Dracula |
Dracula |
de Bram Stoker |
by Bram Stoker |
traduction de Ève et Lucie Paul-Margueritte
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1897 |
Chapitre XVIII |
Chapter XVIII |
Journal du Dr Seward |
Dr. Seward's Diary |
Quand je rentrai à cinq heures, non seulement Godalming et Morris étaient arrivés, mais déjà ils avaient pris connaissance des divers journaux et lettres que Harker et son étonnante femme avaient recopiés et classés. Harker, lui, n’était pas encore revenu ; il était allé chez les camionneurs dont le Dr Hennessey m’avait parlé dans sa lettre. Mrs Harker nous offrit une tasse de thé, et je puis bien dire que, pour la première fois depuis que je suis attaché comme médecin à cette maison, j’ai eu vraiment l’impression d’être « chez moi ». Lorsque nous eûmes pris le thé, Mrs Harker s’adressa à moi : |
30 September.—I got home at five o'clock, and found that Godalming and Morris had not only arrived, but had already studied the transcript of the various diaries and letters which Harker and his wonderful wife had made and arranged. Harker had not yet returned from his visit to the carriers' men, of whom Dr. Hennessey had written to me Mrs. Harker gave us a cup of tea, and I can honestly say that, for the first time since I have lived in it, this old house seemed like home. When we had finished, Mrs. Harker said:— |
— Docteur Seward, puis-je vous demander une faveur ? Je voudrais voir ce malade, Mr Renfield. Je vous en prie, laissez-moi aller le voir ! Ce que vous dites de lui dans votre journal m’intéresse tellement ! Elle me regardait d’une façon si charmante, d’un air si suppliant aussi, qu’il m’était impossible de lui refuser cela et, du reste, je n’avais aucune raison de le faire. Je l’emmenai donc voir Renfield. Lorsque j’entrai dans sa chambre, je dis à mon patient qu’une dame désirait le voir ; à quoi il répondit, en se contentant de demander : — Pourquoi ? |
"Dr. Seward, may I ask a favour? I want to see your patient, Mr. Renfield. Do let me see him. What you have said of him in your diary interests me so much!" She looked so appealing and so pretty that I could not refuse her and there was no possible reason why I should; so I took her with me. When I went into the room, I told the man that a lady would like to see him; to which he simply answered: "Why?" |
— Cette dame visite l’établissement, expliquai-je, et elle voudrait s’entretenir un moment avec tous les pensionnaires l’un après l’autre. — Très bien, alors : qu’elle entre ! Mais attendez un instant, que je mette un peu d’ordre ici. Pour lui, mettre de l’ordre dans la chambre, c’était avaler toutes les mouches et toutes les araignées que contenaient ses nombreuses boîtes, et cela avant que j’eusse pu l’en empêcher. De toute évidence, il craignait que quelqu’un d’autre s’occupât — de quelle façon ? — de ses bestioles. Une fois terminée sa tâche répugnante, il dit sur un ton joyeux : — Introduisez cette dame ! Et il s’assit sur le bord de son lit, la tête penchée, mais les yeux levés, en sorte qu’il pût voir entrer la visiteuse. Un instant, je craignis qu’il eût quelque dessein homicide : je me rappelais qu’il paraissait parfaitement calme, dans mon bureau, le jour où, quelques minutes plus tard cependant, il avait voulu se jeter sur moi. Aussi eus-je soin de me tenir assez près de lui, pour pouvoir le maîtriser tout de suite si jamais il tentait d’attaquer Mrs Harker. Elle entra dans la chambre avec cette grâce, cette aisance qui, immanquablement, intimident les fous en forçant leur respect. Elle alla tout de suite à lui, souriante et la main tendue. |
"She is going through the house, and wants to see every one in it," I answered. "Oh, very well," he said; "let her come in, by all means; but just wait a minute till I tidy up the place." His method of tidying was peculiar: he simply swallowed all the flies and spiders in the boxes before I could stop him. It was quite evident that he feared, or was jealous of, some interference. When he had got through his disgusting task, he said cheerfully: "Let the lady come in," and sat down on the edge of his bed with his head down, but with his eyelids raised so that he could see her as she entered. For a moment I thought that he might have some homicidal intent; I remembered how quiet he had been just before he attacked me in my own study, and I took care to stand where I could seize him at once if he attempted to make a spring at her. She came into the room with an easy gracefulness which would at once command the respect of any lunatic—for easiness is one of the qualities mad people most respect. She walked over to him, smiling pleasantly, and held out her hand. |
— Bonsoir, monsieur Renfield, lui dit-elle. Vous voyez que je vous connais : le Dr Seward m’a parlé de vous. Il ne lui répondit pas immédiatement ; les sourcils froncés, il la regardait attentivement. Puis, peu à peu, il laissa paraître l’étonnement, puis le doute ; et alors, quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre dire à Mrs Harker : |
"Good-evening, Mr. Renfield," said she. "You see, I know you, for Dr. Seward has told me of you." He made no immediate reply, but eyed her all over intently with a set frown on his face. This look gave way to one of wonder, which merged in doubt; then, to my intense astonishment, he said:— |
— Vous n’êtes pas la jeune fille que le docteur voulait épouser, n’est-ce pas ? Non, ce ne peut être vous, car celle-là, elle est morte. Mrs Harker eut à nouveau un doux sourire tandis qu’elle lui répondait : |
"You're not the girl the doctor wanted to marry, are you? You can't be, you know, for she's dead." Mrs. Harker smiled sweetly as she replied:— |
— Non, assurément ! Car moi, j’ai un mari, que j’ai épousé alors que je n’avais encore jamais vu le Dr Seward, et que lui-même ne m’avait jamais vue non plus. |
"Oh no! I have a husband of my own, to whom I was married before I ever saw Dr. Seward, or he me. I am Mrs. Harker." |
— Dans ce cas, que faites-vous ici ? |
"Then what are you doing here?" |
— Mon mari et moi sommes venus en visite chez le Dr Seward. |
"My husband and I are staying on a visit with Dr. Seward." |
— Ne restez pas chez lui ! |
"Then don't stay." |
— Mais pourquoi ? Pensant que ce genre de conversation pourrait déplaire à Mrs Harker, encore plus qu’à moi-même, je jugeai bon d’intervenir. |
"But why not?" I thought that this style of conversation might not be pleasant to Mrs. Harker, any more than it was to me, so I joined in:— |
— Comment savez-vous que j’ai eu l’intention de me marier ? demandai-je à Renfield. Il me répondit sur un ton de mépris tandis que son regard allait de Mrs Harker à moi pour se détourner aussitôt : |
"How did you know I wanted to marry any one?" His reply was simply contemptuous, given in a pause in which he turned his eyes from Mrs. Harker to me, instantly turning them back again:— |
— Quelle question stupide ! |
"What an asinine question!" |
— Je ne suis pas du tout de cet avis, monsieur Renfield, dit Mrs Harker, prenant immédiatement parti pour moi. Il eut pour lui répondre autant de courtoisie et de respect qu’il m’avait témoigné de mépris : |
"I don't see that at all, Mr. Renfield," said Mrs. Harker, at once championing me. He replied to her with as much courtesy and respect as he had shown contempt to me:— |
— Vous comprendrez certainement, Mrs Harker, que lorsqu’un homme est estimé, aimé comme l’est le docteur, tout ce qui le concerne intéresse notre petite communauté. Non seulement ses amis aiment Mr Seward, mais même ses malades, parmi lesquels certains — à cause d’un équilibre mental des plus précaires — peuvent dénaturer les causes et les effets. Depuis que je suis moi-même dans cet asile d’aliénés, je ne puis m’empêcher de remarquer que la tendance au sophisme chez certains de ses pensionnaires les incline à commettre les erreurs de non causa et ignoratio elenchi, les incline à se tromper par ignorance de la matière sinon de la cause. D’étonnement, j’ouvris les yeux tout grands. Voici que le malade dont je m’occupais le plus, celui qui caractérisait, plus exactement qu’aucun des cas que j’avais jamais vus, l’affection dont il souffrait, se mettait à parler philosophie, et cela exactement comme l’eût fait un gentleman distingué. La présence de Mrs Harker avait-elle fait vibrer quelque corde de sa mémoire ? Si ce réveil inattendu de ses facultés mentales était spontané ou du moins provenait de l’influence inconsciente de la jeune femme, celle-ci devait certes posséder un don, un pouvoir peu ordinaire. |
"You will, of course, understand, Mrs. Harker, that when a man is so loved and honoured as our host is, everything regarding him is of interest in our little community. Dr. Seward is loved not only by his household and his friends, but even by his patients, who, being some of them hardly in mental equilibrium, are apt to distort causes and effects. Since I myself have been an inmate of a lunatic asylum, I cannot but notice that the sophistic tendencies of some of its inmates lean towards the errors of non causa and ignoratio elenchi." I positively opened my eyes at this new development. Here was my own pet lunatic—the most pronounced of his type that I had ever met with—talking elemental philosophy. and with the manner of a polished gentleman. I wonder if it was Mrs. Harker's presence which had touched some chord in his memory. If this new phase was spontaneous, or in any way due to her unconscious influence, she must have some rare gift or power. |
