Arsène Lupin gentleman-cambrioleur |
The Extraordinary Adventures of Arsene Lupin, Gentleman Burglar |
de Maurice Leblanc |
by Maurice Leblanc |
1907 |
Translator: Alexander Teixeira de Mattos1910 |
Chapitre II |
Chapter II |
Arsène Lupin en prison |
Arsene Lupin in prison |
Il n’est point de touriste digne de ce nom qui ne connaisse les bords de la Seine, et qui n’ait remarqué, en allant des ruines de Jumièges aux ruines de Saint-Wandrille, l’étrange petit château féodal du Malaquis, si fièrement campé sur sa roche, en pleine rivière. L’arche d’un pont le relie à la route. La base de ses tourelles sombres se confond avec le granit qui le supporte, bloc énorme détaché d’on ne sait quelle montagne et jeté là par quelque formidable convulsion. Tout autour, l’eau calme du grand fleuve joue parmi les roseaux, et des bergeronnettes tremblent sur la crête humide des cailloux. |
There is no tourist worthy of the name who does not know the banks of the Seine, and has not noticed, in passing, the little feudal castle of the Malaquis, built upon a rock in the centre of the river. An arched bridge connects it with the shore. All around it, the calm waters of the great river play peacefully amongst the reeds, and the wagtails flutter over the moist crests of the stones. |
L’histoire du Malaquis est rude comme son nom, revêche comme sa silhouette. Ce ne fut que combats, sièges, assauts, rapines et massacres. Aux veillées du pays de Caux, on évoque en frissonnant les crimes qui s’y commirent. On raconte de mystérieuses légendes. On parle du fameux souterrain qui conduisait jadis à l’abbaye de Jumièges et au manoir d’Agnès Sorel, la belle amie de Charles VII. |
The history of the Malaquis castle is stormy like its name, harsh like its outlines. It has passed through a long series of combats, sieges, assaults, rapines and massacres. A recital of the crimes that have been committed there would cause the stoutest heart to tremble. There are many mysterious legends connected with the castle, and they tell us of a famous subterranean tunnel that formerly led to the abbey of Jumieges and to the manor of Agnes Sorel, mistress of Charles VII. |
Dans cet ancien repaire de héros et de brigands, habite le baron Nathan Cahorn, le baron Satan, comme on l’appelait jadis à la Bourse où il s’est enrichi un peu trop brusquement. Les seigneurs du Malaquis, ruinés, ont dû lui vendre, pour un morceau de pain, la demeure de leurs ancêtres. Il y a installé ses admirables collections de meubles et de tableaux, de faïences et de bois sculptés. Il y vit seul, avec trois vieux domestiques. Nul n’y pénètre jamais. Nul n’a jamais contemplé dans le décor de ces salles antiques les trois Rubens qu’il possède, ses deux Watteau, sa chaire de Jean Goujon, et tant d’autres merveilles arrachées à coups de billets de banque aux plus riches habitués des ventes publiques. |
In that ancient habitation of heroes and brigands, the Baron Nathan Cahorn now lived; or Baron Satan as he was formerly called on the Bourse, where he had acquired a fortune with incredible rapidity. The lords of Malaquis, absolutely ruined, had been obliged to sell the ancient castle at a great sacrifice. It contained an admirable collection of furniture, pictures, wood carvings, and faience. The Baron lived there alone, attended by three old servants. No one ever enters the place. No one had ever beheld the three Rubens that he possessed, his two Watteau, his Jean Goujon pulpit, and the many other treasures that he had acquired by a vast expenditure of money at public sales. |
Le baron Satan a peur. Il a peur non point pour lui, mais pour les trésors accumulés avec une passion si tenace et la perspicacité d’un amateur que les plus madrés des marchands ne peuvent se vanter d’avoir induit en erreur. Il les aime, ses bibelots. Il les aime âprement, comme un avare ; jalousement, comme un amoureux. Chaque jour, au coucher du soleil, les quatre portes bardées de fer qui commandent les deux extrémités du pont et l’entrée de la cour d’honneur, sont fermées et verrouillées. Au moindre choc, des sonneries électriques vibreraient dans le silence. Du côté de la Seine, rien à craindre : le roc s’y dresse à pic. |
Baron Satan lived in constant fear, not for himself, but for the treasures that he had accumulated with such an earnest devotion and with so much perspicacity that the shrewdest merchant could not say that the Baron had ever erred in his taste or judgment. He loved them—his bibelots. He loved them intensely, like a miser; jealously, like a lover. Every day, at sunset, the iron gates at either end of the bridge and at the entrance to the court of honor are closed and barred. At the least touch on these gates, electric bells will ring throughout the castle. |
Or, un vendredi de septembre, le facteur se présenta comme d’ordinaire à la tête-de-pont. Et, selon la règle quotidienne, ce fut le baron qui entrebâilla le lourd battant. Il examina l’homme aussi minutieusement que s’il ne connaissait pas déjà, depuis des années, cette bonne face réjouie et ces yeux narquois de paysan, et l’homme lui dit en riant : |
One Thursday in September, a letter-carrier presented himself at the gate at the head of the bridge, and, as usual, it was the Baron himself who partially opened the heavy portal. He scrutinized the man as minutely as if he were a stranger, although the honest face and twinkling eyes of the postman had been familiar to the Baron for many years. The man laughed, as he said: |
— C’est toujours moi, monsieur le baron. Je ne suis pas un autre qui aurait pris ma blouse et ma casquette. |
"It is only I, Monsieur le Baron. It is not another man wearing my cap and blouse." |
— Sait-on jamais ? murmura Cahorn. |
"One can never tell," muttered the Baron. |
Le facteur lui remit une pile de journaux. Puis il ajouta : |
The man handed him a number of newspapers, and then said: |
— Et maintenant, monsieur le baron, il y a du nouveau. |
"And now, Monsieur le Baron, here is something new." |
— Du nouveau ? |
"Something new?" |
— Une lettre… et recommandée, encore. |
"Yes, a letter. A registered letter." |
Isolé, sans ami ni personne qui s’intéressât à lui, jamais le baron ne recevait de lettre, et tout de suite cela lui parut un événement de mauvais augure dont il y avait lieu de s’inquiéter. Quel était ce mystérieux correspondant qui venait le relancer dans sa retraite ? |
Living as a recluse, without friends or business relations, the baron never received any letters, and the one now presented to him immediately aroused within him a feeling of suspicion and distrust. It was like an evil omen. Who was this mysterious correspondent that dared to disturb the tranquility of his retreat? |
— Il faut signer, monsieur le baron. |
"You must sign for it, Monsieur le Baron.” |
Il signa en maugréant. Puis il prit la lettre, attendit que le facteur eût disparu au tournant de la route, et après avoir fait quelques pas de long en large, il s’appuya contre le parapet du pont et déchira l’enveloppe. Elle portait une feuille de papier quadrillé avec cet en-tête manuscrit : Prison de la Santé, Paris. Il regarda la signature : Arsène Lupin. Stupéfait, il lut : |
He signed; then took the letter, waited until the postman had disappeared beyond the bend in the road, and, after walking nervously to and fro for a few minutes, he leaned against the parapet of the bridge and opened the envelope. It contained a sheet of paper, bearing this heading: Prison de la Sante, Paris. He looked at the signature: Arsene Lupin. Then he read: |
« Il y a, dans la galerie qui réunit vos deux salons, un tableau de Philippe de Champaigne d’excellente facture et qui me plaît infiniment. Vos Rubens sont aussi de mon goût, ainsi que votre plus petit Watteau. Dans le salon de droite, je note la crédence Louis XIII, les tapisseries de Beauvais, le guéridon Empire signé Jacob et le bahut Renaissance. Dans celui de gauche, toute la vitrine des bijoux et des miniatures. |
"Monsieur le Baron: "There is, in the gallery in your castle, a picture of Philippe de Champaigne, of exquisite finish, which pleases me beyond measure. Your Rubens are also to my taste, as well as your smallest Watteau. In the salon to the right, I have noticed the Louis XIII cadence-table, the tapestries of Beauvais, the Empire gueridon signed 'Jacob,' and the Renaissance chest. In the salon to the left, all the cabinet full of jewels and miniatures. |
« Pour cette fois, je me contenterai de ces objets qui seront, je crois, d’un écoulement facile. Je vous prie donc de les faire emballer convenablement et de les expédier à mon nom (port payé), en gare des Batignolles, avant huit jours… faute de quoi, je ferai procéder moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre. Et, comme de juste, je ne me contenterai pas des objets sus-indiqués. |
