Dracula

Dracula

de Bram Stoker

by Bram Stoker

traduction de Ève et Lucie Paul-Margueritte
trad. 1920
1897
 

Chapitre V

Chapter V

Lettre de Miss Mina Murray

Letters — Lucy and Mina

à Miss Lucy Westenra

9 mai

Letter from Miss Mina Murray to Miss Lucy Westenra.'

"9 May.

« Ma très chère Lucy,

« Pardonne mon long silence, mais c’est bien simple, j’ai été littéralement accablée de travail. La vie d’une institutrice n’est pas toujours commode. J’ai hâte d’être avec toi, au bord de la mer, pour bavarder sans fin et bâtir nos châteaux en Espagne. Oui, j’ai beaucoup travaillé ces temps-ci parce que je veux pouvoir collaborer avec Jonathan ; j’étudie assidûment la sténographie ; de cette façon, quand nous serons mariés, je pourrai l’aider, prendre en sténo toutes ses notes et les dactylographier ensuite, car j’apprends également à écrire à la machine : j’y passe des heures entières. D’ailleurs, il nous arrive parfois, à tous deux, de sténographier nos lettres, et je sais qu’en voyage il tient un journal sténographié, lui aussi. Quand je serai chez toi, je ferai de même ; je commencerai un journal, y écrirai chaque fois que j’en aurai envie, et j’y mettrai tout ce qui me passera par la tête. Je ne pense pas qu’il intéressera beaucoup les autres : ce n’est du reste pas à leur intention que je le tiendrai. Peut-être le montrerai-je un jour à Jonathan si un passage ou l’autre en vaut la peine, mais ce sera pour moi avant tout comme un cahier d’exercices. Je voudrais faire ce que font les femmes journalistes : prendre des interviews, décrire ce que j’ai vu, essayer de me rappeler les conversations entendues, et les rapporter fidèlement. On me dit que, avec un peu de pratique, on se souvient aisément de tout ce qui s’est passé, de tout ce qu’on a entendu au cours d’une journée. Enfin, nous verrons… Je me réjouis de te parler de mes petits projets. Je viens justement de recevoir un mot de Jonathan, qui est toujours en Transylvanie. Il va bien, et il sera ici dans une semaine environ. Je voudrais déjà l’entendre me raconter tout son voyage. Cela doit être merveilleux, de voir tant de pays ! Je me demande si un jour nous voyagerons ensemble : je veux dire Jonathan et moi. Dix heures sonnent. Au revoir !

« Affectueusement à toi,

« MINA

 

« P.S. Quand tu m’écriras, dis-moi tout ! Cela ne t’est plus arrivé depuis longtemps. Je crois avoir entendu parler d’un beau grand jeune homme aux cheveux bouclés ? ? »

"My dearest Lucy,—

"Forgive my long delay in writing, but I have been simply overwhelmed with work. The life of an assistant schoolmistress is sometimes trying. I am longing to be with you, and by the sea, where we can talk together freely and build our castles in the air. I have been working very hard lately, because I want to keep up with Jonathan's studies, and I have been practising shorthand very assiduously. When we are married I shall be able to be useful to Jonathan, and if I can stenograph well enough I can take down what he wants to say in this way and write it out for him on the typewriter, at which also I am practising very hard. He and I sometimes write letters in shorthand, and he is keeping a stenographic journal of his travels abroad. When I am with you I shall keep a diary in the same way. I don't mean one of those two-pages-to-the-week-with-Sunday-squeezed-in-a-corner diaries, but a sort of journal which I can write in whenever I feel inclined. I do not suppose there will be much of interest to other people; but it is not intended for them. I may show it to Jonathan some day if there is in it anything worth sharing, but it is really an exercise book. I shall try to do what I see lady journalists do: interviewing and writing descriptions and trying to remember conversations. I am told that, with a little practice, one can remember all that goes on or that one hears said during a day. However, we shall see. I will tell you of my little plans when we meet. I have just had a few hurried lines from Jonathan from Transylvania. He is well, and will be returning in about a week. I am longing to hear all his news. It must be so nice to see strange countries. I wonder if we—I mean Jonathan and I—shall ever see them together. There is the ten o'clock bell ringing. Good-bye.

"Your loving

"Mina.

 


"Tell me all the news when you write. You have not told me anything for a long time. I hear rumours, and especially of a tall, handsome, curly-haired man???"


