens, avec leurs circonvallations profondes, leurs cirques rugissant nuit et jour, leurs réservoirs remplis d’eau de mer et peuplés de léviathans et de baleines, leurs rampes colossales, leurs superpositions de terrasses, leurs tours au faîte baigné de nuages, leurs palais géants, leurs aqueducs, leurs cités vomitoires et leurs nécropoles ténébreuses ! Hélas ! plus rien que des ruches de plâtre sur un damier de pavés.

Our world of to-day is puny indeed beside the antique world. Our banquets are mean, niggardly, compared with the appalling sumptuousness of the Roman patricians and the princes of ancient Asia. Their ordinary repasts would in these days be regarded as frenzied orgies, and a whole modern city could subsist for eight days upon the leavings of one supper given by Lucullus to a few intimate friends. With our miserable habits we find it difficult to conceive of those enormous existences, realizing everything vast, strange, and most monstrously impossible that imagination could devise. Our palaces are mere stables, in which Caligula would not quarter his horse. The retinue of our wealthiest constitutional king is as nothing compared with that of a petty satrap or a Roman proconsul. The radiant suns which once shone upon the earth are forever extinguished in the nothingness of uniformity. Above the dark swarm of men no longer tower those Titanic colossi who bestrode the world in three paces, like the steeds of Homer; no more towers of Lylacq; no giant Babel scaling the sky with its infinity of spirals; no temples immeasurable, builded with the fragments of quarried mountains; no kingly terraces for which successive ages and generations could each erect but one step, and from whence some dreamfully reclining prince might gaze on the face of the world as upon a map unfolded; no more of those extravagantly vast cities of cyclopæan edifices, inextricably piled upon one another, with their mighty circumvallations, their circuses roaring night and day, their reservoirs filled with ocean brine and peopled with whales and leviathans, their colossal stairways, their super-imposition of terraces, their tower-summits bathed in clouds, their giant palaces, their aqueducts, their multitude-vomiting gates, their shadowy necropoli. Alas! henceforth only plaster hives upon chessboard pavements.

L’on s’étonne que les hommes ne se soient pas révoltés contre ces confiscations de toutes les richesses et de toutes les forces vivantes au profit de quelques rares privilégiés, et que de si exorbitantes fantaisies n’aient point rencontré d’obstacles sur leur chemin sanglant. C’est que ces existences prodigieuses étaient la réalisation au soleil du rêve que chacun faisait la nuit, — des personnifications de la pensée commune, — et que les peuples se regardaient vivre symbolisés sous un de ces noms météoriques qui flamboient inextinguiblement dans la nuit des âges. Aujourd’hui, privé de ce spectacle éblouissant de la volonté toute-puissante, de cette haute contemplation d’une âme humaine dont le moindre désir se traduit en actions inouïes, en énormités de granit et d’airain, le monde s’ennuie éperdument et désespérément ; l’homme n’est plus représenté dans sa fantaisie impériale.

One marvels that men did not revolt against such confiscation of all riches and all living forces for the benefit of a few privileged ones, and that such exorbitant fantasies should not have encountered any opposition on their bloody way. It was because those prodigious lives were the realizations by day of the dreams which haunted each man by night, the personifications of the common ideal which the nations beheld living symbolized under one of those meteoric names that flame inextinguishably through the night of ages. To-day, deprived of such dazzling spectacles of omnipotent will, of the lofty contemplation of some human mind whose least wish makes itself visible in actions unparalleled, in enormities of granite and brass, the world becomes irredeemably and hopelessly dull. Man is no longer represented in the realization of his imperial fancy.

L’histoire que nous écrivons et le grand nom de Cléopâtre qui s’y mêle nous ont jeté dans ces réflexions malsonnantes pour les oreilles civilisées. Mais le spectacle du monde antique est quelque chose de si écrasant, de si décourageant pour les imaginations qui se croient effrénées et les esprits qui pensent avoir atteint aux dernières limites de la magnificence féerique, que nous n’avons pu nous empêcher de consigner ici nos doléances et nos tristesses de n’avoir pas été contemporain de Sardanapale, de Teglath Phalazar, de Cléopâtre, reine d’Égypte, ou seulement d’Héliogabale, empereur de Rome et prêtre du Soleil.