"For the present, I will content myself with those articles that can be conveniently removed. I will therefore ask you to pack them carefully and ship them to me, charges prepaid, to the station at Batignolles, within eight days, otherwise I shall be obliged to remove them myself during the night of 27 September; but, under those circumstances, I shall not content myself with the articles above mentioned. |
« Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause, et accepter l’expression de mes sentiments de respectueuse considération. |
"Accept my apologies for any inconvenience I may cause you, and believe me to be your humble servant, Arsene Lupin. |
« P.-S. — Surtout ne pas m’envoyer le plus grand des Watteau. Quoique vous l’ayez payé trente mille francs à l’Hôtel des Ventes, ce n’est qu’une copie, l’original ayant été brûlé, sous le Directoire, par Barras, un soir d’orgie. Consulter les Mémoires inédits de Garat. |
"P.S.—Please do not send the largest Watteau. Although you paid thirty thousand francs for it, it is only a copy, the original having been burned, under the Directoire by Barras, during a night of debauchery. Consult the memoirs of Garat. |
« Je ne tiens pas non plus à la châtelaine Louis XV dont l’authenticité me semble douteuse. » |
"I do not care for the Louis XV chatelaine, as I doubt its authenticity." |
Cette lettre bouleversa le baron Cahorn. Signée de tout autre, elle l’eût déjà considérablement alarmé, mais signée d’Arsène Lupin ! |
That letter completely upset the baron. Had it borne any other signature, he would have been greatly alarmed—but signed by Arsene Lupin! |
Lecteur assidu des journaux, au courant de tout ce qui se passait dans le monde en fait de vol et de crime, il n’ignorait rien des exploits de l’infernal cambrioleur. Certes, il savait que Lupin, arrêté en Amérique par son ennemi Ganimard, était bel et bien incarcéré, que l’on instruisait son procès — avec quelle peine ! — Mais il savait aussi que l’on pouvait s’attendre à tout de sa part. D’ailleurs, cette connaissance exacte du château, de la disposition des tableaux et des meubles, était un indice des plus redoutables. Qui l’avait renseigné sur des choses que nul n’avait vues ? |
As an habitual reader of the newspapers, he was versed in the history of recent crimes, and was therefore well acquainted with the exploits of the mysterious burglar. Of course, he knew that Lupin had been arrested in America by his enemy Ganimard and was at present incarcerated in the Prison de la Sante. But he knew also that any miracle might be expected from Arsene Lupin. Moreover, that exact knowledge of the castle, the location of the pictures and furniture, gave the affair an alarming aspect. How could he have acquired that information concerning things that no one had ever seen? |
Le baron leva les yeux et contempla la silhouette farouche du Malaquis, son piédestal abrupt, l’eau profonde qui l’entoure, et haussa les épaules. Non, décidément, il n’y avait point de danger. Personne au monde ne pouvait pénétrer jusqu’au sanctuaire inviolable de ses collections. |
The baron raised his eyes and contemplated the stern outlines of the castle, its steep rocky pedestal, the depth of the surrounding water, and shrugged his shoulders. Certainly, there was no danger. No one in the world could force an entrance to the sanctuary that contained his priceless treasures. |
Personne, soit, mais Arsène Lupin ? Pour Arsène Lupin, est-ce qu’il existe des portes, des ponts-levis, des murailles ? À quoi servent les obstacles les mieux imaginés, les précautions les plus habiles, si Arsène Lupin a décidé d’atteindre tel but ? |
No one, perhaps, but Arsene Lupin! For him, gates, walls and drawbridges did not exist. What use were the most formidable obstacles or the most careful precautions, if Arsene Lupin had decided to effect an entrance? |
Le soir même, il écrivit au procureur de la République à Rouen. Il envoyait la lettre de menaces et réclamait aide et protection. |
That evening, he wrote to the Procurer of the Republique at Rouen. He enclosed the threatening letter and solicited aid and protection. |
La réponse ne tarda point : le nommé Arsène Lupin étant actuellement détenu à la Santé, surveillé de près, et dans l’impossibilité d’écrire, la lettre ne pouvait être que l’œuvre d’un mystificateur. Tout le démontrait, la logique et le bon sens, comme la réalité des faits. Toutefois, et par excès de prudence, on avait commis un expert à l’examen de l’écriture, et, l’expert déclarait que, malgré certaines analogies, cette écriture n’était pas celle du détenu. |
The reply cam at once to the effect that Arsene Lupin was in custody in the Prison de la Sante, under close surveillance, with no opportunity to write such a letter, which was, no doubt, the work of some imposter. But, as an act of precaution, the Procurer had submitted the letter to an expert in handwriting, who declared that, in spite of certain resemblances, the writing was not that of the prisoner. |
« Malgré certaines analogies » le baron ne retint que ces trois mots effarants, où il voyait l’aveu d’un doute qui, à lui seul, aurait dû suffire pour que la justice intervînt. Ses craintes s’exaspérèrent. Il ne cessait de relire la lettre. « Je ferai procéder moi-même au déménagement. » Et cette date précise : la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre !… |
But the words "in spite of certain resemblances” caught the attention of the baron; in them, he read the possibility of a doubt which appeared to him quite sufficient to warrant the intervention of the law. His fears increased. He read Lupin's letter over and over again. "I shall be obliged to remove them myself.” And then there was the fixed date: the night of 27 September. |
Soupçonneux et taciturne, il n’avait pas osé se confier à ses domestiques, dont le dévouement ne lui paraissait pas à l’abri de toute épreuve. Cependant, pour la première fois depuis des années, il éprouvait le besoin de parler, de prendre conseil. Abandonné par la justice de son pays, il n’espérait plus se défendre avec ses propres ressources, et il fut sur le point d’aller jusqu’à Paris et d’implorer l’assistance de quelque ancien policier. |
To confide in his servants was a proceeding repugnant to his nature; but now, for the first time in many years, he experienced the necessity of seeking counsel with some one. Abandoned by the legal official of his own district, and feeling unable to defend himself with his own resources, he was on the point of going to Paris to engage the services of a detective. |
Deux jours s’écoulèrent. Le troisième, en lisant ses journaux, il tressaillit de joie. Le Réveil de Caudebec publiait cet entrefilet : |
Two days passed; on the third day, he was filled with hope and joy as he read the following item in the `Reveil de Caudebec', a newspaper published in a neighboring town: |
« Nous avons le plaisir de posséder dans nos murs, voilà bientôt trois semaines, l’inspecteur principal Ganimard, un des vétérans du service de la Sûreté. M. Ganimard, à qui l’arrestation d’Arsène Lupin, sa dernière prouesse, a valu une réputation européenne, se repose de ses longues fatigues en taquinant le goujon et l’ablette. » |
"We have the pleasure of entertaining in our city, at the present time, the veteran detective Mon. Ganimard who acquired a world-wide reputation by his clever capture of Arsene Lupin. He has come here for rest and recreation, and, being an enthusiastic fisherman, he threatens to capture all the fish in our river.” |
Ganimard ! voilà bien l’auxiliaire que cherchait le baron Cahorn ! Qui mieux que le retors et patient Ganimard saurait déjouer les projets de Lupin ? |
Ganimard! Ah, here is the assistance desired by Baron Cahorn! Who could baffle the schemes of Arsene Lupin better than Ganimard, the patient and astute detective? He was the man for the place. |
Le baron n’hésita pas. Six kilomètres séparent le château de la petite ville de Caudebec. Il les franchit d’un pas allègre, en homme que surexcite l’espoir du salut. |
The baron did not hesitate. The town of Caudebec was only six kilometers from the castle, a short distance to a man whose step was accelerated by the hope of safety. |
Après plusieurs tentatives infructueuses pour connaître l’adresse de l’inspecteur principal, il se dirigea vers les bureaux du Réveil, situés au milieu du quai. Il y trouva le rédacteur de l’entrefilet qui, s’approchant de la fenêtre, s’écria : |
After several fruitless attempts to ascertain the detective's address, the baron visited the office of the `Reveil,' situated on the quai. There he found the writer of the article who, approaching the window, exclaimed: |
— Ganimard ? mais vous êtes sûr de le rencontrer le long du quai, la ligne à la main. C’est là que nous avons lié connaissance, et que j’ai lu par hasard son nom gravé sur sa canne à pêche. Tenez, le petit vieux que l’on aperçoit là-bas, sous les arbres de la promenade. |
"Ganimard? Why, you are sure to see him somewhere on the quai with his fishing-pole. I met him there and chanced to read his name engraved on his rod. Ah, there he is now, under the trees.” |
