Dracula |
Dracula |
de Bram Stoker |
by Bram Stoker |
traduction de Ève et Lucie Paul-Margueritte
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1897 |
Chapitre XXVI |
Chapter XXVI |
Journal du Dr Seward |
Dr. Seward's Diary |
29 octobre J’écris ceci dans le train entre Varna et Galatz. Hier soir, nous nous sommes réunis peu avant le coucher du soleil. Chacun de nous a de son mieux accompli sa tâche. Si la réflexion, l’audace, l’occasion nous servent, nous sommes prêts et pour le voyage qui doit nous mener jusqu’au château même de Dracula et pour la tâche qui nous attend à Galatz. À l’heure habituelle, Mrs Harker se prépara à son effort hypnotique ; Van Helsing mit plus de temps et eut plus de peine cette fois à la faire entrer en transe. Elle se met généralement à parler dès le premier signe ; mais le professeur dut l’interroger, et de la façon la plus précise, avant d’apprendre quoi que ce fût. La réponse vint enfin : |
29 October.—This is written in the train from Varna to Galatz. Last night we all assembled a little before the time of sunset. Each of us had done his work as well as he could; so far as thought, and endeavour, and opportunity go, we are prepared for the whole of our journey, and for our work when we get to Galatz. When the usual time came round Mrs. Harker prepared herself for her hypnotic effort; and after a longer and more serious effort on the part of Van Helsing than has been usually necessary, she sank into the trance. Usually she speaks on a hint; but this time the Professor had to ask her questions, and to ask them pretty resolutely, before we could learn anything; at last her answer came:— |
— Je ne distingue rien. Nous sommes immobiles. Il n’y a pas de clapotis, mais un remous continuel et doux de l’eau contre l’amarre. J’entends des voix d’hommes qui appellent, de près, de loin, ainsi que le glissement, le grincement des rames sur les tolets. On tire quelque part un coup de feu ; l’écho semble venir de très loin. Des pas résonnent sur ma tête ; on traîne des cordes, des chaînes. Qu’est-ce donc ? Voilà un rayon de lumière. Je sens sur moi un souffle de vent. |
"I can see nothing; we are still; there are no waves lapping, but only a steady swirl of water softly running against the hawser. I can hear men's voices calling, near and far, and the roll and creak of oars in the rowlocks. A gun is fired somewhere; the echo of it seems far away. There is tramping of feet overhead, and ropes and chains are dragged along. What is this? There is a gleam of light; I can feel the air blowing upon me." |
Elle n’en dit pas plus. Elle s’était redressée, comme si on la poussait, du sofa où elle était étendue, et levait ses deux mains, les paumes tournées vers le haut, comme pour soutenir un fardeau. Van Helsing et moi, nous nous regardâmes, car nous comprenions. Quincey levait également les sourcils en la regardant fixement, tandis que la main de Harker se crispait instinctivement sur la soignée de son kukri. Il y eut une longue pause. Nous savions tous que le temps s’écoulait où elle aurait pu nous parler, mais nous sentions qu’il était inutile de dire quoi que ce fût. Elle se leva brusquement, ouvrit les yeux, et demanda doucement : — Aucun de vous ne veut une tasse de thé ? Vous devez être si fatigués ! Nous ne pouvions que lui faire plaisir, et nous acceptâmes. Elle s’affaira pour se procurer du thé. Van Helsing dit quand elle fut sortie : |
Here she stopped. She had risen, as if impulsively, from where she lay on the sofa, and raised both her hands, palms upwards, as if lifting a weight. Van Helsing and I looked at each other with understanding. Quincey raised his eyebrows slightly and looked at her intently, whilst Harker's hand instinctively closed round the hilt of his Kukri. There was a long pause. We all knew that the time when she could speak was passing; but we felt that it was useless to say anything. Suddenly she sat up, and, as she opened her eyes, said sweetly:— "Would none of you like a cup of tea? You must all be so tired!" We could only make her happy, and so acquiesced. She bustled off to get tea; when she had gone Van Helsing said:— |
— Mes amis, vous avez compris, il est près d’une côte. Il a quitté son coffre de terre. Mais il lui faut gagner le rivage. Pendant la nuit, il peut se cacher n’importe où. Mais s’il n’est pas transporté à la côte ou si le bateau ne la touche pas, il ne pourra pas l’atteindre. Dans une telle circonstance, il peut, la nuit, changer de forme, sauter ou voler vers le rivage, comme il l’a fait à Whitby. Mais si le jour vient avant qu’il ait accosté, il n’échappera que s’il est transporté. Et s’il l’est, les douaniers peuvent découvrir ce que contient la caisse. En conclusion, s’il n’arrive pas à gagner la terre cette nuit, ou avant l’aube, un jour entier est perdu pour lui et nous pouvons alors arriver à temps. Car s’il ne s’échappe pas pendant la nuit, nous l’approcherons en plein jour, enfermé dans son coffre et à notre merci. Il n’ose pas se révéler sous sa nature véritable, éveillé, visible, de peur d’être découvert. |
"You see, my friends. He is close to land: he has left his earth-chest. But he has yet to get on shore. In the night he may lie hidden somewhere; but if he be not carried on shore or if the ship do not touch it, he cannot achieve the land. In such case he can, if it be the night, change his form and can jump or fly on shore, as he did at Whitby. But if the day come before he get on shore, then unless he be carried he cannot escape. And if he be carried, then the customs men may discover what the box contain. Thus, in fine, if he escape not on shore to-night, or before dawn, there will be the whole day lost to him we may then arrive in time; for if he escape not at night we shall come on him in daytime, boxed up and at our mercy, for he dare not be his true self, awake and visible, lest he be discovered." |
Il n’y avait rien à ajouter. Nous attendîmes donc patiemment, jusqu’à l’aube, le moment où Mrs Harker pourrait nous apprendre quelque chose. |
There was no more to be said, so we waited in patience until the dawn; at which time we might learn more from Mrs. Harker. |
À la pointe du jour, nous nous apprêtions à écouter, le souffle coupé par l’anxiété, ce qu’elle répondrait au cours de la transe. L’hypnose fut encore plus longue à s’établir que précédemment. Et lorsqu’elle se produisit, si peu de minutes nous séparaient du plein lever du soleil que le désespoir nous prit. Van Helsing mettait toute son âme dans son effort. Elle répondit enfin, obéissant à sa volonté : |
Early this morning we listened, with breathless anxiety, for her response in her trance. The hypnotic stage was even longer in coming than before; and when it came the time remaining until full sunrise was so short that we began to despair. Van Helsing seemed to throw his whole soul into the effort; at last, in obedience to his will she made reply:— |
— Tout est obscur. J’entends le clapotis de l’eau, à mon niveau, et du bois qui craque sur du bois. Elle n’en dit pas plus, et un soleil rouge apparut. Il nous faut attendre jusqu’à ce soir. |
"All is dark. I hear lapping water, level with me, and some creaking as of wood." She paused, and the red sun shot up. We must wait till to-night. |
Et c’est ainsi que nous avançons vers Galatz dans une attente angoissée. Nous devons y arriver entre deux et trois heures du matin. Mais depuis Bucarest nous avons trois heures de retard, de sorte que nous n’arriverons sans doute que bien après le lever du soleil. Deux messages hypnotiques de Mrs Harker pourraient donc encore nous parvenir. L’un d’eux, tous les deux peut-être, peuvent jeter quelque lumière sur les événements. |