Lettre de Lucy Westenra à Mina Murray Mercredi, 17, Chatham Street

 

« Ma très chère Mina,

« Avoue que ton reproche n’est pas fondé : je t’ai écrit deux fois depuis que nous nous sommes quittées, et ta dernière lettre était seulement la deuxième que tu m’envoyais ! En outre, je n’ai rien de nouveau à te dire, rien, vraiment, qui puisse t’intéresser. Nous sortons beaucoup, soit pour aller visiter des expositions de tableaux, soit pour faire dans le parc des promenades à pied ou à cheval. En ce qui concerne le grand jeune homme aux cheveux bouclés, je suppose que tu fais allusions à celui qui m’accompagnait au dernier concert. Des bruits ont évidemment couru… C’était M. Holmwood. Il vient souvent en visite chez nous, et maman et lui s’entendent très bien ; ils s’intéressent aux mêmes choses. J’y pense ; nous avons récemment rencontré quelqu’un qui serait comme on dit, fait pour toi, si tu n’étais pas déjà fiancée à Jonathan. C’est un excellent parti ! Un jeune homme beau, élégant, riche, et de très bonne naissance. Il est médecin et très intelligent. Figure-toi qu’il n’a que vingt-neuf ans et qu’il dirige un hospice d’aliénés très important. M. Holmwood me l’a présenté, et lui aussi, maintenant, a pris l’habitude de nous faire visite. Je crois que c’est l’homme le plus ferme, le plus résolu que je connaisse, mais en même temps le plus calme. Il semble être d’un caractère imperturbable. J’imagine le pouvoir étonnant qu’il doit exercer sur ses malades. Il vous regarde toujours dans les yeux, comme s’il voulait lire vos pensées. Il agit souvent de la sorte à mon égard, mais je me flatte de pouvoir dire qu’il n’a pas encore atteint son but !

« Il me suffit de me regarder dans mon miroir. As-tu jamais essayé de lire sur ton propre visage ? Moi, je l’ai fait, et je t’assure que ce n’est pas perdre son temps, mais c’est bien plus difficile qu’on ne le croit avant d’avoir essayé. Ce médecin prétend que je suis pour lui un cas psychologique assez curieux et, en toute humilité, je pense qu’il a raison. Mais la psychologie ! Tu le sais, je ne m’intéresse pas assez à la mode pour pouvoir décrire ce qui se porte. La mode est une scie ! C’est là une façon de parler, de l’argot, peu importe, comme dit Arthur… Voilà toutes les nouvelles.

« Mina, depuis l’enfance, nous nous sommes toujours dit l’une à l’autre tous nos secrets ; nous avons dormi ensemble, pris nos repas ensemble, ri et pleuré ensemble ; et maintenant que j’ai bavardé avec toi, je voudrais bavarder encore ! Oh ! Mina, n’as-tu pas deviné ? Je l’aime ! Je rougis en écrivant ces mots, car, si j’ai des raisons de croire que lui m’aime aussi, il ne me l’a pas encore dit. Mina, je l’aime ! Je l’aime ! Je l’aime ! Voilà ! Écrire ce mot me fait du bien.

« Que ne suis-je avec toi, ma chérie, assise près du feu en déshabillé comme nous en avions l’habitude ; nous parlerions, et j’essaierais de t’expliquer tout ce que j’éprouve. Je ne sais pas comment j’ose faire de telles confidences, même à toi… J’ai peur de m’arrêter d’écrire, car alors je déchirerais peut-être cette lettre et, d’autre part, je ne veux pas m’arrêter d’écrire, car je désire tant tout te raconter. Réponds-moi immédiatement, dis-moi franchement tout ce que tu penses. Mina, il faut bien que je m’arrête… Bonsoir. Prie pour moi, Mina, et prie pour mon bonheur.

« Lucy.

« P.S. Inutile de te dire, n’est-ce pas, que ceci est un secret ? Bonsoir, encore ! L.

 

Letter, Lucy Westenra to Mina Murray.

"17, Chatham Street,
"Wednesday.

"My dearest Mina,—

"I must say you tax me very unfairly with being a bad correspondent. I wrote to you twice since we parted, and your last letter was only your second. Besides, I have nothing to tell you. There is really nothing to interest you. Town is very pleasant just now, and we go a good deal to picture-galleries and for walks and rides in the park. As to the tall, curly-haired man, I suppose it was the one who was with me at the last Pop. Some one has evidently been telling tales. That was Mr. Holmwood. He often comes to see us, and he and mamma get on very well together; they have so many things to talk about in common. We met some time ago a man that would just do for you, if you were not already engaged to Jonathan. He is an excellent parti, being handsome, well off, and of good birth. He is a doctor and really clever. Just fancy! He is only nine-and-twenty, and he has an immense lunatic asylum all under his own care. Mr. Holmwood introduced him to me, and he called here to see us, and often comes now. I think he is one of the most resolute men I ever saw, and yet the most calm. He seems absolutely imperturbable. I can fancy what a wonderful power he must have over his patients. He has a curious habit of looking one straight in the face, as if trying to read one's thoughts. He tries this on very much with me, but I flatter myself he has got a tough nut to track. I know that from my glass. Do you ever try to read your own face? I do, and I can tell you it is not a bad study, and gives you more trouble than you can well fancy if you have never tried it. He says that I afford him a curious psychological study, and I humbly think I do. I do not, as you know, take sufficient interest in dress to be able to describe the new fashions. Dress is a bore. That is slang again, but never mind; Arthur says that every day. There, it is all out. Mina, we have told all our secrets to each other since we were children; we have slept together and eaten together, and laughed and cried together; and now, though I have spoken, I would like to speak more. Oh, Mina, couldn't you guess? I love him. I am blushing as I write, for although I think he loves me, he has not told me so in words. But oh, Mina, I love him; I love him; I love him! There, that does me good. I wish I were with you, dear, sitting by the fire undressing, as we used to sit; and I would try to tell you what I feel. I do not know how I am writing this even to you. I am afraid to stop, or I should tear up the letter, and I don't want to stop, for I do so want to tell you all. Let me hear from you at once, and tell me all that you think about it. Mina, I must stop. Goodnight. Bless me in your prayers; and, Mina, pray for my happiness.

