Dracula |
Dracula |
de Bram Stoker |
by Bram Stoker |
traduction de Ève et Lucie Paul-Margueritte
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1897 |
Chapitre XIX |
Chapter XIX |
Journal de Jonathan Harker |
Jonathan Harker's Journal |
1er octobre, 5 heures du matin C’est l’esprit tranquille que je sortis avec les autres pour aller à Carfax, car je n’avais jamais vu Mina si forte, si sûre de soi. Qu’elle fût mêlée à toute cette affaire, avait été pour moi un véritable cauchemar ; mais maintenant qu’elle consent à nous laisser agir seuls, je suis quelque peu rassuré ; d’ailleurs, je l’espère, elle-même a maintenant le sentiment d’avoir fait ce qu’elle avait à faire ; si tous les moindres détails qui peuvent nous êtres utiles sont rassemblés, n’est-ce pas grâce à sa volonté, à son intelligence de la situation ? Nous étions tous, je crois, assez impressionnés par notre visite à Mr Renfield. En sortant de sa chambre, aucun de nous ne prononça un seul mot avant d’avoir regagné le bureau de Seward. Mais alors Mr Morris s’adressa au docteur : |
1 October, 5 a. m.—I went with the party to the search with an easy mind, for I think I never saw Mina so absolutely strong and well. I am so glad that she consented to hold back and let us men do the work. Somehow, it was a dread to me that she was in this fearful business at all; but now that her work is done, and that it is due to her energy and brains and foresight that the whole story is put together in such a way that every point tells, she may well feel that her part is finished, and that she can henceforth leave the rest to us. We were, I think, all a little upset by the scene with Mr. Renfield. When we came away from his room we were silent till we got back to the study. Then Mr. Morris said to Dr. Seward:— |
— Ma foi, John, à moins que cet homme n’ait bluffé, c’est bien le fou le plus raisonnable que j’aie jamais vu ! Je n’en jurerais pas, mais il me semble pourtant qu’il a en tête quelque dessein des plus sérieux, et, dans ce cas, il a du mérite à n’avoir pas tenté de se sauver ! Lord Godalming et moi ne fîmes aucune remarque, mais le Dr Van Helsing dit à son tour : |
"Say, Jack, if that man wasn't attempting a bluff, he is about the sanest lunatic I ever saw. I'm not sure, but I believe that he had some serious purpose, and if he had, it was pretty rough on him not to get a chance." Lord Godalming and I were silent, but Dr. Van Helsing added:— |
— Mon cher John, vous connaissez mieux que moi les phases étranges par lesquelles passent ces malades, et j’en suis vraiment heureux ; car, je le crains, si c’avait été à moi à prendre une décision, j’aurais libéré Renfield avant qu’il se soit montré dans cet état d’excitation extrême. Mais nous apprenons chaque jour, et, d’autre part, en ce qui nous concerne à présent, nous ne pouvons prendre aucun risque, comme dirait mon ami Quincey, tant notre entreprise est déjà scabreuse. Les choses sont bien telles qu’elles sont. Le Dr Seward parut leur répondre à tous deux en même temps. |
"Friend John, you know more of lunatics than I do, and I'm glad of it, for I fear that if it had been to me to decide I would before that last hysterical outburst have given him free. But we live and learn, and in our present task we must take no chance, as my friend Quincey would say. All is best as they are." Dr. Seward seemed to answer them both in a dreamy kind of way:— |
— Sans doute avez-vous raison. Si cet homme avait ressemblé à beaucoup d’autres de mes malades, je lui aurais montré, quitte à courir un grand risque, que j’avais confiance en lui. Mais son comportement semble dépendre à ce point des allées et venues du comte que, en lui passant ses caprices, j’aurais peur de commettre une lourde erreur. Et puis, un jour, devant moi, il a appelé le comte « son Seigneur et Maître » et je me dis que, peut-être, il veut aller l’aider dans un de ses desseins diaboliques. Ce monstre se fait obéir des loups et des rats, sans parler des créatures devenues semblables à lui : comment ne chercherait-il pas à asservir un pauvre fou digne de respect ? Oui, Renfield semblait parler très sérieusement, je le reconnais malgré ce que je sais de son cas. J’espère vraiment que nous avons fait ce qu’il y avait de mieux à faire. Mais tout ceci, venant au moment où nous entreprenons nos lugubres recherches, est propre à décourager un homme. Le professeur s’approcha de lui et, lui mettant la main sur l’épaule, le rassura : |
"I don't know but that I agree with you. If that man had been an ordinary lunatic I would have taken my chance of trusting him; but he seems so mixed up with the Count in an indexy kind of way that I am afraid of doing anything wrong by helping his fads. I can't forget how he prayed with almost equal fervour for a cat, and then tried to tear my throat out with his teeth. Besides, he called the Count 'lord and master,' and he may want to get out to help him in some diabolical way. That horrid thing has the wolves and the rats and his own kind to help him, so I suppose he isn't above trying to use a respectable lunatic. He certainly did seem earnest, though. I only hope we have done what is best. These things, in conjunction with the wild work we have in hand, help to unnerve a man." The Professor stepped over, and laying his hand on his shoulder, said in his grave, kindly way:— |
— Mon cher ami, n’ayez aucune crainte ! Nous nous efforçons, il est vrai, de faire notre devoir dans une affaire réellement effroyable, et nous ne pouvons agir que dans le sens qui nous paraît le meilleur ; mais il nous faut espérer en la miséricorde de Dieu. Lord Godalming, qui était sorti de la pièce quelques instants auparavant, rentra en tenant à la main un petit sifflet d’argent. |
"Friend John, have no fear. We are trying to do our duty in a very sad and terrible case; we can only do as we deem best. What else have we to hope for, except the pity of the good God?" Lord Godalming had slipped away for a few minutes, but now he returned. He held up a little silver whistle, as he remarked:— |
— Il se peut, nous expliqua-t-il, que la maison soit remplie de rats. Voici pour les chasser. Nous nous dirigeâmes donc vers la maison abandonnée, prenant soin de nous cacher sous les arbres de l’allée chaque fois que le clair de lune apparaissait entre deux nuages. Lorsque nous fûmes arrivés près de la porte, le professeur ouvrit son sac et en sortit toutes sortes d’objets qu’il posa sur le seuil en quatre petits tas séparés — chacun d’eux étant évidemment destiné à chacun de nous. |
"That old place may be full of rats, and if so, I've got an antidote on call." Having passed the wall, we took our way to the house, taking care to keep in the shadows of the trees on the lawn when the moonlight shone out. When we got to the porch the Professor opened his bag and took out a lot of things, which he laid on the step, sorting them into four little groups, evidently one for each. Then he spoke:— |