— En redingote et en chapeau de paille ? |
"That little man, wearing a straw hat?” |
— Justement ! Ah ! un drôle de type, pas causeur et plutôt bourru. |
"Exactly. He is a gruff fellow, with little to say.” |
Cinq minutes après, le baron abordait le célèbre Ganimard, se présentait et tâchait d’entrer en conversation. N’y parvenant point, il aborda franchement la question et exposa son cas. L’autre écouta, immobile, sans perdre de vue le poisson qu’il guettait, puis il tourna la tête vers lui, le toisa des pieds à la tête d’un air de profonde pitié, et prononça : |
Five minutes later, the baron approached the celebrated Ganimard, introduced himself, and sought to commence a conversation, but that was a failure. Then he broached the real object of his interview, and briefly stated his case. The other listened, motionless, with his attention riveted on his fishing-rod. When the baron had finished his story, the fisherman turned, with an air of profound pity, and said: |
— Monsieur, ce n’est guère l’habitude de prévenir les gens que l’on veut dépouiller. Arsène Lupin, en particulier, ne commet pas de pareilles bourdes. |
"Monsieur, it is not customary for thieves to warn people they are about to rob. Arsene Lupin, especially, would not commit such a folly.” |
— Cependant… |
"But—-” |
— Monsieur, si j’avais le moindre doute, croyez bien que le plaisir de fourrer encore dedans ce cher Lupin l’emporterait sur toute autre considération. Par malheur, ce jeune homme est sous les verrous. |
"Monsieur, if I had the least doubt, believe me, the pleasure of again capturing Arsene Lupin would place me at your disposal. But, unfortunately, that young man is already under lock and key.” |
— S’il s’échappe ?… |
"He may have escaped.” |
— On ne s’échappe pas de la Santé. |
"No one ever escaped from the Sante.” |
— Mais, lui… |
"But, he—-” |
— Lui, pas plus qu’un autre. |
"He, no more than any other.” |
— Cependant… |
"Yet—-” |
— Eh bien, s’il s’échappe, tant mieux, je le repincerai. En attendant, dormez sur vos deux oreilles, et n’effarouchez pas davantage cette ablette. |
"Well, if he escapes, so much the better. I will catch him again. Meanwhile, you go home and sleep soundly. That will do for the present. You frighten the fish.” |
La conversation était finie. Le baron retourna chez lui, un peu rassuré par l’insouciance de Ganimard. Il vérifia les serrures, espionna les domestiques, et quarante-huit heures encore se passèrent pendant lesquelles il arriva presque à se persuader que, somme toute, ses craintes étaient chimériques. Non, décidément, comme l’avait dit Ganimard, on ne prévient pas les gens que l’on veut dépouiller. |
The conversation was ended. The baron returned to the castle, reassured to some extent by Ganimard's indifference. He examined the bolts, watched the servants, and, during the next forty-eight hours, he became almost persuaded that his fears were groundless. Certainly, as Ganimard had said, thieves do not warn people they are about to rob. |
La date approchait. Le matin du mardi, veille du 27, rien de particulier. Mais à trois heures, un gamin sonna. Il apportait une dépêche. |
The fateful day was close at hand. It was now the twenty-sixth of September and nothing had happened. But at three o'clock the bell rang. A boy brought this telegram: |
« Aucun colis en gare Batignolles. Préparez tout pour demain soir. |
"No goods at Batignolles station. Prepare everything for tomorrow night. Arsene.” |
De nouveau, ce fut l’affolement, à tel point qu’il se demanda s’il ne céderait pas aux exigences d’Arsène Lupin. |
This telegram threw the baron into such a state of excitement that he even considered the advisability of yielding to Lupin's demands. |
Il courut à Caudebec. Ganimard pêchait à la même place, assis sur un pliant. Sans un mot, il lui tendit le télégramme. |
However, he hastened to Caudebec. Ganimard was fishing at the same place, seated on a campstool. Without a word, he handed him the telegram. |
— Et après ? fit l’inspecteur. |
"Well, what of it?” said the detective. |
— Après ? mais c’est pour demain ! |
"What of it? But it is tomorrow.” |
— Quoi ? |
"What is tomorrow?” |
— Le cambriolage ! le pillage de mes collections ! |
"The robbery! The pillage of my collections!” |
Ganimard déposa sa ligne, se tourna vers lui, et, les deux bras croisés sur sa poitrine, s’écria d’un ton d’impatience : |
Ganimard laid down his fishing-rod, turned to the baron, and exclaimed, in a tone of impatience: |
— Ah ! ça, est-ce que vous vous imaginez que je vais m’occuper d’une histoire aussi stupide ! |
"Ah! Do you think I am going to bother myself about such a silly story as that!” |
— Quelle indemnité demandez-vous pour passer au château la nuit du 27 au 28 septembre ? |
"How much do you ask to pass tomorrow night in the castle?” |
— Pas un sou, fichez-moi la paix. |
"Not a sou. Now, leave me alone.” |
— Fixez votre prix, je suis riche, extrêmement riche. |
"Name your own price. I am rich and can pay it.” |
La brutalité de l’offre déconcerta Ganimard qui reprit, plus calme : |
This offer disconcerted Ganimard, who replied, calmly: |
— Je suis ici en congé et je n’ai pas le droit de me mêler… |
"I am here on a vacation. I have no right to undertake such work.” |
— Personne ne le saura. Je m’engage, quoi qu’il arrive, à garder le silence. |
"No one will know. I promise to keep it secret.” |
— Oh ! il n’arrivera rien. |
"Oh! nothing will happen.” |
— Eh bien, voyons, trois mille francs, est-ce assez ? |
"Come! three thousand francs. Will that be enough?” |
L’inspecteur huma une prise de tabac, réfléchit, et laissa tomber : |
The detective, after a moment's reflection, said: |
— Soit. Seulement, je dois vous déclarer loyalement que c’est de l’argent jeté par la fenêtre. |
"Very well. But I must warn you that you are throwing your money out of the window.” |
— Ça m’est égal. |
"I do not care.” |
— En ce cas… Et puis, après tout, est-ce qu’on sait avec ce diable de Lupin ! Il doit avoir à ses ordres toute une bande… Êtes-vous sûr de vos domestiques ? |
"In that case...but, after all, what do we know about this devil Lupin! He may have quite a numerous band of robbers with him. Are you sure of your servants?” |
— Ma foi… |
"My faith—-” |
— Alors, ne comptons pas sur eux. Je vais prévenir par dépêche deux gaillards de mes amis qui nous donneront plus de sécurité… Et maintenant, filez, qu’on ne nous voie pas ensemble. À demain, vers les neuf heures. |
"Better not count on them. I will telegraph for two of my men to help me. And now, go! It is better for us not to be seen together. Tomorrow evening about nine o'clock.” |
⁂
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|
Le lendemain, date fixée par Arsène Lupin, le baron Cahorn décrocha sa panoplie, fourbit ses armes, et se promena aux alentours de Malaquis. Rien d’équivoque ne le frappa. Le soir, à huit heures et demie, il congédia ses domestiques. Ils habitaient une aile en façade sur la route, mais un peu en retrait, et tout au bout du château. Une fois seul, il ouvrit doucement les quatre portes. Après un moment, il entendit des pas qui s’approchaient. Ganimard présenta ses deux auxiliaires, grands gars solides, au cou de taureau et aux mains puissantes, puis demanda certaines explications. S’étant rendu compte de la disposition des lieux, il ferma soigneusement et barricada toutes les issues par où l’on pouvait pénétrer dans les salles menacées. Il inspecta les murs, souleva les tapisseries, puis enfin il installa ses agents dans la galerie centrale. |
The following day—the date fixed by Arsene Lupin—Baron Cahorn arranged all his panoply of war, furbished his weapons, and, like a sentinel, paced to and fro in front of the castle. He saw nothing, heard nothing. At half-past eight o'clock in the evening, he dismissed his servants. They occupied rooms in a wing of the building, in a retired spot, well removed from the main portion of the castle. Shortly thereafter, the baron heard the sound of approaching footsteps. It was Ganimard and his two assistants—great, powerful fellows with immense hands, and necks like bulls. After asking a few questions relating to the location of the various entrances and rooms, Ganimard carefully closed and barricaded all the doors and windows through which one could gain access to the threatened rooms. He inspected the walls, raised the tapestries, and finally installed his assistants in the central gallery which was located between the two salons. |
— Pas de bêtises, hein ? On n’est pas ici pour dormir. À la
moindre alerte, ouvrez les fenêtres de la cour et appelez-moi. Attention aussi
du côté de l’eau. Dix mètres de falaise droite, des diables de leur
calibre, ça ne les effraye pas. |
"No nonsense! We are not here to sleep. At the slightest sound, open the windows of the court and call me. Pay attention also to the water-side. Ten metres of perpendicular rock is no obstacle to those devils.” |