"Lucy.

"P.S.—I need not tell you this is a secret. Good-night again.

"L."

Lettre de Lucy Westenra à Mina Murray 24 mai

 

« Ma très chère Mina,

« Merci, merci et encore merci pour ta gentille lettre. Je suis si heureuse de me confier à toi et de savoir que tu me comprends ! Ma chérie, un bonheur ne vient jamais seul. Comme les vieux proverbes disent vrai ! J’aurai vingt ans en septembre et, jusqu’à ce jour, personne ne m’avait jamais demandée en mariage, du moins, jamais sérieusement ; et voici qu’aujourd’hui j’ai reçu trois propositions de mariage ! Oui, trois propositions en une seule journée ! N’est-ce pas terrible ? Je suis si triste, si sincèrement triste pour deux pauvres garçons. Oh ! Mina, mon bonheur est tel que je ne sais que faire… Trois demandes en mariage ! Ne le raconte surtout pas à nos amies : elles pourraient se mettre en tête toutes sortes d’idées extravagantes, se croire offensées, dédaignées, si durant la première journée de vacances qu’elles passent chez elles, elles n’en recevaient pas moins de six ! Il y a des jeunes filles si légères, si vaines ! Tandis que nous, ma chère Mina, qui sommes fiancées et sur le point de nous établir sagement dans le mariage, nous méprisons pareille vanité !… Mais, il faut que je te parle de tous les trois… Tu me promets, n’est-ce pas, de garder le secret ? Jonathan, lui, évidemment, tu peux le mettre au courant… lui seul… Car s’il s’agissait de toi, moi, j’en parlerais certainement à Arthur. Une femme doit tout dire à son mari, n’est-ce pas, chère ? Et mon premier désir est de ne pas avoir de secret pour le mien. Un homme — et ils sont tous pareils — aime que les femmes, et surtout la sienne, soient sincères ; mais les femmes, je le crains, ne sont pas toujours aussi franches qu’elles devraient l’être. Eh bien ! ma chère, voilà : le numéro un est arrivé vers midi, au moment où nous allions nous mettre à table pour déjeuner. Je t’ai déjà parlé de lui : c’est le Dr John Seward, le directeur de l’hospice d’aliénés, un homme à la forte mâchoire et au front très haut. D’apparence, il était parfaitement calme, mais je le devinais plutôt nerveux. Il s’était évidemment tracé une ligne de conduite dont il voulait ne rien oublier ; néanmoins, il faillit presque s’asseoir sur son chapeau haut de forme, ce que les hommes, en général, ne font pas quand ils sont de sang-froid ; puis, afin de paraître à son aise, il s’est mis à jouer avec un bistouri… je ne sais pas comment je n’ai pas crié d’effroi en voyant cela ! Mais, Mina, il m’a parlé sans détours. Il m’a dit combien il tenait à moi, bien qu’il ne me connaisse que depuis si peu de temps, et que sa vie lui semblerait merveilleuse si j’étais à ses côtés pour l’aider, l’encourager, le réconforter. Il désirait me faire comprendre quelle serait l’étendue de son malheur si je le repoussais, mais, quand il vit mes larmes, il s’écria qu’il était une brute, qu’il ne voulait pas ajouter à mon chagrin. Il me demanda seulement si, le temps aidant, je pourrais l’aimer. Je secouai la tête, ses mains se mirent à trembler et, non sans quelques hésitations, il chercha à savoir si j’aimais déjà ailleurs. Mais il s’exprima très poliment, disant que pour rien au monde il ne voudrait m’arracher une confidence ; il demandait simplement si mon cœur était libre parce que, dit-il, quand le cœur d’une femme est libre, l’homme qui l’aime peut garder quelque espoir. Alors, Mina, j’ai senti qu’il était de mon devoir de lui avouer que, en effet, j’aimais quelqu’un. Aussitôt, il s’est levé, l’air très grave et toujours aussi calme tandis qu’il me prenait les deux mains en me souhaitant beaucoup de bonheur. Il ajouta que si j’avais jamais besoin d’un ami, d’un ami très dévoué, je pourrais compter sur lui. Oh ! Ma chère Mina, en t’écrivant, je ne puis pas encore m’empêcher de pleurer ; tu pardonneras, n’est-ce pas, les traces de mes larmes sur cette lettre ? Être demandée en mariage, c’est charmant, et tout, et tout, mais je t’assure on n’est pas tout à fait heureuse quand on a vu un pauvre garçon qui vous aime sincèrement s’en aller le cœur brisé… quand on sait parfaitement que, quoi qu’il puisse dire au moment même, on disparaîtra complètement de sa vie. Ma chérie, je m’arrête, je suis incapable d’en écrire davantage, je suis très triste, et pourtant si heureuse !