— Mes amis, dit-il, nous affrontons un grand danger et nous avons besoin d’armes de plusieurs genres. La menace que fait peser sur nous notre ennemi n’est pas seulement d’ordre spirituel. Souvenez-vous qu’il possède à lui seul une force comparable à celle de vingt hommes réunis. Et si un homme extraordinairement fort pouvait arriver à le tenir à sa merci, et à plus forte raison si plusieurs de ses adversaires, grâce à leur nombre, l’emportaient sur lui, jamais, en revanche, personne ne pourrait le blesser, alors qu’il peut, par ses blessures, nous faire le plus grand mal. Veillons donc à ce qu’il ne s’approche pas de nous. Placez ceci sur votre cœur — et il me tendit une petite croix d’argent, car je me trouvais à côté de lui -, passez-vous ces fleurs autour du cou — et il me donna une guirlande de fleurs d’ail séchées. Prenez aussi ce revolver et ce couteau : on ne sait jamais à quels autres ennemis on peut avoir affaire ; et, à tout hasard, cette petite lampe électrique que vous attacherez au revers de votre veston ; et surtout, par-dessus tout, ceci, que nous ne devrons pas profaner inutilement. Il tenait un morceau de l’Hostie sainte, qu’il glissa dans une enveloppe avant de me la donner. Chacun des autres reçut exactement les mêmes « armes ». — Et maintenant, John, mon ami, reprit le professeur, où sont les crochets ? Si nous parvenons à ouvrir la porte, nous n’aurons pas à entrer par la fenêtre comme des voleurs, ainsi que nous l’avons fait l’autre jour chez Miss Lucy. |
"My friends, we are going into a terrible danger, and we need arms of many kinds. Our enemy is not merely spiritual. Remember that he has the strength of twenty men, and that, though our necks or our windpipes are of the common kind—and therefore breakable or crushable—his are not amenable to mere strength. A stronger man, or a body of men more strong in all than him, can at certain times hold him; but they cannot hurt him as we can be hurt by him. We must, therefore, guard ourselves from his touch. Keep this near your heart"—as he spoke he lifted a little silver crucifix and held it out to me, I being nearest to him—"put these flowers round your neck"—here he handed to me a wreath of withered garlic blossoms—"for other enemies more mundane, this revolver and this knife; and for aid in all, these so small electric lamps, which you can fasten to your breast; and for all, and above all at the last, this, which we must not desecrate needless." This was a portion of Sacred Wafer, which he put in an envelope and handed to me. Each of the others was similarly equipped. "Now," he said, "friend John, where are the skeleton keys? If so that we can open the door, we need not break house by the window, as before at Miss Lucy's." |
Le Dr Seward essaya un ou deux crochets de serrurier, fort aidé en cela par son habileté de médecin. Bientôt, il trouva celui qui convenait, et le verrou rouillé finit par céder. Nous poussâmes la porte qui grinça d’un peu partout mais qui s’ouvrit lentement. Chose assez curieuse, cela me fit aussitôt penser au récit du Dr Seward concernant son entrée et celle de ses compagnons dans le caveau de Miss Westenra. Ces derniers eurent sans doute la même idée car, tous, ils reculèrent. Le professeur, le premier, se décida à faire un pas en avant et à entrer dans la maison. |
Dr. Seward tried one or two skeleton keys, his mechanical dexterity as a surgeon standing him in good stead. Presently he got one to suit; after a little play back and forward the bolt yielded, and, with a rusty clang, shot back. We pressed on the door, the rusty hinges creaked, and it slowly opened. It was startlingly like the image conveyed to me in Dr. Seward's diary of the opening of Miss Westenra's tomb; I fancy that the same idea seemed to strike the others, for with one accord they shrank back. The Professor was the first to move forward, and stepped into the open door. |
— In manus tuas, Domine ! s’écria-t-il en se signant comme il franchissait le seuil. Nous prîmes la précaution de refermer la porte derrière nous ; nous craignions, en effet, que nos lampes, une fois allumées, l’un ou l’autre passant n’eût son attention attirée par cette insolite clarté. Le professeur examina la serrure afin de s’assurer de la possibilité d’ouvrir la porte de l’intérieur, au cas où nous devrions fuir en toute hâte. Enfin, chacun alluma sa lampe et nos recherches commencèrent. |
"In manus tuas, Domine!" he said, crossing himself as he passed over the threshold. We closed the door behind us, lest when we should have lit our lamps we should possibly attract attention from the road. The Professor carefully tried the lock, lest we might not be able to open it from within should we be in a hurry making our exit. Then we all lit our lamps and proceeded on our search. |
La lumière des petites lampes faisait apparaître des objets aux formes bizarres, tandis que leurs rayons se croisaient ou se superposaient les uns aux autres ou que nos propres corps projetaient de grandes ombres. Il m’était impossible d’écarter le sentiment que nous n’étions pas seuls. Sans doute était-ce le souvenir des jours terribles que j’avais vécus en Transylvanie qui me dominait si impérieusement, à cause de ce lieu sinistre. Pourtant, je pense que nous éprouvions tous la même inquiétude, car je remarquai que mes compagnons, comme moi-même, se retournaient au moindre bruit, ou lorsqu’une ombre nouvelle se dessinait sur les murs. |
The light from the tiny lamps fell in all sorts of odd forms, as the rays crossed each other, or the opacity of our bodies threw great shadows. I could not for my life get away from the feeling that there was some one else amongst us. I suppose it was the recollection, so powerfully brought home to me by the grim surroundings, of that terrible experience in Transylvania. I think the feeling was common to us all, for I noticed that the others kept looking over their shoulders at every sound and every new shadow, just as I felt myself doing. |
Partout, la couche de poussière était épaisse. Sur le plancher, elle semblait haute de plusieurs pouces, excepté là où il y avait de récentes traces de pas ; en baissant ma lampe, je vis la marque de gros clous de semelles. Les murs aussi étaient couverts de poussière — on eût presque dit une sorte de duvet sale ; dans les coins pendaient d’énormes toiles d’araignées sur lesquelles la poussière, toujours la poussière, s’était amassée en sorte qu’elles ressemblaient à de vieux lambeaux d’étoffe déchirés, déchirés par le poids de toute cette crasse. Sur une table du corridor était posé un gros trousseau de clefs dont chacune portait une étiquette jaunie par le temps. On voyait qu’on s’en était servi à plusieurs reprises, car il y avait plusieurs petits sillons dans la couche de poussière qui recouvrait la table, semblables d’ailleurs à ceux qui apparurent lorsque le professeur prit le trousseau de clefs. Il se tourna vers moi et me dit : |
The whole place was thick with dust. The floor was seemingly inches deep, except where there were recent footsteps, in which on holding down my lamp I could see marks of hobnails where the dust was cracked. The walls were fluffy and heavy with dust, and in the corners were masses of spider's webs, whereon the dust had gathered till they looked like old tattered rags as the weight had torn them partly down. On a table in the hall was a great bunch of keys, with a time-yellowed label on each. They had been used several times, for on the table were several similar rents in the blanket of dust, similar to that exposed when the Professor lifted them. He turned to me and said:— |