Il les enferma, emporta les clefs, et dit au baron : |
Ganimard locked his assistants in the gallery, carried away the keys, and said to the baron: |
— Et maintenant, à notre poste. |
"And now, to our post.” |
Il avait choisi, pour y passer la nuit, une petite pièce pratiquée dans l’épaisseur des murailles d’enceinte, entre les deux portes principales, et qui était, jadis, le réduit du veilleur. Un judas s’ouvrait sur le pont, un autre sur la cour. Dans un coin on apercevait comme l’orifice d’un puits. |
He had chosen for himself a small room located in the thick outer wall, between the two principal doors, and which, in former years, had been the watchman's quarters. A peep-hole opened upon the bridge; another on the court. In one corner, there was an opening to a tunnel. |
— Vous m’avez bien dit, monsieur le baron, que ce puits était l’unique entrée des souterrains, et que, de mémoire d’homme, elle est bouchée ? |
"I believe you told me, Monsieur le Baron, that this tunnel is the only subterranean entrance to the castle and that it has been closed up for time immemorial?” |
— Oui. |
"Yes.” |
— Donc, à moins qu’il n’existe une autre issue ignorée de tous, sauf d’Arsène Lupin, ce qui semble un peu problématique, nous sommes tranquilles. |
"Then, unless there is some other entrance, known only to Arsene Lupin, we are quite safe.” |
Il aligna trois chaises, s’étendit confortablement, alluma sa pipe et soupira : |
He placed three chairs together, stretched himself upon them, lighted his pipe and sighed: |
— Vraiment, monsieur le baron, il faut que j’aie rudement envie d’ajouter un étage à la maisonnette où je dois finir mes jours, pour accepter une besogne aussi élémentaire. Je raconterai l’histoire à l’ami Lupin, il se tiendra les côtes de rire. |
"Really, Monsieur le Baron, I feel ashamed to accept your money for such a sinecure as this. I will tell the story to my friend Lupin. He will enjoy it immensely.” |
Le baron ne riait pas. L’oreille aux écoutes, il interrogeait le silence avec une inquiétude croissante. De temps en temps il se penchait sur le puits et plongeait dans le trou béant un œil anxieux. |
The baron did not laugh. He was anxiously listening, but heard nothing save the beating of his own heart. From time to time, he leaned over the tunnel and cast a fearful eye into its depths. He heard the clock strike eleven, twelve, one. |
Onze heures, minuit, une heure sonnèrent. Soudain, il saisit le bras de Ganimard qui se réveilla en sursaut. |
Suddenly, he seized Ganimard's arm. The latter leaped up, awakened from his sleep. |
— Vous entendez ? |
"Do you hear?” asked the baron, in a whisper. |
— Oui. |
"Yes.” |
— Qu’est-ce que c’est ? |
"What is it?” |
— C’est moi qui ronfle ! |
"I was snoring, I suppose.” |
— Mais non, écoutez… |
"No, no, listen.” |
— Ah ! parfaitement, c’est la corne d’une automobile. |
"Ah! yes, it is the horn of an automobile.” |
— Eh bien ? |
"Well?” |
— Eh bien, il est peu probable que Lupin se serve d’une automobile comme d’un bélier pour démolir votre château. Aussi, monsieur le baron, à votre place, je dormirais… comme je vais avoir l’honneur de le faire à nouveau. Bonsoir. |
"Well! it is very improbable that Lupin would use an automobile like a battering-ram to demolish your castle. Come, Monsieur le Baron, return to your post. I am going to sleep. Good-night.” |
Ce fut la seule alerte. Ganimard put reprendre son somme interrompu, et le baron n’entendit plus que son ronflement sonore et régulier. Au petit jour, ils sortirent de leur cellule. Une grande paix sereine, la paix du matin au bord de l’eau fraîche, enveloppait le château. Cahorn radieux de joie, Ganimard toujours paisible, ils montèrent l’escalier. Aucun bruit. Rien de suspect. |
That was the only alarm. Ganimard resumed his interrupted slumbers, and the baron heard nothing except the regular snoring of his companion. At break of day, they left the room. The castle was enveloped in a profound calm; it was a peaceful dawn on the bosom of a tranquil river. They mounted the stairs, Cahorn radiant with joy, Ganimard calm as usual. They heard no sound; they saw nothing to arouse suspicion. |
— Que vous avais-je dit, monsieur le baron ? Au fond, je n’aurais pas dû accepter… Je suis honteux… |
"What did I tell you, Monsieur le Baron? Really, I should not have accepted your offer. I am ashamed.” |
Il prit les clefs et entra dans la galerie. Sur deux chaises, courbés, les bras ballants, les deux agents dormaient. |
He unlocked the door and entered the gallery. Upon two chairs, with drooping heads and pendent arms, the detective's two assistants were asleep. |
— Tonnerre de nom d’un chien ! grogna l’inspecteur. Au même instant, le baron poussait un cri : |
"Tonnerre de nom d'un chien!” exclaimed Ganimard. At the same moment, the baron cried out: |
— Les tableaux !… la crédence !… |
"The pictures! The credence!” |
Il balbutiait, suffoquait, la main tendue vers les places vides, vers les murs dénudés où pointaient les clous, où pendaient les cordes inutiles. Le Watteau, disparu ! les Rubens, enlevés ! les tapisseries, décrochées ! les vitrines, vidées de leurs bijoux ! |
He stammered, choked, with arms outstretched toward the empty places, toward the denuded walls where naught remained but the useless nails and cords. The Watteau, disappeared! The Rubens, carried away! The tapestries taken down! The cabinets, despoiled of their jewels! |
— Et mes candélabres Louis XVI !… et le chandelier du Régent !… et ma Vierge du douzième !… |
"And my Louis XVI candelabra! And the Regent chandelier!...And my twelfth-century Virgin!” |
Il courait d’un endroit à l’autre, effaré, désespéré. Il rappelait ses prix d’achat, additionnait les pertes subies, accumulait des chiffres, tout cela pêle-mêle, en mots indistincts, en phrases inachevées. Il trépignait, il se convulsait, fou de rage et de douleur. On aurait dit un homme ruiné qui n’a plus qu’à se brûler la cervelle. |
He ran from one spot to another in wildest despair. He recalled the purchase price of each article, added up the figures, counted his losses, pell-mell, in confused words and unfinished phrases. He stamped with rage; he groaned with grief. He acted like a ruined man whose only hope is suicide. |
Si quelque chose eût pu le consoler, c’eût été de voir la stupeur de Ganimard. Contrairement au baron, l’inspecteur ne bougeait pas lui. Il semblait pétrifié, et d’un œil vague il examinait les choses. Les fenêtres ? fermées. Les serrures des portes ? intactes. Pas de brèche au plafond. Pas de trou au plancher. L’ordre était parfait. Tout cela avait dû s’effectuer méthodiquement, d’après un plan inexorable et logique. |
If anything could have consoled him, it would have been the stupefaction displayed by Ganimard. The famous detective did not move. He appeared to be petrified; he examined the room in a listless manner. The windows?....closed. The locks on the doors?....intact. Not a break in the ceiling; not a hole in the floor. Everything was in perfect order. The theft had been carried out methodically, according to a logical and inexorable plan. |
— Arsène Lupin… Arsène Lupin, murmura-t-il, effondré. |
"Arsene Lupin....Arsene Lupin,” he muttered. |
Soudain, il bondit sur les deux agents, comme si la colère enfin le secouait, et il les bouscula furieusement et les injuria. Ils ne se réveillèrent point ! |
Suddenly, as if moved by anger, he rushed upon his two assistants and shook them violently. They did not awaken. |
— Diable, fit-il, est-ce que par hasard ?… |
"The devil!” he cried. "Can it be possible?” |
Il se pencha sur eux et, tour à tour, les observa avec attention : ils dormaient, mais d’un sommeil qui n’était pas naturel. |
He leaned over them and, in turn, examined them closely. They were asleep; but their response was unnatural. |
Il dit au baron : — On les a endormis. |
"They have been drugged,” he said to the baron. |
— Mais qui ? |
"By whom?” |
— Eh lui, parbleu !… ou sa bande, mais dirigée par lui. C’est un coup de sa façon. La griffe y est bien. |
"By him, of course, or his men under his discretion. That work bears his stamp.” |
— En ce cas, je suis perdu, rien à faire. |
"In that case, I am lost—nothing can be done.” |
— Rien à faire. |
"Nothing,” assented Ganimard. |
— Mais c’est abominable, c’est monstrueux. |
"It is dreadful; it is monstrous.” |
— Déposez une plainte. |
"Lodge a complaint.” |
— À quoi bon ? |
"What good will that do?” |
— Dame ! essayez toujours… la justice a des ressources… |
"Oh; it is well to try it. The law has some resources.” |
— La justice ! mais vous voyez bien par vous-même… Tenez, en ce moment, où vous pourriez chercher un indice, découvrir quelque chose, vous ne bougez même pas. |
"The law! Bah! it is useless. You represent the law, and, at this moment, when you should be looking for a clue and trying to discover something, you do not even stir.” |
