Dracula |
Dracula |
de Bram Stoker |
by Bram Stoker |
traduction de Ève et Lucie Paul-Margueritte
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1897 |
Chapitre X |
Chapter X |
Lettre du Dr Seward |
Mina Murray's Journal |
à l’honorable Arthur Holmwood 6 septembre « Mon cher Art, « Les nouvelles, aujourd’hui, ne sont plus aussi bonnes. « L’état de santé de Lucy s’est un peu aggravé. Cependant, cette aggravation a eu un résultat que je n’osais pas espérer : Mrs Westenra m’a demandé ce que, médicalement, je pensais de la situation présente ; j’en ai profité pour lui dire que mon vieux maître, le professeur Van Helsing, venait passer quelques jours chez moi et que j’allais lui demander d’examiner et de soigner. Lucy à son tour ; de sorte que, maintenant, chaque fois que nous le jugeons nécessaire, il nous est permis de nous rendre chez cette bonne dame sans trop l’inquiéter ni lui causer une trop grande émotion qui serait fatale pour elle ; d’autant plus que la douleur qu’en éprouverait Lucy lui serait un choc que nous devons à tout prix éviter. « Tous, mon pauvre vieil ami, nous sommes devant des difficultés qui paraissent insurmontables ; j’espère toutefois qu’avec l’aide de Dieu, nous en viendront à bout. « Au besoin, je vous écrirai encore ; si donc, vous ne recevez d’ici quelque temps rien de moi, c’est que j’attends moi-même les événements. « En hâte, « Bien à vous, « John Seward. » |
Letter, Dr. Seward to Hon. Arthur Holmwood "6 September. "My dear Art,— "My news to-day is not so good. Lucy this morning had gone back a bit. There is, however, one good thing which has arisen from it; Mrs. Westenra was naturally anxious concerning Lucy, and has consulted me professionally about her. I took advantage of the opportunity, and told her that my old master, Van Helsing, the great specialist, was coming to stay with me, and that I would put her in his charge conjointly with myself; so now we can come and go without alarming her unduly, for a shock to her would mean sudden death, and this, in Lucy's weak condition, might be disastrous to her. We are hedged in with difficulties, all of us, my poor old fellow; but, please God, we shall come through them all right. If any need I shall write, so that, if you do not hear from me, take it for granted that I am simply waiting for news. In haste Yours ever,
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La première chose que me dit Van Helsing, quand nous nous rejoignîmes à Liverpool Street, fut : |
Dr. Seward's Diary,
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— Avez-vous averti notre jeune ami, le fiancé ? |
"Have you said anything to our young friend the lover of her?" |
— Non, répondis-je, j’attendais de vous avoir vu, ainsi que je vous le disais dans mon télégramme. Je lui ai envoyé un mot, lui disant simplement que vous comptiez revenir examiner à nouveau Miss Westenra, et que je lui donnerais des nouvelles dès que j’en aurais. |
"No," I said. "I waited till I had seen you, as I said in my telegram. I wrote him a letter simply telling him that you were coming, as Miss Westenra was not so well, and that I should let him know if need be." |
— Bon, mon ami, c’est parfait ! Il faut mieux ne pas le mettre au courant maintenant… Peut-être ne saura-t-il jamais la vérité : je l’espère de tout mon cœur ! Mais, si cela était absolument nécessaire, nous lui dirions tout. Mon ami, comprenez-moi, mieux que personne, vous me comprendrez vous dont la spécialité est de soigner les malades mentaux. Nous sommes tous fous, d’une manière ou d’une autre ; et, dans la mesure où vous faites preuve de discrétion quand vous soignez vos fous, vous vous conduisez de même avec les fous de Dieu : tous les autres hommes. Vous ne dites pas à vos malades pourquoi vous les soignez de telle ou de telle façon ; vous ne leur dites pas ce que vous pensez. Dans le cas qui nous occupe, ce que vous savez vous le garderez pour vous, jusqu’à ce que votre conviction soit plus solide. Oui, ce que nous savons, nous le garderons là et là… pour le moment… (Il me toucha la place du cœur, puis le front, puis ramena son doigt à son cœur, à son front). Pour ma part, je suis déjà parvenu à certaines conclusions que je vous dévoilerai plus tard. |
"Right, my friend," he said, "quite right! Better he not know as yet; perhaps he shall never know. I pray so; but if it be needed, then he shall know all. And, my good friend John, let me caution you. You deal with the madmen. All men are mad in some way or the other; and inasmuch as you deal discreetly with your madmen, so deal with God's madmen, too—the rest of the world. You tell not your madmen what you do nor why you do it; you tell them not what you think. So you shall keep knowledge in its place, where it may rest—where it may gather its kind around it and breed. You and I shall keep as yet what we know here, and here." He touched me on the heart and on the forehead, and then touched himself the same way. "I have for myself thoughts at the present. Later I shall unfold to you." |
— Pourquoi pas maintenant ? demandai-je. Cela nous serait peut-être utile ; cela nous aiderait peut-être à prendre une décision. Il eut un geste de la main, comme pour m’imposer silence et, me regardant dans les yeux, il reprit : |
"Why not now?" I asked. "It may do some good; we may arrive at some decision." He stopped and looked at me, and said:— |
— Mon ami John, quand le blé est sorti de terre mais qu’il n’est pas encore mûr, tant que le lait de la terre maternelle est encore en lui, mais que le soleil n’a pas encore commencé à le peindre de ses couleurs d’or, le laboureur arrache un épi qu’il écrase entre ses mains rugueusement et souffle sur le grain encore vert en vous disant : « Regardez ! C’est du bon blé ; cela promet une fameuse récolte ! » Je lui avouai que je ne saisissais pas le rapport entre cette allégorie et ce dont nous parlions. Avant de répondre, il vint me prendre le bout de l’oreille et, par jeu, le tira, ainsi qu’il en avait l’habitude quand j’assistais à ses cours, des années auparavant. Finalement, il m’expliqua : — Le bon laboureur parle ainsi parce qu’il sait maintenant que la récolte sera bonne, mais il l’ignorait avant de voir l’épi. Mais jamais un bon laboureur ne déterrera le blé qu’il a semé afin de voir s’il pousse. Les enfants qui jouent au laboureur agissent ainsi, mais non pas ceux qui cultivent la terre pour vivre. Comprenez-vous maintenant, ami John ? J’ai semé mon blé, et c’est la nature qui doit le faire germer. S’il se met à germer, tant mieux : j’attendrai que l’épi commence à gonfler. Il se tut, certain que je le suivais à présent. Bientôt pourtant, il reprit à nouveau sur un ton très grave : |
"My friend John, when the corn is grown, even before it has ripened—while the milk of its mother-earth is in him, and the sunshine has not yet begun to paint him with his gold, the husbandman he pull the ear and rub him between his rough hands, and blow away the green chaff, and say to you: 'Look! he's good corn; he will make good crop when the time comes.'" I did not see the application, and told him so. For reply he reached over and took my ear in his hand and pulled it playfully, as he used long ago to do at lectures, and said: "The good husbandman tell you so then because he knows, but not till then. But you do not find the good husbandman dig up his planted corn to see if he grow; that is for the children who play at husbandry, and not for those who take it as of the work of their life. See you now, friend John? I have sown my corn, and Nature has her work to do in making it sprout; if he sprout at all, there's some promise; and I wait till the ear begins to swell." He broke off, for he evidently saw that I understood. Then he went on, and very gravely:— |
— Vous avez été parmi les meilleurs élèves que j’aie jamais eus… Vous n’étiez qu’un étudiant alors ; maintenant, vous êtes un maître, et j’aime à croire que vous avez gardé vos habitudes studieuses d’autrefois. Souvenez-vous, mon ami, que le savoir est plus important que la mémoire, et que nous ne devons pas nous fier aveuglément aux notions acquises. Même si vous avez abandonné ces habitudes d’antan, reprenez-les, et laissez-moi vous dire que le cas de notre chère demoiselle peut devenir — attention, n’est-ce pas, je dis : peut devenir — d’un intérêt réel pour nous et pour les autres. Il ne faut rien négliger. Un conseil : notez même vos doutes, et la moindre de vos hypothèses. Il vous sera sans doute utile, plus tard, de vérifier à quel point vos suppositions étaient justes. L’échec nous sert de leçon, pas le succès ! |