— Vous connaissez cette maison, Jonathan. Vous en possédez les plans — ou tout au moins une copie — que vous avez sans doute étudiés attentivement. Par où gagne-t-on la chapelle ? Je croyais bien savoir où elle se trouvait, bien que, lors de ma première visite, je n’eusse pas pu y entrer. Je montrai donc le chemin à mes compagnons et, après avoir suivi quelques couloirs, nous arrivâmes devant une porte de chêne, basse et voûtée. — Nous y sommes ! dit le professeur qui, à la lueur je sa lampe, examinait une copie du plan qui m’avait servi au moment de l’achat de la maison. Après avoir essayé quelques clefs du trousseau, nous trouvâmes celle qui convenait, et nous ouvrîmes la porte. Dès cet instant, nous nous attendîmes à quelque chose de très désagréable, car, par l’entrebâillement, s’exhalait un air malodorant, et aucun de nous ne pensait respirer à l’intérieur une odeur qui fût à tel point nauséabonde. Excepté moi, personne de notre petit groupe n’avait encore approché le comte, et, pour ma part, lorsque je l’avais vu, ou bien il était dans ses appartements et en période de jeûne, ou bien bouffi de sang frais dans un bâtiment en ruine, presque à ciel ouvert. Mais l’endroit où nous étions parvenus était étroit et entièrement fermé — fermé depuis combien de temps ? -et l’air en était vicié. On y sentait la terre, et l’on avait, de plus, la sensation que des miasmes s’en dégageaient. Quant à l’odeur même, comment expliquer ce qu’elle était réellement ? Non seulement il y entrait, semblait-il, tous les maux capables de donner la mort et l’âcreté du sang, mais on eût dit que la corruption elle-même s’était corrompue. Y penser me rend encore malade ! Chaque expiration du monstre semblait être restée attachée aux pierres de cette chapelle ! |
"You know this place, Jonathan. You have copied maps of it, and you know it at least more than we do. Which is the way to the chapel?" I had an idea of its direction, though on my former visit I had not been able to get admission to it; so I led the way, and after a few wrong turnings found myself opposite a low, arched oaken door, ribbed with iron bands. "This is the spot," said the Professor as he turned his lamp on a small map of the house, copied from the file of my original correspondence regarding the purchase. With a little trouble we found the key on the bunch and opened the door. We were prepared for some unpleasantness, for as we were opening the door a faint, malodorous air seemed to exhale through the gaps, but none of us ever expected such an odour as we encountered. None of the others had met the Count at all at close quarters, and when I had seen him he was either in the fasting stage of his existence in his rooms or, when he was gloated with fresh blood, in a ruined building open to the air; but here the place was small and close, and the long disuse had made the air stagnant and foul. There was an earthy smell, as of some dry miasma, which came through the fouler air. But as to the odour itself, how shall I describe it? It was not alone that it was composed of all the ills of mortality and with the pungent, acrid smell of blood, but it seemed as though corruption had become itself corrupt. Faugh! it sickens me to think of it. Every breath exhaled by that monster seemed to have clung to the place and intensified its loathsomeness. |
En d’autres circonstances, cela eût suffi à mettre fin à notre entreprise. Mais le but que nous nous étions proposé était d’une telle importance, d’une telle gravité que nous nous sentions mus par une force qui nous élevait au-dessus de toute considération d’ordre simplement physique. Après un mouvement de recul involontaire mais certes naturel, chacun de nous se mit au travail comme si ce lieu répugnant avait été un parterre de roses. |
Under ordinary circumstances such a stench would have brought our enterprise to an end; but this was no ordinary case, and the high and terrible purpose in which we were involved gave us a strength which rose above merely physical considerations. After the involuntary shrinking consequent on the first nauseous whiff, we one and all set about our work as though that loathsome place were a garden of roses. |
— Avant tout, dit le professeur, il faut voir combien il reste de caisses. Nous allons examiner tous les trous, tous les recoins, et chercher quelque indice qui puisse nous apprendre où l’on a emporté les autres. Nous eûmes rapidement compté les caisses qui se trouvaient là, car, de fait, c’étaient des coffres énormes. Impossible de se tromper ! Des cinquante, il en restait seulement vingt-neuf ! À un moment donné, je tressaillis de peur, car, voyant Lord Godalming se retourner brusquement pour regarder par la porte restée entrouverte, ce qui se passait dans le couloir dont l’obscurité était complète, je regardai, moi aussi. Un instant, j’eus l’impression que mon cœur cessait de battre. Il m’avait semblé voir, se détachant dans l’ombre, les yeux flamboyants du comte, son nez aquilin, ses lèvres rouges, et la pâleur effrayante du reste de son visage. Rien qu’un instant, en vérité ; Lord Godalming murmura : « J’avais cru voir un visage, mais ce n’étaient que des ombres » et il reprit tout de suite ses recherches ; mais je dirigeai ma lampe vers la porte et retournai dans le couloir : je n’y vis absolument personne. Puisqu’il n’y avait là ni recoins, ni autres portes, ni ouverture d’aucune espèce, mais seulement les murs fort épais, je dus reconnaître qu’il n’existait pas de cachette — même pour lui. La peur m’avait rendu victime de mon imagination. Je ne dis rien à mes compagnons. |
We made an accurate examination of the place, the Professor saying as we began:— "The first thing is to see how many of the boxes are left; we must then examine every hole and corner and cranny and see if we cannot get some clue as to what has become of the rest." A glance was sufficient to show how many remained, for the great earth chests were bulky, and there was no mistaking them. There were only twenty-nine left out of the fifty! Once I got a fright, for, seeing Lord Godalming suddenly turn and look out of the vaulted door into the dark passage beyond, I looked too, and for an instant my heart stood still. Somewhere, looking out from the shadow, I seemed to see the high lights of the Count's evil face, the ridge of the nose, the red eyes, the red lips, the awful pallor. It was only for a moment, for, as Lord Godalming said, "I thought I saw a face, but it was only the shadows," and resumed his inquiry, I turned my lamp in the direction, and stepped into the passage. There was no sign of any one; and as there were no corners, no doors, no aperture of any kind, but only the solid walls of the passage, there could be no hiding-place even for him. I took it that fear had helped imagination and said nothing. |