Letter, Lucy Westenra to Mina Murray.

"24 May.

"My Nearest Mina,—

"Thanks, and thanks, and thanks again for your sweet letter. It was so nice to be able to tell you and to have your sympathy.

“My dear, it never rains but it pours. How true the old proverbs are. Here am I, who shall be twenty in September, and yet I never had a proposal till to-day, not a real proposal, and to-day I have had three. Just fancy! THREE proposals in one day! Isn’t it awful! I feel sorry, really and truly sorry, for two of the poor fellows. Oh, Mina, I am so happy that I don’t know what to do with myself. And three proposals! But, for goodness’ sake, don’t tell any of the girls, or they would be getting all sorts of extravagant ideas and imagining themselves injured and slighted if in their very first day at home they did not get six at least. Some girls are so vain! You and I, Mina dear, who are engaged and are going to settle down soon soberly into old married women, can despise vanity. Well, I must tell you about the three, but you must keep it a secret, dear, from every one, except, of course, Jonathan. You will tell him, because I would, if I were in your place, certainly tell Arthur. A woman ought to tell her husband everything—don’t you think so, dear?—and I must be fair. Men like women, certainly their wives, to be quite as fair as they are; and women, I am afraid, are not always quite as fair as they should be. Well, my dear, number One came just before lunch. I told you of him, Dr. John Seward, the lunatic-asylum man, with the strong jaw and the good forehead. He was very cool outwardly, but was nervous all the same. He had evidently been schooling himself as to all sorts of little things, and remembered them; but he almost managed to sit down on his silk hat, which men don’t generally do when they are cool, and then when he wanted to appear at ease he kept playing with a lancet in a way that made me nearly scream. He spoke to me, Mina, very straightforwardly. He told me how dear I was to him, though he had known me so little, and what his life would be with me to help and cheer him. He was going to tell me how unhappy he would be if I did not care for him, but when he saw me cry he said that he was a brute and would not add to my present trouble. Then he broke off and asked if I could love him in time; and when I shook my head his hands trembled, and then with some hesitation he asked me if I cared already for any one else. He put it very nicely, saying that he did not want to wring my confidence from me, but only to know, because if a woman’s heart was free a man might have hope. And then, Mina, I felt a sort of duty to tell him that there was some one. I only told him that much, and then he stood up, and he looked very strong and very grave as he took both my hands in his and said he hoped I would be happy, and that if I ever wanted a friend I must count him one of my best. Oh, Mina dear, I can’t help crying: and you must excuse this letter being all blotted. Being proposed to is all very nice and all that sort of thing, but it isn’t at all a happy thing when you have to see a poor fellow, whom you know loves you honestly, going away and looking all broken-hearted, and to know that, no matter what he may say at the moment, you are passing quite out of his life. My dear, I must stop here at present, I feel so miserable, though I am so happy.

« Le soir


"Evening.

« Arthur vient de partir, et je me sens beaucoup, beaucoup mieux qu’au moment où j’ai interrompu cette lettre. Je vais donc continuer à te raconter ma journée. Le numéro deux est arrivé après le déjeuner. C’est un garçon absolument charmant, un Américain du Texas, et il paraît si jeune que l’on se demande s’il est possible qu’il ait déjà vu tant de pays et tant de choses ! Je comprends la pauvre Desdémone, et ce qu’elle a dû éprouver quand elle entendait tant de longues histoires séduisantes, même racontées par un Noir ! Nous, les femmes nous avons sans doute tellement peur de tout que nous pensons tout de suite qu’un homme nous rassurera, nous protégera, et nous l’épousons. Si j’étais un homme, je sais parfaitement ce que je ferais pour gagner le cœur d’une jeune fille… Mais non, au fond, je ne le sais pas, car si M. Morris (c’est l’Américain) nous raconte toutes ses aventures, Arthur ne raconte jamais rien, et pourtant… Mais, ma chérie, je vais trop vite… M. Quincey P.Morris m’a trouvée seule. Quand un homme rencontre une fille, elle est toujours seule… comme par hasard. Non, ce n’est pas tout à fait vrai, car Arthur, à deux reprises, s’est arrangé pour me trouver seule et je l’ai aidé : le hasard n’y était pour rien, je ne rougis pas de l’avouer maintenant. Je dois te dire pour commencer que M. Morris ne parle pas toujours argot ; de fait, il ne le fait jamais devant les étrangers, car il est fort bien élevé et ses manières sont des plus distinguées. Mais il s’est aperçu que je trouverais amusant de l’entendre parler l’argot américain, et, quand personne n’est là qui puisse en être choqué, il dit des choses si drôles ! Je me demande même, ma chérie, s’il n’invente pas toutes ses tournures, car elles signifient toujours exactement ce qu’il veut dire. Mais il faut avoir l’habitude de parler argot… Je ne sais pas si je m’y mettrai jamais… d’ailleurs, j’ignore si cela plairait à Arthur, je ne lui ai jamais encore entendu employer un seul mot d’argot. Bon, M. Morris s’assit donc à côté de moi, l’air heureux et joyeux, encore que très nerveux, je m’en aperçus tout de suite. Il me prit la main et, la serrant longuement, il me dit sur un ton très, très doux :