And so it is that we are travelling towards Galatz in an agony of expectation. We are due to arrive between two and three in the morning; but already, at Bucharest, we are three hours late, so we cannot possibly get in till well after sun up. Thus we shall have two more hypnotic messages from Mrs. Harker; either or both may possibly throw more light on what is happening. |
Plus tard Encore un coucher de soleil, qui, heureusement, est survenu en un moment où rien ne nous distrayait. S’il avait coïncidé avec un arrêt dans une gare, nous n’aurions pu nous assurer le calme et la solitude nécessaires : Mrs Harker était encore moins disposée que le matin à se soumettre à l’hypnose. Je crains de voir son don de déchiffrer les sensations du comte disparaître juste au moment où nous en avons le plus besoin. Jusqu’à présent, elle s’est bornée au cours de la transe aux faits les plus simples, ce qui, en se prolongeant, pourrait finalement nous induire en erreur. Si je pouvais penser que le pouvoir du comte sur elle décline en même temps que son don de voyance, j’en serais heureux, mais je doute que ce soit le cas. Lorsqu’elle parla enfin, ce fut en ces termes énigmatiques : |
Later.—Sunset has come and gone. Fortunately it came at a time when there was no distraction; for had it occurred whilst we were at a station, we might not have secured the necessary calm and isolation. Mrs. Harker yielded to the hypnotic influence even less readily than this morning. I am in fear that her power of reading the Count's sensations may die away, just when we want it most. It seems to me that her imagination is beginning to work. Whilst she has been in the trance hitherto she has confined herself to the simplest of facts. If this goes on it may ultimately mislead us. If I thought that the Count's power over her would die away equally with her power of knowledge it would be a happy thought; but I am afraid that it may not be so. When she did speak, her words were enigmatical:— |
— Quelque chose disparaît. Je sens passer sur moi comme un vent glacial. J’entends au loin des bruits confus ; on dirait des hommes qui parlent une langue étrangère, une cascade furieuse et des loups qui hurlent. Elle s’arrêta, secouée par un frisson qui s’accrut pendant quelques secondes jusqu’à ce qu’enfin elle tremblât, comme frappée de paralysie. Elle ne répondit plus aux questions impérieuses du professeur. Au réveil, elle était glacée, épuisée, prostrée, mais maîtresse de son esprit. Elle ne se rappelait rien, mais elle voulut savoir ce qu’elle avait dit. Lorsqu’elle l’apprit, elle y réfléchit profondément, longtemps, et en silence. |
"Something is going out; I can feel it pass me like a cold wind. I can hear, far off, confused sounds—as of men talking in strange tongues, fierce-falling water, and the howling of wolves." She stopped and a shudder ran through her, increasing in intensity for a few seconds, till, at the end, she shook as though in a palsy. She said no more, even in answer to the Professor's imperative questioning. When she woke from the trance, she was cold, and exhausted, and languid; but her mind was all alert. She could not remember anything, but asked what she had said; when she was told, she pondered over it deeply for a long time and in silence. |
Nous approchons à présent de Galatz, et, plus tard, je manquerai peut-être de temps pour écrire. Nous avons tous guetté ce matin l’arrivée de l’aube. Sachant qu’il lui est chaque jour plus difficile d’obtenir l’hypnose, Van Helsing commença ses passes plus tôt que d’habitude, sans résultat toutefois jusqu’au moment normal où elle céda avec une peine croissante, une minute avant l’apparition du soleil. Sans perdre de temps, le professeur lui posa des questions auxquelles elle répondit avec une égale promptitude. |
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— Tout est noir. J’entends le remous de l’eau au niveau de mon oreille et du bois qui craque sur du bois. Plus bas, du bétail, loin. Il y a aussi un autre bruit, bizarre. On dirait… Elle s’interrompit, très pâle, et pâlissant de plus en plus. |
"All is dark. I hear water swirling by, level with my ears, and the creaking of wood on wood. Cattle low far off. There is another sound, a queer one like——" She stopped and grew white, and whiter still. |
— La suite, la suite ! Parlez, je vous l’ordonne ! s’écria Van Helsing d’une voix déchirante, et son regard était désespéré car le soleil levant teintait de rouge jusqu’au pâle visage de Mrs Harker. Elle ouvrit les yeux, et nous tressaillîmes quand elle dit, doucement et d’un air extrêmement inquiet : |
"Go on; go on! Speak, I command you! said Van Helsing in an agonised voice. At the same time there was despair in his eyes, for the risen sun was reddening even Mrs. Barker's pale face. She opened her eyes, and we all started as she said, sweetly and seemingly with the utmost unconern:— |
— Professeur, pourquoi demander de moi ce que vous savez m’être impossible ? Je ne me rappelle rien ! Puis, voyant l’étonnement sur nos visages, elle reprit : |
"Oh Professor, why ask me to do what you know I can't? I don't remember anything." Then, seeing the look of amazement on our faces, she said, turning from one to the other with a troubled look:— |
— Qu’ai-je dit ? Qu’ai-je fait ? Je ne sais rien, sinon que j’étais couchée là, à demi endormie, et que je vous entendais dire : « La suite ! Parlez, je vous l’ordonne ! » C’était si étrange de vous entendre me commander comme si j’étais un enfant coupable ! |
"What have I said? What have I done? I know nothing, only that I was lying here, half asleep, and heard you say 'go on! speak, I command you!' It seemed so funny to hear you order me about, as if I were a bad child!" |
— Mais, madame Mina, répondit-il tristement, c’est une preuve, si tant est qu’il en faille une, de l’amitié et du respect que j’ai pour vous. En effet, un mot dit pour votre bien, prononcé plus sérieusement que jamais, paraîtra nécessairement étrange, du seul fait qu’il exprime un ordre adressé à celle à qui je suis fier d’obéir. |
"Oh Madam Mina," he said, sadly, "it is proof, if proof be needed, of how I love and honour you, when a word for your good, spoken more earnest than ever, can seem so strange because it is to order her whom I am proud to obey!" |
Coups de sifflets. Nous approchons de Galatz. Nous sommes sur des braises à force d’anxiété et d’impatience. |
The whistles are sounding; we are nearing Galatz. We are on fire with anxiety and eagerness. |
Mr Morris m’a emmenée à l’hôtel où nos chambres avaient été retenues par télégramme. Il est celui dont on peut le mieux se passer, étant donné qu’il ne parle aucune langue étrangère. Les forces furent distribuées comme à Varna, à ceci près que ce fut Lord Godalming qui se rendit chez le vice-consul, son rang pouvant servir de garantie auprès d’un personnage officiel, dans l’extrême urgence où nous sommes. Jonathan et les deux médecins s’en furent à l’agence maritime pour avoir quelque nouvelle au sujet du Tsarine Catherine. |
Mina Harker's Journal.
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Plus tard Lord Godalming est de retour. Le consul est absent, le vice-consul est malade. Les affaires courantes sont expédiées par un employé qui s’est montré très bien disposé, offrant de faire tout ce qui est en son pouvoir. |
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À neuf heures, le Dr Van Helsing, le Dr Seward et moi-même sommes allés chez Mackenzie & Steinkoff, agents de la firme Hapgood de Londres. En réponse à une demande de Lord Godalming, ils avaient reçu un télégramme de Londres, les invitant à nous témoigner toute la déférence possible. Ils furent plus que courtois, plus qu’obligeants, et nous emmenèrent séance tenante à bord du Tsarine Catherine qui était à l’ancre dans le port fluvial. Nous vîmes le capitaine, un nommé Donelson, qui nous raconta son voyage. Il nous dit que de toute sa vie, il n’avait eu meilleure traversée. |
Jonathan Harker's Journal.