Quelques minutes plus tard, Morris, qui était en train d’examiner un coin de la chapelle, s’en éloigna brusquement. Tous, nous le suivîmes des yeux ; sans aucun doute, la nervosité nous gagnait ; nous aperçûmes une masse phosphorescente, qui scintillait comme des étoiles. D’instinct, nous reculâmes ; et, bientôt, la chapelle fut remplie de rats. |
A few minutes later I saw Morris step suddenly back from a corner, which he was examining. We all followed his movements with our eyes, for undoubtedly some nervousness was growing on us, and we saw a whole mass of phosphorescence, which twinkled like stars. We all instinctively drew back. The whole place was becoming alive with rats. |
Nous restâmes, un moment, véritablement effrayés. Seul, Lord Godalming gardait son sang-froid et semblait s’être attendu à pareille chose. Se précipitant vers la lourde porte de chêne, il tourna la clef dans la serrure, fit glisser le verrou et ouvrit tout grands les battants. Puis, tirant de sa poche le petit sifflet d’argent, il siffla. À cet appel, les chiens qui se trouvaient derrière l’établissement du Dr Seward répondirent par des aboiements et, pas plus d’une minute plus tard, trois terriers tournèrent le coin de la maison. Inconsciemment, à nouveau, nous reculâmes, et c’est alors que je remarquai que la poussière, ici près de la porte, avait été foulée : les caisses qui manquaient, c’était donc par ici qu’on les avait emportées. Mais pendant la minute qui venait de s’écouler, d’autres rats étaient venus se joindre aux premiers, de sorte que nous avions devant nous un spectacle incroyable. Ils grouillaient dans toute la chapelle, si bien qu’à la lueur de nos lampes, éclairant leurs petits corps sombres en perpétuelle agitation et leurs vilains yeux brillants, l’intérieur de la chapelle ressemblait à une terrasse couverte de lucioles. Les chiens, se précipitant, allaient entrer, lorsque, sur le seuil, ils s’arrêtèrent soudain, grondèrent, puis, levant le museau tous en même temps, se mirent à hurler à la mort. Les rats arrivaient maintenant par milliers. Quant à nous, nous sortîmes, nous tenant près de la porte. |
For a moment or two we stood appalled, all save Lord Godalming, who was seemingly prepared for such an emergency. Rushing over to the great iron-bound oaken door, which Dr. Seward had described from the outside, and which I had seen myself, he turned the key in the lock, drew the huge bolts, and swung the door open. Then, taking his little silver whistle from his pocket, he blew a low, shrill call. It was answered from behind Dr. Seward's house by the yelping of dogs, and after about a minute three terriers came dashing round the corner of the house. Unconsciously we had all moved towards the door, and as we moved I noticed that the dust had been much disturbed: the boxes which had been taken out had been brought this way. But even in the minute that had elapsed the number of the rats had vastly increased. They seemed to swarm over the place all at once, till the lamplight, shining on their moving dark bodies and glittering, baleful eyes, made the place look like a bank of earth set with fireflies. The dogs dashed on, but at the threshold suddenly stopped and snarled, and then, simultaneously lifting their noses, began to howl in most lugubrious fashion. The rats were multiplying in thousands, and we moved out. |
Lord Godalming prit l’un des chiens dans ses bras et l’introduisit dans la chapelle. À l’instant où ses pattes touchèrent le plancher, le terrier parut reprendre courage et donna la chasse à ses adversaires naturels. Ceux-ci s’enfuirent si vite qu’il eut à peine le temps d’en tuer une vingtaine, et que les deux autres chiens, entrés de la même manière, cherchèrent en vain leur proie — à part quelques rats qu’ils purent encore attraper. |
Lord Godalming lifted one of the dogs, and carrying him in, placed him on the floor. The instant his feet touched the ground he seemed to recover his courage, and rushed at his natural enemies. They fled before him so fast that before he had shaken the life out of a score, the other dogs, who had by now been lifted in the same manner, had but small prey ere the whole mass had vanished. |
Les rats disparus, nous eûmes l’impression qu’une présence maligne s’était retirée ; les chiens couraient Çà et là, la queue frétillante, et aboyaient, cette fois joyeusement, tandis qu’ils jouaient de façon assez cruelle avec les cadavres de leurs victimes. Et nous aussi, nous nous sentions animés comme d’un nouveau courage. Était-ce que l’atmosphère empoisonnée s’était trouvée quelque peu purifiée une fois la porte de la chapelle ouverte, ou était-ce nous qui éprouvions semblable soulagement maintenant que nous n’étions plus enfermés, je ne sais ; mais assurément la menace qui pesait sur nous sembla nous quitter tel un vêtement dont on se débarrasse, et notre présence en ce lieu perdit un peu de son caractère sinistre, sans que pour autant notre détermination faiblît le moins du monde. Nous refermâmes la porte, à clef, au verrou et à la chaîne, et notre fouille de la maison commença. Nous n’y vîmes vraiment rien de particulier, sinon, partout de la poussière en quantité extraordinaire, et cette couche de poussière, dans toutes les pièces, était intacte, si l’on excepte la trace qu’y avaient imprimée mes pas lors de ma première visite. À aucun moment, les chiens ne manifestèrent la moindre inquiétude et même, lorsque nous revînmes dans la chapelle, ils allèrent d’un côté et de l’autre, l’air aussi ravi que s’ils avaient chassé le lapin en plein bois par une belle journée d’été. |
With their going it seemed as if some evil presence had departed, for the dogs frisked about and barked merrily as they made sudden darts at their prostrate foes, and turned them over and over and tossed them in the air with vicious shakes. We all seemed to find our spirits rise. Whether it was the purifying of the deadly atmosphere by the opening of the chapel door, or the relief which we experienced by finding ourselves in the open I know not; but most certainly the shadow of dread seemed to slip from us like a robe, and the occasion of our coming lost something of its grim significance, though we did not slacken a whit in our resolution. We closed the outer door and barred and locked it, and bringing the dogs with us, began our search of the house. We found nothing throughout except dust in extraordinary proportions, and all untouched save for my own footsteps when I had made my first visit. Never once did the dogs exhibit any symptom of uneasiness, and even when we returned to the chapel they frisked about as though they had been rabbit-hunting in a summer wood. |
Le jour commençait à poindre lorsque nous regagnâmes la porte d’entrée. La clef de cette porte, le Dr Van Helsing l’avait détachée du trousseau ; il referma convenablement la porte derrière lui et mit la clef dans sa poche. |
The morning was quickening in the east when we emerged from the front. Dr. Van Helsing had taken the key of the hall-door from the bunch, and locked the door in orthodox fashion, putting the key into his pocket when he had done. |