"You were always a careful student, and your case-book was ever more full than the rest. You were only student then; now you are master, and I trust that good habit have not fail. Remember, my friend, that knowledge is stronger than memory, and we should not trust the weaker. Even if you have not kept the good practise, let me tell you that this case of our dear miss is one that may be—mind, I say may be—of such interest to us and others that all the rest may not make him kick the beam, as your peoples say. Take then good note of it. Nothing is too small I counsel you, put down in record even your doubts and surmises. Hereafter it may be of interest to you to see how true you guess. We learn from failure, not from success!" |
Quand je lui parlai des symptômes que je remarquais chez Lucy, les mêmes que précédemment mais beaucoup plus prononcés, il parut fort préoccupé, mais il ne dit rien. Il prit la sacoche qui contenait instruments et médicaments. « Tout l’affreux attirail de notre profession salutaire ; » c’est ainsi qu’un jour, pendant une leçon, il avait appelé l’ensemble de ce qui était nécessaire à un médecin pour exercer son art. Mrs Westenra vint nous accueillir. Son inquiétude n’était pas telle que je l’avais craint. La nature a voulu que même la mort menaçante de temps à autre, porte en soi l’antidote aux terreurs qu’elle inspire. Dans le cas de Mrs Westenra, par exemple, on dirait que tout ce qui ne lui est pas strictement personnel — même ce changement effrayant que nous voyons chez sa fille, qu’elle adore cependant — la laisse plus ou moins indifférente. Ceci n’est pas sans rappeler la façon dont dame Nature procède ; elle entoure certains corps d’une enveloppe insensible qui les protège contre les blessures. Si c’est là un égoïsme salutaire, il nous faut prendre garde de ne pas condamner trop vite celui qui nous paraît coupable d’égoïsme, car les causes en sont parfois plus mystérieuses que nous ne le supposons. |
When I described Lucy's symptoms—the same as before, but infinitely more marked—he looked very grave, but said nothing. He took with him a bag in which were many instruments and drugs, "the ghastly paraphernalia of our beneficial trade," as he once called, in one of his lectures, the equipment of a professor of the healing craft. When we were shown in, Mrs. Westenra met us. She was alarmed, but not nearly so much as I expected to find her, Nature in one of her beneficent moods has ordained that even death has some antidote to its own terrors. Here, in a case where any shock may prove fatal, matters are so ordered that, from some cause or other, the things not personal—even the terrible change in her daughter to whom she is so attached—do not seem to reach her. It is something like the way Dame Nature gathers round a foreign body an envelope of some insensitive tissue which can protect from evil that which it would otherwise harm by contact. If this be an ordered selfishness, then we should pause before we condemn any one for the vice of egoism, for there may be deeper root for its causes than we have knowledge of. |
Mes connaissances, sur ce point de pathologie spirituelle, m’amenèrent à adopter une ligne de conduite bien définie ; je décidai que la mère ne serait jamais présente quand nous examinerions Lucy et qu’elle ne devrait pas se préoccuper de sa maladie, à moins de nécessité absolue. Mrs Westenra accepta cette décision avec un tel empressement que j’y vis, une fois de plus, un artifice de la nature qui lutte pour sauvegarder la vie. On nous introduisit, Van Helsing et moi, dans la chambre de Lucy. Si, en la voyant hier, j’avais été péniblement frappé, aujourd’hui j’éprouvai bel et bien de l’horreur. Elle avait un teint de craie, et ses lèvres mêmes, ses gencives semblaient exsangues ; son visage était tiré, amaigri au point que les os en étaient proéminents. L’entendre, la voir respirer devenait difficilement supportable. L’expression de Van Helsing se figea ; son front devint si soucieux que l’extrémité de ses sourcils parut se rejoindre au-dessus de front. Lucy ne faisait pas le moindre mouvement, n’avait même pas, eût-on dit, la force de parler, de sorte que nous restâmes tous trois silencieux un bon moment. Puis, Van Helsing me fit un léger signe de la tête, et nous sortîmes de la chambre sur la pointe des pieds. Dès la porte refermée, nous pressâmes le pas pour gagner la chambre voisine et là, aussitôt, le professeur repoussa la porte et dit : — Mon Dieu ! C’est terrible. Il n’y avait pas une minute à perdre. Elle va tout simplement mourir, faute de sang ; elle n’en a même plus assez pour que le cœur fonctionne. Il faut tout de suite faire une transfusion. Qui de nous deux ?… |
I used my knowledge of this phase of spiritual pathology, and laid down a rule that she should not be present with Lucy or think of her illness more than was absolutely required. She assented readily, so readily that I saw again the hand of Nature fighting for life. Van Helsing and I were shown up to Lucy's room. If I was shocked when I saw her yesterday, I was horrified when I saw her to-day. She was ghastly, chalkily pale; the red seemed to have gone even from her lips and gums, and the bones of her face stood out prominently; her breathing was painful to see or hear. Van Helsing's face grew set as marble, and his eyebrows converged till they almost touched over his nose. Lucy lay motionless, and did not seem to have strength to speak, so for a while we were all silent. Then Van Helsing beckoned to me, and we went gently out of the room. The instant we had closed the door he stepped quickly along the passage to the next door, which was open. Then he pulled me quickly in with him and closed the door. "My God!" he said; "this is dreadful. There is no time to be lost. She will die for sheer want of blood to keep the heart's action as it should be. There must be transfusion of blood at once. Is it you or me?" |
— Je suis le plus jeune et le plus fort, professeur. Ce sera donc moi. |
"I am younger and stronger, Professor. It must be me." |
— Alors, tout de suite ! Préparez-vous ! Je vais chercher ma trousse. |
"Then get ready at once. I will bring up my bag. I am prepared." |
Je descendis avec lui, et comme nous arrivions au bas de l’escalier, on frappa à la porte d’entrée. La bonne ouvrit : c’était Arthur. Il se précipita vers moi, l’émotion l’empêchait presque de parler : |
I went downstairs with him, and as we were going there was a knock at the hall-door. When we reached the halt the maid had just opened the door, and Arthur was stepping quickly in. He rushed up to me, saying in an eager whisper:— |
— Jack, je suis si inquiet, me dit-il à voix basse. Votre lettre, je l’ai lue entre les lignes et, depuis lors, vous ne pouvez savoir combien je souffre. Comme mon père va mieux, j’ai décidé de venir me rendre compte de ce qui se passe réellement… Le docteur Van Helsing, je crois ? Je vous suis si reconnaissant, monsieur, d’être venu ! Le professeur, au moment où il l’avait vu entrer, n’avait pu cacher son mécontentement d’être interrompu dans son travail en un moment aussi critique ; mais, l’instant d’après, comprenant sans doute la résolution courageuse qui faisait agir ce garçon, ses yeux brillèrent, et sans attendre, il lui dit en lui tendant la main : |
"Jack, I was so anxious. I read between the lines of your letter, and have been in an agony. The dad was better, so I ran down here to see for myself. Is not that gentleman Dr. Van Helsing? I am so thankful to you, sir, for coming." When first the Professor's eye had lit upon him he had been angry at his interruption at such a time; but now, as he took in his stalwart proportions and recognised the strong young manhood which seemed to emanate from him, his eyes gleamed. Without a pause he said to him gravely as he held out his hand:— |
— Vous arrivez à temps, monsieur. Vous êtes le fiancé de notre chère demoiselle, n’est-ce pas ? Elle est mal, au plus mal… Mais non, jeune homme, ne vous laissez pas abattre de cette façon ! — car Arthur, devenu très pâle, s’était laissé tomber presque évanoui, sur une chaise. Vous êtes courageux, au contraire… Vous allez l’aider. Vous pouvez faire pour elle plus que n’importe qui au monde, et, précisément, c’est par votre courage que vous pouvez le mieux lui venir en aide. |