Nous bavardâmes pendant quelques moments encore ; Mrs Harker, voyant que Renfield paraissait jouir de sa raison, tenta — non sans me lancer en commençant un regard interrogateur — de le faire parler de son sujet préféré. Décidément, il m’étonnait de plus en plus. Il le fit avec l’impartialité d’un homme en pleine possession de ses facultés mentales ; bien plus, il se prit lui-même en exemple quand il en vint à traiter de certaines choses. |
We continued to talk for some time; and, seeing that he was seemingly quite reasonable, she ventured, looking at me questioningly as she began, to lead him to his favourite topic I was again astonished, for he addressed himself to the question with the impartiality of the completest sanity; he even took himself as an example when he mentioned certain things. |
— Eh bien ! vous voyez en moi un être fort étrange. Il n’est pas surprenant, croyez-moi, que les miens se soient inquiétés et m’aient fait mettre sous surveillance. Je me figurais que la vie est une entité positive, perpétuelle, et qu’en engloutissant une multitude d’êtres vivants — même s’ils se trouvent tout au bas de l’échelle de la création —, on peut prolonger indéfiniment la vie. Et il m’est arrivé d’y croire à tel point que, dans l’un de ces moments-là, j’ai réellement voulu supprimer un homme. Le docteur vous dira comme moi que j’ai essayé un jour de le tuer dans l’intention d’augmenter mes forces vitales en m’assimilant sa vie par le moyen de son sang — me souvenant, naturellement, des paroles de l’Écriture : « Car le sang est la vie ». Encore que, en vérité, le vendeur d’un certain remède ait vulgarisé ce truisme au point de le rendre digne de mépris. Pas vrai, docteur ? J’acquiesçai d’un signe de tête, trop stupéfait pour trouver à dire ou même à penser quoi que ce fût. Se pouvait-il que, cinq minutes seulement auparavant, j’eusse vu cet homme manger ses mouches et ses araignées ?… Je consultai ma montre : il me fallait aller chercher Van Helsing à la gare. J’avertis donc Mrs Harker qu’il était temps de nous retirer. Elle se leva aussitôt pour me suivre, mais auparavant elle dit gaiement à Mr Renfield : |
"Why, I myself am an instance of a man who had a strange belief. Indeed, it was no wonder that my friends were alarmed, and insisted on my being put under control. I used to fancy that life was a positive and perpetual entity, and that by consuming a multitude of live things, no matter how low in the scale of creation, one might indefinitely prolong life. At times I held the belief so strongly that I actually tried to take human life. The doctor here will bear me out that on one occasion I tried to kill him for the purpose of strengthening my vital powers by the assimilation with my own body of life through the medium of his blood—relying, of course, upon the Scriptural phrase, 'For the blood is the life.' Though, indeed, the vendor of a certain nostrum has vulgarised the truism to the very point of contempt. Isn't that true, doctor?" I nodded assent, for I was so amazed that I hardly knew what to either think or say; it was hard to imagine that I had seen him eat up his spiders and flies not five minutes before. Looking at my watch, I saw that I should go to the station to meet Van Helsing, so I told Mrs. Harker that it was time to leave. She came at once, after saying pleasantly to Mr. Renfield: "Good-bye, and I hope I may see you often, under auspices pleasanter to yourself," to which, to my astonishment, he replied:— |
— Au revoir ! Et j’espère que je vous verrai souvent, dans des circonstances plus favorables ! |
"Good-bye, my dear. I pray God I may never see your sweet face again. May He bless and keep you!" |
À quoi il répondit, pour mon étonnement final : — Au revoir, ma chère… ou plutôt, Dieu fasse que je ne revoie jamais plus votre charmant visage. Qu’il vous bénisse et vous protège ! Je partis donc pour aller chercher Van Helsing à la gare, laissant chez moi le pauvre Art, l’air un peu plus joyeux pourtant qu’il ne l’avait eu depuis le début de la maladie de Lucy, et Quincey, ayant, de son côté, repris son entrain. |
When I went to the station to meet Van Helsing I left the boys behind me. Poor Art seemed more cheerful than he has been since Lucy first took ill, and Quincey is more like his own bright self than he has been for many a lone day.— |
Van Helsing sauta du wagon avec l’agilité d’un jeune homme. Tout de suite, il me vit et, se précipitant vers moi, il me dit : |
Van Helsing stepped from the carriage with the eager nimbleness of a boy. He saw me at once, and rushed up to me, saying:— |
— Ah ! John, mon ami, comment allez-vous ? Bien ? Parfait ! Pour moi, j’ai beaucoup travaillé avec l’intention de rester ici un certain temps, si cela est nécessaire. Et j’ai beaucoup de choses à vous apprendre. Madame Mina est chez vous ? Oui ! Et son admirable mari ? Et Arthur ? Et mon ami Quincey ? Ils sont tous chez vous, eux aussi ? Parfait ! |
"Ah friend John, how goes all? Well? So! I have been busy, for I come here to stay if need be. All affairs are settled with me, and I have much to tell. Madam Mina is with you? Yes. And her so fine husband? And Arthur and my friend Quincey, they are with you, too? Good!" |
En chemin, je lui racontai tout ce qui s’était passé depuis son départ, et comment mon propre journal, sur la suggestion de Mrs Harker, avait servi maintenant à quelque chose. |
As I drove to the house I told him of what had passed, and of how my own diary had come to be of some use through Mrs. Harker's suggestion; at which the Professor interrupted me:— |
— Ah ! l’étonnante madame Mina ! Elle a véritablement le cerveau d’un homme — d’un homme qui serait extraordinairement doué — mais un cœur de femme ! Croyez-moi, Dieu avait une intention particulière quand il l’a façonnée. Mon cher John, jusqu’à présent la chance a voulu que cette femme nous aide ; seulement, passé cette soirée, elle ne devra plus être mêlée à cette horrible histoire. Elle court un trop grand risque. Nous, nous sommes décidés — n’est-ce pas ? nous nous le sommes promis l’un à l’autre — à détruire ce monstre ; mais ce n’est pas le rôle d’une femme. Même s’il ne lui arrivait effectivement aucun malheur, le cœur pourrait lui manquer devant tant et tant d’horreurs ; et elle pourrait continuer à en souffrir d’une façon ou de l’autre — qu’il s’agisse d’un trouble nerveux ou que ses nuits, désormais, soient peuplées d’horribles cauchemars. De plus, elle est jeune et mariée depuis peu ; elle aura peut-être bientôt, si ce n’est pas déjà maintenant, d’autres sujets de préoccupation. Vous me dites qu’elle a tout transcrit à la machine, donc, elle va vraisemblablement nous entretenir de cette affaire ; mais dès demain, fini ! elle ne s’en occupera plus. C’est sans elle que nous poursuivrons… Je l’approuvai entièrement, et l’informai alors de ce dont nous nous étions aperçus pendant son absence : la maison achetée par Dracula était celle-là même qui se trouvait à côté du parc de notre établissement. Van Helsing montra un réel étonnement et parut en même temps fort soucieux. — Oh ! que ne l’avons-nous pas su plus tôt ! s’écria-t-il. Nous l’aurions pris à temps, et nous aurions sauvé la pauvre Lucy ! Enfin, à chose accomplie point de remède, n’y pensons plus, mais essayons d’atteindre notre but ! Il se tut, et ce silence dura jusqu’à ce que nous fussions arrivés. Avant de monter nous habiller pour le dîner, il dit à Mrs Harker : |
"Ah, that wonderful Madam Mina! She has man's brain—a brain that a man should have were he much gifted—and a woman's heart. The good God fashioned her for a purpose, believe me, when He made that so good combination. Friend John, up to now fortune has made that woman to help to us; after to-night she must not have to do with this so terrible affair. It is not good that she run a risk so great. We men are determined—nay, are we not pledged?—to destroy this monster; but it is no part for a woman. Even if she be not harmed, her heart may fail her in so much and so many horrors; and hereafter she may suffer—both in waking, from her nerves, and in sleep from her dreams. And, besides, she is young woman and not so long married; there may be other things to think of some time, it not now. You tell me she has wrote all then she must consult with us; but to-morrow she say good-bye to this work, and we go alone." I agreed heartily with him, and then I told him what we had found in his absence: that the house which Dracula had bought was the very next one to my own. He was amazed, and a great concern seemed to come on him. "Oh that we had known it before!" he said, "for then we might have reached him in time to save poor Lucy. However, 'the milk that is spilt cries not out afterwards,' as you say. We shall not think of that, but go on our way to the end." Then he fell into a silence that lasted till we entered my own gateway. Before we went to prepare for dinner he said to Mrs. Harker:— |
— Mon ami John me dit, madame Mina, que vous et votre mari aviez recopié et classé les documents qui concernent tout ce que nous savons de Dracula jusqu’à ce moment. |
"I am told, Madam Mina, by my friend John that you and your husband have put up in exact order all things that have been, up to this moment." |