"Arthur has just gone, and I feel in better spirits than when I left off, so I can go on telling you about the day. Well, my dear, number Two came after lunch. He is such a nice fellow, an American from Texas, and he looks so young and so fresh that it seems almost impossible that he has been to so many places and has had such adventures. I sympathise with poor Desdemona when she had such a dangerous stream poured in her ear, even by a black man. I suppose that we women are such cowards that we think a man will save us from fears, and we marry him. I know now what I would do if I were a man and wanted to make a girl love me. No, I don't, for there was Mr. Morris telling us his stories, and Arthur never told any, and yet——— My dear, I am somewhat previous. Mr. Quincey P. Morris found me alone. It seems that a man always does find a girl alone. No, he doesn't, for Arthur tried twice to make a chance, and I helping him all I could; I am not ashamed to say it now. I must tell you beforehand that Mr. Morris doesn't always speak slang—that is to say, he never does so to strangers or before them, for he is really well educated and has exquisite manners—but he found out that it amused me to hear him talk American slang, and whenever I was present, and there was no one to be shocked, he said such funny things. I am afraid, my dear, he has to invent it all, for it fits exactly into whatever else he has to say. But this is a way slang has. I do not know myself if I shall ever speak slang; I do not know if Arthur likes it, as I have never heard him use any as yet. Well, Mr. Morris sat down beside me and looked as happy and jolly as he could, but I could see all the same that he was very nervous. He took my hand in his, and said ever so sweetly:—

« — Miss Lucy, je ne suis même pas digne, je le sais, de nouer les lacets de vos jolis souliers, mais je pense que si vous attendez de trouver un homme qui le soit, vous attendrez encore longtemps. Ne voulez-vous pas que nous fassions route ensemble, oui, que nous descendions ensemble cette longue, longue route, côte à côte, sous le harnais ?

"'Miss Lucy, I know I ain't good enough to regulate the fixin's of your little shoes, but I guess if you wait till you find a man that is you will go join them seven young women with the lamps when you quit. Won't you just hitch up alongside of me and let us go down the long road together, driving in double harness?'

« Il paraissait d’humeur si gaie, vraiment, que j’eus l’impression que si je refusais son offre, il en serait beaucoup moins affecté que le pauvre Dr Seward ; aussi répondis-je, à mon tour sur un ton enjoué, que je ne connaissais rien en fait d’attelage, et que je n’avais pas encore envie de me laisser mettre le harnais.

« Il s’excusa d’avoir parlé peut-être trop légèrement et il me pria de lui pardonner une telle erreur en une occasion qui pour lui était particulièrement grave et importante. En prononçant ces mots, il avait l’air si navré et en même temps si sérieux qu’il me fut impossible de ne pas éprouver et ne pas arborer la même gravité — Oh ! Mina, tu vas me traiter d’horrible coquette ! — encore que je ne pusse m’empêcher d’exulter à part moi en pensant qu’il était le deuxième, aujourd’hui, à me demander ma main ! Alors, ma chérie, avant même que je n’aie eu le temps de répondre, il se mit à déverser, oui, déverser un torrent de paroles tendres et amoureuses, déposant à mes pieds son cœur et son âme. Encore une fois, il disait tout cela avec tant de sérieux que jamais plus, dorénavant, je ne penserai d’un homme qu’il est fatalement toujours d’humeur gaie et plein d’entrain, et jamais sérieux, uniquement parce qu’il lui arrive de se montrer parfois joyeux et de parler sur un mode plaisant. Sans doute lut-il sur mon visage quelque chose qui l’inquiéta, car il s’interrompit tout à coup et me dit avec une sorte de ferveur fort courageuse qui me l’aurait fait aimer si j’avais été libre :

"Well, he did look so good-humoured and so jolly that it didn't seem half so hard to refuse him as it did poor Dr. Seward; so I said, as lightly as I could, that I did not know anything of hitching, and that I wasn't broken to harness at all yet. Then he said that he had spoken in a light manner, and he hoped that if he had made a mistake in doing so on so grave, so momentous, an occasion for him, I would forgive him. He really did look serious when he was saying it, and I couldn't help feeling a bit serious too—I know, Mina, you will think me a horrid flirt—though I couldn't help feeling a sort of exultation that he was number two in one day. And then, my dear, before I could say a word he began pouring out a perfect torrent of love-making, laying his very heart and soul at my feet. He looked so earnest over it that I shall never again think that a man must be playful always, and never earnest, because he is merry at times. I suppose he saw something in my face which checked him, for he suddenly stopped, and said with a sort of manly fervour that I could have loved him for if I had been free:—