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— Voilà, dit-il, ça nous a même effrayés, car nous nous attendions à devoir payer ça par un sale coup de malchance, afin de revenir à une juste moyenne. Ce n’est pas prudent de naviguer de Londres à la mer Noire avec le vent en poupe, comme si le diable en personne vous soufflait dans les voiles pour ses fins personnelles. Et avec ça, pas moyen de voir rien du tout. Chaque fois que nous approchions d’un navire, ou d’un port, ou d’un cap, un brouillard nous tombait dessus et voyageait avec nous, et quand il se levait et que nous pouvions découvrir le pays, il n’y avait plus qu’un damné vide. Nous avons passé Gibraltar sans pouvoir nous signaler. Et quand nous sommes arrivés aux Dardanelles, où nous devions attendre une autorisation de passer, nous n’avons jamais été à portée d’être arrêtés. J’ai d’abord pensé à diminuer la pression et à louvoyer jusqu’à ce que le brouillard ait disparu, mais, après tout, j’ai réfléchi que si le diable s’était mis en tête de nous amener en mer Noire dans un temps record, il le ferait, que nous le voulions ou non. Une traversée rapide, ce n’était pas pour nous desservir auprès de la compagnie, ni pour gêner nos affaires. Et le vieux Satan qui aurait accompli ses fins personnelles nous saurait gré de ne pas l’avoir contrecarré. Ce mélange de bonhomie et de roublardise, de superstition et d’astuce commerciale excita Van Helsing, qui dit : |
"Man!" he said, "but it made us afeard, for we expeckit that we should have to pay for it wi' some rare piece o' ill luck, so as to keep up the average. It's no canny to run frae London to the Black Sea wi' a wind ahint ye, as though the Deil himself were blawin' on yer sail for his'ain purpose. An' a' the time we could no speer a thing. Gin we were nigh a ship, or a port, or a headland, a fog fell on us and travelled wi' us, till when after it had lifted and we looked out, the deil a thing could we see. We ran by Gibraltar wi'oot bein' able to signal; an' till we came 'to the Dardanelles and had to wait to get our permit to pass, we never were within hail o' aught. At first I inclined to slack off sail and beat about till the fog was lifted; but whiles, I thocht that if the Deil was minded to get us into the Black Sea quick, he was like to do it whether we would or no. If we had a quick voyage it would be no to our miscredit wi' the owners, or no hurt to our traffic; an' the Old Mon who had served his ain purpose wad be decently grateful to us for no hinderin' him." This mixture of simplicity and cunning, of superstition and commercial reasoning, aroused Van Helsing, who said:— |
— Mon ami, le diable est plus malin que certains ne le pensent, et il sait à qui il parle ! Le compliment ne déplut pas à l’autre, qui poursuivit : |
"Mine friend, that Devil is more clever than he is thought by some; and he know when he meet his match!" The skipper was not displeased with the compliment, and went on:— |
— Après le Bosphore, les hommes ont commencé à ronchonner. Les Roumains vinrent me trouver pour me demander d’envoyer par-dessus bord une grande caisse qui avait été chargée par un drôle de vieil homme, juste au moment où nous quittions Londres. Je les avais vu reluquer le gars et lever deux doigts à son approche, pour se garder du mauvais œil. Les superstitions des étrangers, ce qu’elles peuvent être ridicules ! Je les ai renvoyés à leur boulot en deux temps trois mouvements. Mais tout juste après, un coup de brouillard nous tombe dessus, et je me demande s’il n’y avait pas quelque chose de vrai dans ce qu’ils disaient, quoique je n’aie rien contre la grande caisse. Bon, on avance, et comme le brouillard ne cesse pas de cinq jours, je laisse le vent nous porter ; car si le diable voulait arriver quelque part, eh bien ! il n’y avait qu’à le laisser faire. Et s’il ne le voulait pas, de toute façon, nous garderions un œil attentif. Eh bien ! nous avons eu bonne route et eau profonde tout le temps. Et, avant-hier, quand le soleil levant a percé le brouillard, nous nous sommes retrouvés sur le fleuve, juste en face de Galatz. Les Roumains étaient furieux et voulaient, ni cric ni crac, que je lance la caisse dans l’eau. J’ai dû discuter avec eux à coups d’anspect, et quand le dernier a débarrassé le plancher en se tenant la tête à deux mains, je les avais persuadés que, mauvais œil ou pas mauvais œil, les biens et la confiance de mes employeurs étaient mieux à leur place dans mes mains qu’au fond du Danube. Remarquez qu’ils avaient amené la caisse sur le pont, tout prêts à l’expédier, et qu’elle portait l’indication : Galatz par Varna. Je voulais la laisser là jusqu’après le déchargement dans le port, pour m’en débarrasser tout d’un coup. Nous n’avons pas beaucoup déblayé ce jour-là et nous avons dû rester toute une nuit à l’ancre. Mais au petit matin, une heure avant le lever du soleil, un homme est venu à bord avec une procuration, envoyée d’Angleterre, pour recevoir une caisse adressée au comte Dracula. Sûr que l’affaire le concernait. Ses papiers étaient en règle. J’étais content de me débarrasser de cette damnée chose, car je commençais moi-même à ne plus me sentir tranquille. Si le diable a embarqué du bagage dans mon bateau, c’est ça et rien d’autre ! |
"When we got past the Bosphorus the men began to grumble; some o' them, the Roumanians came and asked me to heave overboard a big box which had been put on board by a queer lookin' old man just before we had started frae London. I had seen them speer at the fellow and put out their twa fingers when they saw him, to guard against the evil eye. Man! but the supersteetion of foreigners is pairfectly rideeculous! I sent them aboot their business pretty quick; but as just after a fog closed in on us I felt a wee bit as they did anent something, though I wouldn't say it was agin the big box. Well, on we went, and as the fog didn't let up for five days I joost let the wind carry us; for if the Deil wanted to get somewheres—well, he would fetch it up a'reet. An' if he didn't, well we'd keep a sharp lookout anyhow. Sure eneuch, we had a fair way and deep water all the time; and two days ago, when the mornin' sun came through the fog, we found ourselves just in the river opposite Galatz. The Roumanians were wild, and wanted me right or wrong to take out the box and fling it in the river. I had to argy wi' them aboot it wi' a handspike; an' when the last o' them rose off the deck wi' his head in his hand, I had convinced them that, evil eye or no evil eye, the property and the trust of my owners were better in my hands than in the river Danube. They had, mind ye, taken the box on the deck ready to fling in, and as it was marked Galatz via Varna, I thocht I'd let it lie till we discharged in the port an' get rid o't althegither. We didn't do much clearin' that day, an' had to remain the nicht at anchor; but in the mornin', braw an' airly, an hour before sun-up, a man came aboard wi' an order, written to him from England, to receive a box marked for one Count Dracula. Sure eneuch the matter was one ready to his hand. He had his papers a' reet, an' glad I was to be rid o' the dam' thing, for I was beginnin' masel' to feel uneasy at it. If the Deil did have any luggage aboord the ship, I'm thinkin' it was nane ither than that same!" |
— Comment s’appelle celui qui en a pris livraison ? demanda Van Helsing dominant son impatience. |
"What was the name of the man who took it?" asked Dr. Van Helsing with restrained eagerness. |
— Je vous le dis tout de suite… Et, descendant dans sa cabine, il en ramena un reçu signé « Emmanuel Hildesheim, Burgenstrasse, 16. » Nous ne pûmes rien tirer de plus du capitaine, et nous le quittâmes en le remerciant. |
"I'll be tellin' ye quick!" he answered, and, stepping down to his cabin, produced a receipt signed "Immanuel Hildesheim." Burgen-strasse 16 was the address. We found out that this was all the Captain knew; so with thanks we came away. |
Nous avons trouvé Hildesheim à son bureau, un juif avec une trogne de mouton et un fez. Son exposé fut ponctué d’espèces trébuchantes, ces virgules étant apportées par nous, et, avec quelque profit pour lui, il nous dit ce qu’il savait et qui se révéla peu compliqué, mais capital. Il avait reçu une lettre de Mr de Ville, de Londres, le priant de prendre réception, si possible avant le lever du soleil, afin d’éviter la douane, d’une caisse qui arriverait à Galatz sur le Tsarine Catherine ; il devait la donner en charge à un certain Petrof Skinsky, qui était en relation avec des Slovaques, lesquels trafiquaient sur le fleuve et jusqu’au port. Il avait reçu pour sa peine un billet anglais dont la Banque internationale du Danube lui avait donné aussitôt la contre-valeur en or. Il avait conduit Skinsky au bateau et lui avait remis la caisse, afin d’éviter des frais de factage. Il n’en savait pas plus. |