— Non pas jusqu’à ce moment, professeur, précisa-t-elle, mais jusqu’à ce matin, oui. |
"Not up to this moment. Professor," she said impulsively, "but up to this morning." |
— Quelle est la différence ? Toute la lumière possible a été jetée sur les événements, même sur ceux qui, d’apparence, étaient les moins importants. Nous nous sommes dit l’un à l’autre tout ce que nous savions, n’est-il pas vrai ? |
"But why not up to now? We have seen hitherto how good light all the little things have made. We have told our secrets, and yet no one who has told is the worse for it." |
Mrs Harker rougit, et, tirant une feuille de papier de sa poche : |
Mrs. Harker began to blush, and taking a paper from her pockets, she said:— |
— Docteur Van Helsing, lui demanda-t-elle, voulez-vous bien lire ceci et me dire si je dois continuer ? Ce sont des notes que j’ai prises aujourd’hui. Il m’a également paru utile de consigner désormais tout ce qui se passe, jusqu’au moindre détail ; mais, ici, il y a peu de choses qui ne soient pas personnelles. Dois-je continuer ? Après avoir lu attentivement ce texte, le professeur le lui rendit en disant : |
"Dr. Van Helsing, will you read this, and tell me if it must go in. It is my record of to-day. I too have seen the need of putting down at present everything, however trivial; but there is little in this except what is personal. Must it go in?" The Professor read it over gravely, and handed it back, saying:— |
— Ceci n’ira pas rejoindre les autres documents si vous ne le désirez pas. Pour ma part, cependant, j’y tiendrais beaucoup. Votre mari ne vous en aimerait que davantage, et l’estime que nous tous, vos amis, avons pour vous, n’en serait que plus grande — notre estime, et aussi notre amitié. En reprenant le papier, elle rougit à nouveau mais elle eut en même temps un large sourire. |
"It need not go in if you do not wish it; but I pray that it may. It can but make your husband love you the more, and all us, your friends, more honour you—as well as more esteem and love." She took it back with another blush and a bright smile. |
Ainsi donc, et jusqu’à cette heure même, nos notes sont complètes et entièrement mises en ordre. Le professeur en emporta un exemplaire afin de l’étudier après le dîner, en attendant notre réunion fixée pour huit heures. Comme chacun de nous a déjà lu le tout, une fois réunis dans mon bureau, et au courant des moindres faits, nous serons à même d’élaborer notre plan de campagne contre notre terrible et mystérieux ennemi. |
And so now, up to this very hour, all the records we have are complete and in order. The Professor took away one copy to study after dinner, and before our meeting, which is fixed for nine o'clock. The rest of us have already read everything; so when we meet in the study we shall all be informed as to facts, and can arrange our plan of battle with this terrible and mysterious enemy. |
Deux heures après le dîner qui avait eu lieu à six heures, nous nous retrouvâmes dans le bureau du Dr Seward, sans que nous nous fussions concertés ; notre réunion ressemblait fort à celle d’un conseil ou d’un comité. Le professeur Van Helsing prit place au haut bout de la table, ainsi que l’en pria le Dr Seward dès qu’il le vit entrer dans la pièce. Il me fit asseoir à sa droite et me demanda de servir de secrétaire à notre groupe. Jonathan s’assit près de moi. En face de nous s’installèrent Lord Godalming, le Dr Seward et Mr Morris — Lord Godalming étant à côté du professeur et le Dr Seward à côté de Lord Godalming. Le professeur Van Helsing prit la parole. |
Mina Harker's Journal.
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— Si je ne me trompe, dit-il, nous sommes tous au courant des faits relatés dans ces lettres et journaux personnels. Nous l’en assurâmes et il reprit : |
"I may, I suppose, take it that we are all acquainted with the facts that are in these papers." We all expressed assent, and he went on:— |
— Cela étant, je crois utile de vous dire à quel genre d’ennemi nous avons affaire. Je vais vous expliquer certains points de l’histoire de cet homme, dont je suis maintenant absolument sûr. Ensuite, nous examinerons ensemble quelle peut être la meilleure façon d’agir, et nous prendrons nos mesures en conséquence. Sans aucun doute, les vampires existent : certains d’entre nous en ont la preuve ! Et même si nous n’avions pas fait nous-mêmes cette malheureuse expérience, l’histoire du passé fournit des preuves suffisantes de leur existence. Je reconnais qu’au début j’étais sceptique. Si, depuis de très nombreuses années, je ne m’étais pas efforcé de garder pour toute chose une grande ouverture d’esprit, je n’aurais rien cru de toute cette histoire jusqu’au moment où le tonnerre lui-même m’aurait crié à l’oreille : « Vois ! Je t’oblige à voir ! Je te mets une preuve irréfutable sous les yeux ! » Hélas ! Si j’avais su dès le début ce que je sais maintenant — ou plutôt si j’avais ne fût-ce que deviné à qui nous avions affaire —, cette vie si précieuse de notre chère Lucy aurait été sauvée ! Mais nous l’avons perdue, et, maintenant, tous nos efforts doivent tendre à sauver d’autres pauvres âmes. Il faut savoir que ce nosferatu ne meurt pas, comme l’abeille, une fois qu’il a fait une victime. Au contraire, il n’en devient que plus fort ; et, plus fort, il n’en est que plus dangereux. Le vampire qui se trouve parmi nous, possède, à lui seul, la force de vingt hommes ; il est plus rusé qu’aucun mortel, puisque son astuce s’est affinée au cours des siècles. Il se sert de la nécromancie, art qui, comme l’indique l’étymologie du mot, consiste à évoquer les morts pour deviner l’avenir, et tous les morts dont il peut approcher sont à ses ordres. C’est une brute, et pis qu’une brute ; c’est un démon sans pitié, et il n’a pas de cœur ; il peut, avec pourtant certaines réserves, apparaître où et quand il veut et sous l’une ou l’autre forme de son choix ; il a même le pouvoir, dans une certaine mesure, de se rendre maître des éléments : la tempête, le brouillard, le tonnerre, et de se faire obéir de créatures inférieures, telles que le rat, le hibou, la chauve-souris, la phalène, le renard et le loup ; il peut se faire grand ou se rapetisser et, à certains moments, il disparaît exactement comme s’il n’existait plus. Dans ces conditions, comment devons-nous nous y prendre pour le détruire ? Comment le trouverons-nous et, l’ayant trouvé, comment le ferons-nous périr ? Mes amis, l’entreprise est aussi ardue que terrible, et, à songer aux conséquences qu’elle peut avoir, l’homme le plus courageux frémirait. Car si nous échouons dans la lutte, alors, son triomphe, à lui, est certain. Et qu’adviendrait-il, dans ce cas ? Pour moi, ce n’est pas de perdre la vie qui me fait peur. Mais notre échec signifierait tout autre chose qu’une question de vie ou de mort : nous deviendrions semblables à lui, des créatures de la nuit comme lui, sans cœur ni conscience, faisant notre proie des corps et des âmes de ceux que nous aimons le plus au monde. Les portes du Ciel seraient à jamais fermées pour nous, car qui nous les ouvrirait ? Tous nous abomineraient à jamais ; nous serions une tache sur le soleil de Dieu, une flèche dans le flanc de Celui qui est mort pour sauver l’humanité. Pourtant, notre devoir est là, tout tracé : pouvons-nous reculer ? En ce qui me concerne, je dis non ; mais je suis vieux, et la vie, avec son soleil resplendissant, ses jardins enchantés, sa musique et l’amour, est bien loin derrière moi. Vous, mes amis, vous êtes jeunes. Certains d’entre vous ont déjà connu le chagrin, mais même ceux-là peuvent encore, assurément, attendre de beaux jours. Que décidez-vous ? |
"Then it were, I think good that I tell you something of the kind of enemy with which we have to deal. I shall then make known to you something of the history of this man, which has been ascertained for me. So we then can discuss how we shall act, and can take our measure according. "There are such beings as vampires; some of us have evidence that they exist. Even had we not the proof of our own unhappy experience, the teachings and the records of the past give proof enough for sane peoples. I admit that at the first I was sceptic. Were it not that through long-years I have train myself to keep an open mind, I could not have believe until such time as that fact thunder on my ear. 'See! see! I prove; I prove.' Alas! Had I know at the first what now I know—nay, had I ever guess at him—one so precious life had been spared to many of us who did love her. But that is gone; and we must so work, that other poor souls perish not, whilst we can save. The nosferatu do not die like the bee when he sting once. He is only stronger; and being stronger, have yet more power to work evil. This vampire which is amongst us is of himself so strong in person as twenty men; he is of cunning more than mortal, for his cunning be the growth of ages; he have still the aids of necromancy, which is, as his etymology imply, the divination by the dead, and all the dead that he can come nigh to are for him at command; he is brute, and more than brute; he is devil in callous, and the heart of him is not; he can, within limitations, appear at will when, and where, and in any of the forms that are to him: he can, within his range, direct the elements; the storm, the fog, the thunder; he can command all the meaner things: the rat, and the owl, and the bat—the moth, and the fox, and the wolf; he can grow and become small; and he can at times vanish and come unknown. How then are we to begin our strike to destroy him? How shall we find his where; and having found it, how can we destroy? My friends, this is much; it is a terrible task that we undertake, and there may be consequence to make the brave shudder. For if we fail in this our fight he must surely win; and then where end we? Life is nothings; I heed him not. But to fail here, is not mere life or death. It is that we become as him; that we henceforward become foul things of the night like him—without heart or conscience, preying on the bodies and the souls of those we love best. To us for ever are the gates of heaven shut; for who shall open them to us again? We go on for all time abhorred by all; a blot on the face of God's sunshine; an arrow in the side of Him who died for man. But we are face to face with duty; and in such case must we shrink? For me, I say, no; but then I am old, and life, with his sunshine, his fair places, his song of birds, his music and his love, lie far behind. You other are young. Some have seen sorrow; but there are fair days yet in store. What say you?" |