— Eh bien ! dit-il, nos recherches, cette nuit, se sont passées à merveille ! Nous n’avons pas dû faire face au danger que je redoutais, et cependant nous savons maintenant combien il manque de caisses. Mais ce dont je me réjouis le plus, c’est que ce premier pas — peut-être le plus difficile, le plus périlleux — nous l’avons accompli sans notre si chère madame Mina, alors que toutes ses heures de veille et de sommeil eussent désormais et à jamais été troublées si, comme nous, elle avait vu ce spectacle, entendu ces bruits, respiré ces odeurs ! De plus, ces recherches, si l’on peut toutefois conclure à partir d’un cas particulier, nous ont prouvé ceci : les affreuses bêtes qui sont aux ordres du comte n’obéissent pourtant pas à son pouvoir purement spirituel, car, voyez, ces rats qui arrivent en grand nombre dès qu’il les appelle — comme du haut de son château il appelait les loups quand vous vouliez partir, Jonathan -, ces rats se sont enfuis dans la plus grande confusion à la seule vue de chiens aussi petits que des terriers ! Nous ne sommes qu’au début de nos nouvelles épreuves, il est vrai ; ce monstre… ce n’est assurément pas la seule et dernière fois, cette nuit, qu’il a exercé son pouvoir sur le monde animal. Il n’a fait que disparaître momentanément ; au moins, nous a-t-il déjà donné l’occasion de crier « échec ! » dans cette terrible partie dont l’enjeu n’est rien moins que des âmes humaines. Et maintenant, rentrons. Il va faire jour, et nous pouvons être satisfaits de notre première nuit de travail. |
"So far," he said, "our night has been eminently successful. No harm has come to us such as I feared might be and yet we have ascertained how many boxes are missing. More than all do I rejoice that this, our first—and perhaps our most difficult and dangerous—step has been accomplished without the bringing thereinto our most sweet Madam Mina or troubling her waking or sleeping thoughts with sights and sounds and smells of horror which she might never forget. One lesson, too, we have learned, if it be allowable to argue a particulari that the brute beasts which are to the Count's command are yet themselves not amenable to his spiritual power; for look, these rats that would come to his call, just as from his castle top he summon the wolves to your going and to that poor mother's cry, though they come to him, they run pell-mell from the so little dogs of my friend Arthur. We have other matters before us, other dangers, other fears; and that monster—he has not used his power over the brute world for the only or the last time to-night. So be it that he has gone elsewhere. Good! It has given us opportunity to cry 'check' in some ways in this chess game, which we play for the stake of human souls. And now let us go home. The dawn is close at hand, and we have reason to be content with our first night's work. It may be ordained that we have many nights and days to follow, if full of peril; but we must go on, and from no danger shall we shrink." |
Quand nous rentrâmes, on n’entendait rien dans l’établissement endormi, sinon les cris de quelque malheureux dans une salle au bout du couloir, et des gémissements venant de la chambre de Renfield. Sans doute le pauvre homme se torturait inutilement l’esprit, ce qui est fréquent chez ceux qui souffrent de troubles mentaux. Je suis entré dans notre chambre sur la pointe des pieds ; Mina dormait, respirant si lentement que je dus me pencher sur elle pour entendre son souffle. Elle est plus pâle que d’habitude. Pourvu que la réunion d’hier soir ne l’ait pas trop bouleversée ! Je suis si heureux de savoir qu’elle ne participera plus à nos recherches, ni même à nos délibérations ! À entendre certaines choses, elle pourrait s’effrayer ; et, pourtant, les lui cacher pourrait lui faire encore plus de mal si jamais elle nous soupçonne de vouloir lui taire ceci ou cela. À l’avenir, il faut donc qu’elle ne se doute nullement de nos diverses décisions, qu’elle ne sache absolument rien de notre travail — au moins jusqu’au moment où nous serons à même de lui annoncer que la terre est définitivement débarrassée d’un monstre redoutable. J’avoue qu’il me sera difficile de garder le silence, alors que nous avions l’habitude de nous confier entièrement l’un à l’autre ; mais je tiendrai bon et, quand elle se réveillera, je ne lui dirai rien de ce que nous avons vu cette nuit ; si elle me questionne à ce sujet, je refuserai de lui répondre. Je vais m’étendre sur le sofa, afin de ne pas la déranger dans son sommeil. |
The house was silent when we got back, save for some poor creature who was screaming away in one of the distant wards, and a low, moaning sound from Renfield's room. The poor wretch was doubtless torturing himself, after the manner of the insane, with needless thoughts of pain. I came tiptoe into our own room, and found Mina asleep, breathing so softly that I had to put my ear down to hear it. She looks paler than usual. I hope the meeting to-night has not upset her. I am truly thankful that she is to be left out of our future work, and even of our deliberations. It is too great a strain for a woman to bear. I did not think so at first, but I know better now. Therefore I am glad that it is settled. There may be things which would frighten her to hear; and yet to conceal them from her might be worse than to tell her if once she suspected that there was any concealment. Henceforth our work is to be a sealed book to her, till at least such time as we can tell her that all is finished, and the earth free from a monster of the nether world. I daresay it will be difficult to begin to keep silence after such confidence as ours; but I must be resolute, and to-morrow I shall keep dark over tonight's doings, and shall refuse to speak of anything that has happened. I rest on the sofa, so as not to disturb her. |
1er octobre, plus tard Sans doute était-il normal que nous dormions tous jusqu’à une heure avancée de la matinée, car la journée précédente avait été fort fatigante et, la nuit, nous n’avions pas eu un moment de repos. Mina elle-même devait se sentir éreintée car, malgré l’heure tardive, c’est moi qui, éveillé le premier, dus l’appeler deux ou trois fois avant qu’elle ne s’éveille à son tour. Elle était si profondément endormie que lorsqu’elle ouvrit les yeux elle resta quelque secondes sans me reconnaître : elle me regardait, l’air tout à la fois interdit et effrayé, comme quelqu’un qui sort d’un cauchemar. Comme elle se plaignait d’être fatiguée, je lui conseillai de rester encore un peu au lit… Nous savons donc maintenant que vingt et une caisses ont disparu ; si on est venu chercher certaines d’entre elles, il sera assez facile de les retrouver. Évidemment, cela simplifierait de beaucoup notre travail, et plus tôt nous les aurons retrouvées, mieux ce sera. J’irai voir aujourd’hui Thomas Snelling. |
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Il était près de midi lorsque je m’éveillai ; le professeur marchait dans ma chambre. Son entrain était visible — un entrain qui ne lui est pas coutumier. Sans aucun doute, ce que nous avions découvert la nuit lui avait ôté de l’esprit un grand souci. Il commença par me parler un peu de cette aventure, puis il me déclara : |
Dr. Seward's Diary.