The story which we are writing, and the great name of Cleopatra which appears in it, have prompted us to these reflections, so ill-sounding, doubtless, to modern ears. But the spectacle of the antique world is something so crushingly discouraging, even to those imaginations which deem themselves exhaustless, and those minds which fancy themselves to have conceived the utmost limits of fairy magnificence, that we cannot here forbear recording our regret and lamentation that we were not cotemporaries of Sardanapalus; of Teglathphalazar; of Cleopatra, queen of Egypt; or even of Elagabalus, emperor of Rome and priest of the Sun.

Nous avons à décrire une orgie suprême, un festin à faire pâlir celui de Balthazar, une nuit de Cléopâtre. Comment, avec la langue française, si chaste, si glacialement prude, rendrons-nous cet emportement frénétique, cette large et puissante débauche qui ne craint pas de mêler le sang et le vin, ces deux pourpres, et ces furieux élans de la volupté inassouvie se ruant à l’impossible avec toute l’ardeur de sens que le long jeûne chrétien n’a pas encore matés ?

It is our task to describe a supreme orgie—a banquet compared with which the splendors of Belshazzar's feast must pale—one of Cleopatra's nights. How can we picture forth in this French tongue, so chaste, so icily prudish, that unbounded transport of passions, that huge and mighty debauch which feared not to mingle the double purple of wine and blood, those furious outbursts of insatiate pleasure, madly leaping toward the Impossible with all the wild ardor of senses as yet untamed by the long fast of Christianity?

La nuit promise devait être splendide ; il fallait que toutes les joies possibles d’une existence humaine fussent concentrées en quelques heures ; il fallait faire de la vie de Meïamoun un élixir puissant qu’il pût boire en une seule coupe. Cléopâtre voulait éblouir sa victime volontaire, et la plonger dans un tourbillon de voluptés vertigineuses, l’enivrer, l’étourdir avec le vin de l’orgie, pour que la mort, bien qu’acceptée, arrivât sans être vue ni comprise.

The promised night should well have been a splendid one, for all the joys and pleasures possible in a human lifetime were to be concentrated into the space of a few hours. It was necessary that the life of Meïamoun should be converted into a powerful elixir which he could imbibe at a single draught. Cleopatra desired to dazzle her voluntary victim, and plunge him into a whirlpool of dizzy pleasures; to intoxicate and madden him with the wine of orgie, so that death, though freely accepted, might come invisibly and unawares.

Transportons nos lecteurs dans la salle du banquet.

Let us transport our readers to the banquet-hall.

Notre architecture actuelle offre peu de points de comparaison avec ces constructions immenses dont les ruines ressemblent plutôt à des éboulements de montagnes qu’à des restes d’édifices. Il fallait toute l’exagération de la vie antique pour animer et remplir ces prodigieux palais dont les salles étaient si vastes qu’elles ne pouvaient avoir d’autre plafond que le ciel, — magnifique plafond, et bien digne d’une pareille architecture !

Our existing architecture offers few points for comparison with those vast edifices whose very ruins resemble the crumblings of mountains rather than the remains of buildings. It needed all the exaggeration of the antique life to animate and fill those prodigious palaces, whose halls were too lofty and vast to allow of any ceiling save the sky itself—a magnificent ceiling, and well worthy of such mighty architecture.