We found Hildesheim in his office, a Hebrew of rather the Adelphia Theatre type, with a nose like a sheep, and a fez. His arguments were pointed with specie—we doing the punctuation—and with a little bargaining he told us what he knew. This turned out to be simple but important. He had received a letter from Mr. de Ville of London telling him to receive, if possible before sunrise so as to avoid customs, a box which would arrive at Galatz in the Czarina Catherine. This he was to give in charge to a certain Petrof Skinsky, who dealt with the Slovaks who traded down the river to the port. He had been paid for his work by an English bank note, which had been duly cashed for gold at the Danube International Bank. When Skinsky had come to him, he had taken him to the ship and handed over the box, so as to save porterage. That was all he knew. |
Nous voilà en quête de Skinsky, mais sans parvenir à le trouver. Un de ses voisins, qui ne semble pas le porter dans son cœur, déclare qu’il est parti avant-hier, mais on ne sait où ; nouvelle confirmée par son logeur, à qui un messager a remis la clef de la maison et le prix du loyer en monnaie anglaise. Cela s’est passé entre dix et onze heures, la nuit dernière. Nous nous retrouvons à un point mort. |
We then sought for Skinsky, but were unable to find him. One of his neighbours, who did not seem to bear him any affection, said that he had gone away two days before no one knew whither. This was corroborated by his landlord, who had received by messenger the key of the house together with the rent due, in English money. This had been between ten and eleven o'clock last night. We were at a standstill again. |
Tandis que nous bavardons, arrive en courant, hors d’haleine, quelqu’un qui crie que le corps de Skinsky a été découvert à l’intérieur du cimetière de Saint-Pierre, la gorge ouverte comme par un animal sauvage. Nos interlocuteurs s’élancent pour aller voir ce spectacle d’horreur, tandis que les femmes s’écrient : « C’est un Slovaque qui a fait ça ! » Nous nous dérobons, de peur d’être impliqués dans l’affaire, et retardés. |
Whilst we were talking one came running and breathlessly gasped out that the body of Skinsky had been found inside the wall of the churchyard of St. Peter, and that the throat had been torn open as if by some wild animal. Those we had been speaking with ran off to see the horror the women crying out "This is the work of a Slovak!" We hurried away lest we should have been in some way drawn into the affair, and so detained. |
De retour à l’hôtel, nous étions incapables d’arriver à aucune conclusion précise. Nous sommes tous convaincus que le coffre poursuit son chemin, par eau, mais vers où ? C’est ce qu’il nous reste à découvrir. C’est le cœur lourd que nous avons retrouvé Mina. Une fois réunis, nous nous sommes demandé s’il fallait lui communiquer les dernières nouvelles. Comme tout semble désespéré, c’est notre dernière chance, si précaire qu’elle soit. |
As we came home we could arrive at no definite conclusion. We were all convinced that the box was on its way by water, to somewhere; but where that might be we would have to discover. With heavy hearts we came home to the hotel to Mina. When we met together, the first thing was to consult as to taking Mina again into our confidence. Things are getting desperate, and it is at least a chance, though a hazardous one. As a preliminary step, I was released from my promise to her. |
Ils étaient si fatigués, si recrus, si découragés, qu’il n’y avait rien à faire avant qu’ils n’eussent pris un peu de repos. Je les ai donc priés d’aller s’étendre une demi-heure en me laissant consigner tout ce qui s’est passé jusqu’ici. Quelle reconnaissance j’éprouve envers l’homme qui a inventé la machine à écrire transportable et envers Mr Morris qui m’a procuré celle-ci ! J’aurais perdu le fil de mes idées si j’avais dû me servir d’une plume… |
Mina Harker's Journal.
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Tout est fini. Pauvre cher, très cher Jonathan, que n’a-t-il pas souffert, que ne doit-il souffrir à présent ! Il est couché sur le sofa, respirant à peine, son corps est comme paralysé, ses sourcils sont froncés, son visage est contracté par la souffrance. Pauvre chéri ! Il réfléchit peut-être. Sa figure m’apparaît toute ridée par son effort de concentration. Que je voudrais pouvoir lui être de quelque secours ! Je ferai ce que je pourrai. |
It is all done; poor dear, dear Jonathan, what he must have suffered, what must he be suffering now. He lies on the sofa hardly seeming to breathe, and his whole body appears in collapse. His brows are knit; his face is drawn with pain. Poor fellow, maybe he is thinking, and I can see his face all wrinkled up with the concentration of his thoughts. Oh! if I could only help at all. . . . I shall do what I can. |
À ma demande, le Dr Van Helsing m’a remis toutes les notes dont je n’avais pas encore pris connaissance. Pendant qu’ils se reposent, je veux les lire attentivement et peut-être arriver ici à quelque conclusion. J’essayerai de suivre l’exemple du professeur et de réfléchir sur les faits qui sont devant moi, sans aucun préjugé. |
I have asked Dr. Van Helsing, and he has got me all the papers that I have not yet seen. . . . Whilst they are resting, I shall go over all carefully, and perhaps I may arrive at some conclusion. I shall try to follow the Professor's example, and think without prejudice on the facts before me. . . . |
Je crois, avec l’aide de Dieu, avoir fait une découverte. Il me faut des cartes que j’examinerai soigneusement. Oui, je suis de plus en plus sûre que je ne me trompe pas. Ma nouvelle solution est prête. Je vais réunir mes amis, et la leur dire. Ils en jugeront. Soyons précise. Chaque minute est précieuse. |
I do believe that under God's providence I have made a discovery. I shall get the maps and look over them. . . . I am more than ever sure that I am right. My new conclusion is ready, so I shall get our party together and read it. They can judge it; it is well to be accurate, and every minute is precious. |
Point de départ pour l’enquête. Le problème, pour le comte Dracula, est de revenir chez lui. |
Mina Harker's Memorandum. (Entered in her Journal.) Ground of inquiry.—Count Dracula's problem is to get back to his own place. |
a) Il doit y être transporté par quelqu’un. Cela est évident, car s’il avait le pouvoir de se déplacer à son gré, il pourrait le faire sous la forme d’un homme, ou d’un loup, ou d’une chauve-souris, ou autrement. Il redoute évidemment d’être découvert ou gêné, dans l’état vulnérable où il se trouve, enfermé dans son coffre entre le lever et le coucher du soleil. |
(a) He must be brought back by some one. This is evident; for had he power to move himself as he wished he could go either as man, or wolf, or bat, or in some other way. He evidently fears discovery or interference, in the state of helplessness, in which he must be—confined as he is between dawn and sunset in his wooden box. |
b) Comment peut-il être transporté ? Procédons par éliminations successives. |
(b) How is he to be taken?—Here a process of exclusions may help us. By road, by rail, by water? |
I. Par la route. Cela comporte d’infinies difficultés, surtout pour sortir des villes. |
1. By Road.—There are endless difficulties, especially in leaving the city. |
a) Il y a les gens ; les gens sont curieux et cherchent à savoir. Un signe, un soupçon, un doute concernant le contenu du coffre, et le voilà perdu. |
(x) There are people; and people are curious, and investigate. A hint, a surmise, a doubt as to what might be in the box, would destroy him. |
b) Il y a ou il peut y avoir des employés de la douane et de l’octroi à affronter. |
(y) There are, or there may be, customs and octroi officers to pass. |
c) Ses poursuivants peuvent être sur ses traces. C’est là sa crainte majeure ; et c’est pour éviter de se trahir qu’il a écarté, dans la mesure où il l’a pu, même sa victime — moi ! |
(z) His pursuers might follow. This is his highest fear; and in order to prevent his being betrayed he has repelled, so far as he can, even his victim—me! |
II. Par chemin de fer. Là, personne pour veiller sur le coffre qui risque d’être retardé, et tout retard serait fatal avec des ennemis sur ses traces. Assurément, il pourrait échapper pendant la nuit, mais que deviendrait-il s’il était laissé dans un endroit inconnu, sans refuge où il puisse se dérober ? Telle n’est pas son intention, et ce n’est pas non plus un risque qu’il puisse accepter de courir. |