"Sir, you have come in time. You are the lover of our dear miss. She is bad, very, very bad. Nay, my child, do not go like that." For he suddenly grew pale and sat down in a chair almost fainting. "You are to help her. You can do more than any that live, and your courage is your best help." |
— Que puis-je donc faire ? demanda-t-il d’une voix faible. Dites-moi, et je n’hésiterai pas un moment. Ma vie lui appartient, et je donnerais pour la sauver jusqu’à la dernière goutte de mon sang. Le professeur avait toujours eu de l’humour, et j’en vis encore un trait dans sa réponse : |
"What can I do?" asked Arthur hoarsely. "Tell me, and I shall do it. My life is hers, and I would give the last drop of blood in my body for her." The Professor has a strongly humorous side, and I could from old knowledge detect a trace of its origin in his answer:— |
— Mon jeune monsieur, fit-il, je ne vous demande pas tant : je ne vous demande pas jusqu’à la dernière goutte de votre sang ! — Que faut-il faire alors ? Il y avait comme du feu dans ses yeux, et ses narines palpitaient d’impatience. Van Helsing lui donna une tape sur l’épaule. — Venez, dit-il. C’est un homme comme vous qu’il nous faut. Vous conviendrez beaucoup mieux que moi, beaucoup mieux que mon ami John. Arthur, évidemment, ne saisissait pas le sens de ces paroles, et le professeur lui expliqua doucement: — Oui, la jeune demoiselle est très, très mal. Il ne lui reste pour ainsi dire plus de sang, et nous devons lui en rendre, ou elle mourra. Nous nous étions mis d’accord, mon ami John et moi, pour lui faire ce que nous appelons une transfusion de sang. Et John allait donner le sien, puisqu’il est beaucoup plus jeune et plus fort que moi. — Ici, Arthur me saisit la main et la serra longuement et avec force. — Mais, à présent, poursuivit Van Helsing, à présent que vous êtes ici, vous êtes le plus fort de nous trois ; peu importe qu’il soit jeune et moi vieux : puisque lui et moi, en tout cas, nous travaillons, d’une façon intense, avec notre cerveau ; nous n’avons donc pas les nerfs aussi calmes que les vôtres, notre sang n’est certainement pas aussi rouge que celui qui coule dans vos veines ! |
"My young sir, I do not ask so much as that—not the last!" "What shall I do?" There was fire in his eyes, and his open nostril quivered with intent. Van Helsing slapped him on the shoulder. "Come!" he said. "You are a man, and it is a man we want. You are better than me, better than my friend John." Arthur looked bewildered, and the Professor went on by explaining in a kindly way:— "Young miss is bad, very bad. She wants blood, and blood she must have or die. My friend John and I have consulted; and we are about to perform what we call transfusion of blood—to transfer from full veins of one to the empty veins which pine for him. John was to give his blood, as he is the more young and strong than me"—here Arthur took my hand and wrung it hard in silence—"but, now you are here, you are more good than us, old or young, who toil much in the world of thought. Our nerves are not so calm and our blood not so bright than yours!" Arthur turned to him and said:— |
Arthur se tourna vers lui : — Si vous pouviez savoir, commença-t-il, combien je serais heureux de mourir pour elle, alors, vous comprendriez… |
"If you only knew how gladly I would die for her you would understand " |
Mais il dut s’interrompre, la voix étranglée. |
He stopped, with a sort of choke in his voice. |
— Brave garçon ! s’écria Van Helsing. Le jour viendra bientôt où, au fond de votre cœur, vous vous réjouirez d’avoir tout fait pour celle que vous aimez ! Maintenant, venez avec nous, et taisez-vous. Vous l’embrasserez une fois avant la transfusion ; mais, quand ce sera fait, vous nous laisserez ; vous quitterez la chambre dès que je vous ferai signe qu’il en est temps. Et, pas un mot à Mrs Westenra ! Il faut la ménager — je ne vous apprends rien. Venez ! |
"Good boy!" said Van Helsing. "In the not-so-far-off you will be happy that you have done all for her you love. Come now and be silent. You shall kiss her once before it is done, but then you must go; and you must leave at my sign. Say no word to Madame; you know how it is with her! There must be no shock; any knowledge of this would be one. Come!" |
Nous montâmes tous les trois, mais le professeur ne voulut pas qu’Arthur entrât dans la chambre en même temps que nous. Il attendit sur le palier. Quand elle nous vit, Lucy tourna la tête et nous regarda sans rien dire. Elle ne dormait pas ; mais simplement, elle était trop faible. Un effort pour tenter de parler lui était impossible. Des yeux, elle cherchait notre regard, comme si elle eût voulu se faire comprendre, et c’était là tout ce dont elle était capable. |
We all went up to Lucy's room. Arthur by direction remained outside. Lucy turned her head and looked at us, but said nothing. She was not asleep, but she was simply too weak to make the effort. Her eyes spoke to us; that was all. Van Helsing took some things from his bag and laid them on a little table out of sight. Then he mixed a narcotic, and coming over to the bed, said cheerily:— |
Van Helsing ouvrit la trousse, y prit certaines choses qu’il posa sur une petite table que le malade ne pouvait voir. Il prépara un narcotique, puis revint au chevet de Lucy. |
"Now, little miss, here is your medicine. Drink it off, like a good child. See, I lift you so that to swallow is easy. Yes." She had made the effort with success. |
— Allons, petite demoiselle, fit-il gaiement, vous allez prendre ce médicament ! Buvez bien tout ce qu’il y a dans le verre, comme une enfant sage. Regardez, je tiens le verre, vous le viderez plus facilement. Voilà… C’est parfait ! Je fus étonné de voir combien de temps la drogue mettait à agir. Ceci montrait à quel point la jeune fille était faible. Une éternité sembla s’écouler avant que le sommeil ne commençât à alourdir ses paupières. Toutefois, elle finit par s’endormir profondément. Dès que le narcotique eut produit son effet, Van Helsing fit entrer Arthur dans la chambre et le pria d’ôter son veston. — Et maintenant, ajouta-t-il, vous pouvez l’embrasser, comme je vous l’ai dit ; pendant ce temps, je vais amener la table près du lit. Mon ami John, aidez-moi ! De sorte que, tout à notre occupation, nous ne regardâmes pas Arthur tandis qu’il se penchait vers Lucy. |
It astonished me how long the drug took to act. This, in fact, marked the extent of her weakness. The time seemed endless until sleep began to flicker in her eyelids. At last, however, the narcotic began to manifest its potency; and she fell into a deep sleep. When the Professor was satisfied he called Arthur into the room, and bade him strip off his coat. Then he added: "you may take that one little kiss whiles I bring over the table. Friend John, help to me!" So neither of us looked whilst he bent over her. |
Van Helsing me glissait dans l’oreille : |
Van Helsing turning to me, said: |
— Il est si jeune, si fort et, j’en suis certain, il a le sang si pur que nous n’avons pas à le défibriner. |
"He is so young and strong and of blood so pure that we need not defibrinate it." |
Alors avec des gestes rapides, mais précis, et procédant avec méthode, il commença la transfusion ; peu à peu, la vie sembla de nouveau animer les joues de Lucy tandis que le visage d’Arthur, de plus en plus pâle, rayonnait de joie. Mais l’inquiétude me prit car, si robuste que fût mon ami, je craignais qu’il ne supporte mal de perdre tant de sang. Je mesurai alors l’épreuve que l’organisme que Lucy avait dû subir puisque tout ce sang que lui donnait Arthur en s’affaiblissant plus qu’on n’aurait pu s’y attendre, ne la ranimait que difficilement. Le visage du professeur demeurait grave tandis que, montre en main, son regard se posait tantôt sur la malade, tantôt sur Arthur. Pour moi, j’entendais battre mon cœur. Van Helsing me dit alors : — Cela suffit. Maintenant, occupez-vous de lui ; moi je m’occupe de la malade. À quel point Arthur était affaibli, je m’en rendis seulement tout à fait compte lorsque tout fut terminé. Je soignai sa blessure et, l’ayant pris par le bras, j’allais l’emmener quand Van Helsing parla sans même se retourner — on dirait vraiment que cet homme a des yeux dans la nuque. |