« — Lucy, vous êtes une jeune fille sincère, parfaitement honnête avec vous-même. Je ne serais pas ici à vous parler si je ne le savais pas, si je ne connaissais pas non plus votre franchise. Avouez-moi donc, comme si nous étions deux amis l’un en face de l’autre, si vous aimez déjà quelqu’un ? Dans ce cas, je ne vous importunerai jamais plus, mais je serai pour vous, si vous le voulez bien, un ami très fidèle.

"Lucy, you are an honest-hearted girl, I know. I should not be here speaking to you as I am now if I did not believe you clean grit, right through to the very depths of your soul. Tell me, like one good fellow to another, is there any one else that you care for? And if there is I'll never trouble you a hair's breadth again, but will be, if you will let me, a very faithful friend.'

« Ma chère Mina, pourquoi les hommes ont-ils une telle grandeur d’âme alors que nous, les femmes, sommes si indignes d’eux ? Je m’en rendis compte soudain ; depuis près d’une demi-heure je ne faisais que plaisanter, et cet homme, à qui je m’adressais sur ce ton, était la distinction, la délicatesse même. Je fondis en larmes, car vraiment j’étais très triste, très malheureuse. Pourquoi une jeune fille ne peut-elle pas épouser trois hommes, et plus même si elle en a l’occasion ? Ne crois-tu pas que cela épargnerait bien des ennuis ? Mais, je le sais, ce ne sont pas là des propos à tenir… Seulement je peux dire que, malgré mes larmes, j’eus le courage de regarder M. Morris dans les yeux et lui répondre avec cette franchise dont lui-même venait de parler :

"My dear Mina, why are men so noble when we women are so little worthy of them? Here was I almost making fun of this great-hearted, true gentlemen. I burst into tears—I am afraid, my dear, you will think this a very sloppy letter in more ways than one—and I really felt very badly. Why can't they let a girl marry three men, or as many as want her, and save all this trouble? But this is heresy, and I must not say it. I am glad to say that, though I was crying, I was able to look into Mr. Morris's brave eyes, and told him out straight:—

« — Oui, j’aime quelqu’un, bien qu’il ne m’ait pas encore dit, lui, qu’il m’aimait.

« Je compris tout de suite que j’avais eu raison de lui parler ouvertement, car son visage s’illumina ; il tendit les deux mains, prit les miennes (je crois même que c’est moi qui mit mes mains dans les siennes) et me dit sur un ton le plus cordial :

"'Yes, there is some one I love, though he has not told me yet that he even loves me.' I was right to speak to him so frankly, for quite a light came into his face, and he put out both his hands and took mine—I think I put them into his—and said in a hearty way:—

« — Voilà une petite fille sincère et loyale ! Il vaut beaucoup mieux arriver trop tard pour gagner votre cœur qu’arriver à temps pour gagner celui de n’importe quelle autre jeune fille de la terre. Ne pleurez pas ma chère Lucy ; si c’est pour moi, n’ayez crainte : je suis habitué aux coups et saurai supporter celui-ci. Mais si cet autre garçon ne connaît pas encore son bonheur, eh bien ! il devra prouver bientôt qu’il s’en rend compte et l’apprécie, ou bien il aura affaire à moi. Ma petite fille, votre honnêteté, votre courage, votre sincérité vous ont acquis un véritable ami, ce qui est plus rare qu’un amoureux — plus désintéressé en tout cas. Ma chère Lucy, je vais devoir parcourir un chemin bien solitaire avant de quitter ce monde pour le Royaume éternel. Ne me donnerez-vous pas un baiser, un seul ? Ce sera pour moi un souvenir qui éclairera ma nuit de temps à autre. Dites-vous bien que vous pouvez me le donner si cela vous plaît, puisque cet autre jeune homme — ce doit être un très bon garçon, Lucy, et très attachant, très fin, sinon vous ne l’aimeriez pas — ne s’est pas encore déclaré.