— Découvrir quelque chose avec Arsène Lupin ! Mais, mon cher monsieur, Arsène Lupin ne laisse jamais rien derrière lui ! Il n’y a pas de hasard avec Arsène Lupin ! J’en suis à me demander si ce n’est pas volontairement qu’il s’est fait arrêter par moi, en Amérique ! |
"Discover something with Arsene Lupin! Why, my dear monsieur, Arsene Lupin never leaves any clue behind him. He leaves nothing to chance. Sometimes I think he put himself in my way and simply allowed me to arrest him in America.” |
— Alors, je dois renoncer à mes tableaux, à tout ! Mais ce sont les perles de ma collection qu’il m’a dérobées. Je donnerais une fortune pour les retrouver. Si on ne peut rien contre lui, qu’il dise son prix ! |
"Then, I must renounce my pictures! He has taken the gems of my collection. I would give a fortune to recover them. If there is no other way, let him name his own price.” |
Ganimard le regarda fixement. |
Ganimard regarded the baron attentively, as he said: |
— Ça, c’est une parole sensée. Vous ne la retirez pas ? |
"Now, that is sensible. Will you stick to it?” |
— Non, non, non. Mais pourquoi ? |
"Yes, yes. But why?” |
— Une idée que j’ai. |
"An idea that I have.” |
— Quelle idée ? |
"What is it?” |
— Nous en parlerons si l’enquête n’aboutit pas… Seulement, pas un mot de moi, si vous voulez que je réussisse. |
"We will discuss it later—if the official examination does not succeed. But, not one word about me, if you wish my assistance.” |
Il ajouta entre ses dents : |
He added, between his teeth: |
— Et puis, vrai, je n’ai pas de quoi me vanter. |
"It is true I have nothing to boast of in this affair.” |
Les deux agents reprenaient peu à peu connaissance avec cet air hébété de ceux qui sortent du sommeil hypnotique. Ils ouvraient des yeux étonnés, ils cherchaient à comprendre. Quand Ganimard les interrogea, ils ne se souvenaient de rien. |
The assistants were gradually regaining consciousness with the bewildered air of people who come out of an hypnotic sleep. They opened their eyes and looked about them in astonishment. Ganimard questioned them; they remembered nothing. |
— Cependant, vous avez dû voir quelqu’un ? |
"But you must have seen some one?” |
— Non. |
"No.” |
— Rappelez-vous ? |
"Can't you remember?” |
— Non, non. |
"No, no.” |
— Et vous n’avez pas bu ? |
"Did you drink anything?” |
Ils réfléchirent, et l’un d’eux répondit : |
They considered a moment, and then one of them replied: |
— Si, moi, j’ai bu un peu d’eau. |
"Yes, I drank a little water.” |
— De l’eau de cette carafe ? |
"Out of that carafe?” |
— Oui. |
"Yes.” |
— Moi aussi, déclara le second. |
"So did I,” declared the other. |
Ganimard la sentit, la goûta. Elle n’avait aucun goût spécial, aucune odeur. |
Ganimard smelled and tasted it. It had no particular taste and no odor. |
— Allons, fit-il, nous perdons notre temps. Ce n’est pas en cinq minutes que l’on résoud les problèmes posés par Arsène Lupin. Mais, morbleu ! je jure bien que je le repincerai. Il gagne la seconde manche. À moi la belle ! |
"Come,” he said, "we are wasting our time here. One can't decide an Arsene Lupin problem in five minutes. But, morbleau! I swear I will catch him again.” |
Le jour même, une plainte en vol qualifié était déposée par le baron de Cahorn contre Arsène Lupin, détenu à la Santé ! |
The same day, a charge of burglary was duly performed by Baron Cahorn against Arsene Lupin, a prisoner in the Prison de la Sante. |
⁂
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Cette plainte, le baron la regretta souvent quand il vit le Malaquis livré aux gendarmes, au procureur, au juge d’instruction, aux journalistes, à tous les curieux qui s’insinuent partout où ils ne devraient pas être. |
The baron afterwards regretted making the charge against Lupin when he saw his castle delivered over to the gendarmes, the procureur, the judge d'instruction, the newspaper reporters and photographers, and a throng of idle curiosity-seekers. |
L’affaire passionnait déjà l’opinion. Elle se produisait dans des conditions si particulières, le nom d’Arsène Lupin excitait à tel point les imaginations, que les histoires les plus fantaisistes remplissaient les colonnes des journaux et trouvaient créance auprès du public. |
The affair soon became a topic of general discussion, and the name of Arsene Lupin excited the public imagination to such an extent that the newspapers filled their columns with the most fantastic stories of his exploits which found ready credence amongst their readers. |
Mais la lettre initiale d’Arsène Lupin, que publia l’Écho de France (et nul ne sut jamais qui en avait communiqué le texte), cette lettre où le baron Cahorn était effrontément prévenu de ce qui le menaçait, causa une émotion considérable. Aussitôt des explications fabuleuses furent proposées. On rappela l’existence des fameux souterrains. Et le parquet influencé poussa ses recherches dans ce sens. On fouilla le château du haut en bas. On questionna chacune des pierres. On étudia les boiseries et les cheminées, les cadres des glaces et les poutres des plafonds. À la lueur des torches, on examina les caves immenses où les seigneurs du Malaquis entassaient jadis leurs munitions et leurs provisions. On sonda les entrailles du rocher. Ce fut vainement. On ne découvrit pas le moindre vestige de souterrain. Il n’existait point de passage secret. |
But the letter of Arsene Lupin that was published in the `Echo de France' (no once ever knew how the newspaper obtained it), that letter in which Baron Cahorn was impudently warned of the coming theft, caused considerable excitement. The most fabulous theories were advanced. Some recalled the existence of the famous subterranean tunnels, and that was the line of research pursued by the officers of the law, who searched the house from top to bottom, questioned every stone, studied the wainscoting and the chimneys, the window-frames and the girders in the ceilings. By the light of torches, they examined the immense cellars where the lords of Malaquis were wont to store their munitions and provisions. They sounded the rocky foundation to its very centre. But it was all in vain. They discovered no trace of a subterranean tunnel. No secret passage existed. |
Soit, répondait-on de tous côtés, mais des meubles et des tableaux ne s’évanouissent pas comme des fantômes. Cela s’en va par des portes et par des fenêtres, et les gens qui s’en emparent, s’introduisent et s’en vont également par des portes et des fenêtres. Quels sont ces gens ? Comment se sont-ils introduits ? Et comment s’en sont-ils allés ? |
But the eager public declared that the pictures and furniture could not vanish like so many ghosts. They are substantial, material things and require doors and windows for their exits and their entrances, and so do the people that remove them. Who were those people? How did they gain access to the castle? And how did they leave it? |
Le parquet de Rouen, convaincu de son impuissance, sollicita le secours d’agents parisiens. M. Dudouis, le chef de la Sûreté, envoya ses meilleurs limiers de la brigade de fer. Lui-même fit un séjour de quarante-huit heures au Malaquis. Il ne réussit pas davantage. C’est alors qu’il manda l’inspecteur principal Ganimard dont il avait eu si souvent l’occasion d’apprécier les services. |
The police officers of Rouen, convinced of their own impotence, solicited the assistance of the Parisian detective force. Mon. Dudouis, chief of the Surete, sent the best sleuths of the iron brigade. He himself spent forty-eight hours at the castle, but met with no success. Then he sent for Ganimard, whose past services had proved so useful when all else failed. |
Ganimard écouta silencieusement les instructions de son supérieur, puis, hochant la tête, il prononça : |
Ganimard listened, in silence, to the instructions of his superior; then, shaking his head, he said: |
— Je crois que l’on fait fausse route en s’obstinant à fouiller le château. La solution est ailleurs. |
"In my opinion, it is useless to ransack the castle. The solution of the problem lies elsewhere.” |
— Et où donc ? |
"Where, then?” |
— Auprès d’Arsène Lupin. |
"With Arsene Lupin.” |
— Auprès d’Arsène Lupin ! Supposer cela, c’est admettre son intervention. |
"With Arsene Lupin! To support that theory, we must admit his intervention.” |
— Je l’admets. Bien plus, je la considère comme certaine. |
"I do admit it. In fact, I consider it quite certain.” |
— Voyons, Ganimard, c’est absurde. Arsène Lupin est en prison. |
"Come, Ganimard, that is absurd. Arsene Lupin is in prison.” |
— Arsène Lupin est en prison, soit. Il est surveillé, je vous l’accorde. Mais il aurait les fers aux pieds, des cordes aux poignets et un bâillon sur la bouche, que je ne changerais pas d’avis. |
"I grant you that Arsene Lupin is in prison, closely guarded; but he must have fetters on his feet, manacles on his wrists, and gag in his mouth before I change my opinion.” |
— Et pourquoi cette obstination ? |
"Why so obstinate, Ganimard?” |