Then with swiftness, but with absolute method, Van Helsing performed the operation. As the transfusion went on something like life seemed to come back to poor Lucy's cheeks, and through Arthur's growing pallor the joy of his face seemed absolutely to shine. After a bit I began to grow anxious, for the loss of blood was telling on Arthur, strong man as he was. It gave me an idea of what a terrible strain Lucy's system must have undergone that what weakened Arthur only partially restored her. But the Professor's face was set, and he stood watch in hand and with his eyes fixed now on the patient and now on Arthur. I could hear my own heart beat. Presently he said in a soft voice: "Do not stir an instant. It is enough. You attend him; I will look to her." When all was over I could see how much Arthur was weakened. I dressed the wound and took his arm to bring him away, when Van Helsing spoke without turning round—the man seems to have eyes in the back of his head:— |
— J’estime que le brave fiancé mérite un autre baiser. Qu’il le prenne tout de suite, ajouta-t-il en redressant l’oreiller sous la tête de la malade. Mais dans le léger mouvement que Lucy fut obligée de faire, l’étroit ruban de velours noir qu’elle porte toujours autour du cou, et qu’elle ferme par une boucle ancienne tout en diamants qu’Arthur lui a donnée, remonta un peu et découvrit une marque rouge. Arthur ne parut rien marquer ; mais j’entendis l’espèce de sifflement bien connu chez Van Helsing quand il aspire profondément, et qui trahit toujours chez lui une surprise mêlée d’émotion. Il ne fit aucune observation au moment même, mais il se retourna et me dit : — Oui, descendez avec notre si courageux jeune homme ; vous lui donnerez un verre de porto et vous le ferez s’étendre un moment. Puis il retournera chez lui pour prendre un long repos, dormir de longues heures et manger le plus possible afin de se remettre complètement après tout ce qu’il vient de donner à sa bien-aimée. Il ne faut pas qu’il reste ici ! Attendez, un mot encore ! Je suppose, monsieur, que vous êtes anxieux de connaître le résultat de ce que nous avons fait. Eh bien ! l’opération a parfaitement réussi. Vous avez sauvé la vie de la jeune demoiselle, et vous pouvez rentrer chez vous l’esprit en paix. Vous avez fait pour elle tout ce que vous pouviez faire. Je le lui dirai quand elle sera guérie. Elle vous en aimera d’autant plus. Au revoir. |
"The brave lover, I think, deserve another kiss, which he shall have presently." And as he had now finished his operation, he adjusted the pillow to the patient's head. As he did so the narrow black velvet band which she seems always to wear round her throat, buckled with an old diamond buckle which her lover had given her, was dragged a little up, and showed a red mark on her throat. Arthur did not notice it, but I could hear the deep hiss of indrawn breath which is one of Van Helsing's ways of betraying emotion. He said nothing at the moment, but turned to me, saying: "Now take down our brave young lover, give him of the port wine, and let him lie down a while. He must then go home and rest, sleep much and eat much, that he may be recruited of what he has so given to his love. He must not stay here. Hold! a moment. I may take it, sir, that you are anxious of result. Then bring it with you that in all ways the operation is successful. You have saved her life this time, and you can go home and rest easy in mind that all that can be is. I shall tell her all when she is well; she shall love you none the less for what you have done. Good-bye." |
Quand Arthur eut quitté la maison, je montrai rejoindre le professeur. Lucy dormait encore, mais sa respiration était meilleure. À son chevet, Van Helsing la regardait attentivement. Le ruban de velours recouvrait à nouveau la marque rouge. Tout bas, je demandai au professeur : |
When Arthur had gone I went back to the room. Lucy was sleeping gently, but her breathing was stronger; I could see the counterpane move as her breast heaved. By the bedside sat Van Helsing, looking at her intently. The velvet band again covered the red mark. I asked the Professor in a whisper:— |
— Comment expliquez-vous cette marque sur sa gorge ? |
"What do you make of that mark on her throat?" |
— Et vous comment l’expliquez-vous ? |
"What do you make of it?" |
— Je ne l’ai pas encore examinée, répondis-je, et je détachai le ruban. Exactement au-dessus de la jugulaire externe on voyait comme deux petites marques qu’auraient laissées des ponctions, pas du tout saines d’aspect. Certes, ce n’étaient pas là les symptômes d’une quelconque maladie, mais les lèvres de ces plaies minuscules étaient blanches, usées, eût-on dit, comme par trituration. Je pensai immédiatement que cette blessure — s’il fallait appeler cela une blessure — pouvait avoir provoqué cette perte de sang si dangereuse ; mais je repoussai cette idée à peine conçue, car elle me semblait absurde. À en juger par l’extrême pâleur de Lucy avant la transfusion, son lit tout entier aurait dû être baigné du sang qu’elle avait perdu. |
"I have not examined it yet," I answered, and then and there proceeded to loose the band. Just over the external jugular vein there were two punctures, not large, but not wholesome-looking. There was no sign of disease, but the edges were white and worn-looking, as if by some trituration. It at once occurred to me that this wound, or whatever it was, might be the means of that manifest loss of blood; but I abandoned the idea as soon as formed, for such a thing could not be. The whole bed would have been drenched to a scarlet with the blood which the girl must have lost to leave such a pallor as she had before the transfusion. |
— Eh bien ? fit Van Helsing. |
"Well?" said Van Helsing. |
— Eh bien ? répondis-je, je n’y comprends rien. — Il faut absolument que je retourne à Amsterdam ce soir, dit-il alors en se levant. Je dois consulter certains livres, certains documents. Vous, vous passerez toute la nuit ici, au chevet de la malade. |
"Well," said I, "I can make nothing of it." The Professor stood up. "I must go back to Amsterdam to-night," he said. "There are books and things there which I want. You must remain here all the night, and you must not let your sight pass from her." |
— Dois-je demander une infirmière ? |
"Shall I have a nurse?" I asked. |
— Nous sommes, vous et moi, les meilleures infirmières. Vous veillerez à ce qu’elle se nourrisse bien, à ce que rien ne la trouble. Surtout, ne vous endormez pas ! Pour vous, comme pour moi, le sommeil viendra plus tard. Je serai de retour le plus tôt possible et, alors, nous pourrons commencer. |
"We are the best nurses, you and I. You keep watch all night; see that she is well fed, and that nothing disturbs her. You must not sleep all the night. Later on we can sleep, you and I. I shall be back as soon as possible. And then we may begin." |
— Nous pourrons commencer ? Que voulez-vous dire ? |
"May begin?" I said. "What on earth do you mean?" |
— Nous verrons ! lança-t-il en sortant précipitamment. Mais, un moment plus tard, il rouvrait la porte ; la tête dans l’entrebâillement et un doigt levé, il me dit encore : |
"We shall see!" he answered, as he hurried out. He came back a moment later and put his head inside the door and said with warning finger held up:— |
— N’oubliez pas : je vous la confie. Si jamais vous la quittez et si pendant ce temps il lui arrive quelque chose de fâcheux, dites-vous bien qu’ensuite vous passerez des nuits blanches ! |
"Remember, she is your charge. If you leave her, and harm befall, you shall not sleep easy hereafter!" |
J’ai veillé toute la nuit, je n’ai pas quitté la chambre de notre malade. Vers le soir, l’effet du narcotique se dissipant, elle s’éveilla de façon toute naturelle. C’était une autre jeune fille que celle que nous avions vue avant la transfusion de sang. Elle avait même quelque chose de gai, de vif, encore qu’on décelât bien des signes de la torpeur où elle avait été plongée. Lorsque je dis à Mrs Westenra que le Dr Van Helsing m’avait recommandé de la veiller toute la nuit, elle admit difficilement cette idée, prétendant que sa fille était complètement remise. Toutefois, je ne cédai point et je me préparai à passer la nuit au chevet de Lucy. Quand sa femme de chambre lui eut fait sa toilette du soir et que, de mon côté, j’eus soupé pendant ce temps, je revins m’asseoir prés de son lit. Loin de s’y opposer le moins du monde, chaque fois que nous nous regardions, je lisais dans ses yeux de la reconnaissance. J’eus l’impression que, peu à peu, elle allait sombrer dans le sommeil mais bientôt il me sembla qu’elle s’efforçait d’y résister. Je remarquai à plusieurs reprises qu’elle faisait cet effort qui, semblait-il, lui était chaque fois plus pénible et revenait à des intervalles de plus en plus courts. Il était évident qu’elle ne voulait pas dormir ; je lui demandai pourquoi. |
Dr. Seward's Diary—continued.