La salle du festin avait des proportions énormes et babyloniennes ; l’œil ne pouvait en pénétrer la profondeur incommensurable ; de monstrueuses colonnes, courtes, trapues, solides à porter le pôle, épataient lourdement leur fût évasé sur un socle bigarré d’hiéroglyphes, et soutenaient de leurs chapiteaux ventrus de gigantesques arcades de granit s’avançant par assises comme des escaliers renversés. Entre chaque pilier un sphinx colossal de basalte, coiffé du pschent, allongeait sa tête à l’œil oblique, au menton cornu, et jetait dans la salle un regard fixe et mystérieux. Au second étage, en recul du premier, les chapiteaux des colonnes, plus sveltes de tournure, étaient remplacés par quatre têtes de femmes adossées avec les barbes cannelées et les enroulements de la coiffure égyptienne au lieu de sphinx, des idoles à tête de taureau, spectateurs impassibles des délires nocturnes et des fureurs orgiaques, étaient assises dans des chaises de pierre comme des hôtes patients qui attendent que le festin commence.

The banquet-hall was of enormous and Babylonian dimensions; the eye could not penetrate its immeasurable depth. Monstrous columns—short, thick, and solid enough to sustain the pole itself—heavily expanded their broad-swelling shafts upon socles variegated with hieroglyphics, and sustained upon their bulging capitals gigantic arcades of granite rising by successive tiers, like vast stairways reversed. Between each two pillars a colossal sphinx of basalt, crowned with the pshent, bent forward her oblique-eyed face and horned chin, and gazed into the hall with a fixed and mysterious look. The columns of the second tier, receding from the first, were more elegantly formed, and crowned in lieu of capitals with four female heads addorsed, wearing caps of many folds and all the intricacies of the Egyptian headdress. Instead of sphinxes, bull-headed idols—impassive spectators of nocturnal frenzy and the furies of orgie—were seated upon thrones of stone, like patient hosts awaiting the opening of the banquet.

Un troisième étage d’un ordre différent, avec des éléphants de bronze lançant de l’eau de senteur par la trompe, couronnait l’édifice ; par-dessus, le ciel s’ouvrait comme un gouffre bleu, et les étoiles curieuses s’accoudaient sur la frise.

A third story, constructed in a yet different style of architecture, with elephants of bronze spouting perfume from their trunks, crowned the edifice; above, the sky yawned like a blue gulf, and the curious stars leaned over the frieze.[1]

De prodigieux escaliers de porphyre, si polis qu’ils réfléchissaient les corps comme des miroirs, montaient et descendaient de tous côtés et liaient entre elles ces grandes masses d’architecture.

Prodigious stairways of porphyry, so highly polished that they reflected the human body like a mirror, ascended and descended on every hand, and bound together these huge masses of architecture.

Nous ne traçons ici qu’une ébauche rapide pour faire comprendre l’ordonnance de cette construction formidable avec ses proportions hors de toute mesure humaine. — Il faudrait le pinceau de Martinn, le grand peintre des énormités disparues, et nous n’avons qu’un maigre trait de plume au lieu de la profondeur apocalyptique de la manière noire ; mais l’imagination y suppléera ; moins heureux que le peintre et le musicien, nous ne pouvons présenter les objets que les uns après les autres. Nous n’avons parlé que de la salle du festin, laissant de côté les convives ; encore ne l’avons-nous qu’indiquée. Cléopâtre et Meïamoun nous attendent ; les voici qui s’avancent.

We can only make a very rapid sketch here, in order to convey some idea of this awful structure, proportioned out of all human measurements. It would require the pencil of Martin,[2] the great painter of enormities passed away, and we can present only a weak pen-picture in lieu of the Apocalyptic depth of his gloomy style; but imagination may supply our deficiencies. Less fortunate than the painter and the musician, we can only present objects and ideas separately in slow succession. We have as yet spoken of the banquet-hall only, without referring to the guests, and yet we have but barely indicated its character. Cleopatra and Meïamoun are waiting for us. We see them drawing near....