— Parce que, seul, Arsène Lupin est de taille à combiner une machine de cette envergure, et de la combiner de telle façon qu’elle réussisse… comme elle a réussi. |
"Because Arsene Lupin is the only man in France of sufficient calibre to invent and carry out a scheme of that magnitude.” |
— Des mots, Ganimard ! |
"Mere words, Ganimard.” |
— Qui sont des réalités. Mais voilà, qu’on ne cherche pas de souterrain, de pierres tournant sur un pivot, et autres balivernes de ce calibre. Notre individu n’emploie pas des procédés aussi vieux jeu. Il est d’aujourd’hui, ou plutôt de demain. |
"But true ones. Look! What are they doing? Searching for subterranean passages, stones swinging on pivots, and other nonsense of that kind. But Lupin doesn't employ such old-fashioned methods. He is a modern cracksman, right up to date.” |
— Et vous concluez ? |
"And how would you proceed?” |
— Je conclus en vous demandant nettement l’autorisation de passer une heure avec lui. |
"I should ask your permission to spend an hour with him.” |
— Dans sa cellule ? |
"In his cell?” |
— Oui. Au retour d’Amérique nous avons entretenu, pendant la traversée, d’excellents rapports, et j’ose dire qu’il a quelque sympathie pour celui qui a su l’arrêter. S’il peut me renseigner sans se compromettre, il n’hésitera pas à m’éviter un voyage inutile. |
"Yes. During the return trip from America we became very friendly, and I venture to say that if he can give me any information without compromising himself he will not hesitate to save me from incurring useless trouble.” |
Il était un peu plus de midi lorsque Ganimard fut introduit dans la cellule d’Arsène Lupin. Celui-ci, étendu sur son lit, leva la tête et poussa un cri de joie. |
It was shortly after noon when Ganimard entered the cell of Arsene Lupin. The latter, who was lying on his bed, raised his head and uttered a cry of apparent joy. |
— Ah ! ça, c’est une vraie surprise. Ce cher Ganimard, ici ! |
"Ah! This is a real surprise. My dear Ganimard, here!” |
— Lui-même. |
"Ganimard himself.” |
— Je désirais bien des choses dans la retraite que j’ai choisie… mais aucune plus passionnément que de vous y recevoir. |
"In my chosen retreat, I have felt a desire for many things, but my fondest wish was to receive you here.” |
— Trop aimable. |
"Very kind of you, I am sure.” |
— Mais non, mais non, je professe pour vous la plus vive estime. |
"Not at all. You know I hold you in the highest regard.” |
— J’en suis fier. |
"I am proud of it.” |
— Je l’ai toujours prétendu : Ganimard est notre meilleur détective. Il vaut presque, — vous voyez comme je suis franc ! — il vaut presque Sherlock Holmès. Mais, en vérité, je suis désolé de n’avoir à vous offrir que cet escabeau. Et pas un rafraîchissement ! pas un verre de bière ! Excusez-moi, je suis là de passage. |
"I have always said: Ganimard is our best detective. He is almost,—you see how candid I am!—he is almost as clever as Sherlock Holmes. But I am sorry that I cannot offer you anything better than this hard stool. And no refreshments! Not even a glass of beer! Of course, you will excuse me, as I am here only temporarily.” |
Ganimard s’assit en souriant, et le prisonnier reprit, heureux de parler : |
Ganimard smiled, and accepted the proffered seat. Then the prisoner continued: |
— Mon Dieu, que je suis content de reposer mes yeux sur la figure d’un honnête homme ! J’en ai assez de toutes ces faces d’espions et de mouchards qui passent dix fois par jour la revue de mes poches et de ma modeste cellule, pour s’assurer que je ne prépare pas une évasion. Fichtre, ce que le gouvernement tient à moi !… |
"Mon Dieu, how pleased I am to see the face of an honest man. I am so tired of those devils of spies who come here ten times a day to ransack my pockets and my cell to satisfy themselves that I am not preparing to escape. The government is very solicitous on my account.” |
— Il a raison. |
"It is quite right.” |
— Mais non ! je serais si heureux qu’on me laissât vivre dans mon petit coin ! |
"Why so? I should be quite contented if they would allow me to live in my own quiet way.” |
— Avec les rentes des autres. |
"On other people's money.” |
— N’est-ce pas ? Ce serait si simple ! Mais je bavarde, je dis des bêtises, et vous êtes peut-être pressé. Allons au fait, Ganimard ! Qu’est-ce qui me vaut l’honneur d’une visite ? |
"Quite so. That would be so simple. But here, I am joking, and you are, no doubt, in a hurry. So let us come to business, Ganimard. To what do I owe the honor of this visit? |
— L’affaire Cahorn, déclara Ganimard, sans détour. |
"The Cahorn affair,” declared Ganimard, frankly. |
— Halte-là ! une seconde… C’est que j’en ai tant d’affaires ! Que je trouve d’abord dans mon cerveau le dossier de l’affaire Cahorn… Ah ! voilà, j’y suis. Affaire Cahorn, château du Malaquis, Seine-Inférieure… Deux Rubens, un Watteau, et quelques menus objets. |
"Ah! Wait, one moment. You see I have had so many affairs! First, let me fix in my mind the circumstances of this particular case....Ah! yes, now I have it. The Cahorn affair, Malaquis castle, Seine-Inferieure....Two Rubens, a Watteau, and a few trifling articles.” |
— Menus ! |
"Trifling!” |
— Oh ! ma foi, tout cela est de médiocre importance. Il y a mieux ! Mais il suffit que l’affaire vous intéresse… Parlez donc, Ganimard. |
"Oh! ma foi, all that is of slight importance. But it suffices to know that the affair interests you. How can I serve you, Ganimard?” |
— Dois-je vous expliquer où nous en sommes de l’instruction ? |
"Must I explain to you what steps the authorities have taken in the matter?” |
— Inutile. J’ai lu les journaux de ce matin. Je me permettrai même de vous dire que vous n’avancez pas vite. |
"Not at all. I have read the newspapers and I will frankly state that you have made very little progress.” |
— C’est précisément la raison pour laquelle je m’adresse à votre obligeance. |
"And that is the reason I have come to see you.” |
— Entièrement à vos ordres. |
"I am entirely at your service.” |
— Tout d’abord ceci : l’affaire a bien été conduite par vous ? |
"In the first place, the Cahorn affair was managed by you?” |
— Depuis A jusqu’à Z. |
"From A to Z.” |
— La lettre d’avis ? le télégramme ? |
"The letter of warning? the telegram?” |
— Sont de votre serviteur. Je dois même en avoir quelque part les récépissés. |
"All mine. I ought to have the receipts somewhere.” |
Arsène ouvrit le tiroir d’une petite table en bois blanc qui composait avec le lit et l’escabeau tout le mobilier de sa cellule, y prit deux chiffons de papier et les tendit à Ganimard. |
Arsene opened the drawer of a small table of plain white wood which, with the bed and stool, constituted all the furniture in his cell, and took therefrom two scraps of paper which he handed to Ganimard. |
— Ah ! ça mais, s’écria celui-ci, je vous croyais gardé à vue et fouillé pour un oui ou pour un non. Or vous lisez les journaux, vous collectionnez les reçus de la poste… |
"Ah!” exclaimed the detective, in surprise, "I though you were closely guarded and searched, and I find that you read the newspapers and collect postal receipts.” |
— Bah ! ces gens-là sont si bêtes ! Ils décousent la doublure de ma veste, ils explorent les semelles de mes bottines, ils auscultent les murs de cette pièce, mais pas un n’aurait l’idée qu’Arsène Lupin soit assez niais pour choisir une cachette aussi facile. C’est bien là-dessus que j’ai compté. |
"Bah! these people are so stupid! They open the lining of my vest, they examine the soles of my shoes, they sound the walls of my cell, but they never imagine that Arsene Lupin would be foolish enough to choose such a simple hiding place.” |
Ganimard, amusé, s’exclama : |
Ganimard laughed, as he said: |
— Quel drôle de garçon vous faites ! Vous me déconcertez. Allons, racontez-moi l’aventure. |
"What a droll fellow you are! Really, you bewilder me. But, come now, tell me about the Cahorn affair.” |
— Oh ! oh ! comme vous y allez ! Vous initier à tous mes secrets… vous dévoiler mes petits trucs… C’est bien grave. |
"Oh! oh! not quite so fast! You would rob me of all my secrets; expose all my little tricks. That is a very serious matter.” |
— Ai-je eu tort de compter sur votre complaisance ? |
"Was I wrong to count on your complaisance?” |
— Non, Ganimard, et puisque vous insistez… |
"No, Ganimard, and since you insist—-” |
Arsène Lupin arpenta deux ou trois fois sa chambre, puis s’arrêtant : |
Arsene Lupin paced his cell two or three times, then, stopping before Ganimard, he asked: |
— Que pensez-vous de ma lettre au baron ? |
"What do you think of my letter to the baron?” |
— Je pense que vous avez voulu vous divertir, épater un peu la galerie. |
"I think you were amusing yourself by playing to the gallery.” |
— Ah ! voilà, épater la galerie ! Eh bien, je vous assure, Ganimard, que je vous croyais plus fort. Est-ce que je m’attarde à ces puérilités, moi, Arsène Lupin ! Est-ce que j’aurais écrit cette lettre si j’avais pu dévaliser le baron sans lui écrire ? Mais comprenez donc, vous et les autres, que cette lettre est le point de départ indispensable, le ressort qui a mis toute la machine en branle. Voyons, procédons par ordre, et préparons ensemble, si vous voulez, le cambriolage du Malaquis. |