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— J’ai peur de m’endormir, avoua-t-elle. — Peur de vous endormir ! Alors que tous, tant que nous sommes, nous considérons le sommeil comme le bienfait le plus précieux ! |
"You do not want to go to sleep?" "No; I am afraid." "Afraid to go to sleep! Why so? It is the boon we all crave for." |
— Ah ! Vous ne parleriez pas ainsi si vous étiez à ma place… si le sommeil signifiait pour vous des rêves pleins de moments d’horreur. |
"Ah, not if you were like me—if sleep was to you a presage of horror!" |
— Des moments d’horreur ! Pour l’amour du ciel, que voulez-vous dire ? |
"A presage of horror! What on earth do you mean?" |
— Je ne sais pas, je ne sais pas… Et c’est bien ce qu’il y a de plus terrible ! Cet épuisement, c’est quand je dors qu’il me vient ; aussi je frémis à la seule pensée de m’endormir ! |
"I don't know; oh, I don't know. And that is what is so terrible. All this weakness comes to me in sleep; until I dread the very thought." |
— Mais ma chère enfant, cette nuit, vous pourrez dormir sans crainte. Je resterai près de vous et, je vous le promets, tout se passera très bien. |
"But, my dear girl, you may sleep to-night. I am here watching you, and I can promise that nothing will happen." |
— Oh ! je vous crois, j’ai confiance en vous ! — Oui, je vous promets que si je crois reconnaître chez vous quelques signes de cauchemar, je vous veillerai aussitôt. |
"Ah, I can trust you!" I seized the opportunity, and said: "I promise you that if I see any evidence of bad dreams I will wake you at once." |
— Vous m’éveillerez, c’est vrai ? C’est vrai, dites ? Oh ! Que vous êtes bon pour moi ! Dans ce cas, je dormirai… Et à peine eut-elle prononcé ces mots qu’elle poussa un profond soupir de soulagement et retomba sur l’oreiller, endormie. |
"You will? Oh, will you really? How good you are to me. Then I will sleep!" And almost at the word she gave a deep sigh of relief, and sank back, asleep. |
Je la veillai toute la nuit. À aucun moment elle ne remua ; des heures durant, elle dormit d’un sommeil profond, très calme, réparateur. Tout le temps, elle garda les lèvres légèrement entrouvertes, et sa poitrine s’élevait et s’abaissait avec la régularité d’un balancier d’horloge. Un doux sourire donnait à son visage une expression heureuse ; aucun cauchemar, assurément, ne venait troubler sa tranquillité d’esprit. |
All night long I watched by her. She never stirred, but slept on and on in a deep, tranquil, life-giving, health-giving sleep. Her lips were slightly parted, and her breast rose and fell with the regularity of a pendulum. There was a smile on her face, and it was evident that no bad dreams had come to disturb her peace of mind. |
De bonne heure, le matin, sa femme de chambre frappa à la porte ; je la confiai aux soins de celle-ci, et je retournai à l’établissement où j’avais hâte de régler certaines choses. Je télégraphiai à Van Helsing et à Arthur afin de les mettre au courant de l’excellent résultat de la transfusion. Quant à mon propre travail, que j’avais négligé, il me fallut toute la journée pour le mener à bonne fin. Le jour tombait quand j’eus le loisir de demander des nouvelles de Renfield. Elles étaient bonnes; il était très calme depuis la veille. Je dînais lorsque je reçus un télégramme de Van Helsing ; il me demandait de retourner à Hillingham le soir même, car il pensait qu’il serait peut-être utile de passer la nuit là-bas, et m’annonçait qu’il serait lui-même à Hillingham le lendemain matin. |
In the early morning her maid came, and I left her in her care and took myself back home, for I was anxious about many things. I sent a short wire to Van Helsing and to Arthur, telling them of the excellent result of the operation. My own work, with its manifold arrears, took me all day to clear off; it was dark when I was able to inquire about my zoöphagous patient. The report was good; he had been quiet for the past day and night. A telegram came from Van Helsing at Amsterdam whilst I was at dinner, suggesting that I should be at Hillingham to-night, as it might be well to be at hand, and stating that he was leaving by the night mail and would join me early in the morning. |
J’étais fort fatigué lorsque j’arrivai à Hillingham. Je n’avais plus fermé l’œil depuis deux nuits et je commençais à éprouver cet engourdissement qui est le signe de l’épuisement des forces cérébrales. Je trouvai Lucy levée et de fort bonne humeur. En me serrant la main, elle me regarda dans les yeux, et me dit : |
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— Il n’est pas question que vous veilliez cette nuit. Je suis tout à fait bien, je vous assure ! Et s’il y a quelqu’un qui doit veiller, c’est moi qui vous veillerai ! Je ne voulus pas la contrarier. Nous prîmes ensemble le repas du soir et, égayé par sa charmante présence, je passai une heure délicieuse. Je bus deux verres d’un excellent porto. Puis Lucy monta avec moi, me montra une chambre voisine de la sienne et dans laquelle brûlait un bon feu. — Voilà, dit-elle, vous vous reposerez ici. Je laisserai nos deux portes ouvertes. Vous vous étendrez sur le sofa… Je sais que, pour un empire, aucun médecin ne se mettrait au lit quand il y a un malade à l’horizon Soyez certain que, si j’ai besoin de l’un ou l’autre chose, je vous appellerai aussitôt. Je ne pouvais que lui obéir, car, en vérité, je me sentais réellement « à bout » et, l’eussé-je même voulu, je crois qu’il m’aurait été impossible de veiller. Aussi, après lui avoir fait promettre à nouveau qu’elle m’éveillerait si elle avait besoin de quoi que ce fût, je m’étendis sur le sofa, et m’endormis bientôt profondément. |
"No sitting up to-night for you. You are worn out. I am quite well again; indeed, I am; and if there is to be any sitting up, it is I who will sit up with you." I would not argue the point, but went and had my supper. Lucy came with me, and, enlivened by her charming presence, I made an excellent meal, and had a couple of glasses of the more than excellent port. Then Lucy took me upstairs, and showed me a room next her own, where a cozy fire was burning. "Now," she said, "you must stay here. I shall leave this door open and my door too. You can lie on the sofa for I know that nothing would induce any of you doctors to go to bed whilst there is a patient above the horison. If I want anything I shall call out, and you can come to me at once." I could not but acquiesce, for I was "dog-tired," and could not have sat up had I tried. So, on her renewing her promise to call me if she should want anything, I lay on the sofa, and forgot all about everything. |
Quel bien-être ce soir ! Ma faiblesse a été que, de pouvoir à nouveau penser et me promener dans la maison, me donne l’impression de vivre en plein soleil après avoir passé une saison sous un vent d’est et un ciel de plomb. Je ne sais pourquoi, Arthur me semble très proche, plus proche que d’habitude ; j’ai même l’impression de sentir sa chaude présence. Sans doute la maladie, puis la faiblesse qu’elle entraîne font que nous nous replions davantage sur nous-mêmes, que nous tournons vers nous-mêmes notre regard intérieur, tandis que la santé et la force laissent toute liberté à l’amour. Si Arthur savait seulement ce que j’éprouve en ce moment ! Oh ! le repos béni de la nuit dernière ! Comme j’ai bien dormi, rassurée par la présence de ce cher Dr Steward ! Et cette nuit encore, je n’aurai pas peur de m’endormir, puisqu’il est là, dans la chambre à côté et qu’il me suffira de l’appeler. Tout le monde est si bon pour moi ! J’en remercie Dieu ! Bonsoir, Arthur ! |
Lucy Westenras Diary.