Meïamoun était vêtu d’une tunique de lin constellée d’étoiles avec un manteau de pourpre et des bandelettes dans les cheveux comme un roi oriental. Cléopâtre portait une robe glauque, fendue sur le côté et retenue par des abeilles d’or ; autour de ses bras nus jouaient deux rangs de grosses perles ; sur sa tête rayonnait la couronne à pointes d’or. Malgré le sourire de sa bouche, un nuage de préoccupation ombrait légèrement son beau front, et ses sourcils se rapprochaient quelquefois avec un mouvement fébrile. Quel sujet peut donc contrarier la grande reine ? Quant à Meïamoun, il avait le teint ardent et lumineux d’un homme dans l’extase ou dans la vision ; des effluves rayonnants, partant de ses tempes et de son front, lui faisaient un nimbe d’or, comme à un des douze grands dieux de l’Olympe.

Meïamoun was clad in a linen tunic constellated with stars, and a purple mantle, and wore a fillet about his locks, like an Oriental king. Cleopatra was apparelled in a robe of pale green, open at either side, and clasped with golden bees. Two bracelets of immense pearls gleamed around her naked arms; upon her head glimmered the golden-pointed diadem. Despite the smile on her lips, a slight cloud of preoccupation shadowed her fair forehead, and from time to time her brows became knitted in a feverish manner. What thoughts could trouble the great queen? As for Meïamoun, his face wore the ardent and luminous look of one in ecstasy or vision; light beamed and radiated from his brow and temples, surrounding his head with a golden nimbus, like one of the twelve great gods of Olympus.

Une joie grave et profonde brillait dans tous ses traits ; il avait embrassé sa chimère aux ailes inquiètes sans qu’elle s’envolât ; il avait touché le but de sa vie. Il vivrait l’âge de Nestor et de Priam ; il verrait ses tempes veinées se couvrir de cheveux blancs comme ceux du grand-prêtre d’Ammon, il n’éprouverait rien de nouveau, il n’apprendrait rien de plus. Il a obtenu tellement au delà de ses plus folles espérances, que le monde n’a plus rien à lui donner.

A deep, heartfelt joy illumined his every feature. He had embraced his restless-winged chimera, and it had not flown from him; he had reached the goal of his life. Though he were to live to the age of Nestor or Priam, though he should behold his veined temples hoary with locks whiter than those of the high priest of Ammon, he could never know another new experience, never feel another new pleasure. His maddest hopes had been so much more than realized that there was nothing in the world left for him to desire.

Cléopâtre le fit asseoir à côté d’elle sur un trône côtoyé de griffons d’or et frappa ses petites mains l’une contre l’autre. Tout à coup des lignes de feux, des cordons scintillants, dessinèrent toutes les saillies de l’architecture ; les yeux des sphinx lancèrent des éclairs phosphoriques, une haleine enflammée sortit du mufle des idoles ; les éléphants, au lieu d’eau parfumée, soufflèrent une colonne rougeâtre ; des bras de bronze jaillirent des murailles avec des torches au poing ; dans le cœur sculpté des lotus s’épanouirent des aigrettes éclatantes.

Cleopatra seated him beside her upon a throne with golden griffins on either side, and clapped her little hands together. Instantly lines of fire, bands of sparkling light, outlined all the projections of the architecture—the eyes of the sphinxes flamed with phosphoric lightnings; the bull-headed idols breathed flame; the elephants, in lieu of perfumed water, spouted aloft bright columns of crimson fire; arms of bronze, each bearing a torch, started from the walls, and blazing aigrettes bloomed in the sculptured hearts of the lotos flowers.

De larges flammes bleuâtres palpitaient dans les trépieds d’airain, des candélabres géants secouaient leur lumière échevelée dans une ardente vapeur ; tout scintillait et rayonnait. Les iris prismatiques se croisaient et se brisaient en l’air ; les facettes des coupes, les angles des marbres et des jaspes, les ciselures des vases, tout prenait une paillette, un luisant ou un éclair. La clarté ruisselait par torrents et tombait de marche en marche comme une cascade sur un escalier de porphyre : l’on aurait dit la réverbération d’un incendie dans une rivière ; si la reine de Saba y eût monté, elle eût relevé le pli de sa robe croyant marcher dans l’eau comme sur le parquet de glace de Salomon. À travers ce brouillard étincelant, les figures monstrueuses des colosses, les animaux, les hiéroglyphes semblaient s’animer et vivre d’une vie factice ; les béliers de granit noir ricanaient ironiquement et choquaient leurs cornes dorées, les idoles respiraient avec bruit par leurs naseaux haletants.