Tout en l’écoutant parler, Jonathan avait pris ma main. Au moment où j’avais vu mon mari tendre la main vers moi, j’avais tremblé de crainte que l’effroyable danger dont nous entretenait le professeur ne le décourageât complètement. Mais il me sembla revivre quand je sentis sur la mienne cette main si forte, si sûre d’elle-même, si décidée. Assurément, la main d’un homme courageux a son langage propre : il n’y a pas qu’une femme amoureuse pour entendre ce qu’elle dit. Lorsque le professeur se tut, nous nous regardâmes dans les yeux, mon mari et moi ; toute parole entre nous était inutile. |
Whilst he was speaking, Jonathan had taken my hand. I feared, oh so much, that the appalling nature of our danger was overcoming him when I saw his hand stretch out; but it was life to me to feel its touch—so strong, so self-reliant, so resolute. A brave man's hand can speak for itself; it does not even need a woman's love to hear its music. When the Professor had done speaking my husband looked in my eyes, and I in his; there was no need for speaking between us. |
— Je réponds pour Mina et pour moi-même, dit Jonathan. |
"I answer for Mina and myself," he said. |
— Comptez sur moi, professeur, fit Mr Morris. |
"Count me in, Professor," said Mr. Quincey Morris, laconically as usual. |
— Je suis avec vous, répondit de son côté Lord Godalming, et je serais avec vous en souvenir de Lucy, même si je n’avais pas un autre motif pour vous aider. Quant au Dr Seward, il se contenta de faire un signe de tête affirmatif. |
"I am with you," said Lord Godalming, "for Lucy's sake, if for no other reason." |
Nous nous serrâmes tous la main ; notre pacte solennel était conclu. J’avoue que mon cœur se glaçait ; pas un instant toutefois l’idée ne me vint que je pourrais renoncer à l’entreprise. Nous reprîmes chacun notre place, et le Dr Van Helsing poursuivit son explication avec un certain entrain qui montrait bien que le travail sérieux venait enfin de commencer. |
Dr. Seward simply nodded. The Professor stood up and, after laying his golden crucifix on the table, held out his hand on either side. I took his right hand, and Lord Godalming his left; Jonathan held my right with his left and stretched across to Mr. Morris. So as we all took hands our solemn compact was made. I felt my heart icy cold, but it did not even occur to me to draw back. We resumed our places, and Dr. Van Helsing went on with a sort of cheerfulness which showed that the serious work had begun. It was to be taken as gravely, and in as businesslike a way, as any other transaction of life:— |
— Bon. Vous savez à présent contre quoi nous luttons. Mais, de notre côté, nous ne sommes point dépourvus de force. Nous avons l’avantage du nombre, puisque le vampire est toujours seul et que nous sommes plusieurs. Nous avons les renseignements que nous donnent les livres. Nous sommes libres d’agir et de penser, et, pour ce qui est de l’action, toutes les heures du jour et de la nuit nous appartiennent. En réalité, donc, ces forces dont nous bénéficions, nous sommes parfaitement libres de les employer comme nous l’entendons. Nous sommes tout dévoués à une cause, et le but que nous nous proposons d’atteindre n’est pas d’en retirer un profit personnel, mais un profit qui s’étendra à toute l’humanité. |
"Well, you know what we have to contend against: but we, too, are not without strength. We have on our side power of combination—a power denied to the vampire kind; we have sources of science; we are free to act and think; and the hours of the day and the night are ours equally. In fact, so far as our powers extend, they are unfettered, and we are free to use them. We have self-devotion in a cause, and an end to achieve which is not a selfish one. These things are much. |
« Maintenant, considérons les limitations du vampire en général et de celui-ci en particulier. Il faut, pour cela, nous référer aux traditions et aux superstitions. Celles-ci, à vrai dire, ne nous apprennent pas grand-chose quand il s’agit de vie et de mort… or les questions en jeu sont bien plus essentielles que la vie ou la mort. Et pourtant, il faudra nous en contenter ; d’abord, parce que nous y sommes bien obligés, ensuite parce que, après tout, la tradition et la superstition ne laissent pas d’être importantes. N’est-ce pas à cause d’elles — bien que, hélas ! il n’en ait pas été de même pour nous — que la plupart des hommes croient aux vampires ? Il y a un an d’ici, lequel d’entre nous aurait admis ce que nous savons maintenant, en ce XIXe siècle sceptique, positiviste, où l’esprit scientifique est tout-puissant ? Nous avons repoussé une croyance et plus tard nous avons eu sous les yeux la preuve qu’elle n’était pas insensée. Soyez certains que le vampire — et c’est cela qui explique cette croyance que certains hommes ont toujours eue et de ses pouvoirs et de ses limitations — a donné à d’autres qu’à nous des preuves de sa réalité. Car, sans doute possible, on l’a connu partout où il y a eu des hommes. Il s’est manifesté partout : dans l’ancienne Grèce, dans l’ancienne Rome ; en Allemagne, en France, en Inde, même dans les presqu’îles de Chersonèse ; en Chine, pays éloigné de nous à tant de points de vue, il existe encore aujourd’hui et les gens le craignent. Il a suivi les hordes venues d’Islande, les Huns, les Slaves, les Saxons, les Magyars. Nous savons donc ce que nous devons savoir, nous possédons tous les éléments nécessaires pour agir et, laissez-moi vous le dire, un grand nombre de croyances à son sujet se sont vérifiées au cours de notre si malheureuse expérience. Le vampire vit sans que le temps qui passe l’amène peu à peu à la mort ; il prospère aussi longtemps qu’il peut se nourrir du sang des vivants ; nous avons pu constater qu’il rajeunit, qu’il devient plus fort, et qu’il semble se refaire quand il trouve en suffisance sa nourriture préférée. Mais il lui faut ce régime ; il ne se nourrit pas comme les autres hommes. Notre ami Jonathan, qui a habité chez lui pendant des semaines entières, ne l’a jamais vu prendre un repas, jamais ! Et son corps ne projette aucune ombre ; son image ne se réfléchit pas dans un miroir, cela aussi Jonathan l’a remarqué. D’autre part, il dispose d’une force extraordinaire, comme Jonathan, de nouveau, l’a constaté quand le comte a refermé la porte sur les loups et quand il a aidé notre ami à descendre de voiture. Il peut se changer en loup, ainsi qu’on l’a vu à l’arrivée du bateau à Whitby, quand il a attaqué et déchiqueté un chien ; ou en chauve-souris, et c’est ainsi que madame Mina l’a aperçu sur l’appui de fenêtre, à Whitby, et que notre ami John l’a vu s’envoler de cette maison voisine, et c’est ainsi encore que notre ami Quincey l’a vu se poser sur la fenêtre de Miss Lucy. Il peut s’approcher, entouré d’un brouillard que lui-même suscite — l’aventure effroyable de ce courageux capitaine resté à son gouvernail le prouve — mais nous savons aussi qu’est limité l’espace sur lequel s’étend ce brouillard qui ne fait, précisément, que l’entourer, le protéger. Le vampire apparaît en grains de poussière sur les rayons d’un clair de lune, et c’est comme cela que Jonathan a aperçu ces trois femmes dans le château de Dracula. Il peut se faire si petit et si mince que, souvenez-vous, Miss Lucy, avant de connaître la paix éternelle, s’est glissée par une fente de la largeur d’un cheveu qui existait dans la porte de son tombeau. Car il lui est donné, une fois qu’il a trouvé son chemin, de sortir de n’importe quoi, d’entrer dans n’importe quoi, et de voir dans l’obscurité, ce qui n’est pas un pouvoir négligeable dans un monde à demi privé de lumière. Mais, ici, suivez-moi bien ! Il est capable de tout cela, oui, et pourtant il n’est pas libre. Il est prisonnier, plus qu’un homme condamné aux galères, plus qu’un fou enfermé dans son cabanon. Aller là où il en aurait envie lui est interdit. Lui qui n’est pas un être selon la nature, il doit cependant obéir à certaines de ses lois — pourquoi, nous n’en savons rien. Toutes les portes ne lui sont pas ouvertes ; il faut au