2. By Rail.—There is no one in charge of the box. It would have to take its chance of being delayed; and delay would be fatal, with enemies on the track. True, he might escape at night; but what would he be, if left in a strange place with no refuge that he could fly to? This is not what he intends; and he does not mean to risk it. |
III. Par eau. C’est le moyen le plus sûr, sous un rapport, et le plus dangereux sous un autre. Sur l’eau, il est sans pouvoir, excepté pendant la nuit. Et même alors, il ne peut faire surgir que du brouillard, des tempêtes, de la neige et ses loups. Et s’il y avait un naufrage, les eaux vivantes l’engloutiraient sans qu’il puisse rien faire, et il serait perdu. Il pourrait amener le vaisseau sur la côte, mais si le pays lui était hostile, et qu’il ne fût pas libre de s’y mouvoir, sa position encore une fois serait désespérée. |
3. By Water.—Here is the safest way, in one respect, but with most danger in another. On the water he is powerless except at night; even then he can only summon fog and storm and snow and his wolves. But were he wrecked, the living water would engulf him, helpless; and he would indeed be lost. He could have the vessel drive to land; but if it were unfriendly land, wherein he was not free to move, his position would still be desperate. |
S’il est sur un bateau, il nous faut à présent déterminer sur quelle eau ce bateau navigue. |
We know from the record that he was on the water; so what we have to do is to ascertain what water. |
Notre premier objectif doit être de préciser ce qu’il a fait jusqu’à présent ; cela nous éclairera sur ce qu’il lui reste à faire. |
The first thing is to realise exactly what he has done as yet; we may, then, get a light on what his later task is to be. |
D’abord, considérons ses actes à Londres comme une partie de son plan d’ensemble, quand chaque minute comptait pour lui et qu’il devait tirer parti de tout. |
Firstly.—We must differentiate between what he did in London as part of his general plan of action, when he was pressed for moments and had to arrange as best he could. |
Ensuite, des faits que nous connaissons, essayons de déduire ce qu’il a fait ici. |
Secondly we must see, as well as we can surmise it from the facts we know of, what he has done here. |
Pour commencer, il a évidemment voulu arriver à Galatz. L’ordre concernant Varna était pour nous dérouter si nous apprenions qu’il avait quitté l’Angleterre et cherchions à savoir pour quelle destination. Son but unique, immédiat, était de nous échapper. La preuve en est l’instruction incluse dans la lettre à Emmanuel Hildesheim de dégager la caisse et de l’enlever avant le lever du soleil — et aussi l’ordre donné à Petrof Skinsky. Là, nous ne pouvons que deviner. Une lettre ou un message doit avoir existé, puisque Skinsky est allé de lui-même trouver Hildesheim. |
As to the first, he evidently intended to arrive at Galatz, and sent invoice to Varna to deceive us lest we should ascertain his means of exit from England; his immediate and sole purpose then was to escape. The proof of this, is the letter of instructions sent to Immanuel Hildesheim to clear and take away the box before sunrise. There is also the instruction to Petrof Skinsky. These we must only guess at; but there must have been some letter or message, since Skinsky came to Hildesheim. |
Jusque-là, ses plans ont réussi, nous le savons. Le Tsarine Catherine a fait un voyage prodigieusement rapide, à tel point que le capitaine Donelson en a conçu des soupçons. Mais sa superstition jointe à sa roublardise ont fait le jeu du comte ; il a couru, vent en poupe, à travers le brouillard et le reste, et il est arrivé à l’aveuglette à Galatz. Les dispositions du comte se sont prouvées efficaces. Hildesheim dégagea le coffre, l’emporta et le transmit à Skinsky. Skinsky s’en chargea — et nous perdons ici la piste. S’il y avait une douane ou un octroi, on les a évités. |
That, so far, his plans were successful we know. The Czarina Catherine made a phenomenally quick journey—so much so that Captain Donelson's suspicions were aroused; but his superstition united with his canniness played the Count's game for him, and he ran with his favouring wind through fogs and all till he brought up blind-fold at Galatz. That the Count's arrangements were well made, has been proved. Hildesheim cleared the box, took it off, and gave it to Skinsky. Skinsky took it—and here we lose the trail. We only know that the box is somewhere on the water, moving along. The customs and the octroi, if there be any, have been avoided. |
Maintenant, demandons-nous ce que le comte a fait après son arrivée, à terre, à Galatz. |
Now we come to what the Count must have done after his arrival—on land, at Galatz. |
La caisse a été remise à Skinsky avant l’aube. Au lever du soleil, le comte pouvait apparaître sous sa forme véritable. Demandons-nous pourquoi Skinsky fut choisi comme auxiliaire. D’après le journal de mon mari, Skinsky est en relation avec les Slovaques qui trafiquent sur le fleuve en amont du port. Et la remarque que le meurtre est l’œuvre d’un Slovaque, prouve ce que l’on pense généralement de ces gens. Le comte voulait qu’on ne l’approchât point. |
The box was given to Skinsky before sunrise. At sunrise the Count could appear in his own form. Here, we ask why Skinsky was chosen at all to aid in the work? In my husband's diary, Skinsky is mentioned as dealing with the Slovaks who trade down the river to the port; and the man's remark, that the murder was the work of a Slovak, showed the general feeling against his class. The Count wanted isolation. |
Voici ma conjecture. Le comte décida, à Londres, de rentrer dans son château par eau, cette voie étant la plus sûre et la plus secrète. Les Tziganes l’en avaient fait sortir et l’avaient probablement donné en charge à des Slovaques qui avaient amené les caisses à Varna, d’où elles avaient été embarquées pour Londres. Le comte connaissait ainsi les personnes capables de lui organiser ce service. Lorsque le coffre fut à terre, il en sortit avant le lever ou après le coucher du soleil et donna ses instructions à Skinsky pour que le chargement fût assuré d’une rivière à l’autre. Cela fait, et sûr que tout allait bien, il crut effacer ses traces en assassinant son agent. |
My surmise is, this: that in London the Count decided to get back to his castle by water, as the most safe and secret way. He was brought from the castle by Szgany, and probably they delivered their cargo to Slovaks who took the boxes to Varna, for there they were shipped for London. Thus the Count had knowledge of the persons who could arrange this service. When the box was on land, before sunrise or after sunset, he came out from his box, met Skinsky and instructed him what to do as to arranging the carriage of the box up some river. When this was done, and he knew that all was in train, he blotted out his traces, as he thought, by murdering his agent. |
Après avoir examiné la carte, je conclus que la rivière la plus commode à remonter pour les Slovaques est ou bien le Prut ou bien le Seret. Je vois dans les notes qu’au cours de ma transe j’ai entendu des vaches meugler, de l’eau tourbillonner au niveau de mes oreilles, et du bois craquer. Le comte dans son coffre était alors sur une rivière dans une barque non pontée, propulsée probablement à la rame ou à la perche, car il y a des hauts-fonds et il faut aller contre le courant. Le bruit serait différent si on le descendait. |
I have examined the map and find that the river most suitable for the Slovaks to have ascended is either the Pruth or the Sereth. I read in the typescript that in my trance I heard cows low and water swirling level with my ears and the creaking of wood. The Count in his box, then, was on a river in an open boat—propelled probably either by oars or poles, for the banks are near and it is working against stream. There would be no such sound if floating down stream. |
Naturellement, ce n’est peut-être ni le Seret ni le Pruth, mais nous pouvons arriver à le savoir. De ces deux rivières toutefois, c’est sur le Prut que la navigation est la plus aisée, mais le Seret, à Fundu, reçoit la Bistritza qui coule autour du col de Borgo. La boucle qu’elle y fait est le point le plus rapproché du château de Dracula que l’on puisse atteindre par eau. |
Of course it may not be either the Sereth or the Pruth, but we may possibly investigate further. Now of these two, the Pruth is the more easily navigated, but the Sereth is, at Fundu, joined by the Bistritza which runs up round the Borgo's Pass. The loop it makes is manifestly as close to Dracula's castle as can be got by water. |
Quand j’eus fini de lire, Jonathan me prit dans ses bras et m’embrassa. Les autres me serrèrent les mains et le Dr Van Helsing déclara : |
Mina Harker's Journal—continued.