"Ah! playing to the gallery! Come, Ganimard, I thought you knew me better. Do I, Arsene Lupin, ever waste my time on such puerilities? Would I have written that letter if I could have robbed the baron without writing to him? I want you to understand that the letter was indispensable; it was the motor that set the whole machine in motion. Now, let us discuss together a scheme for the robbery of the Malaquis castle. Are you willing?” |
— Je vous écoute. |
"Yes, proceed.” |
— Donc, supposons un château rigoureusement fermé, barricadé, comme l’était celui du baron Cahorn. Vais-je abandonner la partie et renoncer à des trésors que je convoite, sous prétexte que le château qui les contient est inaccessible ? |
"Well, let us suppose a castle carefully closed and barricaded like that of the Baron Cahorn. Am I to abandon my scheme and renounce the treasures that I covet, upon the pretext that the castle which holds them is inaccessible?” |
— Évidemment non. |
"Evidently not.” |
— Vais-je tenter l’assaut comme autrefois, à la tête d’une troupe d’aventuriers ? |
"Should I make an assault upon the castle at the head of a band of adventurers as they did in ancient times?” |
— Enfantin ! |
"That would be foolish.” |
— Vais-je m’y introduire sournoisement ? |
"Can I gain admittance by stealth or cunning?” |
— Impossible. |
"Impossible.” |
— Reste un moyen, l’unique à mon avis, c’est de me faire inviter par le propriétaire du dit château. |
"Then there is only one way open to me. I must have the owner of the castle invite me to it.” |
— Le moyen est original. |
"That is surely an original method.” |
— Et combien facile ! Supposons qu’un jour, ledit propriétaire reçoive une lettre, l’avertissant de ce que trame contre lui un nommé Arsène Lupin, cambrioleur réputé. Que fera-t-il ? |
"And how easy! Let us suppose that one day the owner receives a letter warning him that a notorious burglar known as Arsene Lupin is plotting to rob him. What will he do?” |
— Il enverra la lettre au procureur. |
"Send a letter to the Procureur.” |
— Qui se moquera de lui, puisque le dit Lupin est actuellement sous les verrous. Donc, affolement du bonhomme, lequel est tout prêt à demander secours au premier venu, n’est-il pas vrai ? |
"Who will laugh at him, *because the said Arsene Lupin is actually in prison.* Then, in his anxiety and fear, the simple man will ask the assistance of the first-comer, will he not?” |
— Cela est hors de doute. |
"Very likely.” |
— Et s’il lui arrive de lire dans une feuille de chou qu’un policier célèbre est en villégiature dans la localité voisine… |
"And if he happens to read in a country newspaper that a celebrated detective is spending his vacation in a neighboring town—-” |
— Il ira s’adresser à ce policier. |
"He will seek that detective.” |
— Vous l’avez dit. Mais, d’autre part, admettons qu’en prévision de cette démarche inévitable, Arsène Lupin ait prié l’un de ses amis les plus habiles de s’installer à Caudebec, d’entrer en relations avec un rédacteur du Réveil, journal auquel est abonné le baron, de laisser entendre qu’il est un tel, le policier célèbre, qu’adviendra-t-il ? |
"Of course. But, on the other hand, let us presume that, having foreseen that state of affairs, the said Arsene Lupin has requested one of his friends to visit Caudebec, make the acquaintance of the editor of the `Reveil,' a newspaper to which the baron is a subscriber, and let said editor understand that such person is the celebrated detective—then, what will happen?” |
— Que le rédacteur annoncera dans le Réveil la présence à Caudebec du dit policier. |
"The editor will announce in the `Reveil' the presence in Caudebec of said detective.” |
— Parfait, et de deux choses l’une : ou bien le poisson — je veux dire Cahorn — ne mord pas à l’hameçon, et alors rien ne se passe. Ou bien, et c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, il accourt, tout frétillant. Et voilà donc mon Cahorn implorant contre moi l’assistance de l’un de mes amis ! |
"Exactly; and one of two things will happen: either the fish—I mean Cahorn—will not bite, and nothing will happen; or, what is more likely, he will run and greedily swallow the bait. Thus, behold my Baron Cahorn imploring the assistance of one of my friends against me.” |
— De plus en plus original. |
"Original, indeed!” |
— Bien entendu, le pseudo-policier refuse d’abord son concours. Là-dessus, dépêche d’Arsène Lupin. Épouvante du baron qui supplie de nouveau mon ami, et lui offre tant pour veiller à son salut. Ledit ami accepte, amène deux gaillards de notre bande, qui, la nuit, pendant que Cahorn est gardé à vue par son protecteur, déménagent par la fenêtre un certain nombre d’objets et les laissent glisser, à l’aide de cordes, dans une bonne petite chaloupe affrétée ad hoc. C’est simple comme Lupin. |
"Of course, the pseudo-detective at first refuses to give any assistance. On top of that comes the telegram from Arsene Lupin. The frightened baron rushes once more to my friend and offers him a definite sum of money for his services. My friend accepts and summons two members of our band, who, during the night, whilst Cahorn is under the watchful eye of his protector, removes certain articles by way of the window and lowers them with ropes into a nice little launch chartered for the occasion. Simple, isn't it?” |
— Et c’est tout bêtement merveilleux, s’écria Ganimard, et je ne saurais trop louer la hardiesse de la conception et l’ingéniosité des détails. Mais je ne vois guère de policier assez illustre pour que son nom ait pu attirer, suggestionner le baron à ce point. |
"Marvelous! Marvelous!” exclaimed Ganimard. "The boldness of the scheme and the ingenuity of all its details are beyond criticism. But who is the detective whose name and fame served as a magnet to attract the baron and draw him into your net?” |
— Il y en a un, et il n’y en a qu’un. |
"There is only one name could do it—only one.” |
— Lequel ? |
"And that is?” |
— Celui du plus illustre, de l’ennemi personnel d’Arsène Lupin, bref, de l’inspecteur Ganimard. |
"Arsene Lupin's personal enemy—the most illustrious Ganimard.” |
— Moi ! |
"I?” |
— Vous-même, Ganimard. Et voilà ce qu’il y a de délicieux : si vous allez là-bas et que le baron se décide à causer, vous finirez par découvrir que votre devoir est de vous arrêter vous-même, comme vous m’avez arrêté en Amérique. Hein ! la revanche est comique : je fais arrêter Ganimard par Ganimard ! |
"Yourself, Ganimard. And, really, it is very funny. If you go there, and the baron decides to talk, you will find that it will be your duty to arrest yourself, just as you arrested me in America. Hein! the revenge is really amusing: I cause Ganimard to arrest Ganimard.” |
Arsène Lupin riait de bon cœur. L’inspecteur, assez vexé, se mordait les lèvres. La plaisanterie ne lui semblait pas mériter de tels accès de joie. L’arrivée d’un gardien lui donna le loisir de se remettre. L’homme apportait le repas qu’Arsène Lupin, par faveur spéciale, faisait venir du restaurant voisin. Ayant déposé le plateau sur la table, il se retira. Arsène s’installa, rompit son pain, en mangea deux ou trois bouchées et reprit : |
Arsene Lupin laughed heartily. The detective, greatly vexed, bit his lips; to him the joke was quite devoid of humor. The arrival of a prison guard gave Ganimard an opportunity to recover himself. The man brought Arsene Lupin's luncheon, furnished by a neighboring restaurant. After depositing the tray upon the table, the guard retired. Lupin broke his bread, ate a few morsels, and continued: |
— Mais, soyez tranquille, mon cher Ganimard, vous n’irez pas là-bas. Je vais vous révéler une chose qui vous stupéfiera : l’affaire Cahorn est sur le point d’être classée. |
"But, rest easy, my dear Ganimard, you will not go to Malaquis. I can tell you something that will astonish you: the Cahorn affair is on the point of being settled.” |
— Hein ! — Sur le point d’être classée, vous dis-je. |
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— Allons donc, je quitte à l’instant le chef de la Sûreté. |
"Excuse me; I have just seen the Chief of the Surete.” |
— Et après ? Est-ce que M. Dudouis en sait plus long que moi sur ce qui me concerne ? Vous apprendrez que Ganimard — excusez-moi — que le pseudo-Ganimard est resté en fort bons termes avec le baron. Celui-ci, et c’est la raison principale pour laquelle il n’a rien avoué, l’a chargé de la très délicate mission de négocier avec moi une transaction, et, à l’heure présente, moyennant une certaine somme, il est probable que le baron est rentré en possession de ses chers bibelots. En retour de quoi, il retirera sa plainte. Donc, plus de vol. Donc il faudra bien que le parquet abandonne… |