préalable qu’on l’ait prié d’entrer ; alors seulement il peut venir quand il le désire. Son pouvoir cesse, comme d’ailleurs celui de toutes les puissances malignes, dès les premières lueurs de l’aube. Il jouit d’une certaine liberté, mais en des moments précis. S’il ne se trouve pas à l’endroit où il voudrait être, il ne peut s’y rendre qu’à midi, ou au lever, ou au coucher du soleil. Tout cela, la tradition et les livres nous l’apprennent, et nous en trouvons aussi la preuve dans les documents que nous-mêmes avons rassemblés. Ainsi, tandis que le vampire peut parfois accomplir sa propre volonté, pourvu qu’il respecte les limitations qui lui sont imposées et se confine dans son domaine : son cercueil à lui, son enfer à lui, ou encore dans un endroit non bénit, comme, par exemple, cette tombe du suicidé dans le cimetière de Whitby ; et encore ne peut-il se déplacer qu’à des moments bien précis. On dit aussi qu’il ne peut franchir des eaux vives qu’à marée haute ou lorsque la mer est étale. Et puis, il y a des choses qui lui ôtent tout pouvoir, comme l’ail, nous le savons assez ; comme ce symbole, ma petite croix d’or, devant laquelle il recule avec respect et s’enfuit. Il y en a encore d’autres, et il vous faut les connaître, au cas où nous devrions nous en servir au cours de nos recherches : une branche de rosier sauvage, posée sur son cercueil, l’empêche d’en sortir, une balle bénite que l’on tirerait de son cercueil le tuerait, et il deviendrait alors un mort véritable. Quant au pieu que l’on enfonce dans son cœur, nous savons qu’il lui donne également le repos éternel, repos éternel qu’il connaît de même si on lui coupe la tête. Nous l’avons constaté de nos propres yeux. |
"Now let us see how far the general powers arrayed against us are restrict, and how the individual cannot. In fine, let us consider the limitations of the vampire in general, and of this one in particular. "All we have to go upon are traditions and superstitions. These do not at the first appear much, when the matter is one of life and death—nay of more then either life or death. Yet must we be satisfied; in the first place because we have to be—no other means is at our control—and secondly, because, after all, these things—tradition and superstition—are everything. Does not the belief in vampires rest for others—though not, alas! for us —on them? A year ago which of us would have received such a possibility, in the midst of our scientific, sceptical, matter-of-fact nineteenth century? We even scouted a belief that we saw justified under our very eyes. Take it, then, that the vampire, and the belief in his limitations and his cure, rest for the moment on the same base. For, let me tell you, he is known everywhere that men have been. In old Greece, in old Rome; he flourish in Germany all over, in France, in India, even in the Chernosese; and in China, so far from us in all ways, there even he is, and the peoples fear him at this day. He have follow the wake of the berserker Icelander, the devil-begotten Hun, the Slav, the Saxon, the Magyar. So far, then, we have all we may act upon; and let me tell you that very much of the beliefs are justified by what we have seen in our own so unhappy experience. The vampire live on, and cannot die by mere passing of the time; he can flourish when that he can fatten on the blood of the living. Even more, we have seen amongst us that he can even grow younger; that his vital faculties grow strenuous, and seem as though they refresh themselves when his special pabulum is plenty. But he cannot flourish without this diet; he eat not as others. Even friend Jonathan, who lived with him for weeks, did never see him to eat, never! He throws no shadow; he make in the mirror no reflect, as again Jonathan observe. He has the strength of many of his hand—witness again Jonathan when he shut the door against the wolfs, and when he help him from the diligence too. He can transform himself to wolf, as we gather from the ship arrival in Whitby, when he tear open the dog; he can be as bat, as Madam Mina saw him on the window at Whitby, and as friend John saw him fly from this so near house, and as my friend Quincey saw him at the window of Miss Lucy. He can come in mist which he create—that noble ship's captain proved him of this; but, from what we know, the distance he can make this mist is limited, and it can only be round himself. He come on moonlight rays as elemental dust—as again Jonathan saw those sisters in the castle of Dracula. He become so small—we ourselves saw Miss Lucy, ere she was at peace, slip through a hairbreadth space at the tomb door. He can, when once he find his way, come out from anything or into anything, no matter how close it be bound or even fused up with fire—solder you call it. He can see in the dark—no small power this, in a world which is one half shut from the light. Ah, but hear me through. He can do all these things, yet he is not free. Nay; he is even more prisoner than the slave of the galley, than the madman in his cell. He cannot go where he lists; he who is not of nature has yet to obey some of nature's laws—why we know not. He may not enter anywhere at the first, unless there be some one of the household who bid him to come; though afterwards he can come as he please. His power ceases, as does that of all evil things, at the coming of the day. Only at certain times can he have limited freedom. If he be not at the place whither he is bound, he can only change himself at noon or at exact sunrise or sunset. These things are we told, and in this record of ours we have proof by inference. Thus, whereas he can do as he will within his limit, when he have his earth-home, his coffin-home, his hell-home, the place unhallowed, as we saw when he went to the grave of the suicide at Whitby; still at other time he can only change when the time come. It is said, too, that he can only pass running water at the slack or the flood of the tide. Then there are things which so afflict him that he has no power, as the garlic that we know of; and as for things sacred, as this symbol, my crucifix, that was amongst us even now when we resolve, to them he is nothing, but in their presence he take his place far off and silent with respect. There are others, too, which I shall tell you of, lest in our seeking we may need them. The branch of wild rose on his coffin keep him that he move not from it; a sacred bullet fired into the coffin kill him so that he be true dead; and as for the stake through him, we know already of its peace; or the cut-off head that giveth rest. We have seen it with our eyes. |
« Ainsi donc, en ce qui concerne le comte Dracula, quand nous trouverons la demeure de cet homme, nous pourrons le forcer à rester dans son cercueil où nous le détruirons. Mais il est rusé, ne l’oublions pas, et très intelligent aussi. J’ai demandé à mon ami Arminius, de l’université de Budapest, de me communiquer l’histoire de sa vie, et il m’a mis au courant de tout ce qu’il connaissait. Ce doit être ce même voïvode Dracula qui fonda sa renommée en traversant le grand fleuve et en allant battre le Turc à la frontière même de la Turquie. S’il en est ainsi, il ne s’agit pas d’un homme ordinaire, car à l’époque, et pendant les siècles qui suivirent, on parla de lui comme du fils le plus habile et le plus audacieux mais aussi le plus courageux du « pays par-delà la forêt ». Cette intelligence supérieure et cette volonté inébranlable, il les garda jusque dans la tombe, et il s’en sert maintenant contre nous. Les Dracula, dit Arminius, appartenaient à une illustre et noble race, encore que certains d’entre eux, au cours des générations successives, s’il faut en croire les contemporains, aient eu des rapports avec le Malin. Ils se mirent à son école et apprirent ses secrets à Scholomance, dans les montagnes qui dominent le lac d’Hermanstadt, où le diable revendique un disciple sur dix comme sa propriété. Les documents emploient les termes de stregoica — sorcière —, ordog, etpokol — Satan, enfer ; et l’un des manuscrits parle de notre Dracula comme d’un wampyr, vocable que tous ici nous ne comprenons que trop bien. C’est de sa propre semence, de lui seul, que sont nés tant de grands hommes et de femmes illustres et leurs tombeaux sanctifient cette terre qui est la seule dans laquelle le monstre se trouve chez lui. Car parmi les caractéristiques qui le rendent si effrayant, la moindre n’est pas qu’il soit profondément enraciné dans tout ce qui est bon. Il ne pourrait perdurer dans un terrain vierge de mémoires sacrées. |
"Thus when we find the habitation of this man-that-was, we can confine him to his coffin and destroy him, if we obey what we know. But he is clever. I have asked my friend Arminius, of Buda-Pesth University, to make his record; and, from all the means that are, he tell me of what he has been. He must, indeed, have been that Voivode Dracula who won his name against the Turk, over the great river on the very frontier of Turkey-land. If it be so, then was he no common man; for in that time, and for centuries after, he was spoken of as the cleverest and the most cunning, as well as the bravest of the sons of the 'land beyond the forest.' That mighty brain and that iron resolution went with him to his grave, and are even now arrayed against us. The Draculas were, says Arminius, a great and noble race, though now and again were scions who were held by their coevals to have had dealings with the Evil One. They learned his secrets in the Scholomance, amongst the mountains over Lake Hermanstadt, where the devil claims the tenth scholar as his due. In the records are such words as 'stregoica'—witch, 'ordog,' and 'pokol'—Satan and hell; and in one manuscript this very Dracula is spoken of as 'wampyr,' which we all understand too well. There have been from the loins of this very one great men and good women, and their graves make sacred the earth where alone this foulness can dwell. For it is not the least of its terrors that this evil thing is rooted deep in all good; in soil barren of holy memories it cannot rest." |