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— Une fois de plus, notre chère madame Mina s’avère notre guide. Ses yeux ont vu quand les nôtres étaient aveugles. Nous avons retrouvé la piste et si nous parvenons à rejoindre notre ennemi en plein jour, sur l’eau, notre tâche est accomplie. Oui, il a une avance sur nous, mais il lui est impossible de se hâter ; comment oserait-il quitter son cercueil ? Ceux qui le convoient auraient des soupçons, et, au premier soupçon, on le jetterait dans la rivière où il périrait. Il le sait et n’osera pas. Et maintenant, tenons notre conseil de guerre ; car il nous faut sur-le-champ savoir ce que chacun de nous devra faire. |
"Our dear Madam Mina is once more our teacher. Her eyes have been where we were blinded. Now we are on the track once again, and this time we may succeed. Our enemy is at his most helpless; and if we can come on him by day, on the water, our task will be over. He has a start, but he is powerless to hasten, as he may not leave his box lest those who carry him may suspect; for them to suspect would be to prompt them to throw him in the stream where he perish. This he knows, and will not. Now men, to our Council of War; for, here and now, we must plan what each and all shall do." |
— Je vais me procurer une vedette et me mettre à ses trousses, dit Lord Godalming. |
"I shall get a steam launch and follow him," said Lord Godalming. |
— Et moi, des chevaux pour le suivre sur la rive, s’il venait à accoster, annonça Mr Morris. |
"And I, horses to follow on the bank lest by chance he land," said Mr. Morris. |
— Bien, reprit le professeur. Vous avez tous deux raison, mais aucun de vous ne peut partir seul. Il vous faut la force si on vous oppose la force. Le Slovaque est robuste et agressif, et il a de bonnes armes. Tous les hommes sourirent, car ils transportaient un petit arsenal. |
"Good!" said the Professor, "both good. But neither must go alone. There must be force to overcome force if need be; the Slovak is strong and rough, and he carries rude arms." All the men smiled, for amongst them they carried a small arsenal. Said Mr. Morris:— |
— J’ai apporté quelques winchesters, dit Mr Morris. Ce sont des armes commodes en cas d’attaque en masse, et il y aura peut-être des loups. Vous vous souvenez que le comte a pris certaines précautions. Il a formulé des exigences que Mrs Harker n’a pu entendre ou comprendre complètement. Nous devons nous tenir prêts à toute éventualité. |
"I have brought some Winchesters; they are pretty handy in a crowd, and there may be wolves. The Count, if you remember, took some other precautions; he made some requisitions on others that Mrs. Harker could not quite hear or understand. We must be ready at all points." Dr. Seward said:— |
— Je pense, intervint le Dr Seward, que je ferais mieux d’accompagner Quincey. Nous sommes habitués à chasser ensemble et, à deux, bien armés, nous aurons raison de toute attaque. Et il ne faut pas non plus que vous soyez seul, Art. Il faudra peut-être combattre les Slovaques, et un mauvais coup — je n’imagine pas que ces gaillards aient des fusils — détruirait tous nos plans. Nous ne devons cette fois rien laisser au hasard, et nous ne devrons nous arrêter que lorsque la tête du comte aura été séparée de son corps et que nous serons sûrs qu’il n’y a plus de réincarnation possible pour lui. Il regardait Jonathan en parlant ainsi et Jonathan me regardait, et je me rendais compte que mon pauvre chéri était tourmenté. Bien sûr, il souhaitait rester auprès de moi ; mais ceux qui seraient à bord de la vedette auraient toutes chances de détruire le… vampire. (Pourquoi ai-je hésité à écrire le mot ?) Il se tut un moment, et, pendant ce silence, le Dr Van Helsing parla : |
"I think I had better go with Quincey. We have been accustomed to hunt together, and we two, well armed, will be a match for whatever may come along. You must not be alone, Art. It may be necessary to fight the Slovaks, and a chance thrust—for I don't suppose these fellows carry guns—would undo all our plans. There must be no chances, this time; we shall not rest until the Count's head and body have been separated, and we are sure that he cannot reincarnate." He looked at Jonathan as he spoke, and Jonathan looked at me. I could see that the poor dear was torn about in his mind. Of course he wanted to be with me; but then the boat service would, most likely, be the one which would destroy the . . . the . . . the . . . Vampire. (Why did I hesitate to write the word?) He was silent awhile, and during his silence Dr. Van Helsing spoke:— |
— Mon cher Jonathan, ceci, pour deux raisons, est votre lot. D’abord, vous êtes jeune et brave et capable de vous battre, et toutes nos énergies sont nécessaires pour le coup final. De plus, c’est à vous qu’il appartient de détruire celui… cette chose… qui vous a tant fait souffrir, vous et les vôtres. En ce qui concerne madame Mina, n’ayez rien à craindre ; je prendrai soin d’elle autant que je le pourrai. Je suis vieux. Mes jambes ne sont plus aussi rapides qu’autrefois ; je ne suis pas habitué à de longues chevauchées, ni à me battre à main armée. Mais je suis capable de mourir, s’il le faut, aussi bien qu’un jeune homme. Que je vous dise maintenant ce que je souhaite. Vous, Lord Godalming et l’ami Jonathan, vous remonterez la rivière sur votre vedette rapide, tandis que John et Quincey surveilleront la rive en cas de débarquement ; moi, pendant ce temps, j’emmènerai madame Mina au cœur même du pays ennemi. Pendant que le vieux renard est lié dans sa caisse, flottant au gré du courant d’où il ne peut atteindre la terre, où il n’ose pas soulever le couvercle de son cercueil de peur que ses convoyeurs slovaques, dans leur épouvante, ne le fassent périr — nous allons suivre la route que suivit Jonathan, de Bistritz jusqu’à Borgo, et trouver notre chemin jusqu’au château de Dracula. Le pouvoir hypnotique de madame Mina nous viendra sûrement en aide et nous trouverons notre chemin — qui autrement nous resterait obscur, inconnu —après le premier lever du soleil qui suivra notre arrivée à cet endroit fatal. Il y a gros à faire et d’autres lieux à purifier, afin que ce nid de vipères soit effacé du monde… Jonathan l’interrompit fiévreusement : |
"Friend Jonathan, this is to you for twice reasons. First, because you are young and brave and can fight, and all energies may be needed at the last; and again that it is your right to destroy him—that—which has wrought such woe to you and yours. Be not afraid for Madam Mina; she will be my care, if I may. I am old. My legs are not so quick to run as once; and I am not used to ride so long or to pursue as need be, or to fight with lethal weapons. But I can be of other service; I can fight in other way. And I can die, if need be, as well as younger men. Now let me say that what I would is this: while you, my Lord Godalming and friend Jonathan go in your so swift little steamboat up the river, and whilst John and Quincey guard the bank where perchance he might be landed, I will take Madam Mina right into the heart of the enemy's country. Whilst the old fox is tied in his box, floating on the running stream whence he cannot escape to land—where he dares not raise the lid of his coffin-box lest his Slovak carriers should in fear leave him to perish—we shall go in the track where Jonathan went,—from Bistritz over the Borgo, and find our way to the Castle of Dracula. Here, Madam Mina's hypnotic power will surely help, and we shall find our way—all dark and unknown otherwise—after the first sunrise when we are near that fateful place. There is much to be done, and other places to be made sanctify, so that that nest of vipers be obliterated." Here Jonathan interrupted him hotly:— |
— Quoi, professeur Van Helsing ? Auriez-vous l’intention d’amener Mina, dans son triste état et touchée comme elle l’est par cette maladie du diable, jusqu’à la gueule de ce piège de la mort ? Pour rien au monde ! Ni pour le Ciel ni pour l’Enfer !… Il resta un instant sans voix, puis il reprit : |