"What of that? Does Mon. Dudouis know my business better than I do myself? You will learn that Ganimard—excuse me—that the pseudo-Ganimard still remains on very good terms with the baron. The latter has authorized him to negotiate a very delicate transaction with me, and, at the present moment, in consideration of a certain sum, it is probable that the baron has recovered possession of his pictures and other treasures. And on their return, he will withdraw his complaint. Thus, there is no longer any theft, and the law must abandon the case.” |
Ganimard considéra le détenu d’un air stupéfait. |
Ganimard regarded the prisoner with a bewildered air. |
— Et comment savez-vous tout cela ? |
"And how do you know all that?” |
— Je viens de recevoir la dépêche que j’attendais. |
"I have just received the telegram I was expecting.” |
— Vous venez de recevoir une dépêche ? |
"You have just received a telegram?” |
— À l’instant, cher ami. Par politesse, je n’ai pas voulu la lire en votre présence. Mais si vous m’y autorisez… |
"This very moment, my dear friend. Out of politeness, I did not wish to read it in your presence. But if you will permit me—-” |
— Vous vous moquez de moi, Lupin. |
"You are joking, Lupin.” |
— Veuillez, mon cher ami, décapiter doucement cet œuf à la coque. Vous constaterez par vous-même que je ne me moque pas de vous. |
"My dear friend, if you will be so kind as to break that egg, you will learn for yourself that I am not joking.” |
Machinalement Ganimard obéit, et cassa l’œuf avec la lame d’un couteau. Un cri de surprise lui échappa. La coque, vide, contenait une feuille de papier bleu. Sur la prière d’Arsène, il la déplia. C’était un télégramme, ou plutôt une partie de télégramme auquel on avait arraché les indications de la poste. Il lut : |
Mechanically, Ganimard obeyed, and cracked the egg-shell with the blade of a knife. He uttered a cry of surprise. The shell contained nothing but a small piece of blue paper. At the request of Arsene he unfolded it. It was a telegram, or rather a portion of a telegram from which the post-marks had been removed. It read as follows: |
« Accord conclu. Cent mille balles livrées. Tout va bien. » |
"Contract closed. Hundred thousand balls delivered. All well.” |
— Cent mille balles ? fit-il. |
"One hundred thousand balls?” said Ganimard. |
— Oui, cent mille francs ! C’est peu, mais enfin les temps sont durs… Et j’ai des frais généraux si lourds ! Si vous connaissiez mon budget… un budget de grande ville ! |
"Yes, one hundred thousand francs. Very little, but then, you know, these are hard times....And I have some heavy bills to meet. If you only knew my budget....living in the city comes very high.” |
Ganimard se leva. Sa mauvaise humeur s’était dissipée. Il réfléchit quelques secondes, embrassa d’un coup d’œil toute l’affaire, pour tâcher d’en découvrir le point faible. Puis il prononça d’un ton où il laissait franchement percer son admiration de connaisseur : |
Ganimard arose. His ill humor had disappeared. He reflected for a moment, glancing over the whole affair in an effort to discover a weak point; then, in a tone and manner that betrayed his admiration of the prisoner, he said: |
— Par bonheur, il n’en existe pas des douzaines comme vous, sans quoi il n’y aurait plus qu’à fermer boutique. |
"Fortunately, we do not have a dozen such as you to deal with; if we did, we would have to close up shop.” |
Arsène Lupin prit un petit air modeste et répondit : |
Arsene Lupin assumed a modest air, as he replied: |
— Bah ! il fallait bien se distraire, occuper ses loisirs… d’autant que le coup ne pouvait réussir que si j’étais en prison. |
"Bah! a person must have some diversion to occupy his leisure hours, especially when he is in prison.” |
— Comment ! s’exclama Ganimard, votre procès, votre défense, l’instruction, tout cela ne vous suffit donc pas pour vous distraire ? |
"What!” exclaimed Ganimard, "your trial, your defense, the examination—isn't that sufficient to occupy your mind?” |
— Non, car j’ai résolu de ne pas assister à mon procès. |
"No, because I have decided not to be present at my trial.” |
— Oh ! oh ! |
"Oh! oh!” |
Arsène Lupin répéta posément : |
Arsene Lupin repeated, positively: |
— Je n’assisterai pas à mon procès. |
"I shall not be present at my trial.” |
— En vérité ! |
"Really!” |
— Ah ! ça, mon cher, vous imaginez-vous que je vais pourrir sur la paille humide ? Vous m’outragez. Arsène Lupin ne reste en prison que le temps qu’il lui plaît, et pas une minute de plus. |
"Ah! my dear monsieur, do you suppose I am going to rot upon the wet straw? You insult me. Arsene Lupin remains in prison just as long as it pleases him, and not one minute more.” |
— Il eût peut-être été plus prudent de commencer par ne pas y entrer, objecta l’inspecteur d’un ton ironique. |
"Perhaps it would have been more prudent if you had avoided getting there,” said the detective, ironically. |
— Ah ! monsieur raille ? monsieur se souvient qu’il a eu l’honneur de procéder à mon arrestation ? Sachez, mon respectable ami, que personne, pas plus vous qu’un autre, n’eût pu mettre la main sur moi, si un intérêt beaucoup plus considérable ne m’avait sollicité à ce moment critique. |
"Ah! monsieur jests? Monsieur must remember that he had the honor to effect my arrest. Know then, my worthy friend, that no one, not even you, could have placed a hand upon me if a much more important event had occupied my attention at that critical moment.” |
— Vous m’étonnez. |
"You astonish me.” |
— Une femme me regardait, Ganimard, et je l’aimais. Comprenez-vous tout ce qu’il y a dans ce fait d’être regardé par une femme que l’on aime ? Le reste m’importait peu, je vous jure. Et c’est pourquoi je suis ici. |
"A woman was looking at me, Ganimard, and I loved her. Do you fully understand what that means: to be under the eyes of a woman that one loves? I cared for nothing in the world but that. And that is why I am here.” |
— Depuis bien longtemps, permettez-moi de le remarquer. |
"Permit me to say: you have been here a long time.” |
— Je voulais oublier d’abord. Ne riez pas : l’aventure avait été charmante, et j’en ai gardé encore le souvenir attendri… Et puis, je suis quelque peu neurasthénique ! La vie est si fiévreuse de nos jours ! Il faut savoir, à certains moments, faire ce que l’on appelle une cure d’isolement. Cet endroit est souverain pour les régimes de ce genre. On y pratique la cure de Santé dans toute sa rigueur. |
"In the first place, I wished to forget. Do not laugh; it was a delightful adventure and it is still a tender memory. Besides, I have been suffering from neurasthenia. Life is so feverish these days that it is necessary to take the `rest cure' occasionally, and I find this spot a sovereign remedy for my tired nerves.” |
— Arsène Lupin, observa Ganimard, vous vous payez ma tête. |
"Arsene Lupin, you are not a bad fellow, after all.” |
— Ganimard, affirma Lupin, nous sommes aujourd’hui vendredi. Mercredi prochain, j’irai fumer mon cigare chez vous, rue Pergolèse, à quatre heures de l’après-midi. |
"Thank you,” said Lupin. "Ganimard, this is Friday. On Wednesday next, at four o'clock in the afternoon, I will smoke my cigar at your house in the rue Pergolese.” |
— Arsène Lupin, je vous attends. |
"Arsene Lupin, I will expect you.” |
Ils se serrèrent la main comme deux bons amis qui s’estiment à leur juste valeur, et le vieux policier se dirigea vers la porte. |
They shook hands like two old friends who valued each other at their true worth; then the detective stepped to the door. |
— Ganimard ! |
"Ganimard!” |
Celui-ci se retourna. — Qu’y a-t-il ? |
"What is it?” asked Ganimard, as he turned back. |
— Ganimard, vous oubliez votre montre. |
"You have forgotten your watch.” |
— Ma montre ? |
"My watch?” |
— Oui, elle s’est égarée dans ma poche. |
"Yes, it strayed into my pocket.” |
Il la rendit en s’excusant. |
He returned the watch, excusing himself” |
— Pardonne-moi… une mauvaise habitude… Mais ce n’est pas une raison parce qu’ils m’ont pris la mienne pour que je vous prive de la vôtre. D’autant que j’ai là un chronomètre dont je n’ai pas à me plaindre, et qui satisfait pleinement à mes besoins. |
"Pardon me....a bad habit. Because they have taken mine is nor reason why I should take yours. Besides, I have a chronometer here that satisfies me fairly well.” |
Il sortit du tiroir une large montre en or, épaisse et confortable, ornée d’une lourde chaîne. |
He took from the drawer a large gold watch and heavy chain. |
— Et celle-ci, de quelle poche vient-elle ? demanda Ganimard. |
"From whose pocket did that come?” asked Ganimard. |
Arsène Lupin examina négligemment les initiales. |
Arsene Lupin gave a hasty glance at the initials engraved on the watch. |
— J. B… Qui diable cela peut-il bien être ?… Ah ! oui, je me souviens, Jules Bouvier, mon juge d’instruction, un homme charmant… |
"J.B.....Who the devil can that be?....Ah! yes, I remember. Jules Bouvier, the judge who conducted my examination. A charming fellow!....” |