« Ces derniers mots, Mina, m’attendrirent réellement : n’était-ce pas admirable de parler ainsi d’un rival, alors que, d’autre part, il avait tant de chagrin ? Je me penchai vers lui et lui donnai un baiser. Il se leva, mes deux mains encore dans les siennes, et tandis qu’il promenait longuement les yeux sur mon visage — je sentais que je rougissais beaucoup — il reprit :

"'That's my brave girl. It's better worth being late for a chance of winning you than being in time for any other girl in the world. Don't cry, my dear. If it's for me, I'm a hard nut to crack; and I take it standing up. If that other fellow doesn't know his happiness, well, he'd better look for it soon, or he'll have to deal with me. Little girl, your honesty and pluck have made me a friend, and that's rarer than a lover; it's more unselfish anyhow. My dear, I'm going to have a pretty lonely walk between this and Kingdom Come. Won't you give me one kiss? It'll be something to keep off the darkness now and then. You can, you know, if you like, for that other good fellow—he must be a good fellow, my dear, and a fine fellow, or you could not love him—hasn't spoken yet.' That quite won me, Mina, for it was brave and sweet of him, and noble, too, to a rival—wasn't it?—and he so sad; so I leant over and kissed him. He stood up with my two hands in his, and as he looked down into my face—I am afraid I was blushing very much—he said:—

« — Ma petite fille, je tiens vos mains dans les miennes, et vous m’avez donné un baiser : si cela ne scelle pas notre amitié, rien ne le fera. Merci d’avoir été bonne et si sincère envers moi, et au revoir !

« Il laissa retomber mes mains, prit son chapeau et se dirigea d’un pas rapide vers la porte sans jeter un regard en arrière, sans verser une larme, sans hésiter, sans s’arrêter… Et moi, je suis ici à pleurer comme un bébé… Oh ! pourquoi un homme comme celui-là doit-il être si malheureux quand il y a au monde tant de jeunes filles qui baiseraient le sol sur lequel il marche ? Moi-même je le ferais si j’étais libre, seulement voilà, je ne désire pas être libre ! Ma chérie, tout cela me trouble beaucoup et, maintenant, je me sens incapable de te décrire mon bonheur, alors que je t’en ai déjà parlé ! Et je ne veux rien te dire du numéro trois avant que mon bonheur ne soit entier.

« Ton amie pour toujours.

« Lucy.

"'Little girl, I hold your hand, and you've kissed me, and if these things don't make us friends nothing ever will. Thank you for your sweet honesty to me, and good-bye.' He wrung my hand, and taking up his hat, went straight out of the room without looking back, without a tear or a quiver or a pause; and I am crying like a baby. Oh, why must a man like that be made unhappy when there are lots of girls about who would worship the very ground he trod on? I know I would if I were free—only I don't want to be free. My dear, this quite upset me, and I feel I cannot write of happiness just at once, after telling you of it; and I don't wish to tell of the number three until it can be all happy."

"Ever your loving
"Lucy.

« P.S. Oh ! le numéro trois… Mais ai-je besoin de t’en parler, du numéro trois ? Tout est d’ailleurs si confus pour moi… Il me semble que quelques minutes à peine se sont écoulées entre le moment où il est entré au salon et celui où il m’a serrée dans ses bras et couverte de baisers. Je suis tellement, tellement heureuse ! Et je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ce bonheur. J’essaierai seulement désormais de prouver à Dieu que je lui suis reconnaissante de m’avoir envoyé, dans sa bonté infinie, un amoureux, un mari et un ami. »

« Au revoir. »

"P.S.—Oh, about number Three—I needn't tell you of number Three, need I? Besides, it was all so confused; it seemed only a moment from his coming into the room till both his arms were round me, and he was kissing me. I am very, very happy, and I don't know what I have done to deserve it. I must only try in the future to show that I am not ungrateful to God for all His goodness to me in sending to me such a lover, such a husband, and such a friend.

"Good-bye."


Journal du Dr. Seward (Enregistré sur phonographe)
25 mai

Assez déprimé aujourd’hui. Pas d’appétit… impossible même de me reposer. Alors, j’en reviens à mon journal… Depuis que ma demande en mariage a été repoussée, hier, j’ai l’impression de vivre dans le vide ; plus rien ne me semble assez important pour mériter que l’on s’en occupe… Comme je sais que le seul remède à cet état est le travail, j’ai rassemblé tout ce qui me restait de forces et je suis allé voir mes malades. J’en ai examiné un dont le cas me paraît particulièrement intéressant. Son comportement est si bizarre que je suis maintenant bien décidé à faire tous les efforts nécessaires pour essayer de comprendre ce qui se passe en lui. Il me semble enfin que je commence à pénétrer son mystère.


Dr. Seward's Diary.

(Kept in phonograph)

25 May.—Ebb tide in appetite to-day. Cannot eat, cannot rest, so diary instead. Since my rebuff of yesterday I have a sort of empty feeling; nothing in the world seems of sufficient importance to be worth the doing. . . . As I knew that the only cure for this sort of thing was work, I went down amongst the patients. I picked out one who has afforded me a study of much interest. He is so quaint that I am determined to understand him as well as I can. Today I seemed to get nearer than ever before to the heart of his mystery.

Je lui ai posé plus de questions que d’habitude afin de mieux voir à quel genre d’hallucination il est en proie. Il y avait une certaine cruauté, je m’en rends compte maintenant, à agir ainsi. C’était un peu comme si j’avais voulu le pousser à ne parler que de sa folie, chose que j’évite toujours avec mes malades, exactement comme j’éviterais la gueule de l’enfer.