"Do you mean to say. Professor Van Helsing, that you would bring Mina, in her sad case and tainted as she is with that devil's illness, right into the jaws of his death-trap? Not for the world! Not for Heaven or Hell!" He became almost speechless for a minute, and then went on:— |
— Savez-vous ce que c’est que cet endroit ? Avez-vous vu ce repaire d’infernale horreur ? Où même le clair de lune est peuplé de formes effrayantes ? Où chaque grain de poussière qui tourbillonne dans le vent est l’embryon d’un monstre dévorant ? Avez-vous senti les lèvres du vampire sur votre gorge ? Il se détourna vers moi, et comme son regard tombait sur mon front, il leva les bras au ciel avec un cri : — Ah ! mon Dieu, qu’avons-nous fait pour être accablés par cette épouvante ? Et il se laissa tomber sur le sofa, ne pouvant supporter sa souffrance davantage. La voix du professeur nous calma. Elle était douce, claire, vibrante. |
"Do you know what the place is? Have you seen that awful den of hellish infamy—with the very moonlight alive with grisly shapes, and every speck of dust that whirls in the wind a devouring monster in embryo? Have you felt the Vampire's lips upon your throat?" Here he turned to me, and as his eyes lit on my forehead he threw up his arms with a cry: "Oh, my God, what have we done to have this terror upon us!" and he sank down on the sofa in a collapse of misery. The Professor's voice, as he spoke in clear, sweet tones, which seemed to vibrate in the air, calmed us all:— |
— Mais, mon ami, si je souhaite me rendre à cet affreux endroit, c’est justement pour en sauver madame Mina. L’amener dans le château ? Dieu m’en préserve ! Une besogne, une besogne abominable doit y être accomplie que ses yeux ne verront pas ! Nous autres hommes, tous sauf Jonathan, nous avons constaté ce qui reste à faire avant que ce lieu puisse être purifié. Remarquez que nous sommes terriblement acculés. Si le comte nous échappe cette fois-ci — et il est fort, et intelligent, et rusé —, il peut décider de s’endormir pour cent ans ; et alors, notre très chère — il me prit la main — devrait à son heure venir lui tenir compagnie et deviendrait semblable à ces autres créatures que vous, Jonathan, vous avez vues. Vous nous avez décrit leurs lèvres avides ; vous avez entendu leur rire de ribaudes tandis qu’elles saisissaient le sac remuant de vie que le comte leur avait lancé. Vous frissonnez ? Je comprends cela ! Pardonnez-moi la peine que je vous fais ; elle était nécessaire, mon ami, n’est-elle pas cruelle cette exigence ? Pourtant, si besoin en est, je donnerai ma vie pour y répondre. Si quelqu’un doit se rendre en ce lieu pour y rester, c’est moi qui dois y aller… pour leur tenir compagnie. |
"Oh, my friend, it is because I would save Madam Mina from that awful place that I would go. God forbid that I should take her into that place. There is work—wild work—to be done there, that her eyes may not see. We men here, all save Jonathan, have seen with their own eyes what is to be done before that place can be purify. Remember that we are in terrible straits. If the Count escape us this time—and he is strong and subtle and cunning—he may choose to sleep him for a century, and then in time our dear one"—he took my hand—"would come to him to keep him company, and would be as those others that you, Jonathan, saw. You have told us of their gloating lips; you heard their ribald laugh as they clutched the moving bag that the Count threw to them. You shudder; and well may it be. Forgive me that I make you so much pain, but it is necessary. My friend, is it not a dire need for the which I am giving, possibly my life? If it were that any one went into that place to stay, it is I who have to go to keep them company." |
— Faites comme vous voudrez, dit Jonathan avec un sanglot qui le secoua tout entier. Nous sommes dans les mains de Dieu ! |
"Do as you will," said Jonathan, with a sob that shook him all over, "we are in the hands of God!" |
Plus tard Quel réconfort de voir au travail ces hommes si courageux ! Une femme pourrait-elle ne pas aimer des hommes si sérieux, si sincères, si braves ! Il me faut admirer aussi le pouvoir de l’argent. Que ne peut-il réaliser lorsqu’il est bien employé ? Et quel mal il peut faire dans le cas opposé ! Je suis si reconnaissante à Lord Godalming d’être riche, et à lui et à Mr Morris, qui aussi a tant d’argent, de le dépenser avec une telle largesse. S’ils ne l’avaient point fait, notre petite expédition n’aurait pas pu prendre le départ, ni si rapidement, ni si bien équipée. C’est pour dans une heure. Il n’y a pas trois heures que les rôles ont été répartis entre nous, et voici que Lord Godalming et Jonathan ont une jolie vedette à vapeur, prête à démarrer au premier signal. Le Dr Seward et Mr Morris ont une demi-douzaine de beaux chevaux, bien harnachés. Nous sommes pourvus de toutes les cartes, et tous les instruments nécessaires. Le professeur Van Helsing et moi partons cette nuit à 11 h 40 pour Veresti où nous nous procurerons une voiture pour gagner le col de Borgo. Nous emportons beaucoup d’argent liquide puisque nous devons acheter une voiture et des chevaux. Nous conduirons nous-mêmes, n’ayant personne à qui nous confier dans cette affaire. Le professeur connaît quantité de langues et tout ira bien de ce côté. Nous sommes tous armés. J’ai même un revolver de gros calibre. Jonathan n’a été tranquille qu’en me voyant armée comme les autres. Hélas, il est une arme que je ne puis porter comme les autres : la cicatrice de mon front m’en empêche. Le cher Dr Van Helsing me réconforte en me disant que celle que j’ai sera bien utile s’il y a des loups. Le temps devient d’heure en heure plus froid et des averses de neige vont et viennent comme pour nous avertir. |
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Plus tard Il m’a fallu tout mon courage pour dire adieu à mon bien-aimé. Nous ne sommes pas sûrs de jamais nous revoir. Mina, courage ! Le professeur te regarde fixement, comme pour te mettre en garde contre toute faiblesse. L’heure n’est pas aux larmes, à moins que Dieu n’autorise enfin des larmes de joie. |
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J’écris ceci à la lumière que laisse passer la porte de la chaudière de la vedette. Lord Godalming active la chauffe. Il connaît la manœuvre pour avoir eu pendant des années une vedette à lui sur la Tamise et une autre sur les lacs du Norfolk. Après avoir étudié mes cartes, nous avons finalement adopté la conjecture de Mina : si c’est une voie navigable qui doit ramener clandestinement le comte à son château, la seule possible est le Seret, puis la Bistritza à partir de son confluent. Nous avons admis que l’endroit le meilleur pour traverser le pays entre la rivière et les Carpates devait se trouver aux environs du 47e degré de latitude nord. Nous pouvons sans crainte forcer la vitesse pendant la nuit : l’eau est profonde et la distance entre les bancs est suffisante pour qu’on puisse, même la nuit, pousser les feux. Lord Godalming me conseille de dormir un moment, car il suffit qu’un de nous veille. Mais comment trouver le sommeil lorsque je pense au terrible danger qui menace ma chérie qui s’avance à présent vers cet horrible endroit ? Mon seul réconfort est de me dire que nous sommes dans les mains de Dieu. Sans cette certitude, le plus simple serait de mourir pour être libéré de ce tourment. Mr Morris et le Dr Seward sont partis avant nous pour leur longue chevauchée. Ils suivront la rive droite en remontant vers l’intérieur du pays, de façon à tenir une bonne étendue de la rivière sous leur regard et à s’épargner d’en côtoyer les sinuosités. Ils ont deux cavaliers qui conduisent leurs chevaux de rechange, quatre en tout pour les premières étapes, afin de ne pas attirer l’attention. Lorsqu’ils renverront ces hommes, et ce sera bientôt, ils s’occuperont eux-mêmes des chevaux. Un moment peut venir où nous devrons nous joindre à eux et, ainsi, nous pourrons tous être montés. Une des selles a un arçon de corne, mobile, et pourra aisément être mise en ordre pour Mina, si besoin en est. |
Jonathan Harker's Journal.