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— Votre malade m’intéresse beaucoup. Pourrais-je encore aller le voir aujourd’hui avec vous ? Ou, si vous êtes trop occupé, peut-être me laisserez-vous aller le voir seul ? L’expérience est neuve pour moi, de rencontrer un fou qui parle philosophie et raisonne avec justesse. En effet, j’avais à travailler. Je le priai donc de bien vouloir se rendre seul chez Renfield : je ne le ferais pas attendre. J’appelai un surveillant à qui je donnai les instructions nécessaires, et le professeur l’accompagna ; avant qu’il ne fût sorti de ma chambre, toutefois, je le mis en garde. — Mais, me répondit-il, je veux lui parler de lui-même et de sa manie qui le poussait à manger des êtres vivants. J’ai lu hier dans votre journal qu’il en avait entretenu madame Mina. Pourquoi souriez-vous, mon cher John ? |
"Your patient interests me much. May it be that with you I visit him this morning? Or if that you are too occupy, I can go alone if it may be. It is a new experience to me to find a lunatic who talk philosophy, and reason so sound." I had some work to do which pressed, so I told him that if he would go alone I would be glad, as then I should not have to keep him waiting; so I called an attendant and gave him the necessary instructions. Before the Professor left the room I cautioned him against getting any false impression from my patient. "But," he answered, "I want him to talk of himself and of his delusion as to consuming live things. He said to Madam Mina, as I see in your diary of yesterday, that he had once had such a belief. Why do you smile, friend John?" |
— Excusez-moi, mais la réponse à votre question se trouve ici même, dis-je en posant la main sur les feuilles dactylographiées. Lorsque notre fou raisonnable et cultivé a parlé de l’habitude qu’il avait naguère de manger des êtres vivants, en réalité, sa bouche était encore souillée par les araignées et les mouches qu’il venait de manger juste avant que Mrs Harker n’entrât dans sa chambre. Van Helsing sourit à son tour. — Vous avez bonne mémoire, mon ami ! J’aurais dû me souvenir de ce détail, moi aussi. Et cependant, ce sont de semblables failles dans la pensée et la mémoire qui rendent si fascinante l’étude des maladies mentales. Peut-être apprendrai-je davantage au sujet de la folie par ce dément que je n’en apprendrais des enseignements du plus sage des hommes. Qui sait ? Sur ce, j’allai dans mon bureau et me mis au travail. Le temps m’avait paru fort court, et pourtant déjà Van Helsing entrouvrait ma porte et me demandait : — Je vous dérange ? |
"Excuse me," I said, "but the answer is here." I laid my hand on the typewritten matter. "When our sane and learned lunatic made that very statement of how he used to consume life, his mouth was actually nauseous with the flies and spiders which he had eaten just before Mrs. Harker entered the room." Van Helsing smiled in turn. "Good!" he said. "Your memory is true, friend John. I should have remembered. And yet it is this very obliquity of thought and memory which makes mental disease such a fascinating study. Perhaps I may gain more knowledge out of the folly of this madman than I shall from the teaching of the most wise. Who knows?" I went on with my work, and before long was through that in hand. It seemed that the time had been very short indeed, but there was Van Helsing back in the study. "Do I interrupt?" he asked politely as he stood at the door. |
— Pas du tout, répondis-je. Entrez ! J’ai terminé ce que j’avais à faire, et maintenant je puis vous accompagner si vous le désirez. |
"Not at all," I answered. "Come in. My work is finished, and I am free. I can go with you now, if you like." |
— Inutile ! Je l’ai vu. |
"It is needless; I have seen him!" |
— Eh bien ? |
"Well?" |
— Je crains qu’il n’ait pas une très bonne opinion de moi. Notre entretien a été bref. Quand je suis entré dans sa chambre, il était assis au milieu de la pièce, sur un tabouret, les coudes sur les genoux, le menton dans les mains et un sombre mécontentement peint sur le visage. Je m’adressai à lui d’un ton aussi gai mais en même temps aussi déférent que possible. Il ne me répondit pas. « Ne me reconnaissez-vous pas ? » fis-je. Sa réplique ne fut pas des plus rassurantes. « Si je vous reconnais ! Vous êtes ce vieux niais de Van Helsing ! Je voudrais que vous alliez vous promener ailleurs, vous et votre étude idiote sur le cerveau ! Au diable, les Hollandais imbéciles ! » Il ne dit pas un mot de plus, et il reprit son attitude morose, ignorant parfaitement ma présence. L’occasion m’a donc échappé d’apprendre quelque chose de la bouche de ce fou si intelligent. Pour me consoler, je vais aller un peu bavarder avec la douce madame Mina. Mon cher John comment vous dire ma joie de la savoir à l’abri des souffrances et des dangers qui nous attendent encore ? Son aide nous manquera sans doute, mais il vaut mieux agir de la sorte. |
"I fear that he does not appraise me at much. Our interview was short. When I entered his room he was sitting on a stool in the centre, with his elbows on his knees, and his face was the picture of sullen discontent. I spoke to him as cheerfully as I could, and with such a measure of respect as I could assume. He made no reply whatever. 'Don't you know me?' I asked. His answer was not reassuring: 'I know you well enough; you are the old fool Van Helsing. I wish you would take yourself and your idiotic brain theories somewhere else. Damn all thick-headed Dutchmen!' Not a word more would he say, but sat in his implacable sullenness as indifferent to me as though I had not been in the room at all. Thus departed for the time my chance of much learning from this so clever lunatic; so I shall go, if I may, and cheer myself with a few happy words with that sweet soul Madam Mina. Friend John, it does rejoice me unspeakable that she is no more to be pained, no more to be worried with our terrible things. Though we shall much miss her help, it is better so." |
— Je suis entièrement d’accord avec vous, dis-je Il est préférable que Mrs Harker ne soit plus mêlée à tout ceci. La situation est déjà très périlleuse pour nous — des hommes qui pourtant avons connu maintes périodes difficiles au cours de notre existence. Si cette jeune femme avait continué à travailler avec nous, sa santé, finalement, aurait pu en être ruinée. |
"I agree with you with all my heart," I answered earnestly, for I did not want him to weaken in this matter. "Mrs. Harker is better out of it. Things are quite bad enough for us, all men of the world, and who have been in many tight places in our time; but it is no place for a woman, and if she had remained in touch with the affair, it would in time infallibly have wrecked her." |
Van Helsing m’a donc quitté pour rejoindre Mr Harker et Mrs Harker ; Quincey et Art sont allés à la recherche des caisses contenant la terre — ou, tout au moins, de leur piste. Nous devons nous réunir ce soir |
So Van Helsing has gone to confer with Mrs. Harker and Harker; Quincey and Art are all out following up the clues as to the earth-boxes. I shall finish my round of work and we shall meet to-night. |
C’est une impression assez étrange pour moi que d’être tenue dans l’ignorance de tout comme je le suis aujourd’hui. Pendant tant d’années, Jonathan m’a témoigné une telle confiance, et il m’a fallu le voir aujourd’hui éviter certains sujets de conversation — les plus importants de tous ! Ce matin, j’ai dormi tard, car la journée d’hier m’avait fort fatiguée ; Jonathan aussi ne s’est réveillé que peu avant midi… mais il fut le premier à se réveiller ! Avant de sortir, il m’a parlé plus doucement, plus tendrement que jamais, mais il n’a pas dit un seul mot de leur visite à la maison du comte. Et pourtant il devait savoir combien j’étais anxieuse à ce sujet. Pauvre chéri ! Ce silence qu’il gardait, sans doute était-il encore plus douloureux pour lui que pour moi. Tous, ils sont d’accord pour que je ne participe plus à cette affaire effroyable, et j’ai acquiescé. Mais penser que mon mari a des secrets pour moi ! Et voilà que je pleure comme une petite sotte alors que je sais que c’est son grand amour pour moi qui l’oblige à se taire, et que les autres également, ces amis si généreux, ne cherchent qu’à assurer mon repos et ma sécurité ! |
Mina Harker's Journal.