I questioned him more fully than I had ever done, with a view to making myself master of the facts of his hallucination. In my manner of doing it there was, I now see, something of cruelty. I seemed to wish to keep him to the point of his madness—a thing which I avoid with the patients as I would the mouth of hell.

(N.B. En quelles circonstances pourrais-je ne pas éviter la gueule de l’enfer ?) Omnia Romae venalia sunt. L’enfer a son prix, lui aussi ! Verb. sap. S’il existe quelque chose de réel derrière ce comportement instinctif, cela vaut la peine de rechercher exactement ce qu’il en est ; autant commencer dès maintenant…

(Mem., under what circumstances would I not avoid the pit of hell?) Omnia Romæ venalia sunt. Hell has its price! verb. sap. If there be anything behind this instinct it will be valuable to trace it afterwards accurately, so I had better commence to do so, therefore—

R.M. Renfield aetas 59. Tempérament sanguin ; grande force physique ; excitation ; périodes d’abattement, conduisant à des idées fixes que je ne m’explique pas encore. J’ai l’impression qu’un tempérament sanguin, s’il vient à se déséquilibrer, peut en arriver à obnubiler complètement la raison ; et ces hommes peuvent devenir dangereux dans la mesure où ils sont dépourvus d’égoïsme. Chez les égoïstes, l’instinct de conservation est un bouclier qui protège aussi bien leurs ennemis que leur propre personne. Je crois que lorsque le moi reste ferme et solide, la force centripète est en déséquilibre avec la force centrifuge ; quand le devoir, une cause, etc. constituent le point fixe, la centrifuge l’emporte, et seuls un hasard ou une série de hasards peuvent rétablir l’équilibre.

R. M. Renfield, ætat 59.—Sanguine temperament; great physical strength; morbidly excitable; periods of gloom, ending in some fixed idea which I cannot make out. I presume that the sanguine temperament itself and the disturbing influence end in a mentally-accomplished finish; a possibly dangerous man, probably dangerous if unselfish. In selfish men caution is as secure an armour for their foes as for themselves. What I think of on this point is, when self is the fixed point the centripetal force is balanced with the centrifugal; when duty, a cause, etc., is the fixed point, the latter force is paramount, and only accident or a series of accidents can balance it.


Lettre de Quincey P. Morris à l’honorable Arthur Holmwood 25 mai


Letter, Quincey P. Morris to Hon. Arthur Holmwood.

"25 May.

« Mon cher Art,

« Nous nous sommes raconté des histoires à n’en plus finir, assis dans la prairie, près du feu de camp ; et, réciproquement, nous avons pansé nos blessures après avoir essayé d’aborder aux îles Marquises ; puis nous avons bu à la santé de l’un et de l’autre au bord du lac Titicaca. J’aurais encore d’autres histoires à raconter, d’autres blessures à guérir, et une autre santé à porter. Voulez-vous que ce soit demain soir, près de mon feu de camp ? Je n’ai aucun scrupule à vous le demander, puisque je sais qu’une certaine dame est invitée à un certain grand dîner, et donc, que vous êtes libre. Nous ne serons que trois, le troisième étant notre vieux Jack Seward. Lui et moi désirons mélanger nos larmes à notre vin et, de tout cœur, boire à la santé de l’homme le plus heureux du monde, qui a su gagner le cœur le plus noble de la création, et le plus digne d’être gagné. Nous vous promettons un accueil chaleureux, une réception plus que fraternelle et des vœux aussi sincères qu’est sincère envers vous-même votre main droite ! Nous jurons tous les deux de vous renvoyer chez vous si vous buvez vraiment trop à la santé d’une certaine paire d’yeux ! Nous vous attendons !

« Vôtre, comme par le passé et pour toujours,

« Quincey P.MORRIS »

"'My dear Art,—

"We've told yarns by the camp-fire in the prairies; and dressed one another's wounds after trying a landing at the Marquesas; and drunk healths on the shore of Titicaca. There are more yarns to be told, and other wounds to be healed, and another health to be drunk. Won't you let this be at my camp-fire to-morrow night? I have no hesitation in asking you, as I know a certain lady is engaged to a certain dinner-party, and that you are free. There will only be one other, our old pal at the Korea, Jack Seward. He's coming, too, and we both want to mingle our weeps over the wine-cup, and to drink a health with all our hearts to the happiest man in all the wide world, who has won the noblest heart that God has made and the best worth winning. We promise you a hearty welcome, and a loving greeting, and a health as true as your own right hand. We shall both swear to leave you at home if you drink too deep to a certain pair of eyes. Come!

"Yours, as ever and always,
"Quincey P. Morris."


Télégramme d’arthur Holmwood à Quincey P.Morris

« Comptez sur moi. J’apporte des messages, qui tinteront longtemps à vos oreilles à tous deux.

« Art. »


Telegram from Arthur Holmwood to Quincey P. Morris,

"26 May.

"Count me in every time. I bear messages which will make both your ears tingle.

"Art."