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Terrible aventure que la nôtre ! Nous fonçons dans l’obscurité ; le froid qui semble monter de la rivière pour nous transpercer et toutes ces mystérieuses voix de la nuit autour de nous, c’est peu de dire que nous en sommes profondément impressionnés, tandis que nous dérivons vers des lieux, vers des chemins inconnus, vers un univers de choses épouvantables. Godalming ferme la porte de la chaudière. |
It is a wild adventure we are on. Here, as we are rushing along through the darkness, with the cold from the river seeming to rise up and strike us; with all the mysterious voices of the night around us, it all comes home. We seem to be drifting into unknown places and unknown ways; into a whole world of dark and dreadful things. Godalming is shutting the furnace door. . . . |
Toujours la même poursuite. Le jour est venu. Godalming s’est endormi et je veille. La matinée est glaciale ; la chaleur du foyer nous fait du bien quoique nous ayons de lourdes pelisses. Nous avons dépassé quelques allèges mais aucune n’avait à bord un coffre de la dimension de celui que nous cherchions. Nous épouvantions les hommes en tournant vers eux notre lampe électrique ; ils tombaient à genoux et se mettaient à prier. |
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Rien de neuf aujourd’hui. Nous n’avons rien découvert de ce que nous cherchons. Nous suivons maintenant la Bistritza : si notre supposition est fausse, nous avons perdu toutes nos chances. Nous avons examiné tous les esquifs, grands et petits. Ce matin, un équipage nous a pris pour un bateau du gouvernement et nous a traités en conséquence. Cela nous parut un moyen de faciliter les choses ; aussi, à Fundu, où la Bistritza se jette dans le Seret, nous nous sommes procuré un pavillon roumain que nous arborons à présent. Le tour a réussi pour tous les bateaux que nous avons visités. On nous a témoigné les plus grands égards sans opposer la moindre objection à nos questions. Quelques Slovaques nous ont parlé d’un grand bateau qui les avait dépassés, à une vitesse plus grande que la normale, avec à bord un équipage double. Cela s’était passé avant Fundu, de telle sorte qu’ils n’auraient pu dire si le bateau avait pris la Bistritza ou continué à remonter le Seret. Aucune nouvelle, à Fundu, d’un bateau de cette espèce ; il doit y avoir passé pendant la nuit. J’ai sommeil ; c’est peut-être le froid qui commence à m’affecter, et la nature exige du repos de temps en temps. Godalming insiste pour prendre la première veille. Dieu le bénisse pour sa bonté à l’égard de ma pauvre Mina ! |
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Il fait grand jour. Mon bon compagnon n’a pas voulu me réveiller. C’aurait été un péché, dit-il, tant je dormais paisiblement, oubliant tout mon tourment. J’ai l’impression d’avoir été vilainement égoïste en dormant si longtemps. Mais il a eu raison, car ce matin je suis un autre homme, capable tout ensemble de veiller sur la machine, de gouverner et de faire le guet. Ma force et mon énergie me sont revenues, je le sens. Je me demande où Mina est à présent, où est Van Helsing. Ils ont dû arriver à Veresti mercredi vers midi. Il leur aura fallu quelque temps pour se procurer une voiture et des chevaux. Si donc ils ont été bon train, ils doivent être à présent au col de Borgo. Dieu les conduise, Dieu les aide ! Je tremble en pensant à ce qui peut arriver. Que n’est-il possible d’aller plus vite ! Mais les moteurs ronflent et donnent tout ce qu’ils peuvent. Comment se poursuit l’avance du Dr Seward et de Mr Morris ?… De très nombreux ruisseaux, dirait-on, descendent des montagnes vers cette rivière, mais aucun d’eux ne semble très important — aujourd’hui du moins, car ils doivent être redoutables en hiver et après la fonte des neiges — et les cavaliers ne doivent pas avoir rencontré de grands obstacles. J’espère les retrouver avant d’arriver à Strasba. Car si à ce moment nous n’avons pas rejoint le comte, nous devrons en délibérer ensemble. |
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Trois jours sur la route, sans nouvelles, et y en eût-il eu que je n’aurais pas eu le temps d’écrire, car chaque moment est précieux. Nous ne nous sommes arrêtés que pour laisser reposer les chevaux ; mais, tous deux, nous supportons admirablement l’épreuve. Nos aventures d’autrefois nous ont été très utiles ; sans elles, aurions-nous été à même d’entreprendre celle-ci ? Il nous faut poursuivre. Nous ne nous sentirons heureux que lorsque nous reverrons la vedette. |
Dr. Seward's Diary.
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On nous dit à Fundu que la vedette a pris la Bistritza. Si seulement il pouvait faire moins froid ! De la neige semble s’annoncer et, si elle tombe dru, elle nous arrêtera. Dans ce cas, nous nous procurerons un traîneau et nous progresserons à la mode russe. |
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On nous dit aujourd’hui que la vedette a été retenue par une avarie survenue tandis qu’elle fonçait pour remonter les rapides. Les bateaux slovaques les remontent aisément, aidés par une corde et en gouvernant savamment. Quelques-uns avaient passé peu de temps auparavant. Godalming est un mécanicien amateur et, bien entendu, c’est lui qui a remis la vedette en état. Ils ont finalement réussi à remonter les rapides, avec l’aide des gens du pays, et ils ont repris leur poursuite. Je doute que l’accident ait fait du bien au bateau. Les paysans nous ont dit que lorsque la vedette s’est retrouvée en eau calme, elle a eu plusieurs arrêts pendant le temps qu’elle fut en vue. Il nous faut forcer l’allure. Notre aide peut être nécessaire avant qu’il soit longtemps. |
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Nous sommes arrivés à midi à Veresti. Le professeur me dit que ce matin à l’aube, il a eu peine à m’hypnotiser et que je n’ai pu dire autre chose que : « Obscurité, calme. » Il est sorti acheter une voiture et des chevaux, avec l’intention d’acquérir si possible des chevaux de renfort, afin de pouvoir les changer en route. Nous avons un peu plus de soixante-dix milles à faire. Le pays est plaisant et fort intéressant. Si seulement la situation était différente, qu’il serait agréable de voir tout cela ! Si Jonathan et moi nous faisions la route ensemble, quel plaisir ce serait ! Nous arrêter, voir des gens, apprendre quelque chose sur leur façon de vivre, nous remplir l’esprit et la mémoire de toute la couleur et du pittoresque de cette contrée sauvage et splendide, de ce peuple étrange ! Mais, hélas !… |
Mina Harker's Journal.
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Plus tard Le Dr Van Helsing est de retour. Il a acheté la voiture et les chevaux. Nous allons prendre un repas et nous mettre en route dans une heure. La patronne de l’auberge nous prépare un énorme panier de provisions, de quoi nourrir, dirait-on, une compagnie de soldats. Le professeur l’encourage et me dit à l’oreille que nous serons peut-être une semaine entière sans trouver d’autre nourriture convenable. Lui aussi est allé aux achats et il a fait envoyer ici un magnifique assortiment de couvertures et de fourrures. Aucun risque que nous souffrions du froid. |
Later.—Dr. Van Helsing has returned. He has got the carriage and horses; we are to have some dinner, and to start in an hour. The landlady is putting us up a huge basket of provisions; it seems enough for a company of soldiers. The Professor encourages her, and whispers to me that it may be a week before we can get any good food again. He has been shopping too, and has sent home such a wonderful lot of fur coats and wraps, and all sorts of warm things. There will not be any chance of our being cold. ..... |
Dans un moment nous serons partis. Je tremble en pensant à ce qui nous attend. Oui, vraiment, nous sommes dans les mains de Dieu. Lui seul sait ce qui arrivera et je l’implore, de toute la force de mon âme si accablée, si humiliée, de veiller sur mon mari bien-aimé, quoi qu’il arrive. Que Jonathan sache que je l’ai aimé et honoré au-delà de tout ce que je puis dire et que ma pensée suprême, celle qui exprime ma profonde vérité, sera toujours pour lui. |
We shall soon be off. I am afraid to think what may happen to us. We are truly in the hands of God. He alone knows what may be, and I pray Him, with all the strength of my sad and humble soul, that He will watch over my beloved husband; that whatever may happen, Jonathan may know that I loved him and honoured him more than I can say, and that my latest and truest thought will be always for him. |