Depuis un bon moment déjà, Mr Morris ne cessait pas de regarder par la fenêtre ; finalement, il se leva sans donner aucune explication et sortit de la pièce. Le professeur s’était tu un moment ; bientôt, il reprit : |
Whilst they were talking Mr. Morris was looking steadily at the window, and he now got up quietly, and went out of the room. There was a little pause, and then the Professor went on:— |
— Et maintenant, nous devons décider ce que nous allons faire. Nous disposons de beaucoup de données, et c’est à partir de là qu’il nous faut établir notre plan. Nous savons, d’après l’enquête qu’a menée Jonathan, que cinquante caisses de terre sont venues du château de Dracula à Whitby et que toutes ont été envoyées à Carfax ; mais nous savons également que l’on est venu ensuite en rechercher au moins quelques-unes. À mon avis, il nous faut en premier lieu nous assurer si toutes les autres sont bien restées dans cette maison, ou si on en a encore enlevé. Dans ce cas, nous rechercherons… |
"And now we must settle what we do. We have here much data, and we must proceed to lay out our campaign. We know from the inquiry of Jonathan that from the castle to Whitby came fifty boxes of earth, all of which were delivered at Carfax; we also know that at least some of these boxes have been removed. It seems to me, that our first step should be to ascertain whether all the rest remain in the house beyond that wall where we look to-day; or whether any more have been removed. If the latter, we must trace———" |
Il fut interrompu d’une façon assez surprenante ; nous entendîmes au-dehors un coup de pistolet. Une balle fit voler en éclats une vitre de la fenêtre puis, faisant ricochet du haut de l’embrasure, vint frapper le mur du fond de la pièce. Sans doute suis-je pusillanime, car je criai de peur. D’un bond, les hommes se levèrent tous en même temps ; Lord Godalming se précipita à la fenêtre, qu’il ouvrit aussitôt. Nous entendîmes alors la voix de Mr Morris : |
Here we were interrupted in a very startling way. Outside the house came the sound of a pistol-shot; the glass of the window was shattered with a bullet, which, ricocheting from the top of the embrasure, struck the far wall of the room. I am afraid I am at heart a coward, for I shrieked out. The men all jumped to their feet; Lord Godalming flew over to the window and threw up the sash. As he did so we heard Mr. Morris's voice without:—— |
— Mille excuses ! Je vous ai effrayés, n’est-ce pas ? Je rentre vous raconter ce qui s’est passé ! Un instant plus tard, il était de nouveau dans le bureau. |
"Sorry! I fear I have alarmed you. I shall come in and tell you about it," A minute later he came in and said:— |
— C’est idiot de ma part ! dit-il, et je vous prie très sincèrement de me pardonner, Mrs Harker ! Je crois que je vous ai fait terriblement peur. Mais voici : pendant que le professeur parlait, une grosse chauve-souris est venue se poser sur le rebord de la fenêtre. Depuis les événements récents, j’ai une telle horreur de ces sales bêtes que je ne peux plus en voir une sans vouloir la tuer ; cela m’est arrivé je ne sais combien de fois déjà depuis plusieurs soirs. Et vous vous moquiez de moi, n’est-ce pas, Art ? |
"It was an idiotic thing of me to do, and I ask your pardon, Mrs. Harker, most sincerely; I fear I must have frightened you terribly. But the fact is that whilst the Professor was talking there came a big bat and sat on the window-sill. I have got such a horror of the damned brutes from recent events that I cannot stand them, and I went out to have a shot, as I have been doing of late of evenings, whenever I have seen one. You used to laugh at me for it then, Art." |
— L’avez-vous touchée ? demanda le Dr Van Helsing. |
"Did you hit it?" asked Dr. Van Helsing. |
— Je ne crois pas, car elle a continué à voler en direction du bois. Sans un mot de plus, il se rassit, et le professeur acheva ce qu’il avait à dire : |
"I don't know; I fancy not, for it flew away into the wood." Without saying any more he took his seat, and the Professor began to resume his statement:— |
— Nous rechercherons chacune de ces caisses et, quand nous saurons où elles se trouvent, ou bien nous nous emparerons de ce monstre, ou bien nous le tuerons dans un de ses repaires. Ou encore, nous rendrons inefficace la terre contenue dans les caisses afin qu’il n’y soit plus en sûreté. Ainsi, nous le prendrons sous sa forme humaine entre l’heure de midi et le coucher du soleil, nous engagerons la lutte avec lui au moment où il est le plus faible… En ce qui vous concerne, madame Mina, à partir de ce soir, vous ne vous occuperez plus de rien jusqu’à ce que tout soit fini. Vous nous êtes trop précieuse pour vous exposer à de si grands dangers. Une fois que nous nous serons séparés ce soir, vous ne nous poserez plus aucune question. Nous vous raconterons tout, en temps opportun. Nous sommes, nous, des hommes, capables de supporter les plus dures épreuves ; mais vous, vous serez notre étoile et notre espoir, et nous agirons avec d’autant plus de liberté que nous saurons que vous êtes à l’abri de tout danger. |
"We must trace each of these boxes; and when we are ready, we must either capture or kill this monster in his lair; or we must, so to speak, sterilise the earth, so that no more he can seek safety in it. Thus in the end we may find him in his form of man between the hours of noon and sunset, and so engage with him when he is at his most weak. "And now for you, Madam Mina, this night is the end until all be well. You are too precious to us to have such risk. When we part to-night, you no more must question. We shall tell you all in good time. We are men and are able to bear; but you must be our star and our hope, and we shall act all the more free that you are not in the danger, such as we are." |
Tous, et même Jonathan, parurent soulagés d’une grande inquiétude ; cependant, je ne trouvais pas souhaitable qu’ils se lancent sans moi dans cette aventure car, plus nombreux, nous eussions aussi été d’autant plus forts. Mais leur résolution était prise et je n’avais qu’à m’incliner — à accepter le chevaleresque souci qu’ils prenaient de ma sécurité. Mr Morris intervint alors : |
All the men, even Jonathan, seemed relieved; but it did not seem to me good that they should brave danger and, perhaps, lessen their safety—strength being the best safety—through care of me; but their minds were made up, and, though it was a bitter pill for me to swallow, I could say nothing, save to accept their chivalrous care of me. Mr. Morris resumed the discussion:— |
— Comme il n’y a pas de temps à perdre, dit-il, je propose que nous allions tout de suite voir ce qui se passe dans cette maison. Quand on a affaire à ce monstre, chaque minute est importante : en agissant rapidement, peut-être l’empêcherons-nous de faire une victime de plus. |
"As there is no time to lose, I vote we have a look at his house right now. Time is everything with him; and swift action on our part may save another victim." |
Je l’avoue, je sentis mon courage m’abandonner au moment où je compris qu’ils allaient se mettre à l’œuvre sur-le-champ ; mais je n’en laissai rien paraître de crainte que, s’ils s’apercevaient jamais que mes terreurs pouvaient devenir une entrave à leur entreprise, ils ne me permettent même plus désormais d’assister à leurs discussions. Ils sont maintenant allés à Carfax, emportant tout ce qui leur est nécessaire pour entrer dans la maison. |
I own that my heart began to fail me when the time for action came so close, but I did not say anything, for I had a greater fear that if I appeared as a drag or a hindrance to their work, they might even leave me out of their counsels altogether. They have now gone off to Carfax, with means to get into the house. |
Cela ressemble bien aux hommes ! Ils m’ont dit d’aller me coucher et de dormir. Comme si une femme pouvait dormir quand ceux qu’elle aime sont en danger ! Mais je me mettrai au lit et ferai semblant de dormir, pour que Jonathan, quand il rentrera, n’éprouve pas de nouvelles inquiétudes à mon sujet. |
Manlike, they had told me to go to bed and sleep; as if a woman can sleep when those she loves are in danger! I shall lie down and pretend to sleep, lest Jonathan have added anxiety about me when he returns. |
Juste au moment où nous allions sortir, on vint me demander, de la part de Renfield, si je pouvais le voir immédiatement, car il avait à me dire une chose de la plus haute importance. Je répondis qu’étant occupé pendant toute la soirée, j’irais le voir de bonne heure le lendemain matin. |
Dr. Seward's Diary.