Huge blue flames palpitated in tripods of brass; giant candelabras shook their dishevelled light in the midst of ardent vapors; everything sparkled, glittered, beamed. Prismatic irises crossed and shattered each other in the air. The facets of the cups, the angles of the marbles and jaspers, the chiselling of the vases—all caught a sparkle, a gleam, or a flash as of lightning. Radiance streamed in torrents and leaped from step to step like a cascade, over the porphyry-stairways. It seemed the reflection of a conflagration on some broad river. Had the Queen of Sheba ascended thither she would have caught up the folds of her robe, and believed herself walking in water, as when she stepped upon the crystal pavements of Solomon. Viewed through that burning haze, the monstrous figures of the colossi, the animals, the hieroglyphics, seemed to become animated and to live with a factitious life; the black marble rams bleated ironically, and clashed their gilded horns; the idols breathed harshly through their panting nostrils.

L’orgie était à son plus haut degré ; les plats de langues de phénicoptères et de foies de scarus, les murènes engraissées de chair humaine et préparées au garum, les cervelles de paon, les sangliers pleins d’oiseaux vivants, et toutes les merveilles des festins antiques décuplées et centuplées, s’entassaient sur les trois pans du triclinim. Les vins de Crète, de Massique et de Falerne écumaient dans les cratères d’or couronnés de roses, remplis par des pages asiatiques dont les belles chevelures flottantes servaient à essuyer les mains des convives. Des musiciens jouant du sistre, du tympanon, de la sambuque et de la harpe à vingt et une cordes, remplissaient les travées supérieures et jetaient leur bruissement harmonieux dans la tempête de bruit qui planait sur la fête : la foudre n’aurait pas eu la voix assez haute pour se faire entendre.

The orgie was at its height: the dishes of phenicopters' tongues, and the livers of scarus fish; the eels fattened upon human flesh, and cooked in brine; the dishes of peacock's brains; the boars stuffed with living birds; and all the marvels of the antique banquets were heaped upon the three table-surfaces of the gigantic triclinium. The wines of Crete, of Massicus, and of Falernus foamed up in cratera wreathed with roses, and filled by Asiatic pages whose beautiful flowing hair served the guests to wipe their hands upon. Musicians playing upon the sistrum, the tympanum, the sambuke, and the harp with one-and-twenty strings filled all the upper galleries, and mingled their harmonies with the tempest of sound that hovered over the feast. Even the deep-voiced thunder could not have made itself heard there.

Meïamoun, la tête penchée sur l’épaule de Cléopâtre, sentait sa raison lui échapper ; la salle du festin tourbillonnait autour de lui comme un immense cauchemar architectural ; il voyait, à travers ses éblouissements, des perspectives et des colonnades sans fin ; de nouvelles zones de portiques se superposaient aux véritables, et s’enfonçaient dans les cieux à des hauteurs où les Babels ne sont jamais parvenues. S’il n’eût senti dans sa main la main douce et froide de Cléopâtre, il eût cru être transporté dans le monde des enchantements par un sorcier de Thessalie ou un mage de Perse.

Meïamoun, whose head was lying on Cleopatra's shoulder, felt as though his reason were leaving him. The banquet-hall whirled around him like a vast architectural nightmare; through the dizzy glare he beheld perspectives and colonnades without end; new zones of porticoes seemed to uprear themselves upon the real fabric, and bury their summits in heights of sky to which Babel never rose. Had he not felt within his hand the soft, cool hand of Cleopatra, he would have believed himself transported into an enchanted world by some witch of Thessaly or Magian of Persia.