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Je sentis une main se poser sur ma tête ; je sus à l’instant que c’était celle du professeur, et j’ouvris les yeux. À l’asile, nous sommes habitués à ces réveils en sursaut. |
Dr. Seward's Diary.
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— Comment va notre malade ? |
"And how is our patient?" |
— Elle allait très bien quand je l’ai quittée ou plutôt quand elle m’a quitté. |
"Well, when I left her, or rather when she left me," I answered. |
— Bon. Allons la voir ! Et, tous deux, nous gagnâmes la chambre de Lucy. |
"Come, let us see," he said. And together we went into the room. |
Le store était baissé et, pour le lever, je me dirigeai sur la pointe des pieds vers la fenêtre tandis que Van Helsing, de sa démarche de chat, s’avançait vers le lit. |
The blind was down, and I went over to raise it gently, whilst Van Helsing stepped, with his soft, cat-like tread, over to the bed. |
Comme je levais le store et que le soleil du matin illuminait la pièce, j’entendis le professeur siffler discrètement de surprise et je sentis mon cœur se serrer. Tandis que j’allais vers lui, il s’éloignait déjà du lit, et son cri étouffé, mais plein d’horreur — Dieu du Ciel ! — eût suffi à me faire comprendre la situation si je n’avais pas vu en même temps la douleur peinte sur son visage. De la main, il me montra le lit. Je sentis mes genoux se dérober sous moi. |
As I raised the blind, and the morning sunlight flooded the room, I heard the Professor's low hiss of inspiration, and knowing its rarity, a deadly fear shot through my heart. As I passed over he moved back, and his exclamation of horror, "Gott in Himmel!" needed no enforcement from his agonised face. He raised his hand and pointed to the bed, and his iron face was drawn and ashen white. I, felt my knees begin to tremble. |
Là, sur le lit, la pauvre Lucy paraissait évanouie, plus pâle, d’une pâleur horrible et plus faible que jamais. Mêmes les lèvres étaient blanches, et les dents apparaissaient seules, sans plus de gencive, eût-on dit, chose que nous voyons parfois quand la mort survient après une très longue maladie. Van Helsing eut un mouvement comme si, de colère, il allait frapper du pied, mais il se retint, s’arrêta dans son geste, et ce fut doucement qu’il reposa le pied-à-terre. — Vite du Cognac ! me dit-il. Je descendis en courant jusqu’à la salle à manger et remontai avec la carafe. Prenant un peu d’alcool, Van Helsing en humecta les lèvres de la pauvre enfant, puis lui en frotta les paumes des mains, les poignets et le cœur. Ensuite il ausculta le cœur, et, après quelques instants d’attente angoissée, déclara : |
There on the bed, seemingly in a swoon, lay poor Lucy, more horribly white and wan-looking than ever. Even the lips were white, and the gums seemed to have shrunken back from the teeth, as we sometimes see in a corpse after a prolonged illness. Van Helsing raised his foot to stamp in anger, but the instinct of his life and all the long years of habit stood to him, and he put it down again softly. "Quick!" he said. "Bring the brandy." I flew to the dining-room, and returned with the decanter. He wetted the poor white lips with it, and together we rubbed palm and wrist and heart. He felt her heart, and after a few moments of agonising suspense said:— |
— Il n’est pas trop tard. Il bat encore, quoique très faiblement. Mais nous devons recommencer tout notre travail. Et le jeune Arthur n’est plus là, maintenant. Il faut donc que je fasse appel à votre générosité, ami John. Tout en parlant, il prenait déjà dans sa trousse les instruments nécessaires à la transfusion ; de mon côté, j’avais enlevé mon veston et relevé la manche de ma chemise, et, sans perdre un moment, nous procédâmes à l’opération. Après quelques moments qui ne me semblèrent pas courts, en vérité, car il est pénible de sentir que votre sang s’écoule de vos veines même si on le donne de plein gré, Van Helsing leva un doigt avertisseur : — Ne bougez pas encore, me dit-il ; attendez… Mais je crains que, ses forces revenant, elle ne s’éveille, et ce serait dangereux, très dangereux Il nous faut prendre des précautions. Je vais lui faire une injection de morphine. L’effet de la morphine fut satisfaisant, car il nous sembla que, chez notre malade, l’évanouissement se transformait peu à peu en un sommeil dû au soporifique. Ce ne fut pas sans un sentiment de fierté que je vis ses joues si pâles et ses lèvres livides reprendre quelque couleur. Un homme doit en avoir fait l’expérience pour savoir ce qu’on éprouve à donner son sang pour sauver la vie de la femme que l’on aime. Le professeur m’observait. — Cela suffira, dit-il. — Déjà ? demandai-je, étonné. Vous en avez pris davantage l’autre jour, quand c’était Arthur qui le donnait. En souriant d’un sourire qui avait quelque chose d’un peu triste, il me répondit : |
"It is not too late. It beats, though but feebly. All our work is undone; we must begin anew. There is no young Arthur here now; I have to call on you yourself this time, friend John." As he spoke, he was dipping into his bag and producing the instruments for transfusion; I had taken off my coat and rolled up my shirt-sleeve. There was no possibility of an opiate just at present, and no need of one; and so, without a moment's delay, we began the operation. After a time—it did not seem a short time either, for the draining away of one's blood, no matter how willingly it be given, is a terrible feeling—Van Helsing held up a warning finger. "Do not stir," he said, "but I fear that with growing strength she may wake; and that would make danger, oh, so much danger. But I shall precaution take. I shall give hypodermic injection of morphia." He proceeded then, swiftly and deftly, to carry out his intent. The effect on Lucy was not bad, for the faint seemed to merge subtly into the narcotic sleep. It was with a feeling of personal pride that I could see a faint tinge of colour steal back into the pallid cheeks and lips. No man knows, till he experiences it, what it is to feel his own life-blood drawn away into the veins of the woman he loves. The Professor watched me critically. "That will do," he said. "Already?" I remonstrated. "You took a great deal more from Art." To which he smiled a sad sort of smile as he replied:— |
— Arthur est son fiancé. Vous, vous avez beaucoup à faire ; vous devez vous occuper non seulement d’elle, mais de vos autres malades. Oui, c’est bien suffisant. |
"He is her lover, her fiancé. You have work, much work, to do for her and for others; and the present will suffice." |
Il soigna Lucy tandis que je me donnais les premiers soins nécessaires. Je m’étendis en attendant que le professeur eût quelques moments de loisir à m’accorder, car je me sentais faible et j’éprouvais un vague malaise. Et lorsqu’il eut appliqué un pansement sur mon incision, il me conseilla en effet de descendre prendre un verre de vin. Comme j’ouvrais la porte, il s’approcha de moi et ajouta en me parlant à l’oreille |
When we stopped the operation, he attended to Lucy, whilst I applied digital pressure to my own incision. I laid down, whilst I waited his leisure to attend to me, for I felt faint and a little sick. By-and-by he bound up my wound, and sent me down-stairs to get a glass of wine for myself. As I was leaving the room, he came after me, and half whispered:— |
— Pas un mot de ceci à personne, n’est-ce pas ? Si notre jeune amoureux arrivait de nouveau à l’improviste, il ne doit rien savoir ! Car cela pourrait tout à la fois l’effrayer et le rendre jaloux, ce qu’il faut éviter à tout prix ! Allez ! |
"Mind, nothing must be said of this. If our young lover should turn up unexpected, as before, no word to him. It would at once frighten him and enjealous him, too. There must be none. So!" |
Quand je le rejoignis quelques moments plus tard, il me regarda attentivement. |
When I came back he looked at me carefully, and then said:— |
— Maintenant, fit-il, allez vous étendre une heure ou deux sur le sofa, dans la chambre à côté. Puis après un déjeuner copieux — oui, il faut très bien manger — vous viendrez me retrouver. |
"You are not much the worse. Go into the room, and lie on your sofa, and rest awhile; then have much breakfast, and come here to me." |