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— Mais il semble plus impatient que jamais, monsieur, insista le surveillant. Je voudrais me tromper, mais j’ai l’impression que si vous n’allez pas le voir tout de suite, il aura une de ses crises les plus violentes. J’avais confiance dans le jugement de cet homme ; je décidai donc de me rendre auprès de mon malade et demandai à mes compagnons de bien vouloir m’attendre quelques minutes. |
"He seems very importunate, sir. I have never seen him so eager. I don't know but what, if you don't see him soon, he will have one of his violent fits." I knew the man would not have said this without some cause, so I said: "All right; I'll go now"; and I asked the others to wait a few minutes for me, as I had to go and see my "patient." |
— Permettez-moi de vous accompagner, mon cher John, fit Van Helsing. J’ai pris beaucoup d’intérêt à lire dans votre journal ce que vous dites de son cas, qui n’est pas sans rapport, de temps à autre, avec le cas dont nous nous occupons. Je tiendrais beaucoup à voir ce malade et, précisément, quand une crise le menace. |
"Take me with you, friend John," said the Professor. "His case in your diary interest me much, and it had bearing, too, now and again on our case. I should much like to see him, and especial when his mind is disturbed." |
— Puis-je venir aussi ? demanda Lord Godalming. |
"May I come also?" asked Lord Goldaming. |
— Et moi ? fit à son tour Quincey Morris. — Et moi ? demanda Harker. D’un signe de tête, je répondis oui, et, ensemble, nous revînmes dans le corridor. |
"Me too?" said Quincey Morris. "May I come?" said Harker. I nodded, and we all went down the passage together. |
En effet, Renfield était fort excité, mais je ne l’avais jamais entendu parler avec tant de bon sens, je ne l’avais jamais vu montrer tant de calme assurance dans ses manières. Il faisait preuve d’une étonnante compréhension de son propre cas, ce que je n’avais encore jamais observé chez aucun de mes malades ; et il ne doutait pas que les raisons qu’il avançait ne l’emportassent sur celles que nous pourrions lui opposer. Ce qu’il avait de si urgent à me demander, c’était de le laisser rentrer chez lui ; il prétendait qu’il était entièrement guéri et qu’il ne souffrait plus du moindre trouble mental. « J’en appelle à vos amis, me dit-il ; peut-être voudront-ils bien juger de mon cas. À propos, vous ne m’avez pas présenté… » J’étais si interdit que, au moment même, l’idée de présenter à d’autres personnes un fou interné dans notre asile ne me parut pas insolite ; en outre, il y avait vraiment quelque chose de digne chez cet homme et l’on voyait qu’il avait eu l’habitude de la vie sociale. Je n’hésitai donc pas à faire les présentations : « Mr Renfield… Lord Godalming, le professeur Van Helsing, Mr Quincey Morris, du Texas, Mr Jonathan Harker. » Il leur serra la main, en s’adressant à chacun d’eux tour à tour. |
We found him in a state of considerable excitement, but far more rational in his speech and manner than I had ever seen him. There was an unusual understanding of himself, which was unlike anything I had ever met with a lunatic; and he took it for granted that his reasons would prevail with others entirely sane. We all four went into the room, but none of the others at first said anything. His request was that I would at once release him from the asylum and send him home. This he backed up with arguments regarding his complete recovery, and adduced his own existing sanity. "I appeal to your friends," he said, "they will, perhaps, not mind sitting in judgment on my case. By the way, you have not introduced me." I was so much astonished, that the oddness of introducing a madman in an asylum did not strike me at the moment; and, besides, there was a certain dignity in the man's manner, so much of the habit of equality, that I at once made the introduction: "Lord Godalming; Professor Van Helsing; Mr. Quincey Morris, of Texas; Mr. Renfield." He shook hands with each of them, saying in turn:— |
— Lord Godalming, j’ai eu l’honneur d’aider votre père, à Windham, et j’apprends à regret qu’il n’est plus, puisque c’est vous à présent qui portez le titre. Il était aimé et honoré de tous ceux qui le connaissaient. J’ai entendu dire que, dans sa jeunesse, il avait inventé un punch au rhum, fort apprécié les soirs du Derby. Mr Morris, vous avez des raisons d’être fier de votre grand État. Son entrée dans l’Union constitue un précédent qui peut avoir de très importantes conséquences au moment où le Pôle et les Tropiques voudront s’allier à la Bannière étoilée. On mesurera la puissance du traité quand la doctrine de Monroe prendra sa vraie place en tant que fiction politique. Et que dirai-je du plaisir qui m’est offert de rencontrer le professeur Van Helsing ? Monsieur, je ne m’excuserai point de négliger tout préambule conventionnel. Quand un homme a révolutionné la thérapeutique par ses découvertes sur l’évolution continuelle du cerveau, les formes banales de politesse sont déplacées car, si on les employait à son égard, on semblerait vouloir le ravaler au rang des autres hommes. Vous tous, messieurs, qui, soit par la nationalité, soit par l’hérédité, ou encore grâce au privilège d’un don naturel, tenez votre place respective dans notre monde en marche, je vous prends à témoin : je suis aussi sain d’esprit que la majorité au moins des hommes qui jouissent de leur liberté entière. Et j’en suis certain, docteur Seward, vous-même qui êtes très bon, qui avez étudié le droit aussi bien que la médecine, et qui êtes un savant, vous jugerez qu’il est de votre devoir moral d’examiner mon cas avec une attention toute particulière. Ces dernières paroles, il les prononça en prenant un air convaincu et courtois tout ensemble qui n’était pas sans charme. |
"Lord Godalming, I had the honour of seconding your father at the Windham; I grieve to know, by your holding the title, that he is no more. He was a man loved and honoured by all who knew him; and in his youth was, I have heard, the inventor of a burnt rum punch, much patronised on Derby night. Mr. Morris, you should be proud of your great state. Its reception into the Union was a precedent which may have far-reaching effects hereafter, when the Pole and the Tropics may hold alliance to the Stars and Stripes. The power of Treaty may yet prove a vast engine of enlargement, when the Monroe doctrine takes its true place as a political fable. What shall any man say of his pleasure at meeting Van Helsing? Sir, I make no apology for dropping all forms of conventional prefix. When an individual has revolutionised therapeutics by his discovery of the continuous evolution of brain-matter, conventional forms are unfitting, since they would seem to limit him to one of a class. You, gentlemen, who by nationality, by heredity, or by the possession of natural gifts, are fitted to hold your respective places in the moving world, I take to witness that I am as sane as at least the majority of men who are in full possession of their liberties. And I am sure that you. Dr. Seward, humanitarian and medico-jurist as well as scientist, will deem it a moral duty to deal with me as one to be considered as under exceptional circumstances." He made this last appeal with a courtly air of conviction which was not without its own charm. |
Je pense que notre étonnement, à chacun, était grand, pour ma part, j’étais persuadé, en dépit de ce que je savais des diverses phases de sa maladie, que Renfield avait définitivement recouvré la raison ; et j’eus fort envie de lui dire que sa guérison, en effet, me paraissait évidente, et que j’allais veiller à ce que toutes les formalités fussent remplies le lendemain matin en vue de son départ. Toutefois, me rappelant à nouveau les brusques revirements auxquels il était sujet, je jugeai préférable d’attendre avant de lui faire part d’une si grave décision. Je me contentai donc de lui répondre que son état s’améliorait de jour en jour, que j’aurais avec lui une conversation plus longue le lendemain matin et que je verrais alors si je pouvais accéder à sa requête. Cela ne parut pas le satisfaire, car il répliqua aussitôt : |
I think we were all staggered. For my own part, I was under the conviction, despite my knowledge of the man's character and history, that his reason had been restored; and I felt under a strong impulse to tell him that I was satisfied as to his sanity, and would see about the necessary formalities for his release in the morning. I thought it better to wait, however, before making so grave a statement, for of old I knew the sudden changes to which this particular patient was liable. So I contented myself with making a general statement that he appeared to be improving very rapidly; that I would have a longer chat with him in the morning, and would then see what I could do in the direction of meeting his wishes. This did not at all satisfy him, for he said quickly:— |
— Mais je crains, docteur, que vous ne me compreniez pas. Ce que je voudrais, c’est m’en aller tout de suite… immédiatement… maintenant… à l’instant même, si cela était possible. Le temps presse, et, dans notre convention tacite avec la Mort, cet élément — le temps — est essentiel. Je suis sûr qu’il suffit, quand on s’adresse à l’admirable praticien qu’est le Dr Seward, d’exprimer un souhait si simple, encore que d’une telle gravité, pour qu’il soit immédiatement réalisé. |
"But I fear, Dr. Seward, that you hardly apprehend my wish. I desire to go at once—here—now—this very hour—this very moment, if I may. Time presses, and in our implied agreement with the old scytheman it is of the essence of the contract. I am sure it is only necessary to put before so admirable a practitioner as Dr. Seward so simple, yet so momentous a wish, to ensure its fulfilment." |
Il m’observait attentivement, et, comme je ne paraissais pas disposé à l’approuver, il se tourna vers les autres et les regarda avec le même sérieux. Ne recevant aucune réponse — pas même le moindre signe d’acquiescement —, il reprit : |
He looked at me keenly, and seeing the negative in my face, turned to the others, and scrutinised them closely. Not meeting any sufficient response, he went on:— |
— Me serais-je trompé dans mes suppositions ? |
"Is it possible that I have erred in my supposition?" |
— Oui, vous vous êtes trompé, répondis-je franchement, mais aussi d’une façon assez brusque, je m’en rendis compte. Il y eut un long silence, puis il dit, lentement : |
"You have," I said frankly, but at the same time, as I felt, brutally. There was a considerable pause, and then he said slowly:— |