Vers la fin du repas, des nains bossus et des morions exécutèrent des danses et des combats grotesques puis des jeunes filles égyptiennes et grecques, représentant les heures noires et blanches, dansèrent sur le mode ionien une danse voluptueuse avec une perfection inimitable.

Toward the close of the repast hump-backed dwarfs and mummers engaged in grotesque dances and combats; then young Egyptian and Greek maidens, representing the black and white Hours, danced with inimitable grace a voluptuous dance after the Ionian manner.

Cléopâtre elle-même se leva de son trône, rejeta son manteau royal, remplaça son diadème sidéral par une couronne de fleurs, ajusta des crotales d’or à ses mains d’albâtre, et se mit à danser devant Meïamoun éperdu de ravissement. Ses beaux bras arrondis, comme les anses d’un vase de marbre, secouaient au-dessus de sa tête des grappes de notes étincelantes, et ses crotales babillaient avec une volubilité toujours croissante. Debout sur la pointe vermeille de ses petits pieds, elle avançait rapidement et venait effleurer d’un baiser le front de Meïamoun, puis elle recommençait son manège et voltigeait autour de lui, tantôt se cambrant en arrière, la tête renversée, l’œil demi-clos, les bras pâmés et morts, les cheveux débouclés et pendants comme une bacchante du mont Ménale agitée par son dieu ; tantôt leste, vive, rieuse, papillonnante, infatigable et plus capricieuse en ses méandres que l’abeille qui butine. L’amour du cœur, la volupté des sens, la passion ardente, la jeunesse inépuisable et fraîche, la promesse du bonheur prochain, elle exprimait tout.

Cleopatra herself arose from her throne, threw aside her royal mantle, replaced her starry diadem with a garland of flowers, attached golden crotali[3] to her alabaster hands, and began to dance before Meïamoun, who was ravished with delight. Her beautiful arms, rounded like the handles of an alabaster vase, shook out bunches of sparkling notes, and her crotali prattled with ever-increasing volubility. Poised on the pink tips of her little feet, she approached swiftly to graze the forehead of Meïamoun with a kiss; then she recommenced her wondrous art, and flitted around him, now backward-leaning, with head reversed, eyes half closed, arms lifelessly relaxed, locks uncurled and loose-hanging like a Bacchante of Mount Mænalus; now again, active, animated, laughing, fluttering, more tireless and capricious in her movements than the pilfering bee. Heart-consuming love, sensual pleasure, burning passion, youth inexhaustible and ever-fresh, the promise of bliss to come—she expressed all....

Les pudiques étoiles ne regardaient plus, leurs chastes prunelles d’or n’auraient pu supporter un tel spectacle ; le ciel même s’était effacé, et un dôme de vapeur enflammée couvrait la salle.

The modest stars had ceased to contemplate the scene; their golden eyes could not endure such a spectacle; the heaven itself was blotted out, and a dome of flaming vapor covered the hall.

Cléopâtre revint s’asseoir près de Meïamoun. La nuit s’avançait, la dernière des heures noires allait s’envoler ; une lueur bleuâtre entra d’un pied déconcerté dans ce tumulte de lumières rouges, comme un rayon de lune qui tombe dans une fournaise ; les arcades supérieures s’azurèrent doucement, le jour paraissait.

Cleopatra seated herself once more by Meïamoun. Night advanced; the last of the black Hours was about to take flight; a faint blue glow entered with bewildered aspect into the tumult of ruddy light as a moonbeam falls into a furnace; the upper arcades became suffused with pale azure tints—day was breaking.

Meïamoun prit le vase de corne que lui tendit un esclave éthiopien à physionomie sinistre, et qui contenait un poison tellement violent qu’il eût fait éclater tout autre vase. Après avoir jeté sa vie à sa maîtresse dans un dernier regard, il porta à ses lèvres la coupe funeste où la liqueur empoisonnée bouillonnait et sifflait.