Je lui obéis, car je savais qu’il avait raison, que ses conseils étaient sages. J’avais fait ce que j’avais à faire, et maintenant c’était pour moi un autre devoir que de recouvrer mes forces. Mon état de faiblesse m’empêchait de m’étonner, comme, certes, j’aurais du le faire, de ce qui venait de se passer. Toutefois, en m’endormant sur le sofa, je me demandai ce qui, chez Lucy, avait bien pu provoquer cette rechute. Comment l’expliquer, si elle avait perdu tant de sang, que l’on n’en vît nulle part la moindre trace ? Sans doute continuai-je à me poser ces questions même dans mes rêves car, endormi ou éveillé, je sais que mes pensées revenaient sans cesse à ces deux petites blessures sur la gorge de Lucy, et à leurs bords comme déchiquetés, vidés de toute substance. |
I followed out his orders, for I knew how right and wise they were. I had done my part, and now my next duty was to keep up my strength. I felt very weak, and in the weakness lost something of the amazement at what had occurred. I fell asleep on the sofa, however, wondering over and over again how Lucy had made such a retrograde movement, and how she could have been drained of so much blood with no sign anywhere to show for it. I think I must have continued my wonder in my dreams, for, sleeping and waking, my thoughts always came back to the little punctures in her throat and the ragged, exhausted appearance of their edges—tiny though they were. |
Quand notre malade se réveilla, tard dans la journée, elle paraissait aller beaucoup mieux, encore qu’il fût impossible de comparer cette amélioration à l’état où je l’avais trouvée la veille et qui nous avait tant réconfortés. L’ayant examinée, Van Helsing nous quitta pour aller respirer un peu d’air pur, après m’avoir recommandé de ne pas la laisser seule, ne fût-ce qu’une minute. Je l’entendis qui, au bas de l’escalier, demandait où se trouvait le bureau de télégraphe le plus proche. |
Lucy slept well into the day, and when she woke she was fairly well and strong, though not nearly so much so as the day before. When Van Helsing had seen her, he went out for a walk, leaving me in charge, with strict injunctions that I was not to leave her for a moment. I could hear his voice in the hall, asking the way to the nearest telegraph office. |
Lucy bavarda longuement avec moi, sans paraître se douter le moins du monde de ce qui s’était passé. J’essayai de l’amuser, de l’intéresser en lui parlant de choses et d’autres. Et, quand sa mère monta pour la voir, j’eus la certitude que, de son côté, elle ne s’aperçut d’aucun changement chez la malade. |
Lucy chatted with me freely, and seemed quite unconscious that anything had happened. I tried to keep her amused and interested. When her mother came up to see her, she did not seem to notice any change whatever, but said to me gratefully:— |
— Comment pourrions-nous vous remercier de tout ce que vous avez fait pour nous, docteur ? me dit-elle sur un ton de profonde reconnaissance. Mais, maintenant, vous devez veiller à ne pas vous épuiser vous-même. À votre tour vous êtes bien pâle ! Vous devriez vous marier, croyez-moi ; une femme qui vous soigne et qui ait des attentions pour vous, voilà ce qu’il vous faudrait ! Lucy rougit, l’espace d’un moment, il est vrai : ses veines si appauvries ne pouvant soutenir plus longtemps un afflux de sang vers la tête. Elle redevint d’une pâleur extrême en tournant vers moi des yeux implorants. Je souris en lui faisant un petit signe de tête entendu et en posant un doigt sur mes lèvres. Elle soupira et se laissa retomber sur ses oreillers. |
"We owe you so much, Dr. Seward, for all you have done, but you really must now take care not to overwork yourself. You are looking pale yourself. You want a wife to nurse and look after you a bit; that you do!" As she spoke, Lucy turned crimson, though it was only momentarily, for her poor wasted veins could not stand for long such an unwonted drain to the head. The reaction came in excessive pallor as she turned imploring eyes on me. I smiled and nodded, and laid my finger on my lips; with a sigh, she sank back amid her pillows. |
Van Helsing revint deux heures plus tard et me dit aussitôt : — Retournez chez vous ; il vous faut à nouveau faire un bon repas et bien boire, pour reprendre des forces. Moi, je resterai ici cette nuit, auprès de la petite demoiselle. Nous devons, vous et moi, étudier le cas, mais personne ne doit être au courant de nos recherches. J’ai pour cela de sérieuses raisons. Non, je ne vous les dévoilerai pas maintenant. Pensez ce que vous voulez, et ne craignez pas de penser même l’impensable. Bonsoir ! |
Van Helsing returned in a couple of hours, and presently said to me: "Now you go home, and eat much and drink enough. Make yourself strong. I stay here to-night, and I shall sit up with little miss myself. You and I must watch the case, and we must have none other to know. I have grave reasons. No, do not ask them; think what you will. Do not fear to think even the most not-probable. Good-night." |
Dans le corridor, deux servantes vinrent me demander si elles ne pouvaient pas — ou au moins l’une d’entre elles — passer la nuit au chevet de Miss Lucy. Elles me suppliaient de les laisser monter. Et, lorsque je leur eus dit que le professeur Van Helsing désirait que ce fût l’un de nous deux qui veillât la malade, elles me demandèrent presque en pleurant d’intervenir auprès du « Monsieur Étranger ». Ce geste de leur part me toucha plus que je ne pourrais le dire, peut-être parce que je suis très faible en ce moment ; peut-être parce que c’était au sujet de Lucy qu’elles montraient tant de bonté et de dévouement. Je revins ici à temps encore pour que l’on me servît à dîner, puis j’allai voir mes malades — tout va bien de ce côté. Et maintenant j’écris ces lignes en attendant le sommeil, qui ne tardera pas à venir, je le sens. |
In the hall two of the maids came to me, and asked if they or either of them might not sit up with Miss Lucy. They implored me to let them; and when I said it was Dr. Van Helsing's wish that either he or I should sit up, they asked me quite piteously to intercede with the "foreign gentleman." I was much touched by their kindness. Perhaps it is because I am weak at present, and perhaps because it was on Lucy's account, that their devotion was manifested; for over and over again have I seen similar instances of woman's kindness. I got back here in time for a late dinner; went my rounds—all well; and set this down whilst waiting for sleep. It is coming. |
Cet après-midi, je suis retourné à Hillingham. Lucy était beaucoup mieux, et Van Helsing avait l’air satisfait. Peu après mon arrivée, on vint remettre au professeur un gros colis qui venait de l’étranger. Il l’ouvrit avec empressement.- empressement affecté, bien sûr — puis se retourna vers Lucy en lui tendant un gros bouquet de fleurs blanches. |
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— C’est pour vous, Miss Lucy, Iui dit-il. |
"These are for you. Miss Lucy," he said. |
— Pour moi ? Oh ! Docteur Van Helsing ! |
"For me? Oh, Dr. Van Helsing!" |
— Oui, ma chère enfant, mais pas pour orner votre chambre. Ce sont des médicaments. — Ici, Lucy fit la grimace. — Mais non, ce n’est pas pour faire des infusions ou des décoctions au goût désagréable. Ne prenez dons pas cet air — voyez-moi ce visage si charmant, il y a un moment à peine — sinon, je dirai à mon ami Arthur quelles souffrances il endurera quand il verra que le si beau visage qu’il adore peut faire une si laide grimace ! Ah ! voilà, ma jolie petite demoiselle, voilà le petit nez charmant redevenu lui-même ! À la bonne heure !… Ce sont des médicaments, mais vous n’aurez pas à les absorber. Certaines de ces fleurs, je les mettrai à votre fenêtre, avec d’autres je ferai une jolie guirlande que je vous passerai autour du cou afin que vous dormiez paisiblement. Oui ! comme les fleurs de lotus, elles vous aideront à tout oublier. Le parfum ressemble à celui des eaux du Léthé et à celui de cette Fontaine de Jouvence que les conquistadores allèrent chercher en Floride, mais qu’ils trouvèrent beaucoup trop tard. |