— Dans ce cas, il me faut sans doute vous présenter autrement ma requête. Permettez-moi de demander que l’on me fasse cette concession, que l’on m’accorde cette faveur, ce privilège — appelez cela comme vous voulez. Je vous implore ici, non pour des motifs personnels, mais pour le salut d’autrui. Je ne suis pas libre de vous expliquer toutes les raisons qui m’obligent à vous parler de la sorte ; mais soyez assuré qu’elles sont solides, irréfutables, et qu’il n’y entre pas le moindre intérêt personnel : elles me sont inspirées par un sens très haut du devoir. Si vous pouviez lire dans mon cœur, monsieur, vous approuveriez entièrement les sentiments qui m’animent. Bien plus, vous me compteriez parmi vos amis les meilleurs et les plus fidèles. De nouveau, il nous regarda tous, attentivement. Je me doutais à présent que le changement survenu soudain dans son comportement mental n’était qu’une autre forme, une autre phase de sa folie, et je me dis qu’il fallait attendre, voir ce qui allait se passer, car je savais par expérience que, finalement, comme chez tous les fous, une rechute le trahirait. Van Helsing l’observait avec, semblait-il, un intérêt toujours croissant, et ses sourcils broussailleux se touchaient presque tant son regard restait fixé sur lui. Il demanda à Renfield, d’un ton qui, à vrai dire, ne me surprit pas au moment même, mais seulement quand j’y pensai plus tard — car on eût dit que le professeur s’adressait à un homme aussi sain d’esprit que lui-même : |
"Then I suppose I must only shift my ground of request. Let me ask for this concession—boon, privilege, what you will. I am content to implore in such a case, not on personal grounds, but for the sake of others. I am not at liberty to give you the whole of my reasons; but you may, I assure you, take it from me that they are good ones, sound and unselfish, and spring from the highest sense of duty. Could you look, sir, into my heart, you would approve to the full the sentiments which animate me. Nay, more, you would count me amongst the best and truest of your friends." Again he looked at us all keenly. I had a growing conviction that this sudden change of his entire intellectual method was but yet another form or phrase of his madness, and so determined to let him go on a little longer, knowing from experience that he would, like all lunatics, give himself away in the end. Van Helsing was gazing at him with a look of utmost intensity, his bushy eyebrows almost meeting with the fixed concentration of his look. He said to Renfield in a tone which did not surprise me at the time, but only when I thought of it afterwards—for it was as of one addressing an equal:— |
— Ne pouvez-vous pas m’expliquer franchement pourquoi vous désirez partir d’ici ce soir même ? Je suis sûr que si vous ne me cachez rien — à moi, un étranger qui suis sans préjugé et qui ai toujours compris beaucoup de choses —, le Dr Seward prendra, à ses propres risques, la responsabilité de vous laisser retourner chez vous. L’autre hocha tristement la tête, et l’on pouvait lire un poignant regret sur son visage. Le professeur poursuivit : |
"Can you not tell frankly your real reason for wishing to be free to-night? I will undertake that if you will satisfy even me—a stranger, without prejudice, and with the habit of keeping an open mind—Dr. Seward will give you, at his own risk and on his own responsibility, the privilege you seek." He shook his head sadly, and with a look of poignant regret on his face. The Professor went on:— |
— Allons, monsieur ! Réfléchissez un moment. Vous prétendez être guéri, vous cherchez à nous prouver que vous avez complètement recouvré la raison, ce dont nous pouvons encore douter puisque vous êtes toujours soigné ici. Si vous ne voulez pas nous seconder dans l’effort que nous faisons pour essayer, s’il se peut, de vous satisfaire, comment y parviendrons-nous ? Encore une fois, monsieur, réfléchissez, aidez-nous ; nous souhaiterions, croyez-moi, vous voir libre. Il répondit en hochant à nouveau la tête. |
"Come, sir, bethink yourself. You claim the privilege of reason in the highest degree, since you seek to impress us with your complete reasonableness. You do this, whose sanity we have reason to doubt, since you are not yet released from medical treatment for this very defect. If you will not help us in our effort to choose the wisest course, how can we perform the duty which you yourself put upon us? Be wise, and help us; and if we can we shall aid you to achieve your wish." He still shook his head as he said:— |
— Docteur Van Helsing, je n’ai plus qu’à me taire. Vos arguments sont irréfutables, et, s’il ne tenait qu’à moi, je les approuverais sans hésiter ; mais je ne suis pas seul dans cette affaire… Je vous demande seulement d’avoir confiance en moi. Si vous ne me laissez pas sortir d’ici, je décline toute responsabilité dans ce qui pourra arriver. Je jugeai qu’il était temps de mettre fin à l’entretien qui devenait d’une gravité trop comique, et je me dirigeai vers la porte, en disant simplement : |
"Dr. Van Helsing, I have nothing to say. Your argument is complete, and if I were free to speak I should not hesitate a moment; but I am not my own master in the matter. I can only ask you to trust me. If I am refused, the responsibility does not rest with me." I thought it was now time to end the scene, which was becoming too comically grave, so I went towards the door, simply saying:— |
— Venez, mes amis, nous avons à travailler. Bonsoir, Renfield ! |
"Come, my friends, we have work to do. Good-night." |
Cependant, comme j’allais ouvrir la porte, le malade changea d’attitude. Il se précipita vers moi, et je crus un instant qu’il voulait à nouveau me tuer ; mais je me trompais ; les deux mains tendues, il renouvela sa demande, et cette fois sur un ton de prière fort émouvant. Bien qu’il parût comprendre que l’excès même de ses manières le desservait, il continua à se faire de plus en plus pressant et démonstratif. Je rencontrai le regard de Van Helsing, et j’y vis reflétée ma propre conviction. Aussi me raidis-je quelque peu à l’égard de Renfield et, le repoussant, je lui fis comprendre qu’il perdait son temps. Ce n’était pas la première fois que je voyais chez lui cette excitation croissante lorsqu’il voulait obtenir une faveur qui, à l’instant même où il y pensait, prenait pour lui la plus grande importance, par exemple le jour où il m’avait supplié de lui donner un chat. Et, comme alors, je m’attendais à le voir finalement, encore que plein de dépit, se résigner à mon refus. Mais tel ne fut pas le cas. Lorsqu’il s’aperçut qu’il me suppliait en vain, il fut pris de frénésie. Il se jeta à genoux, leva les mains vers moi, les tordant en des gestes de supplication, m’exhorta à nouveau en un discours sans fin, cependant que les larmes inondaient son visage et que tout en lui manifestait la plus profonde angoisse. |
As, however, I got near the door, a new change came over the patient. He moved towards me so quickly that for the moment I feared that he was about to make another homicidal attack. My fears, however, were groundless, for he held up his two hands imploringly, and made his petition in a moving manner. As he saw that the very excess of his emotion was militating against him, by restoring us more to our old relations, he became still more demonstrative. I glanced at Van Helsing, and saw my conviction reflecting in his eyes; so I became a little more fixed in my manner, if not more stern, and motioned to him that his efforts were unavailing. I had previously seen something of the same constantly growing excitement in him when he had to make some request of which at the time he had thought much, such, for instance, as when he wanted a cat; and I was prepared to see the collapse into the same sullen acquiescence on this occasion. My expectation was not realised, for, when he found that his appeal would not be successful, he got into quite a frantic condition. He threw himself on his knees, and held up his hands, wringing them in plaintive supplication, and poured forth a torrent of entreaty, with the tears rolling down his cheeks, and his whole face and form expressive of the deepest emotion:— |
— Je vous en prie, docteur Seward, je vous en supplie ! Laissez-moi quitter cette maison tout de suite ! Peu importe la manière dont vous me laisserez partir, peu importe aussi où vous m’enverrez ! Faites-moi accompagner par des gardes munis de fouets et de chaînes ; qu’ils me mettent une camisole de force, des menottes et, aux pieds, des fers, et qu’ils me conduisent en prison… Mais, pour l’amour de Dieu ! laissez-moi sortir d’ici ! En m’obligeant à rester ici, vous ignorez le mal que vous faites, et à qui vous le faites ; je vous parle du plus profond de mon cœur, de mon âme même ! Ayez pitié de moi ! Par tout ce qui vous est sacré, par tout ce qui vous est le plus cher au monde, par votre amour que vous avez perdu, mais par votre espoir qui demeure, par le Dieu tout-puissant, faites-moi sortir d’ici et sauvez mon âme du péché ! Ne m’entendez-vous pas, docteur ? Ne me comprenez-vous pas ? Ne voulez-vous pas vous rendre à l’évidence ? Ne voyez-vous pas que je suis parfaitement sain d’esprit et que je vous parle très sérieusement ? Que je ne suis pas un fou en pleine crise, mais un homme jouissant de toute sa raison et qui veut sauver son âme ? Comprenez-moi donc ! Laissez-moi partir, laissez-moi partir ! |
"Let me entreat you, Dr. Seward, oh, let me implore you, to let me out of this house at once. Send me away how you will and where you will; send keepers with me with whips and chains; let them take me in a strait-waistcoat, manacled and leg-ironed, even to a gaol; but let me go out of this. You don't know what you do by keeping me here. I am speaking from the depths of my heart—of my very soul. You don't know whom you wrong, or how; and I may not tell. Woe is me! I may not tell. By all you hold sacred—by all you hold dear—by your love that is lost—by your hope that lives—for the sake of the Almighty, take me out of this and save my soul from guilt! Can't you hear me, man? Can't you understand? Will you never learn? Don't you know that I am sane and earnest now; that I am no lunatic in a mad fit, but a sane man fighting for his soul? Oh, hear me! hear me! Let me go! let me go! let me go!" |
Je pensai que, plus cette scène durerait, plus il s’exciterait, et qu’alors la vraie crise se produirait. |
I thought that the longer this went on the wilder he would get, and so would bring on a fit; so I took him by the hand and raised him up. |
— Allons, allons, dis-je sévère. Cela suffit ! Mettez-vous au lit, et essayez de vous calmer ! |
"Come," I said sternly, "no more of this; we have had quite enough already. Get to your bed and try to behave more discreetly." |
Interdit, il me regarda quelques instants. Puis, sans un mot, il se releva et il alla s’asseoir sur le bord de son lit. Comme je m’y attendais, de même qu’en de semblables circonstances précédentes, la prostration suivait l’exaltation. Comme, après avoir fait passer mes compagnons devant moi, j’allais à mon tour sortir de la chambre, il me dit encore, d’une manière calme, polie : |
He suddenly stopped and looked at me intently for several moments. Then, without a word, he rose and moving over, sat down on the side of the bed. The collapse had come, as on former occasion, just as I had expected. When I was leaving the room, last of our party, he said to me in a quiet, well-bred voice:— |
— J’espère, docteur Seward, que vous vous rappellerez plus tard que j’ai fait tout ce que j’ai pu, ce soir, pour vous convaincre. |
"You will, I trust, Dr. Seward, do me the justice to bear in mind, later on, that I did what I could to convince you to-night." |