Meïamoun took the horn vase which an Ethiopian slave of sinister countenance presented to him, and which contained a poison so violent that it would have caused any other vase to burst asunder. Flinging his whole life to his mistress in one last look, he lifted to his lips the fatal cup in which the envenomed liquor boiled up, hissing.

Cléopâtre pâlit et posa sa main sur le bras de Meïamoun pour le retenir. Son courage la touchait ; elle allait lui dire : « Vis encore pour m’aimer, je le veux… » quand un bruit de clairon se fit entendre. Quatre hérauts d’armes entrèrent à cheval dans la salle du festin ; c’étaient des officiers de Marc-Antoine qui ne précédaient leur maître que de quelques pas. Elle lâcha silencieusement le bras de Meïamoun. Un rayon de soleil vint jouer sur le front de Cléopâtre comme pour remplacer son diadème absent.

Cleopatra turned pale, and laid her hand on Meïamoun's arm to stay the act. His courage touched her. She was about to say, "Live to love me yet, I desire it!..." when the sound of a clarion was heard. Four heralds-at-arms entered the banquet-hall on horseback; they were officers of Mark Antony, and rode but a short distance in advance of their master. Cleopatra silently loosened the arm of Meïamoun. A long ray of sunlight suddenly played upon her forehead, as though trying to replace her absent diadem.

« Vous voyez bien que le moment est arrivé ; il fait jour, c’est l’heure où les beaux rêves s’envolent, » dit Meïamoun. Puis il vida d’un trait le vase fatal et tomba comme frappé de la foudre. Cléopâtre baissa la tête, et dans sa coupe une larme brûlante, la seule qu’elle ait versée de sa vie, alla rejoindre la perle fondue.

"You see the moment has come; it is daybreak, it is the hour when happy dreams take flight," said Meïamoun. Then he emptied the fatal vessel at a draught, and fell as though struck by lightning. Cleopatra bent her head, and one burning tear—the only one she had ever shed—fell into her cup to mingle with the molten pearl.

« Par Hercule ! ma belle reine, j’ai eu beau faire diligence, je vois que j’arrive trop tard, dit Marc-Antoine en entrant dans la salle du festin ; le souper est fini. Mais que signifie ce cadavre renversé sur les dalles ?

"By Hercules, my fair queen! I made all speed in vain. I see I have come too late," cried Mark Antony, entering the banquet-hall, "the supper is over. But what signifies this corpse upon the pavement?"

— Oh ! rien, fit Cléopâtre en souriant ; c’est un poison que j’essayais pour m’en servir si Auguste me faisait prisonnière… Vous plairait-il, mon cher seigneur, de vous asseoir à côté de moi et de voir danser ces bouffons grecs ?… »

"Oh, nothing!" returned Cleopatra, with a smile; "only a poison I was testing with the idea of using it upon myself should Augustus take me prisoner. My dear Lord, will you not please to take a seat beside me, and watch those Greek buffoons dance?"

[1] Does not this suggest the lines which DeQuincey so much admired?—

"A wilderness of building, sinking far, And self-withdrawn into a wondrous depth Far sinking into splendor, without end. Fabric it seemed of diamond, and of gold, With alabaster domes and silver spires, And blazing terrace upon terrace, high Uplifted. Here serene pavilions bright, In avenues disposed; their towers begirt With battlements that on their restless fronts Bore stars."

[2] John Martin, the English painter, whose creations were unparalleled in breadth and depth of composition. His pictures seem to have made a powerful impression upon the highly imaginative author of these Romances. There is something in these descriptions of antique architecture that suggests the influence of such pictured fantasies as Martin's "Seventh Plague;" "The Heavenly City;" and perhaps, especially, the famous "Pandemonium," with its infernal splendor, in Martin's illustrations to "Paradise Lost."—(Trans.)

[3] Antique castanets.—(Trans.)