"Yes, my dear, but not for you to play with. These are medicines." Here Lucy made a wry face. "Nay, but they are not to take in a decoction or in nauseous form, so you need not snub that so charming nose, or I shall point out to my friend Arthur what woes he may have to endure in seeing so much beauty that he so loves so much distort. Aha, my pretty miss, that bring the so nice nose all straight again. This is medicinal, but you do not know how. I put him in your window, I make pretty wreath, and hang him round your neck, so that you sleep well. Oh yes! they, like the lotus flower, make your trouble forgotten. It smell so like the waters of Lethe, and of that fountain of youth that the Conquistadores sought for in the Floridas, and find him all too late." |
Pendant qu’il parlait, Lucy contemplait les fleurs et respirait leur parfum. Bientôt, elle les repoussa en riant, mais aussi avec un air un peu dégoûté : |
Whilst he was speaking, Lucy had been examining the flowers and smelling them. Now she threw them down, saying, with half-laughter, and half-disgust:— |
— Oh ! professeur, je crois que vous vous moquez de moi ! Ces fleurs ? Mais ce sont simplement des fleurs d’ail. |
"Oh, Professor, I believe you are only putting up a joke on me. Why, these flowers are only common garlic." |
Je fus assez surpris de voir Van Helsing se lever, puis répondre gravement en fronçant les sourcils : |
To my surprise, Van Helsing rose up and said with all his sternness, his iron jaw set and his bushy eyebrows meeting:— |
— Je ne me moque jamais de personne, jamais ! Tout ce que je fais, je le fais avec le plus grand sérieux. Et je voudrais que vous ne contrariiez ni mes intentions, ni les mesures que je veux prendre. Veillez-y, et si ce n’est pas dans votre propre intérêt, que ce soit dans l’intérêt de ceux qui vous aiment ! |
"No trifling with me! I never jest! There is grim purpose in all I do; and I warn you that you do not thwart me. Take care, for the sake of others if not for your own." |
Mais devant l’effroi peint sur le visage de la pauvre enfant — effroi qui n’était certes pas surprenant — il poursuivit sur un ton plus doux : — Oh ! ma chère petite, ma petite demoiselle, n’ayez pas peur ! Tout ce que je vous dis, c’est pour votre bien. Et ces fleurs communes possèdent une vertu qui peut contribuer à votre guérison ! Voyez ! Je les placerai moi-même dans votre chambre ; moi-même je tresserai la couronne que vous porterez autour du cou. Mais, chut ! De tout ceci, il ne faut parler à personne — ne rien répondre aux questions que l’on pourrait vous poser à ce sujet. Ce qu’il faut, c’est obéir, et le silence, c’est déjà l’obéissance ; si vous obéissez, vous recouvrerez vos forces et vous serez d’autant plus vite dans les bras de celui qui vous attend ! Maintenant, reposez-vous, soyez calme ! Allons, mon ami John, aidez-moi à orner la chambre de ces fleurs que j’ai commandées directement à Haarlem où mon ami Vanderpool les cultive dans ses serres, d’un bout à l’autre de l’année. Je l’ai prié hier par télégramme de me les envoyer. |
Then seeing poor Lucy scared, as she might well be, he went on more gently: "Oh, little miss, my dear, do not fear me. I only do for your good; but there is much virtue to you in those so common flowers. See, I place them myself in your room. I make myself the wreath that you are to wear. But hush! no telling to others that make so inquisitive questions. We must obey, and silence is a part of obedience; and obedience is to bring you strong and well into loving arms that wait for you. Now sit still awhile. Come with me, friend John, and you shall help me deck the room with my garlic, which is all the way from Haarlem, where my friend Vanderpool raise herb in his glass-houses all the year. I had to telegraph yesterday, or they would not have been here." |
Nous sommes donc montés, avec les fleurs, dans la chambre de Lucy. Tout ce que fit le professeur était assurément insolite et s’éloignait de toute pharmacopée existante. D’abord, il ferma soigneusement les fenêtres, veilla à ce que personne ne pût les rouvrir ; puis, prenant une poignée de fleurs, il les frotta sur les châssis, comme s’il voulait que le moindre souffle d’air entrant dans la chambre par un interstice quelconque fût imprégné d’une odeur d’ail. Enfin, il alla frotter de même tout le chambranle de la porte, en haut, en bas, et sur les deux côtés, ainsi que le manteau de cheminée tout entier. |
We went into the room, taking the flowers with us. The Professor's actions were certainly odd and not to be found in any pharmacopoeia that I ever heard of. First he fastened up the windows and latched them securely; next, taking a handful of the flowers, he rubbed them all over the sashes, as though to ensure that every whiff of air that might get in would be laden with the garlic smell. Then with the wisp he rubbed all over the jamb of the door, above, below, and at each side, and round the fireplace in the same way. It all seemed grotesque to me, and presently I said:— |
Je me demandais dans quel but il agissait ainsi. — Écoutez, maître, lui dis-je après quelques moments, je sais qu’il y a toujours une raison à tout ce que vous faites ; mais ici, vraiment, je ne comprends pas. Certains, à vous voir, croiraient que vous préparez un charme qui doit interdire l’accès de la chambre à quelque esprit malin. |
"Well, Professor, I know you always have a reason for what you do, but this certainly puzzles me. It is well we have no sceptic here, or he would say that you were working some spell to keep out an evil spirit." |
— Eh bien ! Oui, peut-être ! me répondit-il tranquillement, et il se mit à tresser la couronne. Nous attendîmes alors que Lucy fût prête pour la nuit, et lorsqu’on vint nous dire qu’elle s’était mise au lit, Van Helsing alla lui-même lui passer la couronne autour du cou. Avant de la quitter, il lui dit encore : |
"Perhaps I am!" he answered quietly as he began to make the wreath which Lucy was to wear round her neck. We then waited whilst Lucy made her toilet for the night, and when she was in bed he came and himself fixed the wreath of garlic round her neck. The last words he said to here were:— |
— Attention ! Gardez bien les fleurs telles que je vous les ai mises et sous aucun prétexte, même si vous trouvez que la chambre sent le renfermé, vous ne pouvez, cette nuit, ouvrir la porte ou les fenêtres ! |
"Take care you do not disturb it; and even if the room feel close, do not to-night open the window or the door." |
— Je vous le promets, répondit Lucy, et merci mille fois à tous deux pour la bonté que vous me témoignez ! Oh ! qu’ai-je fait pour que le ciel me donne des amis aussi précieux ! |
"I promise," said Lucy, "and thank you both a thousand times for all your kindness to me! Oh, what have I done to be blessed with such friends?" |
Tandis que nous nous éloignions de la maison, Van Helsing me dit : |
As we left the house in my fly, which was waiting, Van Helsing said:— |
— Ce soir, enfin, je pourrai dormir sur les deux oreilles, et j’en ai besoin ! Deux nuits passées à voyager ; entre-temps, une journée de lectures et de recherches beaucoup d’inquiétudes en revenant ici puis encore une nuit à veiller, sans fermer l’œil ; c’est suffisant. Demain, de bonne heure, vous m’appellerez, et, ensemble, nous reviendrons voir notre jolie petite demoiselle que nous trouverons bien plus forte, à cause de mon « charme ». Ha ! Ha ! |
"To-night I can sleep in peace, and sleep I want—two nights of travel, much reading in the day between, and much anxiety on the day to follow, and a night to sit up, without to wink. To-morrow in the morning early you call for me, and we come together to see our pretty miss, so much more strong for my 'spell' which I have work. Ho! ho!" |
Devant sa confiance, qui semblait inébranlable, je me souvins de celle que j’avais eue deux soirs auparavant pour éprouver ensuite une si terrible déception, et je me mis à redouter le pire. C’est sans doute à cause de mon état de faiblesse que j’hésitai à avouer mes craintes à mon maître, mais elles me furent d’autant plus douloureuses — telles des larmes qu’on refoule. |
He seemed so confident that I, remembering my own confidence two nights before and with the baneful result, felt awe and vague terror. It must have been my weakness that made me hesitate to tell it to my friend, but I felt it all the more, like unshed tears. |