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Les larmes m’ont soulagée. Et puis, je me dis qu’un jour Jonathan me racontera tout. De peur qu’il ne pense jamais, ne fût-ce qu’un instant, que je lui cache la moindre chose, je tiendrai mon journal comme d’habitude. Et s’il a douté de ma confiance, je le lui ferai lire — ses yeux si chers liront chacune de mes pensées. Aujourd’hui, je ne sais pourquoi, je me sens triste et découragée. Je suppose que c’est le contrecoup de toutes ces émotions. |
That has done me good. Well, some day Jonathan will tell me all; and lest it should ever be that he should think for a moment that I kept anything from him, I still keep my journal as usual. Then if he has feared of my trust I shall show it to him, with every thought of my heart put down for his dear eyes to read. I feel strangely sad and low-spirited to-day. I suppose it is the reaction from the terrible excitement. |
Hier soir, je me suis mise au lit dès que Jonathan et les autres furent sortis, simplement parce qu’ils me l’avaient conseillé ; je n’avais pas sommeil — et j’étais terriblement inquiète. Je pensais à tout ce qui s’était passé depuis le jour où Jonathan était venu me voir pour la première fois à Londres ; tout cela ressemble à une horrible tragédie où le destin avance inexorablement vers son but. Chacune de nos actions, même si nous l’avons accomplie dans l’intention la meilleure, semble avoir eu les conséquences les plus déplorables. Si je n’étais pas allée à Whitby, peut-être la pauvre chère Lucy serait-elle encore avec nous. Avant mon arrivée, elle ne montait jamais au cimetière et, si elle n’y était pas venue avec moi dans la journée, elle n’y serait pas retournée la nuit dans une crise de somnambulisme et, donc, ce monstre n’aurait pas pu lui faire tout le mal qu’il lui a fait. Oh ! Pourquoi suis-je allée à Whitby ? Bon… voilà que je me remets à pleurer… Je me demande ce qui m’arrive aujourd’hui. Jonathan ne doit pas savoir que j’ai pleuré deux fois déjà ce matin — moi qui ne me suis jamais attendrie sur mon sort, et qui n’ai jamais versé une larme à cause de mon chéri ! S’il s’en apercevait, il se tourmenterait trop. Si même je me sens triste à un moment où nous sommes ensemble, je n’en laisserai rien paraître. Je pense que c’est là l’une des choses que nous avons à apprendre, nous, les femmes… |
Last night I went to bed when the men had gone, simply because they told me to. I didn't feel sleepy, and I did feel full of devouring anxiety. I kept thinking over everything that has been ever since Jonathan came to see me in London, and it all seems like a horrible tragedy, with fate pressing on relentlessly to some destined end. Everything that one does seems, no matter how right it may be, to bring on the very thing which is most to be deplored. If I hadn't gone to Whitby, perhaps poor dear Lucy would be with us now. She hadn't taken to visiting the churchyard till I came, and if she hadn't come there in the day-time with me she wouldn't have walked there in her sleep; and if she hadn't gone there at night and asleep, that monster couldn't have destroyed her as he did. Oh, why did I ever go to Whitby? There now, crying again! I wonder what has come over me to-day. I must hide it from Jonathan, for it he knew that I had been crying twice in one morning—I, who never cried on my own account, and whom he has never caused to shed a tear—the dear fellow would fret his heart out. I shall put a bold face on, and if I do feel weepy, he shall never see it. I suppose it is one of the lessons that we poor women have to learn. . . . |
Je ne sais pas très bien à quel moment je me suis endormie hier soir. Je me souviens d’avoir entendu soudain les aboiements des chiens ainsi que mille petits cris étranges, qui venaient de la chambre de Mr Renfield, laquelle se trouve sous la mienne. Puis, il se fit partout un silence si profond que j’en éprouvai quelque inquiétude, et je me levai pour aller regarder par la fenêtre. L’obscurité ajoutée à ce lourd silence semblait donner à la nuit un mystère qu’accentuaient encore les ombres projetées dans le clair de lune. Rien ne bougeait ; tout était lugubre et immobile comme la mort ou le Destin, si bien que lorsqu’une bande de brouillard blanc se déplaça à partir du gazon, avec une lenteur qui la rendait presque imperceptible, vers la maison, on eût dit qu’elle seule vivait. Cette sorte de digression dans mes pensées, me fit sans doute du bien, car lorsque je me remis au lit, je sentis que je m’assoupissais peu à peu. Je restai étendue, très calme. Cependant, je ne parvenais pas à m’endormir tout à fait, je me relevai, allai de nouveau regarder par la fenêtre. Le brouillard s’étendait et maintenant touchait presque la maison : je le voyais, épais, contre le mur, comme s’il allait monter jusqu’aux bords des fenêtres. Le pauvre Renfield hurlait à présent, et sans saisir pourtant un mot de ce qu’il disait, à son ton, je devinais qu’il lançait des supplications passionnées. Puis j’eus l’impression qu’on se battait ; le surveillant, je m’en rendis compte, venait d’entrer dans sa chambre et ils en étaient venus aux mains. Je fus si effrayée que je retournai me glisser dans mon lit, me couvris la tête de mes couvertures, et me bouchai les oreilles. À ce moment-là, je n’avais plus du tout sommeil, du moins je le croyais. Pourtant, j’ai dû m’endormir peu après, car, à part certains rêves, je ne me rappelle rien de ce qui s’est passé jusqu’au matin, lorsque Jonathan m’a éveillée. Il m’a fallu un moment et un certain effort, je crois, pour comprendre où je me trouvais et que c’était Jonathan qui se penchait sur moi. Quant à mon rêve, il était singulier, et il montre bien comment nos pensées conscientes se prolongent dans nos rêves ou s’y mêlent confusément. Ce rêve, le voici ! |
I can't quite remember how I fell asleep last night. I remember hearing the sudden barking of the dogs and a lot of queer sounds, like praying on a very tumultuous scale, from Mr. Renfield's room, which is somewhere under this. And then there was silence over everything, silence so profound that it startled me, and I got up and looked out of the window. All was dark and silent, the black shadows thrown by the moonlight seeming full of a silent mystery of their own. Not a thing seemed to be stirring, but all to be grim and fixed as death or fate; so that a thin streak of white mist, that crept with almost imperceptible slowness across the grass towards the house, seemed to have a sentience and a vitality of its own. I think that the digression of my thoughts must have done me good, for when I got back to bed I found a lethargy creeping over me. I lay a while, but could not quite sleep, so I got out and looked out of the window again. The mist was spreading, and was now close up to the house, so that I could see it lying thick against the wall, as though it were stealing up to the windows. The poor man was more loud than ever, and though I could not distinguish a word he said, I could in some way recognise in his tones some passionate entreaty on his part. Then there was the sound of a struggle, and I knew that the attendants were dealing with him. I was so frightened that I crept into bed, and pulled the clothes over my head, putting my fingers in my ears. I was not then a bit sleepy, at least so I thought; but I must have fallen asleep, for, except dreams, I do not remember anything until the morning, when Jonathan woke me. I think that it took me an effort and a little time to realise where I was, and that it was Jonathan who was bending over me. My dream was very peculiar, and was almost typical of the way that waking thoughts become merged in, or continued in, dreams. |
J’étais endormie et j’attendais le retour de Jonathan. Terriblement anxieuse à son sujet, il m’était pourtant impossible de me lever et d’agir comme je l’aurais voulu : mes pieds, mes mains, mon cerveau étaient immobilisés sous un poids très lourd. Dans mon sommeil, je me sentais mal à mon aise, et je ne pouvais pas m’empêcher de penser. Alors j’eus la sensation que l’air était lourd, humide et froid tout ensemble. Je rejetai les couvertures, et je m’aperçus avec surprise que la chambre était plongée dans l’obscurité. La lumière du gaz que j’avais simplement baissée afin que Jonathan, en rentrant, y vît clair, n’était plus qu’une petite lueur rouge, à peine visible dans le brouillard qui, de plus en plus épais, entrait dans la pièce. Je me souvins que j’avais pourtant fermé la fenêtre avant de me remettre au lit ; je voulus m’en assurer, mais un engourdissement semblait enchaîner mes bras, mes jambes, et même ma volonté. J’attendis : qu’aurais-je pu faire d’autre ? Et je fermai les yeux, mais je voyais à travers mes paupières. (Les rêves ont de ces fréquentes bizarreries.) Le brouillard s’épaississait toujours, et je voyais maintenant de quelle manière il entrait — comme de la fumée ou plutôt comme la vapeur de l’eau en ébullition — non pas par la fenêtre, mais par les fentes de la porte. Bientôt on eût dit une colonne de nuages s’élevant au milieu de la chambre, et au sommet de laquelle la lumière de la lampe brillait tel un petit œil rouge. Tout se mit à tourner dans mon cerveau, à mesure que la colonne de brouillard s’amassait dans la chambre et, à travers ce brouillard, je voyais les mots de l’Écriture : Colonne de nuages le jour, de feu la nuit. Était-ce une sorte d’avertissement que l’on me donnait dans mon sommeil ? Mais la colonne était composée de l’élément du jour et de l’élément de la nuit, car c’était bien le feu qui brillait dans l’œil rouge et, à cette idée, je le trouvai de plus en plus fascinant ; jusqu’au moment où, tandis que je le regardais toujours, le feu se divisa et, à travers le brouillard, sembla briller au-dessus de moi, pareil à deux yeux rouges, tels ceux dont Lucy m’avait parlé dans son égarement passager quand, sur la falaise de Whitby, les rayons du soleil couchant frappaient les vitraux de St Mary’s Church. Soudain, je frémis d’horreur en me disant que c’était ainsi que Jonathan avait vu ces trois créatures infernales se détacher des rayons de la lune où tourbillonnait la poussière et prendre peu à peu la forme de femmes ; puis je dus m’évanouir tout en rêvant, car il n’y eut plus autour de moi que des ténèbres. |
I thought that I was asleep, and waiting for Jonathan to come back. I was very anxious about him, and I was powerless to act; my feet, and my hands, and my brain were weighted, so that nothing could proceed at the usual pace. And so I slept uneasily and thought. Then it began to dawn upon me that the air was heavy, and dank, and cold. I put back the clothes from my face, and found, to my surprise, that all was dim around. The gaslight which I had left lit for Jonathan, but turned down, came only like a tiny red spark through the fog, which had evidently grown thicker and poured into the room. Then it occurred to me that I had shut the window before I had come to bed. I would have got out to make certain on the point, but some leaden lethargy seemed to chain my limbs and even my will. I lay still and endured; that was all. I closed my eyes, but could still see through my eyelids. (It is wonderful what tricks our dreams play us, and how conveniently we can imagine.) The mist grew thicker and thicker and I could see now how it came in, for I could see it like smoke—or with the white energy of boiling water—pouring in, not through the window, but through the joinings of the door. It got thicker and thicker, till it seemed as if it became concentrated into a sort of pillar of cloud in the room, through the top of which I could see the light of the gas shining like a red eye. Things began to whirl through my brain just as the cloudy column was now whirling in the room, and through it all came the scriptural words "a pillar of cloud by day and of fire by night." Was it indeed some such spiritual guidance that was coming to me in my sleep? But the pillar was composed of both the day and the night-guiding, for the fire was in the red eye, which at the thought got a new fascination for me; till, as I looked, the fire divided, and seemed to shine on me through the fog like two red eyes, such as Lucy told me of in her momentary mental wandering when, on the cliff, the dying sunlight struck the windows of St. Mary's Church. Suddenly the horror burst upon me that it was thus that Jonathan had seen those awful women growing into reality through the whirling mist in the moonlight, and in my dream I must have fainted, for all became black darkness. |
Dans un dernier effort conscient de mon imagination, j’aperçus un visage livide qui, sortant du brouillard, se penchait sur moi. |
The last conscious effort which imagination made was to show me a livid white face bending over me out of the mist. |
Je dois me méfier de rêves semblables car, s’ils se reproduisaient souvent, ils deviendraient dangereux pour ma raison. Je voudrais demander au Dr Van Helsing ou au Dr Seward quelque chose qui me fasse dormir ; seulement, je crains qu’ils ne s’alarment. Si je leur racontais mon rêve en ce moment, ils n’en seraient que plus inquiets à mon sujet. Cette nuit, j’essayerai de dormir naturellement. Si je n’y parviens pas, demain soir je leur demanderai un soporifique. En prendre une seule fois ne me sera pas nuisible, et j’aurai une nuit de bon sommeil ; celle que je viens de passer m’a plus fatiguée que si je n’avais pas dormi du tout. |
I must be careful of such dreams, for they would unseat one's reason if there were too much of them. I would get Dr. Van Helsing or Dr. Seward to prescribe something for me which would make me sleep, only that I fear to alarm them. Such a dream at the present time would become woven into their fears for me. To-night I shall strive hard to sleep naturally. If I do not, I shall to-morrow night get them to give me a dose of chloral; that cannot hurt me for once, and it will give me a good night's sleep. Last night tired me more than if I had not slept at all. |
La nuit dernière, j’ai dormi, dormi sans rêver, et profondément sans doute car Jonathan ne m’a pas réveillée en se mettant au lit ; pourtant le sommeil ne m’a pas reposée ; aujourd’hui encore je me suis sentie fort faible et découragée. Hier, j’ai passé toute la journée à essayer de lire… ou à somnoler. Dans l’après-midi, Mr Renfield a demandé à me voir. Le pauvre homme a été très aimable et, au moment où j’allais le quitter, il m’a baisé la main tout en priant Dieu de me bénir. Cela m’a beaucoup touchée ; je pleure quand je pense à cet homme. Nouvelle faiblesse que je dois cacher. Jonathan serait trop malheureux s’il savait que j’ai pleuré. Lui et les autres ne sont rentrés qu’à l’heure du dîner, très fatigués. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour les revigorer, et je suppose que cet effort m’a réconfortée moi-même, car j’ai, peu à peu, oublié ma fatigue. Après le dîner, ils m’ont conseillé de me mettre au lit ; quant à eux, ils sortaient, le temps de fumer une cigarette, m’ont-ils dit, mais je savais très bien qu’ils voulaient parler de ce que la journée leur avait appris à chacun. À voir Jonathan, je devinais qu’il avait découvert quelque chose d’important. Je sentais que je ne m’endormirais pas facilement, et j’ai prié le Dr Seward de me donner un léger soporifique car, lui expliquai-je, je n’avais pas bien dormi la nuit précédente. Il m’en a préparé un, très léger, et m’a assuré qu’il était inoffensif… Je l’ai pris, mais j’attends toujours le sommeil… Ou plutôt si, je vais m’endormir, je le sens… Mais voilà que j’éprouve une nouvelle crainte : n’ai-je pas eu tort de prendre ce soporifique ? Il aurait peut-être beaucoup mieux valu rester éveillée toute la nuit ! Trop tard… Je m’endors… Bonsoir ! |
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